M. Antoine Karam. Quatrième principe, enfin : l’innovation territoriale. Notre commission a envoyé un signal fort en supprimant l’article 6 quater, qui crée les EPLESF.

Nous espérons néanmoins pouvoir en débattre à nouveau dans les prochains jours, afin de trouver une rédaction qui rassure tous les acteurs. Ces établissements doivent rester un outil, une innovation pour les territoires qui en expriment le besoin, et non une menace pour l’ensemble du système éducatif.

Mes chers collègues – les nombreuses sollicitations dont nous avons fait l’objet dans nos territoires et un peu partout en témoignent –, les Français attendent du Sénat qu’il clarifie la situation. Gageons que nous serons à la hauteur, dans l’intérêt de tous nos enfants. (Applaudissements sur les travées du groupe La République En Marche.)

M. le président. La parole est à Mme Céline Brulin.

Mme Céline Brulin. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, même après vous avoir écouté très attentivement, monsieur le ministre, je trouve toujours aussi curieux d’avoir intitulé ce texte « projet de loi pour une école de la confiance ».

Une école de la confiance conforterait le lien étroit, le lien de confiance, précisément, entre la commune et l’école, ces deux piliers de la République, auxquels nos concitoyens sont d’autant plus attachés qu’ils se sentent abandonnés, la plupart des services publics disparaissant dans bien des territoires.

Or vous tentez de briser ce lien, d’accélérer les regroupements, de créer des établissements « XXL », éloignés, avec des chefs d’établissement missionnés plutôt pour gérer des moyens financiers et des ressources humaines que pour enseigner.

Nous nous réjouissons que, lors de son passage en commission, au Sénat, votre projet se soit délesté des établissements publics des savoirs fondamentaux, qui suscitent tant de méfiance de la part des parents d’élèves, des enseignants et des élus locaux.

Cette méfiance est née de l’expérience, car ces élus voient en effet se multiplier, sur le terrain, les appels à considérer l’échelon intercommunal comme la nouvelle maille de l’organisation scolaire. Ils sont parfois contraints à signer des conventions visant peu ou prou le même objectif que ces EPLESF, à savoir la rationalisation. Il serait regrettable que le Sénat, la chambre des territoires, soit sourd à ce qu’ils expriment et fasse entrer par la fenêtre ce qui vient d’être sorti par la porte, avec des conséquences évidentes pour le maillage scolaire, en particulier dans les territoires ruraux.

Une école de la confiance viserait la réduction des inégalités sociales, territoriales et scolaires, qui, bien souvent, se confondent, en ambitionnant la réussite de tous, tout particulièrement dans un moment où grondent, en France, une colère très grande et une exigence tout aussi grande de justice sociale.

Or la création des établissements publics locaux d’enseignement international, où seraient dispensés, durant toute la scolarité, des enseignements en français et en langue vivante et dont le budget pourrait comprendre des dons privés, nous semble clairement tourner le dos à cet objectif.

Il en a malheureusement été assez peu question dans nos débats jusqu’à présent, mais cela contribue à entériner une école à deux vitesses, les enfants des cadres internationaux – les Britanniques vivant en France, par exemple, en attendant le Brexit – étant, de fait, mieux lotis que les élèves de la plupart de nos communes et de nos quartiers.

Une école de la confiance accompagnerait les communes dans la mise en œuvre de l’instruction obligatoire dès 3 ans, pour en faire un élément de progrès partagé.

Or les communes, après avoir parfois connu des difficultés pour dédoubler les classes de CP et de CE1 en réseau d’éducation prioritaire, REP, et en réseau d’éducation prioritaire renforcé, REP+, faute d’avoir été accompagnées financièrement dans un contexte budgétaire que chacun sait extrêmement tendu, découvrent aujourd’hui que les conséquences de cette mesure ne seront pas totalement compensées. Elles se demandent même, d’ailleurs, si l’objectif n’est pas d’affaiblir le service public, l’école privée étant finalement la grande gagnante de cette mesure…

Une école de la confiance pourrait, en parallèle, étendre l’obligation de la scolarisation à 18 ans, comme nous le proposions au travers d’un amendement, qui a malheureusement été déclaré irrecevable. Ce serait une bien meilleure manière de lutter contre le décrochage que l’obligation de formation jusqu’à 18 ans, qui reste, dans le texte, très vague, en deçà des enjeux, et qui – c’est un comble – pourrait recouvrir la recherche d’emploi. Ce serait, à nos yeux, une mesure bien plus efficace.

Une école de la confiance se donnerait aussi les moyens d’être enfin à la hauteur de la loi de 2005 pour l’inclusion des enfants handicapés, en assurant la formation de leurs accompagnants, en dotant ceux-ci d’un véritable statut et en leur garantissant un salaire décent, afin de sécuriser et d’anticiper l’accueil des enfants. On sait combien les rentrées sont de plus en plus chaotiques pour eux. La mutualisation des accompagnants, synonyme de réduction des moyens, constitue l’exact opposé de ces mesures nécessaires et nous éloigne d’une école véritablement inclusive.

Une école de la confiance se fierait à ceux qui l’incarnent et la font vivre au quotidien, je veux bien entendu parler des enseignants, qui, certes, ont des obligations, conformément à leur mission de fonctionnaires, mais qui n’en restent pas moins des citoyens et des formateurs de futurs citoyens. Leur interdire la moindre critique publique à l’encontre des choix politiques de leur ministère de tutelle n’est pas une bonne chose pour la démocratie.

Le remplacement du Cnesco, organisme indépendant dont la qualité des travaux est reconnue de tous, par un organe qui n’aurait plus pour mission d’évaluer les politiques éducatives et dont la majorité des membres seraient nommés par vous-même et par vos successeurs, monsieur le ministre, participe de la même logique.

Un ministre qui voudrait regagner la confiance commencerait par entendre la contestation qui s’exprime depuis plusieurs semaines, il prendrait en compte les mobilisations, il écouterait les critiques, il traduirait les orientations données par le Président de la République à l’issue du grand débat – je pense par exemple à l’objectif de 24 élèves par classe, de la grande section au CE1, qu’a mentionné mon collègue et ami Pierre Ouzoulias.

Invoquer la confiance, décrire ce texte comme un projet social ne suffira pas, monsieur le ministre, à masquer la réalité : c’est un projet d’essence ultralibérale, qui sape les fondements de notre système scolaire.

La confiance, c’est donner de la réalité à la promesse d’une école qui fait réussir le plus grand nombre et qui – enfin – réduit les inégalités. (Applaudissements sur les travées du groupe communiste républicain citoyen et écologiste.)

M. le président. La parole est à Mme Maryvonne Blondin. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain.)

Mme Maryvonne Blondin. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, lors des assises de la maternelle, en mars 2018, le Président de la République affirmait : « Il y a toujours quelque chose d’éminemment politique au sens le plus noble et le plus profond du terme, lorsqu’on parle […] de l’éducation, parce que c’est là que l’on construit la société qu’on a à faire et qu’on veut voir ». Nous ne pouvons que souscrire à ce propos, tant l’école constitue le fondement même de notre société, le creuset de la République et de ses valeurs.

Parce que l’éducation constitue justement un sujet politique, chacune des réformes entreprises en la matière provoque réactions et débats. Mais ce texte a suscité de réelles inquiétudes.

Les polémiques actuelles s’inscrivent tout d’abord dans un contexte plus global : depuis le début du quinquennat, vous avez engagé de multiples réformes éducatives, détricotant les acquis de la loi de refondation de l’école de 2013, épuisant l’ensemble des acteurs concernés, las de devoir appliquer de nouvelles dispositions alors même que les effets des précédentes n’ont encore été ni mesurés ni évalués.

Alors qu’enseigner et apprendre nécessite du temps, les enseignants et les élèves sont les premiers affectés par ces changements à marche forcée.

Dans le contexte de crise sociale et politique actuel, les enseignants ont tenté de faire entendre leur voix par de nouveaux modes de contestation, attirant désespérément votre attention sur la dégradation de leurs conditions de travail et de leur pouvoir d’achat, sur le manque de reconnaissance, sur les violences quotidiennes, sur leur désarroi face à leur incapacité à répondre aux besoins de leurs élèves, faute de moyens, et sur les difficultés prégnantes qu’ils rencontrent trop souvent avec leur hiérarchie.

Hélas ! le présent texte n’apporte pas de réponse à ces cris d’alarme, notamment en ce qui concerne la gestion des ressources humaines et le bien-être des personnels : aucune mesure visant à assurer le suivi psychologique et médical, aujourd’hui inexistant, n’est envisagée.

Pourtant, la confiance et la bienveillance passent aussi par la responsabilité de l’employeur vis-à-vis de ses personnels, qui, je le rappelle, sont au nombre de 800 000.

Au-delà du contexte général, le projet de loi en lui-même inquiète l’ensemble des acteurs : la méthode, dénuée de toute concertation, n’a pas permis de les associer à la rédaction du texte. Le recours aux ordonnances témoigne aussi d’une volonté de limiter le débat parlementaire.

Vous conviendrez, monsieur le ministre, que la confiance ne peut nullement se décréter dans un article de loi, a fortiori quand ce dernier suscite la défiance des principaux intéressés.

En dépit des stéréotypes parfois véhiculés moquant leur corporatisme et leur résistance au changement, les enseignants ont en réalité toujours su adapter leur pédagogie aux évolutions de la société. Faites-leur confiance !

Si ce projet de loi visait initialement à traduire dans le droit la volonté du Président de la République d’abaisser l’âge de l’instruction obligatoire à 3 ans, force est de constater qu’il engage, en réalité, de nombreux et profonds changements de notre système éducatif, tout en en taisant la plupart des aspects concrets et opérationnels, dont il eût pourtant été intéressant et nécessaire de débattre.

Jugé trop disparate, décrit comme un « fourre-tout législatif », il interroge sur sa cohérence propre et son articulation avec l’ensemble de votre politique éducative. En réalité, il apparaît clairement que vous engagez, depuis deux ans, une vaste transformation du système éducatif : une éducation marquée par l’autonomie des établissements, par la concurrence, par l’évaluation, et par l’instauration d’une école à deux vitesses.

Le projet de société que vous y dessinez, profondément ancré dans une conception libérale, ne répond ni aux enjeux du système éducatif ni aux difficultés auxquelles notre société est aujourd’hui exposée avec une acuité sans précédent.

Une question demeure : quelle plus-value apporte ce projet de loi au système éducatif, à la réussite de nos élèves et à la lutte contre les inégalités ?

Monsieur le ministre, la confiance, celle qui lie nos concitoyens et l’institution scolaire, ne pourra être restaurée que lorsque l’école de la République disposera des moyens nécessaires et suffisants pour remplir sa mission essentielle : garantir à chacun, et en particulier aux plus vulnérables, la possibilité de se hisser au meilleur de ses capacités, en enrayant tous les déterminismes, pour qu’ils aient l’envie et le plaisir d’aller à l’école. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain et du groupe communiste républicain citoyen et écologiste.)

M. le président. La parole est à Mme Mireille Jouve. (Applaudissements sur les travées du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen.)

Mme Mireille Jouve. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous commençons ce jour l’examen du projet de loi pour une école de la confiance.

La multiplicité et la diversité des sollicitations dont nous avons pu faire l’objet témoignent des préoccupations profondes de la communauté éducative, des élus locaux et des parents d’élèves.

Certaines objections ont pu être formulées à l’aune d’inquiétudes qui ne sont pas nécessairement fondées – nous le reconnaissons volontiers, monsieur le ministre. Toutefois, ce phénomène, particulièrement prégnant pour ce texte, n’est peut-être pas étranger à l’insuffisance du dialogue et de la concertation engagés en amont de son élaboration.

Ce projet de réforme est venu se heurter aux attentes des Français, qui demeurent intactes, six années après la promulgation de la loi d’orientation et de programmation pour la refondation de l’école de la République.

Les études PISA successives montrent, depuis près de deux décennies, une évolution assez alarmante du système éducatif français. Une des tendances les plus préoccupantes réside sans doute dans le profond délitement de l’attractivité du métier d’enseignant. Bien qu’il s’agisse d’un levier de réforme essentiel, ce projet de loi demeure relativement muet sur cette question.

Notre collègue Françoise Laborde et notre rapporteur, Max Brisson, ont commis, l’an passé, un rapport sur l’attractivité du métier d’enseignant que vous avez vous-même qualifié, monsieur le ministre, « d’inspirant ».

La reprise, par notre commission, de plusieurs de leurs préconisations, comme l’inscription de l’obligation de formation continue de tous les professeurs, vient donc très opportunément enrichir ce texte.

Notre groupe, au travers du dispositif de préprofessionnalisation ouvert aux assistants d’éducation, salue une disposition qui a vocation à familiariser les futurs enseignants avec le terrain scolaire. Toutefois, nous demeurons soucieux d’encadrer finement ce dispositif, afin que son objet ne soit pas détourné.

Le RDSE se félicite également des nouvelles dispositions tendant à ce que l’abaissement de l’âge de la scolarité obligatoire à 3 ans ne pèse pas, outre mesure, sur les budgets communaux.

Notre groupe s’est particulièrement mobilisé sur ce point. Par deux fois, lors des questions au gouvernement, je vous ai interrogé, monsieur le ministre, sur l’accompagnement financier que le Gouvernement entendait mettre en œuvre du fait de l’obligation nouvelle qui sera faite aux communes de participer au fonctionnement des écoles maternelles privées sous contrat.

Le raisonnement de l’exécutif consistant à dire « qui faisait quoi avant ? » ou « qui engagera des dépenses nouvelles ? » ne pouvait nous satisfaire. La Haute Assemblée a donc voulu poser un principe équitable, les deux tiers des communes concernées accompagnant déjà, de manière facultative, l’enseignement maternel privé sous contrat.

Nous nous sommes donc attachés à ce que toutes les communes soient soutenues financièrement et pas uniquement celles qui engagent une dépense nouvelle.

Je profite de l’évocation de ce point pour attirer votre attention sur une autre réforme scolaire en vue qui ne sera, là encore, pas sans conséquence financière pour nos communes. Il s’agit de l’extension aux grandes sections de maternelle du dispositif de dédoublement des classes en réseau d’éducation prioritaire, ainsi que du plafonnement à 24 élèves, à l’horizon 2022, des effectifs, hors « REP », des classes de grande section de maternelle, de CP et de CE1. L’ouverture de 10 000 classes supplémentaires n’aura en effet rien d’anodin pour nos collectivités, qu’il s’agisse de locaux ou de personnels dédiés.

Le 30 avril dernier, j’ai voulu vous interroger sur ce sujet. Vous étiez retenu, et c’est M. le secrétaire d’État auprès du ministre de l’éducation nationale et de la jeunesse qui m’a répondu… ou plutôt qui ne m’a pas répondu.

Mme Mireille Jouve. Il m’a été dit, en substance, que je devrais plutôt « me réjouir » de cette annonce. L’un n’empêche pas l’autre, monsieur le ministre ! Le renforcement de l’apprentissage des fondamentaux est primordial, et nous l’appelons, avec constance, de nos vœux. Mais nos élus locaux ne veulent plus d’un État dont les réformes qu’il lance engagent surtout les autres, et ce sans consultation préalable.

En dépit d’une dynamique démographique tendant à réduire les effectifs du premier degré, personne ici ne se risquerait à dire que nos écoles publiques souffrent très majoritairement de surdimensionnement chronique. Là encore, le Sénat est dans son rôle lorsqu’il appelle le Gouvernement à la plus grande vigilance sur ce point.

Monsieur le ministre, nous souscrivons pleinement à l’abaissement de l’âge de la scolarité obligatoire, même si sa portée, en termes d’accueil, demeurera toute relative dans la grande majorité des territoires français.

Les sénateurs du RDSE ont souhaité apporter des aménagements à cette mesure, afin de mieux prendre en compte le rythme biologique des élèves en petite section ou de pérenniser des structures existantes, comme les jardins d’enfants, qui ont toujours donné pleine satisfaction.

Sur proposition de notre collègue Jean-Yves Roux, les membres de notre groupe ont, en outre, obtenu l’inscription du principe d’un accueil de l’enfant au plus près de son domicile.

Le présent projet de loi introduit également une obligation de formation pour les jeunes de 16 ans à 18 ans. Nous comprenons la démarche qui tend à poser le principe d’une obligation d’éducation et de formation de 3 ans à 18 ans, mais les conditions dans lesquelles a été introduite cette disposition, par voie d’amendement et sans étude d’impact, révèlent une impréparation certaine et réduiront vraisemblablement cette mesure à l’état de symbole.

Les conditions d’exercice et d’encadrement de l’instruction en famille ont aussi fait l’objet d’une attention particulière de notre commission. Notre groupe, notamment par le biais des propositions portées par notre collègue Nathalie Delattre, continuera de veiller à ce que ce recours, souvent précieux, ne soit pas dévoyé.

Le RDSE partage aussi pleinement la position de la commission qui a conduit à la suppression de l’article portant création d’établissements publics locaux d’enseignement des savoirs fondamentaux.

Sur la forme, le législateur ne saurait valider un dispositif aussi considérable sans étude ou évaluation préalables. Sur le fond, les craintes suscitées sont nombreuses, notamment en termes de concentration scolaire « forcée » en zone rurale. Alors que la notion de proximité est revenue au cœur du débat public, cette disposition paraît bien inopportune.

En ce qui concerne la création du Conseil d’évaluation de l’école, le groupe du RDSE aurait plutôt souhaité voir évoluer les prérogatives du Cnesco. Nous adhérons toutefois aux aménagements apportés par notre rapporteur pour renforcer l’indépendance et la pluralité de la future structure.

Le RDSE aurait également été partisan d’une poursuite de l’expérimentation du dispositif des PIAL, et de son évaluation, avant de procéder à un déploiement plus important. L’école inclusive représente un défi majeur. Les attentes sont de plus en plus fortes chez les parents d’élèves en situation de handicap. Les accompagnants des élèves en situation de handicap, ou AESH, sont au cœur du mécanisme, et la précarité professionnelle dans laquelle ils exercent leurs missions doit faire l’objet d’une attention accrue.

Les sénateurs de notre groupe ont enfin porté et soutenu la suppression de la demande de réforme par ordonnances de la carte académique. En effet, au regard des annonces récentes du Gouvernement, une telle disposition ne paraît plus adaptée.

Soucieux d’associer pleinement tous les acteurs à une réforme des conseils académiques de l’éducation nationale, ou CAEN, et des conseils départementaux de l’éducation nationale, ou CDEN, nous continuerons également de défendre une position similaire de suppression de l’article 18, même si nous ne contestons aucunement l’opportunité d’une réforme profonde de ces structures. (Applaudissements sur les travées du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen.)

M. le président. La parole est à M. Jacques Grosperrin. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. Jacques Grosperrin. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, les ministres se succèdent – près de cent sous la Ve République ! –, mais ne se ressemblent pas

Il y a eu des ministres avec des périmètres différents, des secrétaires d’État et parfois même des secrétaires d’État en charge de l’enseignement préscolaire. Georges Pompidou, chargé de mission pour l’éducation nationale au cabinet du général de Gaulle à la Libération, est devenu Premier ministre, puis Président de la République en 1969. D’anciens anciens ministres de l’éducation nationale ont été Premiers ministres – Lionel Jospin, François Fillon – et auraient voulu devenir présidents, à l’instar également de François Bayrou. D’autres sont aujourd’hui académiciens ou ont déjà été oubliés.

Aujourd’hui, vous occupez ce poste, monsieur Blanquer. Je pensais que vous préféreriez les petits matins à un grand soir. Or cette réforme au nom évocateur – « école de la confiance » – portera en fait votre nom.

L’annonce du Président de la République sur la scolarisation dès 3 ans vous a obligé à écrire rapidement, peut-être trop rapidement, votre projet de loi, alors même que vous faisiez un parcours sans faute.

Aujourd’hui, un trop grand nombre d’incertitudes demeure, que le Sénat, dans sa grande sagesse et sa responsabilité, essaie de rectifier avec son excellent rapporteur Max Brisson.

Y avait-il nécessité, de la part du Président de la République, d’annoncer l’instruction obligatoire à 3 ans, alors que quelque 97,5 % des enfants de 3 ans sont déjà scolarisés et qu’ils sont 99,5 % à l’être dès 4 ans, sans se soucier des incidences financières sur les collectivités locales et sur les maires ?

Les lois se succèdent, et ne se ressemblent pas : Berthoin, Haby, Savary, Jospin, Fillon… Parlerons-nous de la loi Blanquer dans quelques années ? L’histoire nous le dira.

En revanche, les évaluations, elles, se succèdent et se ressemblent. Vous les connaissez bien. Je pense à Timss, par exemple, l’évaluation consacrée aux mathématiques et aux sciences, qui a commencé le 6 mai en CM1 et le 13 mai en quatrième. Les derniers résultats montrent qu’il existe peut-être un problème en matière de formation des enseignants, notamment au regard de la faiblesse du score de nos élèves par rapport aux vingt-six pays de l’OCDE.

Je pense aussi aux études PISA : nous étions à la vingt-cinquième place, sur soixante-dix, en 2012, puis vingt-sixièmes en 2016. Nous connaîtrons à la fin de 2019 nos résultats pour 2020, et ils seront obtenus sous votre responsabilité, monsieur le ministre. Nous verrons alors quels sont les effets de votre politique. Quant à l’étude PIRLS, nous sommes dans la moyenne des pays de l’OCDE.

Je sais que vous êtes conscient de cette situation et que vous essayez de travailler en ce sens, notamment au travers du dédoublement des classes.

Néanmoins, comme le souligne le Conseil d’État dans son avis sur le projet de loi, l’article 1er de ce texte est symbolique et non normatif. Il risque de conduire à la mise en cause de l’enseignant au lieu de le soutenir, alors même que 58 % de directeurs d’école déclaraient, en 2018, avoir subi des bousculades, des insultes, voire des agressions.

L’article 3 crée une obligation de formation jusqu’à 18 ans. N’est-ce pas encore un engagement de communication du Président de la République, alors que le retour en formation ou à une formation professionnelle existait déjà ?

L’article 10 transforme les écoles supérieures du professorat et de l’éducation, les Espé, en instituts nationaux supérieurs du professorat et de l’éducation, ou Inspé. Ce changement de dénomination doit entraîner un changement de recrutement, de fonctionnement et de méthode ; nous l’attendons.

Permettez-moi de m’attarder sur l’article 6 quater et sur la création des établissements publics locaux d’enseignement des savoirs fondamentaux, qui ont suscité tant de méfiance, notamment, je le concède, en raison de rumeurs et de fausses informations. Toutefois, dans la mesure où vous connaissez mieux que moi le travail de certains partenaires de l’éducation, peut-être aurait-il fallu réfléchir à une meilleure anticipation.

J’ai donc décidé, ainsi que mon groupe, de supprimer cet article et de le réécrire avec toute la sécurité demandée et souhaitée.

Déjà, en 2019, à l’Assemblée nationale, un rapport montrait l’intérêt de cette école. Déjà, Frédéric Reiss parlait de regroupement. Déjà, Yves Durand parlait de la mise en amélioration de cette liaison, tout comme Alain Marc, qui soulignait l’importance d’une amélioration de la liaison entre l’école et le collège. Le rapport Thélot évoquait également un regroupement CE2, CM1, CM2, sixième.

Il faut un cadre juridique à cette école. Il faut, et c’est l’objet de mon amendement, décrire la création, sur la base du volontariat des collectivités territoriales et de la communauté éducative, d’un établissement correspondant à l’école du socle et nommé « établissement public local d’enseignement du socle commun ».

Les établissements qui sont en expérimentation à ce jour le demandent. Nous avons reçu, par exemple, des responsables de l’école du socle de Jussey, qui réclament ce texte juridique.

Toutefois, nous devons nous appuyer sur une délibération unanime et des collectivités locales et du conseil d’administration des collèges, ainsi que sur chacun des conseils d’école. Il nous faut rappeler que le collège et les écoles qui composent cet établissement peuvent être implantés sur plusieurs sites, et non sur un site unique dans le collège, comme on a pu l’entendre.

Il nous faut l’accord des collectivités territoriales pour toute modification des classes. Il nous faut, bien sûr, maintenir le directeur dans chaque école.

Telles sont les conditions indispensables pour retisser la confiance avec les élus, avec les enseignants et avec les parents. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. le président. La parole est à M. Stéphane Piednoir. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. Stéphane Piednoir. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, Oscar Wilde disait que « le seul moyen de se débarrasser d’une tentation, c’est d’y céder ». Avec ce projet de loi, monsieur le ministre, vous venez conforter cette maxime. N’aviez-vous pas annoncé, en début de quinquennat, qu’il n’y aurait pas de loi Blanquer ? La vie politique est ainsi faite…

Quelle est, à l’origine, la motivation principale de ce texte ? Sans aucun doute, celle de concrétiser la promesse du candidat Macron de porter à 3 ans l’âge de l’instruction obligatoire.

Au nom de quoi, de quel principe ? Permettez-moi de m’inscrire totalement en faux par rapport à l’argumentaire, souvent développé, selon lequel, avec cette mesure, notre pays disposera de la plus forte précocité en Europe en termes d’instruction. Je considère que l’on ne prend pas des mesures politiques pour battre des records, tout particulièrement dans le domaine si sensible de l’éducation nationale…

Tout acteur de la communauté éducative pourra convenir, avec un minimum d’objectivité, que le rythme d’un enfant de 3 ans n’est pas systématiquement adapté à une journée d’école qui démarre souvent dès sept heures trente, pour finir parfois après dix-huit heures.

J’ai ainsi proposé un amendement, adopté en commission, qui vise à déroger à cette règle pour les plus jeunes, à l’issue d’une concertation entre parents, directeurs et équipes éducatives. Par ailleurs, il me semble important de redire que la cellule familiale doit rester le premier éducateur de l’enfant.

J’ajoute que, au lieu de porter spécifiquement les efforts sur les départements qui se signalent par une singularité – ils ont été évoqués voilà quelques instants –, on généralise à l’ensemble du territoire national, sans anticiper sur les conséquences, notamment financières, pour toutes les communes de France. Les élus locaux sont inquiets de cette nouvelle charge.

Les élus ne sont pas les seuls à avoir fait connaître leurs vives inquiétudes vis-à-vis de ce projet de loi. Bien sûr, comme tout texte touchant à l’école, celui-ci n’a pas manqué d’hystériser le débat public, à l’image de la mobilisation contre l’article 6 quater, qui créait les établissements publics locaux d’enseignement des savoirs fondamentaux.

Parents d’élèves, personnels de l’éducation, enseignants et directeurs d’école ont beaucoup critiqué cette mesure avec, il faut bien le dire, des interprétations parfois malheureuses, et pas toujours objectives, tant s’en faut.

Toutefois, comme trop souvent malheureusement, la méthode d’introduction de cette mesure n’était pas la bonne. Aussi, les membres de la commission de la culture et notre rapporteur Max Brisson, dont je salue le travail de grande qualité, ont-ils su entendre les craintes. Dans un souci d’apaisement, nous avons fait le choix de supprimer l’article 6 quater, au motif qu’il risquait, pour paraphraser mon collègue Jacques Grosperrin, de « constituer un cheval de Troie pour des regroupements non désirés ».

Il faut néanmoins laisser une large place à l’expérimentation, car nous savons que ce dispositif correspond, localement, à des besoins réels.

Poursuivant en quelque sorte la même logique que pour l’instruction obligatoire à 3 ans, le Gouvernement a introduit, à l’Assemblée nationale, l’obligation d’instruction jusqu’à 18 ans. Là encore, je m’interroge sur les effets visés.

L’article 3 bis dispose que tout individu devra être inscrit dans un établissement scolaire, ou en formation, ou en emploi. Mais où serait-il donc si tel n’était pas le cas ? J’ai la nette impression que nous connaissons tous la réponse et que le mal profond auquel elle fait référence nécessite bien davantage qu’une mesure cosmétique de contrainte, qu’il sera bien difficile de faire respecter dans certains quartiers, surtout en confiant la mission de contrôle aux petits bras musclés de nos missions locales.