Sommaire

Présidence de M. Gérard Larcher

Secrétaires :

Mme Catherine Deroche, M. Joël Guerriau.

1. Procès-verbal

2. Communication relative à une commission mixte paritaire

3. Questions d’actualité au Gouvernement

effondrement du pont de mirepoix-sur-tarn

M. Pierre Médevielle ; M. Jean-Baptiste Djebbari, secrétaire d’État auprès de la ministre de la transition écologique et solidaire, chargé des transports ; M. Pierre Médevielle.

situation des hôpitaux

M. Bernard Cazeau ; Mme Agnès Buzyn, ministre des solidarités et de la santé.

engagement et proximité

M. Éric Jeansannetas ; Mme Jacqueline Gourault, ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales.

limites des annonces du gouvernement sur l’hôpital public face à l’ampleur de la crise sociale

M. Guillaume Gontard ; Mme Agnès Buzyn, ministre des solidarités et de la santé ; M. Guillaume Gontard.

finances locales

M. Alain Duran ; M. Olivier Dussopt, secrétaire d’État auprès du ministre de l’action et des comptes publics.

scolarisation des enfants handicapés

Mme Colette Mélot ; M. Gabriel Attal, secrétaire d’État auprès du ministre de l’éducation nationale et de la jeunesse ; Mme Colette Mélot.

bilan et perspectives de la décentralisation

M. Philippe Bas ; M. Édouard Philippe, Premier ministre ; M. Philippe Bas.

mesures en faveur de l’hôpital

M. Alain Milon ; M. Édouard Philippe, Premier ministre ; M. Alain Milon.

journée des droits de l’enfant

Mme Annie Guillemot ; M. Adrien Taquet, secrétaire d’État auprès de la ministre des solidarités et de la santé ; Mme Annie Guillemot.

réforme des retraites

M. René-Paul Savary ; M. Jean-Paul Delevoye, haut-commissaire aux retraites, délégué auprès de la ministre des solidarités et de la santé ; M. René-Paul Savary.

tolérance zéro au volant et sociabilité dans les territoires non urbains

M. Michel Canevet ; M. Christophe Castaner, ministre de l’intérieur ; M. Michel Canevet.

industrie automobile

M. Philippe Dominati ; Mme Agnès Pannier-Runacher, secrétaire d’État auprès du ministre de l’économie et des finances ; M. Philippe Dominati.

politique agricole commune

M. Joël Labbé ; M. Didier Guillaume, ministre de l’agriculture et de l’alimentation ; M. Joël Labbé.

intempéries dans la vallée du rhône

Mme Marie-Pierre Monier ; Mme Emmanuelle Wargon, secrétaire d’État auprès de la ministre de la transition écologique et solidaire.

finances locales

Mme Laure Darcos ; M. Olivier Dussopt, secrétaire d’État auprès du ministre de l’action et des comptes publics ; Mme Laure Darcos.

Suspension et reprise de la séance

PRÉSIDENCE DE Mme Catherine Troendlé

4. Retrait de l’ordre du jour d’une proposition de loi

5. Candidatures à une commission mixte paritaire

6. Délégations parlementaires aux droits des enfants. – Rejet d’une proposition de loi

Discussion générale :

Mme Christine Prunaud, auteure de la proposition de loi

Mme Muriel Jourda, rapporteur de la commission des lois

Mme Christelle Dubos, secrétaire d’État auprès de la ministre des solidarités et de la santé

M. Philippe Bonnecarrère

M. Jacques Bigot

Mme Josiane Costes

M. Richard Yung

Mme Éliane Assassi

Mme Colette Mélot

Mme Joëlle Garriaud-Maylam

M. Édouard Courtial

Mme Nicole Duranton

Clôture de la discussion générale.

Mme Muriel Jourda, rapporteur

Article unique

M. Xavier Iacovelli

M. Roger Karoutchi

Mme Laurence Rossignol

Mme Éliane Assassi

M. François Bonhomme

Mme Joëlle Garriaud-Maylam

M. Philippe Bas, président de la commission des lois

M. Jean-Raymond Hugonet

Mme Christine Prunaud

Mme Laurence Cohen

M. Jacques Bigot

Mme Marie Mercier

Vote sur l’ensemble

Mme Laurence Rossignol

Rejet, par scrutin public n° 39, de l’article unique de la proposition de loi.

7. Pour répondre à l’urgence climatique par le développement ferroviaire : promouvons les auto-trains et les Intercités de nuit. – Débat organisé à la demande du groupe communiste républicain citoyen et écologiste

Mme Éliane Assassi, pour le groupe communiste républicain citoyen et écologiste

Mme Patricia Morhet-Richaud

M. Olivier Jacquin

Mme Josiane Costes

M. Frédéric Marchand

M. Guillaume Gontard

M. Jérôme Bignon

M. Jean-Claude Luche

Mme Christine Lavarde

Mme Martine Filleul

M. Jean-François Longeot

M. Max Brisson

M. Jean-Baptiste Djebbari, secrétaire d’État auprès de la ministre de la transition écologique et solidaire, chargé des transports

8. Ordre du jour

Nomination de membres d’une commission mixte paritaire

compte rendu intégral

Présidence de M. Gérard Larcher

Secrétaires :

Mme Catherine Deroche,

M. Joël Guerriau.

M. le président. La séance est ouverte.

(La séance est ouverte à quinze heures.)

1

Procès-verbal

M. le président. Le compte rendu analytique de la précédente séance a été distribué.

Il n’y a pas d’observation ?…

Le procès-verbal est adopté sous les réserves d’usage.

2

Communication relative à une commission mixte paritaire

M. le président. J’informe le Sénat que la commission mixte paritaire chargée d’élaborer un texte sur le projet de loi de finances rectificative pour 2019 est parvenue à l’adoption d’un texte commun. (Exclamations réjouies et applaudissements sur des travées des groupes Les Républicains et UC.)

3

Questions d’actualité au Gouvernement

M. le président. Monsieur le Premier ministre, mesdames, messieurs les ministres, mes chers collègues, l’ordre du jour appelle les réponses à des questions d’actualité au Gouvernement.

Je vous rappelle que la séance est retransmise en direct sur Public Sénat et sur notre site internet.

Chacun sera attentif au respect de son temps de parole et au respect des uns et des autres.

effondrement du pont de mirepoix-sur-tarn

M. le président. La parole est à M. Pierre Médevielle, pour le groupe Union Centriste. (Applaudissements sur les travées du groupe UC, ainsi que sur des travées du groupe RDSE. – M. René-Paul Savary applaudit également.)

M. Pierre Médevielle. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, un pont s’est effondré lundi à Mirepoix-sur-Tarn, dans mon département. Mes premières pensées, auxquelles j’associe mes collègues de Haute-Garonne, vont, bien évidemment, aux familles des deux victimes de ce drame.

L’heure n’est pas aux polémiques. Il est trop tôt pour incriminer qui que ce soit, même si les circonstances de cet accident semblent maintenant connues.

Triste coïncidence, ce drame intervient six mois après la publication du rapport de la mission d’information sur la sécurité des ponts, présidée par Hervé Maurey.

Notre pays compte plus de 200 000 ponts ; 90 % d’entre eux sont gérés par les collectivités locales. Parmi eux, 25 000 sont d’ores et déjà répertoriés comme étant en mauvais état structurel.

La situation est particulièrement inquiétante pour les 100 000 ponts qui relèvent des communes ou des intercommunalités. Ces collectivités ne disposent ni de l’ingénierie ni des moyens nécessaires pour assurer le diagnostic, la surveillance et, quand cela s’avère nécessaire, la remise à niveau de ces infrastructures. À l’heure du congrès des maires, nos collectivités s’interrogent sur leurs ressources et ont absolument besoin d’aide !

Ce rapport très pertinent préconise de mettre en œuvre un véritable plan Marshall pour les ponts, en créant un fonds d’aide aux collectivités.

Comme on l’a fait pour les tunnels après la catastrophe du Mont-Blanc, avec la mise en place de moyens importants pour les sécuriser, il faut aujourd’hui débloquer des crédits pour remettre en état les ponts.

Monsieur le secrétaire d’État, s’agissant des ponts gérés par l’État, le projet de loi d’orientation des mobilités prévoit une augmentation des moyens dédiés à leur entretien ; cette augmentation n’est toutefois pas suffisamment rapide par rapport aux besoins estimés.

À quand un accompagnement adapté, urgent et nécessaire, pour les communes et les intercommunalités qui n’ont pas les moyens financiers, techniques et humains requis pour assurer, seules, la sécurité de ces ouvrages ? (Applaudissements sur les travées du groupe UC. – Mme Brigitte Micouleau applaudit également.)

M. le président. La parole est à M. le secrétaire d’État chargé des transports.

M. Jean-Baptiste Djebbari, secrétaire dÉtat auprès de la ministre de la transition écologique et solidaire, chargé des transports. Monsieur le sénateur, vous avez rappelé le drame survenu avant-hier matin à Mirepoix-sur-Tarn ; je veux à mon tour avoir une pensée pour les victimes et leurs familles, pour les services de secours, qui se sont mobilisés très tôt, et pour certains des témoins du drame, qui ont eu le courage de porter assistance aux personnes alors en péril.

Vous savez qu’une enquête judiciaire est en cours ; j’ai par ailleurs confié au Bureau d’enquêtes sur les accidents de transport terrestre le soin de tirer toutes les conclusions techniques de cet accident.

Sans anticiper sur le résultat de ces enquêtes, il semble qu’un poids lourd qui avait emprunté le pont ce matin-là dépassait très largement le tonnage de 19 tonnes autorisé sur ce pont. Celui-ci avait été inspecté en 2017 par le Centre d’études et d’expertise sur les risques, l’environnement, la mobilité et l’aménagement (Cerema) : aucun défaut n’était alors apparu. Une inspection diligentée par les services départementaux avait confirmé ce diagnostic en 2018.

Je tiens, monsieur le sénateur, à répondre à votre question relative aux moyens engagés pour les ponts. J’ai eu ici même avec vous, mesdames, messieurs les sénateurs, il y a quelques semaines, un débat sur la sécurité des ponts à la suite du rapport remis par MM. Patrick Chaize et Michel Dagbert sur l’initiative du président Hervé Maurey. J’ai alors rappelé l’engagement du Gouvernement, inscrit dans le projet de loi d’orientation des mobilités : augmenter de manière très significative les crédits alloués aux ponts. Ainsi, 70 millions d’euros leur auront été consacrés en 2019, et plus de 120 millions d’euros en 2026, ce qui permettra d’accéder à cette sécurité si nécessaire.

S’agissant des ponts de rétablissement, qui font l’objet de la loi du 7 juillet 2014, dite loi Didier, un recensement est en cours ; il ouvrira droit à cofinancement dès qu’il sera complet, d’ici à la fin de cette année.

Enfin, les services de l’État et le Cerema sont tout à fait disponibles pour apporter aux collectivités un appui en ingénierie. Je partage notamment l’ambition de MM. Chaize, Dagbert et Maurey : disposer très rapidement d’un carnet de santé de l’ensemble des ponts et les doter de capteurs permettant de surveiller leur état en temps réel.

Sur ce sujet, monsieur le sénateur, soyez assuré de la mobilisation de l’État, qui partage votre ambition en la matière ! (Applaudissements sur les travées du groupe LaREM, ainsi que sur des travées du groupe UC.)

M. le président. La parole est à M. Pierre Médevielle, pour la réplique.

M. Pierre Médevielle. L’accident est une chose ; il n’en reste pas moins que les sommes allouées à l’entretien des ponts, des routes et des voies ferrées sont insuffisantes ! Nous ne pouvons pas rester à regarder passivement nos infrastructures se dégrader ! Nous ne pouvons pas jouer avec la sécurité de nos concitoyens ! (Applaudissements sur les travées du groupe UC, ainsi que sur des travées des groupes SOCR et Les Républicains.)

situation des hôpitaux

M. le président. La parole est à M. Bernard Cazeau, pour le groupe La République En Marche. (Applaudissements sur les travées du groupe LaREM.)

M. Bernard Cazeau. Monsieur le président, mesdames, messieurs les ministres, mes chers collègues, ma question s’adresse à Mme la ministre des solidarités et de la santé.

Aujourd’hui, l’hôpital est malade, mais il est vrai que cela vient de loin. (Exclamations ironiques sur les travées des groupes SOCR et Les Républicains.) L’hôpital n’a pas supporté les évolutions successives qui lui ont été infligées depuis plusieurs années, tant en matière financière que pour son organisation, sans parler de l’exercice médical de ville, qui a beaucoup évolué depuis vingt ans et dont la pratique est, à mon avis, en partie responsable de l’engorgement des urgences.

Le malaise hospitalier est arrivé à son apogée, comme en témoigne la manifestation qui a réuni, il y a quelques jours, praticiens et personnel hospitalier de façon assez massive.

Devant cette situation, madame la ministre, en conférence de presse, ce matin, M. le Premier ministre et vous-même avez apporté une réponse forte, concrète et rapidement applicable, qui permet de faire face à l’urgence. Elle s’articule autour d’une accélération de la stratégie « Ma santé 2022 » et donne suite aux demandes des professionnels de santé à travers trois mesures phares.

La première est un abondement de 1,5 milliard d’euros sur trois ans pour l’hôpital : l’objectif national de dépenses d’assurance maladie (Ondam) hospitalier passe à 2,4 %, ce qui permet une vision pluriannuelle.

La deuxième est la reprise de la dette de l’hôpital à hauteur d’un tiers, soit 10 milliards d’euros.

La troisième, enfin, consiste dans le renforcement de l’attractivité des hôpitaux par le biais de plusieurs dispositions, telles qu’une prime annuelle de 800 euros nets pour le personnel hospitalier des secteurs sous tension, une valorisation financière des équipes engagées, à hauteur d’environ 300 euros, ou encore une revalorisation des métiers d’aide-soignant.

Madame la ministre, nous avons vécu ces trente dernières années plusieurs réformes hospitalières ; elles ont eu des conséquences diverses : parfois optimales, parfois déstructurantes. (Exclamations dimpatience sur les travées des groupes SOCR et Les Républicains.)

M. Rachid Temal. La question !

M. le président. S’il vous plaît, mes chers collègues, laissez l’orateur s’exprimer : il lui reste une seconde pour poser sa question !

M. Bernard Cazeau. La voici, monsieur le président, si je peux m’exprimer. (Exclamations ironiques de satisfaction sur les mêmes travées.) En quoi les décisions prises par le Gouvernement nous permettent-elles d’espérer que, demain, l’hôpital va jouer le rôle fondamental qu’attendent les Français ? (Applaudissements sur les travées du groupe LaREM.)

M. Vincent Éblé. Tout ça pour ça !

M. le président. La parole est à Mme la ministre des solidarités et de la santé.

Mme Agnès Buzyn, ministre des solidarités et de la santé. Monsieur le sénateur Bernard Cazeau, vous avez raison (Exclamations moqueuses sur les travées des groupes SOCR et Les Républicains.) : la crise de l’hôpital public est très ancienne. Elle connaît depuis quelques semaines l’une de ses phases les plus aiguës. Après des années de statu quo, et malgré l’augmentation des crédits alloués à l’hôpital que le Parlement avait adoptée l’année dernière, il nous a fallu prendre la mesure de cette crise légitime et, surtout, proposer des solutions nouvelles qui répondent aux attentes.

Transformer le système de soins, tel était l’objectif de la stratégie « Ma santé 2022 ». Nous avons engagé cette réforme afin de replacer le patient au cœur du système et de privilégier la qualité des soins, plutôt que des logiques comptables. Ce plan visait à réorganiser la médecine de ville et à réarmer les hôpitaux de proximité, afin d’assurer la continuité des soins pour nos concitoyens.

C’est également le sens du pacte de refondation des urgences, qui vise à éviter des passages inutiles dans les services d’urgences en réorientant les patients qui peuvent être pris en charge ailleurs.

Enfin, la suppression du numerus clausus et la réforme des études de médecine visent à nous permettre de bénéficier enfin, dans les années qui viennent, d’un peu plus de médecins.

Nous savons bien que ces réformes prendront du temps pour produire tous leurs effets. Chose essentielle, un consensus existe quant aux orientations de la stratégie « Ma santé 2022 ».

Pour autant, l’hôpital public a aujourd’hui besoin de mesures d’urgence. Les annonces faites ce matin s’inscrivent dans la logique du plan « Ma santé 2022 » et répondent à trois objectifs forts.

Il fallait d’abord restaurer l’attractivité de l’hôpital public, notamment en redonnant aux professionnels l’envie de s’engager dans ce secteur public…

Mme Laurence Cohen. Il faut augmenter les salaires !

Mme Agnès Buzyn, ministre. … et d’y construire une carrière, mais aussi en récompensant leur engagement.

Cette réforme vise aussi à assouplir le fonctionnement des hôpitaux : nous faisons confiance aux responsables de terrain et nous voulons faciliter les prises de décisions.

Enfin, la réforme présentée par M. le Premier ministre vise à redonner des moyens considérables à l’hôpital, immédiatement, par le biais d’une augmentation des budgets, et dans la durée, au travers d’un allégement significatif de la dette des hôpitaux.

Je préciserai le détail de ces mesures dans mes réponses à d’autres questions. (Applaudissements sur les travées du groupe LaREM.)

Mme Laurence Cohen. Ce n’est pas assez !

engagement et proximité

M. le président. La parole est à M. Éric Jeansannetas, pour le groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen. (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE.)

M. Éric Jeansannetas. Ma question s’adresse à Mme la ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales.

Madame la ministre, le congrès des maires de France s’est ouvert hier, alors que débute l’examen par l’Assemblée nationale du projet de loi relatif à l’engagement dans la vie locale et à la proximité de l’action publique. Ce texte, que le Sénat a adopté à l’unanimité moins deux voix, vise à remettre la maire au centre de la gouvernance locale, alors que de nombreux élus font part de leur désarroi. Certains sondages indiquent même que seul un maire sur deux envisagerait de se représenter.

Nous ne dirons jamais assez combien le mandat de maire constitue la quintessence de la vie démocratique, le cœur battant de notre République. Le Président de la République l’a d’ailleurs rappelé hier dans son hommage aux maires de France. (Exclamations ironiques sur les travées du groupe SOCR.)

Vous le savez bien, madame la ministre, le Sénat a beaucoup travaillé pour aboutir à un texte d’équilibre, ce dont votre collègue Sébastien Lecornu, qui était chargé de représenter le Gouvernement lors de nos débats, s’est d’ailleurs félicité.

C’est donc avec une certaine circonspection – doux euphémisme – que nous avons pris connaissance du texte issu des travaux de la commission des lois de l’Assemblée nationale. Cette version marque à nos yeux un recul par rapport à celle que nous avions adoptée.

C’est le cas concernant les compétences « eau » et « assainissement », l’assouplissement de l’intercommunalité, les indemnités des élus ou encore la territorialisation des compétences intercommunales facultatives.

M. Lecornu l’a dit lui-même : l’une des ambitions de ce texte, que vous avez voulu coproduire avec le Sénat, est de répondre au sentiment de dépossession des élus, en particulier face à la complexité normative. C’est ce que notre Assemblée a souhaité faire en introduisant davantage de proximité et de souplesse dans la gouvernance des collectivités, et en remettant la commune au cœur du pacte républicain pour redonner du sens, du contenu, de l’attrait et des moyens au mandat de maire.

Dans ce contexte, ma question est la suivante, madame la ministre : comment voyez-vous la convergence se faire entre les visions de nos deux assemblées, afin de parvenir à un compromis ? (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE, ainsi que sur des travées des groupes UC et Les Républicains.)

M. le président. La parole est à Mme la ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales.

Mme Jacqueline Gourault, ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales. Monsieur le sénateur, le Gouvernement a en effet déposé le projet de loi Engagement et proximité, que M. Sébastien Lecornu a construit avec l’ensemble des élus, qu’il s’agisse des députés, des sénateurs, ou des élus locaux représentés par leurs associations.

M. Éric Bocquet. Pas tous !

Mme Jacqueline Gourault, ministre. Vous avez adopté un texte à l’unanimité : c’est normal, car c’était le texte du Sénat ! (Protestations sur les travées du groupe Les Républicains.) C’est normal, c’est votre rôle : vous êtes des parlementaires. Mais si vous en êtes, les députés en sont aussi ! (Mêmes mouvements.)

M. François Grosdidier. Aux ordres du Gouvernement !

Mme Jacqueline Gourault, ministre. Les députés entament ces jours-ci leur travail législatif. Ce n’est pas dans cet hémicycle qu’on déniera le rôle du bicamérisme ! (Applaudissements sur des travées des groupes LaREM et Les Indépendants. – Exclamations sur les travées du groupe Les Républicains.)

Je vais prendre trois exemples pour que les choses soient claires, monsieur le député… (Rires et exclamations sur les travées du groupe Les Républicains.) – pardon, monsieur le sénateur ! Ce n’est pas une provocation !

En premier lieu, concernant les dispositions adoptées par le Sénat quant aux compétences facultatives et, notamment, ce que M. le rapporteur Mathieu Darnaud appelait « l’intercommunalité à la carte », l’Assemblée nationale a respecté le texte adopté : elle l’a simplement réécrit pour en rendre la rédaction plus précise. (Protestations sur les travées du groupe Les Républicains.)

Deuxièmement, concernant les indemnités des élus, nous avons repris l’idée qui présidait à l’amendement de Mathieu Darnaud adopté par votre Assemblée sur l’initiative de votre rapporteur. (Exclamations ironiques de satisfaction sur les travées du groupe Les Républicains.)

Troisièmement, concernant l’eau et l’assainissement, je me permettrai de rappeler que, aux termes de la loi NOTRe, le transfert de ces compétences aurait dû être obligatoire en 2020. C’est ce gouvernement-ci qui a reporté à 2026 ce transfert, avec minorité de blocage ! (Protestations sur les travées du groupe Les Républicains.)

Nous assouplissons encore ces dispositions dans le projet de loi Engagement et proximité…

M. le président. Il faut conclure !

Mme Jacqueline Gourault, ministre. … en offrant des possibilités de délégation de ces compétences aux communes. Je crois que c’est un grand progrès : nous avons entendu le Sénat ! (Applaudissements sur les travées du groupe LaREM.)

Mme Catherine Troendlé. C’est le travail du Sénat.

limites des annonces du gouvernement sur l’hôpital public face à l’ampleur de la crise sociale

M. le président. La parole est à M. Guillaume Gontard, pour le groupe communiste républicain citoyen et écologiste.

M. Guillaume Gontard. Ma question s’adresse à M. le Premier ministre.

Depuis des mois que couve la crise de l’hôpital, on aurait pu imaginer que l’examen du projet de loi Santé ou celui du budget de la sécurité sociale pour 2020 permettrait d’associer le Parlement à la recherche de solutions. On aurait pu aussi imaginer une concertation des partenaires sociaux, voire un Grenelle de l’hôpital !

Rien de tout cela : votre mépris du Parlement et des corps intermédiaires n’est pas nouveau, mais sa violence continue de nous heurter. Il y a un an, votre méthode a été exactement la même pour répondre aux « gilets jaunes » ! Vous ne réagissez que quand la colère sociale vient enrayer la mécanique de votre machine néolibérale qui broie, jour après jour, le service public.

Après avoir minimisé les problèmes, après avoir louvoyé, il vous aura fallu plus de huit mois de mouvement social pour commencer à mesurer la gravité de la situation, mais comme d’habitude, vous faites le service minimum !

Vous reprenez une partie de la dette ; c’était indispensable. On rappellera que ce sont les règles européennes qui obligent les hôpitaux à se financer auprès des banques privées : une aberration !

Pour revaloriser les salaires, pour embaucher, pour soulager les personnels et éviter les fermetures de lits, le monde hospitalier vous demande de doubler l’objectif national de dépenses de l’assurance maladie, soit une augmentation de 4 à 5 milliards d’euros par an. Vous proposez dix fois moins !

Sur les augmentations de salaire, rien ! Sur l’ouverture de lits, rien ! Sur les embauches, rien ! Sur les internes, rien non plus !

Ce que vous concédez d’une main avec des primes insuffisantes, pour certaines catégories de personnel seulement, vous le reprendrez demain avec la réforme des retraites.

Nous ne pouvons donc pas imaginer que votre réponse soit exhaustive. Monsieur le Premier ministre, merci de nous préciser les autres mesures que vous envisagez pour répondre à la crise hospitalière ! (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE, ainsi que sur des travées du groupe SOCR.)

M. le président. La parole est à Mme la ministre des solidarités et de la santé.

Mme Agnès Buzyn, ministre des solidarités et de la santé. Monsieur le sénateur Gontard, la situation que vous décrivez, nous ne l’avons pas créée : nous l’avons reçue en héritage, et vous le savez ! (Applaudissements sur des travées du groupe LaREM. – Protestations sur les travées des groupes CRCE, SOCR et Les Républicains.)

Vous connaissez mon engagement total en faveur de l’hôpital public. Les propositions que M. le Premier ministre et moi-même avons annoncées ce matin sont très concrètes ; elles sont le fruit d’années d’expérience de terrain, elles sont issues des conférences de présidents d’hôpital et de présidents de commission médicale d’établissement, elles sont issues aussi des syndicats.

Mme Laurence Cohen. C’est pour ça qu’ils sont dans la rue ?

Mme Agnès Buzyn, ministre. Elles ont donc été concertées.

Nous donnons au personnel des hôpitaux – soignants, médecins et agents paramédicaux – des moyens et des primes qui reconnaissent leur engagement permanent dans le soin des patients. Des agents mieux traités et des conditions de travail améliorées, ce sont des patients mieux accueillis et mieux soignés dans des lieux plus adaptés.

Nous donnons également à chaque hôpital une plus grande marge de manœuvre financière, comme ils le demandaient. Nous dégageons 1,5 milliard d’euros sur trois ans : c’est autant d’argent supplémentaire pour recruter, pour moderniser, pour ouvrir des lits là où il en faut. Les établissements auront l’autonomie nécessaire pour investir, parce que nous la leur donnons, mais aussi parce que nous allons les soulager financièrement du poids de leur dette, à hauteur d’un tiers de la dette des hôpitaux, soit 10 milliards d’euros sur trois ans.

Enfin, nous nous sommes engagés à ce que les tarifs des hôpitaux, c’est-à-dire les prix qu’ils facturent à l’assurance maladie, et qui représentent une grande partie de leur budget, non seulement ne baissent plus, contrairement à ce qui s’est passé jusqu’en 2018, mais augmentent trois ans durant. Les hôpitaux auront cette visibilité. En outre, ces tarifs seront encore revus à la hausse chaque fois que la lutte contre les actes inutiles permettra aux hôpitaux de faire des économies : tout cela sera rendu aux établissements de santé.

Je l’ai dit et je le répète : je veux que les hôpitaux bénéficient directement de toutes les économies réalisées par une meilleure programmation et une meilleure pertinence des soins. Nous devons tout cela aux agents hospitaliers : ils attendaient ces annonces, qui sont à la hauteur de leurs espérances ! (Applaudissements sur les travées du groupe LaREM. – Protestations sur les travées du groupe CRCE.)

M. le président. La parole est à M. Guillaume Gontard, pour la réplique.

M. Guillaume Gontard. Il faut arrêter de parler d’héritage : nos concitoyens veulent des actes, tout de suite ! (Protestations sur les travées du groupe LaREM.)

Si vous n’êtes pas en mesure d’ouvrir les yeux, alors les retraités, les chômeurs, les précaires, les étudiants, les pompiers, les personnels de santé, les cheminots, les « gilets jaunes » et tout le peuple que vous mettez à l’agonie finiront par vous les ouvrir ! L’hiver social arrive et il sera rude ! (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE. – M. Martial Bourquin et Mme Martine Filleul applaudissent également.)

finances locales

M. le président. La parole est à M. Alain Duran, pour le groupe socialiste et républicain. (Applaudissements sur les travées du groupe SOCR.)

M. Alain Duran. Ma question s’adresse à M. le ministre de l’action et des comptes publics.

Mme la secrétaire d’État auprès du ministre de l’économie évoquait, le 5 novembre dernier, la volonté du Gouvernement d’engager une réforme des impôts de production, accusés de « grever les finances des entreprises ». Cette idée, probablement soufflée par le Medef, résonne de plus en plus au sein de votre ministère, monsieur le ministre de l’action et des comptes publics.

Or on retrouve dans ce panier d’impôts la contribution sur la valeur ajoutée des entreprises (CVAE), qui pèse 18 milliards d’euros et la contribution foncière des entreprises (CFE), qui pèse 7 milliards. On y trouve des impôts locaux perçus par les régions, les départements, les EPCI et les communes.

Après la suppression de la taxe professionnelle et, plus près de nous, le tour de passe-passe de la taxe d’habitation, c’est tout simplement la décentralisation que vous continuez de détricoter. Ce coup de canif fiscal « économique » ne ferait en effet que dégrader l’autonomie fiscale de nos collectivités ; par voie de conséquence, il affaiblirait les services rendus aux usagers. En effet, ce sont les élus locaux qui, jour après jour, doivent répondre aux attentes légitimes de leurs administrés ; ce sont ces élus locaux qui œuvrent, jour après jour, pour garantir le développement harmonieux et solidaire d’un village, d’une ville, d’un département, ou d’une région, tout simplement pour construire une République des territoires qui soit plus juste !

À l’heure des mouvements sociaux – « gilets jaunes », étudiants, blouses blanches, policiers, agriculteurs, enseignants –, au moment où la République aurait plutôt besoin de se rassembler, vous ne trouvez rien de mieux à faire que de poursuivre cette entreprise de démolition de la fiscalité locale, en mettant cette fois-ci la CFE et la CVAE dans votre viseur.

M. Alain Duran. Nous savons tous que, dans une démocratie, l’impôt est un lien de citoyenneté.

Il est donc de notre responsabilité de lui redonner toute sa légitimité, en veillant à ce qu’il soit réparti équitablement, dans le respect de la justice sociale. Et ce n’est pas en le supprimant, monsieur le ministre, que vous apporterez plus d’équité.

Ma question est simple. Les maires sont réunis en ce moment en congrès, à la porte de Versailles. Pouvez-vous leur affirmer que cette petite musique qui consisterait à inscrire dans une trajectoire de baisse la CFE et la CVAE va enfin s’arrêter de jouer ? (Applaudissements sur les travées du groupe SOCR.)

M. le président. La parole est à M. le secrétaire d’État auprès du ministre de l’action et des comptes publics.

M. Olivier Dussopt, secrétaire dÉtat auprès du ministre de laction et des comptes publics. Monsieur le sénateur Alain Duran, vous avez évoqué dans votre question plusieurs aspects de la fiscalité locale ; permettez-moi de revenir sur deux d’entre eux.

En premier lieu, je veux à mon tour saisir l’occasion du congrès des maires pour garantir, comme j’ai déjà eu l’occasion de le faire, de même que M. le Premier ministre à plusieurs reprises, à l’ensemble des élus de France que la suppression de la taxe d’habitation, qui est avant tout une mesure de justice fiscale et de pouvoir d’achat pour nos compatriotes, sera intégralement compensée aux collectivités, non par des dotations, comme cela a toujours été le cas, mais, à l’euro près, par des recettes fiscales dynamiques et pérennes, de manière à ce que l’autonomie financière des collectivités soit assurée et à ce qu’on ne reproduise pas les travers du Fonds national de garantie individuelle des ressources, qui avait été mis en place à l’occasion de la suppression de la taxe professionnelle, de manière aussi à ce que les collectivités ne connaissent pas à nouveau, comme cela a toujours été le cas, un amoindrissement des allocations de compensation, que l’État cesse toujours de verser à un moment ou à un autre.

Nous changeons de modèle, nous faisons en sorte que la compensation soit intégrale, durable et, surtout, dynamique. Je pense que nous pourrons, les uns et les autres, nous accorder sur ce sujet.

En second lieu, vous avez évoqué la fiscalité qui pèse sur les entreprises. Je voudrais d’abord souligner une chose : quand on réfléchit un petit peu aux impôts qui pèsent sur la production – Agnès Pannier-Runacher en témoignerait tout aussi fortement –, on pourrait évoquer encore d’autres impôts que ceux auxquels vous avez fait allusion, notamment la contribution sociale de solidarité des sociétés (C3S). En effet, cet impôt particulièrement lourd, puisqu’il représente 4 milliards d’euros, est jugé par le Conseil d’analyse économique comme un impôt particulièrement inefficace, qui devrait être réformé.

Nous pouvons aussi ouvrir un certain nombre de chantiers sans nécessairement poser la question du niveau des ressources. Les barèmes de la CFE sont-ils toujours satisfaisants pour les élus ? Je ne le crois pas. Les recettes de la CVAE sont-elles toujours prévisibles pour les collectivités ? Ce n’est pas le cas non plus ; toutes celles et tous ceux qui ont une expérience intercommunale ont pu le mesurer. Peut-on progresser, comme cela a été le cas lors de la révision des valeurs locatives des locaux professionnels ?

Oui, et il faut continuer ce travail de « sincérisation ». Nous avons un objectif : faire en sorte que le panier fiscal sur lequel s’appuient les collectivités soit stable, qu’il soit juste et qu’il soit durable ! (Applaudissements sur les travées du groupe LaREM.)

scolarisation des enfants handicapés

M. le président. La parole est à Mme Colette Mélot, pour le groupe Les Indépendants – République et Territoires. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Indépendants.)

Mme Colette Mélot. Ma question s’adresse à M. le ministre de l’éducation nationale et de la jeunesse.

Nous célébrons aujourd’hui le trentième anniversaire de la convention internationale des droits de l’enfant, qui a été ratifiée par 191 pays, dont la France. Cette journée est également marquée par la mobilisation nationale des accompagnants d’élèves en situation de handicap (AESH).

La loi pour une école de la confiance a favorisé la valorisation de leur statut, en transformant les contrats aidés en CDD de trois ans. En outre, 4 500 postes supplémentaires ont été déployés, portant le nombre d’accompagnants à 90 000.

Nous savons que le taux de scolarisation de ces enfants s’est considérablement amélioré. En deux ans, 40 000 enfants supplémentaires ont été accueillis en milieu scolaire ordinaire, portant ces effectifs à 361 500.

En dépit de ces avancées, que nous saluons, la scolarisation des enfants handicapés reste un défi pour le Gouvernement et un problème quotidien pour les familles qui n’ont pas encore de solution. Les associations témoignent du fossé entre les annonces et la réalité. Ils seraient 11 000 enfants à ne pouvoir bénéficier de l’accompagnement nécessaire, faute de moyens déployés et faute d’attractivité du métier d’accompagnant.

Le Président de la République a fait de la scolarisation des élèves en situation de handicap une priorité du quinquennat.

Le Gouvernement se donne trois ans pour bâtir le socle de l’école inclusive et assurer à chaque élève un égal accès à l’éducation, selon ses besoins particuliers.

Monsieur le ministre, à l’heure de la mobilisation nationale des accompagnants d’élèves en situation de handicap, quelle réponse d’urgence proposez-vous aux 11 000 élèves sans solution ? Quelles actions pour améliorer concrètement les conditions de travail des AESH, qui n’ont pas tous bénéficié des mesures annoncées ? (Applaudissements sur les travées du groupe Les Indépendants. – Mme Joëlle Garriaud-Maylam applaudit également.)

M. le président. La parole est à M. le secrétaire d’État auprès du ministre de l’éducation nationale et de la jeunesse.

M. Gabriel Attal, secrétaire dÉtat auprès du ministre de léducation nationale et de la jeunesse. Madame la sénatrice, je vous prie tout d’abord de bien vouloir excuser l’absence de M. Jean-Michel Blanquer, qui est actuellement présent au congrès des maires pour échanger avec les élus sur les questions d’éducation ; le sujet de l’école inclusive sera sûrement soulevé, parce qu’il est au cœur des attentes et du quotidien des Français, qui sollicitent énormément leurs élus sur ces questions.

Une réalité est indéniable : nous sommes en train de rattraper un retard très important sur cette question. Les besoins étaient énormes, ils restent importants. Une partie du chemin a été parcourue, mais il reste beaucoup à faire. Nous avons du moins la conviction d’avoir fait, en cette rentrée 2019, un pas de géant pour l’école inclusive. Vous avez rappelé les chiffres : 40 000 élèves supplémentaires accueillis depuis deux ans, un renforcement très fort des programmes, 300 créations d’unités localisées pour l’inclusion scolaire (ULIS), ainsi que de classes autisme, et 4 500 recrutements d’AESH pour accueillir à l’école et accompagner davantage d’enfants en situation de handicap. Les progrès sont très importants.

Vous avez posé deux questions très concrètes. Concernant, en premier lieu, les élèves qui ne disposent pas encore, aujourd’hui, de solution d’accompagnement, nous agissons pour les aider, même si des progrès restent à faire. Ils ne sont déjà plus 11 000, mais 8 000 ; c’est encore beaucoup, mais c’est deux fois moins que l’année dernière à la même époque.

Pour les accompagner, nous avons renforcé dans un certain nombre de maisons départementales des personnes handicapées (MDPH) le détachement de personnels enseignants pour traiter les dossiers en urgence et régler ces situations d’ici à la fin de l’année.

La seconde question que vous posez, madame la sénatrice, est celle des AESH. Nous avons agi en cette rentrée pour « déprécariser » leur statut avec des contrats plus robustes – au moins trois ans –, voire des CDI. Les contrats aidés sont moins nombreux pour mieux former et accompagner financièrement ces accompagnants.

Aujourd’hui, plus de 80 % des AESH ne sont plus en emploi aidé : ils sont en contrat de trois ans ou plus, voire en CDI. Il en reste à intégrer au dispositif. Ce sera la mobilisation des années qui viennent, avec pour objectif des contrats robustes pour l’ensemble des accompagnants d’ici à la fin du quinquennat. (Applaudissements sur les travées du groupe LaREM.)

M. le président. La parole est à Mme Colette Mélot, pour la réplique.

Mme Colette Mélot. Monsieur le secrétaire d’État, c’est un sujet à la fois sensible et compliqué. Beaucoup de familles concernées sont dans la détresse et attendent des mesures, sinon immédiates, du moins très rapides. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Indépendants.)

bilan et perspectives de la décentralisation

M. le président. La parole est à M. Philippe Bas, pour le groupe Les Républicains. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. Philippe Bas. Ma question s’adresse à M. le Premier ministre.

Hier, le Président de la République a été reçu par les maires dans le meilleur esprit républicain. Il leur a rendu hommage – le contraire aurait surpris –, mais il a laissé le chantier de l’acte III de la décentralisation en jachère, sans rien annoncer de neuf. Or les nuages s’accumulent sur les libertés locales.

La recentralisation est en marche, qui place les communes sous la dépendance de l’État et déresponsabilise les élus. L’autonomie financière recule avec l’usine à gaz de la compensation de la taxe d’habitation. Les dotations s’érodent, car elles ne sont pas indexées sur l’inflation. Les subventions discrétionnaires des préfets sont préférées à la dotation d’investissement, qui seule est libre d’emploi.

À travers les « contrats de Cahors », l’État s’immisce dans la libre administration des collectivités. Il oppose aussi une fin de non-recevoir au rééquilibrage des relations entre communes et intercommunalités.

Rien n’est fait pour faire obstacle au communautarisme. Sur ce point, on sait maintenant ce que le Président de la République ne veut pas, même si on ne sait toujours pas ce qu’il veut. (Applaudissements sur des travées du groupe Les Républicains.)

Monsieur le Premier ministre, allez-vous prendre la pleine mesure de ces réalités et des menaces d’asphyxie qui pèsent sur la démocratie locale ? (Bravo ! et applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et UC.)

M. le président. La parole est à M. le Premier ministre. (Marques détonnement teinté de satisfaction sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. François Patriat. Vous êtes servis ! (Sourires sur les travées du groupe LaREM.)

M. Édouard Philippe, Premier ministre. Monsieur le président Bas, vous avez brossé un tableau bien noir de la réalité vécue par les maires. (Marques détonnement sur les travées des groupes Les Républicains et UC.) Après tout, pour reprendre votre formule, il aurait été surprenant qu’il en soit autrement ! (Applaudissements sur les travées du groupe LaREM.)

Je voudrais apporter quelques nuances au discours que vous venez de prononcer, en faisant appel à la faible expérience qui est la mienne, mais que je crois utile de souligner. Je me souviens de la réaction des communes et des maires – je ne parle que des maires, parce que c’est la seule expérience dont je puisse faire état – quelques semaines après les élections municipales de 2014, à un moment où il était question non pas d’une stabilité des dotations – vous vous en souvenez –, mais de leur diminution drastique et pluriannuelle.

Monsieur le président Bas, quand on regarde la totalité du mandat municipal qui a vocation à s’achever au mois mars 2020 – c’est en tout cas comme cela que, pour ma part, je le regarderais –, on voit très clairement une période où, pendant trois ans, les dotations ont baissé, les périmètres des intercommunalités ont été modifiés, parfois brutalement,…

M. Édouard Philippe, Premier ministre. … et où toute une série de mesures sont venues transformer le quotidien des maires. Monsieur le président Bas, on voit bien, je crois, que, dans les trois années qui ont suivi, cette baisse des dotations s’est arrêtée. Vous le savez parfaitement. (Exclamations sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. Édouard Philippe, Premier ministre. Les chiffres sont là. La commission des finances peut l’établir. C’est parfaitement documenté.

Vous savez très bien que nous avons décidé de ne pas nous engager dans un big-bang périmétrique pour remodifier les répartitions de compétences, lesquelles avaient d’ailleurs parfois été votées dans le cadre d’une commission mixte paritaire – monsieur le président du Sénat, vous le savez parfaitement –, et de faire en sorte de pouvoir assimiler – digérer, si j’ose dire – la transformation profonde qui a été réalisée jusqu’en 2017.

Ce que je constate, monsieur le président Bas, c’est que nous allons finir de remplacer la taxe d’habitation par une recette fiscale dynamique, dans le cadre d’un dispositif, qui, comme l’a remarquablement expliqué M. le secrétaire d’État voilà quelques minutes, garantit aux communes des ressources pérennes.

Monsieur le président Bas, je peux le dire, j’étais maire à l’époque : si le même système avait été mis en place quand on a supprimé la taxe professionnelle, lors du quinquennat qui précédait le quinquennat précédent… (Exclamations sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. François Grosdidier. Que vous souteniez !

M. Pierre-Yves Collombat. C’était qui ?

M. Édouard Philippe, Premier ministre. Je crois que vous voyez très bien ce à quoi je fais référence !

Si le même système que celui que nous proposons avait été mis en place, je suis convaincu que les maires et les intercommunalités s’en trouveraient mieux.

En d’autres termes, monsieur le président, on peut nuancer ce que vous avez indiqué et dire que le Président de la République a fait le choix de la stabilité et de la confiance. (Exclamations sur les travées des groupes Les Républicains, SOCR et CRCE.)

J’observe en outre, car vous ne l’avez pas dit, mais vous auriez pu le dire, monsieur le président Bas, que c’est le président de l’Association des maires de France lui-même qui nous a fortement invités à ce que, sur les projets relatifs à la décentralisation, sans mettre la question à l’écart, on laisse passer la période qui va jusqu’à mars prochain et aux échéances municipales. Ce n’est pas le Président de la République qui l’a proposé.

Avec Mme la ministre Jacqueline Gourault et Sébastien Lecornu, ministre chargé des collectivités territoriales, le Gouvernement est en train de travailler à un projet de loi qui, pour la première fois, ira bien plus loin que tout ce qui a été fait jusqu’à présent en matière de différenciation.

Comme vous êtes un homme qui croit à la réalité des faits plutôt qu’aux promesses, monsieur le président Bas, je vous renvoie à ce que nous avons fait pour l’Alsace (Exclamations sur les travées du groupe Les Républicains.) : écoute des collectivités territoriales, loi de différenciation.

M. François Grosdidier. Vous n’avez pas écouté la Moselle, en tout cas !

M. Édouard Philippe, Premier ministre. C’est à mon avis un exemple éloquent et réel, puisqu’il a été voté par le Sénat, de ce que nous sommes capables de faire !

Ainsi nuancés, il me semble que nos deux discours se répondent. (Applaudissements sur les travées du groupe LaREM, ainsi que sur des travées du groupe UC.)

M. Pierre-Yves Collombat. Vous avez tous la même politique !

M. le président. La parole est à M. Philippe Bas, pour la réplique.

M. Philippe Bas. Monsieur le Premier ministre Philippe, je vous l’accorde : il y a eu pire que votre gouvernement. (Rires et applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

Voyez-vous, la commune n’est pas une nostalgie. Les maires ne sont pas des faire-valoir. Ils n’ont que faire des flatteries. Ils appartiennent à la démocratie du concret. Ce ne sont pas des marchands de bonheur.

Il est plus que temps d’inverser par des mesures vigoureuses la tendance à la recentralisation qui n’a cessé de s’affirmer au cours des dernières années. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

mesures en faveur de l’hôpital

M. le président. La parole est à M. Alain Milon, pour le groupe Les Républicains. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. Alain Milon. Contrairement à ce qui est affiché, ma question s’adresse non pas à Mme la ministre des solidarités et de la santé, mais à M. le Premier ministre. En effet, la semaine dernière, pendant l’examen du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2020, en présence de Mme Buzyn, le Président de la République a annoncé que des réformes de l’hôpital seraient annoncées par M. le Premier ministre lui-même.

Monsieur le Premier ministre, dans ce que vous avez présenté ce matin, qui esquisse la grande réforme dont l’hôpital a besoin, il n’y a absolument rien de convaincant. Les professionnels de santé attendaient un plan de sauvetage, ils n’ont eu que du rafistolage. Les revalorisations se sont transformées en primes ponctuelles, soumises à conditions. Les 300 millions d’euros de plus pour 2020 sont à mettre en perspective avec les 800 millions d’euros de déficit annuel des hôpitaux. Après avoir contribué à endetter les hôpitaux, faute de leur donner les moyens de fonctionner, vous vous contentez d’alléger leur dette d’un tiers.

Monsieur le Premier ministre, vous nous avez présenté le plan « Ma santé 2022 » il y a quatorze mois, le plan pour les urgences il y a six mois. Manifestement, ils n’ont pas atteint leur objectif. On peut malheureusement d’ores et déjà parier qu’il en sera de même pour vos dernières annonces.

Monsieur le Premier ministre, pourquoi n’avez-vous pas fait le choix d’une réforme en profondeur de l’hôpital ? (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et UC.)

M. Pierre-Yves Collombat. Pour faire des économies !

M. le président. La parole est à M. le Premier ministre.

M. Édouard Philippe, Premier ministre. Monsieur le président Milon, vous m’interrogez sur le plan que, ce matin, Mme la ministre des solidarités et de la santé et moi-même avons présenté.

Un mot d’abord pour dire ce qui motive ce plan au-delà de ce décrochage et de ce sentiment d’abandon parfois exprimé par toute une série de professionnels qui font vivre l’hôpital public : une régulation budgétaire terrible dans les dix dernières années, une transformation de la gouvernance à l’intérieur de l’hôpital qui a éloigné les médecins des lieux de décisions, une réforme profonde de l’organisation territoriale qui a donné le tournis à l’hôpital public. Ajoutez à cela les 35 heures ! (Protestations sur les travées du groupe CRCE.)

M. Édouard Philippe, Premier ministre. Vous savez qu’aucune de ces décisions n’est due à ce gouvernement. (Exclamations sur les travées du groupe Les Républicains.) Eh non, je peux vous le garantir !

M. Jean-François Husson. Ce n’est jamais vous ! Changez de discours !

M. Édouard Philippe, Premier ministre. Ces décisions ont conduit l’hôpital public à une situation dont on pourrait dire, si on était dans l’aéronautique, qu’elle relève presque du décrochage. Il faut éviter ce décrochage, c’est-à-dire qu’il faut donner à l’hôpital public de l’oxygène, ou du carburant, cela dépend quelle analogie on veut travailler, pour qu’il puisse passer cette phase de transformations indispensables, qui a été décrite par Mme la ministre dans le cadre du plan « Ma santé 2022 ».

J’observe – et je suis certain que vous l’observez également, monsieur le président Milon – que, dans les manifestations et remarques exprimées par les corps intermédiaires auxquels vous comme moi sommes attachés, on n’entend pas la contestation des orientations qui ont été fixées par Mme la ministre dans le cadre du plan « Ma santé 2022 ». Vous le savez parfaitement. Il y a, au contraire, une forme d’adhésion, mais aussi la critique que ces pistes ne produiront leurs effets que dans le temps. Or nous n’avons pas le temps, parce qu’il y a urgence.

Tel est le sens du plan d’action que nous avons présenté ce matin, qui n’est pas un petit plan d’action, puisqu’il s’agit de mettre sur la table, pour les trois ans qui viennent, 1,5 milliard d’euros d’argent neuf, frais, d’y ajouter 150 millions d’euros annuels pendant trois ans pour financer de l’investissement médical et du « petit » investissement médical. Je mets des guillemets, parce qu’il ne s’agit pas de construire des hôpitaux immenses, mais bien au contraire de consacrer des ressources pérennes à de l’investissement pour du matériel et ce qui fait cruellement défaut.

Vous le savez comme moi, monsieur Milon, les chiffres de l’hôpital sont terribles. En dix ans, l’investissement hospitalier a été divisé par deux et, dans la même période, l’endettement de l’hôpital public a crû de 40 %. Ce phénomène rend les hôpitaux publics insusceptibles de dégager les marges de manœuvre qui leur permettent d’envisager leur avenir. C’est précisément la raison pour laquelle, à côté de ces 1,5 milliard d’euros, plus les 450 millions d’euros, nous avons décidé d’opérer une reprise de dette.

Je n’ai pas le souvenir, mais je parle sous votre contrôle, monsieur le président Milon, qu’une telle reprise de dette ait été couramment réalisée dans le cadre de l’hôpital public : 10 milliards d’euros de dettes en trois ans, c’est massif. Cela permet, compte tenu des taux d’intérêt, de dégager à terme, c’est-à-dire au bout des trois ans et de la reprise, environ 800 millions d’euros de marge de manœuvre pour les hôpitaux. C’est considérable.

Il ne s’agit pas simplement de moyens, il s’agit de remettre en avant l’attractivité de l’hôpital public par des primes (Mme Laurence Cohen sexclame.) – c’est vrai –, par la mise à disposition des chefs de service de capacités financières – vous devriez y être sensible, monsieur le président Milon – qui ne sont pas décidées à Paris, pour les accompagner dans leur projet médical. Ce n’est pas rien, c’est même assez rare. Voilà ce que nous voulons faire, comme bien d’autres choses encore.

Ce plan d’action renforcé, ce plan d’urgence, a vocation à aider l’hôpital public à dépasser ce moment de décrochage qui nous inquiète tous légitimement.

Monsieur le président Milon, je voudrais féliciter la ministre des solidarités et de la santé (Applaudissements sur les travées des groupes LaREM et RDSE.) et dire que le travail engagé avec les fédérations et les nombreux interlocuteurs que nous avons consultés pour élaborer ce plan permet un bon plan, un vrai plan, un plan pour l’hôpital ! (Applaudissements sur les travées des groupes LaREM et RDSE, ainsi que sur des travées du groupe UC.)

M. le président. La parole est à M. Alain Milon, pour la réplique.

M. Alain Milon. Monsieur le Premier ministre, je n’ai pas, comme vous, la chance d’avoir cinq minutes pour vous répondre.

La crise de l’hôpital vient en effet des 35 heures, je suis complètement d’accord avec vous.

Mme Marie-Noëlle Lienemann. Non ! Cela fait vingt ans !

M. Alain Milon. Elle a ensuite été compliquée par la loi portant réforme de l’hôpital et relative aux patients, à la santé et aux territoires, loi HPST que, je vous le rappelle, vous avez votée en tant que député.

Monsieur le Premier ministre, toutes les mesures que vous avez prises ne sont pas encore acceptables, car elles sont insuffisantes. Je voudrais vous donner quelques pistes supplémentaires.

Il faudrait que vous puissiez, dans le cadre d’un programme, donner leur autonomie aux hôpitaux, débureaucratiser l’hôpital, rendre le pouvoir à ceux qui soignent et, pourquoi pas, remettre en place des conseils d’administration plutôt que des conseils de surveillance, accepter de donner une juste rémunération aux personnels qui sont les moins bien payés en Europe et régionaliser l’organisation de la santé pour y impliquer les collectivités locales et se rapprocher des besoins de terrain. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et UC.)

journée des droits de l’enfant

M. le président. La parole est à Mme Annie Guillemot, pour le groupe socialiste et républicain. (Applaudissements sur les travées du groupe SOCR.)

Mme Annie Guillemot. Ma question s’adresse à M. le secrétaire d’État chargé de l’enfance.

Ce 20 novembre marque le trentième anniversaire de la convention internationale des droits de l’enfant, que notre pays a signée le 26 janvier 1990, de même que 192 pays. Cependant, de nombreux droits de l’enfant peinent encore à être respectés.

Je veux saluer tout particulièrement l’Unicef, qui œuvre au quotidien pour le respect de cette convention dans le monde, convention qui introduit le concept d’intérêt supérieur de l’enfant et fait de ce dernier non plus un objet de droit, mais un sujet. Je veux aussi saluer les bénévoles des centaines d’associations qui, partout sur nos territoires, s’investissent. Je veux enfin saluer les maires, qui jouent un rôle essentiel, particulièrement dans les Villes amies des enfants comme l’était ma ville de Bron, l’une des premières à adhérer à ce réseau lancé par l’Association des maires de France, dont le congrès se tient cette semaine, et l’Unicef.

Malgré ces efforts, je rappellerai quelques réalités. La France compte 1,8 million d’enfants et d’adolescents pauvres ; 17 % de ces enfants sont très jeunes, moins de 10 ans ; plus de 600 000 enfants vivent dans des conditions indignes et ce n’est pas le budget du logement que vous avez décidé d’amputer de près de 6 milliards d’euros sur le quinquennat qui améliorera la situation. Un enfant meurt tous les cinq jours de violence intrafamiliale ; 155 000 enfants sont victimes chaque année de violences sexuelles. Le récent rapport du Défenseur des droits relatif aux violences subies par les enfants au sein des institutions publiques souligne également qu’elles sont une réalité dans le quotidien des enfants et que le fonctionnement de ces institutions publiques est susceptible en lui-même d’induire des violences faites aux enfants dont elles ont la charge.

Aussi, en ce jour anniversaire et alors que le Gouvernement vient d’annoncer un plan pour lutter contre les violences faites aux enfants, quelles décisions concrètes le Gouvernement compte-t-il prendre pour mieux protéger nos enfants ? (Applaudissements sur les travées du groupe SOCR.)

M. le président. La parole est à M. le secrétaire d’État auprès de la ministre des solidarités et de la santé.

M. Adrien Taquet, secrétaire dÉtat auprès de la ministre des solidarités et de la santé. Madame la sénatrice, en ce jour anniversaire, permettez-moi de saluer les enfants de la fondation Action Enfance qui assistent en ce moment même à nos débats. (Applaudissements.)

Permettez-moi également de saluer avec vous l’Unicef, l’ensemble des associations et des professionnels qui œuvrent à la protection de nos enfants, notamment le collectif la Dynamique, qui organise ce soir un grand événement auquel le Gouvernement sera représenté.

Vous le savez bien, madame la sénatrice, le Gouvernement n’a pas attendu ce trentième anniversaire ni même ma nomination à ce secrétariat d’État il y a désormais dix mois, pour œuvrer en faveur des droits des enfants et s’évertuer à mieux respecter encore les recommandations formulées par le Comité des droits des enfants des Nations unies.

Quand Jean-Michel Blanquer rend obligatoire la scolarisation à 3 ans, c’est bien le droit à l’éducation qui est renforcé. C’est le droit à la santé qu’Agnès Buzyn défend avec le plan Priorité prévention ou encore l’instauration des onze vaccins obligatoires ; l’action menée par Sophie Cluzel pour l’école inclusive ou encore le repérage précoce des enfants avec trouble du spectre de l’autisme, afin qu’ils soient mieux accompagnés, y concourent aussi. Je pense encore à la nécessité d’une justice adaptée, promue par la garde des sceaux, dans le cadre de la réforme de l’ordonnance de 1945.

Pour autant, il est un droit sans lequel aucun autre droit n’est possible, c’est le droit à la sécurité, à la fois matérielle et affective. Le docteur Marie-Paule Martin-Blachais, dans le cadre d’une conférence de consensus, avait évoqué ce qu’elle appelait le « métabesoin ».

C’est la raison pour laquelle, ce matin, le Président de la République a présenté à l’Unesco un certain nombre de mesures pour lutter contre les violences faites aux enfants. Vous avez rappelé un certain nombre de chiffres. Il est absolument inadmissible dans un pays comme le nôtre que les enfants puissent vivre ce type de violence.

Ainsi, 22 mesures sont prévues pour garantir la sécurité de nos enfants partout, tout le temps, dans les institutions de la République – vous avez raison de le dire –, à l’école – je pense au cyberharcèlement –, mais aussi dans les institutions pour les enfants en situation de handicap ou encore dans les institutions de l’aide sociale à l’enfance. Il s’agit de garantir à tous les enfants qu’aucune grande personne en contact avec ces enfants ne puisse avoir été par le passé auteur d’actes pédocriminels.

C’est l’une des mesures fortes de ce plan, madame la sénatrice. (Applaudissements sur les travées du groupe LaREM.)

M. le président. La parole est à Mme Annie Guillemot, pour la réplique.

Mme Annie Guillemot. Monsieur le secrétaire d’État, en 2018, plus de 1 200 enfants à Mayotte ont été mis en prison et 208 enfants ont été placés en rétention en métropole.

Comme le revendiquent aujourd’hui 35 associations, ONG et collectifs, dont l’Unicef, il faut passer de la convention aux actes en s’engageant sur un objectif de zéro enfant dans la rue d’ici à 2022 et en créant un observatoire national de la non-scolarisation pour détecter les jeunes qui sont vulnérables. (Applaudissements sur les travées du groupe SOCR.)

réforme des retraites

M. le président. La parole est à M. René-Paul Savary, pour le groupe Les Républicains. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. René-Paul Savary. Ma question s’adresse à M. le ministre Delevoye.

Le Président de la République l’a toujours dit : pour qu’il y ait une réforme des retraites en 2025, il faut que le système soit équilibré. D’ailleurs, M. le Premier ministre l’a confirmé devant le Conseil économique, social et environnemental, indiquant que l’on ne pouvait pas laisser filer un déficit, que le fait de vivre avec un déficit n’était pas forcément le signe d’une bonne santé ou d’une bonne gestion, que, le rapport cotisants-pensionnés n’étant pas favorable, le système allait se dégrader. Il a même été précisé à Rodez que, si le déficit était entre 8 milliards et 10 milliards d’euros, il faudra dire qu’il faut travailler davantage.

Le rapport du Conseil d’orientation des retraites (COR) a révélé ce qui avait déjà été annoncé au mois de juin dernier, à savoir un déficit entre 8 milliards et 17 milliards d’euros.

Maintenant que nous sommes au pied du mur – et c’est au pied du mur que l’on voit le maçon –, quelles réformes, plutôt quelles mesures, allez-vous proposer pour équilibrer le système de retraites ? (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. le président. La parole est à M. le haut-commissaire aux retraites.

M. Jean-Paul Delevoye, haut-commissaire aux retraites, délégué auprès de la ministre des solidarités et de la santé. Monsieur le sénateur René-Paul Savary, je m’adresse à vous en tant que rapporteur pour l’assurance vieillesse, mais aussi en tant que membre du Conseil d’orientation des retraites. Je voudrais donc saluer aussi, sous la houlette du président de la commission des affaires sociales, Alain Milon, et de son rapporteur général, Jean-Marie Vanlerenberghe, tous les travaux qui ont été engagés par le Sénat pour soutenir un système par points et toutes les contributions de la Haute Assemblée pour trouver un juste équilibre dans un système de répartition entre les jeunes actifs et les retraités.

Il ne vous a pas échappé que le Conseil d’orientation des retraites tient son conseil d’administration demain et votre intervention s’inscrit probablement dans le droit-fil de celle que vous ferez devant les membres pluralistes de ce conseil pour justifier votre position et vos solutions, monsieur le sénateur. Le président Pierre-Louis Bras remettra demain officiellement au Premier ministre son rapport. Les 25 et 26 novembre prochain, le Premier ministre recevra la totalité des organisations syndicales pour leur demander très concrètement, à la suite de la commande qu’il a faite le 19 septembre dernier, de lui indiquer l’état réel du déficit du système des retraites.

En effet, entre la campagne présidentielle et aujourd’hui, deux ou trois estimations ont pu créer un trouble ou susciter des interrogations, y compris des raisonnements curieux selon lesquels plus on diminuerait le nombre de fonctionnaires, plus le solde de notre système des retraites deviendrait déficitaire.

L’engagement que nous avons pris avec un système par répartition, dont le plafond sera le plus élevé des pays développés, c’est d’assumer l’universalité des droits, mais aussi la responsabilité qui consiste à ne pas faire porter sur les jeunes le poids d’un déficit que nous n’aurions pas réglé. Par conséquent, nous assumons, dans les discours du Président de la République, dans ceux du Premier ministre et dans les miens, que, à la suite de la remise de ce rapport, les décisions seront prises pour assurer aux futures générations un système juste, équilibré et solide, parce que nous ferons en sorte qu’il soit installé sur une base de zéro déficit. (Applaudissements sur les travées du groupe LaREM.)

M. le président. La parole est à M. René-Paul Savary, pour la réplique.

M. René-Paul Savary. Monsieur le ministre, c’est votre réponse, mais ce n’était pas ma question ! (Exclamations amusées sur les travées du groupe Les Républicains.)

Ma question portait sur les mesures à prendre pour résorber le déficit. On sait bien que, pour équilibrer le système actuel, soit on baisse les pensions – c’est l’orientation que vous donnez dans le projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2020 –, soit on augmente les cotisations pour augmenter les recettes, mais ce pays est suffisamment chargé, soit on étudie des mesures d’âge, parce qu’avec une espérance de vie plus longue on peut peut-être songer à répartir un temps de travail plus long par rapport à un temps de retraite plus long.

En revanche, monsieur le ministre, dans un système par points, vous introduisez un critère nouveau, qui est la valeur du point. Si le système n’est pas équilibré, plus le point est bas, plus les retraites sont basses et, au lieu d’avoir des gagnants et des perdants, vous pouvez n’avoir que des perdants ! (Marques dapprobation sur les travées du groupe Les Républicains.)

Par conséquent, si l’on veut rétablir la confiance, il est temps de dire la vérité aux gens. À vouloir tout changer, parfois on ne change rien. (Bravo ! et applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et UC.)

tolérance zéro au volant et sociabilité dans les territoires non urbains

M. le président. La parole est à M. Michel Canevet, pour le groupe Union Centriste.

M. Michel Canevet. Monsieur le président, monsieur le Premier ministre, mesdames, messieurs les ministres, mes chers collègues, nous sommes tous particulièrement attachés à la France rurale, parce que beaucoup de nos concitoyens y vivent, parce que l’on y trouve aussi des produits de grande qualité, solides – la gastronomie française est réputée –, mais aussi liquides. (Exclamations sur les travées des groupes UC et Les Républicains.) Nos terroirs sont reconnus pour leurs boissons, qu’il s’agisse du vin – Côtes du Rhône, Bordelais, Bourgogne –,…

M. François Grosdidier. Et la Moselle ! (Sourires.)

M. Michel Canevet. … du cidre de Bretagne ou du pastis de Marseille ou de Pontarlier, bref tout ce qui fait la force de nos terroirs. (Exclamations sur les travées des groupes UC et Les Républicains.)

Beaucoup de nos concitoyens ont été étonnés d’entendre M. le ministre de l’agriculture et de l’alimentation prôner, dimanche dernier, la tolérance zéro concernant la consommation de boissons et la conduite. Nous avons déjà un arsenal répressif extrêmement fort. Que veut-on ? Veut-on encore pénaliser les territoires ruraux, déjà affectés par la réduction à 80 kilomètres par heure de la circulation sur les axes secondaires ? Non.

Nous apprécions tous les boissons. Il faut les consommer avec modération. Je souhaite donc connaître, monsieur le Premier ministre, la position du Gouvernement sur ce sujet. (Très bien ! et applaudissements sur les travées des groupes UC et Les Républicains.)

M. le président. La parole est à M. le ministre de l’intérieur. (Exclamations sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. Christophe Castaner, ministre de lintérieur. Monsieur le sénateur Michel Canevet, vous avez raison : nos terroirs sont riches en gastronomie. Celui qui vous répond a soutenu pendant de longues années la Fédération nationale des bistrots de pays, le dernier commerce de proximité. (Exclamations sur les mêmes travées.) Vous avez également évoqué nos produits liquides du terroir, notamment le pastis de Marseille. Permettez-moi d’évoquer celui de Forcalquier, qui est tout de même nettement meilleur ! (Sourires.)

Au-delà de ce clin d’œil, monsieur le sénateur, ce dont on parle, c’est de la lutte contre l’insécurité routière, ce combat majeur qui doit tous nous rassembler pour sauver des vies, empêcher les accidents mortels, mais aussi les accidents extrêmement graves qui laissent des traces tout au long d’une vie. Nous sommes totalement mobilisés sur ce sujet.

Il est vrai que, dans le cadre du comité interministériel de la sécurité routière du 9 janvier dernier, plusieurs mesures ont été proposées et mises en place pour lutter contre l’alcoolémie. Lutter contre l’alcoolémie ne signifie pas interdire de boire.

Je vais être extrêmement clair, monsieur le sénateur : non, le Gouvernement n’envisage pas de revenir sur le taux d’alcool au volant et de l’abaisser à 0 gramme par litre de sang. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

Toutefois, monsieur le sénateur, chacun sait ici qu’il n’est pas sain de boire avant de prendre le volant. C’est cela que le ministre de l’agriculture a voulu rappeler. (Murmures sur les mêmes travées.) C’est une invitation à la citoyenneté, non seulement pour se protéger soi-même, mais aussi pour protéger tous les autres usagers de la route, notamment ceux qui ne sont pas au volant.

Nous ne sommes pas favorables à un taux de 0 gramme d’alcool par litre de sang pour plusieurs raisons, notamment des raisons très pragmatiques. D’une part, entre 0 et 0,5 gramme, on recense assez peu d’accidents de la route et encore moins d’accidents mortels. Dans les accidents mortels, la moyenne est de 1,5 gramme, soit des proportions largement supérieures. D’autre part, cela obligerait à mobiliser nos forces de sécurité intérieure pour des contrôles qui seraient aléatoires et peu efficaces, alors même que nous savons que nous avons besoin de les mobiliser pour la sécurité des Français. (Applaudissements sur les travées du groupe LaREM.)

M. le président. La parole est à M. Michel Canevet, pour la réplique.

M. Michel Canevet. Monsieur le ministre, je vous remercie d’avoir rassuré les populations des territoires ruraux. C’était important, parce qu’elles n’ont pas d’autre choix que de prendre la voiture.

Je suis totalement d’accord avec vous sur le fait qu’il faut consommer avec la plus grande modération. Cela ne doit pas nous empêcher d’apprécier les produits du terroir ni de cultiver la sociabilité dans les territoires ruraux. Il est important que l’on puisse continuer à fréquenter les débits de boissons. Il est important que l’on puisse aller déjeuner chez des amis ou chez des parents, sans avoir à craindre quoi que ce soit. Il est important que l’on puisse continuer à se déplacer.

Nous vous remercions de veiller à ce qu’il en soit encore ainsi à l’avenir pour la liberté des ruraux ! (Applaudissements sur les travées des groupes UC et Les Républicains.)

industrie automobile

M. le président. La parole est à M. Philippe Dominati, pour le groupe Les Républicains. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. Philippe Dominati. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État auprès du ministre de l’économie et des finances, à Bercy, quand il le faut, on sait être pragmatique. À l’occasion de la fusion entre Fiat et le groupe PSA, l’État, actionnaire, a indiqué le chemin de l’efficacité en choisissant comme siège social Amsterdam. Il faut dire que ce n’est pas nouveau : cela s’est fait dans le passé pour Renault-Nissan, Airbus et quelques groupes privés, mais nous pensions que ce temps était révolu.

Il faut reconnaître que l’on peut être séduit par la fiscalité sur les grandes sociétés aux Pays-Bas, ainsi que par la stabilité fiscale. L’État néerlandais utilise l’aéroport comme un point d’attraction pour les grandes entreprises internationales.

Dans le même temps, le patron de Tesla, pour l’implantation de son usine en Europe, a choisi Berlin. Nous avions plusieurs sites à proposer, en particulier Saclay pour ses ingénieurs, le problème foncier pouvant être résolu avec l’emprise d’ADP, mais il a préféré Berlin. La ville est dotée d’un aéroport public, qui est un outil industriel, et on parle du futur aéroport. Mais surtout, c’est la possibilité de faire vite pour construire vite qui a prévalu.

Or l’implantation de Tesla représentait 4 milliards d’euros d’investissements et de 5 000 à 8 000 emplois. J’ajoute qu’un fabricant japonais de batteries a également investi, quelques semaines auparavant, 2 milliards d’euros à Berlin. Alors je voudrais savoir qui, à Bercy ou au Gouvernement, s’occupait de traiter ce type de dossier, pour faire en sorte que la France reste attractive. (Bravo ! et applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et UC.)

M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d’État auprès du ministre de l’économie et des finances.

Mme Agnès Pannier-Runacher, secrétaire dÉtat auprès du ministre de léconomie et des finances. Monsieur le sénateur Dominati, vous avez raison, les deux dossiers que vous évoquez, l’investissement dans une usine de batteries électriques, d’une part, ou l’investissement dans une usine de Tesla, d’autre part, montrent l’importance de mener une politique d’attractivité sur le territoire français.

En termes d’attraction des projets industriels et de R&D, je citerai les chiffres, tout simplement, sans me limiter à quelques cas qui, s’ils ne sont pas anecdotiques, car importants, ne traduisent néanmoins pas la réalité de la situation.

En 2018, Ernst & Young (EY) indiquait que la France accueillait plus de 330 projets d’investissements industriels, là où la Turquie, en deuxième position, en recevait environ 200 et l’Allemagne, que vous avez citée, 150. Donc factuellement, en 2018, la France accueille deux fois plus de projets industriels que l’Allemagne.

Pour ce qui est de la R&D, par exemple, en 2018, toujours selon cette enquête extérieure – ce ne sont donc pas des statistiques gouvernementales susceptibles d’être critiquées –, la France accueille autant de sites que l’Allemagne et le Royaume-Uni réunis. (M. Martin Lévrier applaudit.)

Pourquoi cela ? Parce que, depuis deux ans et demi, nous avons mené une politique d’attractivité, dont vous connaissez les fondements. (Protestations sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. Albéric de Montgolfier. Et l’impôt sur les sociétés, vous l’avez baissé ?

Mme Agnès Pannier-Runacher, secrétaire dÉtat. Cette politique d’attractivité, c’est une politique fiscale adaptée pour attirer les investissements étrangers, mais aussi français, en France ; c’est toute la politique fiscale sur la taxation du capital. C’est également une politique facilitant les conditions d’emploi et la formation, car vous le savez, le premier obstacle au développement des entreprises aujourd’hui est non pas le manque d’argent, mais le recrutement.

Enfin,…

M. le président. Il faut conclure !

Mme Agnès Pannier-Runacher, secrétaire dÉtat. … la simplification est le dernier angle, et c’est celui dont nous nous emparons, notamment dans le cadre du pacte de production. (Applaudissements sur les travées du groupe LaREM.)

M. le président. La parole est à M. Philippe Dominati, pour la réplique.

M. Philippe Dominati. Madame la secrétaire d’État, vous m’avez répondu : personne, à Bercy, n’a fait le lien avec ces deux industriels ! Sans doute était-on trop occupé à reporter la baisse de l’impôt sur les grandes sociétés à un budget ultérieur, à établir une taxe ciblée sur les bureaux en Île-de-France ou sur les billets d’avion,…

M. Philippe Dominati. … ou à opérer un prélèvement pour financer le contrat de plan…

M. le président. Il faut conclure !

M. Philippe Dominati. En réalité, j’aimerais que l’on s’occupe de la région capitale, dont l’attractivité n’a manifestement pas l’air d’être une priorité au Gouvernement ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et sur des travées du groupe UC.)

politique agricole commune

M. le président. La parole est à M. Joël Labbé, pour le groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen. (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE.)

M. Joël Labbé. Monsieur le président, mes chers collègues, ma question s’adresse à M. le ministre de l’agriculture et de l’alimentation. (Ah ! sur des travées des groupes UC et LR.)

Monsieur le ministre, lors du dernier comité État-régions, vous vous êtes prononcé contre une augmentation du transfert actuel de 7,5 % du premier pilier vers le second pilier de la PAC pour 2020, estimant que le taux actuel suffirait à garantir le bon financement des mesures jusqu’à la fin de la programmation.

Or on sait que cette somme est bien insuffisante : les régions ont déjà consommé une grande partie, voire la quasi-totalité de l’enveloppe prévue pour les mesures agroenvironnementales et climatiques (MAEC) et les aides au bio. Ainsi, certaines restreignent déjà l’accès à ces financements, réservant par exemple les aides à la conversion en bio aux seuls projets portés par les jeunes agriculteurs.

Comment comptez-vous répondre aux demandes communes des agriculteurs et des citoyens afin d’assurer les financements nécessaires à la transition agroécologique dans les territoires ? (Mme Marie-Noëlle Lienemann applaudit.)

M. le président. La parole est à M. le ministre de l’agriculture et de l’alimentation.

M. Didier Guillaume, ministre de lagriculture et de lalimentation. Monsieur le sénateur Labbé, il vous reste une minute et quatre secondes pour une réplique qui, à mon sens, est déjà écrite… (Protestations indignées sur de nombreuses travées.)

Je veux vous dire que le risque que vous évoquez n’existe pas. Une organisation syndicale l’a évoqué lors du comité État-régions, mais ce comité a estimé à l’unanimité que le prélèvement de 7,53 % entre le premier pilier et le deuxième pilier avait suffi en 2019 et suffirait en 2020. Nous avons décidé, avec le président de Régions de France, Hervé Morin, avec l’approbation du Premier ministre, que les régions pourraient effectuer de la surprogrammation. Donc, il reste de l’argent. Nous sommes convenus unanimement qu’il n’y avait aucun risque pour les MAEC et le bio, que les aides seraient apportées par les régions et leur surprogrammation, validée par l’État.

Quant à l’installation, oui, c’est un choix : nous avons voulu privilégier le travail accompli par les jeunes agriculteurs, qui connaissent très bien le dossier. C’est sur la base de leurs propositions, sans exclusive, que nous voulons travailler.

Monsieur le sénateur, je vous le répète, il n’y a pas de risque. On ne peut pas travailler en l’air sur des réflexions théoriques. Pratiquement, toutes les régions pourront aller au bout des aides qu’elles doivent apporter aux MAEC et au bio. C’est l’engagement qu’ont pris unanimement Régions de France et le Gouvernement, et je pense que c’est ce qui se produira en 2020, comme en 2019. Nous conservons le taux de 7,53 % parce que nous pensons qu’il est suffisant ; la surprogrammation des régions leur permettra de tout financer. (Applaudissements sur les travées du groupe LaREM.)

M. le président. La parole est à M. Joël Labbé, pour la réplique.

M. Joël Labbé. Monsieur le ministre, c’est absolument insuffisant. Votre réponse ne me satisfait pas du tout. En d’autres temps, elle aurait même pu m’énerver ! (Sourires.)

M. Jean Bizet. Il s’améliore !

M. Joël Labbé. Puisque ma réplique était selon vous déjà préparée, je m’adresserai directement au Premier ministre, car ces sujets ne se jouent pas, on le sait, au niveau du ministre de l’agriculture, mais au-dessus.

Monsieur le Premier ministre, vous êtes à l’écoute du monde agricole, mais surtout à celle des tenants d’un modèle agricole qui a conduit une grande part de nos agriculteurs dans les difficultés, la pauvreté, la désespérance. (Protestations sur des travées du groupe Les Républicains.) Il existe des alternatives, mais il faut s’en donner les moyens !

Les tenants de ce modèle continuent alors qu’ils devraient muter…

M. le président. Il faut conclure !

M. Joël Labbé. Pour eux, il est hors de question de sortir du glyphosate, d’imposer des zones de non-traitement… Nous allons pourtant devoir le faire, monsieur le Premier ministre. Je vous invite à écouter tous les sons de cloche agricoles, et pas un seul ! (Applaudissements sur les travées des groupes SOCR et CRCE, ainsi que sur des travées du groupe RDSE.)

intempéries dans la vallée du rhône

M. le président. La parole est à Mme Marie-Pierre Monier, pour le groupe socialiste et républicain. (Applaudissements sur les travées du groupe SOCR.)

Mme Marie-Pierre Monier. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, les chutes de neige de jeudi dernier ont provoqué une situation difficile et inédite dans de nombreux départements, en particulier dans la Drôme. J’associe donc mes deux collègues drômois Gilbert Bouchet et Bernard Buis à cette question.

Dans la Drôme, 88 000 foyers ont été privés d’électricité et, hier soir, 7 000 étaient encore concernés. Pas d’électricité en cette saison, cela veut dire plus de chauffage, plus d’eau chaude, parfois même plus d’eau du tout, plus de communications possibles. Depuis six jours, cela a été ponctuellement dramatique et pourrait l’être encore si nous n’agissons pas.

Cette situation est due à des chutes de neige abondantes précoces, avec une neige lourde et collante, à une période où les arbres portent encore leurs feuilles et sont donc plus sensibles au poids de la neige. Beaucoup sont tombés sur les routes et sur les installations électriques. Souvent aussi, les installations elles-mêmes ont cédé, pylônes compris.

Je veux rendre hommage aux agents d’Enedis, qui sont intervenus aussi vite qu’ils le pouvaient, mais surtout saluer le dévouement des maires et de nombreux élus qui sont restés sur le pont, nuit et jour, et tiennent bon, même s’ils sont épuisés par cette épreuve. Aujourd’hui, cela fait six jours que cela dure et ils se sentent bien seuls face au désarroi et aux interrogations légitimes des habitants. Ce qui se passe au moment où je vous parle est grave. Les plus fragiles sont en danger et il faut y apporter des solutions sans tarder. À l’avenir, avec le changement climatique, ce type d’épisode neigeux risque de se reproduire.

Aussi, madame la ministre, compte tenu de la situation et des dégâts très importants, je souhaite vous soumettre trois questions : que va faire l’État pour rétablir l’électricité dans tous les foyers encore concernés ? Quels nouveaux dispositifs pourraient être mis en œuvre pour sécuriser les réseaux électriques afin d’éviter que cela ne se reproduise ? Peut-on envisager que ce type d’événement puisse être reconnu comme catastrophe naturelle ou trouver un autre moyen d’indemnisation ? (Applaudissements sur des travées du groupe SOCR.)

M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d’État auprès de la ministre de la transition écologique et solidaire.

Mme Emmanuelle Wargon, secrétaire dÉtat auprès de la ministre de la transition écologique et solidaire. Madame la sénatrice Monier, vous avez raison, c’est un épisode très difficile qui a été vécu dans le grand Sud-Ouest (Sud-Est ! sur les travées du groupe Les Républicains.) le grand Sud-Est, veuillez m’excuser, depuis de la semaine dernière. Je me suis rendue dans la Drôme, à côté de Valence, vendredi dernier, et je voudrais à mon tour rendre hommage aux élus, aux gendarmes, aux pompiers, aux renforts militaires, aux agents d’Enedis et de RTE, qui se sont mobilisés sans relâche.

Vous l’avez dit, cet épisode est dû à de la neige lourde, collante, tombée rapidement sur des arbres qui avaient encore des feuilles. De nombreux arbres sont tombés, qu’il a fallu déblayer sur les routes, beaucoup de poteaux sont tombés, qu’il a fallu remettre en service. Sans aucune visibilité, les hélicoptères ne pouvaient pas décoller pour faire suivre les lignes.

C’est ainsi que 330 000 foyers ont été privés d’électricité. La situation est en train de revenir à la normale, mais, à la fin du week-end, environ 30 000 foyers, essentiellement dans la Drôme et en Ardèche, restaient concernés ; aujourd’hui, il en reste encore 7 000 dans la Drôme et quelques-uns en Ardèche.

Mme Emmanuelle Wargon, secrétaire dÉtat. Face à cette situation, 2 300 agents ont été mobilisés, travaillant jour et nuit pour remettre les lignes en service ; des centres d’hébergement ont été ouverts, notamment par la préfecture de la Drôme ; des groupes électrogènes ont été mis à disposition, même s’il doit en être fait usage avec beaucoup de précautions – nous avons déploré un accident en Isère.

Pour la suite, Enedis continue à enterrer des lignes. Ainsi, 18 000 kilomètres de lignes sont enterrés chaque année et 50 % du réseau est souterrain.

Enfin, les assurances peuvent déjà indemniser les faits de neige ou de grêle. Nous n’avons donc pas besoin, dans ce cas particulier, de déclarer l’état de catastrophe naturelle. (Applaudissements sur les travées du groupe LaREM.)

finances locales

M. le président. La parole est à Mme Laure Darcos, pour le groupe Les Républicains. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

Mme Laure Darcos. Ma question s’adresse à M. le ministre de l’action et des comptes publics.

Monsieur le ministre, le Président de la République aime les élus - d’ailleurs, il n’a cessé de le répéter hier, lors du congrès des maires de France -, mais votre gouvernement a tout de même la fâcheuse habitude de s’immiscer dans les finances locales.

Concernant la taxe d’habitation, François Baroin a eu raison de rappeler hier au Président de la République que vous aviez décidé de supprimer un impôt qui ne vous appartient pas.

Il faut que la considération aille de pair avec le respect. De respect, il en est question quand votre gouvernement dépose sur le projet de loi de finances pour 2020 un amendement prévoyant qu’une partie des droits de mutation à titre onéreux (DMTO) perçus par les départements franciliens et la Ville de Paris sera prélevée au profit de la Société du Grand Paris (SGP) !

Excusez du peu : 75 millions d’euros en 2020, puis 60 millions d’euros par an à partir de 2021 pour financer, tenez-vous bien, les engagements de l’État inscrits dans le contrat de plan État-région 2020-2022 sur les transports.

Mme Anne Chain-Larché. C’est scandaleux !

Mme Laure Darcos. Coût pour mon département : plus de 3 millions d’euros, alors même que l’Essonne pâtit d’infrastructures de transports surchargées et vieillissantes.

Non content d’avoir reporté la construction de la ligne 18, qui devait dynamiser le plateau de Saclay, des Yvelines jusqu’en Essonne, ou le Charles-de-Gaulle Express, qui devait faciliter l’accès au village olympique en Seine-Saint-Denis, l’État nous ponctionne a posteriori pour sa mauvaise gestion !

Je veux bien vous accorder que vous n’êtes pas les seuls responsables du passif de la SGP, mais quand on exerce des compétences, il faut en assumer les responsabilités et le financement.

Mme Jacqueline Gourault, ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales. C’est sûr.

Mme Laure Darcos. Aussi, ma question est simple, monsieur le ministre : quand le Gouvernement va-t-il cesser de dévitaliser les collectivités locales, et en particulier nos départements, au mépris des élus et des populations que nous servons ? Et cela, vous l’avez compris, n’est pas qu’un problème francilien ! (Bravo ! et applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. le président. La parole est à M. le secrétaire d’État auprès du ministre de l’action et des comptes publics.

M. Olivier Dussopt, secrétaire dÉtat auprès du ministre de laction et des comptes publics. Madame la sénatrice Laure Darcos, les impôts n’appartiennent ni aux collectivités ni à l’État ; ils sont payés par les contribuables et l’objectif du Gouvernement est de baisser les impôts pour rendre du pouvoir d’achat aux contribuables. (Exclamations sur des travées du groupe Les Républicains.)

Vous nous interpellez sur le financement des travaux d’infrastructures prévus par la Société du Grand Paris. Nous avons retenu deux solutions : l’une, issue d’une initiative parlementaire, consiste à moduler la taxe sur les bureaux – elle a été adoptée par l’Assemblée nationale, vous l’étudierez prochainement ; l’autre vise effectivement à affecter une fraction des DMTO des départements de la petite couronne au financement de ces infrastructures.

Cela répond à un besoin d’infrastructures, vous l’avez noté, mais vous auriez pu également relativiser le coût pour les départements, en rappelant combien les DMTO ont été dynamiques au cours des dernières années, ce qui relativise grandement la « ponction » évoquée, puisque vous avez utilisé ce terme.

Au-delà, vous nous demandez comment le Gouvernement entend continuer à aider les collectivités territoriales et vous nous dites même craindre une forme de dévitalisation. Je vous répondrai en trois chiffres.

Le premier concerne les dotations de fonctionnement. Le Gouvernement a fait le choix de la stabilité, et vous aurez l’occasion de constater dans le projet de loi de finances que le total des concours financiers de l’État aux collectivités passera de 48,3 à 49,1 milliards d’euros en 2020. Après 11 milliards d’euros de baisse de 2014 à 2017, il est juste et utile de rappeler cette stabilité. (M. Philippe Dallier sexclame.)

Le deuxième chiffre concerne le maintien des dotations d’investissement. Aux 2 milliards d’euros de dotations pour le bloc local, il faut ajouter 7 milliards d’euros de droit commun pour participer aux investissements des collectivités : au total, l’État consacre 9 milliards d’euros au soutien à l’investissement des collectivités locales.

Le troisième chiffre porte sur la solidarité, avec les dotations de péréquation, la dotation de solidarité urbaine (DSU) et la dotation de solidarité rurale (DSR), qui progressent au même niveau que les années précédentes, soit 90 millions d’euros.

M. Philippe Dallier. Ça, c’est pour les communes !

M. Olivier Dussopt, secrétaire dÉtat. C’est la stabilité, la lisibilité, la capacité pour les élus de prévoir et d’avoir les moyens de leur action. C’est ainsi que nous construisons le contrat de confiance avec les collectivités locales ! (Applaudissements sur les travées du groupe LaREM.)

M. le président. La parole est à Mme Laure Darcos, pour la réplique.

Mme Laure Darcos. Monsieur le secrétaire d’État, il s’agit de tous les départements franciliens ! Et il est un peu simple de payer ses dettes en prenant l’argent des autres… Ce sont des impôts, mais ce n’est pas à l’État de décider de cela. Heureusement, les collectivités sont plus responsables que lui.

Peut-être faudra-t-il un jour réfléchir à un gel total de tous les cofinancements dans nos territoires respectifs, pour mettre l’État face à ses responsabilités ? À mesure unilatérale, réponse unilatérale ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. le président. Nous en avons terminé avec les questions d’actualité au Gouvernement.

Les prochaines questions d’actualité au Gouvernement auront lieu le mercredi 27 novembre, à quinze heures.

Mes chers collègues, nous allons maintenant interrompre nos travaux quelques instants.

La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à seize heures vingt, est reprise à seize heures trente-cinq, sous la présidence de Mme Catherine Troendlé.)

PRÉSIDENCE DE Mme Catherine Troendlé

vice-présidente

Mme la présidente. La séance est reprise.

4

Retrait de l’ordre du jour d’une proposition de loi

Mme la présidente. Par lettre en date de ce jour, M. Claude Malhuret, président du groupe Les Indépendants – République et Territoires, demande le retrait de l’ordre du jour de son espace réservé du jeudi 21 novembre au matin de la proposition de loi permettant à tout médaillé militaire ayant fait l’objet d’une citation à l’ordre de l’armée de bénéficier d’une draperie tricolore sur son cercueil.

Acte est donné de cette demande.

Mme Éliane Assassi. C’est raisonnable !

5

Candidatures à une commission mixte paritaire

Mme la présidente. J’informe le Sénat que des candidatures pour siéger au sein de la commission mixte paritaire chargée d’élaborer un texte sur les dispositions restant en discussion de la proposition de loi visant à agir contre les violences au sein de la famille ont été publiées.

Ces candidatures seront ratifiées si la présidence n’a pas reçu d’opposition dans le délai d’une heure prévu par notre règlement.

6

 
Dossier législatif : proposition de loi tendant à la création de délégations parlementaires aux droits des enfants
Discussion générale (suite)

Délégations parlementaires aux droits des enfants

Rejet d’une proposition de loi

Mme la présidente. L’ordre du jour appelle la discussion, à la demande du groupe communiste républicain citoyen et écologiste, de la proposition de loi tendant à la création de délégations parlementaires aux droits des enfants, présentée par Mme Éliane Assassi et plusieurs de ses collègues (proposition n° 134 [2018-2019], résultat des travaux n° 113, rapport n° 112).

Dans la discussion générale, la parole est à Mme Christine Prunaud, auteure de la proposition de loi.

Discussion générale (début)
Dossier législatif : proposition de loi tendant à la création de délégations parlementaires aux droits des enfants
Article unique

Mme Christine Prunaud, auteure de la proposition de loi. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, adoptée à l’ONU le 20 novembre 1989, la convention internationale des droits de l’enfant (CIDE) a suscité l’espoir de réelles avancées en faveur des enfants dans le monde, en développant leurs droits civils, économiques, politiques, sociaux et culturels.

Cependant, trente ans après, le constat reste très préoccupant. Dans le monde, la misère et la pauvreté ne cessent de s’étendre, sans oublier les conflits armés, qui aggravent encore plus des situations déjà catastrophiques.

En France, à une autre échelle, les droits des enfants ne sont toujours pas respectés. Quelque 3 millions d’enfants vivent dans notre pays sous le seuil de pauvreté. Les inégalités en matière de santé, de logement, d’accès à l’éducation ou aux loisirs demeurent.

De larges débats doivent être menés sur ces problématiques et aboutir à des solutions concrètes. Pour la santé et le logement, je pense en particulier à l’outre-mer. La pénurie de services de la protection maternelle et infantile (PMI) est criante, tout autant que la lutte contre les logements insalubres, les bidonvilles, qui pourtant devrait permettre d’assurer à chaque enfant des conditions de vie acceptables et dignes.

Enfin, de manière générale, les enfants ne sont pas exempts en France d’agressions physiques ou morales, comme le harcèlement, la maltraitance, la pédophilie, l’exploitation sexuelle, dans un cadre familial bien souvent, mais aussi, et de plus en plus, dans un cadre scolaire ou médico-social.

Je voudrais m’attarder un peu sur cette question des violences faites aux enfants.

Les progrès sont évidents, notamment l’abolition récente des châtiments corporels, votée par le Parlement en 2018. Cependant, le dernier rapport de l’inspection générale des affaires sociales sur le sujet dévoilait en avril des chiffres terrifiants : un enfant est tué par l’un de ses parents tous les cinq jours ; 200 000 enfants sont chaque année victimes de violences sexuelles, et seuls 6 % d’entre eux sont éloignés de leurs agresseurs.

Sur ce sujet des violences au sein de la famille, nous déplorons que le texte discuté il y a quelques semaines dans cet hémicycle n’ait pas permis un vrai débat. Toutes les améliorations encore possibles ont été renvoyées aux conclusions du Grenelle sur les violences faites aux femmes organisé par le Gouvernement. L’amendement déposé par mon groupe visant à retirer le droit de visite et l’autorité parentale aux conjoints violents n’a pas été discuté. C’est accablant, car un conjoint violent est bien souvent un mauvais père, voire un père violent.

Mais les violences faites aux enfants existent aussi dans la sphère publique. En témoigne le rapport annuel du Défenseur des droits, rendu public ce lundi 18 novembre, qui relève les violences ignorées ou banalisées au sein des institutions publiques. Il constate de fait un décalage entre les droits proclamés et les droits réels.

Aussi, pour réduire cet écart, le même rapport formule vingt-deux recommandations, la première étant de conduire un état des lieux de ces violences institutionnelles afin de quantifier le phénomène et d’orienter les politiques publiques, état des lieux qui pourrait être mené par les délégations parlementaires aux droits des enfants que nous vous proposons de créer. Hélas ! le sort réservé à notre proposition de loi semble déjà scellé : la commission des lois a rejeté le texte.

À nos yeux, ses conclusions sans appel sont aberrantes : « Ayant constaté que les travaux du Sénat – en particulier ceux issus des commissions permanentes et de la délégation aux droits des femmes – prenaient déjà en compte les droits des enfants et soucieuse de préserver une organisation efficace du travail parlementaire, la commission des lois a considéré que la création d’une huitième délégation n’était pas justifiée. » Mettre en balance les « droits des enfants » et le fait de « préserver une organisation efficace » du travail parlementaire est inacceptable !

Mme Éliane Assassi. Très bien !

Mme Christine Prunaud. Tout comme est inacceptable l’idée sous-jacente d’assigner la question des enfants à la seule délégation aux droits des femmes !

Mme Éliane Assassi. Exactement !

Mme Christine Prunaud. Je n’ose croire que les questions relatives à l’enfance doivent, selon vous, être réservées aux femmes. Pourtant, c’est bien ce qui ressort de vos propos.

Mme Muriel Jourda, rapporteur de la commission des lois. Non !

Mme Christine Prunaud. Que nécessite la mise en place d’une telle délégation ? Le Sénat ne pourrait-il pas mettre à disposition une salle pour permettre à la délégation de travailler et quelques administrateurs pour l’accompagner dans ce travail ? Est-ce vraiment une « mission impossible » ? Pourquoi un tel rejet ?

La commission avance un autre argument : le travail de telles délégations serait sans objet, le Défenseur des droits ayant déjà des prérogatives étendues en tant que relais en France du Comité des droits de l’enfant placé auprès du Haut-Commissariat des Nations unies aux droits de l’homme. Pourtant, le Défenseur des droits nous a lui-même fait part de son soutien quant à la création de ces délégations ! En outre, le travail des délégations pourrait s’appuyer sur les recommandations du Défenseur des droits, qui, rappelons-le, n’a aucun pouvoir législatif.

Le rapport indique, en substance qu’il n’est nul besoin de délégation parlementaire dans la mesure où le cadre de la convention internationale des droits de l’enfant ne nous l’impose pas. Pour nous, c’est peut-être ce qu’il y a de plus terrible !

En revanche, le Comité des droits de l’enfant de l’ONU préconisait dans ses dernières observations sur les rapports de notre pays en 2016 de « mettre en place une commission spécialisée dans les droits de l’enfant au Parlement ». Les deux positions sont donc bien différentes.

Nous avons besoin au Parlement d’un véritable cadre de travail permettant une veille précise sur les droits des enfants et un contrôle de l’action du Gouvernement – c’est notre rôle de parlementaires –, notamment dans l’application de la convention.

Mes chers collègues, ce trentième anniversaire de la CIDE ne doit pas être qu’une célébration. Il faut lui donner le sens d’un nouvel élan pour les droits des enfants.

Avec l’inscription de ce texte à l’ordre du jour, dont je me félicite, nous avons voulu tenir le message suivant : donnons-nous les moyens de promouvoir les droits des enfants et de travailler davantage à leur défense.

L’adoption, ce 20 novembre 2019, de cette proposition de loi transpartisane permettrait d’avancer en ce sens. Il est tout à fait possible de prendre une telle décision. Cela honorerait notre Haute Assemblée ! (Applaudissements sur les travées des groupes CRCE et SOCR. – Mme Joëlle Garriaud-Maylam applaudit également.)

Mme la présidente. La parole est à Mme le rapporteur. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

Mme Muriel Jourda, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et dadministration générale. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, nous sommes saisis de la proposition de loi du groupe CRCE tendant à la création d’une délégation parlementaire aux droits des enfants dans chacune des deux assemblées. Ces instances auraient pour mission d’informer chaque assemblée de la politique suivie par le Gouvernement au regard de ses conséquences sur le droit des enfants.

Je voudrais faire deux observations. D’une part, vous l’avez compris, la date est symbolique, puisque c’est le trentième anniversaire de la convention internationale des droits des enfants, que la France a ratifiée en 1990. D’autre part – ce détail a son importance –, la présente proposition de loi reprend une proposition de loi votée à l’Assemblée nationale en 2003. De nombreuses années s’étant écoulées depuis lors, il convient d’évaluer le bien-fondé d’un tel texte.

Bien entendu, comme notre collègue Christine Prunaud l’a rappelé, les problématiques liées à l’enfance en France et dans le monde sont toujours d’une brûlante actualité, même si – j’y reviendrai – nous avons progressé depuis 2003. Mais nous ne sommes pas là pour réaffirmer notre intérêt constant, unanime et transpartisan pour les droits des enfants. Nous devons nous prononcer sur l’organisation parlementaire, puisque nous sommes saisis non d’une résolution relative aux droits des enfants, mais d’un texte tendant à la création de délégations parlementaires.

La situation a beaucoup évolué depuis 2003. En effet, la révision constitutionnelle de 2008 a pris en compte un certain nombre de réalités, pour les formaliser de manière extrêmement claire. Il s’est agi de rappeler que le Parlement détenait, outre le pouvoir législatif, un pouvoir de contrôle et d’évaluation. Celui-ci a été mis en œuvre concrètement par les commissions permanentes, qui sont dotées d’un certain nombre de moyens à cette fin.

Parallèlement, d’un commun accord entre l’Assemblée nationale et le Sénat, un certain nombre de délégations, d’offices et de services divers, que certains pouvaient aussi juger importants, ont été supprimés ; on a considéré que leurs tâches seraient exercées par les commissions.

La loi de 2009, qui a supprimé ces diverses instances, a été confirmée, en quelque sorte, dans un rapport de nos collègues Alain Richard et Roger Karoutchi sur l’organisation sénatoriale remis au bureau du Sénat. Nos collègues ont insisté sur la nécessité de ne pas multiplier les organes et d’éviter – je reprends leur terme particulièrement bien choisi – la « polysynodie ». Ne passons pas notre temps à nous réunir dans des cadres extérieurs aux commissions !

L’évolution de l’organisation du travail parlementaire me semble donc patente. L’heure n’est plus aux créations de nouvelles délégations.

On nous reproche de vouloir brader le droit des enfants au nom de l’organisation du travail parlementaire. Mais c’est oublier que notre organisation est le gage de l’efficacité de notre travail ! Et nous apportons, me semble-t-il, la preuve de notre efficacité.

L’absence de délégation est volontaire. La création d’une délégation n’est pas sollicitée par la convention internationale des droits de l’enfant ; il n’y a aucune obligation à cet égard. Le contrôle de l’application de la convention internationale des droits de l’enfant relève d’un comité qui dépend des Nations unies. Ce comité a un relais institutionnel en France : le Défenseur des droits, dans son volet défenseur des enfants. Il bénéficie également des rapports remis par les gouvernements qui se sont succédé depuis 1990 ; il nous adresse d’ailleurs régulièrement ses observations. Certes, le comité a pu demander que nous changions d’organisation. Mais je ne pense pas que ce soit à un comité des Nations unies de décider de l’organisation du travail parlementaire en France.

Notre organisation est particulièrement efficace. Le droit et l’intérêt des enfants sont pris en compte par la commission des affaires sociales, la commission de la culture et de l’éducation, voire, dans une moindre mesure, la commission des lois, ainsi que la délégation aux droits des femmes : je comprends mal que l’on nous reproche d’avoir évoqué cette dernière. Nous n’avons pas dit que les femmes devaient s’occuper prioritairement et exclusivement des enfants ; ce serait une présentation pour le moins curieuse de nos positions.

Mme Éliane Assassi. C’est pourtant ce qui figure dans le rapport !

Mme Muriel Jourda, rapporteur. Nous avons simplement constaté que la délégation aux droits des femmes avait mené des travaux, par exemple sur les filles mineures ou les mariages forcés, ayant aussi des implications sur le droit des enfants. Je conçois que nous puissions avoir des désaccords, mais ne nous faites pas dire ce que nous n’avons pas dit !

Mme Éliane Assassi. Il suffit de lire le rapport !

Mme Muriel Jourda, rapporteur. En quatre ans, il y a eu pas moins de vingt-cinq rapports législatifs ou rapports d’information.

Au-delà de l’organisation, nous devons viser l’efficacité. En l’occurrence, l’efficacité, c’est de savoir si nous nous conformons au plus haut standard auquel nous avons voulu adhérer : la convention internationale des droits de l’enfant.

L’article 11 de la convention internationale des droits de l’enfant invite les États à prendre des « mesures pour lutter contre les déplacements et les non-retours illicites d’enfants à l’étranger » ? Une proposition de résolution a été déposée en ce sens le 8 octobre dernier par M. Yung.

L’article 17 nous demande d’élaborer des principes destinés à protéger l’enfant contre l’information et les matériels qui nuisent à son bien-être. Nous avons voté une proposition de loi de Catherine Morin-Desailly contre l’exposition précoce des enfants aux écrans, une proposition de loi, rapportée par Stéphane Piednoir, relative à l’interdiction de l’usage du téléphone dans les écoles et dans les collèges, ainsi qu’une proposition de loi relative à la suppression de la publicité commerciale dans les programmes jeunesse, sur l’initiative de M. Gattolin.

L’article 19.1 appelle à prendre des mesures pour lutter contre toute forme de violence, y compris sexuelle. Nous avons voté une proposition de loi relative à l’interdiction des violences éducatives ordinaires, rapportée par Marie-Pierre de la Gontrie, et nos collègues Marie Mercier, Michelle Meunier et Dominique Vérien ont remis un rapport d’information dans le cadre d’une mission commune d’information relative aux infractions sexuelles dans les institutions.

L’article 23.2 demande aux États de reconnaître le droit des enfants handicapés de bénéficier de soins spéciaux. Nous avons voté voilà quelques jours la proposition de loi visant à améliorer l’accès à la prestation de compensation du handicap, déposée par Alain Milon et plusieurs de ses collègues.

L’article 24.2 de la convention nous exhorte à nous préoccuper de la santé des enfants. Nous votons une proposition de loi, rapportée par Jocelyne Guidez, visant à renforcer la prise en charge des cancers pédiatriques.

Cette énumération n’est sans doute pas exhaustive. Mais vous pouvez toucher du doigt le travail qui a été effectué. En réalité, la question la plus importante n’est pas la forme de notre organisation. Même si nous n’avons pas encore atteint le haut standard de protection du droit des enfants posé dans la convention internationale des droits de l’enfant – je ne prétends pas le contraire –, l’organisation de notre travail nous permet de tendre vers cet objectif. C’est l’essentiel.

La commission a donc effectivement émis un avis défavorable sur la présente proposition de loi, estimant que le travail parlementaire en la matière était déjà efficace. Néanmoins, je remercie le groupe CRCE d’avoir déposé ce texte. Nous avons ainsi eu l’occasion de vérifier que le travail du Sénat était extrêmement important en matière de protection du droit des enfants. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et UC.)

Mme la présidente. La parole est à Mme la secrétaire d’État.

Mme Christelle Dubos, secrétaire dÉtat auprès de la ministre des solidarités et de la santé. Madame la présidente, mesdames, messieurs les sénateurs, je vous prie tout d’abord d’excuser Adrien Taquet, secrétaire d’État auprès de la ministre des solidarités et de la santé, qui ne peut malheureusement pas être présent cet après-midi. Je sais qu’il le regrette. Il m’a chargée de le représenter aujourd’hui.

Nous sommes le 20 novembre 2019. Nous célébrons donc aujourd’hui les trente ans d’une convention dont l’objectif était de reconnaître et de protéger les droits spécifiques des enfants. Célébrer cet anniversaire, c’est dire et répéter notre attachement à ce que ces droits ne soient pas des intentions abstraites.

Pourtant – les faits divers nous le rappellent au quotidien –, l’enfant n’a pas encore la place qui lui revient dans le contrat social. Oui, le contrat social est incomplet ! Certains de ses membres, les plus fragiles, ont été oubliés : ceux pour lesquels on évoque l’existence d’un « intérêt supérieur », mais qui semblent comme exclus de l’intérêt général. Les jeunes enfants ne manifestent pas. Ils ne votent pas. Et leur détresse est le plus souvent vécue à l’écart, dans la solitude.

Le combat pour mettre l’enfant au cœur des actions publiques est engagé depuis des années. Il est mené sur toutes les travées de cet hémicycle, mais il n’est pas encore gagné. Pendant longtemps, la notion de droit des enfants n’existait pas. Ceux-ci étaient considérés non pas comme des sujets de droit, mais comme des individus sans statut spécifique.

Le 20 novembre 1989, les Nations unies ont adopté à l’unanimité pour la première fois la convention internationale des droits de l’enfant, faisant ainsi écho aux mots prononcés à Genève en 1924, quand la Société des Nations adopta le premier texte international reconnaissant aux enfants des droits spécifiques et précisant les responsabilités des adultes : « […] l’humanité doit donner à l’enfant ce qu’elle a de meilleur. » C’est grâce à une sénatrice communiste, Marie-Claude Beaudeau, que le 20 novembre devint la Journée nationale des droits de l’enfant en 1996.

C’est par un travail sans relâche de l’ensemble des parlementaires que les droits de l’enfant avancent. Je voudrais citer, entre autres, la loi de 2007 défendue par Philippe Bas, alors membre du gouvernement, la loi de 2016 sur la protection de l’enfance, la proposition de loi de la députée Maud Petit contre les violences éducatives ordinaires, soutenue au Sénat notamment par Laurence Rossignol, ou la proposition de loi de Florent Boudié sur la rétention administrative des mineurs. Je pense également au projet de loi de la secrétaire d’État Marlène Schiappa renforçant la lutte contre les violences sexistes et sexuelles et à la prise en compte des conséquences des violences conjugales sur les enfants, à la réforme de l’ordonnance de 1945 de la garde des sceaux, à l’école à 3 ans du ministre Jean-Michel Blanquer, à la prévention et à la lutte contre la pauvreté, etc.

Cependant, nous ne pourrons dire que notre pays progresse tant que nous n’aurons pas réussi à éradiquer les violences faites aux enfants et à faire respecter leurs droits. Cette conviction, je sais que nous la partageons tous. Et c’est parce que nous la partageons que nous sommes en train de donner à l’enfant la place qui lui revient dans le contrat social, au cœur du contrat social.

Depuis quelques jours, voire quelques semaines, associations, citoyens, élus organisent et célèbrent la convention internationale des droits de l’enfant.

Ce matin, à l’Unesco, le Président de la République a pris des engagements forts, qui seront défendus par l’ensemble du Gouvernement. Jamais, dans l’histoire de notre pays, la conscience de l’enjeu et de l’urgence n’a été aussi aiguë.

Ce matin également, un plan d’actions de lutte contre toute forme de violence était dévoilé par le secrétaire d’État Adrien Taquet.

Oui, l’urgence – c’est notre responsabilité – est de protéger toujours plus, de détecter et d’alerter, pour que plus aucun espace ne soit laissé aux violences dont les enfants sont victimes !

Avec Adrien Taquet, secrétaire d’État chargé de l’enfance, et avec tous les membres du Gouvernement, nous avons la conviction qu’une société qui ne sait pas protéger et faire grandir ses enfants dans un monde apaisé et rassurant est une société qui transige avec ses valeurs les plus fondamentales. Et je sais pouvoir compter sur vous, au sein de vos commissions et de vos groupes de travail ! L’enjeu est que chacune et chacun se saisisse du sujet et agisse au quotidien, quel que soit son rôle dans la société.

Le respect des droits de l’enfant est notre mission ; c’est la société de demain.

La décision de créer une délégation parlementaire étant un sujet éminemment parlementaire,…

M. Philippe Bas, président de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et dadministration générale. Oui !

Mme Christelle Dubos, secrétaire dÉtat. … le Gouvernement s’en remet à la sagesse du Sénat. (Mme Éliane Assassi applaudit.)

M. Philippe Bas, président de la commission des lois. C’est normal !

Mme la présidente. La parole est à M. Philippe Bonnecarrère.

M. Philippe Bonnecarrère. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, en ce trentième anniversaire de la convention internationale des droits de l’enfant, ratifiée par notre pays en 1990, les auteurs de la présente proposition de loi veulent attirer notre attention sur les orientations des politiques publiques nationales relatives aux droits de l’enfant, en particulier sous l’angle des inégalités dans l’accès à la santé, au logement, à l’éducation ou aux loisirs.

Selon la Cour de cassation, dans toutes les décisions qui concernent les enfants, l’intérêt de ceux-ci doit être une considération primordiale. Au regard de ce principe, nos débats à venir seront importants ; je pense notamment à celui que nous aurons au mois de janvier sur la bioéthique.

L’initiative de nos collègues doit être interprétée comme ayant vocation à lancer le débat bien plus qu’à créer une nouvelle délégation parlementaire.

Mme Éliane Assassi. Pas du tout ! L’objectif, c’est la création des délégations !

M. Philippe Bonnecarrère. J’entends ce que vous dites, ma chère collègue. Mais j’ai bien noté aussi que Mme Prunaud avait élargi le sujet à la lutte contre la pauvreté et à d’autres thèmes, comme les abus sexuels et les violences.

Mme Éliane Assassi. Elle a dressé un état des lieux ! La réalité est malheureusement celle qu’elle a décrite !

M. Philippe Bonnecarrère. Nous voyons bien que la discussion va au-delà de la seule création d’une délégation parlementaire.

Notre rapporteur a exposé les motifs de rejet du texte. Il ne faut pas disperser les forces du Parlement. Mieux vaut rationaliser nos structures de contrôle et d’évaluation que de créer une huitième délégation. La commission des affaires sociales et la commission de la culture sont déjà très présentes – je ne voudrais pas paraphraser Mme Jourda – sur toutes les politiques publiques en faveur des enfants et de la jeunesse. Je pense ainsi à de nouveaux sujets mis en avant par la commission de la culture, comme la protection des enfants dans l’univers numérique. La délégation aux droits des femmes, qui a été largement évoquée, est aussi très vigilante face aux discriminations qui peuvent intervenir dès l’enfance.

Vous le savez, la convention internationale des droits de l’enfant a son propre comité de suivi, devant lequel notre pays fait régulièrement le point. La France a institué un défenseur des enfants, qui n’a effectivement pas de vocation législative. D’ailleurs, c’est heureux : à un moment donné, il faut séparer la fonction législative des fonctions propres aux autorités administratives indépendantes. Il ne me semble effectivement pas utile d’ajouter une nouvelle commission ad hoc, fût-elle parlementaire.

Sur le fond, les pays occidentaux ont des standards élevés, notamment en matière de santé, d’éducation ou encore d’accueil de la petite enfance. Dans sa présentation initiale, notre collègue a d’ailleurs commencé par un panorama mondial avant d’en venir à la France, où, même si tout n’est pas parfait, le niveau me paraît tout de même assez convenable. Outre la santé, l’éducation ou l’accueil de la petite enfance, nous avons de nombreux outils spécialisés. Notre système judiciaire dispose de juges aux affaires familiales et de juges des enfants. En outre, dans les grandes juridictions, il y a des parquets spécialisés dans la protection de l’enfance ou les questions relatives à l’enfance en général.

Je souhaite qu’il y ait un suivi globalisé des dépenses et des politiques engagées en matière de protection de l’enfance, soit par l’État, soit par les organismes sociaux ou familiaux, soit par les collectivités locales. Comme très souvent, sur ce sujet comme sur d’autres, notre pays pèche dans sa vision transversale.

Certes, tout est perfectible, et des affaires très désagréables parsèment l’actualité. Mais, globalement, notre pays n’a pas à rougir de son action à l’égard de l’enfance.

Madame Assassi, je ne voulais pas être trop réducteur en indiquant que l’objet de ce débat n’était pas vraiment la création d’une délégation. Mais j’ai bien entendu que l’intervention de votre collègue portait aussi sur la pauvreté dans notre société et sur ses implications liées à l’enfance. C’est un sujet pour le Parlement, pour le Gouvernement et pour toute la société. Là encore, si notre situation est perfectible, elle est loin d’être la plus défavorable à l’échelon européen. Certes, le combat global pour l’amélioration de la situation des uns et des autres, qui renvoie aussi aux actions en faveur de la croissance dans notre pays, est important.

Les abus, les maltraitances et les violences faites aux enfants sont en effet un sujet très important. Mais je ne suis pas sûr que cela relève du niveau législatif. Il s’agit plutôt de sujets d’exécution et de mise en œuvre, liés à l’aptitude de nos systèmes administratifs ou de nos services publics à détecter ces phénomènes. Évitons d’aller trop loin dans le meccano juridique. Vous avez par exemple proposé de retirer l’autorité parentale à des pères violents à l’égard de la mère. Certes, les violences conjugales peuvent entraîner une suspicion quant aux conditions dans lesquelles l’enfant sera éduqué. Mais je ne suis pas convaincu qu’il faille lier les deux éléments de manière automatique. En matière d’autorité parentale, je reste confiant dans la capacité d’individualisation propre au système judiciaire, et je me méfie d’une trop grande globalisation.

À l’instar de Mme la secrétaire d’État, je pense que la véritable question est de savoir si la société française est bien mobilisée sur de telles problématiques. À mon avis, elle l’est. L’école et le système judiciaire sont très attentifs s’agissant des violences à l’égard des enfants ; c’est plus discutable sur la question des violences faites aux femmes et des féminicides où il y avait à redire. Par expérience, je n’ai jamais connu de faiblesses de nos services quant aux violences contre les enfants,…

Mme Éliane Assassi. Il y a un enfant qui meurt tous les cinq jours !

M. Philippe Bonnecarrère. … mais restons mobilisés. Les propos que le Président de la République a tenus ce matin – « ce n’est pas parce que c’est dans la famille que tous les droits sont permis et que tous les silences sont autorisés » – me paraissent également témoigner d’une prise de conscience de la société française en la matière. (Applaudissements sur les travées des groupes UC et Les Républicains, ainsi quau banc des commissions.)

Mme la présidente. La parole est à M. Jacques Bigot.

M. Jacques Bigot. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, nous sommes saisis d’une proposition de loi tendant à la création de délégations parlementaires aux droits de l’enfant, avec une mission clairement définie : « Sans préjudice des compétences des commissions permanentes ou spéciales ni des commissions chargées des affaires européennes, les délégations parlementaires aux droits des enfants ont pour mission d’informer les assemblées de la politique suivie par le Gouvernement au regard de ses conséquences sur les droits des enfants. En ce domaine, elles assurent le suivi de l’application des lois. » Ces instances pourraient également être saisies pour avis, sur décision des commissions concernées, d’un texte législatif soumis par le Gouvernement.

La convention internationale des droits de l’enfant a trente ans aujourd’hui. Elle a été ratifiée en 1990. Elle comporte cinquante et un articles. Aujourd’hui, nous débattons de la création d’une délégation aux droits des enfants.

L’article 3 de la convention insiste sur l’intérêt supérieur de l’enfant, qui doit être une considération primordiale. Dans des observations de 2013, le Comité des droits de l’enfant indiquait : « Ce n’est pas une obligation discrétionnaire ; elle doit être mise en œuvre par des dispositifs d’évaluation. » L’article 4 évoque les « droits économiques, sociaux et culturels », tandis que l’article 5 mentionne « la responsabilité, le droit et le devoir » des parents et que l’article 6 fait référence au « droit inhérent à la vie », ainsi qu’à la « survie » et au « développement » de l’enfant.

Cette convention est-elle parfaitement respectée dans notre pays ? Certes, parmi les 196 pays à l’avoir ratifiée, certains l’appliquent moins bien que la France, mais ce n’est en aucun cas une raison pour considérer que nous ne devons pas faire mieux. Il nous faut exercer un contrôle en permanence.

La question, madame la rapporteure, n’est pas tant de savoir comment nous nous organisons pour légiférer en matière de droits des enfants, mais comment nous nous organisons pour contrôler la mise en œuvre de cette convention. Vous ne pouvez pas vous borner à dire que, puisque le Gouvernement adresse tous les cinq ans un rapport au Comité des droits de l’enfant de l’ONU, ce dernier nous dira ce qui va bien et ce qui ne va pas. Cela ne suffit pas ! Selon la Constitution, le travail parlementaire est également un travail de contrôle.

Dans son dernier rapport de 2016, le Comité des droits de l’enfant fait des observations qu’il nous faut analyser.

Au paragraphe 7, « le Comité note avec préoccupation que seul un nombre très limité de dispositions de la Convention sont reconnues comme étant directement applicables et que les principes et droits qui y sont consacrés ne sont pas dûment intégrés dans la législation nationale ».

Au paragraphe 9, « le Comité note avec préoccupation que les progrès réalisés en ce qui concerne l’élaboration d’une politique globale durable de mise en œuvre de tous les droits consacrés par la Convention sont insuffisants et que les différentes stratégies relatives à l’enfance mises en œuvre dans l’État partie ne contiennent pas d’objectifs mesurables ».

Au paragraphe 12, « le Comité recommande à l’État partie de veiller à ce que le mécanisme de coordination soit doté d’un mandat clair et de pouvoirs et de ressources suffisants ».

Au paragraphe 14, « le Comité recommande à l’État partie d’établir un processus budgétaire » et il se plaint, au paragraphe 15, de l’absence de « données fiables et ventilées sur de nombreux aspects visés par la Convention ».

À la lecture de ces observations, nous constatons que notre mode de contrôle est loin d’être parfait. Ainsi, « le Comité note avec préoccupation que le Défenseur des enfants ne dispose pas de suffisamment de ressources et manque de visibilité au sein de l’institution du Défenseur des droits ». Je rappelle que, lorsqu’il a été créé, le Défenseur des enfants était indépendant. Ce n’est qu’en 2012 qu’il a été rattaché au Défenseur des droits.

Enfin, il n’est peut-être pas inutile de le souligner, le Comité note que « la plupart des enfants ne bénéficient pas d’un enseignement approfondi concernant leurs droits ».

Voilà autant d’observations qui nous poussent à nous préoccuper de l’action gouvernementale.

Vous nous répondez que ce travail de contrôle est réalisé au sein des commissions. Mais quel est le contrôle existant ? S’agissant du Défenseur des droits, je viens de vous indiquer ce qu’en pense l’ONU. La loi de 2016 – je parle sous le contrôle de l’ancienne secrétaire d’État, Laurence Rossignol – avait prévu des observatoires départementaux ; ceux-ci n’existent pas partout en France. Ils sont pourtant essentiels pour connaître la façon dont est mise en œuvre cette convention internationale.

Par ailleurs, madame la secrétaire d’État, je regrette que le secrétaire d’État chargé de la protection de l’enfance ne soit pas présent, parce que nous aurions pu l’interroger sur la disparition annoncée du Conseil national de la protection de l’enfance.

Mme Éliane Assassi. Exactement !

M. Jacques Bigot. Ce conseil indépendant est susceptible de contrôler un peu et d’émettre quelques observations sur la mise en œuvre de l’action gouvernementale.

Madame la rapporteure, vous avez fortement insisté sur le travail législatif des commissions, et peu sur leur mission de contrôle. L’intérêt d’une délégation réside précisément dans sa transversalité. Lorsque vous dites que toutes les commissions peuvent se saisir du sujet, et certaines plus que d’autres, vous ne faites que reprendre le détail des thèmes qu’elles ont traités. Cependant, jamais, dans les rapports que vous évoquez, il n’est question de l’évaluation de l’intérêt supérieur de l’enfant, qui, selon la convention, n’est pas discrétionnaire, c’est-à-dire qu’il doit nécessairement être pris en compte. Mon propos n’est pas de dire que les commissions ne font pas leur travail, mais qu’elles n’ont pas cette mission et que, précisément, l’objet d’une délégation est d’ordre transversal.

Enfin, cerise sur le gâteau, vous invoquez l’idée qu’avoir trop de délégations nuit. Or cela n’a nullement empêché le Sénat de créer une délégation aux collectivités territoriales.

M. Jacques Bigot. Pourtant, je n’ai pas l’impression que la commission des lois se désintéresse du sujet, pas plus que la commission des finances.

Mme Éliane Assassi. Exactement !

M. Jacques Bigot. Pis, en 2014, au moment de mon arrivée au Sénat, a été instituée une délégation aux entreprises. La commission des affaires économiques ne s’en occuperait-elle pas ?

Devant cet éventail de délégations, dont vous ne remettez pas l’existence en cause, vous nous dites qu’une délégation aux droits des enfants serait inutile. C’est incompréhensible ! Serait-ce parce qu’un groupe politique qui n’appartient pas à votre majorité en fait la proposition ?

Mme Éliane Assassi. Ça y ressemble un peu !

M. Jacques Bigot. Nous nous rallierons à cette proposition de loi, parce qu’elle est utile.

La jugez-vous inutile, madame la rapporteure, parce que vous pensez qu’il n’est pas nécessaire de contrôler plus avant l’action du Gouvernement concernant cette convention internationale ? En toute objectivité, chers collègues, vous ne pouvez pas suivre notre rapporteure sur ce point.

Je vous sais gré, madame la secrétaire d’État, d’avoir dit, à juste titre, que cette question concerne le Parlement et que, dans ces conditions, le Gouvernement s’en remet à la sagesse du Sénat. Dans le même temps, vous nous dites que le Gouvernement a pris des engagements forts. Il est vrai que, dans cet hémicycle, nous ne sommes jamais totalement convaincus des engagements forts de ce gouvernement, mais nous ne demandons qu’à y croire. Une délégation aux droits des enfants serait la mieux dotée pour contrôler l’action du Gouvernement, parce que la démocratie passe aussi par ce rôle de contrôle du Parlement que, parfois, le Gouvernement nous dénie.

En conséquence, mes chers collègues, je vous demande d’aller au-delà de l’avis de notre rapporteure, qui a eu raison de dire que nous faisons notre travail du point de vue de la législation. Mais, franchement, du point de vue du contrôle de l’action gouvernementale – et, plus globalement, au sein de la République, sur ces questions de protection de l’enfance et de droit des enfants –, nous avons à nous améliorer.

M. Jacques Bigot. À mon sens, la délégation aux droits des enfants saura présenter des propositions qui ne vexeront jamais la délégation aux droits des femmes. Il y a en effet tant à faire pour la protection des femmes. Même si, mesdames, vous avez su vous préoccuper des femmes enfants, des mineures victimes, les droits des enfants concernent l’ensemble de nos enfants. Permettez-moi d’ajouter qu’ils concernent également les pères, voire les grands-pères. (Applaudissements sur les travées des groupes SOCR et CRCE. – Mme Joëlle Garriaud-Maylam applaudit également.)

Mme Éliane Assassi. Tout à fait !

Mme la présidente. La parole est à Mme Josiane Costes.

Mme Josiane Costes. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, « Il n’est qu’un bon moyen de conserver aux enfants leur innocence, c’est que tous ceux qui les entourent la respectent et l’aiment ». Cette affirmation de Jean-Jacques Rousseau dans son essai sur l’éducation a certainement inspiré l’évolution constante des droits de l’enfant à travers les décennies. Nous avons en effet assisté à une meilleure prise en considération de la fragilité des enfants et, ainsi, à un renforcement de leur protection. Cette reconnaissance de droits spécifiques à l’enfant s’inscrit dans la lignée de l’affirmation des droits de l’homme, dont notre pays peut s’enorgueillir d’être le pionnier.

Depuis la ratification de la convention internationale des droits de l’enfant du 20 novembre 1989, la France s’est engagée à faire primer les intérêts des enfants sur des intérêts concurrents. Je remercie par ailleurs le groupe CRCE d’avoir sensibilisé notre assemblée sur cette question avec cette proposition de loi que nous examinons le jour de l’anniversaire de cette convention, qui est aussi, depuis 1996 – là encore, sur l’initiative du groupe communiste –, la Journée nationale de protection des droits de l’enfant.

Cette protection a connu un tournant avec la loi du 6 mars 2000, qui a créé une nouvelle autorité administrative indépendante, le Défenseur des enfants, chargée de promouvoir et de défendre leurs droits. Le Défenseur des enfants a ensuite été rattaché au Défenseur des droits par la loi du 1er mai 2011 et incarné par l’un de ses adjoints, qui pilote le collège chargé de la défense et de la promotion des droits de l’enfant.

Par ailleurs, au cours des dernières années, les initiatives législatives spécifiques se sont multipliées, avec de grandes lois générales sur la protection de l’enfance, comme la loi du 5 mars 2007 ou celle du 14 mars 2016, mais aussi avec des lois plus ponctuelles, comme la loi de lutte contre les violences éducatives ordinaires ou celle contre l’inceste.

Cependant, comme le soulignent les rapports annuels du Défenseur des enfants, la protection des mineurs reste malheureusement perfectible en France. Les principales préoccupations concernent notamment les enfants immigrés et enfants de demandeurs d’asile, les « mineurs délaissés » pris en charge par l’aide sociale à l’enfance, mais non adoptables, ainsi que la question des mineurs délinquants.

Je souhaiterais également appeler votre attention sur une tribune publiée aujourd’hui par le directeur de l’association Aide et Action France-Europe, dans laquelle il sensibilise les pouvoirs publics sur le droit à l’instruction. Dans l’Hexagone, alors que ce droit est reconnu par la loi française pour tous les enfants, français et étrangers, âgés de 3 à 16 ans, près de 100 000 enfants, dont une majorité vit en squat, bidonville, dans la rue ou souffre d’un handicap, ne sont toujours pas scolarisés. Ces chiffres sont indignes de notre pays !

Par ailleurs, je regrette vivement que la proposition de loi contre les violences familiales que nous avons adoptée il y a quelques jours ait complètement occulté le problème des violences faites aux enfants et que tous nos amendements sur le sujet aient été rejetés.

La garde des sceaux a annoncé une réforme de l’ordonnance de 1945 relative aux mineurs délinquants. En tant que rapporteure pour avis de la commission des lois pour le programme « Protection judiciaire de la jeunesse », je serai très vigilante aux dispositions de ce texte et serai moi-même force de propositions. J’envisage également avec mon groupe de déposer une proposition de loi visant à favoriser l’adoption simple des mineurs délaissés.

Nous examinons donc aujourd’hui la proposition de loi du groupe CRCE visant à créer une nouvelle délégation parlementaire consacrée aux droits des enfants. Si nous comprenons et partageons l’intention louable qui sous-tend cette proposition de loi, nous considérons néanmoins que la multiplication des délégations, ou encore des organismes extérieurs aux assemblées, éparpille le travail parlementaire, lui faisant nettement perdre en efficacité. Je rappelle qu’il existe déjà cinq délégations sénatoriales, dont l’efficacité est parfois questionnée. Ainsi, les propositions de ces délégations ne sont pas systématiquement suivies en commission, et elles disposent de moyens de fonctionnement moins importants que les commissions permanentes, limitant considérablement leur pouvoir d’initiative.

Notre groupe est particulièrement attaché au débat et au travail parlementaire, tant législatif que de contrôle. Les initiatives de groupes de travail transpartisans, voire entre les deux assemblées favorisent les échanges et le consensus. Malheureusement, l’expérience montre que leurs travaux n’aboutissent pas à des textes concrets votés par l’ensemble des parlementaires. C’est la raison pour laquelle la grande majorité de notre groupe votera contre cette proposition de loi – non pas contre la nécessité de faire de la protection des droits de l’enfant une priorité, mais contre la création d’une délégation dont l’efficacité ne sera certainement pas au rendez-vous. Nous considérons que, pour améliorer concrètement la situation des enfants victimes de violences ou d’injustices sociales, la voie législative est indispensable. (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE, ainsi que sur des travées du groupe Les Républicains.)

Mme la présidente. La parole est à M. Richard Yung.

M. Richard Yung. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, la discussion de la proposition de loi présentée par nos collègues du groupe CRCE est l’occasion de dresser un bilan de l’application de la convention internationale des droits de l’enfant, la CIDE, dont nous fêtons aujourd’hui même le trentième anniversaire de la signature.

Ce texte révolutionnaire a connu depuis 1990 de nombreuses réformes législatives, adoptées en vue de mettre notre droit en conformité avec cette convention. Parmi ces réformes figurent notamment la loi du 4 mars 2002 relative à l’autorité parentale, la loi du 5 mars 2007 réformant la protection de l’enfance ainsi que celle du 10 juillet 2019 – donc, très récente – relative à l’interdiction des violences éducatives ordinaires. Je rappelle que l’adoption de cette dernière loi a permis à la France de se conformer aux exigences énoncées à l’article 19 de la convention.

Parmi les nombreux défis restant à relever, le Président de la République a souligné ce matin, dans son discours à l’Unesco, l’objectif de donner à tous les enfants les mêmes chances de départ dans la vie. Des mesures ambitieuses ont déjà été prises : renforcement de l’accès des enfants issus de familles pauvres aux crèches ; amélioration de l’accueil des élèves en situation de handicap ; création du dispositif des petits-déjeuners à l’école – qui n’est pas sans nous rappeler Mendès France – ; aide à la mise en place d’une tarification sociale des cantines ; division par deux du nombre d’enfants par classe dans les écoles de quartiers défavorisés ; obligation d’instruction des enfants dès l’âge de 3 ans. Il s’agit là de six mesures importantes en matière de politique de l’enfance.

Le changement climatique fait aussi peser une grave menace sur les droits des enfants, sachant que les pays les moins avancés seront certainement les plus touchés par ce changement climatique.

Des progrès sont également attendus pour répondre aux besoins des enfants qui grandissent dans la pauvreté et l’exclusion. En France, 2,8 millions d’enfants vivaient sous le seuil de pauvreté en 2017, soit un enfant sur cinq. C’est non seulement considérable, mais intolérable !

Par ailleurs, d’importants efforts sont encore nécessaires pour venir à bout de toutes les formes de violence à l’égard des enfants, pour mettre fin au travail infantile, éradiquer le phénomène du tourisme sexuel impliquant des enfants, renforcer la protection des enfants migrants, à commencer par les mineurs non accompagnés, améliorer le sort des enfants atteints d’un handicap.

Outre la mise en place de ces nombreuses mesures, nous devons réfléchir à la possibilité d’accorder de nouveaux droits aux enfants. En 2014, un groupe de travail présidé par l’ancien président du tribunal pour enfants de Bobigny, Jean-Pierre Rosenczveig, qui est une autorité non seulement judiciaire, mais aussi morale par son expérience en ce domaine, avait formulé pas moins de 120 propositions, dont l’abaissement à 16 ans de l’âge du droit de vote.

La création de délégations parlementaires aux droits des enfants figurait également parmi les propositions de M. Rosenczveig. En 2003, l’Assemblée nationale a adopté une proposition de loi allant dans ce sens. Toutefois, ce texte n’a jamais été inscrit à l’ordre du jour de notre assemblée. C’est la raison pour laquelle, j’imagine, le groupe CRCE a déposé la proposition de loi soumise aujourd’hui à notre examen.

Ce texte part d’une bonne intention. Cependant, notre groupe n’y est pas favorable. La problématique des droits de l’enfant est certes transversale, mais nous craignons que des délégations qui y seraient spécifiquement dédiées n’empiètent sur le périmètre des commissions permanentes, à commencer par celles des lois et des affaires sociales. En revanche, nous serions tout à fait ouverts à ce que soit instauré un débat annuel devant le Parlement sur les politiques d’aide à l’enfance.

Nous considérons que chaque chambre doit conserver sa liberté de dessiner l’architecture de ses organes d’évaluation et de contrôle. C’est une question qui revient de façon assez régulière, mais la création de nouvelles délégations nécessiterait sans doute une concertation préalable entre les deux assemblées dans la mesure où la proposition de loi adoptée par l’Assemblée nationale date maintenant de plus de seize ans.

Par ailleurs, nous constatons avec satisfaction que le contrôle du respect des droits de l’enfant occupe déjà une place importante dans les travaux du Sénat. Pour s’en convaincre, il suffit d’énumérer les rapports d’information publiés au cours des deux dernières années : Mineurs non accompagnés ; Situation de la psychiatrie des mineurs en France ; Rythmes scolaires ; Violences sexuelles sur mineurs en institutions. Il convient aussi de rappeler que la commission des lois auditionne régulièrement le Défenseur des droits, qui est notamment chargé de la défense et de la promotion des droits de l’enfant, avec la Défenseure des enfants.

J’ajoute que la commission des affaires européennes est également compétente pour traiter des questions relatives aux droits de l’enfant. Je viens moi-même de la saisir d’une proposition de résolution européenne sur la protection des enfants franco-japonais, en parallèle d’une proposition identique en droit purement français.

Enfin, notre assemblée sera prochainement amenée à se pencher sur la réforme de la justice pénale des mineurs.

D’autres sujets mériteraient sans doute un examen approfondi. Je pense notamment au placement en rétention administrative des mineurs étrangers ainsi qu’à la transcription sur l’état civil français des enfants nés d’une GPA à l’étranger, que nous retrouverons sans doute dans le débat sur le projet de loi Bioéthique.

Nos travaux doivent, de préférence, s’inscrire dans le cadre des commissions permanentes, des missions d’information et des commissions d’enquête. Nous savons tous quelles difficultés nous rencontrons, le mercredi et le jeudi, à courir d’une commission ou d’une délégation à l’autre, ratant une partie des débats.

Pour toutes ces raisons, le groupe La République En Marche votera contre la présente proposition de loi. (Applaudissements sur des travées du groupe LaREM. – Mme Colette Mélot applaudit également.)

Mme la présidente. La parole est à Mme Éliane Assassi.

Mme Éliane Assassi. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, trente ans après l’adoption de la convention internationale des droits de l’enfant, force est d’observer que, malgré des avancées réelles, le constat reste encore très préoccupant. Ma collègue Christine Prunaud a répondu aux arguments bien faibles, pour ne pas dire étranges de Mme la rapporteure pour expliquer le rejet de notre proposition de loi. Mais permettez-moi d’y revenir.

Je dois vous dire que ces raisons, purement formelles, me sidèrent. Comment peut-on oser opposer à une problématique aussi importante que celle des droits des enfants des questions d’optimisation et d’efficacité ?

Mme Éliane Assassi. Toute initiative qui permet la prise en compte et la promotion des droits des enfants et de l’égalité devrait constituer une avancée, d’autant que la création de ces délégations est également une recommandation du Comité des droits de l’enfant de l’ONU. Comment nier que, au même titre que la délégation aux droits des femmes, cette délégation aux droits des enfants a toute sa place et sa légitimité au sein de la Haute Assemblée ?

La question des violences faites aux enfants, par exemple, a été développée par ma collègue. Cette délégation aux droits des enfants pourrait se saisir pleinement du sujet en étant à l’initiative de recommandations et de rapports visant à aiguillonner le travail du Gouvernement et éclairer notre société sur les réalités des situations et, surtout, sur le chemin qui reste à parcourir pour considérer les enfants comme de vrais sujets de droit. Elle pourrait même, de sa propre initiative, déposer des amendements dans les différents projets de loi.

Un autre champ d’action à investir pourrait être l’harmonisation de l’accueil des enfants dans les services d’aide sociale à l’enfance, laquelle est placée sous l’autorité des conseils départementaux, aux moyens disparates sur notre territoire, et dont dépend l’accueil des mineurs non accompagnés, autrement dit des mineurs isolés étrangers dont la situation se révèle de plus en plus inquiétante ; ces mêmes mineurs – des enfants donc ! – qui se retrouvent parfois privés de liberté dans les centres de rétention administrative.

Ce dernier sujet illustre parfaitement la transversalité des problématiques à traiter en matière de droits des enfants, qui relèvent à la fois, s’agissant de l’enfermement des enfants, par exemple, des compétences de la commission des affaires sociales et de la commission des lois.

En matière de transversalité des compétences des commissions, je pense également à la problématique du climat. Comme nous l’indiquons dans l’exposé des motifs de notre proposition de loi, d’après les derniers chiffres de la Banque mondiale, d’ici à 2050, 140 millions de personnes pourraient être amenées à migrer en raison de l’aggravation des effets du changement climatique. Parmi elles, bien évidemment, se trouvent de nombreux enfants, aussi vulnérables face à ces changements climatiques que face à la pollution atmosphérique. Comme l’a récemment révélé l’OMS, la pollution de l’air a tué 600 000 enfants de moins de 15 ans en 2016 dans le monde et affecte plus de 90 % des enfants de la planète.

Dans ce cadre, le 23 septembre dernier, seize enfants du monde entier ont déposé plainte auprès du Comité des droits de l’enfant des Nations unies. Ces jeunes militants ont attaqué cinq pays pollueurs, dont la France, pour protester contre le manque d’engagement des gouvernements face à la crise climatique et demander aux États membres de prendre les mesures nécessaires pour protéger les enfants des effets dévastateurs du changement climatique. Au lieu de pointer du doigt cette action, la France et son parlement s’honoreraient à travailler sur le sujet en entendant, pour une fois, la voix d’enfants qui se saisissent eux-mêmes de leur droit à vivre sur une planète plus saine et à respirer un air moins pollué.

Quelle commission permanente pourrait s’emparer d’un sujet aussi complexe ? La délégation aux droits des femmes, me répondrez-vous peut-être. Vous avez d’ailleurs établi le lien entre droits des enfants et droits des femmes en commission. C’est tout de même surprenant. Tout comme est surprenant un passage à la page 7 du rapport, que je vous invite à lire, selon lequel le Sénat se saisit déjà pleinement de ces sujets, en illustrant cette affirmation par deux exemples, dont un qui vaut son pesant de cacahouètes : « le droit d’allaiter pendant le temps de travail reconnu aux femmes fonctionnaires », qui résulte d’un amendement introduit par la délégation au droit des femmes dans la loi de transformation de la fonction publique. Comme le disent les jeunes : j’hallucine !

« Toutes les grandes personnes ont d’abord été des enfants, mais peu d’entre elles s’en souviennent », écrivait Antoine de Saint-Exupéry. Mes chers collègues, en ce jour anniversaire des droits des enfants, qui n’est pas qu’une date symbolique, tâchons de nous en souvenir !

Toute la société, au premier rang de laquelle les législatrices et législateurs que nous sommes, a le devoir et la responsabilité de donner aux enfants les moyens de construire leur avenir, un avenir fondé sur des valeurs de progrès, de solidarité, de fraternité, de paix, bannissant la violence, quelle que soit la forme qu’elle puisse revêtir. Pour cela, il nous appartient de faire acte de vigilance, de proposer et d’être à l’initiative de nouveaux droits effectifs pour les enfants. C’est le rôle du Parlement, et c’est le sens de notre initiative aujourd’hui. (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE, ainsi que sur des travées du groupe SOCR. – Mme Joëlle Garriaud-Maylam applaudit également.)

Mme la présidente. La parole est à Mme Colette Mélot.

Mme Colette Mélot. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, les droits universels de l’enfant sont aujourd’hui proclamés et reconnus. Il apparaît évident que l’humanité ne pourra se prévaloir d’avoir fait progresser les droits de l’homme tant qu’elle n’aura pas réussi à éradiquer le fléau des violences faites aux enfants et tant qu’elle ne sera pas parvenue à faire respecter leurs droits fondamentaux.

Cette volonté est universelle. Elle est aussi celle de notre pays, celle des pouvoirs publics, de la représentation nationale ainsi que de la société civile. Cette volonté commune, nous la partageons tous, et elle nous engage tous. Elle nous engage à agir. Elle nous engage à être efficaces pour faire respecter ces droits. Elle nous engage à nous occuper de l’enfance meurtrie, mutilée, de cette enfance qui souffre et subit parfois dans le silence.

En ce jour du trentième anniversaire de la convention internationale des droits de l’enfant, la proposition de loi tendant à la création de délégations parlementaires aux droits des enfants permet de rappeler que la protection de l’enfant et son intérêt supérieur doivent être une préoccupation constante du législateur, comme du Gouvernement. À cet égard, cette initiative de notre collègue Éliane Assassi mérite d’être saluée.

Dans le cadre de ses structures internes actuelles, le Sénat se saisit régulièrement de ces sujets et peut veiller avec efficacité au respect des droits des enfants. Aussi, au regard du travail effectué par les instances actuelles et des moyens à la disposition des parlementaires pour contrôler l’action du Gouvernement, la création d’une nouvelle délégation spécialisée ne semble pas justifiée.

En premier lieu, les commissions permanentes mènent régulièrement, dans leurs champs de compétences respectifs, des travaux législatifs ou de contrôle sur la situation des enfants. Sont les plus concernées : la commission des affaires sociales, dans le cadre de ses compétences en matière de santé, de politique familiale, d’aide et d’action sociales ; la commission de la culture, sur les sujets relatifs à l’enseignement scolaire et à la jeunesse ; la commission des lois, s’agissant notamment des mineurs délinquants et des évolutions de l’ordonnance du 2 février 1945.

En deuxième lieu, des missions ou des missions communes d’information sont également créées pour examiner des politiques publiques en faveur des enfants, comme en 2019 sur les politiques publiques de prévention, de détection, d’organisation des signalements et de répression des infractions sexuelles susceptibles d’être commises par des personnes en contact avec des mineurs dans le cadre de l’exercice de leur métier ou de leurs fonctions.

En troisième lieu, la délégation aux droits des femmes travaille de manière plus spécifique sur la situation des enfants à l’occasion de travaux consacrés à la situation des femmes et à l’égalité des chances entre les hommes et les femmes.

En dernier lieu, le Sénat mène des travaux relatifs aux droits de l’enfant dans un cadre plus large que les commissions permanentes et les délégations. C’est le cas à travers la participation des sénateurs aux assemblées parlementaires ou encore à l’occasion des questions au Gouvernement.

Il existe ainsi une palette de moyens mis à la disposition des parlementaires en ce qui concerne le respect des droits des enfants. Aussi, pour toutes les raisons que je viens d’évoquer, la création d’une nouvelle délégation pour mettre en place une veille et un contrôle plus assidus du respect des droits des enfants ne semble pas opportune.

Par ailleurs, il convient de préserver l’efficacité du travail parlementaire accompli par les structures déjà existantes. Multiplier des organismes conduirait à un alourdissement inutile.

Aussi, le groupe Les Indépendants ne votera pas cette proposition de loi. Je félicite néanmoins le groupe CRCE de l’avoir inscrite à l’ordre du jour. Nous avons ainsi pu débattre d’un sujet important et sensible. (Applaudissements au banc des commissions.)

Mme la présidente. La parole est à Mme Joëlle Garriaud-Maylam.

Mme Joëlle Garriaud-Maylam. Madame la présidente, mes chers collègues, en ce trentième anniversaire de la convention internationale des droits de l’enfant, je tiens à dire que je soutiens la proposition de loi qui est présentée par le groupe CRCE. J’estime en effet qu’il est de l’honneur du Sénat de se battre pour les droits des enfants et d’aller de l’avant.

Certes, je vois que nos travées sont clairsemées, et je sais très bien que le vote sera négatif, mais, comme disait un penseur que j’admire beaucoup, « il n’y a que les causes perdues d’avance qui vaillent vraiment la peine que l’on se batte pour elles ».

Mme Éliane Assassi. Très bien !

Mme Joëlle Garriaud-Maylam. Évidemment, je précise que je ne parle pas au nom du groupe Les Républicains, que je remercie de m’avoir donné ce temps de parole, même si je l’ai découvert en entrant dans l’hémicycle.

Il y a dix ans, pour le vingtième anniversaire de cette convention, j’avais déposé une proposition de loi qui allait exactement dans le même sens que celle que nous examinons aujourd’hui. Je n’ai toutefois pas eu votre chance, madame Assassi : ma proposition de loi n’a même pas été inscrite à l’ordre du jour. À l’époque, comme aujourd’hui d’ailleurs, on m’a répondu qu’il y avait déjà trop de délégations. Pourtant, cette année-là, deux délégations ont été créées : la délégation à la prospective et la délégation aux collectivités territoriales. Depuis, deux nouvelles ont vu le jour : la délégation aux outre-mer et la délégation aux entreprises.

Mme Joëlle Garriaud-Maylam. On nous dit que les droits de l’enfant ne peuvent pas être traités en dehors des commissions permanentes, au sein d’une délégation transversale. Pourtant, je constate que le dernier sujet abordé par la délégation à la prospective – je salue d’ailleurs son président, qui effectue un excellent travail – portait sur l’alimentation en 2050. Il me semble que ce sujet, qui concerne aussi les enfants au demeurant, aurait tout aussi bien pu être traité par la commission des affaires économiques. Or les droits des enfants ne sont-ils pas plus importants ?

Je me réjouis donc de la présentation de cette proposition de loi, qui traduit, non pas une obligation, mais une recommandation formulée par le Comité des droits de l’enfant des Nations unies. Madame Prunaud, vous datez cette dernière de 2016, mais elle avait déjà été exprimée en 2009. Ne devrions-nous pas, nous, Français, donner l’exemple en ce domaine ?

Mme la rapporteure estime que nous n’avons pas besoin de délégation dans la mesure où il y a déjà le Défenseur des enfants. J’informe la commission que ce dernier a été supprimé en tant qu’institution indépendante en 2009 pour être rattaché au Défenseur des droits, ce qui a contribué à diminuer sa visibilité, alors que nous aurions besoin du contraire.

Le Défenseur des droits lui-même, Jacques Toubon, nous demande d’adopter cette proposition de loi pour pouvoir mieux défendre les droits des enfants.

M. François Bonhomme. Raison de plus pour s’en inquiéter !

Mme Éliane Assassi. Vous réglerez vos comptes politiques ailleurs !

Mme Joëlle Garriaud-Maylam. L’enjeu diplomatique est également très important. Au Parlement en général, et au Sénat en particulier, nous devrions sans doute travailler davantage sur la question des enfants.

Voilà une dizaine d’années – beaucoup d’entre vous n’étaient pas là –, j’avais déjà fait adopter un amendement concernant les droits des enfants. J’avais en effet appris que de jeunes Françaises binationales étaient prostituées par leur famille à l’étranger, ce que j’avais trouvé absolument inadmissible. Les consuls m’avaient appelée à l’aide, me disant qu’ils n’avaient pas les moyens de réagir. Cet amendement fut adopté au Sénat, et les consulats m’écrivirent pour me remercier de cette avancée. Malheureusement, il fut rejeté à l’Assemblée nationale, au prétexte que les enfants mineurs relevaient du droit de leur pays de résidence. Les bras m’en sont tombés !

Mme la présidente. Il faut conclure, ma chère collègue !

Mme Joëlle Garriaud-Maylam. C’est donc un enjeu diplomatique, car il y a une dimension internationale de la protection de l’enfance, et les pays étrangers attendent de la France qu’elle mène ce combat.

Ce serait l’honneur du Parlement de voter cette proposition de loi, et je regrette profondément que le poids administratif ne le permette pas. (Applaudissements sur les travées des groupes CRCE et SOCR, ainsi que sur des travées du groupe LaREM. – Mme Colette Mélot applaudit également.)

Mme la présidente. La parole est à M. Édouard Courtial.

M. Édouard Courtial. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, « rien n’est plus important que de bâtir un monde dans lequel tous nos enfants auront la possibilité de réaliser pleinement leur potentiel et de grandir en bonne santé, dans la paix et dans la dignité ». Ces mots de Kofi Annan, ancien secrétaire général des Nations unies, trouvent, je crois, un écho en chacun de nous.

Comme citoyen, comme parent, comme sénateur, nous avons tous à cœur de défendre l’intérêt supérieur de l’enfant et de conforter l’enfant comme sujet de droit. C’est ce sentiment plein d’humanité, que je partage évidemment, qui a animé les auteurs de cette proposition de loi.

Ainsi, comme son titre l’indique, ce texte a pour objectif de constituer une délégation parlementaire aux droits des enfants. Pour cela, l’article unique institue tout d’abord dans chaque assemblée une délégation parlementaire aux droits des enfants de trente-six membres, choisis à la représentation proportionnelle des groupes. Il charge ensuite ces délégations d’assurer le suivi de la politique des droits des enfants et leur permet d’être saisies de projets ou de propositions de loi, sur demande du bureau, d’un président de groupe, d’une commission ou sur sa propre initiative. Il prévoit enfin la remise d’un rapport d’activité annuel, comprenant le cas échéant des « propositions d’amélioration de la législation et de la réglementation » sur leur domaine de compétence.

Dans un contexte d’inflation législative, que nous devons combattre, je suis convaincu que chaque texte qui est soumis au Parlement doit répondre à cette question essentielle et simple, qui fait fi des considérations partisanes : est-il réellement efficace compte tenu des objectifs fixés ? Malgré les bonnes intentions indéniables de ce texte, je crois que la réponse est négative, d’une part, au regard du cadre juridique existant et, d’autre part, quant au choix organique pour les atteindre.

La protection des droits des enfants est un sujet d’importance encadré à la fois par le droit international et national. De multiples mécanismes de protection ont été retranscrits à la suite de l’adoption de la convention internationale des droits de l’enfant en 1989. Sur le plan intérieur, si de nombreux organismes de l’État, notamment le ministère des solidarités et de la santé, ainsi que les collectivités territoriales participent à la politique de l’enfance, la France dispose aussi de plusieurs instances se consacrant spécifiquement à la question, notamment le Haut Conseil de la famille, de l’enfance et de l’âge, ou encore le Défenseur des droits.

En outre, la France a jusque très récemment adopté un certain nombre de textes et de mesures destinés à mieux protéger les droits des enfants, comme la loi du 5 novembre 2015 tendant à clarifier la procédure de signalement de situations de maltraitance par les professionnels de santé, initiée par notre collègue Colette Giudicelli, ou encore la loi du 14 mars 2016 relative à la protection de l’enfant, qui redéfinit cette dernière sur la base des droits fondamentaux de l’enfant.

Quant à la création d’une nouvelle délégation, cela a été rappelé, elle est encadrée par la loi du 5 juin 2009, qui en a réduit le nombre. À ce titre, je ne suis d’ailleurs pas opposé, chère Joëlle Garriaud-Maylam, à une réorganisation de celles qui existent.

Si la question de la création d’une délégation aux droits des enfants n’est pas nouvelle, je suis toutefois sensible à la recommandation de nos collègues Alain Richard et Roger Karoutchi, qui, en 2015, dans le cadre du groupe de réflexion sur les méthodes de travail du Sénat, avaient prescrit d’éviter une dispersion trop importante des sénateurs entre les différentes instances, qui serait nuisible à la qualité du travail parlementaire.

Bien sûr, ce sujet touche des convictions profondes. Il est donc normal et souhaitable de pouvoir en débattre, y compris au sein de notre groupe, où la liberté de chacun est toujours garantie. C’est pourquoi j’entends parfaitement les arguments avancés par notre collègue Garriaud-Maylam, que je connais bien et dont je sais le travail et l’engagement depuis de nombreuses années sur ce qui, j’en conviens, doit être une préoccupation majeure. Mais je crois profondément que notre arsenal juridique, sans doute encore imparfait, permet d’y répondre sans la création d’une délégation spécialement dédiée.

Je suis tout aussi convaincu que les enfants, ces citoyens en devenir, doivent être des acteurs de leur propre avenir et, par là même, de leurs droits, à condition bien entendu de les connaître. Cela passe, mes chers collègues, encore et toujours, par l’éducation des parents et par une école de la République qui instruit. Car, comme le disait Victor Hugo si justement, « le droit de l’enfant, c’est d’être un homme : ce qui fait l’homme, c’est la lumière ; ce qui fait la lumière, c’est l’instruction » ! (Applaudissements sur des travées du groupe Les Républicains.)

Mme la présidente. La parole est à Mme Nicole Duranton.

Mme Nicole Duranton. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, « sensibilité flagellée dans l’enfance mène à l’intolérance de l’âge mûr », écrivait Malcolm de Chazal dans Sens-plastique.

En ce jour, choisi par le Parlement en 1996 pour être la Journée mondiale de défense et de promotion des droits de l’enfant, il est nécessaire de rappeler que protéger les plus jeunes est indispensable.

Il est peu de problèmes aussi graves que ceux qui concernent la protection de l’enfance. En France, 19 000 enfants sont maltraités, 76 000 sont en danger dans un contexte familial dégradé, 240 000 sont placés ou pris en charge et 150 000 quittent chaque année le système scolaire.

La France n’est pas assez riche d’enfants pour qu’elle ait le droit de négliger tout ce qui peut en faire des êtres sains. Analyser les failles du droit sur le sujet participe de leur protection. À ce titre, je salue la volonté de nos collègues, dont la justesse dans l’idée ne fait pas de doute. C’est dans l’application que j’émets en revanche quelques réserves.

Le 30 janvier 2003, le député Jacques Barrot,…

M. Philippe Bas, président de la commission des lois. Hommage à sa mémoire !

Mme Nicole Duranton. … alors président du groupe UMP à l’Assemblée nationale, déposait avec son collègue Dominique Paillé, qui avait déjà fait la même démarche en novembre 2002, une proposition de loi dont le titre rappelle étonnamment celui du texte que nous traitons aujourd’hui.

Au niveau de la méthode, ces propositions de loi tendent à introduire un article dans l’ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires.

Or la multiplication excessive des structures internes au Parlement rend la lecture de son fonctionnement complexe pour le citoyen et contribue à la mise en danger du modèle de représentation démocratique, déjà menacé par une défiance sans précédent à l’égard du politique. Le président de la commission des lois de l’époque, Pascal Clément, avait exprimé des réserves à l’égard de la création de nombreuses délégations, qui lui paraissait constituer une manière de contourner la limitation à six du nombre des commissions permanentes.

Je pense qu’il serait plus opportun de redéployer les compétences actuellement dévolues aux commissions permanentes et délégations existantes, ou de faire appel aux outils que sont les commissions d’enquête et missions d’information, plutôt que d’épaissir le millefeuille.

La France peut mieux faire, comme l’indique le Conseil français des associations pour les droits de l’enfant. Notre rôle, c’est d’agir par le droit, sur le droit ! Or créer une instance non normative sur un sujet aussi crucial peut envoyer un signal très flou à la société civile, créant une forte attente sur le sujet ; attente qui sera forcément déçue, puisqu’une délégation nourrit, mais ne fait pas la loi ! En effet, une délégation, ce sont des administrateurs qui rédigent des synthèses, des rapports, ce sont des auditions, des visites, des réunions, beaucoup de travail de fond, mais ce n’est pas la production d’actions.

Et des outils, il en existe déjà beaucoup !

Pour nos enfants, il y a d’abord des principes fondamentaux, rappelés dans le code civil et dans le code de l’action sociale et des familles. La convention internationale des droits de l’enfant de 1989 a créé un statut très protecteur, mais ne suggère en rien la création de délégations.

Il y a ensuite des lois, celle du 10 juillet 1989 relative à la prévention des mauvais traitements, celle du 17 juin 1998 sur les infractions sexuelles, celle du 9 mars 2004 allongeant la prescription pour les délits commis sur des mineurs, celle du 5 mars 2007 réformant la protection de l’enfance et, bien sûr, celle du 14 mars 2016 relative à la protection de l’enfant. J’ajoute tous les travaux du Sénat, rappelés par notre collègue Muriel Jourda.

Il y a enfin des institutions veillant à l’application de ces lois et principes : l’Unicef aux plans mondial et européen, l’Observatoire national de l’enfance en danger et, surtout, le Défenseur des droits pour appliquer la convention en France.

En tant qu’élue, femme et mère de famille, il est évident que je suis sensible à ce sujet des droits de l’enfant. Nous devons renforcer les moyens de les protéger, mais ce n’est, hélas, pas la mission d’une délégation. (Applaudissements sur des travées du groupe Les Républicains.)

Mme la présidente. La discussion générale est close.

La parole est à Mme le rapporteur.

Mme Muriel Jourda, rapporteur. Je voudrais rassurer un certain nombre de nos collègues et, je l’espère, conclure nos échanges sur une note positive.

Monsieur Bigot, vous nous soupçonnez, avec Mme Assassi, d’avoir émis un avis défavorable sur cette proposition de loi, parce qu’elle n’émane pas de la majorité sénatoriale. Vous venez d’entendre qu’elle reprend en réalité un texte déposé par des députés appartenant au groupe UMP.

Nous pouvons nous réjouir que le caractère transpartisan de notre collectivité parlementaire soit encore une réalité aujourd’hui. Ce n’est donc pas pour ce motif que nous refusons ce texte.

J’indique en outre à Mme Assassi que ses hallucinations ne peuvent certainement pas trouver leur origine dans ce qu’elle a lu à propos de l’allaitement.

Mme Éliane Assassi. J’invite tout le monde à lire la page 7 de votre rapport ! (Mme Éliane Assassi brandit le document.)

Mme Muriel Jourda, rapporteur. Je ne nie pas ce qui a été écrit sous ma signature, ma chère collègue.

Mme Éliane Assassi. Le droit d’allaiter n’a rien à voir avec les droits des enfants !

Mme Muriel Jourda, rapporteur. Contrairement à ce que vous pensez, c’est pleinement en rapport avec le droit des enfants, cette recommandation émanant directement d’un rapport du Défenseur des droits et du Défenseur des enfants intitulé De la naissance à 6 ans : au commencement des droits. Bien entendu, vous pouvez ne pas partager l’opinion du Défenseur des enfants, mais sachez qu’il est à l’origine de cette mesure adoptée par le Sénat.

Je retire surtout de ces différentes interventions notre accord sur un point : le droit des enfants reste d’une brûlante actualité. Le Parlement comme le Gouvernement doivent accomplir encore bien des efforts pour pouvoir faire respecter ce haut niveau de standard qu’est la convention internationale des droits de l’enfant. C’est précisément ce que nous continuerons à faire. (Applaudissements sur des travées du groupe Les Républicains.)

Mme la présidente. La commission n’ayant pas élaboré de texte, nous passons à la discussion de la proposition de loi initiale.

proposition de loi tendant à la création de délégations parlementaires aux droits des enfants

Discussion générale (suite)
Dossier législatif : proposition de loi tendant à la création de délégations parlementaires aux droits des enfants
Explications de vote sur l'ensemble (début)

Article unique

L’article 6 quater de l’ordonnance n° 58-1100 du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires, est ainsi rétabli :

« Art. 6 quater – I. – Il est constitué, dans chacune des deux assemblées du Parlement, une délégation parlementaire aux droits des enfants. Chacune de ces délégations compte trente-six membres.

« II. – Les membres des délégations sont désignés en leur sein par chacune des deux assemblées de manière à assurer une représentation proportionnelle des groupes parlementaires et équilibrée des hommes et des femmes ainsi que des commissions permanentes.

« La délégation de l’Assemblée nationale est désignée au début de la législature pour la durée de celle-ci.

« La délégation du Sénat est désignée après chaque renouvellement partiel de cette assemblée.

« III. – Sans préjudice des compétences des commissions permanentes ou spéciales ni des commissions chargées des affaires européennes, les délégations parlementaires aux droits des enfants ont pour mission d’informer les assemblées de la politique suivie par le Gouvernement au regard de ses conséquences sur les droits des enfants. En ce domaine, elles assurent le suivi de l’application des lois.

« En outre, les délégations parlementaires aux droits des enfants peuvent être saisies sur les projets ou propositions de loi par :

« – le Bureau de l’une ou l’autre assemblée, soit à son initiative, soit à la demande d’un président de groupe ;

« – une commission permanente ou spéciale, à son initiative ou sur demande de la délégation.

« Enfin, les délégations peuvent être saisies par les commissions chargées des affaires européennes sur les textes soumis aux assemblées en application de l’article 88-4 de la Constitution.

« Elles demandent à entendre les ministres. Le Gouvernement leur communique les informations utiles et les documents nécessaires à l’accomplissement de leur mission.

« IV. – Les délégations établissent, sur les questions dont elles sont saisies, des rapports comportant des recommandations qui sont déposés sur le bureau de l’assemblée dont elles relèvent et transmis aux commissions parlementaires compétentes, ainsi qu’aux commissions chargées des affaires européennes. Ces rapports sont rendus publics.

« Elles établissent en outre, chaque année, un rapport public dressant le bilan de leur activité et comportant, le cas échéant, des propositions d’amélioration de la législation et de la réglementation dans leurs domaines de compétence.

« V. – Chaque délégation organise la publicité de ses travaux dans les conditions définies par le règlement de chaque assemblée. La délégation de l’Assemblée nationale et celle du Sénat peuvent décider de tenir des réunions conjointes.

« VI. – Les délégations établissent leur règlement intérieur. »

Mme la présidente. La parole est à M. Xavier Iacovelli, sur l’article.

M. Xavier Iacovelli. Nous examinons cette proposition de loi dans un contexte particulier : aujourd’hui, nous fêtons le trentième anniversaire de la convention internationale des droits de l’enfant, adoptée à l’unanimité de l’assemblée générale des Nations unies le 20 novembre 1989.

Cette Journée internationale des droits de l’enfant intervient quelques jours après la discussion du rapport annuel du Défenseur des droits sur les violences institutionnelles que subissent les enfants dans notre pays. Les chiffres sont plus qu’alarmants : 25 % des collégiens déclarent avoir été victimes d’atteintes en ligne, plus de 50 % des mineurs accueillis dans les foyers de l’enfance n’ont pas reçu de visite depuis trois mois, un enfant en situation de handicap, en particulier mental, est quatre fois plus exposé aux violences sexuelles que les autres enfants… Je pourrai encore rappeler que 70 % des enfants issus de l’ASE sortent sans diplôme.

Au-delà de l’émotion et de l’indignation que ce rapport suscite, il pointe une réalité à laquelle nous devons réagir. Je le rappelle, un viol a lieu toutes les heures et 73 000 enfants sont victimes de violences.

Je partage la volonté de renforcer le contrôle exercé par le Parlement sur le respect des droits de l’enfant, comme nous pouvons exercer ce contrôle sur le droit des entreprises. C’est pourquoi je voterai cette proposition de loi et souhaite m’y engager pleinement. J’ai toujours pensé que la protection de l’enfance et le respect des droits de l’enfant dépassaient les clivages et les couleurs politiques.

M. Xavier Iacovelli. Voter la création d’une délégation aux droits de l’enfant constituerait un message fort envoyé au monde de la protection de l’enfance. Cela s’inscrirait également dans la continuité des annonces faites par le Président de la République et des vingt-deux mesures annoncées aujourd’hui par Adrien Taquet, qui permettront, nous le souhaitons, de lutter contre les violences faites à nos enfants.

C’est un combat de tous les instants, à tous les niveaux, et le Parlement ne peut pas rester immobile. (Applaudissements sur des travées du groupe CRCE. M. Frédéric Marchand et Mme Colette Mélot applaudissent également.)

Mme la présidente. La parole est à M. Roger Karoutchi, sur l’article.

M. Roger Karoutchi. L’essentiel a été dit. Je retiens des propos de l’excellente présidente Éliane Assassi qu’il est grand temps qu’un texte de loi majeur intervienne sur le respect de l’enfant. Nous attendons tous une loi plus protectrice que les lois actuelles. L’exécutif doit se saisir du sujet et faire en sorte qu’on n’attende pas ce texte encore des mois, voire des années.

S’agissant des contingences internes au Parlement, j’entends qu’on puisse vouloir créer une nouvelle délégation.

Le rapport que j’avais rédigé avec l’excellentissime Alain Richard, à l’époque membre du groupe socialiste, soulignait le climat de contrainte budgétaire, la présidence du Sénat ayant très logiquement décidé de réduire les moyens de fonctionnement de l’institution et de ne plus créer de postes supplémentaires d’administrateurs. Nous avions demandé que le travail des commissions, des délégations et des groupes d’études soit remis à plat, afin de voir ce qui pouvait être regroupé pour que les moyens du Sénat soient essentiellement tournés vers l’extérieur.

Mme Garriaud-Maylam a évoqué un rapport excellent sur l’alimentation en 2050. Ce thème a trait au réchauffement climatique et aux conditions d’un changement du monde rural d’ici à trente ans. Aucune commission permanente ne peut le traiter. Pourtant, il faut s’y préparer dès aujourd’hui et faire des propositions, d’où le rôle de la délégation à la prospective.

On peut travailler sur les droits de l’enfant sans forcément créer de délégation, notamment via les groupes d’études internes aux commissions. Je ne crois pas qu’il faille nous opposer sur ce sujet dans l’hémicycle.

En réalité, c’est au Gouvernement de prendre la main. Qu’il prépare un texte de loi plus protecteur sur le droit des enfants, qu’il le fasse voter au Sénat et à l’Assemblée nationale, et nous aurons tous progressé ! (Applaudissements sur des travées du groupe Les Républicains.)

Mme la présidente. La parole est à Mme Laurence Rossignol, sur l’article.

Mme Laurence Rossignol. Je suis toujours étonnée de constater à quel point l’association des mots « droits » et « enfants » provoque des inquiétudes, des crispations et à quel point l’idée que les enfants aient des droits bouscule les certitudes des adultes, l’organisation sociale et la représentation que chacun se fait de sa place dans l’organisation de la société.

Je rappelle que les droits de l’enfant passent d’abord par la satisfaction de ses besoins fondamentaux, qu’ils soient affectifs, physiques, cognitifs ou éducatifs.

C’est aussi la question du respect de l’enfant. Nous n’avons pas seulement besoin de lois pour protéger les enfants, nous avons besoin de politiques globales pour que les enfants grandissent, s’épanouissent et deviennent des adultes citoyens et responsables.

Je connais ces crispations, car je les observe depuis plusieurs années dans cet hémicycle.

Je n’ai pas oublié que, lorsque nous avons envisagé pour la première fois une mesure abolissant les châtiments corporels sur les enfants, en 2016, le Sénat a saisi le Conseil constitutionnel pour la faire annuler.

Je n’oublie pas non plus que la majorité des amendements que nous proposons, qui portent sur la parole de l’enfant, le droit de l’enfant à être entendu pour les décisions le concernant, le droit de l’enfant à participer à son orientation scolaire et, finalement, le droit de l’enfant à choisir ce qu’il peut choisir en fonction de sa maturité ne sont jamais très bien acceptés dans cet hémicycle.

Même si nous ne sommes pas d’accord avec ces arguments et que nous ne plierons pas pour autant, nous pouvons comprendre que l’on s’oppose à ce texte pour une question de moyens : la création de cette nouvelle délégation exigerait trop de temps, trop de fonctionnaires… En revanche, les autres arguments qui ont été avancés ne me semblent pas recevables. Quand on explique que les droits de l’enfant sont déjà traités par la commission des affaires sociales, la commission de la culture et de l’éducation ou la commission des affaires étrangères, c’est contre-productif, car cela met justement en lumière le découpage des politiques en faveur de l’enfance.

Nous avons besoin d’une approche globale. Sur ce point, le Sénat n’est pas beaucoup plus responsable que les gouvernements successifs, qui ne comprennent même pas systématiquement un ministère chargé de l’enfance. En refusant aujourd’hui la création de cette délégation, vous confirmez, mes chers collègues, la précarité de la politique globale de l’enfance. (Applaudissements sur des travées des groupes SOCR et CRCE.)

Mme la présidente. La parole est à Mme Éliane Assassi, sur l’article.

Mme Éliane Assassi. Je vous rassure, madame la rapporteure, je n’ai pas d’hallucinations, mais je ne savais pas qu’allaiter protégeait les enfants des souffrances et des maltraitances, comme vous l’écrivez à la page 7 de votre rapport !

Je savais bien, à l’issue des travaux de la commission, que notre proposition de loi ne serait pas adoptée aujourd’hui, en particulier à la demande de la majorité sénatoriale. Pourtant, beaucoup d’arguments qui ont été avancés ne sont pas recevables – cela a d’ailleurs été démontré par plusieurs orateurs lors de la discussion générale.

Pourquoi croyez-vous, mes chers collègues, que l’ONU somme notre pays d’améliorer la manière dont il met en œuvre la convention internationale des droits de l’enfant ?

Mme Éliane Assassi. Pourquoi, monsieur Bonhomme ?

M. Jean-Raymond Hugonet. Pourquoi lui ? (Sourires sur des travées du groupe Les Républicains.)

Mme Éliane Assassi. Parce que la France ne fait pas assez d’efforts pour comprendre, prévenir et combattre les injustices et les violences que subissent les enfants.

Est-il vraiment nécessaire de rappeler que tous les cinq jours, dans notre pays, un enfant meurt des suites de violences qui sont le plus souvent commises au sein de la famille ? Cet après-midi même, alors que nous débattons, au moins deux enfants subissent un viol. (Exclamations sur des travées du groupe Les Républicains.) Cela ne vous interpelle-t-il pas un peu ?

M. François Bonhomme. Ce n’est pas la question !

Mme Éliane Assassi. Si, c’est la question !

M. Jean-Raymond Hugonet. Mais on est où là ?

Mme Éliane Assassi. Car quand et où parle-t-on de ces sujets au Sénat ou à l’Assemblée nationale ?

Créer une délégation aux droits des enfants enverrait évidemment un message fort. Le législateur accompagnerait ainsi les préconisations du Défenseur des droits et des associations qui ont interpellé ce matin même le Président de la République sur la nécessité de mettre en œuvre des solutions concrètes pour mieux appliquer la CIDE dans notre pays. Ni les associations ni le Défenseur des droits ne sont des législateurs – nous le sommes !

De quoi avez-vous donc peur, mes chers collègues ? Que le groupe communiste demande la présidence de cette délégation ? Nous vous la laissons ! Que cette instance coûte cher au Sénat ? Personne n’y croit ! Qu’elle désorganise l’agenda du Sénat ? Franchement, si c’est ce que vous croyez, je vous invite à supprimer toutes les délégations qui existent aujourd’hui !

M. François Bonhomme. Tout dans la nuance !

Mme Éliane Assassi. Au fond, rejeter cette proposition de loi n’est rien d’autre qu’un choix politique. Nous en prenons acte ! (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE. – Mme Martine Filleul applaudit également.)

Mme la présidente. La parole est à M. François Bonhomme, sur l’article.

M. François Bonhomme. Je voudrais répondre aux arguments qui ont été avancés pour justifier la création d’une délégation aux droits des enfants.

Tout d’abord, même si, à entendre certains, on pourrait presque croire le contraire, il est évident que personne ne conteste le fait que la question des enfants est primordiale.

Ensuite, je ne crois pas que certains d’entre nous seraient crispés et obtus, tandis que d’autres seraient détendus et perspicaces. Je crois simplement que la multiplication des instances en tout genre – comités, organismes, hauts conseils, offices… – n’est pas en soi le gage d’une amélioration de la manière dont nous traitons les sujets. Cela rend simplement les choses indigestes comme un plat de lasagnes ! Ce n’est pas une délégation supplémentaire qui arrangera les choses dans ce domaine.

Il nous faut revenir aux fondamentaux. Nous nous interrogeons souvent pour savoir comment améliorer le travail parlementaire. Roger Karoutchi et Alain Richard, qui se sont penchés sur cette question, ont fait preuve de discernement et de rationalité pour nous éviter, je les cite, la polysynodie – j’ai appris à cette occasion que cette expression faisait référence à un système de gouvernement par conseil instauré en France du temps de la Régence. La conclusion des travaux de nos collègues était que nous ne devions pas multiplier les organismes ni externaliser le travail parlementaire, au risque de nuire à son efficacité.

Finalement, les débats du type de celui que nous avons aujourd’hui ne servent qu’à multiplier les propos généraux, les considérations globales, les grandes déclarations et les hyperboles. Ils ont un effet inverse à celui qui est affiché, en jetant une sorte de voile sur la véritable question, si bien que ceux qui nous regardent pourraient considérer que créer une structure nouvelle apporte réellement une solution.

Je crois justement que nous devons nous méfier des symboles. Il me semble que c’est Mme Assassi qui disait que la création de cette délégation marquerait symboliquement les trente ans de la convention internationale des droits de l’enfant. Il est certain que nous devons fêter cet anniversaire, mais devrons-nous créer une autre délégation pour ses quarante ans, puis pour ses cinquante ans ? (Exclamations sur les travées du groupe CRCE.) Ce n’est pas cela qui va changer les choses. Le 20 novembre est la Journée de l’enfant ; devons-nous aussi créer une semaine ou un mois de l’enfant ?

Mme Laurence Cohen. C’est une caricature !

M. François Bonhomme. Il faut savoir s’arrêter et se concentrer sur l’essentiel de nos missions : approfondir les voies et moyens pour améliorer les droits des enfants. C’est cette question que nous devons traiter, car elle est tout à fait légitime.

Mme la présidente. La parole est à Mme Joëlle Garriaud-Maylam, sur l’article.

Mme Joëlle Garriaud-Maylam. Je suis également convaincue que nous devons rationaliser le travail parlementaire et diminuer le nombre de délégations, mais je suis vraiment choquée que l’on puisse faire un parallèle entre les droits des enfants et les sujets traités par les délégations existantes. Si l’on n’est pas favorable à la mise en place de délégations, alors il faut examiner et évaluer leur travail et voir si elles peuvent être regroupées ou absorbées par une commission.

La problématique des enfants et de leur intérêt supérieur est extrêmement importante – je dirais même qu’elle nous dépasse ! Les enfants sont l’avenir, et nous devons dès aujourd’hui préparer cet avenir. Les femmes, dont il a beaucoup été question, forment 50 % de l’humanité, les enfants 100 % !

L’honneur du Sénat est donc de voter en faveur de la création de cette délégation. Je trouve qu’il est très grave, sur un sujet aussi essentiel, de se gargariser de belles paroles, de lire de beaux discours tout préparés, de faire des effets de manche !

Je le redis, il serait vraiment à l’honneur du Sénat de voter cette proposition de loi. Elle nous est demandée, elle n’a pas beaucoup de conséquences en termes de coût ou de temps, mais elle porte sur quelque chose de fondamental. Je suis extrêmement triste d’entendre des collègues dire qu’ils se moquent que ce soient le Défenseur des droits et les Nations unies qui nous demandent ce geste.

Ce soir, j’ai presque honte d’être sénateur ! (Exclamations sur des travées du groupe Les Républicains. – Mmes Laurence Cohen et Christine Prunaud applaudissent.)

Mme Laurence Rossignol. Venez siéger avec nous !

Mme la présidente. La parole est à M. le président de la commission.

M. Philippe Bas, président de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et dadministration générale. Je suis embarrassé de vous dire qu’en matière de protection de l’enfance je ne me sens pas moins légitime que d’autres, puisque je suis l’auteur de la loi de 2007. Cette loi, votée à l’unanimité, vise justement à lutter contre la maltraitance et à la prévenir pour faire en sorte que nous n’ayons plus tous ces enfants qui souffrent en secret et en silence pendant des années avant d’être pris en charge et protégés.

Fort de cette expérience, je peux vous dire, chère Joëlle Garriaud-Maylam, que l’honneur du Sénat n’est pas d’avoir le fétichisme des structures, c’est de faire en sorte que les enfants soient protégés.

M. Philippe Bas, président de la commission des lois. Le lien automatique que vous semblez faire entre une délégation sénatoriale aux droits de l’enfant et l’amélioration de la protection de l’enfance n’existe pas. (Applaudissements sur des travées du groupe Les Républicains.)

Mme Joëlle Garriaud-Maylam. Ce n’est pas cela !

M. Philippe Bas, président de la commission des lois. Il existe d’autant moins que notre charge de travail actuelle et l’ordre du jour du Parlement montrent à quel point l’organisation entre les commissions permanentes, les délégations et les autres instances du Sénat ne laisse guère de temps pour multiplier délégations et instances – vous êtes sénatrice, ma chère collègue, vous le savez fort bien.

Nous devons éviter les structures qui travaillent en apesanteur, en roue libre et où l’on cause à n’en plus finir sans agir. N’oubliez pas que ces délégations n’ont pas de rôle législatif – seules les commissions permanentes en ont un.

Si vous étiez capable de nous démontrer que le Sénat n’a pas à cœur la protection de l’enfance,…

Mme Éliane Assassi. Ce n’est pas seulement une question de protection, c’est une question de droits !

M. Philippe Bas, président de la commission des lois. … ne défend pas les droits de l’enfant et n’a jamais pris la moindre initiative dans ce domaine et si nous étions convaincus par cette démonstration, alors peut-être pourrions-nous nous dire qu’il faut organiser les choses autrement. Cela ne serait d’ailleurs pas une raison suffisante pour créer une énième délégation qui n’aurait ni substance ni moyens de travailler.

Mes chers collègues, arrêtons d’utiliser des mots grandiloquents. Il n’y a pas, d’un côté, ceux qui défendent sincèrement les enfants quand ils sont menacés et, de l’autre, ceux qui ne le font pas. Nous pouvons être pleinement engagés en faveur des droits de l’enfant – c’est mon cas – et trouver dans le même temps que la création de cette délégation serait inopérante. À mon avis, une telle délégation n’apporterait rien, et nous avons déjà passé beaucoup trop de temps sur cette question. (Applaudissements sur des travées du groupe Les Républicains.)

Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Raymond Hugonet, sur l’article.

M. Jean-Raymond Hugonet. Je remercie le président Philippe Bas de ses paroles sereines et équilibrées. Chacun connaît la qualité des débats qui ont lieu dans cet hémicycle, mais, à entendre certains propos, on pourrait croire qu’il existe un camp contre un autre.

Mme Éliane Assassi. C’est le cas !

M. Jean-Raymond Hugonet. Non, ce n’est pas le cas !

La question des droits de l’enfant est évidemment importante, et je n’autorise personne à dire que nous ne les respecterions pas. Dans cet hémicycle, tout le monde les respecte et il nous faut finalement trouver les meilleurs moyens de les faire appliquer effectivement – les démonstrations du président de la commission des lois et de la rapporteure, Muriel Jourda, étaient très claires sur ce point. Nous sommes ici pour écrire la loi et être efficaces ; une délégation supplémentaire ne va rien changer de ce point de vue.

Permettez-moi de dire une dernière chose. Je ne voudrais pas non plus que, dans cet hémicycle, nous passions notre temps à montrer notre pays du doigt – j’entends cela trop souvent. Les organisations internationales sont parfaitement louables, mais elles n’ont pas de leçon à donner à un pays comme la France ! (Applaudissements sur des travées du groupe Les Républicains.)

Mme la présidente. La parole est à Mme Christine Prunaud, sur l’article.

Mme Christine Prunaud. Mon cher collègue, sur toutes nos travées, nous sommes persuadés de l’importance de la défense des droits des enfants.

M. Philippe Bas, président de la commission des lois. Merci, madame !

Mme Christine Prunaud. Pour autant, il est intéressant de faire le parallèle entre notre débat et la création, il y a vingt ans, de la délégation aux droits des femmes.

Rappelons-nous que la création de cette délégation a été une chose difficile à obtenir et que les arguments de l’époque étaient les mêmes que ceux utilisés aujourd’hui par certains d’entre vous : à quoi va-t-elle bien servir, puisque les autres instances travaillent déjà sur ces questions ? Or chacun sait que la délégation aux droits des femmes est très utile, elle est un lieu de réflexion et de contrôle. Grâce à elle et à votre concours à tous, nous avons fait avancer les droits des femmes.

J’ai toujours beaucoup d’espoir, et je crois que nous pouvons nous rejoindre. D’ailleurs, des sénateurs appartenant à des sensibilités politiques différentes se sont déjà exprimés en faveur de la création d’une délégation aux droits des enfants, à laquelle je suis également favorable.

Au sein de la délégation aux droits des femmes, nous avons travaillé de manière transversale sur des sujets divers : les mariages forcés, l’excision, les violences… La future délégation aura le même rôle de réflexion sur la question des droits fondamentaux des enfants.

Chacun reconnaît qu’il faut être plus incisif sur cette question. Nous pensons que le meilleur moyen pour cela est de créer cette délégation. Madame la rapporteure, vous avez dit que nous y travaillions déjà ; je crois que nous pourrions le faire davantage grâce à cette délégation.

Mme la présidente. La parole est à Mme Laurence Cohen, sur l’article.

Mme Laurence Cohen. Je ne crois pas que certains de nos collègues se désintéressent de la problématique des droits des enfants.

M. Stéphane Piednoir. Heureux de l’entendre !

Mme Laurence Cohen. Nous devons simplement réfléchir ensemble sur la meilleure façon de faire avancer cette cause.

Je trouve très bonne l’idée de notre collègue Roger Karoutchi d’inciter le Gouvernement à se saisir de cette question et à déposer un projet de loi. Je la soutiens à 200 % ! Pour autant, cela ne doit pas nous interdire de réfléchir de notre côté à la manière d’améliorer notre propre façon d’intervenir, d’autant que chacun peut constater des défauts importants en la matière.

J’ai entendu plusieurs collègues parler de protection ou de vulnérabilité des enfants. C’est évidemment un sujet, mais ce n’est pas le seul. Les droits des enfants vont bien au-delà de la seule question de leur protection. La convention internationale des droits de l’enfant met d’ailleurs l’accent sur la question des droits fondamentaux des enfants. Je ne sais pas si nous devons recevoir des leçons de tel ou tel organisme, mais, en tout cas, nous devons nous inspirer des expériences internationales pour faire progresser les droits, que ce soit ceux des enfants ou ceux des femmes.

Par ailleurs, j’ai entendu des arguments qui ne me convainquent pas sur les prétendus coûts, pesanteurs ou dépenses d’énergie qu’entraînerait une telle délégation. Je trouve que ces arguments sont bien petits par rapport à notre rôle de législateur. Surtout, si on va par là, il faut aller jusqu’au bout et reconnaître que certaines missions d’information n’ont pas beaucoup d’intérêt, alors même qu’elles mobilisent des moyens et de l’énergie.

Mme Éliane Assassi. Et que dire des groupes d’amitié !

Mme Laurence Cohen. C’est donc vraiment un faux argument.

Si le Sénat ne crée pas une délégation aux droits des enfants, il loupera clairement une occasion d’avancer. Je suis persuadée qu’il y a une spécificité que nous n’abordons pas aujourd’hui en tant que législateur, ce qui est tout à fait dommage.

Mme la présidente. La parole est à M. Jacques Bigot, sur l’article.

M. Jacques Bigot. Je n’avais pas l’intention de prendre de nouveau la parole, puisque je me suis exprimé lors de la discussion générale pendant dix minutes au nom de mon groupe. C’est l’intervention du président de la commission des lois qui me conduit à réagir. Cette intervention nous a montré combien il était difficile pour quelqu’un qui est l’auteur, en tant que ministre, de la loi de 2007, loi qui est globalement saluée, d’arriver à justifier un avis défavorable à la création d’une délégation parlementaire aux droits des enfants.

La question que nous devons aborder quand nous parlons des droits des enfants, c’est celle de leur mise en œuvre, et nous ne devons pas réfléchir uniquement en termes de protection. En effet, selon la convention internationale des droits de l’enfant, que nous avons ratifiée en 1990, l’enfant est titulaire de droits.

Une délégation parlementaire permettrait de nous faire réfléchir sur toute une série de domaines liés aux droits des enfants. Je pense, par exemple, à l’autorité parentale : les parents organisent les choses au nom du droit à l’enfant et certains disent que la bonne solution est la résidence alternée, mais diverses questions se posent. Comment s’organiser concrètement ? Comment la justice doit-elle auditionner les enfants sur ce type de question ? Comment l’enfant peut-il faire valoir ses droits et être représenté en justice ? Est-il vraiment facile pour un adolescent de 14 ans de changer de lieu de vie tous les huit jours ? Certes, nous le vivons un peu en tant que sénateurs, mais, pour nous, c’est un choix…

Je pense aussi à l’instruction, puisque le Comité des Nations unies estime que nous ne sommes pas complètement au point.

Je pense enfin à la loi Blanquer, qui a prévu la formation des enfants au droit et à leurs droits – c’est d’ailleurs un point utile en termes de citoyenneté.

Une délégation aux droits des enfants pourrait aborder ces sujets différemment et dans de meilleures conditions que les commissions permanentes, qui font plutôt un travail légistique.

Mon cher collègue Hugonet, notre travail n’est pas seulement de faire la loi, nous devons aussi contrôler l’action du Gouvernement et le fonctionnement de la République. Or celle-ci a l’obligation, depuis trente ans, de respecter les droits des enfants !

Mme Éliane Assassi. Très bien !

Mme la présidente. La parole est à Mme Marie Mercier, sur l’article.

Mme Marie Mercier. C’est justement parce que Philippe Bas était ministre chargé de la famille en 2007 qu’il est sensible à la question des droits des enfants. Il m’a d’ailleurs confié il y a deux ans la responsabilité de travailler sur la question des violences sexuelles sur mineurs ; pendant six mois, nous avons organisé cent cinquante auditions et nous avons conclu que, si des dispositions législatives existaient bien, elles n’étaient pas toujours bien connues et appliquées.

J’ai également été rapporteur de la loi Schiappa ; nous avons ainsi modifié la définition du viol, ce qui est un apport important de ce texte.

Je me suis alors demandé, en l’absence d’une délégation parlementaire ad hoc, que faire de plus et comment faire connaître tous ces travaux à l’extérieur du Sénat. Je me suis donc rendue dans les dix-sept intercommunalités de mon département pour relater nos travaux et expliquer que les violences sexuelles peuvent se produire dans tous les milieux et à tout moment et que l’important est donc d’y être sensibilisé pour pouvoir alerter les personnes compétentes à temps.

C’est notre rôle de porter cette parole dans les territoires, notamment lorsqu’il s’agit d’un sujet aussi grave et difficile. Expliquer ce qui peut se passer à l’intérieur des familles n’est pas toujours agréable, mais il faut le faire. J’ai par exemple participé à une table ronde il y a trois semaines à Chalon-sur-Saône avec plus de cent professionnels et représentants d’associations. Notre rôle est donc aussi d’expliquer sur le terrain qu’il faut prévenir les violences. Cette prévention est essentielle, car, quand on légifère, il est malheureusement trop tard. (Applaudissements sur des travées du groupe Les Républicains.)

Vote sur l’ensemble

Article unique
Dossier législatif : proposition de loi tendant à la création de délégations parlementaires aux droits des enfants
Explications de vote sur l'ensemble (fin)

Mme la présidente. Avant de mettre aux voix l’article unique constituant l’ensemble de la proposition de loi, je donne la parole à Mme Laurence Rossignol, pour explication de vote.

Mme Laurence Rossignol. Il n’y a pas, dans cet hémicycle, ceux qui aiment les enfants et ceux qui ne les aiment pas, ceux qui s’intéressent à leur sort et ceux qui les négligent.

M. Guy-Dominique Kennel. À vous écouter, si !

Mme Laurence Rossignol. Néanmoins, le vote qui va avoir lieu dans quelques instants révélera que nous n’avons pas la même approche de cette question.

Ceux qui vont repousser cette proposition de loi ont une approche des droits de l’enfant qui est limitée à l’aspect de protection. Or, dans la convention internationale des droits de l’enfant, comme dans l’esprit de Janusz Korczak, il y a des droits, et pas uniquement la protection. Vous connaissez peut-être Janusz Korczak : médecin pédiatre, il dirigeait un orphelinat à Varsovie et, pendant la Seconde Guerre mondiale, il a protégé les enfants du ghetto et les a accompagnés jusqu’à la chambre à gaz ; on peut dire que c’est l’un des pères fondateurs des droits de l’enfant.

Parmi les droits de l’enfant, on peut en fait distinguer la protection, les prestations et les libertés. Vous soutenez les droits liés à la protection et vous n’adhérez pas aux droits liés aux libertés.

M. Guy-Dominique Kennel. C’est n’importe quoi !

Mme Laurence Rossignol. Si vous adhériez à cette approche globale des droits de l’enfant – protection, prestations et libertés –, vous voteriez la proposition de loi et feriez en sorte que les choses se passent bien ensuite en termes d’organisation.

Par ailleurs, le Sénat a mis en place une délégation aux entreprises ; il peut bien le faire pour les droits de l’enfant !

Mme Laurence Rossignol. J’ai écouté les propos de Marie Mercier sur la manière dont elle essaye de promouvoir dans son département ce que fait le Sénat, mais, personnellement, j’aurai bien du mal à expliquer à l’extérieur de notre assemblée que nous avons une délégation aux entreprises et que nous refusons de créer une délégation aux droits de l’enfant ! (Applaudissements sur les travées des groupes SOCR et CRCE. – Mme Joëlle Garriaud-Maylam applaudit également.)

Enfin, je voudrais revenir sur quelque chose qui a été dit à plusieurs reprises. Oui, la délégation aux droits des femmes s’occupe de sujets qui pourraient relever de celle aux droits de l’enfant, mais nous le faisons justement, parce que celle-ci n’existe pas et que, si nous ne le faisons pas, personne ne le fera ! Pour autant, il serait quand même beaucoup plus sain pour le fonctionnement de cette assemblée que les femmes ne soient pas obligées de s’occuper des questions sur les enfants ! (Mme Éliane Assassi marque son approbation.) Ne nous renvoyez pas encore et encore à cette répartition des tâches que vous semblez continuer d’admettre !

Mme la présidente. Il faut conclure, chère collègue !

Mme Laurence Rossignol. Si vous estimez que nous devons continuer, c’est que vous nous faites confiance. Si c’est le cas, faites-nous confiance pour toutes les propositions que la délégation aux droits des femmes formulera à l’avenir ! (Applaudissements sur les travées des groupes SOCR et CRCE.)

Mme la présidente. Personne ne demande plus la parole ?…

Je mets aux voix l’article unique constituant l’ensemble de la proposition de loi.

Je vous rappelle que le vote sur l’article unique vaudra vote sur l’ensemble de la proposition de loi.

J’ai été saisie d’une demande de scrutin public émanant du groupe communiste républicain citoyen et écologiste.

Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l’article 56 du règlement.

Le scrutin est ouvert.

(Le scrutin a lieu.)

Mme la présidente. Personne ne demande plus à voter ?…

Le scrutin est clos.

J’invite Mmes et MM. les secrétaires à constater le résultat du scrutin.

(Mmes et MM. les secrétaires constatent le résultat du scrutin.)

Mme la présidente. Voici, compte tenu de l’ensemble des délégations de vote accordées par les sénateurs aux groupes politiques et notifiées à la présidence, le résultat du scrutin n° 39 :

Nombre de votants 342
Nombre de suffrages exprimés 339
Pour l’adoption 90
Contre 249

Le Sénat n’a pas adopté.

Explications de vote sur l'ensemble (début)
Dossier législatif : proposition de loi tendant à la création de délégations parlementaires aux droits des enfants
 

7

Pour répondre à l’urgence climatique par le développement ferroviaire : promouvons les auto-trains et les Intercités de nuit

Débat organisé à la demande du groupe communiste républicain citoyen et écologiste

Mme la présidente. L’ordre du jour appelle le débat, organisé à la demande du groupe communiste républicain citoyen et écologiste, sur le thème : « Pour répondre à l’urgence climatique par le développement ferroviaire : promouvons les auto-trains et les Intercités de nuit. »

La parole est Mme Éliane Assassi, pour le groupe auteur de la demande.

Mme Éliane Assassi, pour le groupe communiste républicain citoyen et écologiste. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, nous abordons, sur l’initiative de mon groupe, la question du maintien et du développement des auto-trains et des trains de nuit. Alors que l’accord de Paris doit s’appliquer dès 2020, il nous semble utile de revenir sur les outils concrets permettant à la France de respecter les engagements qu’elle a contractés pour elle-même.

Notre pays peine à atteindre les objectifs de réduction de 27 % de ses émissions à l’horizon de 2028 par rapport à leur niveau de 2013 et de 75 % d’ici à 2050.

Selon les bilans de l’Observatoire climat-énergie des ONG, les objectifs de la stratégie nationale bas-carbone n’ont pas été atteints depuis 2016.

Les émissions de gaz à effet de serre ont dépassé, en 2017, de 6,7 % le budget que l’État s’était fixé. Le dépassement était de 4,5 % en 2018.

Le secteur des transports, qui représente environ 30 % de ces émissions, a dépassé de 12,6 % son budget carbone en 2018. Cela, alors même que les objectifs de report modal sont à la traîne. Ainsi, le résultat de 2018 pour le report modal du transport de marchandises est en recul de 23 % sur l’objectif, avec seulement 10,9 % de parts de marché.

On voit bien la tendance qui se dessine, c’est celle d’une politique nationale du tout-routier et du tout-aérien, reléguant le ferroviaire au rang de parent pauvre des politiques publiques. Il s’agit pourtant d’un outil écologique et sécure de maillage des territoires, apportant une réponse aux besoins de mobilité de nos concitoyens.

Monsieur le secrétaire d’État, au-delà de ces chiffres abstraits, il y a une réalité, celle d’une planète inhabitable et d’une humanité condamnée par l’augmentation des températures à un niveau supérieur à 2 degrés. Nous devons réagir ! Les marches pour le climat en France et dans le monde, l’action judiciaire engagée contre la France par une jeunesse outrée de tant d’inconséquence devraient nous faire réfléchir. La dernière tribune d’experts parue dans Le Monde nous y exhorte, d’autant que les changements pourraient être plus rapides que prévu.

Le Président Macron appelait au « make our planet great again », mais toutes les politiques menées sont à contre-pied de ces objectifs, puisqu’elles cassent les services publics, qui sont pourtant des outils extraordinaires pour la transition écologique et, singulièrement, pour le service public ferroviaire. La SNCF, dont l’État est l’unique actionnaire, se perd ainsi depuis des décennies dans une stratégie du tout-TGV et de la rentabilité à tout prix, sacrifiant ses autres activités jugées trop peu rentables : le fret, l’auto-train et les Intercités.

La logique de casse du service public est bien toujours la même : segmentation, externalisation et socialisation des pertes. On asphyxie le service public en le rendant inopérant et marginal pour l’abandonner ensuite ou le céder au privé au motif de sa dégradation et de son inadéquation avec la demande.

Le fret a été dépecé, au gré des différents plans d’entreprise, le comble étant aujourd’hui le renoncement à la ligne Perpignan-Rungis. Une démonstration, s’il le fallait, que la concurrence ne peut être l’alpha et l’oméga des politiques, publiques puisque le marché ne reconnaît pas l’intérêt général, ne s’intéressant qu’au profit immédiat. Le marché ne pense pas le temps long, il est dans le rendement immédiat. Il est donc incapable de répondre aux enjeux écologiques de développement du fret ferroviaire.

J’avais interpellé l’ancien président de la SNCF sur l’arrêt du service auto-train. Là encore, le scénario est le même. En trente ans, le service a perdu 80 % de trafic et les trains auto-couchettes ont totalement disparu, résultat d’une politique coupable de rétraction de l’offre.

Les possibilités de substitution promues par l’entreprise – le transport des voitures par camion ou leur acheminement par la route avec un chauffeur – sont un véritable contresens au terme duquel la SNCF devient elle-même pourvoyeuse de solutions routières ! Monsieur le secrétaire d’État, nous vous demandons a minima un engagement sur le maintien des installations pour permettre la reprise de cette activité prisée par certains publics, tels les seniors ou les motards.

Enfin, sur la question particulière des trains Intercités, la situation est différente. En effet, l’État a ici, en tant qu’autorité organisatrice, une responsabilité particulière, justifiée par l’intérêt de ces lignes en termes d’aménagement du territoire.

Alors qu’il existait plus de soixante lignes de trains Intercités au début des années 2000, les différents gouvernements, aidés par la SNCF, ont taillé dans l’offre. Aujourd’hui, il ne reste que six trains Intercités de jour et deux trains Intercités de nuit. Pourtant, l’offre continue d’être sabotée par les bugs informatiques constants, les travaux et les suppressions de dernière minute. On a ainsi constaté, en 2017, 47 % de déprogrammations sur le Paris-Irún. Le taux d’occupation de l’ordre de 47 % apparaît, dans ces conditions, un exploit, qui pourrait largement être dépassé.

Mme Borne annonce comme un succès un investissement de 30 millions d’euros pour rénover le matériel, faute de le remplacer. Pourtant, les sommes accréditées dans le cadre du compte d’affectation spéciale sont en diminution de 47 millions d’euros. Comment comprendre ce discours ? Pis, nous craignons, au regard de la faiblesse des investissements, le non-remplacement des sièges inclinables, ce qui serait dramatique pour l’attractivité du train de nuit. Nous attendons sur cette question des engagements fermes de la part du Gouvernement.

Notre groupe a déposé et fait adopter, dans le cadre de la loi d’orientation des mobilités (LOM), un amendement engageant le Gouvernement à étudier le déploiement des trains de nuit. Cet amendement, voté ici, au Sénat, a été conservé à l’Assemblée nationale, ce qui signifie qu’il s’agit d’un objectif largement partagé.

Les usagers sont eux aussi très attachés à ce service, comme en témoigne le succès de la pétition « Oui au train de nuit ! », qui a recueilli plus de 160 000 signatures. Cette pétition demande la mise en chantier de quinze lignes nationales de nuit et de quinze lignes internationales à l’horizon de 2030. Une perspective qui permettrait, selon les estimations de l’association à l’origine de la pétition, d’économiser l’émission de 1,5 million de tonnes de CO2.

Les trains de nuit présentent de nombreux avantages.

Ils sont peu énergivores ; l’avion émet quatorze à quarante fois plus de CO2 que le train. Ainsi, sur les 164 millions de passagers aériens, 86 millions pourraient, avec une offre à la hauteur, se reporter sur les trains de nuit.

Ce mode de transport répond également aux enjeux de lutte contre la pollution aux particules fines, qui tue chaque année 48 000 personnes.

Peu coûteux, ce « report modal » sur le réseau classique a l’avantage d’être beaucoup moins onéreux que les projets sur les lignes à grande vitesse. Il est peu gourmand en artificialisation des sols, ce qui signifie une faible perte de biodiversité. Comme il utilise les lignes existantes, il permet directement d’arriver en centre-ville.

Il constitue un outil utile d’aménagement du territoire, notamment grâce aux liaisons transversales et à la possibilité d’une desserte fine.

Par son prix attractif, il permet de lutter contre les fractures sociales.

Pourtant, aujourd’hui, les analyses « officielles » sur ce mode de transport lui sont largement défavorables. Elles sont partielles et partiales. Il est injuste de pointer spécifiquement le déficit de cette offre. Le déficit du train de nuit est de 18 euros par voyageur sur 100 kilomètres. En comparaison, le déficit Intercités de jour est de 23 euros, quand celui des TER avoisine les 30 euros. Et je ne vous parle même pas des gouffres financiers de certains projets de TGV !

Par ailleurs, ce manque de rentabilité est à relativiser : la route coûte elle aussi très cher et même plus cher ! Ainsi, les chercheurs de l’université technique de Dresde ont évalué récemment ces dépenses à 50,5 milliards d’euros pour la France. Toujours selon cette étude, le coût des accidents de la route serait de 16,8 milliards d’euros en 2018.

À cela, il faut ajouter des dépenses globales des administrations de 15,2 milliards d’euros par an, dont 12,9 milliards d’euros pour les collectivités locales. Et je ne parle pas non plus de toutes les aides fiscales aux chargeurs routiers et autres exonérations de TICPE !

Quant à l’avion, celui-ci bénéficie d’un traitement de choix : subventionnement des aéroports régionaux et kérosène détaxé, ce qui représente pour le budget un coût de 3 milliards d’euros.

Le choix de l’abandon du rail sous toutes ses formes est donc un choix politique, celui du désengagement de l’État des secteurs clefs de l’économie au profit d’un système ubérisé et d’une économie libéralisée.

Nous sommes aujourd’hui dans un marché des transports structuré non pas autour des besoins des usagers et des territoires, mais autour de politiques marketing fondées sur le développement des offres low cost et, donc, sur le dumping social et environnemental. Une situation qui, vous l’avouerez, porte des risques lourds pour la sécurité des usagers et des personnels.

Nous appelons donc très directement le Gouvernement à changer de braquet. L’État doit prendre ses responsabilités. Premièrement, parce qu’il est l’actionnaire unique de la SNCF. Deuxièmement, parce qu’il lui revient, en sa qualité d’autorité organisatrice, d’affecter de nouvelles ressources à cette offre. Cela passe par un certain nombre de propositions sur lesquelles je n’ai pas le temps de m’étendre. Je pense que la France est confrontée à de nombreux enjeux et défis en la matière. Nous attendons, monsieur le secrétaire d’État, je l’ai dit, des engagements concrets dès maintenant. (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE, ainsi que sur des travées du groupe SOCR. – Mme Josiane Costes applaudit également.)

Mme la présidente. La parole est à Mme Patricia Morhet-Richaud.

Mme Patricia Morhet-Richaud. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, je tiens à remercier nos collègues du groupe CRCE pour la tenue de ce débat sur le thème : « Pour répondre à l’urgence climatique par le développement ferroviaire : promouvons les auto-trains et les Intercités de nuit. » En tant que sénatrice des Hautes-Alpes, l’un des derniers départements desservis par un train de nuit, ce sujet me tient particulièrement à cœur et suscite bon nombre d’interrogations. Il faut dire que le Paris-Briançon fait figure de dinosaure tant il est resté depuis de nombreuses années en dehors de toute modernisation du réseau, en dehors de toute réflexion d’ensemble, qu’il s’agisse d’aménagement du territoire ou de moyen de transport sûr et efficient.

Après avoir été ringardisés, à l’heure des réseaux à grande vitesse et de la réduction des temps de trajet, les trains de nuit pourraient-ils être sauvés par l’argument du dérèglement climatique ? Le Paris-Cerbère, le Paris-Latour-de-Carol et le Paris-Briançon pourraient-ils finalement être les moyens les plus sûrs, les plus économiques et les plus écologiques de relier les territoires et la capitale ? Je le pense, et nous sommes d’ailleurs un certain nombre d’élus et d’usagers à partager ce point de vue. Pourtant, à ce stade, difficile d’être audible quand chaque passager coûte à l’État, quand le modèle économique est obsolète, quand le matériel roulant est inadapté, quand la fréquence est aléatoire et quand l’ouverture à la réservation se fait parfois de plus en plus tard.

La SNCF voudrait dissuader les usagers des trains de nuit Intercités qu’elle ne s’y prendrait pas autrement ! Pourtant, force est de constater que ces trains affichent souvent complet, notamment le week-end et en période de vacances scolaires, par exemple. Ils correspondent à un certain type de clientèle. Si, sur d’autres périodes, les Intercités de nuit sont moins fréquentés, c’est que l’offre pourrait sans doute être améliorée.

À l’heure des mouvements en faveur du climat et des initiatives pour limiter l’usage du transport aérien, responsable, je vous le rappelle, de 10 % des émissions de gaz à effet de serre, je n’ai pas senti de réelle volonté d’inscrire les trains de nuit dans la durée, au-delà du sursis de dix ans qui a été annoncé. Ils sont maintenus, faute d’alternative, mais ne bénéficient pas d’un engouement de la part de la puissance publique. Par exemple, en 2021, le Paris-Briançon sera remplacé par des autocars pendant plus de six mois, alors qu’un itinéraire de substitution aurait pu être envisagé s’il avait été jugé prioritaire. Mais, entre l’État, les régions et SNCF Réseau, la coordination est parfois délicate. Je déplore cette situation, vécue localement comme une véritable injustice.

S’agissant des auto-trains, de nombreuses destinations ont été fermées faute d’un modèle économique adapté et, surtout, faute d’une volonté de mettre sur les rails des centaines de véhicules plutôt que d’encombrer les routes et de mettre des actes en adéquation avec des déclarations.

En préparant mon intervention, j’ai tenté à plusieurs reprises de simuler un auto-train vers les gares qui apparaissaient comme desservies. Eh bien, c’est impossible ! La SNCF me propose des chauffeurs, des camions, mais aucun train ! Des wagons porte-automobiles ne pourraient-ils pas être associés aux trains de nuit pour rétablir ce service de fret ?

Des solutions techniques existent. J’ai rencontré récemment un porteur de projet d’une navette ferroviaire autonome qui pourrait répondre aux besoins des lignes d’importance locale.

L’État a perdu la main en matière ferroviaire, comme le prouvent ses tergiversations sur l’étoile ferroviaire de Veynes et son incapacité à faire plier SNCF Réseau.

Monsieur le secrétaire d’État, quels moyens l’État va-t-il mettre en œuvre pour pérenniser les trains de nuit ? A-t-il l’intention d’accompagner les initiatives qui pourraient être prises localement en faveur du train de nuit ? (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains, SOCR et CRCE.)

Mme la présidente. La parole est à M. Olivier Jacquin.

M. Olivier Jacquin. Monsieur le secrétaire d’État, vous souvenez-vous du magnifique slogan de la SNCF pour inciter les voyageurs à prendre les trains de nuit ? « Laissons la nuit nous transporter » ! Ce slogan, qui était vraiment très beau, a été supprimé il y a quelques années, en même temps qu’un grand nombre de trains de nuit.

Désormais, il ne reste plus que quelques lignes, passées à la moulinette de la rentabilité. Or comment un train pourrait-il être rentable si les calculs intègrent l’amortissement des coûts de création de l’infrastructure ? Trouvez-moi un train rentable dans ces conditions ! Et expliquez-moi ce qu’est un service public « rentable » ! Ce discours insidieux est entré dans nos têtes grâce à la contribution des rapports réguliers de la Cour des comptes. Parlons plutôt « efficacité de l’argent public » et « service rendu » ! C’est ça, le service public !

C’est au nom de ce dogme de la rentabilité qu’a été supprimé, il n’y a pas très longtemps, le Paris-Nice, dont le taux d’occupation était pourtant de 56 %, ce qui prouve que ce train n’était pas vide et qu’il rendait service. Aujourd’hui, la SNCF propose, pour le remplacer, une gamme de TGV, dont le premier arrive après midi. Si vous êtes pressé, il ne vous reste qu’à prendre l’avion, qui, comme vous le savez, ne paye pas la pollution qu’il provoque.

Les trains de nuit ont été tués par la concurrence des autres modes de transport, mais aussi par la SNCF, laquelle est, depuis plus de trente ans, confrontée à une injonction paradoxale, celle de devoir investir dans le meilleur réseau de TGV du monde tout en étant soumise à la baisse de la dépense publique.

La SNCF, pour sa survie, s’est spécialisée sur le voyageur, la grande vitesse et le périurbain, privilégiant les secteurs où le transport peut être massifié.

La SNCF, pour sa survie, a aussi tué, en plus des trains de nuit, les Intercités, le fret, les petites lignes. Elle les a tués comme on sait tuer un service public : il suffit de dégrader l’offre et de ne plus entretenir le matériel. Après quoi, vous ne pouvez franchir le mur de l’investissement, car les aides vous sont refusées au nom du principe de réalité.

En plus, la SNCF a été contrainte de faire des économies importantes sur l’état du réseau, au prix de la sécurité.

Le ferroviaire est une industrie de réseaux, avec un coût de création de l’infrastructure absolument considérable. Pour être efficace et faire diminuer les prix unitaires, le rail a besoin que l’on y circule. C’est une industrie dont le rendement est croissant.

Les régions l’ont démontré : par le cadencement, en mettant plus de trains sur une ligne, on fait baisser les prix unitaires. Pour être efficace et pas cher, le rail a besoin d’une offre variée, qui entraîne une utilisation maximale, de jour comme de nuit, avec des usages complémentaires, voyageurs et marchandises, même s’ils sont quelquefois contradictoires et demandent un arbitrage.

Il ne faut pourtant pas rêver, les temps ont changé. J’entends beaucoup de nostalgiques, amoureux du ferroviaire, se souvenir des escapades qu’ils faisaient dans un pays étranger quand ils étaient étudiants, dans une grande liberté et à un tarif accessible. Nous sommes en 2019. Les dérégulations ont opéré, et l’heure est aux hôtels moins chers, aux cars Macron, aux avions low cost et au TGV.

Pourtant, le train de nuit n’est pas mort ! Prenons l’exemple du Paris-Venise, opéré par Thello, dont l’activité a connu une progression significative ces deux dernières années. Prenons le cas de l’opérateur autrichien ÖBB, qui a réussi à conceptualiser une offre internationale, moderne, avec un modèle économique apparemment profitable. Regardons aussi la Suède, l’Écosse ou nos voisins suisses, exemplaires du point de vue ferroviaire.

Monsieur le secrétaire d’État, je l’ai déjà signalé, le défaut majeur de la LOM, c’est de ne pas avoir intégré le principe du pollueur-payeur, de ne pas avoir remis chaque mode de transport dans son champ de pertinence en intégrant les externalités négatives, les obligations de la transition énergétique. Le texte a été voté en 2019, il était indispensable de le faire !

Imaginons que, demain, la vérité des prix soit rétablie sur le coût complet et le coût écologique des modes de transport. Avec son efficacité énergétique incomparable, le rail et les trains de nuit auront alors un bel avenir. Laissons la nuit nous transporter ! (Applaudissements sur les travées des groupes SOCR et RDSE.)

Mme la présidente. La parole est à Mme Josiane Costes. (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE.)

Mme Josiane Costes. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, l’un des objectifs du plan Massif central envisagé par Valéry Giscard d’Estaing en 1975 consistait en un désenclavement de la région. Las, nous connaissons la suite des événements sur la politique ferroviaire et les réformes territoriales.

En 1980, le Cantal pouvait compter sur trente trains au départ d’Aurillac, deux trains de nuit pour Paris par Brive et Clermont-Ferrand et deux trains directs vers Paris, ainsi que des trains de neige au départ de Périgueux, Brive, Limoges et Cosne-Cours-sur-Loire. En 2019, seuls subsistent quinze trains au départ d’Aurillac, avec deux changements, aucun n’assurant une liaison directe vers la capitale, et seulement un train de neige au départ de Brive.

La dégradation de la qualité du service sur la liaison Paris-Aurillac est particulièrement représentative du long désengagement de l’État concernant l’entretien des infrastructures ferroviaires existantes. Dans les années 1970, le Capitole permettait, avec une correspondance à Brive, de rejoindre Aurillac en cinq heures trente au départ de Paris. Désormais, il en faut sept, soit quatorze heures aller-retour, avec deux changements. En 2003, le gouvernement Raffarin a supprimé les trains de nuit, qui permettaient encore d’effectuer l’aller-retour en une journée. L’année suivante, tous les trains directs entre Paris et Aurillac ont également été supprimés.

Dès lors, dans ce cas de figure, le droit à la mobilité se résume à une offre ferroviaire défaillante, une première autoroute à près d’une heure trente du chef-lieu du Cantal, des départementales limitées à 80 kilomètres-heure, une seule nationale soumise à la même limitation et une liaison aérienne qui a connu retards et annulations avant de s’améliorer.

Ce déclassement organisé a eu pour résultat une déprise démographique du Cantal, dont la préfecture a perdu 4 000 habitants en dix ans.

Certes, cette situation catastrophique n’est pas spécifique à mon département, bien qu’il soit l’un des plus enclavés de France. En 2000, la SNCF a supprimé 300 points d’arrêts sur les soixante-sept trains de nuit qui circulaient encore tous les jours.

L’abandon par l’État et la SNCF de l’ambition que l’on pouvait porter pour nos territoires a frappé l’ensemble des trains d’équilibre du territoire (TET), mais aussi d’autres petites lignes. Il a éteint les espoirs de nos concitoyens, qui ne peuvent se satisfaire de logiques comptables.

Ce « recentrage » de l’offre, pour parler en langage technocratique, sur les derniers trains d’équilibre du territoire considérés comme structurants est mortifère pour la ruralité. Huit seulement ont été préservés, dont deux trains de nuit, d’autres lignes seront reprises par les régions, sans que l’on sache pour combien de temps. Leur fréquentation avait certes baissé et l’insuffisante rentabilité constituait l’excuse parfaite à ce sabotage. Encore fallait-il se pencher sur la véritable cause : le manque d’investissements consacrés aux infrastructures causait de multiples retards, décourageant, une fois de plus, les voyageurs.

Tous gouvernements confondus, ces décisions laissent un goût amer à la ruralité, qui ressent une volonté de délaisser les liaisons peu rentables, les amenant à l’agonie pour provoquer leur fermeture.

En ce qui concerne les auto-trains, après une réduction progressive de l’offre – cela débute toujours ainsi –, la SNCF prévoit déjà leur suppression d’ici à la fin de l’année, sans l’annoncer explicitement sur le site de réservation, tout en proposant le recours à un chauffeur. Je m’interroge sur les vertus écologiques de cette décision.

Lors de la publication du rapport que j’ai commis, relatif à la contribution du transport aérien au désenclavement et à la cohésion des territoires, il m’a été reproché de faire la promotion de l’aérien au détriment des autres modes de transport. C’est méconnaître la réalité de l’enclavement, ainsi que mes engagements en faveur du retour de nos dessertes ferroviaires, qui restent prioritaires. Ce sont les fermetures successives des lignes de train vers les grandes villes que compte notre pays, ainsi que la dégradation de celles qui subsistaient, qui ont rendu vital le recours à l’avion.

Pour certains endroits de notre pays, face à une demande de mobilité existante et une offre maigre, que ce soit à titre personnel ou professionnel, la seule réponse est la diversification de l’offre ferroviaire. C’est la raison pour laquelle, bien que cela ne soit pas dans l’air du temps, je souscris aux propositions de nos collègues visant à promouvoir l’auto-train et les trains de nuit. En l’absence de maintien de ces services, c’est le report du train vers la route ou l’avion qui est soutenu, pour ceux qui pourront encore se déplacer.

L’urgence climatique implique un recours accru à des moyens de transport moins émetteurs de gaz à effet de serre, mais elle requiert plus d’équité pour rassembler efficacement, car la ruralité adhère à nos objectifs environnementaux si on lui donne la possibilité d’opérer la transition.

N’opposons pas les moyens de transport lorsqu’il ne peut y avoir de report modal en l’état actuel des infrastructures ferroviaires. En ce qui concerne le mode aérien, sa transition écologique doit également être accompagnée.

Le groupe du RDSE ne peut qu’apporter son soutien aux auteurs du débat, bien qu’il ne s’agisse que d’une partie de la réponse à un problème bien plus large, celui du droit à la mobilité et à un aménagement très équilibré de notre territoire. (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE.)

Mme la présidente. La parole est à M. Frédéric Marchand.

M. Frédéric Marchand. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, notre débat de ce soir est, une fois encore, l’illustration que chemin de fer et récit national sont intimement liés. Le rail a apporté une contribution éclatante à l’aménagement de notre territoire national, du nord au sud et de l’est à l’ouest.

En 2017, en lançant les Assises de la mobilité, le Gouvernement a initié une refonte sans précédent de la politique des transports avec l’objectif d’améliorer la mobilité de tous les Français, sur tous les territoires. Ces assises se sont prolongées l’an dernier par l’examen de la loi d’orientation des mobilités. Il a donné lieu, dans cet hémicycle, à des débats riches, sans tabou, visant une seule et même priorité : la mise en place d’un modèle, d’un cercle vertueux qui sera profitable aux usagers, aux entreprises ferroviaires, à l’État, aux collectivités territoriales et à l’aménagement du territoire et, surtout et encore, à la transition écologique.

Nous prolongeons aujourd’hui ce débat autour de la situation des trains de nuit et de l’auto-train.

Nous le savons, les trains Intercités sont une catégorie résiduelle, entre grande vitesse et transport express régional. En effet, ces trains ne sont pas des TGV, car ils ne dépassent pas 200 km/h et circulent sur le réseau classique. Assurant des relations de moyenne et longue distance, ils ne sont pas non plus des TER, lesquels sont en principe chargés des dessertes locales dans le périmètre d’une région.

Leur périmètre n’a cessé de se réduire, à la mesure du développement des deux autres activités. C’est d’abord la conséquence du développement du réseau à grande vitesse, qui, depuis une trentaine d’années, a peu à peu dominé la stratégie de la SNCF en matière de grandes lignes, concentrant, en ce domaine, les investissements en infrastructures, en matériel roulant, en stratégie commerciale et d’image. Toutefois, cette marginalisation est aussi à mettre en regard du développement du transport régional, qui, depuis une dizaine d’années, bénéficie pour sa part de l’implication des autorités organisatrices régionales et de leurs investissements.

Circulant à la fois sur le réseau des grandes lignes et sur des portions du réseau ferré d’intérêt local, les trains Intercités doivent s’adapter à leurs disparités d’électrification : dix-huit lignes, soit plus de la moitié de celles qu’ils empruntent, ne sont que partiellement, voire pas du tout électrifiées.

Enfin, les trains Intercités sont particulièrement touchés par le retard de rénovation du réseau ferré classique, qui a longtemps pâti de l’allocation prioritaire des investissements aux projets de lignes nouvelles à grande vitesse. Ces éléments font que les trains Intercités ont aujourd’hui une fréquentation globalement faible, avec un parc de trains assez obsolète.

Il résulte de tous ces écueils que l’activité Intercités, de jour comme de nuit, n’occupe qu’une place minoritaire par rapport aux autres activités de transport de voyageurs de la SNCF. Elle est de plus en plus fortement concurrencée par le développement croissant des voyages et par de nouvelles solutions de covoiturage.

Les trains de nuit, tels qu’ils ont existé dans le paysage ferroviaire français, connaissent aujourd’hui une fin de cycle. En 2015, la commission parlementaire Duron relative aux TET d’avenir mettait en lumière que ce service n’était plus soutenable : il ne répondait plus aux besoins des voyageurs, engendrant de fait une forte baisse de la fréquentation et une augmentation importante du déficit financier.

Ainsi, le gouvernement précédent a fait le choix d’un recentrage de l’offre de TET de nuit sur les lignes dont le caractère d’aménagement du territoire a été jugé essentiel au regard des populations desservies et du manque ou de l’absence d’une offre de transport alternative.

En septembre 2018, lors d’un déplacement en train de nuit dans les Hautes-Alpes, la ministre Élisabeth Borne a réaffirmé que le train de nuit a un avenir, car il constitue une bonne solution pour l’accessibilité des territoires et un atout pour le développement économique et touristique. Elle s’est engagée pour la pérennité des deux lignes de nuit existantes, dont la convention d’exploitation sera reconduite au-delà de 2020 et dont on rénovera le matériel pour assurer la robustesse et la sécurité des rames, mais également pour répondre aux demandes légitimes des voyageurs quant à l’amélioration du confort.

À la différence de beaucoup de ses voisins, la France a la chance de compter sur un réseau à grande vitesse qui a beaucoup raccourci les distances et réduit en conséquence le potentiel des liaisons de nuit. Toutefois, une forte attente s’exprime, de la part des territoires, pour un redéploiement de ce service – les interventions de différents orateurs le confirment. Il peut donc être utile de reconsidérer les conclusions de la commission Duron sur l’avenir des trains d’équilibre du territoire, remises en 2015, et d’éclairer, dans ce nouveau contexte, les enjeux et les conditions d’un développement plus important du réseau des lignes de nuit, en cohérence avec le calendrier des travaux de remise en état de l’infrastructure.

Par ailleurs, avec l’avènement d’une catégorie de touristes écoresponsables, on peut imaginer qu’au niveau européen le train de nuit soit envisagé comme une solution de substitution à l’avion.

Abandonné un peu partout en Europe ces dernières années, le train de nuit transfrontalier renaît en Autriche : la compagnie nationale ÖBB développe son réseau depuis 2016. Elle est désormais leader dans l’offre de trains de nuit à travers l’Europe, avec vingt-six lignes, qu’elle opère seule ou en partenariat. Voilà un exemple qu’il serait bon d’étudier finement.

Le Gouvernement propose de remettre un rapport au Parlement d’ici au 30 juin 2020, en s’inspirant notamment des expériences conduites dans d’autres pays pour imaginer un avenir aux trains de nuit. Cette annonce va bien entendu dans le bon sens.

Le service auto-train, proposé par SNCF Mobilités, présente des avantages sur le plan environnemental et en termes de sécurité routière. Toutefois, ce service, qui s’appuyait initialement sur la circulation des trains de nuit, a connu une baisse d’activité considérable depuis une quarantaine d’années. Cette lente agonie a commencé au début des années 1980 avec le développement des autoroutes. Ainsi, en trente ans, le service a perdu 80 % de trafic et son modèle a largement évolué avec la disparition des trains auto-couchettes.

L’érosion progressive du trafic est également liée au développement de la grande vitesse ferroviaire, qui a considérablement renforcé l’intérêt du train par rapport à la voiture pour les destinations desservies par TGV. Cette tendance s’est confirmée au cours des quatre dernières années, qu’il s’agisse du chiffre d’affaires ou du nombre de véhicules transportés, avec une diminution d’activité de 13 % depuis 2013. Une augmentation des prix a été effectuée, mais elle s’est révélée largement insuffisante pour redresser la situation économique de ce service, qui est aujourd’hui fortement déficitaire.

En 2016, l’auto-train a perdu un peu moins de 10 millions d’euros, soit l’équivalent de son chiffre d’affaires. Les charges se rapportant à ce service sont, en effet, fixes pour les trois quarts d’entre elles, alors que l’activité est d’ores et déjà très saisonnière – elle se concentre à 70 % entre juin et septembre. SNCF Mobilités a donc décidé de restreindre le service aux destinations les plus demandées, soit Avignon, Marseille, Toulon, Fréjus et Nice.

La situation de l’auto-train, certes dans le cas d’un marché de niche, illustre les enjeux environnementaux et les contraintes financières du transport ferroviaire.

Pour remplacer ce service de transport de voitures par train, la SNCF entend réorienter ses clients vers un concurrent, une start-up qui propose d’acheminer la voiture jusqu’à son lieu de destination de trois manières différentes : par un conducteur particulier, par un professionnel ou en camion. Pour l’instant, la facturation de ce service est manifestement trop élevée, mais il convient sans doute d’étudier cette piste au regard des nouveaux usages.

À travers le nouveau pacte ferroviaire français, le Gouvernement a montré toute sa détermination à réformer notre système de transport ferroviaire pour le rendre à la fois économiquement efficace, plus performant en matière de qualité de service et essentiel à la réalisation de la transition écologique.

En définitive, nous sommes arrivés à la fin d’un cycle, à la fin de la lente agonie des auto-trains : même si leur bénéfice écologique est indéniable, il faudra sans doute trouver un modèle économique viable pour que ce type de service puisse renaître.

Mme la présidente. Il faut conclure, cher collègue !

M. Frédéric Marchand. Quant aux trains de nuit, ils ne sont plus viables tels que nous les avons connus. Ils ne sont guère empruntés et subissent de plein fouet la concurrence des cars et des solutions de covoiturage. Il est donc urgent d’attendre le rapport du Gouvernement,…

Mme Éliane Assassi. Attendons, attendons !

M. Frédéric Marchand. … qui nous sera remis en juin 2020, pour imaginer un avenir aux trains de nuit. (Applaudissements sur les travées du groupe LaREM, ainsi que sur des travées du groupe UC.)

Mme la présidente. La parole est à M. Guillaume Gontard.

M. Guillaume Gontard. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, avec ce débat, les élus de mon groupe persistent et signent dans leur volonté de porter haut et fort le combat pour le redéploiement des trains de nuit. Il m’est difficile d’intervenir après le très riche propos liminaire de ma présidente de groupe, mais je vais tenter l’exercice…

Je ne développerai pas davantage l’incohérence totale de notre politique des transports, qui favorise encore et toujours la route et l’aérien au détriment du rail tout en prétendant vouloir agir contre le réchauffement climatique et la pollution. J’ajouterai deux arguments pour insister sur le bien-fondé d’une nouvelle offre de trains de nuit.

Mon premier argument est que le train de nuit représente une offre de transport qui n’a pas de concurrence sur les longues distances. Aucune autre offre ne permet à un travailleur résidant dans le sud de la France et travaillant en région parisienne de passer une soirée avec sa famille avant de prendre son train et d’arriver sur son lieu de travail tôt le matin. Les derniers trains, les derniers avions du soir partent entre vingt heures et vingt et une heures ; les premiers trains ne permettent pas d’arriver à huit heures sur son lieu de travail, pas plus que les premiers avions, qui ne décollent pas avant six heures du matin. Pour tous ces travailleurs, la suppression des trains de nuit signifie, ou signifierait, une vie de famille amputée de précieux moments.

Puisque nous parlons des travailleurs, je rappelle que dix millions d’entre eux sont en horaires décalés, dont une grande partie travaille de nuit. Pour tous ces travailleurs, le train de nuit et ses dessertes fines des territoires peuvent représenter une solution de substitution bienvenue et sécurisante par rapport à la voiture.

Monsieur le secrétaire d’État, alors que le gouvernement auquel vous appartenez prépare une réforme du travail de nuit, je vous demande d’être attentif à la mobilité des travailleurs de nuit, véritable enjeu de sécurité routière.

Mon second argument est d’ordre écologique.

Nous voyons apparaître dans nos sociétés un nouveau sentiment : la honte de prendre l’avion. C’est ce que nos amis Suédois, précurseurs en la matière, appellent le flygskam. On les comprend : le bilan carbone du secteur aérien est absolument désastreux. Je rappelle que, pour chaque kilomètre que vous faites en avion, vous émettez autant de CO2 que si vous parcouriez la même distance tout seul dans un petit camion. L’Allemagne, qui augmente les taxes sur l’avion en réduisant la TVA sur le ferroviaire, nous montre l’exemple à suivre pour corriger cette erreur.

Cette honte de prendre l’avion est particulièrement prégnante dans la jeune génération, laquelle est particulièrement sensible aux enjeux climatiques. Pour autant, cette génération est désireuse de voir le monde et, pour partie, elle entretient un rapport différent au voyage. Elle voyage en prenant le temps, en considérant le déplacement comme une part entière du voyage et non comme une translation entre un point de départ et un point d’arrivée. Cette forme de tourisme et de déplacement, qui tente de respecter au maximum notre environnement, doit être encouragée.

Un élan européen de renaissance du train de nuit commence à poindre, en Suède, en Allemagne, en Autriche notamment.

Monsieur le secrétaire d’État, nous vous invitons à porter ce dossier à Bruxelles, à vous coordonner avec nos voisins pour renforcer l’offre intereuropéenne de trains de nuit. Voilà une colonne vertébrale pour renforcer l’offre et assurer une solution alternative à l’avion !

À ce titre, le Gouvernement a promis 30 millions d’euros dans le budget pour 2020. C’est un premier pas bienvenu, mais qui demeure insuffisant pour développer une offre digne de ce nom, notamment aux deux extrémités du spectre voyageur : l’offre de sièges inclinables pour les voyageurs les plus modestes et l’offre de cabines individuelles avec salle de bains pour les voyageurs professionnels pris en charge par leur entreprise.

Parmi les points de détail, j’attire votre vigilance sur l’indigence des offres en ligne de la SNCF : de manière incompréhensible, les trains de nuit n’y sont souvent pas indiqués.

Malgré tous ces handicaps, les trains de nuit qui subsistent en France ont un taux d’occupation de 45 % à 50 %, ce qui est remarquable. Le modèle autrichien nous montre que le seuil de rentabilité des trains de nuit se situe autour d’un taux d’occupation de 60 % ; l’effort à fournir pour y parvenir n’est donc pas énorme.

Une autre aberration doit être corrigée pour développer le train de nuit : elle concerne les droits de péage des petites gares. Aujourd’hui, le train de nuit paie des péages dans chaque gare qu’il dessert. Cette situation n’incite pas à multiplier les arrêts, lesquels sont pourtant indispensables à son bon fonctionnement et à une desserte fine du territoire. Aujourd’hui, la gare d’Austerlitz est la gare la plus chère de France, alors qu’elle accueille beaucoup moins de trains que les autres gares parisiennes. C’est aberrant !

L’État doit inciter SNCF Réseau à déployer une tarification beaucoup plus incitative, voire à proposer un péage inversé, une sorte de bonus « aménagement du territoire » pour rendre attractives les gares des zones urbaines de moins de 200 000 habitants.

Aujourd’hui, la France ne compte plus que deux lignes de trains de nuit encore actives. L’une d’elles me tient particulièrement à cœur : il s’agit – vous l’aurez deviné – du Paris-Briançon. Il faut impérativement assurer la continuité de la ligne : même provisoire, la solution par car est inacceptable.

Vous avez évoqué la possibilité de détourner le tracé pendant les travaux sur le tronçon Valence-Veynes, en 2021, en passant par la ligne Grenoble-Veynes-Gap. Je me réjouis naturellement de l’intérêt que vous portez à cette ligne – nous en avons déjà parlé –, dont je ne doute pas un instant de l’utilité.

Vous le savez, cette option implique d’engager sans tarder les travaux de rénovation de l’étoile ferroviaire de Veynes, pour lesquels le Gouvernement a promis son concours financier. Pourriez-vous saisir l’occasion qui vous est fournie ce soir pour nous préciser le plan d’action et le calendrier du Gouvernement pour la rénovation des lignes Grenoble-Veynes et Valence-Veynes, lesquelles sont absolument vitales pour la desserte des Alpes ? (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE, ainsi que sur des travées du groupe SOCR.)

Mme la présidente. La parole est à M. Jérôme Bignon.

M. Jérôme Bignon. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, l’urgence peut-elle nous imposer la lenteur ? C’est une vraie question.

Le climat est en danger, et c’est peut-être par des déplacements en trains qui ne roulent pas à grande vitesse que nous pourrions contribuer à le préserver. C’est en tout cas la réflexion à laquelle nous invite ce débat.

« Prenez le temps d’aller vite », nous disait la SNCF en faisant la promotion du TGV. Il s’agit effectivement d’une prouesse technologique que le monde nous envie. Le TGV a permis de raccourcir les distances comme jamais : Marseille est à trois heures quinze de Paris, Rennes à une heure trente, Lille à une heure. Avons-nous cependant toujours besoin d’aller si vite ? Le TGV remplit bien sûr un besoin existant, mais est-il systématiquement nécessaire ?

« Le train, l’automobile du pauvre. Il ne lui manque que de pouvoir aller partout », écrivait Jules Renard. La pertinence de ces mots a évolué avec le temps. Son prix a augmenté, mais le train continue de ne pas aller partout : il dessert même de moins en moins de lieux, car, pour aller vite, il n’est pas possible de s’arrêter dans toutes les gares.

Il existe pourtant tout un monde entre les grandes villes françaises. Ce monde, par définition, ne peut pas être desservi par le TGV. Nos territoires ont besoin, en plus des lignes à grande vitesse, de lignes de desserte fine pour permettre à tous de se déplacer. Nous avons besoin d’avoir le choix.

Les trains de nuit pourraient utilement compléter l’offre actuelle. Ils ont le double avantage de desservir plus de gares et de rendre les longs trajets plus agréables et plus commodes. Je suis suffisamment âgé pour le dire : j’ai le souvenir des nombreux trains de nuit que j’ai pris pour aller dans des camps, pour aller en vacances, pour aller skier, pour me déplacer en tant qu’étudiant. C’étaient des aventures assez formidables.

De plus, si nous voulons offrir une véritable solution de substitution à l’automobile, il faut proposer aux Français d’autres modes de transport, pour les grandes ou les moins grandes distances.

Avec l’auto-train, la SNCF parvenait effectivement à « donner au train des idées d’avance » – je cite le slogan qu’elle avait donné à ce service. Ce dernier était, hélas ! insuffisamment connu de nos concitoyens. C’est peut-être pourquoi il n’était pas assez utilisé, alors même qu’il a toute sa place dans le panel des modes de transport. Sa disparition a entraîné une hausse de l’utilisation des automobiles et, donc, des conséquences écologiques négatives.

Nous ne devons pas nous restreindre à une alternative opposant le TGV au transport routier. C’est pourtant ce que semblent privilégier certains en prônant l’interdiction des vols intérieurs.

Monsieur le secrétaire d’État, chaque mode de transport a son utilité. Nous sommes convaincus que les usagers doivent avoir le choix. Nous sommes également convaincus que le prix des voyages doit refléter l’impact écologique, afin que les moins polluants soient les moins chers.

Le train est un moyen de transport d’avenir. De nouvelles technologies sont à l’étude, comme le train à hydrogène : la SNCF a annoncé que les premiers trains de ce type circuleraient en France d’ici à deux ans. En outre, il a beaucoup été question des trains légers, qui sont susceptibles de faire évoluer le seuil de rentabilité des voyages ferroviaires.

Le transport ferroviaire doit continuer de se verdir. En ce sens, nous souhaitons que les services d’auto-train et les trains de nuit puissent de nouveau circuler en France. Pour paraphraser la SNCF, « à eux de nous faire préférer le train » ! (Applaudissements sur des travées du groupe RDSE. – MM. Jean-Paul Émorine et Jean-François Longeot applaudissent également.)

Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Claude Luche.

M. Jean-Claude Luche. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, le train de nuit revient à la mode, paraît-il… Moins polluant que les autres moyens de transport et plus sûr que la voiture ou le bus, il présente beaucoup d’avantages pour des trajets de longue distance. Pourtant, nous sommes quelques-uns ici à pouvoir en témoigner, il y a à peine deux ans, nous redoutions sa suppression définitive. Au reste, nous avions exprimé notre crainte à la ministre, Mme Borne, et elle s’était engagée à maintenir les deux lignes restantes, dont le Paris-Rodez, qui concerne mon département de l’Aveyron.

Cette ligne de train de nuit est notre seule liaison directe terrestre avec Paris. Comme beaucoup d’autres lignes de nuit desservant les villes moyennes, les Millau-Paris et les Villefranche-de-Rouergue-Paris ont été supprimés. Les conséquences sur l’attractivité de ces territoires sont bien visibles. Le train de nuit Paris-Rodez a, lui aussi, failli disparaître ; si elle n’a pas encore disparu, cette liaison est en grande souffrance.

La politique du tout-TGV n’a rien laissé aux trains de nuit.

Le trajet du train de nuit Paris-Rodez, avec les mêmes arrêts, dure une heure de plus qu’en 1956, c’est-à-dire il y a soixante-trois ans : on peine à l’imaginer ! Les wagons ont plus de quarante ans. Le confort de ces trains – certains de mes collègues l’ont rappelé – n’a pas évolué.

Depuis quand n’avez-vous pas vu, lu, entendu une publicité pour le train de nuit français ? Il n’y en a eu aucune depuis longtemps !

M. Jean-Claude Luche. Enfin, même si les travaux sur les voies sont nécessaires, chaque nouveau chantier dissuade un peu plus les utilisateurs, en entraînant des retards et des trajets à rallonge.

Malgré toutes ces difficultés, le taux de remplissage du Paris-Rodez avoisine les 50 %.

Oui, pour nous, Aveyronnais, le train de nuit présente de nombreux avantages ! Il est utilisé depuis longtemps par toutes les générations. Il est le moyen de transport le plus facile et le moins cher pour monter à Paris ou pour descendre au pays. La liaison est directe. On arrive ici en centre-ville, sans être coincé dans les nombreux embouteillages. On ne perd pas une demi-journée ou une journée dans la voiture ou du fait des nombreuses correspondances en passant par Toulouse, Montpellier ou Clermont-Ferrand.

Avec le train de nuit, pas de temps gaspillé ! La formule pourrait être reprise à des fins de communication. Cela étant, comme l’a rappelé Josiane Costes, l’arrêt de quatre heures à Brive soulève un certain nombre de questions…

M. Jean-Claude Luche. On arrive tôt le matin et l’on repart le soir.

Malgré tous ces bons arguments en faveur du train de nuit, un seul parvient à relancer le débat : il serait plus écologique que d’autres moyens de transport.

Monsieur le secrétaire d’État, il devient urgent, comme l’Autriche et la Suède viennent de le faire, de réinvestir dans les trains de nuit et de les promouvoir. On pourrait rouvrir d’anciennes lignes ou imaginer de nouveaux itinéraires en France ou vers l’étranger. Il est plus que nécessaire de moderniser ces trains et d’assurer un niveau suffisant de confort, qu’il s’agisse des sièges inclinables – M. Gontard vient de le rappeler – ou des couchettes.

Une nouvelle clientèle est prête à s’approprier le train de nuit : la demande est là, mais l’offre n’existe pas ou n’est pas adaptée.

Le train de nuit est laissé à l’abandon. Il est en déshérence depuis trop longtemps. Si l’argument écologique pouvait susciter un engouement en sa faveur, nous en serions évidemment les plus heureux : même si ce nouvel essor bénéficierait sans doute à des destinations plus touristiques ou à de plus grandes villes, notre train de nuit Paris-Rodez ne serait plus menacé comme il l’a été durant tant d’années.

En somme, par leurs pratiques et par leur attachement au train de nuit, les Aveyronnais, que je représente ici, faisaient de l’écologie avant la prise de conscience de l’urgence climatique qui est aujourd’hui d’actualité.

Mme la présidente. Il faut conclure !

M. Jean-Claude Luche. Il est temps que le train de nuit soit de nouveau mis en valeur. Monsieur le secrétaire d’État, je compte sur votre volonté ! (Applaudissements sur les travées des groupes UC et RDSE. – M. Jérôme Bignon applaudit également.)

Mme la présidente. La parole est à Mme Christine Lavarde. (M. Jean-Paul Émorine applaudit.)

Mme Christine Lavarde. « Jamais l’État n’a fait un diagnostic complet et apporté une réponse globale aux problèmes du ferroviaire. […] La vraie casse du service public, c’est quand on a près de 20 % des lignes qui sont ralenties par manque d’entretien comme aujourd’hui. La vraie casse du service public, c’est quand on laisse se dégrader la qualité du service dans les trains de nuit jusqu’à ce qu’il n’y ait plus de voyageurs et qu’on arrête ces trains. La casse du service public, c’est de laisser perdurer la situation actuelle ! » Ces mots ne sont pas ceux d’un syndicat du rail, mais ceux d’Élisabeth Borne dans une interview accordée au JDD en février 2018.

En tant que rapporteur spécial du budget des transports, j’approuve ce constat. Il est effectivement urgent d’agir : urgent d’agir pour financer la régénération ferroviaire, urgent d’agir pour moderniser notre aiguillage. Toutefois, au-delà des trains de nuit et des auto-trains, il me semble nécessaire d’élargir le débat pour parler des trains de fret.

Mme Christine Lavarde. Les besoins de transports liés au développement économique devraient augmenter de 30 % à horizon de 2030. À parts modales inchangées, l’augmentation des émissions de CO2 serait alors de 80 millions de tonnes par an.

Le ferroviaire a toute sa place dans la transition écologique à laquelle aspirent nos concitoyens. Aujourd’hui, le transport ferroviaire représente seulement 11 % du transport intérieur de passagers et à peine 10 % du transport intérieur terrestre de marchandises. Pourtant, un train de fret émet seulement 3 tonnes de CO2 et permet d’éviter quarante-cinq poids lourds sur la route, qui, cumulés, représenteraient 44 tonnes de CO2.

Mme Éliane Assassi. Très juste !

Mme Christine Lavarde. En matière de transports, le principe du pollueur-payeur n’est pas complètement abouti. La directrice du pôle fret de la SNCF l’a reconnu devant une mission d’information de l’Assemblée nationale. Elle regrettait notamment que, pour les politiques publiques nationales de subventionnement des modes alternatifs, qui produisent surtout moins d’externalités négatives, la France soit en retrait par rapport à ses partenaires européens. Toutefois, elle notait également des avancées au sujet des péages – elle relevait notamment leur stabilisation.

Très exposées à la conjoncture économique, souffrant de la concurrence routière sur un marché tout de même relativement étroit, les entreprises de fret ferroviaire connaissent toutes des difficultés économiques.

Dans un récent communiqué de presse, le GNTC, le groupement national des transports combinés, s’inquiète des répercussions de la grève du 5 décembre prochain. En effet, au cours de l’année 2019, la progression du fret ferroviaire s’est fortement accélérée – cette hausse est d’un peu plus de 6 %. Or, en 2018, la grève perlée n’avait pas été sans conséquence pour l’activité de fret : cette dernière s’était contractée d’environ 4 %.

Monsieur le secrétaire d’État, quelle réponse le Gouvernement compte-t-il apporter à la demande de service minimum exprimée par le GNTC ?

Au-delà de ce futur immédiat, l’horizon de la filière du fret ferroviaire est nébuleux, faute d’un soutien affirmé et d’une stratégie de développement clairement arrêtée.

Dès lors, je vous pose deux questions.

Premièrement, quel sort sera réservé aux lignes de desserte fine, qui concourent à l’acheminement de 20 % du fret hexagonal ?

Deuxièmement, l’État compte-t-il abandonner aux régions la gestion des lignes capillaires de fret ? Si oui, avec quels moyens ? Très récemment, la région Hauts-de-France est venue en soutien à deux lignes qui auraient dû fermer : la ligne Valenciennes-Quiévrain et la ligne Compiègne-Lamotte-Breuil. Cette dernière ligne, longue de quelque treize kilomètres, évacue divers produits chimiques avec un trafic de l’ordre de quatre à cinq trains quotidiens. Sa pertinence environnementale ne peut donc pas être remise en cause.

Ce soir, nous avons parlé du fret ferroviaire ; mais nous aurions également pu parler du fret fluvial.

En 2007, le Grenelle de l’environnement avait fixé, pour 2020, un objectif de 20 % de parts modales pour les modes alternatifs à la route. À un an de l’objectif, nous n’en sommes qu’à 11 % ! Je vous l’accorde, cet échec ne peut pas être porté au seul débit de ce gouvernement. Mais, aujourd’hui, c’est vous qui avez les moyens pour agir ! (Applaudissements sur des travées du groupe Les Républicains. – Mme Éliane Assassi et M. Olivier Jacquin applaudissent également.)

Mme la présidente. La parole est à Mme Martine Filleul. (Applaudissements sur des travées du groupe SOCR.)

Mme Martine Filleul. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, nombreux sont les débats qui ont eu lieu dans cet hémicycle à propos du transport ferroviaire. Malheureusement, nous dressons toujours le même constat : une offre de service public qui diminue, des infrastructures qui manquent d’investissements et, surtout, un secteur qui souffre face à la concurrence de l’aérien et du routier.

La récente annonce de la suppression des auto-trains en est un exemple supplémentaire. La SNCF se justifie en indiquant que le service est structurellement déficitaire à cause du faible remplissage de ces trains, ce qui entraîne une perte de chiffre d’affaires. Mais il est difficile de se satisfaire d’un argument comptable.

Dans quelques jours, l’auto-train sera remplacé par une start-up qui propose l’acheminement par un chauffeur particulier ou par un professionnel. Cela revient non seulement à ubériser ce service, mais aussi à mettre en circulation des voitures supplémentaires jusque-là acheminées par train. Il s’agit là d’un non-sens pour l’écologie comme pour la sécurité.

Ne faudrait-il pas imaginer d’autres solutions ou remettre au goût du jour des services qui ont existé, mais qui, faute d’avoir pu évoluer, ont disparu alors même qu’ils présentent de nombreux avantages ? Je pense bien sûr aux trains de nuit.

Il est indéniable que ce service devait se réformer et que des améliorations étaient nécessaires ; les trains de nuit présentent néanmoins une double pertinence pour l’aménagement du territoire et pour la revitalisation des centres. Les Intercités de nuit permettraient à la fois de connecter de nombreuses villes situées à plus de quatre ou cinq heures de train de Paris et, surtout, d’assurer des liaisons transversales pour relier les régions distantes.

En l’absence d’une telle offre, les villes moyennes éloignées les unes des autres sont mal connectées entre elles. En effet, les liaisons aériennes entre deux villes moyennes sont rares et onéreuses. En effectuant ces trajets de nuit, on évite également de perdre des heures de travail, ou de vacances, dans la journée.

Ces trains constituent donc une très bonne offre de mobilité, alliant la desserte de l’ensemble des territoires français, notamment les plus éloignés, à un impact énergétique et écologique faible.

Les précédents orateurs l’ont rappelé : partout en Europe, ce moyen de transport économe revient sur le devant de la scène. Avec la vague du flight shame, on assiste à une véritable renaissance des lignes nocturnes. Un opérateur autrichien affirme ainsi avoir doublé ses ventes de billets pour les trains de nuit ces dernières années ; il annonce le lancement de treize nouveaux trains de nuit début 2022. En Suisse, le trafic de nuit a augmenté de 25 % depuis le début de l’année 2019.

Le train de nuit peut également être un complément efficient aux lignes à grande vitesse et pourrait présenter une offre de mobilité touristique attractive. Pour cela, il faudrait bien sûr investir davantage : les 30 millions d’euros promis par le Gouvernement sont loin d’être satisfaisants, sachant que, parmi les différents scenarii proposés par la SNCF, on a choisi l’enveloppe minimale, permettant tout juste de rénover le nombre suffisant de voitures.

Par ailleurs, il faudrait réfléchir à l’articulation entre l’organisation du trafic et les nombreux travaux engagés sur les voies, qui s’effectuent essentiellement de nuit. En outre, et surtout, il convient de se pencher sur la tarification des péages appliqués à ces trains de voyageurs : ils doivent bénéficier des tarifs, moins élevés, en vigueur pour le fret.

De manière générale, pour optimiser les mobilités, ne faudrait-il pas favoriser les trains mixtes, comme les trains auto-couchettes ou les trains de nuit voyageurs-marchandises ?

Pour conclure, je tiens à remercier sincèrement nos collègues à l’initiative de ce débat : il n’est pas acceptable qu’aujourd’hui, dans le domaine des transports, le choix se réduise comme peau de chagrin avec quelques options, onéreuses pour le TGV ou polluantes pour la route et l’avion. L’offre de transports publics doit répondre aux différents besoins, qu’il s’agisse des citoyens ou des collectivités, tout en permettant à chacun de se déplacer de manière écologiquement responsable. (Applaudissements sur les travées du groupe SOCR. – Mme Éliane Assassi applaudit également.)

Mme la présidente. La parole est à M. Jean-François Longeot. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)

M. Jean-François Longeot. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, que de temps perdu ! Alors qu’en 2016 l’État annonçait la suppression de la totalité des trains de nuit, rebasculant ainsi une partie du trafic ferroviaire sur la route via les solutions de covoiturage ou les cars Macron, la priorité qui taraude la Commission européenne, et à laquelle je souscris pleinement, est bien de savoir comment transférer les passagers de la route vers le rail afin de réduire les émissions polluantes.

Si les émissions du secteur des transports représentent actuellement plus d’un quart de l’empreinte carbone totale de l’Union européenne, le train, lui, ne représente que 3 % de ces émissions, quand la route est responsable de plus de 70 %.

Or la Commission, qui devrait prochainement présenter un Green Deal, a identifié les difficultés qui pourraient contrecarrer l’objectif d’un continent neutre en carbone d’ici à 2050.

La première concerne l’état des infrastructures.

En effet, l’objectif de l’Union est de transférer 30 % du transport routier effectuant des distances de plus de 300 kilomètres vers le train et les barges d’ici à 2030 et d’atteindre 50 % d’ici à 2050. Or les infrastructures ferroviaires ne peuvent, en l’état actuel, répondre à une telle hausse du trafic. La preuve en est que, en Allemagne, un train de longue distance sur quatre est maintenant retardé, en partie en raison des problèmes de capacité du réseau ferroviaire allemand. De même, dans leur majorité, les grandes villes sont en difficulté, car les hubs importants tournent à pleine capacité.

Une première réponse consisterait donc à promouvoir les auto-trains et les Intercités de nuit, à l’heure où la demande est croissante, sous l’effet cumulé du prix élevé des billets de TGV et d’une certaine culpabilité liée au flygskam, la honte de prendre l’avion. Les auto-trains et les trains de nuit offrent donc une alternative sérieuse, à laquelle on ne saurait reprocher de ne pas être rentable, car elle ne le sera certainement jamais, comme les deux tiers des dessertes par TGV, qui restent déficitaires. L’intérêt de ces solutions sera, à court terme, d’utiliser le potentiel de capacité des infrastructures, notamment la nuit.

La seconde difficulté identifiée par la Commission européenne concerne les financements.

La suppression de trains Intercités et de trains de nuit a été, en 2016, le résultat malheureux de l’abandon de l’écotaxe, laquelle devait alimenter le budget de l’Agence de financement des infrastructures de transport de France (Afitf). Cet abandon a été à l’origine d’un manque à gagner terrible pour l’État, au détriment de plus de soixante lignes de trains de nuit qui se déployaient alors sur le territoire français.

Dès lors, il nous faut nous donner les moyens de réinvestir dans le rail.

Il est ainsi estimé que quelque 500 milliards d’euros seront nécessaires d’ici à 2030 pour achever les travaux sur les réseaux ferrés transeuropéens. Or les projets ferroviaires ne sont pas attractifs pour les investisseurs privés et exigent donc un financement public beaucoup plus important, ce qui explique que le rail représente 68 % de l’enveloppe de 24 milliards d’euros investis par l’Union depuis 2014 dans les transports.

Au niveau national, vous n’êtes pas sans savoir que la loi d’orientation des mobilités n’est pas à la hauteur des enjeux ferroviaires, en raison d’une programmation au rabais des investissements de l’État dans les transports pour les dix prochaines années par rapport aux préconisations du Conseil d’orientation des infrastructures et d’un manque de sincérité et de crédibilité, dans la mesure où son financement n’est pas assuré. Notre commission avait ainsi proposé, après l’abandon de l’écotaxe, l’affectation intégrale à l’Afitf, chaque année, du produit de l’augmentation de la TICPE ainsi qu’une sanctuarisation de ses ressources.

Le ferroviaire constitue donc une véritable solution pour répondre au défi climatique. Nous en sommes tous ici convaincus. J’ajoute qu’il représente également un véritable enjeu d’aménagement du territoire : la promotion des auto-trains et des Intercités de nuit offrirait à coup sûr des solutions de mobilité accrues – de préférence abordables – à nos concitoyens. (Applaudissements sur les travées du groupe UC. – Mme Christine Lavarde applaudit également.)

Mme la présidente. La parole est à M. Max Brisson. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. Max Brisson. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, ce débat est placé sous l’angle du rapport entre le ferroviaire, plus particulièrement les auto-trains et les trains de nuit, et l’urgence climatique.

Tout le monde est d’accord pour lutter contre le réchauffement climatique, et la France a pris de nombreux engagements, aux niveaux européen et international, dont le but est d’atteindre l’objectif de neutralité carbone à l’horizon de 2050.

Nous partageons, bien sûr, cet objectif. Reste que, loin de nos débats, loin de l’hémicycle, loin des grandes conférences internationales sur le climat, des décisions sont prises qui produisent souvent l’effet exactement inverse à ces grands engagements. Ce fut le cas au cours de ces dernières années avec la suppression des auto-trains et des trains de nuit. Ainsi, dans mon département, la fermeture de la ligne d’auto-train Paris-Biarritz aura remis chaque été plus de 20 000 véhicules sur les routes. Cette mesure va bien à l’encontre de la réduction de l’empreinte écologique.

La suppression de nombreux trains de nuit est également allée à contresens des objectifs affichés. Pour sa défense, la direction de la SNCF a bien laissé entendre que ces trains de nuit étaient vides et que leur exploitation était déficitaire, mais l’Autorité de régulation des transports a rectifié le tir en précisant que le taux d’occupation des trains de nuit était, en 2015, de près de 10 points au-dessus de la moyenne de l’activité des Intercités.

Dans les Pyrénées-Atlantiques, département frontalier de l’Espagne, ces suppressions sont d’autant moins compréhensibles que l’ART avait relevé que la ligne Paris-Hendaye était l’une des plus performantes et présentait, par ailleurs, un fort potentiel de développement, avec la possibilité d’une liaison jusqu’à Irún permettant de rejoindre, à court terme, San Sebastián, puis d’autres villes espagnoles.

De même, à propos de la célèbre Palombe bleue, le Président de la République n’avait-il pas déclaré, lors de son déplacement à Bagnères-de-Bigorre en juillet 2019 : « La Palombe, je l’ai prise plein de fois ! Il faudrait investir ici. »

Monsieur le secrétaire d’État, j’ai bien noté l’évolution de la position du ministère des transports sur les trains de nuit. Mme Borne a indiqué qu’elle partageait l’objectif de dynamiser l’offre de trains de nuit, qui est aujourd’hui trop réduite en France. Je salue cette évolution qui, au-delà de ses objectifs écologiques, contribuera au développement des territoires. Toutefois, le flou demeure sur les moyens de faire revivre l’auto-train et les trains de nuit. Mme Borne a confirmé l’investissement de 30 millions d’euros dans la modernisation du matériel, ce qui devrait permettre, au mieux, de traiter soixante à soixante-dix voitures Corail. Au regard des besoins, c’est fort peu. Il sera tôt ou tard nécessaire de commander du matériel neuf, et cela prendra plusieurs années.

En attendant, pour réduire les coûts de redémarrage des trains de nuit, il serait urgent de prendre des mesures conservatoires pour sauvegarder autant que possible une part plus importante du parc Corail existant. J’ai donc plusieurs questions.

Pour les opérateurs entrants sur ce marché et qui manquent de matériel roulant, allez-vous formuler des propositions ? Si la SNCF peut continuer à utiliser les Corail au-delà de 2026 et de 2030, la législation la place dans l’incapacité de les céder à d’autres opérateurs. Serait-il possible qu’elle les confie aux régions ou à l’État afin que les collectivités les mettent à disposition d’opérateurs ?

Le développement du ferroviaire répond à l’exigence de préserver l’environnement, mais également aux besoins de mobilité des Français. Je vous appelle donc à travailler main dans la main avec les territoires afin de relancer ce mode de déplacement vertueux et utile. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et UC.)

Mme la présidente. La parole est à M. le secrétaire d’État.

M. Jean-Baptiste Djebbari, secrétaire dÉtat auprès de la ministre de la transition écologique et solidaire, chargé des transports. Madame la présidente, mesdames, messieurs les sénateurs, je remercie l’ensemble des membres du groupe communiste républicain citoyen et écologiste d’avoir mis ce débat à l’ordre du jour de votre assemblée. Cela me donne l’occasion, au lendemain du vote définitif de la loi d’orientation des mobilités, de réaffirmer devant vous l’attachement profond du Gouvernement au transport ferroviaire. Il s’agit d’un mode peu polluant, rapide et sûr, dont nous souhaitons le développement au bénéfice de toutes les Françaises et de tous les Français sur l’ensemble du territoire national.

À travers le nouveau pacte ferroviaire adopté en 2018, le Gouvernement est déterminé à réformer le système ferroviaire, pour le rendre plus performant pour les usagers et plus efficace sur le plan économique. Il s’agit de faire plus et mieux, avec une meilleure qualité de service et à moindre coût. Des marges de manœuvre existent, et c’est en gagnant sur ces marges que nous pourrons atteindre nos objectifs en matière de transition écologique.

Soyez assurés que le Gouvernement sera au rendez-vous des engagements pris. Ainsi, 35 milliards d’euros de dette sont repris par l’État dans le projet de loi de finances pour 2020 et progressivement jusqu’en 2022, ce qui représente un effort financier sans précédent.

Faire plus et mieux dans le domaine ferroviaire, cela signifie accepter de faire évoluer ce service public, dans lequel l’histoire et la tradition pèsent particulièrement lourd. Cela pourra, et devra, passer par des transformations parfois difficiles, tant l’attachement des cheminots, des élus et des citoyens à ces services est profond. En tant que membre du Gouvernement, mon devoir est d’accompagner ces changements, en répondant aux craintes et à la nostalgie qui peuvent s’exprimer parfois à juste titre.

Après ce propos liminaire, j’en viens au premier objet de notre débat : le service auto-train. Créé en 1957, il a connu une baisse d’activité considérable et continue depuis une quarantaine d’années.

Malgré l’augmentation des prix réalisée par SNCF Mobilités il y a quelques années pour tenter de revenir à l’équilibre financier, le service est resté fortement déficitaire. En 2016 et 2017, il a ainsi perdu environ 10 millions d’euros, soit l’équivalent de son chiffre d’affaires. Dans ces conditions, SNCF Mobilités a décidé, en 2018, de le restreindre aux destinations les plus demandées : Avignon, Marseille, Toulon, Fréjus-Saint-Raphaël et Nice.

Les résultats de 2019 confirment cette tendance, et le niveau de fréquentation devrait une nouvelle fois baisser pour atteindre moins de 29 000 véhicules transportés.

Ce constat explique pourquoi SNCF Mobilités a pris la décision de mettre un terme à ce service en décembre 2019. Il s’agit d’un choix relevant de la liberté stratégique et commerciale de l’entreprise.

Sur le plan écologique, il convient de nuancer l’impact en termes d’émissions de l’arrêt du service, qui représente 5 000 tonnes de CO2, à comparer aux 75 millions de tonnes produites, par exemple, chaque année par les véhicules légers.

Par ailleurs, tous les usagers de l’auto-train ne seront pas contraints de se reporter vers la route. La loi d’orientation des mobilités, votée hier, permet en effet de démultiplier les solutions alternatives à l’automobile sur les territoires.

Le développement de la grande vitesse ferroviaire, qui est une fierté nationale, et d’autres offres de mobilité, comme le recours accru aux alternatives à la voiture individuelle, ont significativement modifié les habitudes des Français depuis quarante ans. Ainsi, un voyage en auto-train peut aujourd’hui être avantageusement remplacé par un voyage en train de passagers, encore plus écologique, combiné avec une location de voiture en autopartage ou un trajet en covoiturage à l’arrivée.

En bref, les nouvelles formes de mobilité nous invitent à revisiter notre rapport à la voiture individuelle, et l’auto-train était voué à un certain déclin au fur et à mesure que le rapport de nos concitoyens à la propriété de l’automobile évoluait.

Le Gouvernement est attaché à ce que les services ferroviaires, quand ils répondent à un besoin, puissent trouver les conditions qui leur permettent d’atteindre l’équilibre d’exploitation. Ce n’est sans doute plus le cas du service auto-train, qui était utile à nos concitoyens à sa création et encore dans les années 1980, mais qui correspondait de moins en moins à leurs besoins.

S’agissant du sujet des trains de nuit, la dynamique est très différente. Ce mode suscite un fort regain d’engouement depuis quelque temps. Pour commencer, j’aimerais rappeler l’historique récent de ce service et la logique qui a prévalu à la suppression d’un certain nombre de lignes. Ce rappel nous permettra d’aborder sereinement l’avenir pour bâtir des offres en mesure de satisfaire la demande des usagers pour le train de nuit, dont personne aujourd’hui ne conteste l’existence.

En 2015, la commission « TET d’avenir », présidée par Philippe Duron, alors député , a démontré que l’offre de nuit telle qu’elle existait alors, faisant partie des trains d’équilibre du territoire, ne répondait plus de manière satisfaisante aux besoins des voyageurs et présentait un modèle économique très dégradé. Ces lignes se heurtaient alors à de fortes baisses de fréquentation, dues, notamment, au développement des vols intérieurs et de certains TGV, qui rendent possibles des départs tôt le matin et des retours tard le soir, ainsi que de la généralisation d’hébergements bon marché rendant compétitifs un déplacement de jour et une nuit sur place.

Le précédent gouvernement a décidé, en 2015, d’arrêter progressivement le financement de ces lignes, à l’exception de deux lignes d’aménagement du territoire indispensables en raison de l’absence d’une offre alternative suffisante. Il s’agit des lignes de nuit desservant depuis Paris Gap, Briançon, Rodez et Latour-de-Carol, circulant à raison d’un aller-retour quotidien.

Toutefois, avant de prendre cette décision, l’État a souhaité tester les autres opérateurs ferroviaires, en les invitant à proposer, pour leur propre compte, de nouveaux schémas d’exploitation innovants. Un appel à manifestation d’intérêt a été lancé en 2016, mais aucune proposition pertinente n’a émergé. Le gouvernement précédent a donc maintenu sa décision de tarir le financement, restant à l’écoute de propositions qui émaneraient de collectivités territoriales.

C’est dans ce cadre que la région Occitanie a montré son intérêt pour la réouverture de la desserte Perpignan-Cerbère. Un partenariat a été noué avec l’État pour la création, en juillet 2017, d’une nouvelle « antenne » au train descendant dans le sud-ouest afin de desservir les Pyrénées-Orientales le week-end et pendant les vacances scolaires de la zone francilienne. Le déficit de cette « antenne » est financé à parité par l’État et la région Occitanie. Vous le voyez, l’ouverture du Gouvernement pour redonner des perspectives aux trains de nuit existe, en lien avec des projets de territoire.

J’aimerais désormais rappeler les annonces d’Élisabeth Borne, il y a maintenant un peu plus d’un an. Elle a déclaré que le train de nuit avait un avenir, car il constituait une solution adaptée pour l’accessibilité des territoires et un atout pour le développement économique et touristique. Elle s’est engagée sur la pérennité des deux lignes de nuit existantes, sur la reconduction de leur conventionnement au-delà de 2020 et sur la rénovation du matériel roulant pour un montant estimé aujourd’hui à 44 millions d’euros.

C’est une première étape importante dans la reconsidération de ce moyen de transport et, là encore, un signe de la confiance du Gouvernement dans l’intérêt que représente le train de nuit. Je reprends cet engagement à mon compte, et je peux vous assurer qu’il sera tenu.

Au-delà, je suis conscient que les préoccupations de la société, en particulier environnementales, modifient le contexte qui a prévalu jusqu’à présent et qui a permis le maintien d’un noyau de lignes très resserré au nom de l’aménagement du territoire. L’impératif écologique fait émerger de nouvelles perspectives économiques pour les trains de nuit. Les chiffres de fréquentation de l’année 2019 nous encouragent d’ailleurs dans cette voie, notamment chez nos voisins européens, où le train de nuit connaît souvent un franc succès.

Pour ma part, je souhaite partager avec vous la conviction que le train de nuit peut constituer non seulement une offre de transport nécessaire pour répondre à des enjeux forts d’aménagement du territoire, du fait de l’absence d’alternative, mais aussi une offre écologique et sociale pour voyager sur de longues distances.

Dans ce contexte, le rapport annexé à la LOM prévoit que, « d’ici au 30 juin 2020, l’État étudie également le développement de nouvelles lignes de TET, en veillant à son articulation avec le programme de régénération et de modernisation du réseau ferroviaire et en précisant, en particulier, les conditions d’une amélioration de l’offre des trains de nuit au regard de leur intérêt pour répondre aux besoins de désenclavement des territoires les plus éloignés des grands axes de circulation ainsi que de liaisons nationales et intraeuropéennes et pour réduire l’empreinte écologique. Cette étude est transmise au Parlement ».

Je vous confirme que mes services travaillent d’ores et déjà sur cette étude. Je mesure l’attention qu’elle va concentrer, et je me tiendrai personnellement informé de son évolution au cours des prochains mois. L’une des principales problématiques est celle du matériel roulant, qui devra être renouvelé et donc faire l’objet d’un financement.

Un certain nombre d’acteurs, aussi bien des élus que des associations, préconise de s’inspirer du réseau de trains de nuit élaboré par les chemins de fer autrichiens, ÖBB. En effet, ce réseau a repris un certain nombre de lignes de nuit délaissées par les réseaux limitrophes, en particulier en Allemagne. Cet exemple sera donc analysé finement dans le cadre de l’étude. Cependant, je tiens d’ores et déjà à appeler votre attention sur le fait que cet exemple ne peut être transposé tel quel au réseau français.

Tout d’abord, les dessertes de nuit mises en œuvre par ÖBB n’utilisent que des lignes électrifiées, ce qui permet des économies d’exploitation. Or la France comporte plusieurs territoires, comme l’Aveyron et les Hautes-Alpes, qui exigent des dessertes thermiques.

Ensuite, la démographie de l’Europe centrale permet la mise en place de lignes reliant des agglomérations de plusieurs millions d’habitants entre Berlin, Prague, Budapest, ce qui n’est pas le cas chez nous, en raison d’une densité de population plus faible.

Enfin, la France dispose d’un réseau de TGV beaucoup plus étoffé permettant d’offrir des dessertes de jour à longue distance plus efficaces que dans tout le reste de l’Europe.

Il convient donc de considérer les bonnes pratiques qui pourront être transposées et de réfléchir à un nouveau modèle adapté à la France. Ces perspectives feront partie intégrante de la stratégie mise en place par l’État.

Nous étudierons aussi les possibilités de développement du train de nuit à l’international. Il existe déjà un train reliant Paris aux métropoles italiennes de Milan et de Venise notamment. Le secteur privé ne manquera pas d’adapter des services de qualité à une demande commerciale, et je compte bien accompagner favorablement ces démarches.

Mesdames et messieurs les sénateurs, vous le voyez, le Gouvernement est résolument engagé pour l’avenir du train de nuit, qui s’inscrit dans sa politique, résolument tournée vers le ferroviaire en général.

Pour terminer, je voudrais répondre à certaines de vos questions.

Je souhaite vous rappeler d’abord le cadre général du budget qui vient d’être confirmé par le vote de la LOM hier, avec 13,4 milliards d’euros sur l’ensemble du quinquennat. Si l’on ajoute le budget de la LOM et celui des différents programmes budgétaires, 70 % des différents crédits sont donc alloués au mode ferroviaire. J’ai déjà eu l’occasion d’en produire le détail en commission, il y a quelques jours.

Monsieur Gontard, vous m’avez interrogé sur un sujet que nous avons évoqué la semaine dernière. Je vous indique à nouveau que nous lions évidemment les travaux sur le Paris-Briançon à ceux qui sont actuellement à l’étude sur la ligne Nord-Sud entre Grenoble et Gap. À cet effet, la prochaine réunion copilotée par le préfet Dartout se tiendra le 4 décembre, dans le but d’aller vers une solution pérenne qui nous permette de solidifier ces deux axes, notamment l’axe de transport quotidien particulièrement important entre Grenoble et Gap.

Madame Lavarde, vous m’aviez déjà interrogé sur les lignes fines de desserte du territoire, mais je vais faire une réponse générale. J’ai eu l’occasion de recevoir le préfet Philizot ce matin…

M. Olivier Jacquin. Ah ! Où en est son rapport ?

M. Jean-Baptiste Djebbari, secrétaire dÉtat. … dans le cadre des discussions qu’il tient avec les présidents de région. Son pré-rapport m’ayant été remis, je lui avais demandé de les revoir, de manière à mettre en place un plan opérationnel que nous pourrons très rapidement contractualiser avec les régions, en décembre ou en janvier, afin d’entrer dans une phase active et d’utiliser pleinement ce qui est permis par la loi.

Il s’agit notamment de faire émerger des solutions alternatives. Nous avions eu l’occasion de discuter de solutions comme le train léger, qui s’appliquera sur un certain nombre de lignes fines de desserte du territoire dont les capacités sont aujourd’hui relativement faibles et pour lesquelles une régénération économe et du matériel moins coûteux à l’acquisition et l’exploitation me paraissent constituer une solution pertinente.

S’agissant du fret, je lie ce sujet au travail important de régénération qui est déjà entrepris et qui va être encore accéléré. Il y a encore quelque temps les travaux dans ce domaine étaient crédités d’environ 1 milliard d’euros par an, c’est aujourd’hui 3,6 milliards d’euros qui sont engagés par le Gouvernement.

Pour le fret ferroviaire, ces sommes s’ajoutent à l’allocation de meilleurs sillons. Nous avons maintenu, cette année, l’aide au transport combiné, pour 27 millions d’euros. En outre, nous faisons une priorité de l’aménagement des ports et des corridors de fret pour développer leur attractivité, dans le cadre des programmes européens qui ont été mentionnés par certains d’entre vous.

Mesdames Costes et Filleul, vous avez évoqué la complémentarité des modes de transport. C’est un vrai sujet, presque philosophique : certains veulent engager la décroissance d’un mode, l’aérien, au bénéfice d’un autre, le ferroviaire. Cela m’inspire deux observations.

Tout d’abord, je crois parfaitement à la complémentarité des modes de transport, notamment dans les territoires les plus ruraux, comme à Aurillac ou à Limoges. Pour préserver les activités, des lignes, y compris subventionnées, répondent à des demandes qui émanent, notamment, des entreprises.

Ensuite, je crois à des pertinences entre les modes. Le fret ferroviaire, par exemple, peine à attirer de grands distributeurs sur des trajets inférieurs à 400 kilomètres. Nous avons reconstruit, je tiens à le dire, madame Assassi, le train des primeurs, entre Perpignan et l’Île-de-France, et nous avons constaté que les deux tiers de ses marchandises ne vont pas aujourd’hui à Rungis, mais sont réacheminées tout de suite par camion vers les centrales d’achat de la grande distribution.

Il existe bien un domaine de pertinence du fret ferroviaire, mais, sur les distances les plus courtes, les chargeurs se reportent davantage sur les modes de transport directs, parce qu’ils obtiennent des prix qui leur paraissent plus favorables et que les délais de livraison peuvent être tenus.

Il faut vraiment envisager la perspective d’une complémentarité comme une nécessité, mais aussi comme une forme de progrès qui peut être partagée, pour reprendre un des slogans de la SNCF : « Le progrès ne vaut que s’il est partagé par tous. »

Nous pourrons faire advenir dans les années qui viennent le train à hydrogène, la technologie est quasiment mature. De même, dans le secteur de l’aviation, les biocarburants sont aujourd’hui à un niveau de maturité immédiat, et les avions hybridés sont relativement proches, à un horizon de cinq ou sept ans.

Enfin, l’avion à coût carbone nul est probablement plus lointain, mais nous disposons, grâce, notamment, à la filière spatiale, de l’ensemble des blocs technologiques qui nous permettent d’envisager en France un jour une telle aviation. Dans une industrie de construction hautement capitalistique et aujourd’hui très largement duopolaire, pour utiliser un terme technocratique, nous pouvons envisager des perspectives tout à fait intéressantes en termes de croissance et d’emplois.

Telles sont les quelques réponses que je souhaitais apporter à vos questions, en espérant ne rien avoir oublié. Je vous remercie encore du débat que nous avons pu avoir aujourd’hui.

Mme la présidente. Mes chers collègues, nous en avons terminé avec le débat sur le thème : « Pour répondre à l’urgence climatique par le développement ferroviaire : promouvons les auto-trains et les Intercités de nuit. »

8

Ordre du jour

Mme la présidente. Voici quel sera l’ordre du jour de la prochaine séance publique, précédemment fixée à demain, jeudi 21 novembre 2019 :

De neuf heures à treize heures :

Proposition de loi portant diverses mesures tendant à réguler « l’hyper-fréquentation » dans les sites naturels et culturels patrimoniaux, présentée par M. Jérôme Bignon (texte de la commission n° 111, 2019-2020).

À quatorze heures trente et le soir :

Projet de loi de finances pour 2020, adopté par l’Assemblée nationale (texte n° 348, 2019-2020) ;

Discussion générale ;

Examen de l’article liminaire ;

Examen de l’article 36 : évaluation du prélèvement opéré sur les recettes de l’État au titre de la participation de la France au budget de l’Union européenne.

Personne ne demande la parole ?…

La séance est levée.

(La séance est levée à vingt heures dix.)

 

nomination de membres dune commission mixte paritaire

La liste des candidats désignés par la commission des lois pour faire partie de la commission mixte paritaire chargée de proposer un texte sur les dispositions restant en discussion de la proposition de loi visant à agir contre les violences au sein de la famille a été publiée conformément à larticle 8 quater du règlement.

Aucune opposition ne sétant manifestée dans le délai dune heure prévu par larticle 8 quater du règlement, cette liste est ratifiée. Les représentants du Sénat à cette commission mixte paritaire sont :

Titulaires : M. Philippe Bas, Mmes Marie Mercier, Catherine Di Folco, Annick Billon, Marie-Pierre de la Gontrie, M. Jean-Pierre Sueur, Mme Françoise Cartron ;

Suppléants : Mme Muriel Jourda, M. François-Noël Buffet, Mme Jacqueline Eustache-Brinio, M. Loïc Hervé, Mmes Laurence Rossignol, Esther Benbassa, Josiane Costes.

 

Pour la Directrice des comptes rendus du Sénat,

ÉTIENNE BOULENGER

Chef de publication