Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Pierre Sueur. (Applaudissements sur les travées du groupe SOCR.)

M. Jean-Pierre Sueur. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, il suffit de fréquenter les associations d’élus et d’assister à des réunions de maires pour se rendre compte que le thème des normes est omniprésent : « trop de normes ». Il faut regarder cela avec une certaine philosophie, car les mêmes qui protestent l’après-midi contre l’abondance des normes sont susceptibles d’en demander davantage le matin, dans un juste souci de préservation de l’environnement, de sécurité ou de santé publique.

M. Jean-Pierre Sueur. Cela étant dit, il est vrai que la question se pose. Comment y répondre ? Cher Jean-Marie Bockel, cher Mathieu Darnaud, nous ne sommes pas persuadés que la solution passe par les préfets et leur pouvoir d’adaptation.

À nos yeux, ce qui est efficace, ce serait évidemment d’avoir des ouvertures peut-être plus grandes en matière d’expérimentation et d’adaptation dans la Constitution. Mais vous pensez bien que je ne vais pas entamer un tel débat aujourd’hui : il faudrait qu’il y eût une réforme de la Constitution, ce qui supposerait d’avancer encore sur quelques points, notamment le numérique.

Une autre solution réside évidemment dans la loi, et non dans le décret ; la loi peut prévoir un certain nombre d’adaptations ou d’expérimentations.

Une troisième solution a déjà été décidée par le Parlement. À la suite des états généraux des collectivités locales, qui avaient été organisés voilà quelques années par Jean-Pierre Bel, Jacqueline Gourault et moi-même avions été chargés d’élaborer deux propositions de loi.

La première portait sur les conditions d’exercice des mandats locaux. Elle a abouti à quelques mesures positives, qui doivent d’ailleurs être complétées ; nous l’avons vu ces derniers jours.

La seconde concernait les normes. Par ce texte, adopté, je crois, de manière unanime par le Sénat, nous avons institué le Conseil national d’évaluation des normes applicables aux collectivités territoriales et à leurs établissements publics, ou CNEN. L’idée était simple : tout projet de texte réglementaire ou législatif susceptible d’entraîner des normes complémentaires pour les collectivités territoriales serait étudié en amont par cette instance. Le CNEN, qui se compose essentiellement d’élus des communes, des départements et des régions, a la faculté de renvoyer la copie au Gouvernement en demandant une réécriture. Cela se révèle relativement efficace. Il serait bien de regarder comment cet organe, qui est présidé par Alain Lambert, travaille.

M. Jean-Marie Bockel. Nous l’avons fait !

M. Jean-Pierre Sueur. Je le sais, cher Jean-Marie Bockel. M. Lambert a dû vous dire que les conditions de travail n’étaient pas idéales. Bien souvent, les textes sont transmis très tardivement par le Gouvernement, et le CNEN éprouve des difficultés à formuler un avis dans les délais qui lui sont impartis. Il me semble qu’une des pistes serait de lui donner plus de moyens et de latitude pour remplir sa mission, qui est très utile.

Ainsi, dans le domaine sportif, quand l’excellente Fédération française de basket-ball – vous savez que nous n’avons rien contre le basket-ball – impose de changer les tableaux d’affichage faute de quoi le terrain ne serait pas homologué, la décision qu’elle prend entraîne des dépenses publiques dans plusieurs centaines de communes, alors que la question de savoir si c’est absolument nécessaire et si les collectivités territoriales n’ont pas d’autres priorités se pose légitimement. Par conséquent, il est bon que des élus et leurs représentants puissent dire en amont que ce n’est pas la bonne méthode et qu’il faut se centrer sur d’autres sujets.

Venons-en à nos préfets. J’ai une idée, peut-être simpliste – mais je ne crois pas –, de la fonction de préfet. Le rôle du préfet est non pas d’adapter les lois ou les décrets, mais de les appliquer ; si quelqu’un a ce rôle, c’est bien lui. Il représente l’État ; c’est une banalité de le rappeler. Que figurent dans la loi et dans d’autres textes des possibilités d’adaptation, très bien !

Permettez-moi de citer deux anciens Premiers ministres. En 2013, Jean-Marc Ayrault demandait aux préfets de veiller à ce que leurs services « utilisent toutes les marges de manœuvre autorisées par les textes » ; cela me semble très clair. En 2016, Manuel Valls s’adressait aux préfets en ces termes : « Il vous appartient d’utiliser toutes les marges de manœuvre, dans le respect des textes législatifs et réglementaires en vigueur » ; cela me paraît de bon sens.

Mon groupe pense donc qu’il faut faire preuve de prudence. Le préfet du Haut-Rhin, que M. le président de la délégation aux collectivités territoriales et à la décentralisation cite à juste titre dans son rapport, déclarait, à propos du décret de décembre 2017 : « Ce décret a soulevé un important paradoxe. Lors de sa parution, il a en effet suscité une grande inquiétude ». Il poursuivait en évoquant « la possibilité d’une incertitude juridique puisqu’une décision prise sur dérogation s’avère plus fragile juridiquement, ainsi qu’[un] risque de donner l’impression d’un État arbitraire prenant des décisions différentes en fonction des demandeurs et des collectivités territoriales concernées. » C’est ce que dit un préfet de la République !

Je fais également observer que M. le préfet de Vendée a utilisé cette possibilité d’expérimentation des dérogations dans une décision en faveur d’un parc éolien en évitant la réalisation d’une étude d’impact et d’une enquête publique. J’ignore ce que dirait une juridiction administrative si elle était saisie d’un tel sujet.

Nous sommes donc partisans d’une certaine prudence. Certes, c’est effectivement une bonne idée d’adapter les normes, d’expérimenter, de trouver la souplesse nécessaire et de s’adapter au terrain. Mais il faut que ce soit prévu par la loi et les autres textes et que le préfet fasse ce qu’il a à faire, c’est-à-dire représenter l’État, appliquer la loi et les instructions des ministres.

Nous voterons contre la présente proposition de résolution, parce que nous sommes attachés à la distinction des rôles et à la séparation des pouvoirs. La décentralisation n’est pas la négation de l’État ; elle est seulement la négation d’un État omnipotent qui voulait faire trop de choses au risque de ne pas bien les faire.

M. François Calvet. C’est incroyable !

M. Jean-Pierre Sueur. Nous sommes pour que l’État comme les collectivités territoriales et leurs élus jouent pleinement leur rôle. En d’autres termes, nous préférons la séparation des pouvoirs à la confusion des pouvoirs. (Applaudissements sur les travées du groupe SOCR.)

Mme la présidente. La parole est à M. Éric Gold. (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE.)

M. Éric Gold. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, alors que la réforme constitutionnelle, qui doit consacrer le droit à la différenciation territoriale, peine à voir le jour, le Sénat est réuni ce matin pour affirmer sa position sur le pouvoir de dérogation aux normes attribué aux préfets.

Dans un pays historiquement centralisé tel que le nôtre, les normes ont toujours été conçues pour garantir une égalité de traitement entre les citoyens et les territoires, avec de surcroît des attentes très élevées envers les politiques publiques.

Le constat est connu, ancien et unanime : chacun déplore l’inflation normative, législative comme réglementaire. Nous aussi, législateurs, devons prendre notre part de blâme. Je me souviens ainsi du travail considérable effectué par la mission Bureau d’annulation des lois anciennes et inutiles, ou Balai. Celle-ci a conduit à l’adoption d’une proposition de loi de notre collègue Vincent Delahaye tendant à améliorer la lisibilité du droit par l’abrogation des lois obsolètes illisibles, que nous avons été très nombreux à cosigner. Le groupe RDSE y a pris sa part, avec le rapport de notre collègue Nathalie Delattre.

La présente proposition de résolution constitue une nouvelle pierre à cet édifice titanesque. Mon groupe valide bien entendu sans réserve le rapport sur lequel elle s’appuie. Par son attachement aux territoires et à leur diversité, comme vous tous, il souscrit pleinement à l’objectif d’allégement des démarches administratives et d’accélération des procédures.

Au-delà de la différenciation territoriale, le Gouvernement a reconnu que la réduction du stock des normes applicables aux collectivités figurait parmi les enseignements du grand débat. Ce n’est pas nouveau. Je pense aussi au travail important fourni par nos anciens collègues Alain Lambert et Jean-Claude Boulard dans leur rapport.

Les élus nous le disent tous les jours : le poids des normes et des obligations alourdit leur charge de travail et ralentit la progression des réformes. L’inflation normative – je parle ici des flux, et non du stock – est un obstacle aux initiatives locales. Elle paralyse l’action publique, là où nos concitoyens attendent beaucoup des collectivités. Et elle alimente encore la crise des vocations chez les élus locaux.

Bien entendu, les gouvernements successifs ont tenté ces dernières années de maîtriser cette inflation normative en réduisant non pas le flux de nouvelles normes ou le stock de normes anciennes, mais le poids des normes, grâce à une interprétation facilitatrice de la part de l’État et à une expérimentation offrant un pouvoir de dérogation aux préfets.

L’interprétation facilitatrice étant soumise à un engagement concret des préfets, les auteurs de la proposition de résolution lui préfèrent le pouvoir de dérogation aux normes, qui s’appuie sur une base juridique plus solide et plus objective.

Toutefois, cette expérimentation n’est pas exploitée à son maximum, puisqu’elle est mal connue et très encadrée. De plus, nous l’avons compris, elle arrive à son terme au mois de décembre prochain.

À travers cette proposition de résolution, le Gouvernement est ainsi invité à prendre des mesures pour étendre le dispositif, qui serait alors assorti de mécanismes d’information et de formation. La différenciation territoriale pouvant être source d’insécurité juridique et de complexité, elle doit en effet être encadrée, pour être mieux conciliée avec le principe d’égalité des territoires.

Toutefois, avant toute révision constitutionnelle, le groupe RDSE se joint à la délégation aux collectivités territoriales pour solliciter de l’État un indispensable desserrement des contraintes pesant sur les collectivités. Comment pourraient agir efficacement les petites collectivités face aux 1 600 décrets et 8 000 arrêtés ministériels produits chaque année alors que le contrôle de légalité des préfectures est de moins en moins protecteur ?

M. Éric Gold. La délégation sénatoriale aux collectivités territoriales et à la décentralisation propose ainsi plusieurs mesures pour davantage de rapidité, de souplesse et de pragmatisme dans la mise en œuvre des politiques publiques : d’abord, en rendant pérenne et en élargissant le champ d’application du droit à la dérogation pour les préfets de région ; ensuite, en donnant la possibilité au préfet de département de déroger à certaines décisions du préfet de région et du ministre ; enfin, en étendant également ce pouvoir aux collectivités qui souhaiteraient déroger à certaines normes pour tenir compte de leurs spécificités locales.

Ces mesures seraient utilement complétées par une meilleure information des agents, élus et destinataires des normes, par un dialogue local renforcé entre l’État et les collectivités, ainsi que par une meilleure évaluation du dispositif. Une consultation du Sénat est même envisagée pour les dérogations sollicitées par les collectivités. Assorties de telles garanties, les mesures évoquées semblent répondre au besoin de simplification de nos territoires. C’est pourquoi le groupe RDSE votera majoritairement en faveur de cette proposition de résolution.

Toutefois, nous nous accordons pour dire qu’une démarche au cas par cas est limitée. C’est une approche globale dont nous avons besoin, pour ouvrir une nouvelle forme de décentralisation et de proximité. Cela passe par une profonde transformation des processus de fabrication des normes, au-delà de la seule révision constitutionnelle.

Enfin, je tiens à rappeler que la dérogation doit poursuivre un motif d’intérêt général et de non-régression. Ne tombons pas dans la caricature en allégeant tout et partout. Le niveau d’exigence doit absolument être maintenu, notamment en matière environnementale, où l’idée de bien commun doit toujours nous accompagner. (Applaudissements sur les travées des groupes RDSE et UC. – M. François Calvet applaudit également.)

Mme la présidente. La parole est à M. Alain Richard.

M. Alain Richard. Ce débat est bienvenu, et il a l’avantage d’être toujours d’actualité, quelle que soit la période où on peut l’engager. Nous sommes là pour nous livrer à une analyse du résultat produit par deux circulaires et un décret qui s’étalent entre 2013 et 2017, les circulaires parlant de « marge d’interprétation » et le décret parlant, comme c’est logique, de « pouvoir de dérogation encadré ».

Je participe à la demande générale de restitution et d’évaluation de l’application de ces textes. Nous attendons de savoir ce que M. le secrétaire d’État en dira. Simplement, je nous prends collectivement à témoin que voilà encore un cas d’injonction contradictoire : nous avons accompagné et, pour beaucoup, voté la réduction des effectifs dans le plan Préfecture du XXIe siècle, mais, dans le même temps, nous demandons aux préfectures d’assumer des tâches supplémentaires. Il faut donc bien que nous soyons un peu pragmatiques.

Je souligne tout particulièrement le caractère productif et judicieux, du fait de la charge qui pèse sur les représentants de l’État et de la loi constitutionnelle dans les territoires, de la recommandation concrète contenue dans la proposition de résolution, à savoir la création d’un petit conseil local d’accompagnement du pouvoir de dérogation. L’expérience que nous avons tous – la mienne a quelques dizaines d’années dans le Val-d’Oise – montre que, dans les commissions consultatives placées auprès du préfet, de conseil et de conciliation, il y a une bonne expertise de travail local et, bien souvent d’ailleurs, une élévation du niveau de réflexion permettant d’avoir une jurisprudence rationnelle. Au fond, il est simplement suggéré de faire des petits CNEN locaux. À mon sens, cela ne coûterait rien, et ce serait un utile outil d’accompagnement du travail, si astreignant, des services préfectoraux.

Je ne m’étendrai pas sur les autres préconisations de la résolution. En revanche, je voudrais élargir le propos à la conception d’aujourd’hui, qui est en transformation et en débat, de la légalité de l’action publique. Nous sommes un État de droit, construit par une tradition multiséculaire, dans laquelle l’institution dont j’ai eu l’honneur d’être membre, le Conseil d’État, a évidemment joué un certain rôle. Le principe de légalité, qui traverse l’ensemble des missions et des strates de l’action locale, fait partie de notre culture de base.

Le rapport du Conseil d’État de 2013 sur le droit souple a été pour moi une vraie et heureuse surprise. Analysant l’existant et constatant ce qui est en train de se passer, celui-ci a commencé à développer une théorie que je résumerais un peu sommairement comme un retour de l’opportunité ; c’est le retour du droit de l’administration et des pouvoirs publics de procéder à des appréciations d’opportunité, donc de faire revenir dans l’application du droit une marge de pouvoir discrétionnaire.

Simplement, le pouvoir d’appréciation se heurte à une peur et à une méfiance, du fait d’une tradition ancienne et de l’évocation des anciens régimes autoritaires. Le débat a été très intense dans le premier tiers de la IIIe République, et le thème de la peur de l’exécutif a fait l’objet d’ouvrages historiques très intéressants. En France, notre usage est d’entourer le pouvoir d’appréciation de l’autorité publique par un cadre très exigeant de procédure, de droit de la défense, d’examens successifs, d’enquêtes et d’évaluations. C’est très ancré dans nos conceptions.

La rigidité de la loi ne vient pas de nulle part. Toute norme exigeante a été exigée. Dans le dialogue que nous avons avec la « société civile », selon le terme gramscien par lequel on a choisi de la baptiser, nous faisons en permanence face à des injonctions, à des demandes de règles fixes et transcendantes, à une démarche souvent très péremptoire ; et, disons-le, nous y cédons souvent. Accessoirement, c’est probablement encore plus le cas pour les institutions européennes. Parmi les facteurs, devenus très prégnants, très rigides, des lois que nous appliquons, la part de transpositions de textes de l’Union européenne est dominante.

De surcroît, et sans être déplaisant à l’égard de quiconque, il y a évidemment aussi beaucoup de professionnels du droit qui pensent pouvoir tirer avantage de la rigidité de la loi et de l’exigence des procédures. Si vous êtes un bon avocat en matière d’environnement, vous gagnez tous vos procès sur des questions de procédure, jamais sur une question de fond. D’ailleurs, pour trouver une norme de fond dans le code de l’environnement, que j’ai un peu fréquenté, il faut se promener longtemps ! (Sourires sur les travées des groupes Les Républicains et UC.)

Nous sommes donc face à un enjeu qui touche très profondément la culture juridique de ce pays. Si nous voulons aller plus loin dans la transformation de méthodes de l’action publique, nous devons effectuer un travail de formation permanente et de révision des concepts auprès de l’ensemble des services juridiques de nos services publics, ce qui est une vaste mission. Dans la vie de la plupart de nos institutions, on demande au service juridique de la sécurité. Sa préoccupation va donc être de multiplier les précautions dans le sens du respect toujours le plus prudent, le plus scrupuleux, des règles de procédure en vigueur. Il suffirait de laisser un téléphone ouvert dans un service de commandes publiques de collectivités territoriales, pour s’en apercevoir. Environ 80 %, et je suis modeste, du pouvoir d’appréciation des autorités de commandes publiques est effacé par la préoccupation de sécurité inspirée par le service, dont c’est pour l’instant la conception de sa mission.

Nous avons donc devant nous, me semble-t-il, un long temps de débat et d’analyse critique de ce que produit la loi et de ce qu’on en attend.

Mme la présidente. Il faut conclure, mon cher collègue.

M. Alain Richard. Je crois comprendre que nous avons tout le temps devant nous s’agissant de la future réforme constitutionnelle… Mais – je voudrais vous en rendre tous témoins – si celle-ci survenait, le volet « différenciation » serait particulièrement exigeant pour le Parlement. En effet, la différenciation passerait forcément par la loi ; nous aurions alors, nous ou nos successeurs, la mission rigoureuse de savoir jusqu’où nous différencions et où nous situons les normes essentielles, qui doivent rester applicables à tous.

Mon groupe votera en faveur de cette proposition de résolution, comme un moyen de poursuivre la réflexion. Mais il nous semble que la conclusion est encore loin de nous. (Applaudissements sur les travées des groupes LaREM et UC.)

Mme la présidente. La parole est à Mme Catherine Di Folco. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

Mme Catherine Di Folco. Nous nous retrouvons aujourd’hui pour discuter de la proposition de résolution relative à la consolidation du pouvoir de dérogation aux normes attribué aux préfets, déposée par nos collègues Jean-Marie Bockel et Mathieu Darnaud, deux spécialistes de la vraie vie des territoires.

Ce texte s’inscrit dans la continuité des travaux menés depuis plusieurs années par notre institution, au service de la simplification du droit applicable aux collectivités. C’est dans le cadre de cet effort que nos deux collègues avaient déjà présenté au mois de juin dernier un rapport intitulé Réduire le poids des normes en aval de leur production : interprétation facilitatrice et pouvoir de dérogation aux normes. Ils y dressaient une nouvelle fois le constat de l’inflation normative, celui des difficultés qu’ont les gouvernements successifs à y faire face, alors qu’un « choc de simplification » avait pourtant été promis voilà plusieurs années, mais en vain.

Le résultat de cet état de fait est un environnement normatif encore trop souvent résistant à l’initiative locale, quand il ne lui est pas activement hostile. Face à cela, nos collègues invoquaient la nécessité d’un nouveau modèle, fondé sur le dialogue de l’administration centrale avec les échelons locaux. Je me joins à ce vœu, dont la réalisation s’impose plus que jamais, alors que, partout en France, de plus en plus d’élus locaux nous font connaître leur découragement.

C’est dans ce contexte qu’intervient la proposition de résolution dont nous discutons aujourd’hui. Elle traduit l’une des principales propositions du rapport : la possibilité pour les représentants de l’État de se faire les chevilles ouvrières d’une simplification flexible et locale par le recours renforcé à des pouvoirs de dérogation aux normes.

En réalité, des préfets remplissent déjà ce rôle. Depuis un décret du 29 décembre 2017, ils peuvent déroger à certaines normes. L’expérience a été concluante. Dans certains cas, elle a permis d’économiser beaucoup de temps ou d’argent, voire de « sauver » des dossiers de subventions apparemment condamnés à échouer.

Il est donc proposé, très justement, dans le présent texte d’étendre et de faciliter la mise en œuvre de ce dispositif. Il est aussi suggéré de développer les mécanismes de concertation entre services de l’État dans les territoires et les collectivités, et de mettre en place un meilleur suivi des résultats de ces mesures.

Je pense qu’affiner les retours en provenance du terrain ne peut être que positif, aussi bien pour les collectivités que pour leurs partenaires au sein des directions locales de l’État. J’espère que le Gouvernement entendra cet appel à la coopération locale.

Les autres mesures suggérées par les auteurs de la proposition de résolution relèvent du bon sens, et, même si elles paraissent simples, pourraient se révéler étonnamment utiles. En effet, simplifier et ouvrir des possibilités de dérogation ne sert à rien si personne n’est averti de l’existence de celles-ci. C’est pour cela que rassembler les bonnes pratiques au sein d’un guide diffusé aux préfectures et communiquer sur ces problématiques est indéniablement une bonne idée. En plus, la mise en œuvre en serait aisée et relativement peu onéreuse.

Le remède envisagé dans cette proposition de résolution n’est évidemment pas une panacée. Il permet néanmoins d’ajuster le curseur de certaines situations sur le terrain et donc de mettre un terme à des symptômes. Mais nous ne devons pas cesser de nous efforcer de combattre le mal, qui est l’inflation normative incontrôlée, dont la source n’est pas dans les territoires.

Vous le comprendrez, le groupe Les Républicains votera la présente proposition de résolution. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains, UC et LaREM.)

Mme la présidente. La parole est à M. Daniel Chasseing.

M. Daniel Chasseing. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, l’adoption par le Sénat à la quasi-unanimité du projet de loi relatif à l’engagement dans la vie locale et à la proximité de l’action publique, dont l’examen s’est achevé cette semaine, a été un signal fort quant aux souhaits d’évolution. La chambre des territoires est particulièrement attentive à la situation des collectivités locales, qui sont touchées par la multiplication des règles, l’inflation législative et la complexification des normes, comme l’ont montré les auditions que nous avons réalisées dans le cadre de la délégation présidée par Jean-Marie Bockel.

J’en veux pour preuves quelques exemples concrets qui remontent de nos territoires. Vous les connaissez tous.

Dans le secteur de l’urbanisme, la question de l’accessibilité peut, pour des questions financières, mettre en difficulté une petite commune. Elle a également des répercussions sur nos hôtels et restaurants de campagne pour lesquels il est complexe, au regard de la faible rentabilité, de se mettre en totale conformité avec l’ensemble de la réglementation.

Il en est de même de la question des logements sociaux prévus dans la loi pour un accès au logement et un urbanisme rénové, dite loi ALUR, qui mériterait d’être ajustée en fonction de la commune, de ses besoins et de ses capacités réelles.

Par ailleurs, la rigidité de l’avis conforme de la commission départementale de préservation des espaces naturels, agricoles et forestiers, la CDPENAF, pénalise les petites communes dans l’obtention d’un permis de construire.

On trouve d’autres exemples nombreux dans le secteur sportif, comme les toilettes accessibles aux personnes handicapées pour l’arbitre, ou encore dans le secteur agricole. Sans la mise en place de normes très contraignantes, des subventions peuvent être refusées aux collectivités.

L’expérimentation prévue par le décret du mois de décembre 2017 fut un exercice riche d’enseignements. Ce pouvoir utilisé environ une soixantaine de fois a montré que l’adaptation aux territoires était une nécessité rendant plus efficace l’application de la loi.

Le lien entre l’échelon local et l’échelon national doit continuer à se construire et cela passera par un lien plus fort entre les services de l’État et les collectivités territoriales. L’écoute des élus locaux est primordiale, notamment celle du maire, qui connaît son territoire et les besoins de ses administrés. Sur ce point, la création d’une instance départementale permettant d’interpréter la norme ou d’identifier les difficultés dans la mise en œuvre de la norme à l’échelle locale nous paraît essentielle.

La création d’un guide de bonnes pratiques et d’un processus d’information est tout aussi importante. Elle permettra une fluidification dans les échanges.

La mise en place d’un mécanisme de suivi et d’évaluation est également nécessaire. La pratique nous démontre que nous devons constamment veiller à ce que la réglementation reste adaptée aux spécificités locales.

La République est une et indivisible, mais ses territoires ne sont pas les mêmes. Cela constitue sans doute notre richesse, mais rend parfois contreproductive une administration trop centralisée, chaque territoire présentant des spécificités et des handicaps propres.

Il nous faut identifier le problème avec précision. Il me semble qu’il est double : inflation normative et inadaptation aux territoires. Partant de là, le pouvoir de dérogation des préfets, à l’écoute des maires et des acteurs du territoire, va dans le bon sens.

Mon groupe est convaincu qu’une plus grande décentralisation pourrait régler nombre de difficultés évoquées précédemment.

De plus, nous devrons mener des discussions sur les matières auxquelles ces dérogations pourront s’appliquer, ainsi que sur les objectifs et les conditions de celles-ci. Ce travail préalable est nécessaire et nous permettra d’offrir un cadre précis et une définition claire de la consolidation du pouvoir de dérogation.

En conclusion, mes chers collègues, oui à l’adaptation des normes aux territoires, oui à la simplification et à la souplesse normative, oui à la décision d’adapter la loi en fonction des territoires et des collectivités.

Le préfet nous paraît le bon niveau. Le groupe Les Indépendants est favorable à la consolidation de ce pouvoir de dérogation aux normes qui lui est attribué. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Indépendants, LaREM et Les Républicains.)