PRÉSIDENCE DE M. Gérard Larcher

M. le président. La séance est reprise.

Discussion générale (suite)
Dossier législatif : proposition de loi visant à faciliter la sortie de l'indivision successorale et à relancer la politique du logement en outre-mer
Discussion générale (suite)

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Questions d’actualité au Gouvernement

M. le président. Monsieur le Premier ministre, mesdames, messieurs les ministres, mes chers collègues, l’ordre du jour appelle les réponses à des questions d’actualité au Gouvernement.

Je vous rappelle que la séance est retransmise en direct sur Public Sénat, sur le site internet du Sénat et sur Facebook.

Je rappelle également que l’auteur de la question dispose de deux minutes trente, de même que la ou le ministre pour sa réponse. Chacun aura à cœur de terminer cette année dans le respect et l’écoute mutuels.

assurances mutuelles

M. le président. La parole est à M. Martin Lévrier, pour le groupe La République En Marche.

M. Martin Lévrier. Monsieur le président, mesdames, messieurs les ministres, mes chers collègues, ma question s’adresse à Mme Christelle Dubos, secrétaire d’État auprès de la ministre des solidarités et de la santé, Agnès Buzyn.

Madame la secrétaire d’État, lundi 3 décembre 2018, le Parlement a adopté la loi de financement de la sécurité sociale par laquelle sera mis en place le « reste à charge zéro ». Cette mesure, qui doit garantir à tous, d’ici à 2021, le remboursement intégral de certaines lunettes, prothèses dentaires et appareils auditifs, est une promesse de gain de pouvoir d’achat, en particulier pour les retraités.

Aujourd’hui, en France, deux retraités malentendants sur trois ne sont pas appareillés et, lorsqu’ils peuvent l’être, leur reste à charge s’élève à plusieurs centaines, voire plusieurs milliers d’euros.

Il me faut faire un rappel ici.

Les mutuelles dégagent des bénéfices très importants : elles recueillent 36 milliards d’euros et leurs frais de gestion s’élèvent à 25 %. Pour mémoire, la majorité du Sénat avait envisagé, dans le cadre du projet de loi de financement de la sécurité sociale, de les taxer à hauteur de 1 milliard.

J’en reviens aux négociations liées au reste à charge zéro, ou RAC 0.

Un équilibre global a été recherché avec l’ensemble des acteurs concernés. La CNAM, la Caisse nationale de l’assurance maladie, s’est engagée à couvrir les trois quarts du coût de la réforme, le quart restant ayant été négocié par le Gouvernement avec les mutuelles.

À l’issue de ces échanges, les mutuelles se sont engagées à prendre à leur charge le quart restant du coût, en le fléchant sur leurs bénéfices, pour geler le prix de leurs cotisations. Cet effort permet la mise en place progressive du RAC 0, dans un cadre financier réalisable.

Aujourd’hui, madame la secrétaire d’État, alors que nous multiplions les mesures pour rendre du pouvoir d’achat aux Français, les mutuelles semblent revenir sur leurs engagements. Certaines auraient même annoncé par courrier à leurs adhérents des augmentations plus que substantielles.

Ma question est simple. Madame la secrétaire d’État, quelles mesures entendez-vous prendre pour les en dissuader et pour préserver le pouvoir d’achat d’un grand nombre de nos concitoyens ? (Applaudissements sur les travées du groupe La République En Marche.)

M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d’État auprès de la ministre des solidarités et de la santé.

Mme Christelle Dubos, secrétaire dÉtat auprès de la ministre des solidarités et de la santé. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, monsieur le sénateur Martin Lévrier, je vous remercie de votre question, qui est doublement d’actualité (Exclamations ironiques sur les travées du groupe Les Républicains et sur des travées du groupe socialiste et républicain.)…

M. Roland Courteau. C’est trop aimable !

Mme Christelle Dubos, secrétaire dÉtat. … puisque, ce midi, Agnès Buzyn a installé le comité de suivi de la réforme sur le « 100 % santé », réunissant les assureurs, les associations de patients et la Caisse nationale d’assurance maladie, comme cela avait été initialement prévu. Quant au Président de la République, il réunit en ce moment même à l’Élysée les mutuelles, les assureurs et les instituts de prévoyance.

Vous avez raison, le « 100 % santé » est un projet qui participe à notre réponse collective sur l’urgence économique et sociale. Il contribue à la maîtrise des dépenses contraintes, celles auxquelles les ménages ne peuvent échapper. Le Gouvernement est très attaché à ce que les dépenses concernant les cotisations aux complémentaires santé ne croissent pas indûment en 2019.

Permettez-moi de le rappeler, le 100 % santé, c’est d’abord un investissement de l’assurance maladie, qui va couvrir les trois quarts du coût de cette réforme. Aussi, nous ne pouvons tolérer que certaines complémentaires santé aient pris prétexte de la réforme prochaine du reste à charge zéro pour justifier leur hausse de prix en 2019. Et l’on peut se féliciter que ce sujet fasse consensus avec l’ensemble des fédérations d’assureurs, de mutuelles et d’organismes de prévoyance.

Le 100 % santé se mettra en place progressivement sur trois ans pour que, justement, les assurances complémentaires puissent adapter leurs garanties, que les professionnels de santé fassent évoluer leur exercice et, enfin, que l’incidence économique de la réforme puisse être lissée dans le temps.

Mesdames, messieurs les sénateurs, soyez assurés que nous serons attentifs à ce que les assurances complémentaires proposent aussi une meilleure lisibilité de leur contrat afin que les assurés puissent les comparer. (Applaudissements sur les travées du groupe La République En Marche.- Brouhaha continu sur les travées du groupe Les Républicains.) )

rattachement de la loire-atlantique à la bretagne

M. le président. La parole est à M. Ronan Dantec, pour le groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen.

M. Ronan Dantec. Ma question s’adresse à Mme Jacqueline Gourault, ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales.

Madame la ministre, à la quasi-unanimité, le conseil départemental de la Loire-Atlantique a voté hier un vœu, qui a été adressé au Gouvernement, pour que le débat sur la réunification administrative de la Bretagne soit soumis à un référendum décisionnel. (M. Gérard Longuet sexclame.) Cette demande est aussi soutenue par le conseil régional de Bretagne qui, avec une totale unanimité, s’est aussi prononcé pour un soutien à cette proposition du conseil départemental.

Cette prise de position fait évidemment suite au recueil, par l’association Bretagne Réunie, de 104 000 signatures de citoyens de Loire-Atlantique demandant que le conseil départemental se prononce sur le droit d’option, qui permet à un département de changer de région.

Lucidement, le conseil départemental a souligné l’impossibilité du mécanisme prévu par la loi NOTRe, la loi portant nouvelle organisation territoriale de la République, qui offre, je vous le rappelle, une minorité de blocage des deux cinquièmes à la région quittée et fixe au mois de mars 2019 la date butoir pour l’exercice de ce droit option.

M. le Premier ministre, que je salue, a manifesté publiquement son intérêt pour cette démarche référendaire, dans la suite des demandes exprimées par nombre de « gilets jaunes ». (Vives exclamations sur les travées du groupe Les Républicains.) Mais nous savons aussi d’expérience qu’une telle démarche reste complexe : sans accord initial sur les périmètres et la question posée, le référendum peut radicaliser les positions.

Le débat sur la réunification de la Bretagne, vieux débat que nous sommes incapables de trancher depuis 1972, nous offre donc une opportunité intéressante pour avancer dans l’expérimentation du référendum.

M. Ladislas Poniatowski. Voyez Notre-Dame-des-Landes !

M. Ronan Dantec. Aussi, je poserai deux questions, madame la ministre. Quelle suite pensez-vous donner à cette demande forte portée par 10 % du corps électoral et les deux collectivités de Loire-Atlantique et de Bretagne ? Imaginez-vous, au regard de la réelle complexité de la question, saisir la Commission nationale du débat public, pour qu’elle puisse explorer les conditions d’organisation de ce référendum, la CNDP pouvant être demain le garant nécessaire à ce renforcement de la démocratie participative ? (Bravo ! et applaudissements sur les travées du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen. – M. Jean-Luc Fichet applaudit également.)

M. le président. La parole est à Mme la ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales.

Mme Jacqueline Gourault, ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, monsieur le sénateur Ronan Dantec, comme vous l’avez rappelé, la question du rattachement du département de la Loire- Atlantique à la région Bretagne est très ancienne, et il faut l’aborder avec beaucoup de sagesse et de responsabilité.

M. Bruno Retailleau. Très bien !

Mme Jacqueline Gourault, ministre. Je me souviens des débats ici, monsieur Dantec.

Que ce soit en Bretagne ou ailleurs, la modification de la carte des départements et des régions est un exercice difficile, subtil, qui peut porter atteinte à des équilibres territoriaux forgés au fil des années, voire, parfois, des siècles.

Le code général des collectivités territoriales, auquel vous avez fait référence, précise qu’il faut une délibération concordante des collectivités concernées, à savoir les deux régions, Bretagne et Pays de la Loire, ainsi que le département de Loire-Atlantique. Il s’agit d’une étape évidemment essentielle, qu’il convient de respecter.

J’ajoute que l’organisation d’une consultation locale ne peut se faire que dans des conditions précises et dans le respect de la loi. Ainsi, toute consultation portant sur un objet qui n’est pas une compétence de la collectivité concernée serait nécessairement illégale – premier point.

Second point, en l’état actuel du droit, et comme le prévoit l’article 72-1 de la Constitution, sans mesure législative nouvelle, l’État n’est pas non plus en mesure d’organiser une consultation sur le sujet évoqué et sur une seule partie du territoire national.

Monsieur le sénateur, parce que nous sommes profondément attachés à la décentralisation et que nous croyons à la responsabilité des élus locaux, qui œuvrent au quotidien pour développer leur territoire, nous estimons que ce sujet doit faire d’abord l’objet de discussions au sein de chaque assemblée délibérante pour que l’État puisse l’examiner de la manière la plus éclairée possible.

sociétés gestionnaires d’autoroutes

M. le président. La parole est à M. Éric Bocquet, pour le groupe communiste républicain citoyen et écologiste.

M. Éric Bocquet. Monsieur le président, mesdames, messieurs les ministres, mes chers collègues, ma question s’adresse à Mme la ministre chargée des transports.

L’opérateur Vinci Autoroutes veut demander la régularisation des paiements des péages autoroutiers dont les automobilistes n’ont pas pu s’acquitter lors des opérations « péages gratuits » menées par le mouvement des « gilets jaunes » depuis le 17 novembre dernier.

Cette initiative est tout simplement inacceptable. Je veux, à ce stade, rappeler quelques chiffres éloquents.

Pour l’année 2017, dernières données disponibles, le groupe Vinci Autoroutes a réalisé un chiffre d’affaires de 4,3 milliards d’euros, en hausse de 3,4 % par rapport à 2016, pour des recettes de péage approchant les 3 milliards d’euros, dégageant un résultat net de 1,1 milliard d’euros. Quant à l’investissement sur l’année, il pointait à 537 millions d’euros, en baisse de 11,2 % par rapport à l’exercice précédent.

Mme la ministre, quelle est la position du Gouvernement sur cette démarche du groupe autoroutier ? (Applaudissements sur les travées du groupe communiste républicain citoyen et écologiste et sur des travées du groupe socialiste et républicain.)

M. le président. La parole est à Mme la ministre chargée des transports.

Mme Élisabeth Borne, ministre auprès du ministre dÉtat, ministre de la transition écologique et solidaire, chargée des transports. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, monsieur le sénateur Bocquet, j’ai effectivement pris connaissance de l’intention de certaines sociétés concessionnaires d’engager des procédures de recouvrement auprès des automobilistes qui n’ont pas pu acquitter leurs péages du fait de blocages ou de dégradations d’installations.

Je le dis fermement, cette annonce est totalement inopportune et inappropriée. Dans la situation que connaît notre pays, chacun doit jouer son rôle pour contribuer à l’apaisement.

Par ailleurs, tout indique que cette décision ne serait pas fondée sur le plan juridique. En effet, les images de vidéoprotection n’ont pas vocation à être utilisées pour la régularisation des paiements.

J’ai donc demandé aux sociétés concessionnaires de se conformer strictement à la loi et de ne pas mettre en œuvre de tels recouvrements. Je les recevrai ce soir afin de faire le point sur les perturbations en cours et les nombreuses dégradations qui sont à déplorer.

Je le redis, ces violences sont inacceptables. Aucune cause ne justifie de s’en prendre aux biens et aux personnes, et je veux en particulier dire ma solidarité avec les agents des sociétés d’autoroutes, qui ont été la cible d’actions violentes et d’incendies.

Nous sommes et nous continuerons à être d’une fermeté totale envers ceux qui commettent de tels actes.

Nous sommes à quelques jours d’un week-end de grand départ, et nos concitoyens ont le droit de circuler librement sur le réseau autoroutier. Pour ce faire, il faut que le calme revienne au plus vite sur le terrain. C’est ce pour quoi nous sommes totalement mobilisés, et c’est l’objet de la réunion de ce soir.

La réponse à la colère exprimée ces dernières semaines doit être collective ; les grandes entreprises doivent y prendre toute leur part. (Applaudissements sur les travées du groupe La République En Marche, du groupe Les Indépendants – République et Territoires et sur des travées du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen.)

M. le président. La parole est à M. Éric Bocquet, pour la réplique.

M. Éric Bocquet. Madame la ministre, j’entends bien votre réponse, mais nous restons, pour notre part, convaincus que la question de la maîtrise publique des infrastructures autoroutières se pose plus que jamais.

Les autoroutes françaises réalisent un chiffre d’affaires de 8 milliards d’euros par an. En privatisant, l’État a renoncé aux dividendes futurs estimés à 40 milliards d’euros d’ici à 2032. La marge nette des groupes autoroutiers oscille entre 20 % et 24 % depuis la privatisation. Enfin, 14,6 milliards de dividendes ont été distribués aux actionnaires.

Lors d’un débat au Sénat en 2014, sur l’initiative de notre groupe, nombreux ici furent les collègues sur toutes les travées à déclarer que la privatisation des autoroutes avait été une erreur. Nous pensons qu’il faut procéder à la renationalisation des concessions autoroutières. L’emprunt à contracter serait remboursé par les bénéfices dégagés, et non pas par l’impôt. Il y va, selon nous, de l’intérêt général. Pour agir ainsi, les concessionnaires autoroutiers privés seraient-ils devenus un État dans l’État ? (Applaudissements sur les travées du groupe communiste républicain citoyen et écologiste et sur des travées du groupe socialiste et républicain.)

rétablissement de l’isf

M. le président. La parole est à M. Patrick Kanner, pour le groupe socialiste et républicain.

M. Patrick Kanner. Monsieur le Premier ministre, je reviens vers vous ici, une dernière fois cette année, pour évoquer le sujet de l’impôt de solidarité sur la fortune, l’ISF. (Exclamations sur les travées du groupe Les Républicains.)

Vous avez supprimé l’an dernier cet impôt en arguant de raisons économiques, en évoquant une théorie hypothétique, et désormais invérifiée, du « ruissellement », en avançant que cet impôt serait la cause de la fuite des grandes fortunes. Tous ces arguments, vous les avez redonnés régulièrement depuis un an ici même devant la Haute Assemblée.

Seulement, le ruissellement n’a pas eu lieu, et aucun indicateur ne va dans ce sens, puisque la croissance de 2017 a été portée par l’activité et la consommation et que le ralentissement de 2018 va de pair avec une baisse du pouvoir d’achat.

De même, concernant la fuite des capitaux, vous n’avez toujours pas réussi à nous fournir la moindre étude démontrant un retour massif de grandes fortunes depuis la fin de l’ISF. Nous avons même pu observer, rappelez-vous, à la fin du quinquennat précédent, que les capitaux revenaient, alors que l’ISF existait.

L’ISF avait, en revanche, une vertu : au-delà des 5 milliards d’euros qu’il rapportait, il était un élément de justice fiscale pour les Français. Et la justice fiscale est le moteur du consentement à l’impôt.

En supprimant l’ISF, vous avez dangereusement remis en cause ce consentement à l’impôt dans notre pays. Alors, monsieur le Premier ministre, je vous le demande une dernière fois ce soir, allez-vous rétablir l’impôt de solidarité sur la fortune ? (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain et du groupe communiste républicain citoyen et écologiste. – M. Joël Labbé applaudit également.)

Plusieurs sénateurs du groupe Les Républicains et du groupe Union Centriste. Non !

M. le président. La parole est à M. le Premier ministre.

M. Édouard Philippe, Premier ministre. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, monsieur le président Kanner, il y a quelques minutes, à l’Assemblée nationale, Mme Valérie Rabault, la présidente du groupe socialiste, me posait la même question. (Exclamations ironiques sur les travées du groupe Les Républicains. – Exclamations sur les travées du groupe socialiste et républicain.) Mesdames, messieurs les sénateurs, nous pouvons tous nous réjouir de constater qu’il y a une très forte coopération entre les deux groupes, et c’est très bien ainsi. (Sourires.)

En posant la question, Mme Valérie Rabault a indiqué qu’elle souhaitait faire usage des dispositions prévues à l’article 11 de la Constitution relatif au référendum d’initiative partagée, et elle a annoncé en séance publique la volonté qui était la sienne de s’engager – et d’engager notre pays – dans cette procédure.

Je peux vous apporter les mêmes éléments de réponse.

La question de l’impôt de solidarité sur la fortune a été débattue : elle l’a été au moment de la campagne présidentielle, et, peut-être plus encore, lors de la campagne des législatives. Le Président de la République, avant le premier tour, et les candidats qui portaient les couleurs de la majorité présidentielle au premier et au second tour des législatives ont indiqué qu’ils souhaitaient transformer le système fiscal, notamment l’ISF, qui deviendrait un impôt sur la fortune immobilière.

La motivation de cette transformation tenait au fait que les inconvénients de l’ISF nous paraissaient largement supérieurs à ses avantages. Vous avez évoqué le symbole, vous n’avez pas abordé la recette : il nous semblait, et il me semble encore, monsieur le président Kanner, que les inconvénients qui s’attachaient à l’ISF étaient bien supérieurs aux avantages que vous décrivez.

J’observe d’ailleurs que ce type d’instrument, y compris dans des pays qui ont au moins autant que la France la passion de l’égalité et la préoccupation du sérieux fiscal, ont été démantelés et que la France, par son ISF, restait une forme de spécificité. Certes, on pouvait s’en glorifier – après tout, on n’est pas obligé de faire comme tout le monde ! –, mais on peut aussi constater que d’autres pays que la France avaient noté les inconvénients s’attachant à ce type d’instrument.

Nous avons pris la décision de transformer l’ISF en IFI, impôt sur la fortune immobilière, et nous l’assumons. Nous avions souligné, au moment du débat parlementaire, que nous étions évidemment disposés à ce qu’un comité d’évaluation indépendant puisse examiner les effets de cette suppression ou, plus exactement, les effets de cette transformation. Cette commission sera créée – elle doit l’être rapidement – afin que nous puissions procéder à cette évaluation. Mais je dois dire, monsieur le président Kanner, que je n’ai pas peur de cette évaluation.

Je sais le départ de grandes fortunes et de masses taxables intervenu avec l’instauration et le maintien de l’ISF. Je sais aussi que notre pays a vu son attractivité, en termes d’investissements, s’accroître avec la suppression de l’ISF. (Exclamations sur les travées du groupe socialiste et républicain.)

M. Jean-Luc Fichet. Un exemple !

M. Édouard Philippe, Premier ministre. Si l’ISF, monsieur le président Kanner, était paré de toutes les vertus que vous décrivez, permettez-moi de dire que cela se serait vu ! On l’aurait constaté. Or on voit bien les inconvénients qui s’attachaient à cet impôt. (Protestations sur les travées du groupe socialiste et républicain.)

J’en ai parfaitement conscience, porter cette mesure de suppression peut-être difficile, voire impopulaire – c’est vrai.

M. Martial Bourquin. C’est insupportable !

M. Édouard Philippe, Premier ministre. C’est un fait. Néanmoins, j’observe qu’elle était portée par un certain nombre de candidats à l’élection présidentielle. (Murmures sur les travées du groupe socialiste et républicain.) Elle a été validée au moment de l’élection présidentielle, puis lors des élections législatives. Mon objectif est de faire en sorte de tenir les engagements qui ont été pris.

Donc, pour une dernière fois cette année, monsieur le président, tout en vous souhaitant un excellent travail dans le cadre d’une session qui n’est pas achevée – l’heure de la suspension des travaux n’est pas encore venue - permettez-moi de vous répondre tout à la fois : non, bon travail et, peut-être, joyeuses fêtes ! (Applaudissements sur les travées du groupe La République En Marche et sur des travées du groupe Les Républicains. – M. Olivier Cadic applaudit également.)

M. le président. La parole est à M. Patrick Kanner, pour la réplique.

M. Patrick Kanner. Monsieur le Premier ministre, j’ai bien compris que je ne vous avais pas convaincu - mais vous ne m’avez pas convaincu non plus !

D’ailleurs, depuis le mois de juin 2017, il y a eu un petit changement… de couleur jaune fluo. Il faut écouter cette colère qui s’exprime aujourd’hui partout en France. (Exclamations sur les travées du groupe Les Républicains.)

Monsieur le Premier ministre, puisque nous ne sommes pas d’accord avec votre majorité et ceux qui vous soutiennent sur ce point particulier de l’ISF, nous avons décidé, avec Mme Valérie Rabault, de déposer une proposition de loi référendaire d’initiative partagée, et nous demandons simplement, par référendum, au peuple français…

M. le président. Veuillez conclure, mon cher collègue !

M. Patrick Kanner. … de trancher. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain.- M. Pierre Laurent applaudit également.)

COP24

M. le président. La parole est à M. Jérôme Bignon, pour le groupe Les Indépendants – République et Territoires. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Indépendants – République et Territoires.)

M. Jérôme Bignon. Madame la secrétaire d’État, nous avons vécu en 2018 deux alertes venues du monde scientifique : au printemps, l’alerte de l’IPBES, la Plateforme intergouvernementale scientifique et politique sur la biodiversité et les services écosystémiques, du CNRS et du Muséum, dénonçant l’effondrement de la biodiversité en France et dans le monde ; et, en octobre dernier, le GIEC, le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat, a indiqué dans un nouveau rapport qu’il fallait augmenter l’ambition de l’Accord de Paris en limitant le réchauffement climatique à 1,5 degré au maximum.

Malgré l’urgence, c’est toujours vers 3 degrés que nous nous dirigeons.

Certes – un point positif –, la COP24 a été conclusive, puisqu’elle a adopté un guide d’application de l’Accord de Paris. Point négatif, elle n’est pas parvenue à rehausser les ambitions des États, qui sont actuellement notoirement insuffisantes. L’engagement de la France, l’engagement du Gouvernement, notre engagement à tous restent donc essentiels pour entraîner nos partenaires européens et internationaux.

Relâcher notre effort, c’est courir à la catastrophe, comme l’a dit la jeune Greta Thunberg en clôture de la COP24 : aujourd’hui, « nous sommes à court d’excuses. »

Comment reprendre la main, madame la secrétaire d’État ? Telle est ma première question. Que pensez-vous de la proposition portée par Jean Jouzel et Pierre Larrouturou de créer, sur le modèle de la BCE, la Banque centrale européenne, une « banque européenne du climat », pour mettre à la disposition de tous les États européens une enveloppe de prêts à 0 % représentant 2 % du PIB de chacun de ces États, afin d’assurer de façon juste et équitable la transition énergétique ?

Enfin – troisième question –, comment pensez-vous mieux porter les objectifs du développement durable pour avancer plus vite et d’une façon plus juste vers une société décarbonée ? (Applaudissements sur les travées du groupe Les Indépendants – République et Territoires. – M. Ronan Dantec applaudit également.)

M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d’État auprès du ministre d’État, ministre de la transition écologique et solidaire.

Mme Brune Poirson, secrétaire dÉtat auprès du ministre dÉtat, ministre de la transition écologique et solidaire. Mesdames, messieurs les sénateurs, monsieur le sénateur Bignon, je vous remercie tout d’abord de cette question essentielle, plus que jamais essentielle, même, à l’heure précisément de ce moment de tension extrême que nous vivons dans le pays.

Une partie de la réponse à apporter aux « gilets jaunes » réside dans le fait que nous devons faire plus pour la transition écologique.

M. Gérard Longuet. Il faut faire mieux !

Mme Brune Poirson, secrétaire dÉtat. Il faut surtout demander plus de cohérence globalement dans le système.

Cela demande aussi que chacun prenne sa part de responsabilité.

Je commencerai par répondre à votre troisième question. Il faut faire en sorte que le système financier, lui aussi, prenne toute sa part de responsabilité. Il importe que les investissements privés soient redirigés de façon massive vers des projets qui sont bons pour la planète. C’est cette ambition, cette réforme, que la France porte au niveau international. En témoigne ce que le Président de la République a demandé à l’ONU, à New York, devant un parterre de chefs d’État et, surtout, de dirigeants de grandes banques. (Exclamations sur les travées du groupe Les Républicains et du groupe socialiste et républicain.)

En France, mesdames, messieurs les sénateurs, le gap, c’est-à-dire le fossé, pour financer la transition écologique s’élève à 20 milliards d’euros. Est-ce que ce sont les contribuables qui vont le financer ? Non ! En revanche, est-ce qu’il s’agira potentiellement des banques et des investisseurs privés, qui doivent, eux aussi, répondre à un impératif moral ? C’est indispensable, et la réponse est : oui !

Les « gilets jaunes » nous demandent plus de justice sociale. (Exclamations sur les travées du groupe Les Républicains.) C’est pour cela aussi que nous nous battons et que la France a été non seulement présente à la COP24, mais qu’elle a joué un rôle essentiel dans toute la préparation de cette conférence. Nous sommes parvenus à un accord sur le texte, mais il faut aller encore plus loin, et la France est mobilisée.