compte rendu intégral

Présidence de M. Philippe Dallier

vice-président

Secrétaires :

M. Daniel Dubois,

M. Dominique de Legge.

M. le président. La séance est ouverte.

(La séance est ouverte à dix heures trente.)

1

Procès-verbal

M. le président. Le compte rendu analytique de la précédente séance a été distribué.

Il n’y a pas d’observation ?…

Le procès-verbal est adopté sous les réserves d’usage.

2

La caducité du traité sur la stabilité, la coordination et la gouvernance de l’Union européenne rendra-t-elle une autonomie budgétaire aux États membres ?

Débat organisé à la demande du groupe communiste républicain citoyen et écologiste

M. le président. L’ordre du jour appelle le débat, organisé à la demande du groupe communiste républicain citoyen et écologiste, sur le thème : « La caducité du traité sur la stabilité, la coordination et la gouvernance de l’Union européenne rendra-t-elle une autonomie budgétaire aux États membres ? »

La parole est à M. Pierre Laurent, pour le groupe auteur de la demande.

M. Pierre Laurent, pour le groupe communiste républicain citoyen et écologiste. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, je voudrais commencer ce débat, demandé par le groupe communiste républicain citoyen et écologiste, par un constat éclairant :

« La réforme de la zone euro est à nouveau à l’ordre du jour. Parmi les pistes envisagées, l’évolution des règles budgétaires devrait figurer en tête de liste. Celles-ci ont en effet engendré une austérité budgétaire excessive pendant la crise, aggravant et prolongeant ses conséquences économiques, sociales et politiques […]. Ces règles souffrent en outre de graves problèmes de mesure : elles sont basées sur un concept légitime, le solde public structurel, mais celui-ci n’est pas observable et fait l’objet d’importantes erreurs d’estimation ».

Ces quelques lignes, mes chers collègues, n’émanent pas d’une analyse du parti communiste. Non, cette prise de position est celle du Conseil d’analyse économique !

Elle nous appelle clairement, plus de vingt-cinq années après le traité de Maastricht, plus de dix ans après l’explosion de la profonde crise du capitalisme en 2007, à remettre en cause l’inefficacité et l’injustice de l’encadrement des politiques budgétaires nationales. Or une occasion unique de le faire se présente depuis que, en décembre dernier, le traité sur la stabilité, la coordination et la gouvernance, le TSCG, est devenu caduc, sans existence légale, à la suite du refus du Parlement européen de l’entériner dans le droit européen.

Cet événement essentiel est pourtant étonnamment passé sous silence par notre gouvernement, alors même que nous sommes en pleines élections européennes et que l’injustice fiscale et les conséquences de l’austérité sont largement mises en cause dans notre pays.

Dans tout l’arsenal « austéritaire » mis en place par les gouvernements à l’échelle européenne, le TSCG, signé en 2012, tient une place particulière. Résultat de la collaboration entre Nicolas Sarkozy et Angela Merkel, il fut au cœur de la campagne présidentielle de 2012 et, malgré les promesses de renégociation faites par François Hollande devant les Français, il fut signé sans qu’une ligne en fût changée.

Nous avions dénoncé ce déni de démocratie, ainsi que les dangers de ce corset budgétaire, et démontré à l’époque au Parlement européen les problèmes de légalité posés par ce traité. En effet, le TSCG poussait comme jamais à l’encadrement et au contrôle constitutionnel ou quasi constitutionnel de l’action publique et budgétaire des gouvernements nationaux. En cela, il s’oppose frontalement à la tradition républicaine d’une souveraineté parlementaire sur les dépenses de la Nation.

Des mécanismes de contrainte de la dépense publique avaient déjà été imposés avec les règlements two pack et six pack. Mais le TSCG porte, lui, une atteinte inédite à la souveraineté, au travers de trois éléments centraux : premièrement, son article 3 introduit la règle d’or, au travers du respect d’un déficit structurel de l’État membre ne dépassant pas l’objectif à moyen terme qui lui est propre, dans la limite de 0,5 % du PIB ; deuxièmement, la soumission à des recommandations du Conseil européen et, au titre de l’article 7 du TSCG, l’établissement d’une majorité qualifiée inversée au Conseil pour échapper à ces recommandations ; troisièmement, la soumission du contrôle de ces recommandations dans les budgets nationaux à la Commission européenne.

Aujourd’hui, les conséquences de ces politiques d’austérité sont connues ; elles sont dramatiques. Elles ont signé l’abandon de toute ambition de politique publique en Europe, pourtant si nécessaire à la réduction des inégalités, comme à la conduite de long terme des indispensables transitions industrielles et écologiques.

Socialement, le bilan est très lourd. Ainsi, quelque 87 millions d’Européens vivent aujourd’hui sous le seuil de pauvreté, et les inégalités explosent.

Politiquement, l’impasse est lourde et, partout, produit des monstres. La bête noire de nationalismes xénophobes resurgit dans toute l’Europe, et l’abstention s’annonce comme la grande gagnante des élections européennes à venir.

Dans l’Europe des années 1930, le philosophe Edmond Husserl le disait déjà : « Le plus grand danger pour l’Europe est la lassitude. » En 2019, il s’agit de la lassitude face aux mécanismes d’austérité, mais aussi face à un avenir sans cesse plus obstrué. Nous ne nous résignons pas à cette dangereuse lassitude.

Nous proposons donc de nous saisir d’une situation exceptionnelle dans l’édifice juridique européen : la caducité avérée du TSCG. La vérité doit être dite aux Français : depuis décembre 2018, soit moins de six mois, la France et les autres États européens ne sont plus liés par les dispositions du TSCG. La règle d’or, le mécanisme de majorité inversée et la soumission des budgets à la Commission ne sauraient plus constituer des obligations juridiques s’imposant aux États membres de la zone euro.

Je veux prouver ce que nous affirmons, car nous savons que les dogmatiques de l’austérité vont s’accrocher à ces politiques pourtant partout rejetées en Europe.

Tout d’abord, le TSCG n’est pas un traité de droit européen et ne l’a jamais été. À l’image du mécanisme européen de stabilité, il constitue un outil de droit international, soumis, par conséquent, aux règles coutumières de ce dernier.

Si le traité sur le fonctionnement de l’Union européenne est, au titre de son article 356, conclu pour une durée illimitée, tel n’est pas le cas du TSCG, traité « temporaire » dont le caractère transitoire découle de son article 16, qui fixe un délai de cinq ans maximum pour sa transposition en droit européen. Or ce délai est épuisé, et il n’y a pas eu de transposition.

Dans la proposition de directive soumise en décembre 2018 par la Commission, le caractère transitoire est rappelé avec clarté : « Les parties contractantes ont exprimé leur volonté d’utiliser cet instrument intergouvernemental comme dispositif temporaire. Cette volonté est reflétée à l’article 16 du TSCG, qui prévoit que, « dans un délai de cinq ans maximum à compter de la date d’entrée en vigueur dudit traité, les mesures nécessaires sont prises afin d’intégrer le contenu du traité dans le cadre juridique de l’Union européenne. »

Ce caractère transitoire a aussi été remarqué par le Conseil constitutionnel français. Dans le propre commentaire de leur décision 2012-653 DC relative au TSCG, les Sages déclaraient ainsi clairement : « Ce traité a une vocation transitoire. »

Or, si en vertu de l’article 55 de notre Constitution, les engagements internationaux ratifiés et approuvés sont applicables et supérieurs aux lois, la jurisprudence a, à de nombreuses reprises, souligné qu’une telle situation ne trouvait à s’appliquer que dans la mesure où ces engagements étaient régulièrement ratifiés et toujours en vigueur.

La situation de caducité du TSCG est donc clairement établie. Au terme des cinq ans, la commission des affaires économiques du Parlement européen s’est opposée à la proposition de directive de la Commission européenne transposant le TSCG en droit européen ; il s’agit clairement, dans la procédure législative européenne, d’un refus, qui, normalement, doit mettre un terme au projet de la Commission.

Du point de vue du droit international, la situation est claire : dans le cas de traités conclus pour une durée déterminée, ceux-ci cessent d’être applicables dès qu’ils sont arrivés à expiration, sans qu’une dénonciation soit nécessaire.

J’entends l’autre objection que vous pourriez nous opposer : une loi organique ayant été votée en France, le droit interne suffirait donc à soumettre les budgets nationaux à la règle d’or.

C’est oublier deux choses essentielles. D’une part, l’enjeu de la caducité du TSCG dépasse les seules frontières nationales et engage l’ensemble de l’Europe. D’autre part, la transposition du TSCG en France ne s’est pas faite – c’est le moins que l’on puisse dire – sans réticence des parlementaires ou des juges nationaux. Il n’y a pas eu de réforme constitutionnelle, et le déficit structurel de 0,5 % du PIB n’a pas été inscrit, stricto sensu, dans la loi organique.

Dans ce cadre, aucune disposition constitutionnelle ne saurait plus nous obliger à respecter un objectif de moyen terme de 0,5 % de déficit structurel. Une telle position est, par ailleurs, en cohérence avec l’avis formulé par le Conseil d’État relatif à la loi de programmation 2009-2011.

Mes chers collègues, avec la caducité du TSCG en Europe, c’est l’un des mécanismes structurants de la conception de l’encadrement des politiques publiques qui est mis en cause. En France, c’est la conception qui préside aux lois de finances pluriannuelles qui est contestée.

Alors que nos citoyens, nos travailleurs, nos PME, nos agriculteurs, nos artisans, nos services publics sont étranglés par les politiques d’austérité, nous devons saisir cette occasion historique. La France doit prendre la tête du combat pour libérer l’Europe des mécanismes de contrainte, qui ont étouffé l’activité économique, enrichi les actionnaires et appauvri les peuples et les nations.

L’Europe fait face à des défis cruciaux, industriels, économiques, informationnels. Ces derniers ne pourront être atteints sans l’engagement de la puissance publique, sans de réels mécanismes de coopération budgétaire en Europe.

J’ai rappelé ici il y a quelques jours, en présence du ministre Bruno Le Maire, nos propositions pour la création d’un fonds de développement des services publics et pour la refondation des missions de la Banque centrale européenne au service d’un nouveau développement social, industriel et écologique.

Le vide juridique laissé par la caducité du TSCG doit nous libérer des multiples instruments de contrainte budgétaire qui ont violé les souverainetés nationales en Europe. D’autres traités de droit international peuvent être négociés pour, enfin, mettre sur rail une nouvelle union des peuples et des nations libres, souverains et associés.

Mes chers collègues, déjà en son temps Voltaire s’interrogeait : « La vieille Europe, elle ne revivra jamais ; la jeune Europe offre-t-elle plus de chances ? » À l’approche de ces élections européennes, qui se révèlent cruciales pour l’avenir de notre continent, donnons enfin une réponse qui soit à la hauteur des enjeux que nous affrontons dans notre époque. (Applaudissements sur les travées du groupe communiste républicain citoyen et écologiste. – M. Jean-Pierre Corbisez applaudit également.)

M. le président. La parole est à M. Éric Bocquet.

M. Éric Bocquet. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, notre groupe a souhaité porter à l’ordre du jour de notre assemblée la question de la caducité du TSCG.

Notre collègue Pierre Laurent vient de démontrer avec force arguments combien la France ne devait plus être liée par les dispositions contenues dans ce traité. Dans le prolongement de cette première intervention, je voudrais souligner la nécessité pour la France et pour l’Europe de rompre, de manière durable, avec la logique même portée par le TSCG et les autres règles d’encadrement budgétaire européen.

Caduc juridiquement, ce traité, ainsi que l’ensemble des règles européennes contraignantes des politiques budgétaires, est également dépassé économiquement, socialement et politiquement. Ils ont fait la preuve de leur inefficacité ainsi que de leur injustice.

Économiquement, tout d’abord, les prémisses théoriques des instruments actuels du contrôle budgétaire postulent l’inefficacité de la dépense publique et conduisent, en définitive, à faire primer la libre action des acteurs privés sur les marchés.

De plus, le Conseil d’analyse économique, que Pierre Laurent a cité, critiquait dans une note de septembre 2018 la mesure du solde structurel qui, pourtant, sert de base au fonctionnement du TSCG et des autres mécanismes de contrôle budgétaire. Le Conseil soulignait notamment que « le solde structurel n’est pas observable et [que] son estimation est sujette à erreurs ».

Dans la pratique, ces prémisses conduisent à priver les acteurs publics des moyens d’action essentiels au développement économique.

L’Europe en paye aujourd’hui les conséquences. C’est particulièrement vrai dans les industries et les secteurs de pointe, où la production européenne est en grand recul. À titre d’exemple, la part de l’industrie dans le PIB européen est passée au-dessous des 20 %, quand elle dépasse en Chine les 40 %.

Pis encore, les règles européennes d’encadrement des finances publiques sont aujourd’hui contraires aux maigres volontés d’investissement des gouvernements européens, à l’image du plan que le ministre allemand Peter Altmaier a présenté la semaine passée.

Ces règles étaient un handicap ; elles se transforment aujourd’hui en obstacle. Même les dirigeants allemands de la CDU-CSU commencent à en prendre conscience. Ces règles étaient restrictives, elles sont aujourd’hui dépassées dans la compétition mondiale. Elles empêchent, dans les faits, de mener des stratégies ambitieuses pour nos entreprises, les PME, nos artisans et, surtout, nos territoires.

L’insistance des règles européennes à faire respecter une trajectoire de solde structurel vers 0,5 % est également dépassée socialement. Le TSCG, les dispositions du traité de Lisbonne, les six pack et two pack empêchent les États membres de mener des politiques de cohésion sociale adaptées aux besoins des populations.

Réduire, arbitrairement, les moyens de l’action publique dans des temps de crise conduit 87 millions d’Européens à survivre sous le seuil de pauvreté. Surtout, ces politiques font porter sur les épaules des plus fragiles le fardeau de l’économie financiarisée et de ses crises à répétition.

L’inclusion dans les règles du TSCG et les autres mécanismes européens de toutes les dépenses des administrations publiques, sociales, militaires, économiques, sans aucune pondération particulière, est également injuste socialement. Elle empêche toute protection privilégiée des dépenses sociales, alors même que celles-ci sont, dans les temps de crise, indispensables pour maintenir la cohésion de nos sociétés.

Politiquement, enfin, les règles actuelles contraignent la souveraineté des parlements européens. Elles participent directement à la mise à distance des peuples de la construction européenne. Elles contribuent aussi directement à la montée des forces nationalistes, qui, de l’Espagne à la Hongrie, de l’Estonie à l’Italie, favorise les courants les plus réactionnaires.

Il est l’heure de proposer, à l’occasion des prochaines élections européennes, un nouvel horizon pour nos finances publiques, en France et en Europe.

En France, libérés de l’objectif de solde structurel à l’horizon de 2022, nous pourrions désormais planifier un autre chemin de développement, protecteur des plus fragiles et redonnant de l’air à nos entreprises. Notre vision des finances publiques s’articule autour de deux piliers : la justice sociale et territoriale, d’une part ; l’efficacité économique, d’autre part.

La justice sociale et territoriale, tout d’abord. Plus que la contrainte et la négation de la libre administration des collectivités territoriales, nous pouvons en finir avec la contractualisation qui a été pensée et appliquée dans l’objectif du respect du solde structurel. Les dépenses de cohésion sociale, le soutien aux administrations de sécurité sociale devraient être considérés comme prioritaires, et, à l’inverse, il faut en finir avec l’impulsion donnée aux dépenses militaires.

Mes chers collègues, une gestion socialement juste est une affaire de choix avant tout. Entre la dépense militaire et la dépense hospitalière, nous assumons pleinement les nôtres.

La justice doit également primer dans les recettes de l’État. À ce titre, nous voulons, une fois encore, réitérer nos positions de principe, qui sont très largement partagées dans la population. Ainsi, nous voulons le rétablissement de l’impôt de solidarité sur la fortune et de l’imposition progressive sur le capital, de même qu’une refonte des tranches de l’impôt, pour atteindre, à terme, quatorze tranches d’impôt sur le revenu.

Nous voulons, ensuite, favoriser l’efficacité économique. Là encore, la logique du TSCG et la volonté purement comptable de tenir l’objectif de moyen terme ont été largement négatives pour notre économie. Nous souhaitons une refonte du soutien public à nos entreprises, une pérennisation de nos fleurons industriels, un fonds d’investissement social et écologique pleinement actif.

Enfin, mes chers collègues, c’est l’Europe qui doit prendre un tout autre chemin. La contrainte budgétaire anachronique pèse fortement sur l’avenir de notre continent. Libérée de la logique du TSCG, l’Europe doit pouvoir se ressaisir, adopter une politique réaliste dans son soutien à l’activité, faire primer les logiques productives et sociales plutôt que le libre-échange généralisé. (Applaudissements sur les travées du groupe communiste républicain citoyen et écologiste.)

M. le président. La parole est à M. Jean-Yves Leconte. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain.)

M. Jean-Yves Leconte. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, il n’est pas possible d’avoir durablement une monnaie commune sans une politique budgétaire et monétaire commune ou, au moins, convergente. Et dans un espace de libre circulation, la convergence budgétaire ne peut se faire sans convergence fiscale.

Les créateurs de l’euro, je le pense, n’ignoraient pas cette évidence, mais ils ont fait le pari qu’il allait permettre une transformation politique de l’Union européenne. D’ailleurs, c’est au même moment que la citoyenneté européenne a été mise en place par le traité de Maastricht. La dynamique avait donc été lancée, sans que le pari soit tenu.

En 1997, le pacte de stabilité et de croissance a mis en place une sorte de pilotage automatique des politiques budgétaires des pays qui allaient faire partie de la zone euro. En 2008, la crise a mis en danger l’ensemble de l’édifice, et il a fallu revoir les choses dans l’urgence, tant s’agissant de la convergence budgétaire qu’en termes monétaires.

Le premier pas, douloureux, c’est le six pack, adopté en novembre 2011. Très contraignant, il inscrit dans le droit communautaire un semestre européen, une intervention possible de la Commission européenne en cas de nécessité, des sanctions et des règles communes de gouvernance plus strictes. C’est ce qui a renforcé l’idée d’une Europe vectrice d’austérité.

Ensuite, a été mis en place le mécanisme européen de stabilité, pour répondre aux besoins de liquidités face à une crise aiguë.

Enfin, pour satisfaire l’exigence de la Banque centrale européenne, afin qu’elle puisse mettre en place une politique de défense de l’euro plus agressive, a été signé en mars 2012, par vingt-cinq États membres, le TSCG. Comme vous l’avez dit, monsieur Laurent, il n’a pas été inscrit dans les actes communautaires.

La France, vous l’avez également rappelé, ne s’y est pas résolue facilement, mais la mise en place du plan Juncker, dont notre pays est l’un des principaux bénéficiaires, a pu nous inciter à aller dans cette direction, compte tenu de ce qu’étaient notre situation financière et celle de l’Europe.

Bien entendu, tout cela n’a pas été sans conséquence sur l’image de l’Europe.

Dans le même temps ont été mises en place l’union bancaire, une plus grande convergence de la politique monétaire et une régulation plus stricte des banques qui réduit d’ailleurs aujourd’hui les marges de manœuvre de ces dernières face aux banques américaines, ce qui pose un problème de souveraineté économique.

Enfin, contrairement à l’image que l’on peut en avoir, le TSCG n’est pas plus dur que le six pack, qui, quant à lui, demeure inscrit dans les traités, avec les conséquences que vous avez justement soulignées.

Finalement, c’est la notion de déficit structurel contenue dans le TSCG qui est remise en cause. Nous sommes tous d’accord pour dire qu’il s’agissait alors de ne pas ajouter la crise à la crise, mais que, en réalité, faute d’élément objectif, elle ne veut plus dire grand-chose.

Depuis sept ans que cette politique a été mise en place, force est de constater que l’Union européenne s’est comportée comme une zone dont l’économie était totalement tournée vers l’exportation. Elle a oublié que sa principale force, c’était son marché intérieur, le plus vaste du monde.

D’autres pays ont su développer pendant cette période leur marché intérieur : les États-Unis, l’Inde ou la Chine. On peut en juger par l’évolution de leurs taux de croissance.

La politique de concurrence allait de pair avec le fait que tout se passait en Europe. Or, ces dernières années, plus grand-chose ne se passe en Europe : les choses se passent en Chine, sur les marchés mondiaux. De fait, la politique de concurrence européenne est aussi devenue caduque parce que le marché européen n’a pas été suffisamment soutenu.

La réduction du périmètre de l’action publique dans les différents pays européens, dont pâtissent les politiques d’éducation, de l’énergie ou du logement, est aussi particulièrement préoccupante. Ce sont finalement autant d’attaques contre la cohésion de nos sociétés.

C’est pourquoi il n’était donc pas du tout raisonnable, comme le proposait le parti populaire européen, d’inscrire les dispositifs du TSCG dans les traités de l’Union européenne. Comment faire alors pour sortir de ce pilotage automatique que le pacte de stabilité a introduit en 1997 et qui a été durci, en 2011, par le six pack ?

Avant tout, il faudrait créer un budget pour la zone euro. Mais comment faire ? Les ressources propres de l’Union européenne baissent, de même que le budget de l’Union européenne, tandis que les contributions nationales sont de plus en plus élevées. Quel sens donner alors à la création d’un budget de la zone euro ? La substitution du budget de l’Union européenne au profit d’un budget de la zone euro, avec des transferts de compétences, irait-elle vraiment dans le sens de l’intégration européenne ?

Quoi qu’il en soit, l’inscription, que le Gouvernement considère aujourd’hui comme un grand succès, dans le budget de l’Union européenne d’une ligne de crédit préfigurant la mise en place pour la prochaine période d’un budget de la zone euro ne répond absolument pas aux enjeux. Au contraire, compte tenu des conditions de sa mise en œuvre, elle n’est absolument pas une réponse adéquate pour une politique budgétaire plus intégrée entre les pays de la zone euro.

Le pacte de stabilité lui-même doit être revu. En effet, il a été mis en place en 1997, alors que le contexte était très différent, qu’il s’agisse des déficits publics, de la dette et, surtout, des taux d’intérêt. Un déficit public annuel de 3 % du PIB et un endettement de 60 % ne s’envisagent pas de la même façon selon que les taux d’intérêt sont proches de 0 % ou de près de 5 %, taux auquel se finançaient les États en 1997.

Les règles ne peuvent plus être les mêmes. Aujourd’hui, force est de constater qu’elles bloquent la capacité des États à emprunter sur le long terme pour mener des politiques en faveur de la transition énergétique, du logement, de l’éducation, particulièrement indispensables, ou pour édifier des infrastructures permettant de renforcer nos économies. Or l’argent pas cher est là, disponible.

Par ailleurs, ces taux d’intérêt faibles permettent, pour leurs dépenses courantes, aux États de vivre au-dessus de leurs moyens. Aussi, il faudrait réduire leur capacité à emprunter pour financer ces dépenses courantes tout en leur permettant de financer beaucoup plus de projets d’investissement.

Enfin, c’est bien parce que nous voulons que l’Europe soit un modèle pour l’avenir, en particulier pour la transition énergétique, qu’il est absolument indispensable de renforcer les capacités d’endettement de la puissance publique. Pour réduire ses émissions de gaz à effet de serre, l’Europe ne peut pas simplement prendre acte qu’elle va voir disparaître son activité industrielle et devoir acheter ses produits dans d’autres pays du monde.

Ce manque d’investissements en Europe est particulièrement dramatique au regard de ce qui se passe dans d’autres pays – je reviens de Chine. Ne nous trompons pas sur Donald Trump, qui, dans son pays, augmente de manière importante les investissements publics pour renforcer son marché intérieur. Nous ne pouvons pas être les seuls à mener une politique différente, qui nous affaiblit !

Mes chers collègues du groupe communiste républicain citoyen et écologiste, ce débat important est bienvenu à quelques semaines des élections européennes, et il ne doit donner lieu à aucune simplification.

Alors qu’il est indispensable de mettre en place une politique budgétaire commune, puisque nous disposons d’une monnaie commune, le débat a finalement glissé du respect des critères de Copenhague, ceux de la démocratie, de l’État de droit, vers le respect des critères de Maastricht, dont les conséquences sont celles qu’on vient d’évoquer. Voilà ce qui est en train de casser l’image de l’Europe auprès des citoyens ! La construction européenne doit rester celle de l’État de droit, conformément aux critères de Copenhague. Si nous ne défendons pas d’abord ces critères, nous n’aurons ni démocratie, ni État de droit, ni développement économique.

La politique économique et budgétaire est trop essentielle pour continuer à être placée en quelque sorte sous pilotage automatique selon des règles qui ont été fixées voilà maintenant plus de vingt ans dans un contexte mondial totalement différent.

La monnaie unique ne peut être perçue comme une contrainte. Elle doit être un outil de souveraineté au service de la démocratisation de l’Europe, une Europe dont les décideurs seraient non plus les États, au détour des couloirs de Bruxelles, mais les citoyens européens directement. Cette perspective de démocratisation de l’Europe permettrait de les remettre au cœur des décisions européennes et des choix économiques et sociaux qui doivent être faits.

Il ne faut pas attendre la prochaine crise pour agir, parce que c’est ainsi que l’Europe abîme son image auprès des citoyens. L’Europe doit avoir une vision de long terme, qui lui permette de continuer à bâtir sa souveraineté. Pour cela, elle doit proposer aux citoyens de choisir leur politique budgétaire, leur politique monétaire, en leur donnant plus de marges de manœuvre et plus de capacités de décision, en faisant évoluer le pacte de stabilité.

C’est en cela que ce débat est utile. Nous ne pouvons continuer sur cette voie sans fragiliser la situation économique et industrielle de l’Europe de demain, ainsi que l’ambiance politique de l’Europe d’aujourd’hui. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain.)