M. Pierre Ouzoulias. Très bien !

M. Laurent Lafon. C’est ce qu’ont démontré les travaux de nos collègues Nathalie Goulet et André Reichardt, rapporteurs de la mission d’information sur l’organisation, la place et le financement de l’Islam en France et de ses lieux de culte, en suggérant d’améliorer la formation par la création d’un conseil scientifique unique chargé de la définition d’un programme commun, ou en proposant un meilleur financement du culte musulman.

C’est encore ce que le groupe Union Centriste a fait en faisant voter la proposition de loi de notre collègue Françoise Gatel pour mieux encadrer les écoles privées hors contrat. Le sujet n’en était pas moins délicat, bien au contraire !

Mes chers collègues, nous le savons, la voie est étroite entre la nécessité de lutter avec force contre le communautarisme et la radicalisation, et la nécessité tout aussi importante de ne pas se couper de la communauté musulmane,…

M. le président. Veuillez conclure, mon cher collègue.

M. Laurent Lafon. … dont la grande majorité s’inscrit pleinement dans les lois et l’esprit de la République.

M. le président. Il faut conclure !

M. Laurent Lafon. J’en termine, monsieur le président.

Les sénateurs centristes se partageront sur cette question en exprimant des votes différents. (Applaudissements sur les travées du groupe UC, ainsi que sur des travées des groupes Les Indépendants et RDSE. – Marques détonnement sur des travées du groupe SOCR.)

M. le président. La parole est à Mme Sylvie Robert. (Applaudissements sur les travées du groupe SOCR.)

Mme Sylvie Robert. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, il y a de grandes lois auxquelles il ne faudrait jamais toucher, tout du moins en ce qui concerne les valeurs qu’elles portent, comme la loi de 1905 dont les articles 1 et 2 posent les fondements de la laïcité. Selon ces articles, en effet, « la République assure la liberté de conscience » et « ne reconnaît, ne salarie ni ne subventionne aucun culte. »

Malheureusement, il y a aussi des lois opportunistes, mal faites et mal pensées, que l’on est contraint d’examiner : c’est le cas du présent texte.

Vous prétendez vouloir sortir du flou qui entourerait l’accompagnement des sorties scolaires par les mères voilées et combler ainsi un vide juridique qui serait devenu manifeste. C’est faux !

Aujourd’hui, la jurisprudence administrative est claire et limpide : les parents accompagnateurs sont des usagers du service public de l’éducation et, en tant que tels, ne sont pas soumis à l’obligation de neutralité qui incombe aux agents publics et qui dépasse, d’ailleurs, la seule sphère religieuse.

Seulement, ce postulat, pourtant d’une logique implacable, ne vous convient pas. Vous essayez donc de tripatouiller la loi, afin qu’elle entre en résonance avec votre idéologie – pardonnez-moi l’expression, mais je n’en trouve pas d’autres quand je vois le texte de la commission !

En définitive, vous vous retrouvez à élargir le périmètre de l’interdiction en matière de signes religieux ostensibles – qui prévaut en l’état pour les élèves – aux parents accompagnateurs, tout en tendant à les aligner sur le régime applicable aux agents publics, comme le prévoit le premier alinéa de l’article 1er.

Autrement dit, dans une forme de dualité qui s’apparente davantage à une double confusion, vous ne remédiez à aucun flou. En revanche, vous créez un authentique problème juridique.

Alors que vous prétendez venir en aide aux directeurs d’école pour soi-disant les protéger, ne pensez-vous pas qu’il serait préférable de leur proposer un véritable statut – parce qu’ils l’attendent – et de leur témoigner ainsi une reconnaissance légitime ? Il ne me semble pas que votre proposition de loi figure en haut de la liste de leurs priorités ; il me semble encore moins qu’elle faciliterait leur quotidien et leur permettrait d’organiser des sorties scolaires dans l’intérêt supérieur des enfants que, en l’espèce, vous semblez ignorer.

Au fond, les deux questions connexes que nous pose ce texte sont celles de la laïcité et de notre capacité à vivre ensemble.

S’agissant de la première, je souhaiterais d’abord répondre à notre rapporteur, qui, dans une dépêche, a estimé que nous étions un certain nombre à être partisans d’une laïcité « accommodante », alors qu’il représenterait quant à lui une laïcité « intransigeante ». Eh bien, j’affirme que je défends pleinement la laïcité, monsieur le rapporteur, et que je n’ai nul besoin de la qualifier d’« intransigeante » ! (Applaudissements sur les travées du groupe SOCR, ainsi que sur des travées du groupe CRCE.)

Mme Sylvie Robert. En effet, dès lors que l’on commence à lui accoler des épithètes, c’est que l’on s’éloigne de son sens originel et qu’on la vide de sa substance pour mieux y substituer sa propre conception. (Nouveaux applaudissements sur les travées du groupe SOCR. – Protestations sur les travées du groupe Les Républicains.)

Mme Sylvie Robert. Mes chers collègues, la laïcité n’est pas une palette chromatique dans laquelle chacun choisirait sa coloration en fonction de sa sensibilité.

La République a magnifiquement défini la seule et unique laïcité qui existe, c’est-à-dire la possibilité laissée à chacune et à chacun de croire ou de ne pas croire dans un esprit de concorde et de tolérance mutuelle. Robert Badinter l’a récemment présentée comme l’« une des grandes barrières contre le poison du fanatisme, parce que vous reconnaissez l’autre tel qu’il est, comme humain, avec les mêmes droits que vous, quelle que soit sa religion. […] C’est l’autre que je rencontre dans le respect ».

Évidemment, la laïcité interroge avant tout notre rapport individuel et collectif à l’altérité, la manière dont nous parvenons ou non à vivre en société. Elle est cette pierre angulaire sur laquelle repose notre socle commun. Et il est terrible de constater que c’est en son nom, que c’est en l’instrumentalisant que d’aucuns effritent progressivement ce socle et finissent par fragmenter et déliter la communauté nationale !

Immigration, islam, communautarisme, radicalisation, tout est amalgamé, parfois sciemment. Et ce désordre alimenté en permanence empêche de régler les vrais problèmes et dérives qui se font jour, puisque tout n’est que confusion. Arrêtons de tout mélanger et de tout confondre !

Oui, la République a sûrement des territoires à reconquérir, mais il s’agit d’un sujet d’une nature et d’une ampleur tellement différentes et tellement plus importantes que celui qui nous occupe actuellement.

Interdire aux mères voilées d’accompagner des enfants lors de sorties scolaires pourrait se révéler contre-productif et ne fera qu’ériger un fossé entre la République et ses citoyens de confession musulmane. La laïcité exige une éthique de responsabilité. Or, dans le cadre de ce texte, je ne l’aperçois pas.

À l’opposé des fondamentalistes qui prospèrent sur le sentiment d’exclusion, et à l’opposé des identitaires qui ne peuvent accepter une société multiple, nous ne voterons pas cette proposition de loi.

J’en appelle à votre sagesse, mes chers collègues, le Sénat ayant pour tradition de prendre de la hauteur et de viser l’apaisement, surtout dans le contexte actuel. Ne nous trompons pas de combat en faveur de la laïcité, ne nous trompons pas de combat en faveur de la République, ne la desservons pas ! Comme s’exclamait Aristide Briand, nous n’avons pas le droit de faire une loi qui ébranle la République. (Applaudissements sur les travées des groupes SOCR et LaREM, ainsi que sur des travées du groupe CRCE.)

M. le président. La parole est à Mme Françoise Laborde. (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE.)

Mme Françoise Laborde. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, une actualité récente donne à l’examen du texte de notre collègue Jacqueline Eustache-Brinio un écho particulier, dont nous nous serions bien passés.

Cette proposition de loi s’inscrit en fait dans le prolongement de la discussion du projet loi pour une école de la confiance, au cours de laquelle avait été adopté un amendement tranchant la délicate question de la neutralité religieuse des personnes accompagnant les sorties scolaires.

Les députés en ont décidé autrement lors de la réunion de la commission mixte paritaire en supprimant cet amendement, laissant du même coup un vide juridique propice aux polémiques dans lesquelles certains se sont depuis engouffrés.

Tirant les conséquences de cet épilogue, notre collègue a déposé sa proposition loi en juillet dernier. Nous ne pouvions alors imaginer que deux événements médiatiques déclencheraient la frénésie.

Il y a tout d’abord eu la polémique récente autour de l’affiche de la FCPE. Elle a pris à contre-pied nombre d’observateurs qui connaissent bien cette fédération, dont les statuts sont pourtant depuis toujours de nature laïque.

La seconde polémique fait suite à la provocation absurde d’un élu du Rassemblement national, qui ne connaît apparemment ni les règles d’accueil du public dans l’enceinte de sa collectivité ni le droit de cette mère d’élève à accompagner une sortie scolaire en l’état actuel des textes. Cette forme d’humiliation envers une maman devant son enfant est humainement inacceptable !

Si la question de l’expression religieuse des accompagnants de sorties scolaires n’est pas nouvelle, aucune solution concrète n’a jamais été trouvée ni dans la loi ni dans les circulaires Royal ou Chatel encore en vigueur. On le voit bien aujourd’hui, l’insécurité juridique est préjudiciable à tous, et d’abord aux acteurs de l’éducation : enseignants, chefs d’établissement et directeurs d’école.

Malgré la légalité de ces circulaires qui n’ont jamais été abrogées, leur interprétation a varié au gré des déclarations contradictoires de certains ministres. Il revient par conséquent au législateur de lever les contradictions qui persistent, de clarifier la question, et de régler une situation qui aurait dû l’être depuis longtemps, avant qu’elle ne devienne explosive et ne soit instrumentalisée par les extrêmes.

En 2013 déjà, dans un contexte où la laïcité soulevait d’importantes interrogations, le Conseil d’État avait rendu une étude – et non un avis ! – sur saisine du Défenseur des droits, et invité le législateur à clarifier la question que nous examinons aujourd’hui. En vain ! S’appuyant sur un arrêt de 1941, il soulignait que, « entre l’agent et l’usager, la loi et la jurisprudence n’ont pas identifié de troisième catégorie de collaborateurs ou participants, qui serait soumise en tant que telle à l’exigence de neutralité religieuse ».

En 2014, le Conseil d’État a confirmé la spécificité du service public de l’éducation dans son dossier thématique sur le juge administratif et l’expression des convictions religieuses, l’exemple le plus significatif étant celui de la loi du 15 mars 2004 qui impose, à juste titre, une neutralité aux usagers directs du service public de l’éducation, c’est-à-dire les élèves, dans le but premier de les protéger contre toute forme de prosélytisme, à un âge où l’individu se construit. Elle leur interdit de manifester ostensiblement leur appartenance religieuse pendant le temps pédagogique.

Néanmoins, le Conseil d’État souligne qu’il reste paradoxalement possible pour les accompagnants des sorties scolaires de manifester leur appartenance religieuse.

Il nous faut lever cette contradiction, car les activités pratiquées à l’occasion d’une sortie viennent nécessairement en appui des programmes et s’intègrent au projet pédagogique de la classe, comme l’indique la circulaire de septembre 1999.

Pour parvenir à la clarification attendue, il nous faut nous attarder à la fois sur le principe de neutralité et sur la nature de toute sortie scolaire, tout en rappelant quelques évidences.

La notion de neutralité dans le service public de l’éducation nationale s’est construite au fil du temps par la loi et la jurisprudence, et ce depuis Jules Ferry : neutralité des agents, des enseignants et des usagers.

Plus récemment, le 23 juillet dernier, un arrêt de la cour administrative d’appel de Lyon a posé une neutralité plus large des intervenants en estimant : « Ce même principe impose également que, quelle que soit la qualité en laquelle elles interviennent, les personnes qui, à l’intérieur des locaux scolaires, participent à des activités assimilables à celles des personnels enseignants, soient astreintes aux mêmes exigences de neutralité. »

La sortie scolaire, quant à elle, est une activité qui prolonge l’enseignement en classe hors les murs de l’établissement. Elle intervient sur le temps scolaire obligatoire pour l’élève. Elle est organisée par l’enseignant dans un but pédagogique et ne constitue pas une activité de loisir extrascolaire. À ce titre, elle représente bien un prolongement du service public de l’éducation. Sa neutralité, quelle qu’en soit d’ailleurs la nature, doit donc être respectée.

Mme Françoise Laborde. La sortie scolaire repose de son côté sur le volontariat des accompagnants, qui répondent à une sollicitation de l’enseignant. Cette démarche volontaire n’a pas vocation à se transformer en un droit. Le parent accompagnateur s’inscrit donc de jure dans le cadre d’une mission de service public.

Mme Françoise Laborde. Il vient non pas dans le seul dessein d’être avec son enfant, mais bien dans l’objectif d’aider l’enseignant à encadrer toute la classe. Il peut même arriver qu’il participe à la pédagogie de l’activité avec le professeur.

Ce sont autant d’éléments qui fondent la nature juridique de l’accompagnant et qui démontrent que la sortie scolaire s’inscrit dans le prolongement de la mission de service public de l’éducation.

Le texte de la commission, à la suite des nombreuses auditions de notre rapporteur Max Brisson, que je remercie pour son travail, me paraît satisfaisant en ce qu’il soumet les personnels de l’éducation et toute personne participant au service public de l’éducation aux mêmes valeurs, dont la liberté de conscience et la laïcité.

Sa traduction juridique, par l’extension claire et sans ambiguïté du champ d’application de la loi du 15 mars 2004, me paraît de nature à offrir une solution aux problèmes rencontrés par le corps enseignant.

Les membres de mon groupe se prononceront individuellement, en conscience, sur ce texte. Quant à moi, estimant que l’on ne peut pas laisser les directrices et directeurs d’école dans l’insécurité juridique, et suivant mes convictions, je voterai en faveur de ce texte. (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE, ainsi que sur des travées des groupes UC et Les Républicains.)

M. le président. La parole est à M. Antoine Karam. (Applaudissements sur les travées du groupe LaREM.)

M. Antoine Karam. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous voici réunis dans cet hémicycle quelques jours seulement après l’outrance prétendue laïque d’un élu du Rassemblement national, plus soucieux d’agiter le peuple avant de s’en servir que de respecter le droit et les libertés de ses concitoyens.

L’acte discriminatoire passé et la réalité du droit posé, il eût été sage que celui-ci présente publiquement ses excuses. Au lieu de cela, nous avons eu droit aux débats malsains, aux amalgames scandaleux et à un déversoir de haine. Cette polémique ne vise qu’un seul objectif : faire le lit de tous les extrêmes. On ne peut donc que regretter que, en dépit d’un contexte malaisé, le présent débat soit maintenu.

Je l’ai dit en commission et le redis ici : ne pas céder à la provocation est aussi un acte républicain !

Avant d’entrer dans le détail, je dois avouer l’étonnement qui a été le mien quand j’ai vu ce texte proposé par la droite sénatoriale, la même droite qui s’était vivement opposée, il y a deux ans de cela, à l’un de mes amendements tendant à mettre fin à la rémunération des prêtres par la collectivité territoriale de Guyane. (M. Pierre Ouzoulias applaudit.)

Vous en conviendrez, mes chers collègues, notre passion commune pour la laïcité peut décidément avoir des priorités surprenantes.

Monsieur le ministre, vous avez rappelé avec justesse les principes qui régissent la laïcité de notre République.

C’est la liberté de croire ou de ne pas croire, mais aussi l’égalité de tous devant la loi, quelles que soient nos croyances ou nos convictions. C’est aussi la stricte neutralité de l’État à l’égard du fait religieux.

Dans le milieu scolaire, un vade-mecum rappelle avec clarté le cadre de cette neutralité.

Aujourd’hui, aucune loi n’interdit à un adulte qui accompagne une sortie scolaire de porter un signe ostensible de religion, sauf en cas de prosélytisme. En effet, la neutralité religieuse dans les écoles, les collèges et les lycées s’applique seulement aux enseignants, aux employés de la fonction publique et aux élèves.

L’objectif annoncé par les auteurs de ce texte est de clarifier la situation.

Pour ce faire, la proposition de loi crée une nouvelle catégorie de personnes qui « participent » au service public de l’éducation. Or l’étude du Conseil d’État de 2013 affirme que le parent d’élève demeure un usager du service public, y compris lorsqu’il accompagne une sortie scolaire.

En effet, le caractère bénévole de la tâche confiée aux parents accompagnateurs ne permet pas, à mon sens, de les assimiler à des collaborateurs occasionnels.

En revanche, il revient aux chefs d’établissement de prévenir, voire de signaler tout acte prosélyte qui constituerait un trouble à l’ordre public et au bon fonctionnement du service public.

L’état actuel du droit, que certains jugent ambigu, révèle en fait l’équilibre lumineux trouvé par la loi et la jurisprudence pour concilier les principes si exigeants qui fondent la laïcité.

Ce silence sur les signes religieux, Aristide Briand, rapporteur de la loi de 1905, l’explique mieux que je ne pourrais le faire : « Le silence du projet de loi n’a pas été le résultat d’une omission. […] Il a paru à la commission que ce serait encourir […] le reproche d’intolérance et même s’exposer à un danger plus grave encore, le ridicule, que de vouloir, par une loi qui se donne pour but d’instaurer dans ce pays un régime de liberté, […] imposer de modifier la coupe de [ses] vêtements. »

Ainsi, une fois l’État et les Églises séparés, la kippa, le foulard, la croix ou le turban deviennent des accessoires et des vêtements comme les autres, portés par qui le souhaite.

Une fois cela dit, la loi peut toujours évoluer, mais doit-elle régler les convictions intimes qu’elle suppose chez les adultes ? Le pourrait-elle seulement ?

Mes chers collègues, les évolutions du paysage religieux ne doivent pas nous conduire à remettre en cause l’esprit de la loi de 1905. Je crois qu’il nous faut au contraire prendre appui sur ses piliers : la liberté de croire, la neutralité et le non-subventionnement des cultes pour apporter des réponses pragmatiques aux questions nouvelles.

D’ailleurs, ce bel usage qui veut que les enseignants sollicitent des parents pour participer à l’encadrement d’une sortie scolaire s’organise déjà dans le cadre d’un dialogue, d’une relation de confiance entre l’école et ces parents.

Dans cet échange, les enseignants rappellent le cadre laïque de l’école et peuvent inviter les parents à s’y conformer, sans pour autant les y obliger.

De même, il faut le dire, le port d’un signe religieux lors d’une sortie est moins un droit exercé par les parents qu’une tolérance dans le pacte de confiance qu’ils nouent avec l’école. (M. Philippe Pemezec sexclame ironiquement.) À cet égard, la récente affiche revendicatrice de la FCPE me semble tout aussi contre-productive et inadaptée que la présente proposition de loi.

M. Antoine Karam. Nous le savons, dans certaines écoles, l’interdiction du foulard – disons-le, puisque c’est de cela qu’il s’agit – placerait les enseignants dans des situations inextricables au détriment des élèves. Plus grave encore, elle pourrait in fine éloigner certains enfants de l’école publique, lorsque notre priorité commune est justement de ramener tous nos concitoyens vers la République.

Mes chers collègues, ne cédons pas à la tentation de faire de la laïcité un territoire guerrier sur lequel nous lutterions contre le communautarisme.

En la matière, notre assemblée a su, sur l’initiative de notre collègue Françoise Gatel, apporter une réponse législative adaptée pour mieux contrôler les écoles hors contrat. Nous devons aussi travailler à des solutions efficaces pour lutter contre la déscolarisation et mieux contrôler l’enseignement à domicile.

J’entends parler ici de courage de légiférer. Mais le véritable courage ne serait-il pas d’assumer le principe selon lequel la liberté doit être la règle et la restriction de police, l’exception ?

La laïcité léguée par les législateurs de 1905 n’est ni un glaive ni un bouclier. Elle est le cadre au sein duquel il nous faut élaborer les réponses pragmatiques qui, sans être simples, permettent de préserver le vivre ensemble de notre société.

Mes chers collègues, vous l’aurez compris, c’est parce que nous jugeons cette proposition de loi inutile et inadaptée que notre groupe s’y opposera avec fermeté ! (Applaudissements sur les travées du groupe LaREM, ainsi que sur des travées des groupes UC, SOCR et CRCE.)

M. le président. La parole est à M. Jean Louis Masson. (Encore ! sur de nombreuses travées.)

M. Jean Louis Masson. Comme je l’ai dit tout à l’heure, il faut une réponse globale aux dérives communautaristes. À l’évidence, dans ce domaine, le port du voile est un élément emblématique, car, dans certains quartiers, il prend une telle ampleur que l’on en vient à se demander si l’on est encore en France !

Or, si nous en sommes arrivés là, c’est aussi le résultat d’un certain laxisme généralisé depuis des décennies. Dans le passé, tout le monde savait qu’il existait un problème lié au port du voile chez les accompagnateurs de voyages scolaires.

Autant, j’approuve le dépôt de cette proposition de loi et me réjouis que nous l’examinions aujourd’hui, autant je me dis, dans la mesure où ses auteurs sont membres du parti Les Républicains, qu’ils auraient pu la présenter et la faire adopter facilement lorsque M. Sarkozy était encore Président de la République ! (Protestations sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. Stéphane Piednoir. C’est une obsession !

M. Fabien Gay. Changez de disque !

Mme Cécile Cukierman. Cela ne nous rajeunit pas !

M. Jean Louis Masson. Dans cette affaire, il y a une certaine hypocrisie : en effet, c’est facile de proposer des choses quand on est dans l’opposition !

Mme Sophie Primas. On espère bien que vous y resterez longtemps !

M. Jean Louis Masson. Mais, en fait, c’est quand on a le pouvoir que l’on doit agir !

Je regrette que certains qui étaient au pouvoir n’aient pas fait ce qu’il fallait en la matière !

M. Jacques-Bernard Magner. Il a raison ! Pourquoi la droite n’a-t-elle rien fait ? (Sourires.)

M. Jean Louis Masson. Aujourd’hui, les pseudo-bien-pensants persistent dans leur complaisance face au communautarisme.

Mme Esther Benbassa. Quels bien-pensants ? Vous parlez de Zemmour ?

M. Jean Louis Masson. Pire encore, au niveau local, certains responsables politiques soutiennent les dérives communautaristes dans un but purement électoraliste.

À juste titre, l’actuel ministre de l’intérieur s’est lui-même inquiété de ce qu’il appelle des « Molenbeek à la française », c’est-à-dire des villes où le communautarisme s’épanouit avec le soutien de la municipalité ou des élus locaux. On en trouve partout : ainsi, dans mon département, un maire s’est vanté de gagner les suffrages des musulmans en étant le seul en France à avoir financé avec 100 % de fonds publics la construction d’une mosquée.

M. Pierre Ouzoulias. C’est interdit !

M. Jean Louis Masson. Non, c’est autorisé en Alsace-Lorraine, mon cher collègue ! (Exclamations sur les travées des groupes CRCE et SOCR.)

M. Pierre-Yves Collombat. Soyons logiques et revenons sur le Concordat ! (Sourires.)

M. Jean Louis Masson. Plus grave, il a aussi financé la mise en place d’une école coranique, et même l’installation de lampadaires décorés du croissant islamique dans la rue qui donne accès à la mosquée !

Mme Esther Benbassa. Ça suffit !

M. Jean Louis Masson. Alors, faut-il s’étonner si, avant de quitter la Moselle, le procureur général a évoqué devant la presse ce qu’il appelle…

M. Marc Daunis. Terminé !

M. le président. Il faut conclure !

M. Jean Louis Masson. … un inquiétant potentiel de radicalisation dans certains secteurs du département !

M. le président. Mon cher collègue, vous avez dépassé le temps de parole qui vous était imparti. (Marques de soulagement sur diverses travées.)

M. le président. La parole est à M. Pierre Ouzoulias. (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE.)

M. Pierre Ouzoulias. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, les dispositions dont nous discutons aujourd’hui ont déjà été votées par le Sénat lors des débats sur la loi dite « pour une école de la confiance ». Simplement, dans le cadre des travaux de la commission mixte paritaire, votre majorité a choisi de ne pas les retenir.

Elle a accepté cette « concession mineure » selon l’expression du rapporteur, parce que le dispositif d’un autre amendement a été intégralement repris dans la loi définitive. Introduite à l’article L. 141-5-2 du code de l’éducation, cette disposition prévoit : « Les comportements constitutifs de pressions sur les croyances des élèves ou de tentatives d’endoctrinement de ceux-ci sont interdits dans les écoles publiques et les établissements publics locaux d’enseignement, à leurs abords immédiats et pendant toute activité liée à l’enseignement. » Voilà ce que vous avez voté !

M. Jean-Michel Blanquer, ministre. C’est excellent !

M. Pierre Ouzoulias. La portée de cette interdiction est bien plus large que celle dont nous débattons aujourd’hui. On peut donc légitimement se demander pourquoi vous avez déposé, moins d’une semaine après l’adoption définitive de la loi par le Sénat, une proposition de loi qui reprend in extenso une mesure rejetée par la commission mixte paritaire au profit d’un dispositif plus général d’application directe.

Les polémiques suscitées, initiées ou provoquées par cette proposition de loi éclairent sans conteste son objet essentiel. L’intention n’est pas de discuter de nouveau de la loi dite « pour une école de la confiance » que vous avez adoptée. Déposé cinq jours après l’adoption définitive de la loi par le Sénat, ce texte sert de prétexte à un débat sur la place du voile dans notre société.

Elle nourrit la suspicion plus générale selon laquelle certains de nos concitoyens, par leur origine familiale, leur religion ou leur tradition, ne pourraient pleinement appartenir à la Nation, qu’il y aurait des dispositions religieuses fondamentalement incompatibles avec la citoyenneté républicaine.