M. Fabien Gay. Ce n’est pas le mot juste !

M. le président. La parole est à Mme Marie Mercier, pour la réplique.

Mme Marie Mercier. Je ne prétends pas être une spécialiste des mathématiques. Mon métier consiste à soigner les gens. Et je soigne des artisans ! Je peux donc vous dire que cette profession, comme celle d’agriculteur, souffre.

Vous avez parlé d’investir dans l’avenir. L’occasion vous en est donnée, ne nous décevez pas ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, du groupe Union Centriste et du groupe Les Indépendants – République et Territoires.)

lanceurs d’alerte

M. le président. La parole est à M. Michel Dagbert, pour le groupe socialiste et républicain. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain.)

M. Michel Dagbert. Ma question s’adresse à Mme la garde des sceaux, ministre de la justice.

Madame la garde des sceaux, au terme du grand débat voulu par M. le Président de la République pour répondre à la crise des « gilets jaunes », il ne vous aura pas échappé que, pour une grande majorité d’entre eux, nos concitoyens doutent de la capacité des seules institutions à apporter des réponses aux grandes questions du moment. Au-delà du doute, nous pouvons considérer qu’il y a même, dans leur expression, une forme de défiance à l’égard de la communication des institutions publiques comme de celle des grandes entreprises privées, faisant leur la phrase devenue célèbre d’une humoriste : « On ne nous dit pas tout ! » (Sourires.)

C’est pour répondre à ce besoin d’une information objective que des femmes et des hommes se sont exposés pour rendre publics des faits répréhensibles par notre droit. Les plus connus, Alain Robert, Hervé Falciani, Stéphanie Gibaud ou encore Irène Frachon, peuvent être considérés comme les précurseurs de ceux qu’on appelle communément les « lanceurs d’alerte ». Dans ces conditions, l’accord trilogue – Parlement européen-Conseil-Commission européenne – intervenu hier, 11 mars, sur la directive relative aux lanceurs d’alerte, sur le fondement de la proposition de notre collègue eurodéputée Virginie Rozière, doit être salué.

Madame la garde des sceaux, pouvez-vous nous exposer la position que défendra la France dans trois jours, c’est-à-dire le 15 mars prochain, sur cette question ? (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain. – M. André Gattolin applaudit également.)

M. le président. La parole est à Mme la garde des sceaux, ministre de la justice.

Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux, ministre de la justice. Monsieur le sénateur Dagbert, je vais tout vous dire ! (Exclamations amusées sur des travées du groupe Les Républicains et du groupe socialiste et républicain.)

Vendredi dernier, lors du conseil Justice et affaires intérieures à Bruxelles, j’ai répété que la France souhaitait clairement l’adoption rapide de ce projet de directive avant les prochaines élections.

M. David Assouline. Vous avez la même position que les Autrichiens et les Hongrois !

Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux. Ce texte, qui est inspiré de la loi Sapin II, protégera plus efficacement les lanceurs d’alerte dans l’ensemble des pays de l’Union européenne.

La France a toujours soutenu le principe d’un texte unique, au champ d’application large, couvrant de très nombreux domaines d’action de l’Union, y compris, d’ailleurs, la fiscalité. Aujourd’hui, l’essentiel de la directive fait donc l’objet d’un accord avec le Parlement européen.

Il restait un point de divergence sur la hiérarchie des canaux de signalement.

Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux. Le Conseil, au sein duquel la position de la France n’était d’ailleurs pas isolée, souhaitait conserver comme principe – c’est du reste l’état du droit en France – l’obligation pour le lanceur d’alerte d’en référer d’abord en interne,…

M. David Assouline. En somme, de se dénoncer !

Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux. … non pas nécessairement auprès de son employeur, mais auprès d’un interlocuteur impartial tenu à une obligation de stricte confidentialité. Nous pensons en effet que c’est ainsi que l’on peut mettre un terme le plus rapidement possible à une violation dénoncée. C’est d’ailleurs le cas dans la majorité des situations. Ce principe était assorti d’exceptions extrêmement larges, permettant au lanceur d’alerte de signaler directement les faits auprès d’interlocuteurs externes, comme un syndicat ou un défenseur des droits, lorsque le signalement en interne risquait de l’exposer à des représailles, par exemple, ou bien de provoquer la disparition de preuves.

Contrairement à ce que les médias ont expliqué ces derniers jours, la France ne souhaite pas retarder l’adoption de ce texte. C’est pourquoi nous avons accepté de supprimer cette hiérarchie des canaux de signalement. Nous allons ainsi parvenir à un texte assurant une protection maximale des lanceurs d’alerte, tout en instituant un mécanisme solide juridiquement et proportionné aux différents niveaux de gravité des signalements effectués.

Nous touchons au but avec un accord en vue d’ici à vendredi prochain.

M. David Assouline. Accord conclu avec Orban et consorts !

M. le président. La parole est à M. Michel Dagbert, pour la réplique.

M. Michel Dagbert. Madame la garde des sceaux, je vous remercie de votre réponse. Nous voici rassurés parce que, comme vous venez de le dire, un article du journal Le Monde du 9 mars n’avait pas manqué de nous étonner, puisqu’il laissait entendre que la France partageait les mêmes réticences que l’Autriche et la Hongrie sur ce texte.

Les travées depuis lesquelles je m’exprime et nombre de parlementaires se reconnaissent difficilement dans les arguments que vous aviez alors avancés pour justifier votre timidité sur le sujet. Nous nous reconnaissons davantage dans cette citation de Jean Jaurès : « Le courage, c’est de chercher la vérité et de la dire » ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain. – M. Pierre Laurent applaudit également.)

nécessaire décentralisation dans le cadre de la prochaine révision constitutionnelle

M. le président. La parole est à M. Jean-Marie Janssens, pour le groupe Union Centriste. (Applaudissements sur les travées du groupe Union Centriste.)

M. Jean-Marie Janssens. Notre pays traverse depuis plusieurs semaines une grave crise sociale, qui traduit l’inquiétude profonde de beaucoup de nos concitoyens. Difficultés économiques et sociales, disparition progressive des services publics dans les communes, poids de la fiscalité, sentiment d’injustice devant les inégalités sociales : les motifs de préoccupation sont nombreux et alimentent parfois la colère des Français.

Comme vous, mes chers collègues, je sens depuis longtemps monter le souffle de la contestation dans mon département de Loir-et-Cher, et ce aussi bien au sein de la population que chez les élus locaux. L’une des origines de ce malaise se trouve dans la fracture territoriale, qui ne cesse de se creuser entre la France des grandes villes et celle des campagnes et des petites villes. Ce n’est pas une vue de l’esprit, c’est une réalité du quotidien.

Dans les petites communes rurales, les habitants voient leurs services publics disparaître et les distances de trajet s’allonger. Le sentiment d’isolement, et même d’abandon, gagne nos campagnes. Ce sentiment est partagé par nos élus locaux, extrêmement sollicités, mais qui manquent cruellement de moyens et de soutien.

En ces temps difficiles où les principes fondateurs de notre République sont remis en question, c’est précisément le moment de nous appuyer sur le formidable tissu d’élus locaux pour rétablir l’équilibre territorial. Pour ce faire, il est primordial de réaffirmer et de renforcer le principe de décentralisation inscrit à l’article premier de notre Constitution. Oui, l’enjeu premier de la révision constitutionnelle dont nous débattrons prochainement…

M. Philippe Dallier. Prochainement, prochainement…

M. Jean-Marie Janssens. … est bien la décentralisation ! Cette dernière est la clé d’une confiance renouée entre les territoires de la République. Elle est le point de départ d’un nouveau contrat républicain.

Aussi, ma question est simple : ferez-vous de la décentralisation la clé de voûte de la révision constitutionnelle à venir ? (Applaudissements sur les travées du groupe Union Centriste.)

M. le président. La parole est à M. le ministre chargé des relations avec le Parlement.

M. Marc Fesneau, ministre auprès du Premier ministre, chargé des relations avec le Parlement. Monsieur le sénateur Janssens, nous avons en partage, entre autres choses, la connaissance du Loir-et-Cher.

Je vais essayer de vous répondre en deux temps.

Tout d’abord, puisque vous avez parlé de décentralisation, il faut partir de ce que l’on peut déjà percevoir dans le cadre du grand débat – même s’il faut le laisser se dérouler jusqu’au bout – des attentes des citoyens. C’est de ces attentes qu’il faut partir, car c’est de là que vient la crise.

Premièrement, les citoyens veulent davantage de proximité. Ils veulent bénéficier d’un lien de proximité avec leurs interlocuteurs, que ce soit dans les collectivités locales ou au niveau de l’État ; ils réclament aussi une proximité des réponses, c’est-à-dire qu’ils veulent savoir où poser leurs questions à chaque fois qu’ils en ont une. Les nouvelles technologies constituent un outil, mais ce n’est pas le seul : il faudra regarder à humaniser le service. Enfin, nos concitoyens demandent une proximité en termes de services publics.

Deuxièmement, et reconnaissons que l’œuvre collective mise en œuvre depuis quelques années n’a pas tout à fait abouti, ils souhaitent davantage de lisibilité. L’enchevêtrement d’un certain nombre de compétences, la succession d’un certain nombre de réformes n’ont pas clarifié les choses. Les citoyens ont besoin de lisibilité, parce qu’ils ont besoin de pouvoir identifier les responsabilités. Il n’y a pas de lisibilité possible sans identification des responsables, lesquels doivent pouvoir rendre des comptes et répondre aux demandes des citoyens.

Troisièmement, les citoyens ont besoin de confiance : confiance dans les institutions locales et les acteurs locaux, dans la façon dont tout cela fonctionne ; confiance entre les acteurs locaux et l’État. Enfin, dernière forme de confiance, le besoin de simplification : il faut savoir faire confiance à ceux qui prennent des initiatives sans systématiquement tout normer.

Ensuite, pour répondre à ces enjeux et répondre à votre question, nous avons trois instruments à notre disposition.

Le premier, c’est la décentralisation, qui permet de réfléchir au meilleur échelon pour exercer une compétence.

Le deuxième, c’est la différenciation. On a trop centralisé la décentralisation, si je puis dire : il faut désormais pouvoir adapter la répartition des compétences et la façon dont elles s’exercent selon les territoires.

Le troisième, c’est la déconcentration, parce que je perçois, et nous le percevons tous, un grand besoin d’État dans les territoires. En effet, c’est la présence et l’action territoriale de l’État lui-même qui sont questionnées sur un certain nombre de sujets aujourd’hui. D’ailleurs, les collectivités elles-mêmes réclament souvent davantage d’État.

C’est en s’appuyant sur ces trois piliers qu’il faudra répondre aux attentes dans les semaines et les mois qui viennent. (Applaudissements sur des travées du groupe Union Centriste et du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen.)

M. le président. Nous en avons terminé avec les questions d’actualité au Gouvernement.

Les prochaines questions d’actualité au Gouvernement auront lieu jeudi 21 mars 2019, à quinze heures.

6

Souhaits de bienvenue à deux nouvelles sénatrices

M. le président. Mes chers collègues, avant de suspendre nos travaux, je voudrais saluer la présence dans notre hémicycle, pour sa première séance de questions au gouvernement, de Mme Marie-Pierre Richer, devenue sénatrice du Cher en remplacement de M. François Pillet, nommé membre du Conseil constitutionnel. En votre nom à tous, je lui souhaite la bienvenue parmi nous. (Applaudissements.)

Je voudrais également saluer le retour parmi nous de Mme Josiane Costes, redevenue sénatrice du Cantal en remplacement de M. Jacques Mézard, également nommé membre du Conseil constitutionnel. (Applaudissements.)

Mes chers collègues, nous allons maintenant interrompre nos travaux quelques instants.

La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à dix-sept heures quarante, est reprise à dix-sept heures cinquante-cinq, sous la présidence de M. David Assouline.)

PRÉSIDENCE DE M. David Assouline

vice-président

M. le président. La séance est reprise.

7

Discussion générale (interruption de la discussion)
Dossier législatif : proposition de loi visant à renforcer et garantir le maintien de l'ordre public lors des manifestations
Discussion générale (suite)

Maintien de l’ordre public lors des manifestations

Suite de la discussion en deuxième lecture et adoption définitive d’une proposition de loi dans le texte de la commission

Discussion générale (suite)
Dossier législatif : proposition de loi visant à renforcer et garantir le maintien de l'ordre public lors des manifestations
Article 1er A (Texte non modifié par la commission)

M. le président. Nous reprenons la discussion de la proposition de loi, modifiée par l’Assemblée nationale, visant à renforcer et garantir le maintien de l’ordre public lors des manifestations.

Dans la suite de la discussion générale, la parole est à Mme Maryse Carrère. (Mme Josiane Costes et M. André Gattolin applaudissent.)

Mme Maryse Carrère. Monsieur le président, monsieur le ministre, madame la rapporteure, mes chers collègues, le contexte a considérablement évolué entre les deux lectures de la présente proposition de loi par notre assemblée. Soit dit sans vouloir prêter d’intentions cachées à ses auteurs, il est vraisemblable que le mouvement des « gilets jaunes » a empêché cette proposition de loi de disparaître dans les limbes de la navette parlementaire.

Ce n’est pas que son objet ne relève pas d’une préoccupation partagée par le groupe du RDSE : l’attachement de notre groupe au respect de l’ordre républicain n’a d’égal que celui qu’il a pour les libertés individuelles et publiques.

Nous considérons comme vous, mes chers collègues, que le maintien de l’ordre garantit l’exercice pacifique du droit de manifester. Que les violences qui agitent certains cortèges jettent le discrédit sur l’ensemble des manifestants, tandis que d’autres foules, de l’autre côté de la Méditerranée font preuve d’un calme digne, souverain, nous incite à réfléchir.

Maintenant que cette proposition de loi est devenue un des véhicules législatifs visant à apporter une réponse à la crise des « gilets jaunes », il nous faut composer avec cette ruse de l’histoire qui transforme parfois les textes de circonstance en lettres de loi.

Sur l’encadrement des manifestations, les questions sont pourtant nombreuses et mériteraient que l’on y consacre plus de temps. Faut-il, par exemple, revoir la procédure de déclaration en préfecture, dès lors qu’elle n’est pas toujours respectée, ou la définition de l’attroupement ? Une zone grise de la manifestation non déclarée, située entre la manifestation déclarée et l’attroupement, s’est développée dans la pratique, faute d’une base légale suffisante pour s’y opposer. Voilà un problème auquel il faudrait aussi s’attaquer !

Si l’on s’en tient aux seules dispositions que comporte ce texte, d’importantes questions de constitutionnalité et d’applicabilité restent encore en suspens, comme vous l’avez courageusement souligné, madame la rapporteure.

Je ne reviendrai pas sur l’inutilité de certains dispositifs, que j’ai évoquée dès la première lecture, mais pourquoi vouloir mettre fin à l’examen de cette proposition de loi de façon précipitée en adoptant conforme le texte voté par l’Assemblée nationale ? Et pourquoi charger le Conseil constitutionnel d’une mission qui excède son champ d’intervention et nous incombe en réalité ?

Je le répète, nous sommes nombreux ici à vouloir apporter des réponses utiles aux problèmes de violence que vous pointez, mais pas de cette façon, et pas maintenant.

Mes chers collègues, je crois important de redire que chaque fois que le Parlement se dessaisit de sa compétence, il porte atteinte à son utilité, au moment où certains voudraient la mettre en question. Le Sénat, en particulier, s’est toujours honoré à se poser en « gardien des libertés », comme le disait notre ancien collègue François Pillet avant de rejoindre le Conseil constitutionnel. Aujourd’hui, rassemblons-nous autour de ce dessein, pour faire honneur à notre fonction de législateur de plein exercice. Montrons, par notre débat, que le bicamérisme est essentiel à notre démocratie parlementaire, plutôt que de nous en remettre fébrilement à l’examen du juge constitutionnel.

En effet, comme le Conseil constitutionnel l’expose lui-même dans un considérant de principe qu’il a posé depuis longtemps, il ne lui appartient pas de substituer son appréciation à celle du législateur. Autrement dit, il nous faut revenir à l’« acte de légiférer », comme le disait notre collègue Philippe Bonnecarrère en commission des lois, la semaine dernière.

À l’Assemblée nationale, certains de nos collègues députés ont d’ailleurs exprimé leur volonté de parvenir à une rédaction plus proche de celle que nous avions adoptée en première lecture. Monsieur le ministre, le Gouvernement lui-même avait également alors reconnu le caractère inachevé de ce texte. Comme l’indique l’objet du sous-amendement n° 248, « compte tenu de la date de dépôt de cet amendement, des améliorations pourront être apportées à la rédaction de ces dispositions dans le cadre de la navette parlementaire ».

Il revient à présent à chacun d’entre nous de voter en conscience, plutôt que de vouloir chercher à prémunir l’autre assemblée contre ses états d’âme. La majorité des membres de notre groupe votera tout amendement dont l’adoption permettra de poursuivre de façon constructive la navette parlementaire, conformément à ce que prévoit notre Constitution. Nous espérons que cela permettra de répondre à nos principales préoccupations, qui portent sur l’effectivité du recours contre les interdictions administratives de manifester, et que des modifications permettront de se prémunir contre d’éventuels dévoiements de ces nouveaux dispositifs. Nous avons d’ailleurs déposé plusieurs amendements en ce sens.

Les Français demandent légitimement à retrouver la paix civile. Si ce texte devait être adopté en l’état, nous laisserions certes notre trace dans l’histoire, mais nous manquerions à notre premier devoir de législateur : s’extraire des contingences. On écrit la loi pour l’avenir, pas pour la postérité. (Applaudissements sur les travées du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen. – MM. Philippe Bonnecarrère et Jérôme Durain applaudissent également.)

M. le président. La parole est à M. Bruno Retailleau. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. Bruno Retailleau. Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le président de la commission des lois, madame le rapporteur, mes chers collègues, autant le dire franchement : en ce qui concerne ce texte, parfois, le Gouvernement – pas vous, monsieur le ministre de l’intérieur – a pu nous dérouter.

En octobre, vous étiez plutôt contre ; en janvier, vous étiez franchement pour, comme en témoignait une intervention du Premier ministre à la télévision ; depuis quelques heures, depuis l’annonce de la saisine du Conseil constitutionnel par le Président de la République, nous ne savons pas si vous êtes désormais pour ou contre, ou bien au contraire… (Sourires sur les travées du groupe Les Républicains.)

Depuis 1958, il est arrivé seulement à deux reprises que le Président de la République saisisse, comme l’y autorise l’article 61 de la Constitution, le Conseil constitutionnel. Cela signifie qu’Emmanuel Macron en appelle à cette haute instance pour trancher un différend sur un texte que son propre Premier ministre a appelé de ses vœux, un texte qui a fait l’objet d’amendements confortant un certain nombre d’articles, amendements déposés sur votre initiative, monsieur le ministre de l’intérieur, et que votre majorité a votés à l’Assemblée nationale.

Cette pensée complexe a pu parfois nous dérouter, et sans doute est-elle, pour nous sénateurs, un peu inaccessible… (Nouveaux sourires sur les travées du groupe Les Républicains.)

Je voudrais pour ma part rétablir de la clarté et répondre à deux questions, en essayant de revenir à l’esprit originel de la proposition de loi : pourquoi avons-nous déposé ce texte ? Pourquoi souhaitons-nous aujourd’hui qu’il soit voté conforme ?

Si nous avons déposé cette proposition de loi, ce n’est certainement pas pour que nos deux noms soient apposés côte à côte sur un texte, monsieur le ministre de l’intérieur. Je ne veux pas vous compromettre, comme a tenté de le faire Jérôme Durain, parce que, franchement, vous ne le méritez pas ! (Sourires.)

Nous sommes finalement partis du même constat : en France, depuis des années désormais, on ne parvient plus à manifester pacifiquement. Je l’avais observé, comme Christophe Priou l’a très bien dit, à Nantes avec les zadistes. Chaque grande manifestation donne lieu à de l’ultraviolence. Ce n’est pas tolérable ! Vous nous avez rappelé, monsieur le ministre, le nombre de policiers, de gendarmes, de sapeurs-pompiers qui ont été blessés. Nous législateurs resterons-nous insensibles à cet état de fait ?

Nous avons déposé ce texte au mois de juin, tout de suite après l’épisode des Black Blocs du mois de mai, bien avant donc le mouvement des « gilets jaunes ». Je veux dire par là que ce texte ne vise pas ces derniers ; il vise les « cagoules noires », cette nébuleuse extrémiste qui profite d’un angle mort de notre droit pénal. En effet, pour qu’un juge puisse condamner l’auteur d’un délit, il faut bien sûr établir un lien direct entre l’identité de celui-ci et la commission de l’acte. Mais comment le faire si l’intéressé dissimule son visage ?

M. Bruno Sido. Bien sûr !

M. Bruno Retailleau. Voilà pourquoi il y a tant de gardés à vue et pourquoi les suites judiciaires sont aussi décevantes. Mes chers collègues, nous devons prendre nos responsabilités, et c’est pourquoi le délit de dissimulation du visage est au cœur du texte, dont la portée est d’abord préventive.

J’ai entendu dire que le port d’une cagoule avait pour finalité de se protéger des gaz lacrymogènes. Et pourquoi pas des UV et des coups de soleil ? (Mme Esther Benbassa sexclame.)

Pourquoi souhaitons-nous que ce texte soit voté conforme ?

Certes, il a évolué, il a parfois été enrichi, parfois durci sur un certain nombre de points, mais nous pensons qu’il faut que nous saisissions cette occasion, par souci d’efficacité, par esprit de responsabilité, pour donner à nos forces de l’ordre, à la République, à la démocratie, les moyens de se protéger.

J’ai entendu Patrick Kanner, président du groupe socialiste et républicain, faire appel à la grande figure tutélaire de Victor Hugo ; il me permettra d’y faire référence moi aussi. Hugo disait : « La République affirme le droit, mais elle exige le devoir. »

De quel droit s’agit-il en l’occurrence ? Du droit de manifester librement, pacifiquement ; mais ce droit, mes chers collègues, vous ne pouvez pas le laisser détourner par des minorités, par cette nébuleuse extrémiste dont je parlais. Ce n’est pas possible, parce que, sinon, à un moment ou à un autre, vous vous trouverez placés devant un dilemme : interdire les manifestations ou éradiquer ceux qui sont très violents et qui dévoient ce droit pour casser, pour piller, pour blesser, pour propager une haine « anti-flics » qui n’est autre que la haine de la République, de la démocratie.

De quel devoir s’agit-il ? Il s’agit, mes chers collègues, de notre devoir, du devoir du législateur. Ce devoir exige de nous que nous réagissions, que nous prenions les mesures législatives nécessaires. Encore une fois, on ne peut pas laisser ces minorités détourner ce qui est un droit d’expression pour le retourner contre l’État de droit. Ce grand retournement, ce retournement délétère, nous ne pouvons l’admettre, nous devons absolument l’empêcher. Le devoir du législateur, ce sera toujours, en tout lieu et en toute circonstance, d’opposer à la loi du plus fort la force de la loi.

Oui, monsieur le ministre, oui, mes chers collègues, nous souhaitons que ce texte soit voté conforme, parce que nous ne voulons pas céder un seul pouce de terrain à l’ultraviolence.

M. Bruno Sido. Très bien !

M. Bruno Retailleau. Très clairement, la question qui est posée aujourd’hui, c’est celle de la possibilité, en France, de manifester pacifiquement, tranquillement. Il y en a assez que l’État régalien doive s’excuser de nous protéger : l’État démocratique n’est pas l’État de l’impuissance !

Telles sont, mes chers collègues, les raisons pour lesquelles nous voterons ce texte avec beaucoup de conviction. (Vifs applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et sur des travées du groupe Union Centriste. –M. Emmanuel Capus applaudit également.)

M. le président. La parole est à M. Pierre Charon. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. Pierre Charon. Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le président de la commission des lois, madame le rapporteur, mes chers collègues, il y a quelques mois, lorsque le Sénat examinait cette proposition de loi, nous étions loin de nous douter que l’actualité allait lui donner de l’importance.

Nous n’étions guidés par un simple impératif : mettre fin à l’impunité chronique des casseurs. Le Sénat n’avait pas fait que réagir à chaud : il avait anticipé les problèmes qui gangrènent notre société en proposant des solutions pratiques. Je veux saluer ici l’initiative de Bruno Retailleau : si ce texte avait été adopté à temps, dès après sa transmission à l’Assemblée nationale, certains problèmes auraient pu être évités.

M. François Bonhomme. C’est sûr !

M. Pierre Charon. Au regard du débat sur les institutions, nous avons là un exemple de l’utilité du Sénat. À bon entendeur…

Sous l’effet des circonstances, il y a eu une conversion salutaire du Gouvernement : « Nous avons besoin de cette proposition de loi, » a clairement dit le ministre de l’intérieur, que je salue. En effet, il a fallu plusieurs samedis marqués par des violences pour que l’exécutif reconnaisse la nécessité d’un dispositif approprié, au point même de parler de « loi anti-casseurs » – je cite de nouveau le ministre.

Oui, au-delà de la victoire du bon sens, c’est bien celle des mots que je voudrais saluer. Une sémantique trop prudente anesthésie les consciences et empêche toute action.

Lutter contre des délinquants et des criminels, ce n’est pas empêcher les manifestations. Ce qui est en jeu, c’est la sécurité des personnes et des biens : elle est la raison d’être des pouvoirs publics et de la politique.

Ne risquons pas la vie des policiers, des manifestants, des commerçants, au nom de fausses pudeurs. Il est anormal de voir, à chaque manifestation, les casseurs échapper aux poursuites et aux sanctions. Il y a, hélas ! une impunité chronique des brutes et des voyous, qui ne comprennent qu’un seul langage : celui de la force.

Mais que diable faut-il faire pour aller en prison dans ce pays ? Le jet de boules de pétanque et de cocktails Molotov est déjà un acte insurrectionnel. Les auteurs de tels gestes sont non plus des délinquants, mais des criminels. Osons les qualifier ainsi !

À Paris, nous ne pouvons plus supporter ces fins de manifestations où des commerçants ont été attaqués, leurs commerces saccagés et pillés, des monuments profanés. Des immeubles ont même été incendiés ! Les conséquences auraient pu être encore plus dramatiques. Je veux saluer tous mes collègues maires d’arrondissement, de tous bords, qui se sont heurtés à une gestion parfois inefficace de l’ordre public. Faut-il attendre le pire pour agir ? L’impunité des casseurs peut se transformer en permis de tuer si l’on persévère dans cette lâcheté !

L’article 2 permet aux préfets de prononcer des interdictions de manifester et, en cela, il ne fait qu’étendre une solution déjà appliquée dans les stades et qui a prouvé son efficacité. L’interdiction administrative remédie à la lenteur de la justice. Alors que les décisions judiciaires peuvent se faire attendre des années, le temps d’une réponse adaptée se mesure en jours.

Les personnes interdites de manifestation doivent être recensées dans un fichier. L’Assemblée nationale a même proposé que ce traitement relève du fichier des personnes recherchées, le FPR.

La création d’un délit de dissimulation du visage dans une manifestation est aussi une nécessité incontournable : il s’agit de lutter contre tous ceux qui veulent participer sans pouvoir être identifiés à des manifestations susceptibles de dégénérer.

Je voterai ce texte tel que la commission des lois l’a accepté, et j’appelle mes collègues à faire de même nonobstant la curieuse décision prise par le Président de la République de saisir le Conseil constitutionnel, pour la deuxième fois seulement sous la Ve République, et ce avant même le vote du Sénat. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)