M. Roland Courteau. Le groupe socialiste et républicain tient à réaffirmer son opposition à la suppression du seuil de détention par l’État de plus du tiers du capital d’Engie, ainsi qu’à l’ouverture du capital de GRTgaz. C’est la raison pour laquelle nous proposons la suppression de l’article 52.

Nous considérons qu’une participation importante de l’État au capital d’une entreprise aussi stratégique constitue une garantie en matière d’approvisionnement énergétique de la France.

En dépit de l’introduction par le rapporteur d’une action spécifique, nous continuons à nous inquiéter du devenir de certains actifs stratégiques après la privatisation des réseaux de transport de gaz naturel, notamment, mais aussi des actifs de stockages souterrains de gaz naturel et des installations de gaz naturel liquéfié, le GNL, les droits attachés à cette action spécifique relevant du pouvoir réglementaire.

Nous estimons par ailleurs que dans le contexte actuel de financiarisation de l’économie, l’État doit rester fortement présent au capital d’Engie, afin d’éviter la captation d’une grande part de la valeur créée au détriment de toutes les parties prenantes et un repli sur des choix de court terme, en particulier en matière d’investissement – optimisation fiscale, rachat d’actions… –, typiques du capitalisme actionnarial actuel contrevenant à l’intérêt général.

M. le président. Quel est l’avis de la commission spéciale ?

M. Jean-François Husson, rapporteur. Je rappelle aux auteurs de ces amendements qui s’inquiètent du devenir des infrastructures appartenant à Engie et à GRTgaz, et qui souhaitent que l’État garde la maîtrise et le contrôle des entreprises de l’énergie – j’ai même entendu parler d’un pôle public de l’énergie ! – qu’ils auraient pu mener cette politique pendant le précédent quinquennat. Il me semble même, mes chers collègues, que vous avez eu à un moment les pleins pouvoirs…

Je l’ai déjà dit, le contrôle de la puissance publique continuera à s’exercer par le biais de deux instruments qui sont loin d’être négligeables : d’une part, le secteur restera régulé sous l’égide de la Commission de régulation de l’énergie, la CRE ; d’autre part, l’État disposera toujours, et cela a été rappelé, d’une action spécifique lui permettant de s’opposer à la vente d’actifs jugés stratégiques.

Vous l’avez précisé, monsieur Courteau, nous nous sommes assurés que l’État garderait une action spécifique.

Je pense donc, mes chers collègues, que vous pouvez objectivement être rassurés. J’ajouterai deux remarques.

Tout d’abord, j’ai entendu dire que le bonheur pourrait être dans une économie publique administrée.

Mme Cécile Cukierman. N’importe quoi, nous n’avons pas dit ça !

M. Jean-François Husson, rapporteur. Je pense qu’il faut vivre au XXIe siècle.

Enfin, j’ai compris que beaucoup regrettaient l’absence de Nicolas Sarkozy…

M. Roger Karoutchi. Nous aussi !

M. Jean-François Husson, rapporteur. … pour qu’il puisse tenir les engagements pris à l’époque. Je vous invite donc à changer d’avis, mes chers collègues, et éventuellement à le rappeler ! (Exclamations amusées.)

Mme Cécile Cukierman. Il va peut-être prochainement se passer des choses…

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Bruno Le Maire, ministre. Je ne rentrerai pas dans le débat politique ouvert par le rapporteur… Ce sont des terrains mouvants ! Je préfère rester sur du solide.

Le solide, c’est ce que nous vous proposons en matière de cession d’actifs depuis hier. En effet, la logique et la cohérence sont les mêmes pour toutes ces opérations : il s’agit de préparer l’avenir des Français, en permettant à ADP de se développer (Exclamations sur les travées du groupe communiste républicain citoyen et écologiste.), à la Française des jeux de se développer avec un encadrement public que je vous ai présenté hier, et à Engie de se développer dans le secteur des énergies renouvelables, comme l’a été très bien dit Roger Karoutchi. Toutes ces opérations n’obéissent, une fois encore, qu’à une seule ambition : permettre à notre pays de se développer économiquement de manière plus rapide, en investissant dans l’innovation et, en l’espèce, dans les énergies renouvelables.

La situation d’Engie a été rappelée par chacun d’entre vous : l’État, qui a un peu moins de 24 % du capital et 34 % des droits de vote, est limité dans ses évolutions par la loi puisqu’il ne peut pas descendre en deçà des 33 % de droits de vote.

Si Engie veut se développer, elle doit faire appel à de nouveaux capitaux. Et si des investisseurs entrent à son capital, mécaniquement, la part de l’État se dilue dans le capital de cette entreprise.

Je n’ai donc pas d’autre choix, comme ministre des finances, que de réinvestir systématiquement dans Engie des sommes correspondant à 1 milliard, 2 milliards ou 3 milliards d’euros, afin de préserver le niveau de l’État dans le capital d’Engie qui est fixé la loi.

En bref, j’ai le choix entre bloquer le développement d’Engie, parce que nous ne pouvons pas suivre l’augmentation du capital, ou, à l’inverse, consacrer des sommes très importantes, qui ne sont pas justifiées, au capital d’Engie.

C’est pourquoi nous vous demandons de prévoir la possibilité de baisser la participation de l’État dans Engie au-delà du seuil législatif qui a été fixé. J’y insiste, cela permettra à Engie de se développer dans les énergies renouvelables, en particulier dans deux secteurs très importants : le biogaz, domaine dans lequel Engie a une véritable compétence ; l’énergie éolienne offshore, sur laquelle cette entreprise commence à se déployer.

J’ai entendu les interrogations qui portaient sur la protection des infrastructures stratégiques. Nous avons été confrontés à la même problématique dans tous les textes que nous avons examinés, qu’ils concernent ADP, la Française des jeux ou Engie. Nous avons entouré ces opérations, et nous continuons à le faire, de toutes les garanties permettant de préserver les actifs stratégiques de l’État.

Je ne répéterai pas ce que j’ai dit sur le CRE, le contrat de régulation économique, et la négociation des tarifs aéroportuaires pour ADP, ou sur son cahier des charges. Ces garanties sont solides et permettront de protéger ses intérêts vitaux.

Je ne reviens pas non plus sur ce qui a été dit de la régulation des jeux de hasard. Je confirme simplement que l’État ne peut pas être juge et partie, c’est-à-dire vouloir à la fois développer les jeux de hasard et les réguler pour éviter l’addiction. Je pense que le rôle de l’État est bien davantage d’empêcher l’addiction au jeu et de réguler les jeux de hasard que d’investir dans ces jeux et d’inciter le plus possible nos compatriotes à les acheter.

Pour Engie, Mme Lienemann l’a indiqué, l’action spécifique constitue une véritable protection accordée à l’État dans le capital d’Engie.

Cette action spécifique nous permet de nous opposer à toute cession par Engie ou par ses filiales de droit français d’un actif stratégique. Afin d’être tout à fait précis, je souhaite indiquer quels sont ces actifs : les canalisations de transport de gaz naturel qui sont sur le territoire national ; tous les actifs liés à la distribution de gaz naturel, au stockage souterrain de gaz naturel et aux installations de gaz naturel liquéfié. Toutes ces installations sont protégées par l’action spécifique et ne peuvent donc être cédées ni par Engie ni par ses filiales.

M. le président. La parole est à Mme Marie-Noëlle Lienemann, pour explication de vote.

Mme Marie-Noëlle Lienemann. J’ai bien pris acte de l’existence de la golden share, l’action stratégique d’Engie. Mais, comme vous l’avez indiqué, monsieur le ministre, le champ d’intervention de ce genre d’action est extrêmement limité. Fort heureusement, et c’est important, nos lieux de stockage et nos grands axes de diffusion du gaz ne peuvent être achetés par n’importe qui ou vendus à n’importe qui.

Les choix stratégiques en matière de gaz sont particuliers, monsieur le ministre, car le pays auquel vous achetez, ce n’est pas un élément neutre !

Dans la plupart de ces pays – la Russie, l’Algérie, les pays du Golfe, etc. –, le gaz est propriété de l’État, et la vente de gaz est un élément stratégique qui ne relève pas simplement du libre marché. Il ne vous a pas échappé qu’à certains moments, ces pays peuvent décider d’arrêter l’approvisionnement de tel ou tel autre au motif de désaccords politiques et stratégiques. (Protestations sur les travées du groupe Les Républicains.)

L’État a-t-il aujourd’hui le pouvoir de veiller à ce que les achats de gaz par Engie soient assez diversifiés pour que la France ne soit pas trop vulnérable face à la réaction politique d’un autre pays ? Dans le monde instable où nous vivons, cette question se posera un jour ou l’autre. Nous regretterons à ce moment-là, non pas simplement la golden share, mais aussi notre capacité de vérifier, grâce aux 30 % d’actions de l’État, ce qu’il en est de notre indépendance énergétique.

Avec M. Karoutchi, nous ne sommes pas d’accord.

M. Bruno Le Maire, ministre. Personnellement, je suis d’accord avec M. Karoutchi !

Mme Marie-Noëlle Lienemann. Je peux comprendre son raisonnement, sauf sur le point des réseaux. L’organisation de ces infrastructures est en effet purement française et ne concerne pas la concurrence internationale. En l’occurrence, on fait coup double : on privatise à la fois Engie et les réseaux de gaz. Nous devrions nous fédérer pour nous opposer à cela !

M. le président. Il faut conclure !

Mme Marie-Noëlle Lienemann. Monsieur Canevet, la diminution de la rémunération des dividendes est liée non pas à la baisse de chaque action, car les dividendes ont fortement crû dans 90 % des entreprises, mais à la réduction de la voilure. À force de privatiser, la masse d’actions qui sont rémunérées ne cesse de baisser, et les études sont claires en la matière !

M. le président. La parole est à M. Richard Yung, pour explication de vote.

M. Richard Yung. Je partage l’opinion selon laquelle la politique en matière d’énergie – gaz, électricité, entre autres – est stratégique, puisque ce secteur permet de faire fonctionner le pays. L’État doit garder une possibilité de contrôle importante, dont les différents mécanismes ont été évoqués par M. le rapporteur et par M. le ministre.

Je pense toutefois qu’il y a une différence notable entre le gaz et l’électricité : le gaz provient uniquement de l’étranger, c’est-à-dire de l’Iran et de la Russie. Les prix du gaz nous sont donc imposés, en bien ou en mal, et nous n’avons pas de moyens d’agir sur eux. Je regrette vraiment qu’en la matière, nous n’ayons pas su développer une politique européenne ; mais ne revenons pas là-dessus.

Par ailleurs, dans le secteur du gaz, les investissements sont énormes. Un champ gazier au Kamtchatka représente 15 à 20 milliards d’euros d’investissements. Les entreprises pouvant supporter ces investissements doivent donc être de très grande capacité. C’est également le cas dans le secteur des énergies nouvelles.

Pour toutes ces raisons, je ne voterai pas en faveur de ces amendements.

M. le président. La parole est à M. Martial Bourquin, pour explication de vote.

M. Martial Bourquin. Une information en date du 5 janvier dernier est peut-être passée inaperçue : l’État allemand envisage de prendre des participations dans des secteurs jugés stratégiques pour les protéger d’éventuelles tentatives de rachat par des sociétés étrangères. Est ainsi concernée l’entreprise Siemens.

Il existe en effet un syndrome Kuka, cette usine ultra-performante et robotisée spécialisée dans l’intelligence artificielle qui a été rachetée, par surprise, par des capitaux chinois. Peter Altmaier, ministre fédéral de l’économie et de l’énergie, a dit qu’il s’agissait d’une cause d’intérêt général : l’État doit être présent dans les entreprises, justement pour jouer son rôle d’État stratège. Il faut, a-t-il ajouté, protéger les fleurons nationaux allemands.

Je vous signale que nous faisons tout le contraire, notamment avec ADP. Nous nous retirons, quand les Allemands investissent !

Avec le projet Made in China 2025, ce sont des milliards de dollars et d’euros qui vont déferler sur nos sociétés sous forme d’OPA, en vue de rachat. La Chine dit ouvertement qu’elle veut acquérir des technologies étrangères ! Face une telle situation, je crois vraiment que nous avons besoin d’un État stratège.

Ce qui a été fait pour sauver le groupe PSA, il faut le faire pour d’autres entreprises.

Plus précisément, nous vivons la fin du néolibéralisme. L’école de Chicago, dont les théories étaient mises à toutes les sauces, doit désormais laisser la place à un néokeynésianisme permettant à l’État de prendre toute sa place. Je parle non pas d’une noblesse d’État qui prendrait des participations dans les entreprises, mais au contraire de personnes qui défendraient l’intérêt général.

M. le président. Il faut conclure !

M. Martial Bourquin. J’ai le sentiment qu’en matière de politique industrielle nous avons besoin d’une stratégie industrielle française qui permette à l’État, avec nos champions, mais aussi nos PME et TPE, de développer et de sauvegarder nos entreprises, surtout celles qui sont stratégiques ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain et du groupe communiste républicain citoyen et écologiste.)

M. le président. La parole est à M. le ministre.

M. Bruno Le Maire, ministre. Je préfère répondre dès à présent, pour que le débat soit vivant, d’autant que le sujet soulevé par M. Bourquin est important. Il a évoqué la stratégie exposée hier par mon homologue allemand, Peter Altmaier, et que je partage totalement.

Cette stratégie industrielle, que nous mettons en place depuis dix-huit mois et que nous allons développer à l’échelon franco-allemand, il faut aussi l’appliquer au niveau européen.

La mauvaise décision qui vient d’être prise par la Commission européenne de rejeter la fusion entre Alstom et Siemens, laquelle aurait renforcé les intérêts industriels européens, doit nous amener à prendre nous-mêmes deux décisions : une modification du droit de la concurrence européenne – Peter Altmaier et moi-même ferons des propositions à cet égard ; l’adoption d’une vraie stratégie industrielle européenne qui protège nos PME, nous permette d’investir davantage et de défendre une véritable préférence industrielle européenne sur le territoire européen.

S’agissant de l’État stratège, je n’ai aucune difficulté à reconnaître que l’État doit intervenir par moments et investir dans une entreprise qu’il estime stratégique. Prenez l’exemple d’Ascoval. Si cette entreprise, qui est une très belle aciérie – j’y ai vu un outil de production en très bon état et des ouvriers totalement mobilisés –, a pu continuer son activité, c’est parce que l’État a investi massivement dans la reprise, aux côtés du repreneur Altifort, lequel n’était pas capable de reprendre seul cette entreprise. Il fallait le soutien de l’argent public.

Cela ne me pose donc aucune difficulté, je le répète, d’investir de l’argent public dans un actif industriel stratégique.

Lorsqu’il a fallu nationaliser les Chantiers de l’Atlantique, je l’ai fait, temporairement. Et Dieu sait que cela m’a été reproché ! D’aucuns se sont dit que Bruno Le Maire devenait communiste, comme Fabien Gay… (Rires.) Absolument pas ! J’ai simplement estimé que cette nationalisation temporaire était d’intérêt général, afin d’assurer la transition vers une autre phase industrielle.

Je conçois parfaitement que l’État soit présent aux côtés d’actifs stratégiques.

Deuxième point très important, l’État doit également être capable de protéger, car c’est l’une de ses fonctions essentielles.

Protéger, c’est être capable de dire non à un investissement portant sur des actifs trop sensibles. Vous avez eu parfaitement raison, monsieur Bourquin, de rappeler l’affaire Kuka, qui a traumatisé l’Allemagne. Cette décision a fait couler beaucoup d’encre chez nos amis allemands : un fleuron de l’industrie allemande, qui produisait tous ces robots que l’on voit partout dans les usines de France et d’ailleurs, était racheté par un investisseur chinois ! Même le patronat allemand, lequel vient lui-même d’annoncer sa propre stratégie, reconnaît qu’il faut évoluer et prévoir une protection plus forte contre des investissements menaçant des technologies ayant nécessité des investissements publics, de l’argent du contribuable, des recherches et du travail de la part de nos chercheurs.

Nous avons donc décidé de renforcer le décret relatif aux investissements étrangers en France.

Toujours pour ce qui concerne la protection, un deuxième défi va faire l’objet d’un débat dans quelques heures au Sénat. Il s’agit du déploiement de la 5G. Je fais appel à votre vigilance sur ce sujet, car il est absolument stratégique pour le développement industriel de notre pays.

La 5G permettra la transmission des données qui assureront la qualité des véhicules autonomes de demain. Cette décision, je le répète, est absolument stratégique !

La différence entre la 4G et la 5G est double.

Premièrement, dans la 4G, les données sensibles sont stockées dans les cœurs de réseau uniquement, mais pas dans les antennes-relais. Avec la 5G, elles seront à la fois dans les cœurs de réseau et dans les antennes-relais. Cela veut dire que toutes les antennes-relais que vous avez dans vos territoires, vos circonscriptions et vos départements sont susceptibles de faire l’objet d’espionnage de la part de puissances étrangères et de devenir des outils vulnérables.

Deuxièmement, la 5G sert pour des activités absolument critiques. Je reprends l’exemple du véhicule autonome. Imaginez qu’il y ait un jour un black-out complet sur la 5G qui sert à piloter les véhicules autonomes ; cela représenterait un grand risque en termes de sécurité stratégique pour notre pays !

Le Président de la République, le Premier ministre et moi-même avons par conséquent pris la décision de renforcer les protections sur les opérateurs de la 5G, tout simplement pour garantir ce à quoi nous sommes tous attachés ici : notre souveraineté.

Notre souveraineté technologique est aujourd’hui le bien le plus précieux que nous puissions avoir.

Il s’agit du deuxième volet de cet État stratège, qui doit investir, protéger et, si cela est nécessaire, prendre des participations dans les actifs stratégiques.

Les outils mis en place pour investir sont le fonds pour l’innovation de rupture – les 10 milliards d’euros dont je vous ai parlé –, le crédit d’impôt recherche, le CIR, et le suramortissement pour financer la digitalisation et la robotisation de nos entreprises.

M. le président. La parole est à M. Olivier Henno, pour explication de vote.

M. Olivier Henno. Ce débat est intéressant, mais certains arguments sont anachroniques. Qui peut croire aujourd’hui que les entreprises publiques sont les seules garantes d’un service public de qualité ? Il me semble que cet argument est un dogme. Si toutes les questions stratégiques nationales devaient être l’apanage des entreprises publiques, alors nous reviendrions à mai 1981 !

En effet, les domaines stratégiques sont nombreux : on pourrait considérer que l’armement est stratégique, que les banques le sont, et ainsi de suite… (Protestations sur les travées du groupe communiste républicain citoyen et écologiste.) Nous avons tous été, nous sommes peut-être encore parfois et nous serons demain – si la loi scélérate sur le cumul des mandats est abrogée ! – des élus locaux. En tant que tels, nous savons bien que certains services en régie publique fonctionnent bien et d’autres mal, que des délégations de service public fonctionnent bien et d’autres mal…

Ce n’est pas une question de dogme : il faut regarder les choses au cas par cas. S’il s’agit de réguler, d’avoir une vision publique de stratège, de défendre l’intérêt public et le bien commun, il me semble plus pertinent, dans un monde où ce sont les empires continents qui pèsent, d’avoir une vision à l’échelon européen plutôt que national. (M. Pierre Louault applaudit.)

M. Bruno Sido. Très bien !

M. le président. La parole est à Mme Cécile Cukierman, pour explication de vote.

Mme Cécile Cukierman. Sauf erreur de ma part, monsieur le rapporteur, je crois que personne dans cet hémicycle n’a dit que le bonheur résidait dans un État administré uniquement au niveau national. Sinon, nous serions tombés dans la caricature… Vous ne m’avez jamais entendu dire, ici comme ailleurs, que le capitalisme portait en lui toute la misère du monde, tous les drames humains que la planète connaît actuellement et tout ce qui en découle… (Marques damusement sur les travées du groupe Les Républicains. – M. Emmanuel Capus sexclame.) Je propose donc que, dans ce débat très politique, nous en restions aux propos tenus par les uns et les autres et que nous nous respections mutuellement.

Notre groupe a déposé un amendement de suppression. Nous avons combattu hier, et nous continuons à le faire aujourd’hui, la privatisation, mais nous voulons aller plus loin. Nous ne voulons pas que les choses restent en l’état si c’est pour maintenir la caricature d’un certain nombre d’entreprises nationalisées qui font finalement, au nom de l’État, de la bonne gestion libérale et capitaliste d’un bien public. J’insiste, il faudrait aller plus loin et repenser ce que devraient être le statut d’une entreprise publique et le contrôle exercé par les salariés et, plus largement, par les citoyens.

Vous avez raison, mais il n’est pas acceptable qu’avant même le vote de cet article, Engie ait délocalisé ses centres d’appel.

M. Martial Bourquin. Très juste !

Mme Cécile Cukierman. La question de la puissance étrangère à laquelle on achète du gaz pose de tels enjeux géostratégiques qu’il faudrait aller au-delà de la seule question du prix du gaz que l’on achète à tel pays, selon tel rapport et sur tel marché.

Il s’agit donc non pas d’une simple question d’administration, mais bien d’un enjeu stratégique. Qui contrôle ? C’est bien l’État, ou plutôt la Nation faisant République – et non l’administration ! –, qui doit demain exercer le contrôle de cet enjeu stratégique qu’est l’énergie. Car le droit à l’énergie, c’est le droit pour tout le monde de se chauffer, le droit de produire, le droit à l’électricité, le droit de s’éclairer : c’était tout l’enjeu au lendemain de la Seconde Guerre mondiale.

Bien évidemment, au début de ce XXIe siècle…

M. le président. Veuillez conclure, ma chère collègue.

Mme Cécile Cukierman. Je termine, monsieur le président… (Exclamations sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. le président. Vous avez terminé, ma chère collègue.

Mme Cécile Cukierman. C’est insupportable !

M. le président. La parole est à M. Roger Karoutchi, pour explication de vote.

M. Roger Karoutchi. Je voudrais d’abord rassurer notre rapporteur à propos de l’ancien président de la République : comme il n’est pas à l’île d’Elbe, il est inutile de demander le retour de l’Aigle – il fera ce qu’il souhaitera ! (Sourires.)

Ensuite, j’ai entendu beaucoup de choses : on nous explique qu’il faut qu’Engie reste une entreprise publique, parce que la gestion du gaz en Russie, en Iran et en Algérie est une affaire d’État. Justement, au vu de la politique que suivent ces États, je ne suis pas persuadé qu’ils ne préfèrent pas négocier avec des entreprises complètement privées qu’avec d’autres États. Les relations commerciales sont en effet toujours plus compliquées d’État à État. L’argument n’est donc pas convaincant.

Enfin, monsieur le ministre, je suis entièrement d’accord : gaulliste, mais pas encore rallié au parti communiste…

Mme Françoise Gatel. Il y a de la marge !

M. Roger Karoutchi. … – je sais bien que vous vouliez absolument gérer le PEL de M. Gay –, je suis pour un État stratège, mais pas pour un État propriétaire.

Si nous avons été nombreux hier à refuser la privatisation d’ADP, c’est pour une raison de conception stratégique, et non parce que « c’est à nous ».

En revanche, je considère que pour Engie, dont l’État ne détient plus que 23 % du capital et dans lequel il peut rester stratège en ayant des exigences pour veiller à l’approvisionnement et à la sécurité globale des Français, il n’y a pas de débat. On nous a dit qu’au lendemain de la guerre, il fallait se chauffer, s’éclairer, se nourrir, mais alors il n’y a qu’à nationaliser toute l’agriculture ! (Sourires sur les travées du groupe Les Républicains.)

Mme Sophie Primas. Ne les tentez pas !

M. Roger Karoutchi. À un moment, cela ne veut plus rien dire !

Quand on parle d’entreprises stratégiques, il faut définir ce qui en fait le cœur, le noyau dur, pour lequel cela vaut le coup de se battre afin que l’État soit présent et qu’il reste déterminant. Mais il ne faut pas élargir la notion de « stratégique » à tout, sinon cela n’a plus de sens et l’État stratège est affaibli. Personnellement, je suis pour un État fort, capable de réguler et de protéger : c’est la raison pour laquelle je suis favorable à la privatisation d’Engie. (M. Bruno Sido applaudit.)

M. le président. La parole est à M. Franck Montaugé, pour explication de vote.

M. Franck Montaugé. Je reviens sur le propos que j’ai tenu il y a quelques instants : je n’ai pas eu de la part du ministre – ou alors je n’ai pas bien compris, qu’il veuille m’en excuser si c’est le cas – de réponse à ma question concernant la stratégie de l’État en matière de production et de gestion du gaz naturel sur le territoire national.

Je le redis, on constate un désengagement extrêmement fort d’Engie sur son cœur de métier qui préfigure très certainement des choix profonds de redéploiement sur d’autres secteurs du domaine énergétique, en particulier les énergies renouvelables, et qui sont importants.

Je ne peux pas penser que l’État n’a pas de stratégie en tête dans un domaine de souveraineté comme celui-là ; aussi, je me demande s’il envisage que le cœur du métier assumé aujourd’hui par Engie soit repris par un groupe comme Total. Voilà la question à laquelle je souhaiterais que le ministre apporte une réponse.

Par ailleurs, on constate – mais cela est passé assez inaperçu au cours des dernières années et le processus est encore en cours – une suppression et une externalisation, en Europe et à l’étranger, des centres de relation clients d’Engie. Les suppressions d’emplois se comptent par milliers : plus d’un millier de postes ont déjà été supprimés, et un processus concernant 2 000 à 3 000 personnes supplémentaires est aujourd’hui engagé. Les conséquences sur nos territoires sont considérables.

D’autres pays que le nôtre – j’ai en tête l’Italie, avant que le gouvernement actuel ne soit en place – ont fait des choix différents à l’égard de leurs entreprises afin de garder ce type d’activité sur leur territoire national, et donc de préserver les emplois tout en limitant l’impact sur les territoires.

La France ne l’a pas fait, pas plus que l’État actionnaire. Dans quel domaine cet État actionnaire, s’il dit vouloir garder un pouvoir de décision, pèsera-t-il sur le devenir d’Engie ? Monsieur le ministre, je me pose la question et je vous la soumets.