M. Max Brisson, rapporteur de la commission de la culture, de léducation et de la communication. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, que n’a-t-on entendu sur le sort que la commission de la culture, de l’éducation et de la communication aurait réservé à ce projet de loi. Nous vous aurions « saqué », monsieur le ministre, et nous aurions passé votre projet de loi au lance-flammes.

M. Roger Karoutchi. Allons bon !

M. Max Brisson, rapporteur. Oui, le regard que nous avons porté sur votre projet de loi fut critique, mais nous avons surtout cherché à l’améliorer, à le compléter, à le densifier. Et si notre regard a été critique, peut-on d’ailleurs nous le reprocher ?

Oui, notre regard a été critique, parce que nous avons dit que ce texte péchait par sa méthode d’élaboration, une méthode faisant trop souvent fi de la concertation et du dialogue social, ainsi que l’illustrent l’introduction à l’Assemblée nationale des établissements publics locaux des savoirs fondamentaux, un chapitre entier sur l’école inclusive ou encore les multiples habilitations à légiférer par voie d’ordonnance.

Oui, notre regard a été critique, parce que nous avons aussi indiqué que, à l’aune de l’ambition d’une élévation générale du niveau des connaissances, d’une école plus juste, qui aurait retrouvé la confiance de la société et confiance en la société, ce projet de loi était incomplet par son contenu.

Certes, en abaissant l’âge de l’instruction obligatoire à 3 ans, votre projet de loi prévoit une avancée démocratique que l’école n’avait pas connue depuis les lois fondatrices de Jules Ferry. Mais, reconnaissons-le ensemble, ce progrès demeure symbolique, puisqu’il ne concernera, dans les faits, que 2 % à peine des enfants d’une classe d’âge, les autres ayant déjà rejoint, par la volonté des parents, les bancs de l’école maternelle.

La mesure emblématique, qui est la raison d’être de ce projet de loi, est donc, pour l’essentiel, une mesure d’adaptation. Hormis en Guyane et à Mayotte où l’application de celle-ci se heurtera à de grandes difficultés, cette disposition se révélera sans réel impact sur les autres territoires français. En l’espèce, la loi ne fait que suivre le mouvement que la société a déjà imprimé.

Quant aux autres dispositions, elles sont d’importance très variée, alors qu’un volet demeure absent, celui des mesures relatives à la gestion des ressources humaines et aux conditions d’exercice du métier d’enseignant. Il s’agit pourtant là du levier majeur d’amélioration de notre école.

Comme les événements récents en témoignent, il est de plus en plus évident que les professeurs n’ont plus confiance en leur hiérarchie et ne se sentent plus ni écoutés ni considérés. Or la valeur de l’école se mesure aussi à l’aune du moral de ses professeurs.

Puisqu’il devait finalement y avoir une loi, alors, oui, l’école de la République, notre école, méritait plus. Car il y a urgence.

Les évaluations se succèdent et les acquis des élèves qu’elles mesurent se dégradent. L’échec scolaire se caractérise par sa précocité croissante et l’incapacité de notre système éducatif à le réduire.

M. Pierre Ouzoulias. Il a raison !

M. Max Brisson, rapporteur. Plus grave, la promesse républicaine fondatrice de notre école régresse. Notre système éducatif devient à l’opposé de cette promesse : il est l’un des plus inégalitaires des pays développés. Ses faiblesses, monsieur le ministre, vous les connaissez, et vos actions sont tendues vers leur résolution.

Si la perspective dans laquelle s’est inscrite la commission était donc résolument et raisonnablement critique, elle est tout aussi résolument et raisonnablement constructive.

En effet, mes chers collègues, votre commission a souhaité demeurer fidèle à ce qui fait l’intérêt du Sénat : un attachement à la qualité de la loi, en rejetant les dispositions bavardes, superflues ou manifestement réglementaires ; un esprit d’ouverture et de compromis ; une attitude pragmatique et la prise en compte de la diversité des réalités locales. Votre commission a aussi cherché à dépasser les clivages pour avoir un débat de qualité, un débat digne de l’école, parce que notre école le mérite et qu’elle est dans notre pays, chacun le sait, un sujet politique, source bien sûr de divergences, mais aussi de convergences fondatrices de notre République.

Le texte adopté par la commission est le fruit de ce travail collectif, dont je suis particulièrement fier : 141 amendements de presque tous les groupes ont permis de construire un texte plus équilibré et plus abouti, portant la voix des territoires jusqu’alors trop négligée.

La commission a ainsi apporté de nombreuses améliorations au texte qui lui était soumis.

Elle a réécrit l’article 1er pour rappeler que l’exigence d’exemplarité est au service de l’autorité des professeurs et pour réaffirmer une relation d’autorité dans laquelle le respect est d’abord et avant tout dû par les élèves et leurs familles aux personnels et à l’institution scolaire. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

S’agissant de l’abaissement de l’âge de l’instruction obligatoire, votre commission n’a pas remis en cause cette mesure, mais elle a été attentive aux conditions de son application.

Elle a veillé à donner de la liberté aux parents, en pérennisant la dérogation permettant aux jardins d’enfants d’accueillir des enfants de 3 à 6 ans. Elle a souhaité donner de la souplesse, en formulant des dérogations à l’obligation d’assiduité. Enfin, elle a modifié l’article 4 pour assurer la juste compensation des communes qui soutenaient déjà les écoles maternelles privées sous contrat.

À l’article 5, elle a souhaité donner aux familles les garanties d’un contrôle équitable, sans pour autant nuire à l’effectivité de ce dernier.

Elle a renforcé substantiellement le volet consacré à l’école inclusive, visant notamment à créer les modalités d’un accompagnement de qualité et à améliorer les conditions de travail et de formation des accompagnants d’élèves en situation de handicap.

Se faisant l’écho de l’incompréhension suscitée par l’article 6 quater, votre commission l’a supprimé, afin d’envoyer un signal fort au Gouvernement et au pays. Nous examinerons lors de nos débats un amendement de notre collègue Jacques Grosperrin tendant à rétablir cet article en donnant de solides garanties aux élus locaux, aux enseignants, aux directeurs et aux parents.

Notre commission a approuvé le principe de l’évaluation des établissements et de l’instauration du conseil d’évaluation de l’école à l’article 9. Elle a toutefois revu la composition de l’instance, afin d’en renforcer l’indépendance vis-à-vis du ministre et du Gouvernement. Elle a ainsi prévu la nomination de son président par le chef de l’État et renvoyé la nomination des six personnalités qualifiées aux présidents des assemblées parlementaires et au Premier ministre. Elle a fixé à six ans la durée de leur mandat, afin que celui-ci dépasse les alternances politiques.

Notre commission a travaillé enfin à combler les lacunes de ce texte, en introduisant plusieurs dispositifs de gestion des ressources humaines qui font aujourd’hui défaut : la poursuite des actions de formation initiale au cours des trois premières années de carrière ; l’obligation de formation continue pour tous les enseignants, organisée prioritairement en dehors des heures de classe ; les premiers jalons d’un statut du directeur d’école ; l’association du chef d’établissement aux décisions d’affectation qui concernent son établissement, mais également la création d’un contrat de mission permettant d’affecter dans les établissements les plus difficiles des enseignants chevronnés et motivés.

Enfin, la commission a supprimé l’article 17, considérant qu’un blanc-seing ne pouvait être donné à une mesure aussi importante pour nos territoires que l’organisation des rectorats.

Je constate avec satisfaction que le Gouvernement a joué le jeu et proposé d’inscrire dans la loi les dispositions de l’ordonnance prévue.

Vous le voyez, mes chers collègues, c’est avec la ferme résolution d’améliorer ce texte que votre commission a consulté, réfléchi, travaillé et proposé. Les débats qui nous attendent seront l’occasion de continuer d’enrichir ce projet de loi dans l’intérêt de l’école et de la réussite des élèves de ce pays !

Monsieur le ministre, mes chers collègues, j’espère que nous aurons un débat digne de notre école. Les professeurs nous regardent, et ils attendent que nous leur témoignions la confiance que la représentation nationale porte à l’école de la République et à toutes celles et tous ceux qui la servent. (Vifs applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et du groupe Union Centriste.)

Discussion générale (suite)
Dossier législatif : projet de loi pour une école de la confiance
Discussion générale (début)

M. le président. Mes chers collègues, le scrutin pour l’élection d’un juge titulaire et d’un juge suppléant à la Cour de justice de la République est clos. Les résultats seront proclamés ultérieurement au cours de la séance, et les élus prêteront alors serment.

Nous passons à la discussion de la motion tendant à opposer la question préalable.

Question préalable

M. le président. Je suis saisi, par Mmes Assassi et Brulin, M. Ouzoulias et les membres du groupe communiste républicain citoyen et écologiste, d’une motion n° 1.

Cette motion est ainsi rédigée :

En application de l’article 44, alinéa 3, du règlement, le Sénat décide qu’il n’y a pas lieu de poursuivre la délibération sur le projet de loi, adopté par l’Assemblée nationale en première lecture, pour une école de la confiance (n° 474, 2018-2019).

Je rappelle que, en application de l’article 44, alinéa 8, du règlement du Sénat, ont seuls droit à la parole sur cette motion l’auteur de l’initiative ou son représentant, pour dix minutes, un orateur d’opinion contraire, pour dix minutes également, le président ou le rapporteur de la commission saisie au fond et le Gouvernement.

En outre, la parole peut être accordée pour explication de vote, pour une durée n’excédant pas deux minutes et demie, à un représentant de chaque groupe

La parole est à M. Pierre Ouzoulias, pour la motion.

M. Pierre Ouzoulias. Monsieur le ministre, peu de temps après votre nomination au ministère de l’éducation nationale, vous aviez déclaré à la presse : « L’école n’a pas besoin, à chaque alternance politique, d’une nouvelle loi. Elle peut se gouverner autrement. » Vous avez tenu parole. En effet, en peu de temps, sans recourir à la procédure législative, vous avez profondément modifié l’organisation, les finalités et le fonctionnement de l’éducation nationale, en transformant considérablement l’enseignement professionnel, le baccalauréat, le lycée et les programmes.

De toutes ces réformes, la Haute Assemblée n’a pas eu à connaître, hormis dans le cadre des débats qu’elle a elle-même convoqués. Très récemment, M. Pierre Mathiot déclarait à propos de la réforme du baccalauréat : « C’est une réforme qui est lourde, structurelle, et qui concerne un secteur qui n’a pas été réformé depuis un demi-siècle. » Il eût été légitime que le Sénat vous entendît sur les finalités d’un changement aussi radical.

À ces bouleversements majeurs s’ajoutent les restrictions considérables imposées à l’accès à l’enseignement supérieur par la loi relative à l’orientation et la réussite des étudiants, que votre collègue continue de nous présenter comme une remédiation strictement technique au recours illégal au tirage au sort.

Progressivement, parents et enseignants comprennent que toutes ces réformes font système et que, loin d’être dictées par des nécessités pratiques, elles sont inspirées par une pensée politique globale, que vous n’assumez pas. Parents et enseignants mesurent, de plus en plus, le décalage profond qui existe entre les déclarations officielles et la réalité telle qu’ils l’éprouvent dans les établissements. Cette distorsion entretient du doute, de l’inquiétude et, finalement, de la suspicion.

Élus de terrain, nous avons mesuré, ces dernières semaines, combien la défiance était grande envers des mesures dont nos concitoyens perçoivent qu’elles sont dictées par des objectifs dont on leur cache le dessein essentiel. Vous avez parlé de « bobards », monsieur le ministre ; nous percevons surtout de l’incompréhension, du soupçon et de la méfiance.

La loi que vous nous proposez aujourd’hui aurait pu être l’occasion d’une déclaration clarificatrice sur vos intentions politiques véritables. La commission de la culture du Sénat a considéré qu’elle était, tout au contraire, bavarde, peu lisible et confuse. Je partage sur ces points les critiques exprimées à l’instant par notre rapporteur, le sénateur Max Brisson. L’objet de cette loi était de rétablir la confiance entre le corps enseignant, son ministère de tutelle et les parents. Je crains qu’elle n’entretienne davantage la défiance.

Enfin, et surtout, alors que nous dressons le constat commun d’une école incapable de corriger les inégalités sociales d’accès au savoir, votre projet est dépourvu de l’ambition de mobiliser les ressources de la Nation pour rebâtir une éducation nationale au service de l’émancipation, du développement humain et de l’égalité des droits politiques.

Nous aurions pu, ensemble, réaliser pour le XXIe siècle la généreuse utopie que Condorcet esquissait ainsi en 1792, « an IV de la liberté » : « Assurer [à tous les individus de l’espèce humaine] la facilité de perfectionner son industrie, de se rendre capable des fonctions sociales auxquelles il a droit d’être appelé, de développer toute l’étendue des talents qu’il a reçus de la nature ; et par là, établir entre les citoyens une égalité de fait, et rendre réelle l’égalité politique reconnue par la loi. »

Nonobstant certaines dispositions qui auraient pu être mises en œuvre par la voie réglementaire, l’objet législatif principal de ce texte est de satisfaire l’annonce présidentielle de l’abaissement de l’âge de la scolarisation obligatoire à 3 ans. Et encore, les maires ont vite compris qu’elle se réaliserait grâce à la contribution des finances municipales. Historiquement, cette loi apparaît alors comme l’extension, jusqu’à cet âge, des mesures pécuniaires de la loi du 31 décembre 1959, dite loi Debré.

Toutefois, son manque d’ambition l’en distingue absolument. La loi Debré portait à 16 ans la scolarité obligatoire. Cette extension s’accompagna d’un programme massif de recrutement d’enseignants. Dans le même temps, de 1960 à 1969, la taille moyenne des classes des écoles primaires publiques fut réduite de 30 à 26 élèves, ce qui imposa l’embauche de 4 000 instituteurs pendant ces dix années.

Alors que la dépense publique est aujourd’hui considérée comme un abject vice par la doxa libérale, Louis Cros, haut fonctionnaire du ministère de l’éducation nationale, expliquait ainsi, en 1961, les nécessités d’un investissement massif de l’État gaullien dans l’enseignement :

« Pour la première fois dans l’histoire, les aspirations idéalistes et les nécessités pratiques en matière d’enseignement ont cessé de se contredire. En France, […] les exigences de la prospérité et de l’équilibre économique s’ajoutent maintenant aux raisons de justice et d’égalité sociale pour rendre nécessaire, en même temps que désirable, l’instruction la plus développée possible pour le plus grand nombre possible d’enfants. […] La France a besoin de développer toutes ses ressources intellectuelles. Sinon elle deviendrait un pays intellectuellement sous-développé, qui maintiendrait artificiellement une économie anachronique à coup de subventions économiques, ou d’indemnités de chômage quand des générations plus nombreuses parviendront à l’âge d’homme. » Brillante prophétie…

Près de soixante ans plus tard, nous pourrions dresser le même constat et nourrir la même ambition. L’accélération du progrès technique, la révolution du numérique et la quantité exponentielle d’informations que nous devons traiter tous les jours exigeraient sans nul doute que notre enseignement franchisse une nouvelle étape. Ne serait-il pas temps, par exemple, de prolonger l’enseignement obligatoire jusqu’à la majorité ?

C’était l’une des préconisations du plan conçu, à la Libération, conformément au programme de gouvernement du Conseil national de la Résistance, par Paul Langevin et Henri Wallon. Combien de temps nous faudra-t-il encore pour réaliser cette élévation supplémentaire de la durée d’instruction ou de formation pour celles et ceux qui, trop nombreux, la quittent toujours, sans diplôme, à 16 ans ?

Certes, votre projet instaure une obligation de formation pour les jeunes âgés de 16 à 18 ans, mais, comme l’a montré notre commission, cette mesure est symbolique. L’abaissement de l’âge de la scolarisation à 3 ans l’est tout autant en France métropolitaine. Il demandera toutefois un véritable effort pour être appliqué dans les outre-mer et, sur ce point, nous attendons de votre gouvernement des engagements fermes et précis.

En substance, ce qui caractérise ce texte, c’est son manque d’ambition pour l’école. L’accumulation de mesures techniques, souvent discutables, ne peut cacher cette vacuité. Elle est d’autant plus décevante que, dans le même temps, selon la formule consacrée, le Président de la République annonçait, le 25 avril dernier, un plan d’investissement massif en faveur de l’école. Les promesses donnent le vertige : dédoublement de 6 000 classes supplémentaires, limitation à 24 du nombre d’élèves dans toutes les classes de la grande section de maternelle au CE1, revalorisation du métier de professeur, moratoire pour la fermeture des classes, etc.

Pour assurer seulement le dédoublement des classes, dans son programme, le candidat Emmanuel Macron avait estimé à 12 000 postes le besoin de recrutement.

Nous ne doutons pas de la volonté du Président de la République d’honorer rapidement ses engagements. Votre collègue en charge de l’enseignement supérieur et de la recherche a lancé une grande concertation dont les conclusions fourniront la matière d’une grande loi de programmation pluriannuelle de la recherche qui sera présentée au Parlement avant la fin de l’année. Pour satisfaire les ambitions du Président de la République en faveur de l’école, nous vous proposons la même méthode.

C’est l’objet de cette motion tendant à opposer la question préalable : nous donner collectivement le temps de préparer ensemble, avec tous les acteurs de l’éducation, la grande loi dont l’école de la République a besoin, pour, selon les mots de Condorcet, « contribuer [au] perfectionnement général et graduel de l’espèce humaine, dernier but vers lequel toute institution sociale doit être dirigée ». (Applaudissements sur les travées du groupe communiste républicain citoyen et écologiste, ainsi que sur des travées du groupe socialiste et républicain.)

M. le président. La parole est à M. Philippe Mouiller, contre la motion.

M. Philippe Mouiller. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, notre groupe s’opposera à cette motion tendant à opposer la question préalable, déposée par le groupe CRCE.

Certes, nous avons noté les faiblesses du projet de loi, pour ne pas dire son absence de contenu. Vous aviez d’ailleurs déclaré, au début de votre mandat, monsieur le ministre, qu’il n’y aurait pas de « loi Blanquer », car vous-même n’en ressentiez pas la nécessité. Le Gouvernement a surtout fait un acte de communication en affichant plusieurs messages symboliques.

Tout d’abord, la mesure phare du projet de loi, l’abaissement à 3 ans de l’instruction obligatoire. Celle-ci ne concernera pourtant qu’une infime proportion d’enfants, beaucoup étant déjà scolarisés dès 3 ans.

De même, la confiance prônée par le projet de loi est censée s’appuyer sur un respect mutuel, qu’il est aisé de décréter.

Quant au principe d’une formation obligatoire entre 16 et 18 ans, c’est une sorte de vœu pieux, qui ne règle en rien le problème crucial de la déscolarisation.

Le reste du projet de loi permet d’adopter diverses mesures d’intérêt varié et sans grande cohérence. Nous partageons donc le sentiment d’un manque d’ambition du texte. Cependant, le projet de loi a été remanié en commission. Notre rapporteur Max Brisson, dont je salue la qualité du travail, s’est attaché à corriger les défauts et les oublis du texte.

Ainsi, plutôt que de les placer sur un même plan, la commission a rappelé la place majeure de l’autorité de l’enseignant sur les élèves. Elle a introduit de la souplesse dans l’application du principe de scolarisation à 3 ans et garanti la compensation pour toutes les communes concernées. Elle a complété le chapitre dédié à l’école inclusive pour un meilleur accompagnement des élèves en situation de handicap. Elle a rassuré parents, enseignants, directeurs et élus locaux, en supprimant l’article 6 quater, qui a fait grand bruit en étant introduit sans concertation préalable à l’Assemblée nationale.

La commission a également traité de sujets qui ne figuraient pas dans le projet de loi, mais sur lesquels nous appelons à légiférer de longue date, comme le statut des directeurs d’établissements ou la formation continue.

Je n’irai pas plus loin, car la liste est longue : quelque 141 amendements ont été adoptés en commission pour redessiner le texte.

Notre groupe estime dès lors qu’il serait regrettable d’effacer et d’interrompre ce travail sénatorial, en renvoyant ainsi un texte inachevé et bancal aux députés. C’est la raison pour laquelle nous voterons contre cette motion. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

M. Max Brisson, rapporteur. L’école de la République appelle l’union de tous les efforts, et non la clôture des débats. En rejetant ce texte en bloc, vous remettriez en cause les apports de la commission et les 141 amendements qui ont été adoptés, fruit d’un travail collectif.

La commission a fait le choix d’une position constructive, critique, mais elle a cherché à améliorer ce texte. Son avis est donc évidemment défavorable.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Jean-Michel Blanquer, ministre. Tout d’abord, je souscris entièrement aux arguments qui viennent d’être présentés par le rapporteur. Il serait paradoxal de balayer tout le travail réalisé par le Sénat, alors même que vous souhaitez, mesdames, messieurs les sénateurs, que les assemblées puissent se saisir des grands problèmes de l’éducation.

Je souligne en outre un certain nombre d’éléments très intéressants dans vos propos, monsieur Ouzoulias.

Je vous remercie, tout d’abord, de la subtilité avec laquelle vous avez analysé la question de la loi, au début de votre intervention. Il est exact que le sujet de l’éducation relève d’une hiérarchie des normes particulière, qui ne dépend pas de moi et qui mérite d’être discutée. J’en suis pleinement conscient et vous donne raison sur ce point.

En revanche, il me semble en avoir tenu compte au cours des deux dernières années en venant parler devant votre assemblée des grandes réformes qui ne relèvent pas de la loi. J’ai volontiers répondu à chacune de vos invitations, bien évidemment, mais j’ai moi-même souhaité que les grandes évolutions de l’éducation soient discutées devant les députés et les sénateurs.

Par ailleurs, vous avez raison, monsieur Ouzoulias, des choses importantes ont été accomplies depuis deux ans – je vous remercie de cet hommage. (Sourires.)

J’avais dit en effet qu’il n’y aurait pas de « loi Blanquer », c’est exact. Mais l’on oublie toujours de contextualiser le sens de cette phrase. Tout d’abord, j’ai affirmé qu’il n’y en aurait pas une immédiatement, et c’est effectivement ce qui s’est passé, puisque deux ans se sont écoulés depuis lors. Ensuite, je ne souhaite pas particulièrement que mon nom soit donné à cette loi.

Le sens profond de cette phrase, c’est qu’il n’est pas nécessaire, au début d’un quinquennat, de vouloir à tout prix faire une loi, en prétendant que celle-ci va tout changer. Sur ce point, je n’ai pas changé d’avis, d’où la relative humilité avec laquelle je me présente devant vous. Avec ce projet de loi, nous prétendons résoudre certains problèmes, mais pas tous.

D’autres difficultés ont commencé à être traitées par les réformes auxquelles vous avez fait référence ; d’autres restent encore à résoudre. C’est le cas, par exemple, des enjeux de ressources humaines du ministère, qui sont évidemment très importants. Ils ne nécessitent pas de loi, pour la plupart d’entre eux, mais ils méritent d’être débattus au Parlement.

C’est donc une vision complète et systémique que je vous présente. Cette loi n’en constitue qu’un élément, et cette vision se veut par ailleurs très respectueuse des assemblées, pour deux raisons.

Premièrement, nous discutons ici au Sénat de tout, y compris de ce qui relève non pas de la loi, mais du règlement.

Deuxièmement, je suis évidemment ouvert à la transformation du texte par voie d’amendements, car je suis respectueux du dialogue social comme du dialogue avec les chambres. C’est exactement l’attitude que j’ai adoptée devant l’Assemblée nationale.

Quel paradoxe de se voir reprocher par un parlementaire d’avoir pris en compte des amendements parlementaires ! J’arrive au Sénat, comme à l’Assemblée nationale, les mains ouvertes. Et vous ne manqueriez pas de vous offusquer si, demain, des députés me reprochaient d’avoir pris en compte des amendements sénatoriaux.

Je prendrai évidemment en compte tous les amendements au cours de cette discussion, quelle que soit leur origine, tout comme je me suis inspiré, pour ce projet de loi, d’éléments qui ont pu figurer dans des programmes de gauche comme de droite. C’est le cas de l’instruction obligatoire à 3 ans et de la formation obligatoire de 16 à 18 ans.

Vous avez tous les deux, messieurs les sénateurs, abordé ce point dans vos interventions, et je ne comprends pas pourquoi vous cherchez à minimiser la portée de ce dispositif. Vous avez appelé de vos vœux la prolongation de la formation jusqu’à 18 ans, monsieur Ouzoulias, en faisant référence au plan Langevin-Wallon. L’on ne peut que saluer cette référence, mais le dispositif prévu dans la loi constitue un pas très important dans cette direction.

Oui, nous nous donnerons les moyens de faire en sorte qu’aucun jeune de moins de 18 ans ne soit sans emploi ni formation. C’est l’ambition considérable portée par ce projet de loi.

J’ai par ailleurs été étonné de constater que cette disposition avait été peu commentée jusqu’à présent. Je souhaite vivement qu’elle soit discutée devant la Haute Assemblée, mais je préférerais que l’on se demande comment lui donner toute sa portée, plutôt que d’affirmer a priori qu’elle n’en a aucune…

Pour toutes ces raisons, j’émets un avis défavorable sur cette motion, parce que je pense que les journées de débat qui sont prévues permettront de faire évoluer substantiellement ce projet de loi. (Applaudissements sur les travées du groupe La République En Marche et du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen.)