M. Alain Marc. Les langues et cultures régionales constituent un patrimoine national et ne peuvent donc être traitées comme les langues étrangères. Leur apprentissage donne lieu à des activités qui contribuent directement à l’acquisition du socle commun, notamment pour la découverte du milieu.

J’ajouterai que, à un moment où le Président de la République découvre la nécessité d’adapter les politiques localement, notamment dans l’éducation, il ne faudrait pas oublier les langues régionales. On ne se prive pas de répéter qu’il faut développer le français à l’extérieur du pays, mais, à l’intérieur, on oublie souvent de valoriser les langues régionales de France.

Monsieur le ministre, nous comptons beaucoup sur vous pour ne pas oublier cet aspect-là de notre culture. En Occitanie, ma région d’origine, mon père et mes grands-parents étaient bilingues. D’ailleurs, ils faisaient beaucoup moins de fautes d’orthographe que nous. Si vous lisez les travaux d’Hagège, vous apprendrez que le bilinguisme permet d’être bien plus efficace en français. On constate aussi dans les écoles bilingues que l’on est bien plus efficace en mathématiques, ce qui est surprenant, mais pas tant que cela. Il faut donc agir dans ce sens.

M. le président. La parole est à M. Ronan Dantec, pour présenter l’amendement n° 377 rectifié.

M. Ronan Dantec. Cet amendement est extrêmement important. Depuis la fameuse loi Deixonne des années 1950, on a progressé, et on n’a plus de faux débats sur l’importance de préserver ce patrimoine fondamental pour notre identité collective que sont les différentes langues de France.

Néanmoins, la loi, telle qu’elle est aujourd’hui, soulève une véritable inquiétude. En effet, dans l’organisation concrète de l’enseignement, on se retrouve avec une concurrence entre les langues régionales et les langues étrangères dans l’enseignement. Je n’ai pas besoin d’aller prendre l’exemple de ma grand-mère ; le mien suffit, puisque j’ai appris le breton au lycée, voilà bientôt une quarantaine d’années. Je me souviens très bien de la leçon de breton tombant au même moment que la cantine ou placée à des heures totalement folkloriques.

Les associations culturelles, un peu partout en France, attendent donc que l’on écrive clairement dans la loi qu’il faut éviter toute concurrence dans les horaires dans l’organisation de l’enseignement du socle entre les langues étrangères et les langues régionales au moment où l’on fait les emplois du temps.

Nous sommes ici non pas sur des grands principes, mais des choses très concrètes, car il existe aujourd’hui une grande inquiétude sur ce point. En votant cet amendement, nous pouvons rassurer tout le monde en donnant des indications claires s’agissant notamment de la réalisation des emplois du temps.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

M. Max Brisson, rapporteur. Je ne crois pas avoir à prouver mon attachement aux langues régionales, lequel a parfois même pu agacer le ministre.

Néanmoins, mes chers collègues, je me dois de vous indiquer que l’apprentissage d’une langue régionale appartient déjà au premier domaine du socle commun de connaissances, de compétences et de culture. Ces amendements sont donc satisfaits par le droit existant.

En outre, je ne suis pas vraiment favorable à des socles communs différents selon les régions, parce qu’ils perdraient alors leur caractère commun.

Je suis donc défavorable à ces deux amendements.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Jean-Michel Blanquer, ministre. M. le rapporteur laisse entendre qu’il aurait défendu dans des épisodes précédents les langues régionales et que je ne serais pas allé dans le même sens que lui.

M. Pierre Ouzoulias. C’est ce que l’on a cru comprendre… (Sourires.)

M. Jean-Michel Blanquer, ministre. Je ne puis laisser prospérer une telle idée ! (Nouveaux sourires.)

La position du ministre de l’éducation nationale est, par définition, de fixer un cadre. Dans ces discussions autour des langues régionales, je souhaite que nous nous considérions comme étant tous dans le même bateau, le bateau « France », avec une langue qui est le français, consacrée par la Constitution, et des langues régionales, qui participent de la vitalité générale du pays. Je pense que nous sommes tous d’accord autour de cette approche.

C’est pourquoi, en tant que ministre de l’éducation nationale, je souhaite non pas le face-à-face sur ces questions, mais plutôt le côte à côte, c’est-à-dire que nous puissions agir ensemble de manière raisonnable et cadrée.

Ainsi, j’ai déjà pris un certain nombre de mesures en faveur des langues régionales. Je voudrais citer un exemple, qui a été trop peu souligné à mes yeux : dans le cadre de la réforme du lycée, l’un des enseignements de spécialité peut être l’enseignement d’une langue régionale, ce qui est tout sauf négligeable, puisque cela représente quatre heures par semaine en première et six heures en classe de terminale. C’est extrêmement intéressant pour le développement des langues régionales et, au-delà, pour les cultures et leur articulation.

Je pense aussi que nous devons avoir une vision non cloisonnée du sujet. Par exemple, il a précédemment été question des langues romanes et latines, et il faut pouvoir montrer les voisinages entre certaines langues régionales et des langues étrangères, ainsi qu’avec le latin. Cette approche peut ouvrir des innovations pédagogiques très intéressantes.

Nous allons certainement parler de différents sujets autour des langues régionales ce soir, et je pourrai alors montrer l’ouverture du Gouvernement sur ce point, avec, évidemment, une certaine vigilance concernant le cadre à fixer.

S’agissant plus précisément de ces deux amendements, rendre obligatoires les langues et cultures régionales nous mettrait pour le coup en dehors de la Constitution.

La jurisprudence du Conseil constitutionnel est très claire à cet égard, puisque celui-ci a jugé à plusieurs reprises que l’enseignement des langues régionales, s’il pouvait être encouragé, ne saurait avoir un caractère obligatoire ni pour les élèves ni pour les professeurs. Il y a eu plusieurs décisions en ce sens, notamment celle du 17 janvier 2002 ou du 12 février 2004. Cependant, ces décisions ne vont pas du tout à l’encontre du développement des langues régionales dans notre système scolaire.

M. le président. La parole est à M. Ronan Dantec, pour explication de vote.

M. Ronan Dantec. Monsieur le ministre, sauf votre respect, je pense que votre argumentaire ne correspond pas à l’amendement.

J’ai bien entendu ce que disait M. le rapporteur, mais l’important n’est pas tant que cela le socle. Il importe surtout de préciser que les différents enseignements du socle sur les langues ne seront pas en concurrence dans l’organisation du lycée.

Sinon, on peut aboutir à un résultat contradictoire, où cet enseignement facultatif – le sujet n’est pas là, monsieur le ministre – serait en danger, car il se retrouverait en concurrence là où il ne l’était pas dans l’organisation précédente.

Je le répète, il faut inscrire le principe de non-concurrence des langues dans le socle pour répondre aux inquiétudes de ceux qui se sont mobilisés depuis des décennies sur les langues régionales et qui craignent qu’une victoire symbolique sur le socle ne se trouve remise en cause dans l’organisation concrète.

D’où l’importance de cet amendement. Je le regrette, monsieur le ministre, mais ce n’était pas le sens de votre réponse.

M. le président. La parole est à M. le rapporteur.

M. Max Brisson, rapporteur. Mon cher collègue, vous évoquez plutôt la réforme du baccalauréat. Le sujet n’est pas lié à l’école du socle. Qu’il y ait un véritable problème avec la réforme du baccalauréat, je ne le nie pas.

Monsieur le ministre, je regrette que vous n’ayez pas, pour les langues régionales, pris les dispositions qui valent pour les sections internationales ou les sections européennes. Il y a là incontestablement un vrai problème et une véritable inquiétude, que Ronan Dantec a relayée, et que je relaye à mon tour.

Néanmoins, je le répète, cette question se situe en dehors de l’école du socle, qui se termine au collège. J’aurais aimé vous entendre sur l’enseignement des langues régionales au lycée et sur les sections bilingues en langues régionales. Le magnifique tableau que le ministère a publié pour les sections internationales et les sections européennes aurait pu aussi être publié pour les sections bilingues en langues régionales ; nous n’aurions pas alors les inquiétudes que Ronan Dantec a fort justement développées.

M. le président. La parole est à M. Pierre Ouzoulias, pour explication de vote.

M. Pierre Ouzoulias. Nous voterons ces amendements identiques, auxquels nous sommes très favorables.

À cette heure tardive, je souhaiterais vous faire une proposition, monsieur Marc : imposons l’hymne occitan, le Se canto, à côté de La Marseillaise, pour que les enfants s’imprègnent de nos traditions régionales. (Sourires.)

M. le président. La parole est à Mme Angèle Préville, pour explication de vote.

Mme Angèle Préville. En tant qu’élue d’Occitanie, région qui a une identité très forte, je suis très attachée à la langue et à la culture régionales.

Or j’ai été saisie par les professeurs d’occitan de mon département de la suppression des moyens fléchés et de la réforme du lycée. Je reprends donc les propos du rapporteur, pour vous appeler à la vigilance sur un sujet très important pour les territoires, notamment l’Occitanie.

M. le président. La parole est à M. Maurice Antiste, pour explication de vote.

M. Maurice Antiste. Je le dis d’emblée, je soutiens totalement les deux amendements de nos collègues. Vous comprenez que cette position s’explique par mon origine.

Sachez que, aux Antilles, nous sommes élevés dans une langue qui n’est pas exactement le français. Nous vivons avec le français. Nos petits traduisent bien souvent la langue créole quand ils parlent français. Éviter d’intégrer cette langue régionale dans un socle commun, c’est arracher à l’enfant une partie de son propre socle.

Les choses sont donc très claires. Pour ma part, je suis évidemment partisan de donner un statut, et le plus haut possible, aux langues régionales, parce qu’il y va de la construction, je dirais même de la reconstruction de ces enfants à l’école.

Je soutiens donc totalement ces deux amendements.

M. le président. La parole est à M. Alain Marc, pour explication de vote.

M. Alain Marc. Dans les propos de notre collègue Ouzoulias, si j’ai perçu un fort élan de sympathie envers les langues régionales, j’ai aussi ressenti la dimension quelque peu folklorique qu’il leur donne. Or tel n’est absolument pas le cas !

C’est une question sensible et extrêmement importante pour nous, ce que ne perçoivent pas ceux qui ne sont pas concernés ici, alors qu’ils sont vent debout lorsque notre culture nationale risque de dépérir, par exemple, au profit de la culture anglo-américaine.

Je le dis parce que les langues régionales font partie des cultures de France et qu’elles sont notre richesse. M. le ministre le sait, Richard Cœur de Lion parlait l’occitan, par exemple ! Il y a certaines choses qui sont dans nos référents, que l’on ne doit pas oublier, que l’on ne doit pas laisser perdre !

Particulièrement attaché aux cultures régionales, je voterai, bien évidemment, cet amendement.

M. le président. La parole est à M. Michel Vaspart, pour explication de vote.

M. Michel Vaspart. Élu moi aussi d’un territoire où l’on parle une langue régionale, je voterai cet amendement.

M. le président. La parole est à M. le ministre.

M. Jean-Michel Blanquer, ministre. Monsieur Dantec, nous allons, pour une fois, et je l’espère, une seule fois, inverser les rôles. En l’occurrence, c’est moi qui vais vous poser une question, parce que j’ai un réel problème d’interprétation de votre amendement. Et les échanges que nous venons d’avoir ne m’ont guère éclairé.

M. le rapporteur a établi une distinction entre ce qui relève du socle et ce qui relève de la réforme du lycée. Nous sommes là clairement, par définition, sur deux sujets différents. Vous proposez dans votre amendement, tel que je le comprends, que la langue régionale soit dans le socle. Vous souhaitez donc que cette langue soit apprise dans le cadre de l’acquisition du socle, lequel intègre aujourd’hui l’apprentissage d’une langue étrangère.

J’ai un problème de compréhension du sens de votre amendement, que je vais lire à haute voix : « Dans les régions et territoires concernés, l’apprentissage de la langue et de la culture régionales est intégré au socle commun de connaissances, de compétences et de culture des élèves qui suivent cet enseignement. À ce titre, l’apprentissage de la langue et de la culture régionales doit être organisé de telle sorte que les élèves puissent le suivre sans être contraints de choisir entre cet enseignement et celui des autres domaines du socle. »

M. Ronan Dantec. Seule la deuxième phrase compte ! Le reste existe déjà.

M. Jean-Michel Blanquer, ministre. J’entends bien, mais, aujourd’hui, les enfants peuvent apprendre une langue étrangère et une langue régionale.

M. Ronan Dantec. C’est un désastre !

M. Jean-Michel Blanquer, ministre. Du fait des dispositions existantes, à mes yeux, votre amendement est satisfait. Je ne vois pas ni contradiction ni menace pour les langues régionales dans le système tel qu’il est.

M. le président. Mes chers collègues, il est minuit passé. Je vous propose de prolonger notre séance jusqu’à minuit trente, afin de poursuivre l’examen de ce texte.

Il n’y a pas d’observation ?…

Il en est ainsi décidé.

Je mets aux voix les amendements identiques nos 67 rectifié bis et 377 rectifié.

J’ai été saisi d’une demande de scrutin public émanant de la commission.

Je rappelle que l’avis de la commission est défavorable, de même que celui du Gouvernement.

Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l’article 56 du règlement.

Le scrutin est ouvert.

(Le scrutin a lieu.)

M. le président. Personne ne demande plus à voter ?…

Le scrutin est clos.

J’invite Mmes et MM. les secrétaires à procéder au dépouillement du scrutin.

(Il est procédé au dépouillement du scrutin.)

Article additionnel après l'article 6 - Amendements n° 67 rectifié bis et n° 377 rectifié
Dossier législatif : projet de loi pour une école de la confiance
Article 6 bis (Texte non modifié par la commission) (début)

M. le président. Voici, compte tenu de l’ensemble des délégations de vote accordées par les sénateurs aux groupes politiques et notifiées à la présidence, le résultat du scrutin n° 106 :

Nombre de votants 341
Nombre de suffrages exprimés 341
Pour l’adoption 128
Contre 213

Le Sénat n’a pas adopté.

Je suis saisi de deux autres amendements identiques.

L’amendement n° 69 rectifié ter est présenté par MM. A. Marc, Canevet, Bignon, Chasseing, Wattebled et Decool.

L’amendement n° 372 rectifié est présenté par MM. Dantec, Arnell, Artano, A. Bertrand, Castelli, Gold, Labbé et Roux.

Ces deux amendements sont ainsi libellés :

Après l’article 6

Insérer un article additionnel ainsi rédigé :

Le 2° de l’article L. 312-10 du code de l’éducation est complété par les mots : « à parité horaire ou par immersion, sans préjudice de l’objectif d’une pleine maîtrise de la langue française, prévu à l’article L.121-3 ».

La parole est à M. Alain Marc, pour présenter l’amendement n° 69 rectifié ter.

M. Alain Marc. Cet amendement vise à apporter une souplesse dans la mise en œuvre de l’enseignement bilingue, tel qu’il se pratique déjà dans nombre d’écoles publiques et privées sous contrat, afin de permettre d’atteindre une véritable compétence bilingue des élèves, l’objectif de pleine maîtrise de la langue française étant assuré conformément à l’article L121-3 du code de l’éducation, qui est ici rappelé.

Ce soutien particulier à la langue régionale, dans des contextes de diglossie au préjudice de la langue régionale, loin de nuire à la langue française, la renforce, au contraire. Le bilinguisme contribue au développement de hautes compétences dans les deux langues, notamment métalinguistiques, et favorise l’acquisition d’autres langues.

Le Conseil constitutionnel a par ailleurs validé ces différentes formes d’enseignement bilingue par sa décision 99-412 du 15 juin 1999, estimant qu’aucune des 39 dispositions de la Charte européenne des langues régionales ou minoritaires signées par la France le 7 mai 1999, y compris l’enseignement en immersion, n’était contraire à la Constitution.

Pour avoir suivi un nombre de sections bilingues dans un autre temps, où j’exerçais d’autres fonctions, je rappelle que les résultats, notamment aux évaluations nationales dans les sections bilingues, en particulier celles des langues régionales, étaient largement supérieurs à ceux qui sont obtenus dans les cursus classiques, à la fois en français et en mathématiques.

J’ajoute que ces sections bilingues ne coûtent pas plus cher à l’éducation nationale. En effet, si les mathématiques ou la biologie sont enseignées dans une langue régionale, en occitan, en basque ou en français, deux et deux font toujours quatre ! (Sourires.)

Quand on a la chance de pratiquer de la sorte et d’obtenir des résultats qui sont supérieurs aux autres, il ne me semble pas tout à fait idiot de favoriser l’enseignement bilingue !

M. le président. La parole est à M. Ronan Dantec, pour présenter l’amendement n° 372 rectifié.

M. Ronan Dantec. Cet amendement vise à donner une pleine reconnaissance à l’enseignement immersif d’une langue régionale dans l’enseignement public et à apporter une souplesse dans la mise en œuvre de l’enseignement bilingue.

Sur ce point-là aussi, on a progressé. Il serait bien de reconnaître les engagements pris par le Premier ministre lors de son déplacement en Bretagne, ainsi que les avancées faites ici même, au Sénat. En effet, je veux le rappeler, c’est dans cette enceinte que nous avons pleinement reconnu cet enseignement immersif, au moment de la discussion du projet de loi relatif aux compétences de la collectivité européenne d’Alsace, très fortement porté par nos collègues de l’Union Centriste.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

M. Max Brisson, rapporteur. Avant de donner l’avis de la commission, je voudrais dire quelque chose de plus personnel.

J’ai assisté, dimanche, à Saint-Pée-sur-Nivelle, aux fêtes des Ikastola et des Seaska. Il existe au Pays basque les écoles immersives en langue basque. Elles sont légales et sous contrat d’association, à l’instar de l’école Diwan en Bretagne. L’immersion existe donc dans ce pays. Mais l’immersion au Pays basque – nous avons eu, en effet, un échange un peu tendu avec Mme Gourault lors du débat sur la collectivité européenne d’Alsace – existe à l’école maternelle publique, dans le cadre de l’expérimentation.

C’est la raison pour laquelle j’ai réagi un peu vivement aux propos de Mme Gourault, selon laquelle ces sections immersives n’existeraient pas dans l’école publique. Je suis allé, avec le directeur académique des services de l’éducation nationale, le Dasen, des Pyrénées-Atlantiques visiter l’école maternelle immersive publique d’Ahetze. Les choses existent donc.

Les deux amendements identiques proposés ici visent à inscrire l’immersion dans le code de l’éducation pour l’enseignement public. Or je crains que les meilleures volontés ne finissent par se retourner contre l’immersion. En effet, tels que les amendements sont rédigés, et tant que la Constitution ne sera pas modifiée, ces dispositions seront malheureusement tout à fait fragilisées vis-à-vis de toute la jurisprudence constitutionnelle. Cela ne me semble donc pas faire avancer la cause.

Je vous proposerai plutôt d’examiner la rédaction de la commission au titre de l’article 8 et du recours à l’expérimentation. On peut, et cela se fait déjà, expérimenter, en immersion, dans les écoles maternelles publiques, l’enseignement dans une langue régionale. La rédaction de la commission est très claire : « Ces expérimentations peuvent concerner […] l’enseignement dans une langue vivante étrangère ou régionale ».

Ancien président de l’Office public de la langue basque, je pèse ici mes mots. Je proposerai, au nom de la commission, par rigueur, un avis défavorable pour ces deux amendements. Je veux de nouveau le dire nettement, nous avons, me semble-t-il, ouvert une porte à l’immersion au travers de l’expérimentation, qui permet de déroger au rythme hebdomadaire horaire dans le cadre d’un projet d’école.

La commission émet donc un avis défavorable.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Jean-Michel Blanquer, ministre. Il y a un sujet pédagogique, il y a un sujet juridique et, in fine, il y a probablement un sujet politique.

Sur le sujet pédagogique, on ne peut qu’être d’accord avec ce qui a été dit par les uns et par les autres : sur le plan cognitif, notamment, il est bon de connaître une autre langue. C’est vrai d’une langue étrangère comme d’une langue régionale.

Voilà un certain nombre d’années que l’on peut être totalement convaincu que l’apprentissage d’une autre langue, très jeune, n’est en rien nuisible, voire est positif pour l’acquisition de la langue française, comme pour les autres apprentissages. Sur ces bases, je crois qu’il peut y avoir une entente générale. C’est d’ailleurs ce qui justifie la promotion de l’enseignement bilingue.

Toutefois, au cours de nos débats, il s’est produit un saut du raisonnement. En effet, depuis la défense du bilinguisme, on en arrive à l’immersif.

Ce n’est pas tout à fait la même chose : par définition, l’immersif, c’est le multilinguisme. Ce que recouvre la notion de maternelle immersive, c’est le fait que les enfants ne parlent que la langue régionale. Le raisonnement se renverse donc, ce qui, d’un point de vue pédagogique, donne déjà largement lieu à discussion. Dans une perspective précisément cognitive, on pourrait dire que cette politique n’est pas positive, a fortiori si l’enfant est placé dans la situation d’ignorer la langue française.

D’un point de vue sociétal, vous raisonnez toujours comme si nous étions ramenés cinquante ou cent ans en arrière, à l’époque où l’on parlait la langue régionale en famille et où l’école de la République cherchait à imposer à tout prix le français aux élèves. Dans la réalité, c’est l’inverse qui se passe : on parle le français en famille et l’école de la République vient, d’une certaine façon, compenser l’extinction de la pratique de la langue régionale par un certain volontarisme, pour promouvoir la langue régionale. On assiste donc à une sorte d’inversion des rôles, que j’ai voulu pointer dans mes propos liminaires.

En clair, sur le plan pédagogique, l’immersion pose une véritable question. C’est la raison pour laquelle le rapporteur a eu raison de faire référence, non seulement sur le plan juridique, mais aussi sur le plan pédagogique, à la notion d’expérimentation, parce que celle-ci suppose l’évaluation.

Puisque les expériences immersives ont commencé il y a quelques années, acceptons-en l’augure – elles ont été faites, c’est une réalité. Comme il s’agit d’une expérimentation, celle-ci doit être évaluée. S’il en ressort quelque chose de très positif sur le plan pédagogique, peut-être pourrons-nous aller plus loin.

En attendant, nous ne saurions le consacrer d’un point de vue strictement juridique. En effet, la jurisprudence du Conseil d’État et du Conseil constitutionnel est très claire. Elle nous dit que l’on doit bien entendu favoriser les langues régionales, mais sans pour autant passer – si vous me pardonnez l’expression – de l’autre côté du cheval, c’est-à-dire sans défavoriser la langue française au point que, finalement, on ne la parle plus à l’école.

La proposition consistant à consacrer prématurément l’immersion est anticonstitutionnelle. Elle ne peut donc que recueillir du Gouvernement un avis défavorable.

M. le président. La parole est à M. Ronan Dantec, pour explication de vote.

M. Ronan Dantec. Je ne vais pas m’exprimer longuement, puisque nous souhaitons tous clore ce soir le chapitre des langues régionales. Toutefois, je pense que vos propos, monsieur le ministre, seront extrêmement commentés. Je vous le dis en toute sincérité, ils sont extrêmement datés.

Nous ne sommes pas dans cette réalité. Tout d’abord, il y a des familles et des parents jeunes qui parlent le breton ; je vous en présenterai. Au Pays basque, beaucoup de familles pratiquent la langue basque. Elles sont nombreuses un peu partout en France à pratiquer les langues régionales.

Ensuite, je ne connais pas, moi – mais vous m’en présenterez peut-être –, d’enfants qui soient passés par des systèmes immersifs de langues régionales et qui ne parlent pas le français ! Je rappelle même que, voilà quelques années, le lauréat du concours général en français était un élève de l’école Diwan.

Ce que vous dites n’est pas la réalité. Ce que vous dites, on l’a entendu quasiment depuis les années 1950. Voyez l’évolution du monde et des idées : énormément de pays, notamment en Afrique, ont aujourd’hui reconnu la diversité de leurs langues comme langues officielles.

En France, nous en sommes encore – je salue les efforts du rapporteur, qui réussit à se mouvoir dans ce cadre – à passer par l’expérimentation, faute de pouvoir faire autrement. La France date ! Il n’est pas même pas certain que ses pratiques seraient acceptées par l’Union européenne par rapport aux règles que celle-ci a édictées sur la reconnaissance de la diversité culturelle.

M. le président. La parole est à M. Alain Marc, pour explication de vote.

M. Alain Marc. Sur ce problème, je crois qu’il faut dépasser l’aspect émotionnel. M. le ministre a bien fait de séparer l’aspect du bilinguisme de l’aspect de l’immersion.

Monsieur le rapporteur, vous avez bien dit que l’aspect immersion se situait plutôt dans le cadre de l’expérimentation.

Aujourd’hui, les écoles Diwan, mais aussi les écoles Calandreta en Occitanie, font de l’immersion en maternelle. Les enfants ne parlent que la langue régionale, mais lorsqu’ils arrivent en cours préparatoire, ils sont obligés – c’est normal, cela existe depuis quinze ou vingt ans – d’apprendre le français.

Or les résultats obtenus par les sections bilingues dans les écoles Calandreta ne sont pas du tout mauvais. Ils sont même bien au-dessus des résultats de la moyenne nationale. C’est quelque chose d’essentiel !

Vous affirmez qu’il en va de même avec l’apprentissage d’une langue étrangère, mais je veux tout de même souligner une différence : lorsque l’on apprend une langue régionale et que l’on se situe dans une région, on connaît tous les aspects de la culture régionale qui l’entourent. Je pense à la toponymie et à tous ces aspects auxquels on peut se référer dans une classe et qui, hélas, font défaut pour l’apprentissage d’une langue étrangère.

Par ailleurs, il est vrai que la flexibilité cognitive est un peu plus assurée lorsque l’on a appris deux langues. On apprend d’autant plus vite les langues étrangères que l’on a appris une langue régionale en étant petit.

M. le président. La parole est à M. le ministre.

M. Jean-Michel Blanquer, ministre. Je me sens obligé d’intervenir de nouveau pour répondre à votre intervention, monsieur Dantec. Malheureusement, il me semble qu’il y a entre nous un petit problème de compréhension, alors même que nous parlons la même langue ! (Sourires.)

En effet, les propos que vous venez de tenir sont vraiment l’illustration de tout ce que je voulais éviter au travers de mon propos liminaire sur le sujet : j’y soulignais précisément que, tous autant que nous sommes, nous raisonnions encore trop, dans le débat public, comme si rien n’avait changé en cinquante ans et que l’école de la République se plaçait encore en position de résistance face aux langues régionales ; or tel n’est plus le cas.

Vous avez fait référence, monsieur Dantec, d’un point de vue quelque peu sociétal, aux jeunes familles qui parlent une langue régionale à la maison, de manière assez volontariste. Vous avez raison ; je le sais et je n’ai jamais dit le contraire.

Je vais donc essayer de me résumer pour être parfaitement clair. Oui, le contexte a changé. C’est ce que j’ai voulu souligner en déclarant que les choses se sont inversées, d’une certaine façon : le volontarisme est désormais à l’école, au travers notamment des classes bilangues régionales, ou même des classes immersives. J’ai voulu ainsi montrer que l’école de la République avait évolué en la matière. Telle est bien la situation actuelle.

Cela dit, on doit, d’une part, préserver certaines normes juridiques que j’ai rappelées et qui justifient, à elles seules, l’avis défavorable du Gouvernement, et, d’autre part, mener une réflexion pédagogique.

Certes, j’entends parfaitement ce qui vient d’être dit quant au succès de ces initiatives. Il ne faut pas pour autant oublier qu’il s’agit de familles très dynamiques, qui sont en mesure de très bien entourer leurs enfants ; si tel n’était pas le cas, elles ne se seraient pas engagées dans ce genre d’expériences. Ce constat n’est en rien un reproche ; il permet simplement d’éclairer le raisonnement, à l’appui, d’ailleurs, de vos propos sur l’évolution de la société, monsieur le sénateur.

Je suis donc, pour ma part, ouvert sur ces enjeux. Je juge très important de maintenir, et même de développer, la vitalité des langues régionales. Cependant, il m’appartient tout de même d’être attentif au cadre dans lequel cela s’opère et, évidemment, au respect de l’article 2 de la Constitution. Au-delà même de ces considérations, il m’importe tout simplement de préserver la qualité de l’enseignement, ainsi qu’une certaine égalité de l’accès à la langue française pour tous les enfants de France.

Je ne pense pas que de tels propos nous opposent ; ils nous conduisent simplement vers des positions d’équilibre, ce que la suite du débat démontrera sans doute.