Sommaire

Présidence de Mme Catherine Troendlé

Secrétaires :

MM. Victorin Lurel, Michel Raison.

1. Procès-verbal

2. Mise au point au sujet d’un vote

3. Candidatures à une commission mixte paritaire

4. Funérailles républicaines. – Discussion d’une proposition de loi

Discussion générale :

M. Sébastien Lecornu, ministre auprès de la ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales, chargé des collectivités territoriales

M. Loïc Hervé, rapporteur de la commission des lois

M. Jean-Pierre Decool

Mme Patricia Morhet-Richaud

M. Alain Richard

M. Pierre-Yves Collombat

M. Jean-Luc Fichet

Mme Maryse Carrère

M. Yves Détraigne

M. Alain Marc

5. Souhaits de bienvenue à de jeunes citoyens en tribune

6. Funérailles républicaines. – Suite de la discussion d’une proposition de loi

Discussion générale (suite)

Mme Nicole Duranton

Mme Hélène Conway-Mouret

Clôture de la discussion générale.

7. Souhaits de bienvenue à de jeunes citoyens en tribune

8. Funérailles républicaines. – Suite de la discussion et rejet d’une proposition de loi

Article unique

Mme Marie-Françoise Perol-Dumont

Amendements identiques nos 1 de M. Jean-Pierre Grand et 14 rectifié de M. Alain Marc. – Adoption, par scrutin public n° 39, des deux articles supprimant l’article.

Amendement n° 11 de M. Alain Richard. – Devenu sans objet.

Amendement n° 6 de Mme Brigitte Lherbier. – Devenu sans objet.

Amendement n° 10 de M. Pierre-Yves Collombat. – Devenu sans objet.

Amendement n° 8 de Mme Brigitte Lherbier. – Devenu sans objet.

Amendement n° 2 rectifié de M. André Reichardt. – Devenu sans objet.

Amendement n° 9 de Mme Brigitte Lherbier. – Devenu sans objet.

Amendement n° 12 de M. Alain Marc. – Devenu sans objet.

Amendement n° 3 rectifié de M. André Reichardt. – Devenu sans objet.

Amendement n° 5 rectifié bis de M. André Reichardt. – Devenu sans objet.

Amendement n° 4 rectifié bis de M. André Reichardt. – Devenu sans objet.

Intitulé de la proposition de loi

Amendement n° 7 de Mme Brigitte Lherbier. – Devenu sans objet.

Amendement n° 13 de M. Alain Richard. – Devenu sans objet.

L’article unique ayant été rejeté, la proposition de loi n’est pas adoptée.

9. Services environnementaux rendus par les agriculteurs. – Rejet d’une proposition de résolution

Discussion générale :

M. Franck Montaugé, auteur de la proposition de résolution

M. Laurent Duplomb

Mme Patricia Schillinger

Mme Cécile Cukierman

M. Jean-Claude Tissot

M. Joël Labbé

M. Pierre Louault

M. Jean-Pierre Decool

Mme Anne-Marie Bertrand

M. Henri Cabanel

M. Vincent Segouin

M. Didier Guillaume, ministre de l’agriculture et de l’alimentation

Clôture de la discussion générale.

Texte de la proposition de résolution

Vote sur l’ensemble

Rejet, par scrutin public n° 40, de la proposition de résolution.

Suspension et reprise de la séance

10. Mise au point au sujet de votes

11. Communication relative à une commission mixte paritaire

12. Grève des contrôleurs aériens. – Adoption d’une proposition de loi dans le texte de la commission modifié

Discussion générale :

M. Joël Guerriau, auteur de la proposition de loi

M. Alain Fouché, rapporteur de la commission de l’aménagement du territoire et du développement durable

Mme Élisabeth Borne, ministre auprès du ministre d’État, ministre de la transition écologique et solidaire, chargée des transports

M. Frédéric Marchand

Mme Éliane Assassi

Mme Nicole Bonnefoy

M. Jean-Pierre Corbisez

M. Vincent Capo-Canellas

M. Max Brisson

M. Claude Malhuret

Mme Catherine Procaccia

Mme Christine Lavarde

Mme Élisabeth Borne, ministre

Clôture de la discussion générale.

Article unique

Amendement n° 2 rectifié de M. Vincent Capo-Canellas. – Adoption de l’amendement rédigeant l’article unique.

Articles additionnels après l’article unique

Amendement n° 1 rectifié bis de M. Vincent Capo-Canellas. – Retrait.

Amendement n° 3 rectifié de M. Vincent Capo-Canellas. – Adoption de l’amendement insérant un article additionnel.

Intitulé de la proposition de loi

Amendement n° 4 rectifié de M. Vincent Capo-Canellas. – Adoption de l’amendement rédigeant l’intitulé de la proposition de loi.

Vote sur l’ensemble

Mme Catherine Procaccia

Adoption de la proposition de loi dans le texte de la commission, modifié.

Suspension et reprise de la séance

PRÉSIDENCE DE M. Philippe Dallier

13. Emplois non pourvus en France : quelles réponses ? quelles actions ? – Débat organisé à la demande du groupe Les Indépendants – République et Territoires

Mme Muriel Pénicaud, ministre du travail

M. Joël Guerriau, pour le groupe Les Indépendants – République et Territoires

Débat interactif

Mme Cathy Apourceau-Poly ; Mme Muriel Pénicaud, ministre du travail ; Mme Cathy Apourceau-Poly.

Mme Corinne Féret ; Mme Muriel Pénicaud, ministre du travail.

M. Jean-Pierre Moga ; Mme Muriel Pénicaud, ministre du travail.

M. Jean-Pierre Decool ; Mme Muriel Pénicaud, ministre du travail.

Mme Frédérique Puissat ; Mme Muriel Pénicaud, ministre du travail.

Mme Patricia Schillinger ; Mme Muriel Pénicaud, ministre du travail ; Mme Patricia Schillinger.

Mme Michelle Meunier ; Mme Muriel Pénicaud, ministre du travail ; Mme Michelle Meunier.

M. Jean-Claude Luche ; Mme Muriel Pénicaud, ministre du travail.

Mme Sophie Primas ; Mme Muriel Pénicaud, ministre du travail.

Mme Nadine Grelet-Certenais ; Mme Muriel Pénicaud, ministre du travail.

Mme Patricia Morhet-Richaud ; Mme Muriel Pénicaud, ministre du travail.

M. Serge Babary ; Mme Muriel Pénicaud, ministre du travail.

M. Yves Bouloux ; Mme Muriel Pénicaud, ministre du travail.

M. Jean-Raymond Hugonet ; Mme Muriel Pénicaud, ministre du travail.

M. Daniel Chasseing, pour le groupe Les Indépendants – République et Territoires

Mme Muriel Pénicaud, ministre du travail

14. Ordre du jour

Nomination de membres d’une commission mixte paritaire

compte rendu intégral

Présidence de Mme Catherine Troendlé

vice-présidente

Secrétaires :

M. Victorin Lurel,

M. Michel Raison.

Mme la présidente. La séance est ouverte.

(La séance est ouverte à quatorze heures trente.)

1

Procès-verbal

Mme la présidente. Le compte rendu analytique de la précédente séance a été distribué.

Il n’y a pas d’observation ?…

Le procès-verbal est adopté sous les réserves d’usage.

2

Mise au point au sujet d’un vote

Mme la présidente. La parole est à Mme Denise Saint-Pé.

Mme Denise Saint-Pé. Madame la présidente, le 11 décembre 2019, je n’ai pu être présente en séance et prendre part au scrutin public n° 37 sur l’ensemble du projet de loi de finances pour 2019. J’indique que je souhaitais voter pour.

Mme la présidente. Acte vous est donné de cette mise au point, ma chère collègue. Elle sera publiée au Journal officiel et figurera dans l’analyse politique du scrutin.

3

Candidatures à une commission mixte paritaire

Mme la présidente. J’informe le Sénat que des candidatures pour siéger au sein de la commission mixte paritaire chargée de proposer un texte sur les dispositions restant en discussion du projet de loi habilitant le Gouvernement à prendre par ordonnances les mesures de préparation au retrait du Royaume-Uni de l’Union européenne ont été publiées.

Ces candidatures seront ratifiées si la présidence n’a pas reçu d’opposition dans le délai d’une heure prévu dans notre règlement.

4

 
Dossier législatif : proposition de loi instituant des funérailles républicaines
Discussion générale (suite)

Funérailles républicaines

Discussion d’une proposition de loi

Discussion générale (début)
Dossier législatif : proposition de loi instituant des funérailles républicaines
Discussion générale (interruption de la discussion)

Mme la présidente. L’ordre du jour appelle la discussion, à la demande du groupe socialiste et républicain, de la proposition de loi, adoptée par l’Assemblée nationale, instituant des funérailles républicaines (proposition n° 170 [2016-2017], résultat des travaux de la commission n° 178, rapport n° 177).

Dans la discussion générale, la parole est à M. le ministre.

M. Sébastien Lecornu, ministre auprès de la ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales, chargé des collectivités territoriales. Madame la présidente, madame la vice-présidente de la commission des lois, monsieur le rapporteur, monsieur le président Patrick Kanner, mesdames, messieurs les sénateurs, je suis heureux de me trouver aujourd’hui une nouvelle fois au Sénat – en ce moment, j’y viens quasiment une fois par jour ! – pour cette proposition de loi visant à instituer des funérailles républicaines, adoptée en première lecture par l’Assemblée nationale voilà plus de deux ans maintenant, sous la précédente législature.

La proposition de loi vient aujourd’hui devant le Sénat, et c’est pour moi l’occasion de saluer la grande qualité des débats et des échanges qui ont lieu tant à l’Assemblée nationale que lors de son examen par votre commission des lois.

C’est d’autant plus important de souligner que le sujet qui nous réunit aujourd’hui est complexe, car il touche à l’intime, aux croyances. Il est souvent dit que le degré de civilisation d’une société peut se mesurer à la place qu’elle accorde à ses défunts. J’en suis personnellement convaincu. Et même si la relation à la mort a considérablement évolué au cours des siècles, nous leur devons respect et dignité.

La proposition de loi répond à une préoccupation légitime : permettre à chaque Français de bénéficier de funérailles dans le respect de ses convictions personnelles, notamment religieuses.

En France, le principe de liberté de choix des funérailles, entre obsèques civiles ou religieuses, est garanti depuis la loi du 15 novembre 1887.

Ce fut un progrès important, annonciateur de la grande loi de 1905.

Toutefois, tout au long du XXe siècle, les pratiques funéraires des Français ont évolué assez fortement. Une étude publiée en 2016 par le Centre de recherche pour l’étude et l’observation des conditions de vie, le CRÉDOC, permet de s’en rendre compte : aujourd’hui, 74 % des obsèques sont religieuses et 26 % civiles. Si la cérémonie reste très majoritairement religieuse en cas d’inhumation – 87 % des cas –, c’est beaucoup moins le cas pour les crémations – 49 % de cérémonies civiles.

Or nous assistons depuis quelques années à une augmentation très forte du nombre de crémations : 1 % des décès en 1980, 35 % en 2016. Le constat est donc clair : les Français sont de plus en plus nombreux à faire le choix de la crémation et, donc, à opter pour l’organisation de cérémonies civiles, même si ces dernières restent encore aujourd’hui minoritaires.

Il s’agit donc non pas de nier cette évolution sociale, importante en France comme à l’étranger, mais de réfléchir à la meilleure manière pour y répondre.

Mesdames, messieurs les sénateurs, je vois deux approches possibles.

La première consisterait à recourir à la loi. C’est l’objet de votre texte, qui prévoit deux dispositions : d’une part, demander à la commune de « mettre à disposition », « gratuitement », une « salle adaptable », afin de permettre aux familles d’organiser des funérailles civiles ; d’autre part, permettre à un officier d’état civil, s’il le souhaite, de procéder à la cérémonie.

Ces propositions sont parfaitement louables et partent clairement d’une bonne intention. Néanmoins, elles soulèvent un certain nombre d’obstacles que vous avez, à juste titre, rappelés dans vos travaux, monsieur le rapporteur.

Je les partage en grande partie. Quatre points me paraissent particulièrement importants.

Tout d’abord, il s’agit d’une contrainte nouvelle imposée aux communes, sans aucune compensation financière, et qui serait donc financée par le contribuable local.

M. André Reichardt. Absolument !

M. Sébastien Lecornu, ministre. En effet, les communes devraient prendre à leur charge les coûts d’entretien, sans oublier la mobilisation du personnel municipal pour l’aménagement, la surveillance et la remise en état de la salle.

M. Sébastien Lecornu, ministre. Alors que les communes réalisent déjà des efforts importants dans la maîtrise de leurs dépenses publiques, leur imposer une nouvelle contrainte ne nous paraît pas justifié.

M. André Reichardt. Très bien !

M. Sébastien Lecornu, ministre. Ensuite, la mise en œuvre de cette proposition se heurte à des écueils pratiques susceptibles de générer des contentieux devant le juge administratif. Qu’est-ce qu’une « salle adaptable » ? Dans quelles conditions une commune peut-elle estimer ne pas être en mesure de la mettre à disposition ? Par exemple, en l’absence de définition précise, un administré mécontent pourrait se tourner vers le juge en estimant que la mairie avait une « salle adaptable ».

Si ces questions paraissent à certains secondaires, elles sont susceptibles de créer de l’insécurité juridique pour les élus locaux. (Marques dapprobation sur les travées du groupe Les Républicains.)

Troisièmement, cette proposition de loi pose la question de son articulation avec les missions exercées aujourd’hui par les opérateurs funéraires. En effet, depuis la loi du 8 janvier 1993 modifiant le titre VI du livre III du code des communes et relative à la législation dans le domaine funéraire, le monopole des communes sur le « service extérieur des pompes funèbres » a été supprimé. Permettre la mise à disposition gratuite de salles conduirait potentiellement à un risque de distorsion de concurrence.

De plus, ce choix pourrait se révéler en contradiction avec la démarche d’allégement des procédures et des normes en matière funéraire qui a amené à réduire, voire à supprimer, la présence d’agents publics à différentes étapes des obsèques.

Enfin, je ne suis pas certain qu’il soit opportun de conférer de nouvelles attributions à l’officier d’état civil, dont le rôle consiste à délivrer des actes d’état civil et non à présider des cérémonies.

M. André Reichardt. Très bien !

M. Sébastien Lecornu, ministre. Par ailleurs, cela soulève deux autres problèmes.

Tout d’abord, contrairement aux mariages civils, où il est fait lecture précisément des articles du code civil, aucune disposition n’encadre le déroulement d’une cérémonie de funérailles républicaines.

Ensuite, si la loi donne à l’officier d’état civil la possibilité de ne pas y participer, cette application à « géométrie variable » est de nature à nourrir des procès en discrimination !

Pour toutes ces raisons-là, et malgré le caractère généreux et louable de ce texte,…

M. Sébastien Lecornu, ministre. … je ne pense pas que le recours à la loi soit la manière la plus opportune de répondre aux attentes des Françaises et des Français en matière funéraire.

M. Sébastien Lecornu, ministre. Nous pouvons aussi opter pour une autre stratégie, qui a clairement ma préférence : faire confiance aux élus locaux ; inciter plutôt que contraindre.

Comme vous le savez, j’ai été maire de Vernon et président du conseil départemental. J’ai, comme vous, la culture de l’élu local. Je connais aussi bien que vous – du moins, je l’espère – les potentialités et les intelligences de nos territoires. Au lieu de les contraindre, je préfère leur faire confiance.

Alors que j’ai annoncé vouloir lutter contre les « irritants » de la loi NOTRe, qui comprendrait que je défende l’adoption de nouvelles contraintes pour les communes ?

Le droit actuel n’interdit d’ailleurs pas l’organisation de funérailles civiles, comme l’ont rappelé notamment l’Association des maires de France et des présidents d’intercommunalité, l’AMF, et l’Association des maires ruraux de France, l’AMRF.

En effet, nombre de communes mettent d’ores et déjà des salles à disposition sans que cela semble soulever la moindre difficulté particulière. Il arrive aussi que des élus interviennent pour y prononcer une allocution.

Enfin, comme l’AMRF l’a rappelé devant vous, monsieur le rapporteur, les usages locaux sont très importants en matière d’obsèques, en métropole comme outre-mer, et il faut plutôt s’en remettre, une fois de plus, à l’intelligence territoriale.

Certaines communes mettent à disposition des salles, d’autres remettent des documents aux familles des défunts pour les accompagner dans les procédures administratives : bref, faisons confiance aux élus locaux – je ne le répéterai jamais assez –,…

M. Patrick Kanner. Ça change !

M. Sébastien Lecornu, ministre. … car ce sont eux qui connaissent le mieux les besoins de leurs administrés.

L’absence de problème particulier, l’existence d’un cadre juridique permettant de régler nombre de situations, notre volonté de ne pas créer une nouvelle norme et notre confiance inébranlable dans les territoires sont autant de raisons pour lesquelles le Gouvernement est défavorable à l’adoption de cette proposition de loi : pas pour ses intentions, mesdames, messieurs les sénateurs, qui sont justes, honorables et louables, mais pour la méthode retenue. (Applaudissements sur les travées du groupe Union Centriste et du groupe Les Républicains.)

Mme la présidente. La parole est à M. le rapporteur.

M. Loïc Hervé, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et dadministration générale. Madame la présidente, madame la vice-présidente de la commission des lois, monsieur le ministre, mes chers collègues, la proposition de loi visant à instituer des funérailles républicaines, que nous examinons aujourd’hui, a été adoptée par l’Assemblée nationale le 30 novembre 2016, sous la précédente législature. Elle était présentée par notre ancien collègue député Bruno Le Roux et plusieurs de ses collègues.

La semaine dernière, la commission des lois du Sénat l’a rejetée en adoptant un amendement de suppression de son article unique, présenté par notre collègue Jean-Pierre Grand.

En conséquence, et en application du premier alinéa de l’article 42 de la Constitution, notre discussion porte aujourd’hui sur le texte de la proposition de loi adoptée par l’Assemblée nationale.

Pour préparer nos travaux, j’ai tenu à entendre les différentes parties prenantes : les associations d’élus, la Fédération des familles de France, les opérateurs funéraires, publics ou privés, les représentants des cultes, la Fédération nationale de la libre pensée, ainsi que les administrations concernées – ministère de la justice, ministère de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales.

Je me suis évidemment entretenu avec le deuxième signataire de la proposition de loi, M. Hervé Féron, qui était aussi rapporteur au nom de la commission des lois de l’Assemblée nationale.

Je remercie notre collègue Jean-Luc Fichet d’avoir participé aux auditions et le président Jean-Pierre Sueur, avec qui nous avons pu échanger.

Le principe de liberté de choix des funérailles, entre obsèques civiles ou religieuses, est garanti depuis le XIXe siècle et la loi du 15 novembre 1887 sur la liberté des funérailles.

Si les premières tendent à se développer, notamment avec le recours croissant à la crémation plutôt qu’à l’inhumation, les secondes restent largement majoritaires en France : elles représentent encore 74 % des obsèques selon une étude publiée en 2016 par le CRÉDOC.

Les règles actuelles de la domanialité publique permettent d’ores et déjà l’organisation d’obsèques civiles au sein de bâtiments communaux.

L’attribution d’une salle municipale relève toutefois de la seule appréciation de la commune et est soumise à une redevance, sauf exception.

Il arrive également que l’officier de l’état civil s’implique lors de la célébration des obsèques, mais à titre privé et avec l’accord de la personne ayant qualité pour pourvoir aux funérailles – je l’ai fait en tant que maire.

La proposition de loi adoptée par l’Assemblée nationale a deux finalités : premièrement, elle tend à imposer aux communes qui disposent d’une « salle adaptable » de garantir l’organisation de « funérailles républicaines » en la mettant à disposition des familles des défunts ; deuxièmement, elle vise à donner à l’officier de l’état civil la faculté de procéder à une cérémonie d’obsèques civiles, dans l’hypothèse où la famille du défunt le demanderait.

Comme vous l’avez souligné, monsieur le ministre, elle se heurte toutefois à de nombreux écueils, que je vais tenter de résumer.

Premier écueil : l’absence de mention expresse de la notion de disponibilité de la salle, qui pourrait conduire à interpréter ces dispositions comme accordant une priorité à la demande de réservation de salle pour des « funérailles républicaines » et générer alors des conflits d’usage.

Deuxième écueil : l’absence de définition du caractère « adaptable » de la salle, qui ne manquerait pas de susciter des contentieux devant le juge administratif.

Troisième écueil : l’absence de mention des cas dans lesquels la commune pourrait légitimement refuser la demande de mise à disposition.

Quatrième écueil : l’ambivalence de la notion de « funérailles républicaines ». Plusieurs représentants des cultes ont fait remarquer qu’une cérémonie d’obsèques religieuses n’était pas moins républicaine qu’une cérémonie strictement civile.

De fait, en vertu du principe constitutionnel d’égalité devant la loi, la commune pourrait-elle légitimement refuser la demande d’une famille souhaitant utiliser une salle pour l’organisation d’obsèques religieuses ? La question se pose, d’autant plus que certains opérateurs funéraires m’ont indiqué que cela se faisait déjà.

Cinquième écueil : le coût induit pour les communes, qui devraient mettre à disposition, aménager et entretenir gratuitement, sans compensation financière, une salle adaptable, alors même que les dispositions de la proposition de loi auraient une incidence marginale sur le coût global des obsèques. Celles-ci nécessiteraient en effet toujours l’intervention d’opérateurs funéraires habilités à assurer le service extérieur des pompes funèbres.

Sixième écueil : le caractère singulier de la nouvelle compétence confiée aux officiers de l’état civil, qui ne relèverait pas du champ traditionnel de leurs missions, en principe toujours en lien avec l’établissement ou la publicité d’un acte de l’état civil, qui génère alors des droits et des obligations.

Au demeurant, préparer et présider une cérémonie funéraire ne s’improvise pas. À cet égard, les dispositions de la proposition de loi pourraient introduire une distorsion avec les agents des régies, associations ou entreprises de pompes funèbres, obligés d’être diplômés pour exercer leur profession de « maître de cérémonie », et les officiers de l’état civil, qui pourraient conduire une cérémonie d’obsèques sans diplôme ni habilitation en la matière.

Par ailleurs, il est possible de s’interroger sur la latitude laissée aux élus de refuser de procéder à une cérémonie civile. L’éventuel refus de l’officier de l’état civil pourrait être interprété comme une rupture d’égalité ou une discrimination et faire l’objet d’un recours devant le juge judiciaire, alors que le contentieux de la mise à disposition de la salle relèverait du juge administratif.

Mes chers collègues, je partage l’objectif des auteurs de la proposition de loi de prendre en considération le développement des obsèques civiles dans notre pays et suis bien entendu favorable à ce que les communes, lorsqu’elles le peuvent, mettent à disposition des familles une salle municipale à cet effet. Elles le font déjà, sans difficulté particulière.

Comme l’ont fermement souligné les associations d’élus, notamment l’Association des maires de France et des présidents d’intercommunalité, il n’est donc ni nécessaire ni utile de créer une nouvelle obligation à la charge des communes, sans compensation financière, ni même de rappeler une faculté qui existe déjà, comme cela est proposé dans certains amendements. Le Sénat, et sa commission des lois en particulier, attache la plus grande importance à la qualité de la loi et à son caractère normatif.

Pour l’ensemble de ces raisons, mes chers collègues, la commission des lois vous invite à rejeter la proposition de loi et à adopter les amendements de suppression de son article unique, déposés par nos collègues Jean-Pierre Grand et Alain Marc. (Applaudissements sur les travées du groupe Union Centriste et du groupe Les Républicains.)

Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Pierre Decool.

M. Jean-Pierre Decool. Madame la présidente, monsieur le ministre, madame la vice-présidente de la commission des lois, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, la proposition de loi instituant des funérailles républicaines que nous examinons aujourd’hui a pour objet de faciliter l’organisation d’obsèques civiles au sein de salles municipales.

Elle tend tout d’abord à imposer aux communes qui disposent d’une salle « adaptable » de garantir l’organisation de funérailles républicaines en la mettant à la disposition des familles.

Elle vise ensuite à donner à l’officier de l’état civil la faculté de procéder à une cérémonie d’obsèques civiles, dans l’hypothèse où la famille le demanderait.

Toutefois, cette proposition de loi semble dénuée de pragmatisme.

Déjà, en 2016, alors député, j’avais fait évoluer le texte initial à la faveur d’un amendement adopté en séance publique, en faisant remplacer le mot « adaptée » par le mot « adaptable », pour qualifier la salle municipale, et ce afin d’apporter un peu de souplesse dans les modalités d’organisation par les communes de cette cérémonie, notamment celles de petite taille, aux moyens modestes, dont il n’avait pas été tenu compte. Faut-il rappeler que, dans certaines communes, le maire lui-même ne dispose pas de bureau, occupant alors celui du secrétaire de mairie ?

Je relève en outre que le caractère « gratuit » de la mise à disposition de la salle contrevient aux règles de la domanialité publique. En effet, l’occupation ou l’utilisation du domaine public doit donner lieu au paiement d’une redevance, même minime.

Enfin, nous savons tous, au sein de cet hémicycle, que les maires ont déjà suffisamment de travail et de responsabilités, surtout dans les communes modestes, où ils s’impliquent dans de nombreuses tâches qu’ils ne peuvent déléguer, faute de personnel. Ne leur imposons donc pas une nouvelle charge et laissons-les s’occuper uniquement de leurs missions traditionnelles.

Monsieur le ministre, mes chers collègues, il paraît inopportun de légiférer sur ce sujet dans la mesure où le droit en vigueur permet déjà l’organisation d’obsèques civiles en mairie, sans pour autant contraindre les communes, au risque de porter atteinte à leur libre administration.

Il apparaît également inapproprié de créer une nouvelle obligation à la charge des communes, sans compensation financière.

Pour toutes ces raisons, le groupe Les Indépendants – République et Territoires ne votera pas en faveur de cette proposition de loi. (Applaudissements sur les travées du groupe Union Centriste. – Mme Nicole Duranton applaudit également.)

Mme la présidente. La parole est à Mme Patricia Morhet-Richaud. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

Mme Patricia Morhet-Richaud. Madame la présidente, monsieur le ministre, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, nous sommes réunis aujourd’hui pour examiner la proposition de loi votée à l’Assemblée nationale le 30 novembre 2016 instituant des funérailles républicaines.

S’il est vrai qu’il y a bien un domaine qui ne souffre pas de surtransposition de normes et d’abondance de règles, c’est bien celui de la liberté des funérailles. En effet, les règles qui s’appliquent dans ce domaine sont issues de la loi du 15 novembre 1887, plus particulièrement de son article 3, qui dispose que « tout majeur ou mineur émancipé, en état de tester, peut régler les conditions de ses funérailles, notamment en ce qui concerne le caractère civil ou religieux à leur donner et le mode de sa sépulture ».

C’est seulement en cas de contestation sur les conditions des funérailles, et après décision de la juridiction compétente, que la décision serait notifiée au maire, lequel serait, dans ce cas, chargé d’en assurer l’exécution.

À travers la proposition de loi instituant des funérailles républicaines, nos collègues députés proposent donc que les maires et les collectivités locales soient intégrés « automatiquement » dans le dispositif législatif en vue de faciliter l’organisation d’obsèques civiles au sein des salles municipales.

Mes chers collègues, à ce jour, en France, 30 % des obsèques sont civiles et c’est le service extérieur des pompes funèbres, conformément à la mission de service public qui lui est conférée par l’article L. 2223-19 du code général des collectivités territoriales, qui organise les obsèques.

L’ajout au code général des collectivités territoriales de l’article unique de cette proposition de loi se traduirait par de nouvelles responsabilités pour les maires et de nouvelles charges financières pour les collectivités.

Pour avoir été maire de Lazer, commune des Hautes-Alpes, je peux témoigner que le maire en particulier et les élus municipaux en général participent, si nécessaire, à l’organisation des obsèques, en fonction des circonstances et des besoins, sans que le législateur ait eu besoin d’en préciser les modalités.

Les élus locaux, qui sont présents quotidiennement sur leur territoire, savent répondre avec humanité à la détresse des familles et mettre en place les moyens matériels en cas de nécessité.

C’est aussi pour cela que nous sommes élus, pour créer du lien avec les citoyens, pour nous adapter aux besoins ponctuels, pour faire preuve de discernement.

C’est pourquoi je me range à l’avis de nos collègues de la commission des lois, dont je salue le travail et la rigueur. Confier aux officiers de l’état civil de nouvelles compétences qui ne relèvent pas de leurs attributions traditionnelles n’est pas sans conséquence.

Un nouveau cadre juridique serait en effet nécessaire, puisque nous sortirions du champ de l’établissement ou de la publicité de simples actes d’état civil. Or, mes chers collègues, vous le savez, 49 % des maires interrogés récemment déclarent qu’ils ne se représenteront pas en 2020.

Je ne pense pas que ce soit en instaurant des obligations supplémentaires en matière d’obsèques civiles que nous allons susciter de nouvelles vocations d’élu local et provoquer un engouement pour un engagement citoyen. (Marques dironie sur les travées du groupe socialiste et républicain.)

Vous l’aurez compris, dans la mesure où la législation en vigueur permet déjà l’organisation d’obsèques civiles au sein de bâtiments communaux lorsque les communes l’autorisent, je ne voterai pas ce texte. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – M. Yves Détraigne applaudit également.)

Mme la présidente. La parole est à M. Alain Richard.

M. Alain Richard. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous sommes confrontés à un sujet de principe qui, au fond, est celui-ci : quelles conséquences faut-il tirer, dans l’effectivité du déroulement des célébrations funèbres, du principe de la liberté de choix, consacrée en effet par la loi de 1887, loi qui fait partie de ce cortège de lois postérieures à la consolidation, en 1879, de la République, avec la loi sur les communes, la loi sur les syndicats, la loi sur le divorce, et bien d’autres encore ?

Cette liberté de choix existe, et je préfère ne pas évoquer les chiffres de la répartition entre funérailles religieuses et funérailles civiles. Quelle que soit la proportion de familles ou de testateurs faisant le choix d’obsèques civiles, il faudrait, me semble-t-il, s’intéresser à l’exercice concret de ce droit qui leur revient.

À la différence des orateurs précédents, y compris le ministre, et puisque le code général des collectivités territoriales comporte de toute façon un très grand nombre d’articles offrant aux communes des facultés en matière d’organisation des funérailles, je ne considère pas comme vaine la mention dans la loi d’un choix qu’auraient les communes d’accueillir dans une salle municipale une partie d’une célébration funéraire, celle qui est destinée au public le plus large.

Je souhaite qu’un texte soit adopté, et c’est ce qui me conduit à en proposer un qui est assez substantiellement différent de celui de nos collègues du groupe socialiste et républicain.

En effet, en faire une obligation générale pour toutes les communes ne me paraît pas adapté, alors que certaines n’ont pas la possibilité d’offrir cet espace de rencontre. Il ne me paraît pas non plus judicieux de fixer le principe de la gratuité : pardon de le dire, mais si tout le reste du déroulement d’une célébration funéraire était gratuit, nous nous en serions aperçus depuis quelque temps !

Lorsque, par exemple, une famille organise des obsèques civiles se concluant par une crémation, naturellement elle va payer, sous l’effet d’ailleurs d’une concession municipale, l’usage de la salle pour la partie de célébration publique. Il ne me paraît donc pas nécessaire, pour le respect du principe de liberté, d’énoncer dans ce cas-là le principe de gratuité.

Si tant est qu’il soit examiné par le Sénat, je propose, dans mon amendement, et parce que cela paraît logique, que, lorsque la commune dispose d’une salle destinée à l’accueil du public, ce qui est assez souvent le cas, elle applique, pour cette célébration funèbre civile, les mêmes conditions tarifaires que pour n’importe quelle autre réunion, par exemple une activité associative.

Par ailleurs, je ne crois pas nécessaire ni même véritablement justifiée l’entrée en scène, si j’ose dire, de l’officier de l’état civil. Celui-ci est détenteur de droits et d’obligations qui tiennent aux règles de l’état civil, lesquelles font mention de la naissance, du mariage et de la rédaction de l’acte de décès.

Nous qui avons tous ou presque exercé cette mission, nous savons que l’officier d’état civil n’intervient que pour appliquer des obligations légales. Bien évidemment, l’accueil d’une célébration familiale ou amicale n’a pas le caractère d’une telle obligation. Il ne requiert donc pas l’intervention de l’officier d’état civil, qui n’aurait en l’espèce pas de texte légal à appliquer. Par conséquent, cette disposition ne me semble pas non plus véritablement justifiée.

Enfin, la proposition de loi prévoit que le service offert par la commune ne sera destiné qu’aux habitants de celle-ci. Je comprends tout à fait cette disposition, qui est conforme au droit commun en matière funéraire. Toutefois, comme la mise à disposition d’une salle est possible pour certaines communes et pas pour d’autres, il ne me paraît pas très cohérent d’empêcher, par exemple, une commune située dans un espace rural qui serait un peu plus peuplée et dotée d’un peu plus de moyens que ses voisines d’accueillir aussi les familles habitant celles-ci.

C’est ce qui m’a conduit à préconiser une formule qui me semble beaucoup plus flexible et beaucoup plus cohérente avec l’état général du droit funéraire communal.

Je trouve dommage qu’une majorité des membres de la commission aient estimé qu’il n’était pas souhaitable d’en débattre. En effet, monsieur le rapporteur, madame la vice-présidente de la commission, il ne me paraît pas du tout inutile de proposer aux conseils municipaux, comme le prévoit déjà le code général des collectivités territoriales pour les communes voulant adopter des compléments au règlement général des ordonnancements funéraires, de cadrer, par une délibération, les conditions d’accueil des familles dans une salle municipale, de réservation et de durée d’utilisation de celle-ci ainsi que de facturation de la mise à disposition, en conformité avec leur usage local.

La fin de non-recevoir de la commission, qui, du reste, me semble légèrement « surargumentée », n’est pas la seule solution à apporter aux problèmes que nous soulevons. Au nom de l’exercice concret et égalitaire entre les citoyens de la liberté d’organisation des funérailles, j’estime qu’une solution pragmatique et respectueuse de la liberté des communes, mais répondant aux besoins des familles des personnes décédées, serait une bien meilleure réponse à la question posée par nos collègues. (Applaudissements sur les travées du groupe La République En Marche et du groupe socialiste et républicain.)

Mme la présidente. La parole est à M. Pierre-Yves Collombat.

M. Pierre-Yves Collombat. Madame la présidente, monsieur le ministre, chers collègues, s’il me paraît difficile de voter, en l’état, une proposition de loi qui impose des obligations et des charges nouvelles à des communes et à des élus qui n’en manquent pas, je partage l’objectif des auteurs du texte en ce que celui-ci répond à l’attente de tous ceux qui, ne se reconnaissant d’aucune foi religieuse, d’aucune obédience spirituelle, fût-elle fédérale, veulent partager un moment de recueillement et de souvenir à l’occasion du décès d’un proche. Il est des moments où la symbolique est essentielle. La reconnaissance publique, même sans engagement, participe de cette symbolique.

J’avais la faiblesse de penser que l’amendement de réécriture que j’ai déposé au nom de mon groupe ou d’autres ayant le même objet répondraient aux objections que pouvait susciter le texte initial. Visiblement, il n’en est rien.

Pourtant, mon amendement visait à supprimer, en particulier, l’obligation de fournir un local, a fortiori un local adapté – en tout cas, présentant des caractéristiques particulières –, ainsi que toute obligation, pour les élus, de jouer un rôle à cette occasion si telle n’est pas leur volonté. Dans le dispositif que je proposais, tout était facultatif. Ainsi, aux termes de mon amendement, « chaque commune peut mettre à disposition des familles qui le demandent une salle municipale leur permettant l’organisation de funérailles laïques ». De fait, les qualificatifs « laïques » ou « civiles » me paraissent plus adaptés que « républicaines ». L’amendement prévoyait en outre que, « par dérogation au premier alinéa de l’article L. 2125-1 du code général de la propriété des personnes publiques, cette mise à disposition est gratuite. La commune apporte son concours à l’organisation de ces funérailles dans la limite de ses possibilités. » Il appartenait donc aux élus, dans ma proposition, de décider de la forme et de la portée du concours de la commune.

Que l’on ne vienne pas me dire que les pompes funèbres privées offrent déjà ce service ! Quand c’est le cas, c’est toujours en lien avec un service global et, souvent, une crémation, ce qui ne correspond pas forcément aux souhaits de tout le monde. Au reste, inutile de faire observer qu’un tel service n’est pas gratuit…

Contrairement à ce que j’ai entendu dire, il est courant que les communes mettent des salles à disposition d’associations ou de particuliers.

M. Loïc Hervé, rapporteur. C’est sûr !

M. Pierre-Yves Collombat. Ce qui importe, c’est que tout le monde soit traité sur un pied d’égalité et qu’il n’y ait pas de favoritisme.

Que l’on ne vienne pas non plus me dire que le texte, n’étant pas prescriptif, est superfétatoire. Le code général des collectivités territoriales ne manque pas de dispositions non prescriptives. D’ailleurs, nous avons passé toute la soirée d’hier à en voter… (Sourires.)

M. Pierre-Yves Collombat. Mais oui, tout était facultatif, laissé à la libre appréciation des élus, et c’est très bien ! Permettez-moi de vous citer, à titre d’exemple, une de ces dispositions : « Dans les conseils départementaux, le fonctionnement des groupes d’élus peut faire l’objet de délibérations sans que puissent être modifiées, à cette occasion, les décisions relatives au régime indemnitaire des élus. » Il s’agit bien d’une simple possibilité. Le code général des collectivités territoriales regorge de ce type de mentions, et l’on ne trouve pas cela anormal.

En outre, un texte non prescriptif peut avoir des effets incitatifs qui ne sont pas insignifiants, comme l’a fait remarquer le Conseil d’État dans son étude de 2013 consacrée au droit souple, que d’aucuns appellent le « droit mou ». J’observe d’ailleurs que cette étude a fait l’objet, au Sénat, d’une audition de la commission des lois qui nous a beaucoup intéressés. Pour Jean-Marc Sauvé, qui était alors vice-président du Conseil d’État, « il n’existe aucune contradiction entre la reconnaissance du droit souple ainsi que son expansion et une meilleure qualité du droit. En donnant un plus grand pouvoir d’initiative aux acteurs et, au-delà, plus de responsabilités, le droit souple contribue à oxygéner notre ordre juridique. Par un emploi raisonné, il peut pleinement contribuer à la politique de simplification des normes et à la qualité de la réglementation. » Eh bien, mes chers collègues, oxygénons notre ordre juridique !

Comment expliquer autrement que l’on puisse lire sur service-public.fr, présenté comme le « site officiel de l’administration française », que « le baptême civil se pratique à la mairie. Toutefois, comme il n’a pas de valeur légale, les mairies ne sont pas obligées de le célébrer et il n’y a pas de cérémonial préétabli. » On pourrait dire exactement la même chose des funérailles laïques !

Le « parrainage civil », expression qui me semble un peu plus appropriée que celle de « baptême civil », est l’exemple même des services que les communes qui le désirent peuvent rendre à leurs administrés. Il est représentatif de ce que pourraient être des funérailles « laïques » ou « civiles » telles que la proposition de loi ainsi modifiée permettra d’en organiser.

Chers collègues, je ne vous aurai certainement pas convaincus, mais trop de bonnes raisons juridiques me laissent à penser que la laïcité est vraiment d’application variable en ce pays… (Applaudissements sur les travées du groupe communiste républicain citoyen et écologiste et sur des travées du groupe socialiste et républicain. – Exclamations sur les travées du groupe Union Centriste.)

M. Loïc Hervé, rapporteur. Tout ce qui est excessif est dérisoire !

Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Luc Fichet. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain.)

M. Jean-Luc Fichet. Madame la présidente, monsieur le ministre, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, nous examinons aujourd’hui une proposition de loi, adoptée par l’Assemblée nationale sous la précédente législature, visant à instituer des funérailles républicaines. Notre groupe politique a souhaité l’inscrire à son ordre du jour réservé.

Comme cela a été dit par de précédents orateurs, ce texte a pour objet de donner un cadre législatif à une pratique qui est déjà courante, en particulier dans les communes rurales.

En effet, il est fréquent qu’un maire mette à disposition une salle municipale à l’occasion des obsèques, par exemple, d’une personne investie dans la vie quotidienne de la commune, afin de pouvoir lui rendre hommage, ou tout simplement lorsqu’une famille lui en fait directement la demande.

Notre souhait est précisément de faciliter les démarches de ces familles qui, en l’absence d’information suffisante et de dispositions légales sur ce sujet, se trouvent parfois amenées à devoir faire un choix en inadéquation avec les dernières volontés de leur proche défunt, faute d’alternative connue.

Aux termes de cette proposition de loi, une commune aurait l’obligation de mettre une salle municipale à disposition des familles qui le demandent, si et seulement si, bien évidemment, elle dispose d’une telle salle – il ne s’agit pas, bien sûr, d’obliger les élus à en aménager une – et si cette salle est –je cite – « adaptable ». Cela donne aux maires une certaine latitude d’appréciation aux maires.

L’article unique du texte précise, en outre, que la mise à disposition de cette salle est gratuite et qu’un officier d’état civil de la commune peut – et seulement peut – procéder à une cérémonie civile. Aucune obligation ne serait donc faite aux élus sur ce point. Enfin, je tiens à préciser que le texte ne comporte aucune ambiguïté quant à l’implication – ou pas – des élus dans le déroulement des obsèques civiles.

Cette proposition de loi vise avant tout à assurer une égalité de traitement entre les familles sur l’ensemble du territoire français. Elles doivent disposer de la même information et avoir la possibilité de se recueillir dignement en un lieu laïque après la perte d’un proche, dans des conditions conformes à leurs souhaits.

Lors de l’examen de ce texte en commission des lois, un certain nombre de doutes ou de questionnements ont été formulés. Ils ont amené cette dernière à adopter un amendement de suppression de l’article unique présenté par le rapporteur, Loïc Hervé. Mes chers collègues, j’attire votre attention sur les conséquences fâcheuses qu’entraînerait l’adoption de cet amendement par notre assemblée, à savoir le rejet pur et simple de l’article unique, donc de la proposition de loi, sans possibilité d’examiner les autres amendements, qui tendent, quant à eux, à en modifier le contenu.

Dès lors que la rédaction actuelle du texte ne semble pas satisfaisante aux yeux d’un certain nombre de nos collègues, ce qui écarte la perspective d’un vote conforme de notre assemblée, l’amendement n° 11 de notre collègue Alain Richard me paraît à même de recueillir l’assentiment d’une majorité d’entre nous. Cet amendement vise à donner au conseil municipal toute latitude de prévoir ou non la mise à disposition des familles qui en font la demande d’une salle communale accessible au public et d’en déterminer les conditions et les modalités, ce qui suppose aussi de pouvoir passer des conventions avec le centre funéraire local.

Nous évoquerons tout à l’heure la question de la gratuité, mais je rappelle que des obsèques coûtent aujourd’hui 5 000 euros au minimum. La gratuité du prêt de la salle communale peut contribuer à alléger la facture.

Si l’amendement n° 11 était adopté, nous nous rallierions également au second amendement de notre collègue Alain Richard, tendant à modifier l’intitulé de la proposition de loi, car nous sommes animés d’un esprit constructif et, avant tout, pragmatique : nous souhaitons que ce texte puisse poursuivre son itinéraire parlementaire et, in fine, être adopté définitivement par le Parlement, afin que les familles qui le veulent puissent réellement et rapidement s’en saisir.

Mais, pour cela, il faut que nous puissions avoir la possibilité d’examiner ces amendements, donc que la proposition de suppression de l’article unique qui nous sera soumise en premier lieu ne soit pas adoptée.

Mes chers collègues, pour conclure, je veux souligner que cette proposition de loi comporte une dimension symbolique forte. Elle repose sur le triptyque de notre devise républicaine : liberté, égalité, fraternité.

Mme la présidente. Il faut conclure, mon cher collègue.

M. Jean-Luc Fichet. Liberté de choisir les conditions de son départ et liberté, pour la famille, de faire respecter ce choix. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain et du groupe communiste républicain citoyen et écologiste. – M. Martin Lévrier applaudit également.)

Mme la présidente. La parole est à Mme Maryse Carrère.

Mme Maryse Carrère. Madame la présidente, monsieur le ministre, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, les rites jalonnent la vie des individus, tout autant qu’ils structurent la vie sociale. Il n’existe d’ailleurs pas de société sans rites.

En la matière, la Révolution française a confié un legs important aux communes, à la suite de la reprise en main de grands services auparavant assurés par l’Église.

Jean-Jacques Rousseau estimait qu’une société républicaine ne saurait être édifiée sans l’appui d’une forme de transcendance. Il appelait donc à sacraliser l’« être ensemble collectif » et en faisait même la clé de voûte du contrat social.

L’article 1er du décret du 20 septembre 1792 prévoit ainsi que « les municipalités recevront et conserveront à l’avenir les actes destinés à constater les naissances, mariages et décès ». Ce mouvement a entraîné la définition d’actes et de cérémonies civils, comme le mariage ou le parrainage républicain. Instauré par un décret du 20 prairial an II, celui-ci n’a pas reçu depuis de consécration normative ; relevant ainsi de la coutume, il a fini par tomber en désuétude. Bien plus récemment, l’article 42 de la loi relative à l’égalité et à la citoyenneté a défini un cadre pour l’organisation des parrainages républicains, répondant à une demande exprimée par certaines familles. Hélas, cet article a été déclaré non conforme à la Constitution par le Conseil constitutionnel.

Nos collègues du groupe socialiste et républicain nous invitent aujourd’hui à nous pencher sur un autre rituel, en proposant l’institution de funérailles républicaines. La loi du 15 novembre 1887 a reconnu à tout citoyen la liberté de donner à ses funérailles un caractère civil ou religieux.

Alors que les funérailles ont longtemps été le monopole des cultes, nous constatons, ces dernières années, une volonté croissante de nos concitoyens de pouvoir bénéficier d’une cérémonie funèbre non religieuse. Cette évolution est aussi corrélée au développement de la pratique de la crémation.

Dans ce contexte, que prévoit le texte que nos collègues du groupe socialiste et républicain ont choisi d’inscrire à leur ordre du jour réservé ? Son intitulé évoque l’institution de funérailles républicaines. Qu’en est-il réellement ?

Les membres du groupe du RDSE s’interrogent sur les conséquences qu’aurait, pour les communes, l’application de ce texte. L’article unique renferme plusieurs dispositions, dont chacune soulève des questions.

La première concerne la notion de « salle municipale adaptable », figurant dans la rédaction issue des travaux de l’Assemblée nationale.

La deuxième réside dans l’emploi de l’indicatif : la commune « met à disposition » une salle communale et qu’elle « garantit » l’organisation de funérailles républicaines. De plus, le texte prévoit explicitement que cette mise à disposition sera gratuite. C’est donc réellement une nouvelle obligation qui est faite aux communes.

À cette obligation s’ajoute la possibilité, pour un officier d’état civil, de procéder, à la demande de la famille du défunt, à une « cérémonie civile ».

Le déroulement d’une autre cérémonie bien connue des élus locaux, le mariage républicain, est borné par plusieurs obligations, notamment la lecture d’articles du code civil concernant les devoirs des époux. En matière de funérailles, il n’existe pas de pareille obligation ni de cérémonial préétabli. Il paraît donc inopportun de prévoir explicitement qu’un officier d’état civil puisse jouer le rôle de « maître de cérémonie ».

Enfin se pose la question de la possibilité d’organiser des funérailles religieuses dans des salles communales. Nous savons, et les auditions d’opérateurs funéraires menées par M. le rapporteur l’ont confirmé, que certaines cérémonies funéraires religieuses ont déjà lieu dans des salles municipales.

M. Loïc Hervé, rapporteur. Bien sûr !

Mme Maryse Carrère. Cette situation nous interpelle.

Il ne nous a pas échappé que les deux amendements de suppression de l’article unique ont fait l’objet d’un avis favorable de la commission des lois. Leur adoption entraînerait un rejet de l’ensemble du texte.

Or, malgré les réserves que je viens de rappeler, nous partageons la volonté des auteurs de la proposition de loi de donner plus de solennité aux cérémonies républicaines. Si cette proposition de loi a été déposée, c’est que des communes et des maires ont été confrontés à des situations délicates. Ce texte a donc toute sa justification.

Au vu des réserves émises précédemment et pour éviter qu’une fin de non-recevoir soit opposée à la proposition de loi, le groupe du RDSE trouverait plus judicieux de travailler sur le texte initial afin de l’améliorer. C’est pourquoi nous nous rallions à l’amendement n° 11 de notre collègue Alain Richard, dont le dispositif laisse plus de souplesse d’organisation aux communes, en évitant les écueils du texte adopté à l’Assemblée nationale.

D’aucuns pourraient objecter que le texte ainsi modifié n’apporterait pas d’avancée majeure par rapport à la situation actuelle. Il est vrai que certaines communes procèdent déjà à la mise à disposition de salles communales pour la tenue de funérailles, mais son adoption aurait l’avantage d’inscrire cette possibilité dans le CGCT et pourrait d’ailleurs être accompagnée d’une meilleure information des communes sur les possibilités offertes en matière de funérailles civiles. L’objectif est non pas d’institutionnaliser cet acte pour créer une religion républicaine, mais bien de reconnaître que certains rituels et symboles sont nécessaires pour faire vivre l’idéal républicain.

Dans le cas où ce texte ne serait pas adopté, une réflexion pourrait être menée sur la revalorisation des cérémonies républicaines : mariage, parrainage ou encore cérémonie d’accueil dans la nationalité française.

En conclusion, le groupe du RDSE ne votera pas l’amendement de suppression de l’article unique, préférant examiner le texte et l’amendement de notre collègue Alain Richard. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain et du groupe communiste républicain citoyen et écologiste.)

Mme la présidente. La parole est à M. Yves Détraigne. (Applaudissements sur les travées du groupe Union Centriste.)

M. Yves Détraigne. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, la proposition de loi instituant des funérailles républicaines, déposée par M. Bruno Le Roux et plusieurs de ses collègues et adoptée par l’Assemblée nationale, en première lecture, le 30 novembre 2016, vise à imposer aux municipalités de mettre gratuitement à disposition des familles qui en font la demande une salle dite « adaptable », afin de garantir l’organisation de « funérailles républicaines ». Elle tend également à ouvrir à l’officier de l’état civil de la municipalité la faculté de procéder à une cérémonie d’« obsèques civiles », dans l’hypothèse où la famille du défunt le requerrait.

Ce débat me fait penser à celui que nous avions eu dans cet hémicycle, en mai 2015, à l’occasion de l’examen d’une proposition de loi relative au « parrainage civil » – ou « baptême républicain », selon l’expression souvent consacrée. Si notre commission des lois, soucieuse d’assurer une égalité de traitement entre tous les citoyens, avait approuvé le principe de la consécration dans la loi de la pratique du parrainage civil, qui fait aujourd’hui l’objet d’une application inégale sur le territoire, elle avait cependant écarté la proposition de faire de cette simple coutume un acte officiel obligeant les communes.

Comparaison n’est pas raison, et le sujet qui nous intéresse aujourd’hui est différent, mais, d’une certaine manière, il relève de la même inspiration : il s’agit d’imposer aux municipalités une nouvelle obligation par rapport à un acte de la vie civile qui, jusqu’à présent, n’y avait jamais donné lieu, même si la pratique existe bel et bien.

J’ai moi-même été maire, pendant vingt-huit ans, d’une commune de 5 000 habitants, située dans la banlieue d’une grande ville – Reims, pour ne pas la citer –, où j’ai personnellement participé à des « parrainages civils » et accompagné des familles, à plusieurs reprises, dans l’organisation d’obsèques civiles. Lorsque la famille souhaitait pouvoir disposer d’un local pour se réunir, nous mettions à sa disposition une salle municipale, moyennant location, comme cela s’est toujours fait quand des familles de jeunes mariés demandent une salle pour y organiser le vin d’honneur du mariage. Tous les maires que je connais et qui disposent d’une salle procèdent de la sorte !

M. Loïc Hervé, rapporteur. Bien sûr !

M. Yves Détraigne. Qui plus est, je constate qu’aujourd’hui les familles qui doivent organiser les obsèques de l’un de leurs proches s’adressent de plus en plus souvent, en ville comme à la campagne, à des sociétés de pompes funèbres, lesquelles se sont multipliées sur le territoire depuis une quinzaine d’années, pour la prise en charge de l’ensemble des actes à accomplir, tant pour la conservation et l’exposition du corps du défunt que pour l’organisation et le déroulement des obsèques ou la réunion de la famille et des proches suivant l’inhumation ou la crémation.

M. Loïc Hervé, rapporteur. Oui !

M. Yves Détraigne. J’aurais donc tendance à dire que si la proposition de loi qui nous est soumise aurait pu avoir sa raison d’être voilà une quinzaine d’années ou plus, elle n’a plus aujourd’hui la même pertinence. Ce n’est pas au moment où l’organisation des obsèques, civiles ou non, en ville ou à la campagne, fait l’objet d’une véritable offre de la part des sociétés de pompes funèbres, incluant la mise à disposition d’une salle, que l’on va imposer aux communes de mettre un local à disposition, d’autant que cela est toujours possible si la commune le souhaite, y compris à titre gratuit. Il n’y a donc pas lieu de légiférer.

Quant à l’intervention d’un officier d’état civil – maire ou adjoint – pour organiser une cérémonie à l’occasion d’obsèques civiles, cela ne relève pas du champ traditionnel de ses missions. Quel rôle aurait-il dans la conduite des obsèques, alors même que préparer et présider une cérémonie funéraire ne s’improvise pas ? Cela dit, il me semble que, dans la pratique, rien ne l’empêche non plus. Comme je l’ai dit, il m’est arrivé, à plusieurs reprises, d’accompagner des familles au cimetière dans le cadre d’obsèques civiles et j’ai toujours souhaité, tant que j’étais maire, qu’un adjoint me remplace si j’étais absent. Il m’est arrivé de prendre la parole quand la famille le demandait et si je connaissais suffisamment le défunt pour pouvoir en parler. Mais à quoi cela servirait-il d’imposer à l’officier d’état civil de prendre systématiquement la parole lors des obsèques d’une personne qu’il ne connaît pas, non plus parfois que ses proches, surtout à notre époque où la famille est dispersée ?

M. Jean-Pierre Sueur. C’est optionnel, il n’y a aucune obligation !

M. Yves Détraigne. S’agirait-il de créer un rite civil qui, en quelque sorte, viendrait combler un vide laissé par le recul des rites religieux ?

Vous l’aurez compris, mes chers collègues, cette proposition de loi risque de compliquer un peu plus la vie des collectivités territoriales et des maires, sans pour autant, dans bien des cas, améliorer la pratique actuelle.

M. Loïc Hervé, rapporteur. Bien sûr ! C’est la sagesse !

M. Yves Détraigne. Je n’ai pas constaté de problèmes sur ce plan dans la commune dont j’ai été le maire durant vingt-huit ans !

M. Loïc Hervé, rapporteur. Très bien !

M. Yves Détraigne. Pour de nombreuses raisons, je crois qu’il ne serait pas raisonnable d’imposer de nouvelles obligations aux communes à ce sujet. Les entreprises de pompes funèbres répondent aujourd’hui largement à la demande et, de manière générale, la pratique montre qu’il n’est pas nécessaire de légiférer. (Applaudissements sur les travées du groupe Union Centriste et sur des travées du groupe Les Républicains. – M. Alain Marc applaudit également.)

Mme la présidente. La parole est à M. Alain Marc.

M. Alain Marc. Madame la présidente, monsieur le ministre, madame la vice-présidente de la commission des lois, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, notre Haute Assemblée est aujourd’hui saisie d’une proposition de loi instituant des funérailles républicaines, que l’on pourrait nommer aussi obsèques civiles ou laïques.

Ce texte vise à donner une base juridique aux pratiques de certaines communes qui répondent aux demandes des personnes souhaitant des obsèques civiles. Il prévoit que les communes possédant une salle municipale « adaptable » puissent la mettre gratuitement à la disposition des familles qui en font la demande pour y organiser des funérailles républicaines et en faire un lieu de recueillement. Il a également pour objet de créer un nouveau rite républicain en matière d’obsèques, en permettant la présence d’un officier d’état civil chargé de procéder à la cérémonie civile.

Or je m’interroge sur l’utilité d’une telle démarche. En effet, la possibilité d’opter pour des funérailles républicaines est déjà reconnue par la loi depuis la fin du XIXe siècle. Pourquoi légiférer sur ce sujet, dès lors que le droit en vigueur permet déjà l’organisation d’obsèques civiles dans les locaux des mairies ? Cela a encore été le cas dans ma commune pas plus tard que samedi dernier. Pourquoi légiférer en créant une nouvelle obligation à la charge des communes, sans compensation financière ? Pourquoi légiférer, au risque de porter atteinte à leur libre administration ? Pourquoi légiférer, en ouvrant la voie à un nouveau rituel laïque ? Le maire n’est pas un maître de cérémonie de services funéraires, il n’est pas un ordonnateur des pompes funèbres !

De grâce, chers collègues, ne ridiculisez pas la fonction municipale en transformant, par la loi, le premier magistrat de la commune en croque-mort, même si ce métier est hautement estimable ! (Protestations sur les travées du groupe socialiste et républicain et du groupe communiste républicain citoyen et écologiste.)

M. Jean-Pierre Sueur. Nous ne disons pas cela, nous n’écrivons pas cela ! Ne nous faites pas de procès d’intention !

M. Alain Marc. On est libre de dire ce que l’on veut à la tribune, mon cher collègue !

Laissons les maires libres en la matière. Ils connaissent leurs administrés. Ils ont à cœur d’être au service des citoyens. Ils savent déjà répondre à leurs demandes ! On nous reproche déjà de légiférer beaucoup trop. Cette proposition de loi paraissant inutile, le groupe Les Indépendants – République et Territoires ne la votera pas. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Indépendants – République et Territoires et sur des travées du groupe Les Républicains.)

Discussion générale (suite)
Dossier législatif : proposition de loi instituant des funérailles républicaines
Discussion générale (suite)

5

Souhaits de bienvenue à de jeunes citoyens en tribune

Mme la présidente. Mes chers collègues, j’adresse un salut tout particulier à une délégation de jeunes citoyens, présents dans nos tribunes, qui portent fièrement leur écharpe tricolore. Qu’ils soient les bienvenus au Sénat ! (Mmes et MM. les sénateurs, ainsi que M. le ministre chargé des collectivités territoriales, se lèvent et applaudissent.)

M. Loïc Hervé. C’est leur première communion républicaine ! (Sourires.)

6

Discussion générale (interruption de la discussion)
Dossier législatif : proposition de loi instituant des funérailles républicaines
Discussion générale (suite)

Funérailles républicaines

Suite de la discussion d’une proposition de loi

Discussion générale (suite)
Dossier législatif : proposition de loi instituant des funérailles républicaines
Discussion générale (interruption de la discussion)

Mme la présidente. Nous reprenons la discussion de la proposition de loi, adoptée par l’Assemblée nationale, instituant des funérailles républicaines.

Discussion générale (suite)

Mme la présidente. Dans la suite de la discussion générale, la parole est à Mme Nicole Duranton.

Mme Nicole Duranton. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, après le mariage et le parrainage civils, voici les funérailles républicaines !

Le sujet n’est pas nouveau. Il avait déjà été débattu en 2016 à l’Assemblée nationale, puis transmis au Sénat sans avoir fait l’objet de discussions. Les intentions sont louables, mais le texte présente plusieurs écueils.

La présente proposition de loi, par son article unique, prévoit la mise à disposition obligatoire d’une salle municipale adaptable, quand celle-ci existe, pour l’organisation de funérailles républicaines. La mise à disposition de la salle serait rendue gratuite par dérogation, et la cérémonie, organisée à la demande des familles, mobiliserait un officier d’état civil – il s’agit, encore et toujours, de contraindre les communes.

Il a été plusieurs fois mentionné comme argument que des familles qui ne souhaitent pas donner de dimension religieuse à l’enterrement de leurs défunts se seraient souvent vues contraintes d’accepter des obsèques religieuses. Cette affirmation est fausse !

M. Laurent Duplomb. Exactement !

Mme Nicole Duranton. Vous le savez comme moi, mes chers collègues, les personnes résolues à éviter l’église à tout prix ne feront jamais le choix de funérailles religieuses, surtout lorsqu’elles ont la possibilité de s’y soustraire.

Mme Nicole Duranton. Aujourd’hui, la liberté de choix existe : l’organisation des funérailles en France est régie par le principe fondamental de « liberté des funérailles », défini à l’article 3 de la loi du 15 novembre 1887 sur la liberté des funérailles, selon lequel il est possible de choisir entre le caractère civil ou religieux à lui donner.

Pour cela, les pompes funèbres exercent une mission de service public au titre de l’article L. 2223-19 du code général des collectivités territoriales. Elles sont chargées notamment de l’accueil et de l’accompagnement des familles, de la gestion et de l’utilisation des chambres funéraires, du transport des corps, de l’organisation des obsèques, de la fourniture des cercueils, corbillards, du personnel et des objets et prestations nécessaires.

Le texte de la présente proposition de loi prévoit que, par dérogation au premier alinéa de l’article L. 2125-1 du code général de la propriété des personnes publiques, cette mise à disposition soit rendue gratuite, autrement dit à la charge des communes, donc des contribuables locaux.

Or, comme le disait Margaret Thatcher : « L’argent public n’existe pas, il n’y a que l’argent du contribuable. » Cela engendrera en effet des coûts supplémentaires comme ceux de l’aménagement, du rangement et du nettoyage de la salle, du chauffage, de l’électricité, des heures supplémentaires du personnel retenu pour l’occasion.

L’article unique de cette proposition de loi est ainsi rédigé que la mise à disposition de ladite salle adaptable est rendue obligatoire pourvu qu’elle existe. On ne lit pas qu’elle « peut mettre », mais qu’elle « met ». Comment feront les petites communes aux locaux rares ou les plus grandes aux locaux « surutilisés » ?

Mme Laurence Rossignol. Merci, monsieur le curé ! (Sourires sur les travées du groupe socialiste et républicain et du groupe communiste républicain citoyen et écologiste.)

Mme Nicole Duranton. Ayant été maire d’une commune rurale, je n’ai pas été en mesure de mettre à disposition une salle pour l’organisation de funérailles.

Les communes qui ne pourront pas honorer cette obligation seront-elles pénalisées ? Elles le seront du moins, et injustement, dans l’estime des familles à qui on avait promis une telle mise à disposition, parce qu’elle est inscrite dans la loi.

La commission des lois, que je salue pour son travail, rejoint d’ailleurs la position de l’AMF, qui est opposée à ce que ces funérailles républicaines deviennent une obligation supplémentaire à la charge de nos communes.

Le texte prévoit également que, à la demande des familles, un officier d’état civil puisse prendre part à la cérémonie, pour l’encadrer ou prononcer un discours : c’est lui confier des compétences qui ne relèvent pas de ses attributions traditionnelles, comme établir ou publier les actes de l’état civil.

Face à cette demande, comment pourront répondre les communes, qui manquent de personnel et dont la disponibilité des élus est faible ? En effet, tel est bien l’objet de cette proposition de loi : il s’agit non pas de pallier un défaut de choix entre funérailles religieuses ou funérailles civiles qui existent déjà, mais de donner un caractère rituel et sacré à ces obsèques civiles, qui sont d’ailleurs appelées dans le texte de loi « funérailles républicaines ».

Lors de l’examen du texte à l’Assemblée nationale, ses défenseurs n’avaient d’ailleurs pas hésité à parler de leur volonté de voir une « religion civile », qui permettrait de « générer une passion pour le régime républicain ».

Toutefois, la République est un système de gouvernement. Elle n’a pas à faire intrusion dans le chemin de vie des personnes ni à avoir une vocation spirituelle ou religieuse ; ce n’est pas son but. On ne doit pas créer une religion républicaine.

M. Pierre Ouzoulias. Non, vous n’avez pas compris !

M. Pierre-Yves Collombat. Ce n’est pas ce que nous demandons !

M. Loïc Hervé, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et dadministration générale. Merci, cardinal Collombat ! (Sourires.)

Mme Nicole Duranton. Durant les débats, le député Philippe Gosselin, membre de l’entente parlementaire pour la famille, avait souligné à juste titre que tous les professionnels du funéraire ont une formation bien précise, parce qu’il faut savoir s’adresser à une famille endeuillée. Ce n’est pas un maire ou un adjoint qui sera le mieux à même de remplacer ces professionnels.

En résumé, ce texte, qui est clairement une tentative d’insertion de l’État dans la vie privée de nos concitoyens, n’a pas de légitimité et créera, une fois de plus, une charge supplémentaire pour les communes, qui ont déjà beaucoup à faire, alors même que tout ce qui est nécessaire existe déjà.

C’est la raison pour laquelle, mes chers collègues, je voterai les amendements identiques de suppression de l’article unique de cette proposition de loi. (Très bien ! et applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et du groupe Union Centriste. – M. Alain Marc applaudit également.)

Mme la présidente. La parole est à Mme Hélène Conway-Mouret.

Mme Hélène Conway-Mouret. Madame la présidente, monsieur le ministre, madame la vice-présidente de la commission, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, il n’est pas question de revenir ici sur la longue quête des athées, des matérialistes ou des non-croyants à enterrer leurs morts à leur gré.

Le débat qui anima la Chambre en mai 1882, alors qu’était débattue la proposition de Clovis Hugues tendant à autoriser les obsèques publiques des républicains, en offrit tous les arguments. Pourtant, qui dirait que les termes de notre débat ont changé ? L’orateur ne déclarait-il pas alors : « Nous voulons, le jour où nous allons dormir [dans] le grand sommeil, suivant l’expression de Bossuet, nous voulons avoir la conviction […] d’être accompagnés par nos amis qui, s’ils ne viennent pas saluer en nous une âme immortelle, viendront du moins saluer dans notre cadavre […], ce qui a été une âme, ce qui a été la vibration d’une conscience » ?

Cette volonté est aujourd’hui partagée par plus d’un tiers des familles, qui souhaitent des obsèques civiles dans une société qui vit pourtant une désécularisation évidente, qui voit les questions religieuses envahir toutes les sphères de la vie sociale comme si, en réaction, l’intime revendiquait sa liberté à l’heure suprême.

Devons-nous aller contre ce mouvement ou l’anticiper, donc l’accompagner en nous reposant sur les principes fondamentaux de notre République, le premier étant le principe d’égalité dont on sait qu’il revient à la puissance publique de le garantir, y compris contre les revendications religieuses ?

Dans un pays laïc, la religion ne peut envahir la vie sociale et civique et la loi de la République être mise en concurrence avec la loi de Dieu. Chaque citoyen doit pouvoir être reconnu indépendamment de ses convictions personnelles.

Or celles et ceux qui n’adhèrent pas à une religion sont privés aujourd’hui de ce moment de recueillement qui ne devrait pas avoir lieu à l’entrée du cimetière ou devant la tombe, comme cela est encore le cas. Les proches du défunt devraient pouvoir se rassembler dans un lieu qui ne soit ni commercial ni religieux. Un espace municipal semble alors l’endroit idéal pour une réunion civile d’hommage et pour respecter aussi le principe d’égalité des citoyens face à la mort.

Le sujet n’est pas nouveau. En 2007, puis en 2009, il a été soulevé à l’Assemblée nationale, sans qu’une réponse concrète soit apportée. Puis, en décembre 2016, l’article unique de cette proposition de loi a été adopté à une très large majorité des députés, à l’exception de l’extrême droite. Un large consensus s’est alors dégagé, parce que beaucoup de communes répondent déjà à cette demande des familles.

La loi offre, certes, depuis le 15 novembre 1887 la possibilité de choisir des funérailles civiles. Mais, dans les faits, les familles ne sont pas toujours informées de cette solution alternative – ce fut le cas pour le rapporteur du texte, Hervé Féron, dont le père eut des obsèques religieuses dont il ne voulait pas.

Cette proposition de loi permettra ainsi d’inscrire ce droit et de le faire connaître. Elle n’est donc pas inutile comme certains le pensent, comme il n’est pas inutile de rappeler que notre pays est un pays laïc, alors que la loi de 1905 est remise en question. Elle s’inscrit ainsi dans la lignée de la pratique des parrainages républicains ou du mariage civil.

Cette liberté réaffirmée aurait-elle un coût ? Non, car elle s’exercera dans la limite des locaux existants. Mais qu’une commune possède une petite salle adaptable, et celle-ci devra alors être mise à disposition de celles et de ceux qui, autour du cercueil, désirent ce court moment d’intimité et de recueillement. On leur permet simplement, une dernière fois, de se retrouver autour de leur défunt et de prendre le temps nécessaire pour lui dire au revoir.

Je dois vous l’avouer, j’ai beaucoup de mal à comprendre l’argument selon lequel des dépenses supplémentaires sont nécessaires, car les frais de nettoyage, d’électricité et de chauffage pour quelques heures ne valent-ils pas pour toutes les réunions ? Cela grèvera-t-il le budget communal ? Sincèrement, je ne le crois pas.

Cependant, je comprends parfaitement l’émoi que peut susciter l’introduction de la notion de gratuité auprès des communes déjà accablées par les baisses de subventions et qui pensent qu’on leur impose des charges supplémentaires. C’est pour cela que nous sommes ouverts à une nouvelle rédaction du texte. Encore faudrait-il que nous ayons la possibilité d’en débattre !

Enfin, je voudrais citer Victor Hugo, dont notre collègue Jean-Pierre Sueur vient de nous rappeler l’importance qu’il attachait à notre assemblée. Celui-ci écrivit dans son testament : « Je donne cinquante mille francs aux pauvres. Je désire être porté au cimetière dans leur corbillard. Je refuse l’oraison de toutes les églises ; je demande une prière à toutes les âmes. Je crois en Dieu ».

Je suis convaincue, avec le poète, que des funérailles républicaines peuvent aussi être l’expression d’une spiritualité laïque. J’ai le sentiment intime, avec ce texte, que nous sommes en phase avec l’évolution de notre société et les demandes de nos concitoyens.

Ce texte peut poursuivre son parcours parlementaire si nous sommes capables de nous entendre sur l’essentiel. Ce que nous souhaitons, c’est avant tout donner une base juridique aux pratiques de certaines communes, afin de garantir l’égalité entre les personnes qui veulent des obsèques civiles et celles qui souhaitent des obsèques religieuses.

Par conséquent, notre groupe est ouvert à un texte qui préserve ce principe, ce qui est l’objet de l’amendement n° 11. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain et du groupe communiste républicain citoyen et écologiste.)

Mme la présidente. La discussion générale est close.

Discussion générale (suite)
Dossier législatif : proposition de loi instituant des funérailles républicaines
Discussion générale (suite)

7

Souhaits de bienvenue à de jeunes citoyens en tribune

Mme la présidente. Mes chers collègues, je salue une nouvelle fois – nous sommes très chanceux aujourd’hui ! – une délégation de jeunes citoyens qui portent fièrement l’écharpe tricolore, ainsi qu’une autre délégation de jeunes citoyens dans les tribunes du haut. Qu’ils soient les bienvenus au Sénat ! (Mmes et MM. les sénateurs, ainsi que M. le ministre chargé des collectivités territoriales, se lèvent et applaudissent.)

8

Discussion générale (interruption de la discussion)
Dossier législatif : proposition de loi instituant des funérailles républicaines
Article unique (début)

Funérailles républicaines

Suite de la discussion et rejet d’une proposition de loi

Mme la présidente. Nous reprenons la discussion de la proposition de loi, adoptée par l’Assemblée nationale, instituant des funérailles républicaines.

Je rappelle que la discussion générale a été close.

La commission n’ayant pas élaboré de texte, nous passons à la discussion de l’article unique de la proposition de loi adoptée par l’Assemblée nationale.

proposition de loi instituant des funérailles républicaines

Discussion générale (suite)
Dossier législatif : proposition de loi instituant des funérailles républicaines
Article unique (fin)

Article unique

I. – Le chapitre III du titre II du livre II de la deuxième partie du code général des collectivités territoriales est complété par une section 3 ainsi rédigée :

« Section 3

« Funérailles républicaines

« Art. L. 2223-52. – Chaque commune, dès lors qu’elle dispose d’une salle municipale adaptable, met celle-ci à disposition des familles qui le demandent et garantit ainsi l’organisation de funérailles républicaines qui leur permettront de se recueillir. Par dérogation au premier alinéa de l’article L. 2125-1 du code général de la propriété des personnes publiques, cette mise à disposition est gratuite. À la demande de la famille du défunt, un officier de l’état civil de la commune peut procéder à une cérémonie civile.

« Le premier alinéa du présent article s’applique aux familles des personnes mentionnées à l’article L. 2223-3 du présent code. »

II. – (Supprimé)

Mme la présidente. La parole est à Mme Marie-Françoise Perol-Dumont, sur l’article unique. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain.)

Mme Marie-Françoise Perol-Dumont. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, dès lors que – je cite de nouveau Bossuet – « nous entrons dans la vie avec la loi d’en sortir », comment nous, législateurs, pourrions-nous nous exonérer de contribuer à offrir la possibilité d’un cadre funéraire digne aux 30 % de défunts qui sont inhumés civilement ? Il s’agit juste de respecter le principe d’égalité.

« Honorer ses morts en traitant cérémonieusement leur cadavre est non seulement un fait culturel universel, mais souvent aussi l’impératif moral le plus solide, le devoir ultime que s’imposent en toutes circonstances les différentes sociétés humaines ». Ainsi s’exprime l’anthropologue Grégory Delaplace.

Toutefois, force est de constater que les familles chargées d’organiser les obsèques civiles d’un proche sont encore, parfois, démunies pour répondre à ce devoir ultime.

Que faire face au vide législatif lorsque surgissent des difficultés pour obtenir une salle permettant un accueil digne de la dépouille de l’être cher en vue d’organiser un temps de recueillement, alors même que l’on est déjà dans la peine ? Ce n’est heureusement pas toujours le cas, comme l’ont dit plusieurs de nos collègues, et nombre de communes proposent tout naturellement une salle municipale dès lors qu’elles sont sollicitées et qu’elles disposent d’une telle salle. Il s’agit ni plus ni moins que de permettre l’extension de cette pratique en la sécurisant juridiquement.

Alors que le principe de liberté pour chacun de choisir le caractère civil ou religieux de ses obsèques date de la loi du 15 novembre 1887, alors que l’Association des maires de France – mes chers collègues, l’auriez-vous oubliée ? – a rappelé dans son vade-mecum sur la laïcité de 2015 son souhait de voir les maires de France « mettre à disposition des familles qui le souhaitent une salle communale, lorsque c’est possible, aux fins de célébrer des funérailles non religieuses »,…

M. Loïc Hervé, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et dadministration générale. C’est largement suffisant !

Mme Marie-Françoise Perol-Dumont. … le vote de cette proposition de loi portée par le groupe socialiste et républicain nous semblait devoir faire consensus dans cette assemblée.

Ce texte, adopté il y a deux ans à l’Assemblée nationale par une majorité d’élus de diverses sensibilités, n’apporte pas de contraintes majeures pour les communes. Il ouvre des possibilités ; il ne crée pas d’obligations ni de coût important ; il n’enlève aucun droit à quiconque ; il ne relève d’aucun jugement de valeur ni d’aucune idéologie ; il vise tout simplement à respecter la diversité des convictions en actant par la loi l’ultime liberté pour chacun de bénéficier de funérailles dignes, en donnant un cadre législatif à leur organisation.

Mes chers collègues, en votant ce texte, éventuellement amendé des judicieuses propositions de notre collègue Alain Richard, nous ne pénaliserons pas les communes dont chacun ici connaît les difficultés ; au contraire, nous acterons leur rôle éminent dans la chaîne de la vie, de son début jusqu’à sa fin. Au moment où les élus communaux s’interrogent de plus en plus sur leur mission, nous acterons leur réalité fondamentale. Nous n’opposerons pas croyants et athées,…

Mme la présidente. Veuillez conclure, ma chère collègue.

Mme Marie-Françoise Perol-Dumont. … nous contribuerons tout simplement à mettre toutes les familles sur un pied d’égalité.

En votant cette proposition de loi,…

Mme la présidente. Il faut vraiment conclure, ma chère collègue !

Mme Marie-Françoise Perol-Dumont. … nous donnerons corps aux propos de M. Delaplace, que j’ai déjà cité : « En nous imposant des devoirs funéraires, les morts instaurent et maintiennent la culture. Les morts finalement font de nous ce que nous sommes. » (Très bien ! et applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain.)

Mme la présidente. Je suis saisie de deux amendements identiques.

L’amendement n° 1 est présenté par M. Grand.

L’amendement n° 14 rectifié est présenté par MM. A. Marc, Decool, Guerriau, Fouché, Bignon, Malhuret et Capus, Mme Mélot et MM. Lagourgue et Wattebled.

Ces deux amendements sont ainsi libellés :

Supprimer cet article.

La parole est à M. Jean-Pierre Grand, pour présenter l’amendement n° 1.

M. Jean-Pierre Grand. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, chacun comprendra que je ne suis pas philosophiquement opposé à ce que chaque Français ait le libre choix dans l’organisation de ses obsèques. Tout ce qui a été dit, je le partage. Je le ressens au plus profond de moi-même.

M. Jean-Pierre Grand. Malheureusement, nous nous adressons à une France diverse, à des communes, des mairies et des infrastructures diverses, que nous, dans cet hémicycle, ne pouvons ignorer.

Les obsèques civiles peuvent prendre diverses formes selon les orientations et les convictions philosophiques de chacun. Elles se pratiquent déjà couramment dans les complexes funéraires publics ou privés – nous en avons tous fait l’expérience.

Instituer des funérailles républicaines qui sont, de fait, des obsèques civiles, dont les communes deviendraient partenaires de l’organisation, reviendrait à créer une nouvelle charge obligatoire, ou facultative comme le prévoit un amendement de notre collègue Alain Richard, pour les communes et les maires.

Pour les communes, le choix d’autoriser ou non cette pratique de mise à disposition d’une salle municipale pour célébrer les obsèques républicaines donnera automatiquement lieu à des débats passionnés au sein des conseils municipaux, quelles que soient leurs décisions.

Les communes qui n’offriront pas cette possibilité pourront se le voir reproché par certains de nos concitoyens. On ouvre là des discussions sans fin qui risqueront malheureusement d’entraîner des débordements, voire des comportements malsains. (Marques dimpatience sur les travées du groupe socialiste et républicain.) En effet, nous le savons tous ici, dans les communes, des initiatives municipales, même judicieuses, prennent souvent un caractère polémique.

Aussi, face à une profonde lassitude des élus locaux, à quelques mois du remaniement de ces conseils municipaux, nous devons préserver les maires.

Permettez-moi de vous le dire, mes chers collègues, au regard de mon expérience de plus de trente-quatre ans en tant que maire, les situations sont parfois terribles. Imaginez un village où une salle municipale pourrait être mise à la disposition, comme la loi le permettrait désormais, d’une famille endeuillée par le décès cruel de l’un des siens – les situations qui soulèvent les plus grandes émotions concernent la jeunesse ! – le vendredi ou le samedi. (Exclamations sur les travées du groupe socialiste et républicain et du groupe communiste républicain citoyen et écologiste.)

Imaginez que les salles municipales soient déjà retenues ces jours-là pour des mariages et d’autres cérémonies. Quel drame humain cela pourra susciter ! Que choisira le maire ? Il fera le même choix que vous et moi, c’est évident.

Mme la présidente. Il faut conclure, mon cher collègue.

M. Jean-Pierre Grand. Toutefois, les difficultés pour ce maire seront sans nom ! (Protestations sur les travées du groupe socialiste et républicain.) J’y insiste, préservons les maires. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

Mme la présidente. La parole est à M. Alain Marc, pour présenter l’amendement n° 14 rectifié.

M. Alain Marc. Je serai peut-être plus pragmatique que mon collègue Jean-Pierre Grand,…

M. Vincent Éblé. Surtout, soyez plus court !

M. Alain Marc. … mais je propose comme lui de supprimer cet article.

Tout d’abord, il apparaît inopportun, en instituant des funérailles républicaines, de créer une charge nouvelle pour les communes et les maires en leur qualité d’officiers d’état civil – cela a déjà été dit.

Ensuite, tout est déjà possible. Je le soulignais tout à l’heure, des funérailles civiles ont eu lieu samedi dernier dans mon village, dans une salle communale, sans que cela soulève le moindre problème. Aussi, pourquoi légiférer ?

Enfin, en Aveyron, certaines communes comptent 30, 50 ou 70 habitants, mais ne veulent pas forcément devenir des communes nouvelles, chère Françoise Gatel ! (Sourires sur les travées du groupe Union Centriste.) Elles en ont le droit, puisque rien ne les oblige à changer.

Ces communes ont parfois une toute petite mairie et une mini-salle des fêtes, voire une toute petite salle où les habitants peuvent se réunir. Pourquoi leur demander d’affecter obligatoirement l’une de ces salles aux funérailles républicaines, d’autant que les contraintes liées à l’utilisation des locaux accueillant du public pèsent aujourd’hui de plus en plus sur les maires ainsi que sur les finances communales ?

Pour toutes ces raisons, je souhaite que nous supprimions cet article.

Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Pierre Sueur, pour explication de vote.

M. Jean-Pierre Sueur. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, l’usage qui est fait de la procédure risque véritablement de nous empêcher de nous exprimer sur le fond.

Je voulais sincèrement, monsieur Grand, vous expliquer ce qui se passe. En commission des lois, la semaine dernière, le texte a été repoussé – c’est tout à fait régulier. Puisqu’il n’a pas été voté, il n’existe plus.

M. Michel Savin. Et alors ?

M. Jean-Pierre Sueur. Au cours de la séance suivante, monsieur le rapporteur de la commission des lois, nous devons nous exprimer sur les amendements. Et voilà qu’arrivent des amendements de suppression. Je fais observer – de nombreux témoins sont là – que supprimer quelque chose qui n’existe pas n’a aucun sens, puisque la commission a repoussé le texte.

M. Vincent Éblé. La commission ne légifère pas !

M. Jean-Pierre Sueur. Connaissant bien le règlement, notre président Philippe Bas met aux voix l’amendement de suppression de ce qui n’existe pas. Et il déclare ensuite que, à la suite de l’adoption de cet amendement, tous les autres amendements sont devenus sans objet. (Signes dimpatience sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. Jean-Pierre Sueur. Nous avons déposé une proposition de loi qui nous paraît nécessaire, excellente, et nous la défendons. Mais nous pensons qu’il est préférable que cette proposition soit votée amendée, plutôt qu’elle disparaisse purement et simplement.

Or il se trouve, et l’on pourra le démontrer, que toutes les objections – je dis bien toutes – présentées par M. le ministre et par M. le rapporteur tombent dès lors que l’on prend en compte l’amendement d’Alain Richard.

M. André Reichardt. Ce n’est pas tout à fait vrai !

M. Jean-Pierre Sueur. D’ailleurs, ces objections perdaient une grande partie de leur intérêt avec la proposition de Pierre-Yves Collombat. L’amendement n° 11 vise les « possibilités » pour la commune et fait disparaître toute intervention de l’officier d’état civil. En outre, cet amendement tend à ce que la commune délibère des modalités de l’organisation des funérailles.

Mme la présidente. Il faut conclure, monsieur Sueur !

M. Jean-Pierre Sueur. Mes chers collègues, j’ai donc l’honneur de vous demander, dans les quelques secondes qui me restent, de ne pas adopter cet amendement de suppression.

Ainsi, ce texte pourrait être voté dans des termes qui correspondraient davantage à ce que beaucoup souhaitent pour aboutir à un travail positif. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain, ainsi que sur des travées du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen. – Protestations sur les travées du groupe Les Républicains.)

Mme la présidente. Mes chers collègues, pardonnez-moi : après la présentation de ces deux amendements identiques, j’ai omis de solliciter l’avis de la commission et du Gouvernement.

Nous reprenons le cours normal de la procédure.

Quel est l’avis de la commission ?

M. Loïc Hervé, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et dadministration générale. Comme je l’ai indiqué lors de la discussion générale, je partage l’objectif des auteurs de la proposition de loi, qui vient d’être énoncé par Jean-Pierre Grand, à savoir faciliter l’organisation dans les communes de cérémonies d’obsèques civiles. Toutefois, pour toutes les raisons que j’ai évoquées, et je n’ai pas été le seul à le faire, il ne me semble pas utile de légiférer sur le sujet, dès lors que le droit en vigueur permet déjà l’organisation d’obsèques civiles par les communes.

Vous avez évoqué, madame Perol-Dumont, le vade-mecum rédigé par l’Association des maires de France, ainsi qu’un guide des bonnes pratiques en cours d’élaboration par la Direction générale des collectivités locales. Ces outils à disposition des maires permettent d’instaurer un droit souple et susceptible de répondre à nos collègues élus.

Nombre de communes, d’ailleurs, pratiquent déjà ces cérémonies civiles sans que des difficultés particulières nous aient été signalées. Les associations d’élus que j’ai consultées, notamment l’Association des maires de France et des présidents d’intercommunalité, sont défavorables à toute nouvelle obligation mise à la charge des communes sans compensation financière.

Par ailleurs, monsieur Sueur, il ne s’agit pas du tout ici d’un artifice de procédure. En effet, en vertu de l’article 42 de la Constitution du 4 octobre 1958 : « La discussion des projets et des propositions de loi porte, en séance, sur le texte adopté par la commission saisie en application de l’article 43 ou, à défaut, sur le texte dont l’assemblée a été saisie… » Nous sommes bien en train de discuter du texte qui a été adopté à l’Assemblée nationale, nonobstant le vote de la commission des lois.

M. André Reichardt. Très bien !

M. Michel Savin. Bonne précision !

M. Loïc Hervé, rapporteur. Ce point a d’ailleurs été précisé en commission, comme une forme de respect due à l’égard des auteurs.

Enfin, j’aimerais que mes propos ne soient pas mal interprétés, car il ne s’agit en aucun cas d’un procès d’intention, mais la présente proposition de loi, si elle est extrêmement intéressante, pose tout de même problème au regard de l’actualité.

M. Michel Savin. Bien sûr !

M. Loïc Hervé, rapporteur. Je vous invite donc, mes chers collègues, sinon à relativiser les choses, du moins à regarder cette réalité en face. (Bravo ! et applaudissements sur les travées du groupe Union Centriste et du groupe Les Républicains. – Vives protestations sur les travées du groupe socialiste et républicain et du groupe communiste républicain citoyen et écologiste.)

Mme Laurence Rossignol. Proposez le rétablissement de l’ISF. Ce sera d’actualité, et nous le voterons !

M. Loïc Hervé, rapporteur. La commission émet donc un avis favorable sur ces deux amendements de suppression.

Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Sébastien Lecornu, ministre auprès de la ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales, chargé des collectivités territoriales. Madame la présidente, je ne reviendrai pas sur les questions de procédure parlementaire, qui ne me regardent pas en tant que membre du Gouvernement. J’évoquerai simplement les éléments de fond, que j’ai d’ailleurs déjà exposés à la tribune voilà un instant.

J’essaie d’être le plus cohérent possible, et je le redis publiquement, pour le Journal officiel et pour nous tous : l’intention de cette proposition de loi, telle qu’elle a été imaginée par les députés et telle que vous la reprenez cet après-midi, est intéressante.

M. Patrick Kanner. Votons-la, alors !

M. Sébastien Lecornu, ministre. Monsieur Kanner, laissez-moi terminer !

Voilà bientôt deux mois que je suis ministre chargé des collectivités territoriales. Or j’essaie de tout faire pour favoriser un mouvement de simplification et pour que les libertés locales et la confiance envers les élus soient, sinon la nouvelle doctrine du Gouvernement, du moins la manière dont celui-ci s’y prend avec eux désormais. D’ailleurs, j’ai été un élu local et le suis même encore aujourd’hui.

Comme je le disais hier soir à propos de la proposition de loi de Mme Gatel visant à adapter l’organisation des communes nouvelles à la diversité des territoires – nous étions moins nombreux pour débattre de ce texte –, s’il doit y avoir un débat, il faut que l’on fasse des choix clairs. Peut-être d’ailleurs n’y arrivera-t-on pas.

Intellectuellement, deux positions se tiennent. Soit l’on parle de confiance locale, des Girondins, de la décentralisation, et l’on fait confiance aux élus aussi sur cette question funéraire, donc on ne légifère pas. Soit l’on ne fait pas complètement confiance aux élus sur certains aspects et l’on veut de l’égalité. (Protestations sur les travées du groupe socialiste et républicain.)

L’égalité, ce n’est pas un gros mot ! La loi est là aussi pour garantir des principes d’égalité sur le territoire.

M. Pierre-Yves Collombat. Financièrement, on pourrait en reparler !

M. Sébastien Lecornu, ministre. Avec cette démarche, vous répondez très clairement par la négative à la question de la confiance. Au nom du principe d’égalité, vous défendez de nouvelles obligations, des mesures plus contraignantes, et vous voulez les inscrire dans la loi.

M. Pierre-Yves Collombat. Non ! Ce ne serait pas obligatoire !

M. Sébastien Lecornu, ministre. Les deux visions se respectent. Mais je tiens tout de même à le rappeler, sans faire de politique : lorsque, au nom de l’égalité, le Gouvernement propose telle ou telle mesure contraignante, on lui reproche sur toutes les travées, parfois peut-être à juste titre, d’être jacobin et autoritaire.

M. Pierre-Yves Collombat. Le jacobinisme, ce n’est pas cela !

M. Sébastien Lecornu, ministre. À l’inverse, dès lors que nous nous engageons sur des chemins de simplification, de souplesse, de confiance, pour accroître un tant soit peu l’autonomie du maire, officier d’état civil, pour lui permettre d’agir dans sa commune avec pragmatisme, avec intelligence, avec compréhension, avec humanité,…

M. Sébastien Lecornu, ministre. … on nous répond : non, mieux vaut fixer des dispositions strictes dans la loi.

En prenant un peu distance avec le débat d’aujourd’hui, je respecte totalement cette vision des choses. Mais je me dois d’être cohérent, eu égard à l’action que j’ai entreprise depuis deux mois et que j’espère poursuivre avec vous : il y a un besoin de liberté locale…

M. Michel Savin. Très bien !

M. Sébastien Lecornu, ministre. … et les territoires ont besoin d’oxygène. En conséquence, il ne faut pas inscrire de telles dispositions dans la loi.

Voilà pourquoi j’ai très clairement émis un avis favorable sur ces deux amendements identiques de suppression. (Applaudissements sur des travées du groupe Les Républicains et du groupe Union Centriste. – M. François Patriat applaudit également.)

M. Loïc Hervé, rapporteur. Très bien !

Mme la présidente. La parole est à Mme la vice-présidente de la commission.

Mme Catherine Di Folco, vice-présidente de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et dadministration générale. Monsieur Sueur, en la matière, il n’a pas eu le moindre artifice.

M. Jean-Pierre Sueur. Je n’ai pas dit cela !

Mme Catherine Di Folco, vice-présidente de la commission des lois. Si, vous avez employé ce terme… Or la commission des lois a travaillé de manière tout à fait normale. Elle a examiné un texte venant de l’Assemblée nationale. Au terme de ses travaux, on n’a pas proposé de texte de la commission. C’est donc bien la rédaction de l’Assemblée nationale que nous examinons aujourd’hui.

De plus, permettez-moi de vous rappeler l’article 49 du règlement du Sénat : sont tout d’abord mis aux voix les amendements de suppression, puis viennent les autres amendements, en commençant par ceux dont les dispositions s’écartent le plus du texte.

Mme Catherine Di Folco, vice-présidente de la commission des lois. La procédure est donc bien respectée ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, du groupe Union Centriste, du groupe Les Indépendants – République et Territoires et du groupe La République En Marche. – Protestations sur les travées du groupe socialiste et républicain et du groupe communiste républicain citoyen et écologiste.)

M. Jean-Pierre Sueur. Certes ! Vous avez parfaitement raison, madame la vice-présidente. Reste que, en agissant ainsi, vous empêchez le débat !

Mme la présidente. Monsieur Sueur, je vous en prie, vous n’avez pas la parole.

La parole est à M. Pierre Ouzoulias, pour explication de vote.

M. Pierre Ouzoulias. Hier, nous avons débattu longuement de la loi qui, en France, interdit le port du voile dans l’espace public.

Chers collègues de la majorité sénatoriale, vous nous avez rappelé que le comité des droits de l’homme de l’ONU s’était exprimé contre ce texte. Vous avez précisé que cet avis n’avait aucune valeur ni aucune conséquence juridique,…

M. François Bonhomme. Et la Cour de cassation ?

M. Pierre Ouzoulias. … mais qu’un vote du Parlement était essentiel pour réaffirmer les valeurs de la laïcité. Nous vous avons suivis sur ce point, pour réaffirmer, selon vos propres termes, les valeurs de la République. Nous avons accepté ce débat fort, relatif à la laïcité, et nous avons voté votre texte.

Madame Duranton, je suis navré de constater que nous n’avons pas la même conception de la laïcité.

La laïcité, ce n’est pas la religion de l’État.

M. Jean-Luc Fichet. Absolument !

M. Pierre Ouzoulias. La laïcité n’a pas de rites spécifiques qu’elle opposerait à ceux de telle ou telle religion. La laïcité, c’est l’organisation des relations entre les citoyens et les citoyennes au sein de la République : cela n’a rien à voir ! (Applaudissements sur les travées du groupe communiste républicain citoyen et écologiste et du groupe socialiste et républicain. – M. Joël Labbé applaudit également.)

Je tenais à opérer cette première mise au point.

En outre, chers collègues de la majorité sénatoriale, que vous le vouliez ou non, la République prévoit déjà, en la matière, deux actes fondateurs.

Le premier, c’est le baptême civil, régi par la loi du 20 prairial an II, ou 8 juin 1794.

M. François Bonhomme. Belle date ! En pleine Terreur…

M. Pierre Ouzoulias. À cet égard, les mairies n’ont aucune obligation d’organisation, et je n’ai connaissance d’aucun contentieux : sauf erreur de ma part, aucun citoyen n’a déféré, devant les tribunaux administratifs, un maire qui refusait d’organiser un baptême de cette nature.

Le second, c’est le mariage civil. Il ne s’oppose pas au mariage religieux : les deux sont complémentaires,…

M. Loïc Hervé, rapporteur. Non !

Mme Catherine Di Folco, vice-présidente de la commission des lois. Juridiquement, le mariage civil est le seul qui existe !

M. Pierre Ouzoulias. … et, d’ailleurs, dans la plupart des cas, on choisit de célébrer les deux.

Dès lors, ma question est la suivante : puisqu’il existe déjà des baptêmes et des mariages civils, pourquoi ne créerait-on pas une cérémonie d’enterrement selon les mêmes principes ? Expliquez-nous, philosophiquement, ce qui empêcherait de poursuivre la vie du citoyen et de la citoyenne dans le corps social, dans le corps de la République, par cette ultime cérémonie ?

M. Loïc Hervé, rapporteur. Rien, justement !

M. Pierre Ouzoulias. Personnellement, je ne comprends pas. Vous avez tort de vous réfugier derrière des arguments techniques, en invoquant le pouvoir d’organisation des communes. Mieux vaudrait que vous nous répondiez sur le fond. En quoi l’organisation de cette dernière cérémonie pose-t-elle problème,…

M. Loïc Hervé, rapporteur. Je l’ai dit, en rien !

M. Pierre Ouzoulias. … étant entendu qu’elle s’inscrit dans la lignée du baptême et du mariage civils ? (Applaudissements sur les travées du groupe communiste républicain citoyen et écologiste et du groupe socialiste et républicain. – M. Joël Labbé applaudit également.)

Mme la présidente. La parole est à M. André Reichardt, pour explication de vote.

M. André Reichardt. Lorsque j’ai lu pour la première fois cette proposition de loi, présentée par nos collègues socialistes, je me suis posé, comme M. le rapporteur et M. le ministre, toute une série d’interrogations.

Pour rendre ce texte acceptable, ou du moins pour corriger les défauts qui me semblaient les plus flagrants, j’ai déposé quatre amendements, qui sont d’ailleurs inscrits à l’ordre du jour.

Le premier de ces amendements vise à revenir sur l’obligation faite aux communes de mettre gratuitement à disposition une salle pour célébrer les funérailles civiles.

Le deuxième tend à revenir sur la possibilité donnée à aux officiers d’état civil de procéder à de telles cérémonies. Franchement, les intéressés ont bien d’autres choses à faire ! (M. le ministre opine.) M. le rapporteur et M. le ministre l’ont déjà relevé : il faut, à tout le moins, veiller à respecter le principe d’égalité, quant à l’intervention de l’officier d’état civil.

Enfin, les deux derniers amendements visent à compenser financièrement, pour les communes qui organiseraient des funérailles de cette nature, les charges qui en résulteraient.

Faut-il rappeler toutes les nouvelles compétences qui, depuis quelque temps, sont déjà tombées sur le dos des communes ? Je pense au PACS, à l’immatriculation des véhicules, aux modifications d’état civil, comme les divorces, de plus en plus nombreux, les changements de nom et de prénom, y compris dans les cas particuliers.

Mes chers collègues, grâce au Conseil constitutionnel, nous avons échappé au parrainage civil, du moins jusqu’à nouvel ordre : je suis sûr que cette proposition va revenir. Et toutes ces compétences sont assumées à titre gratuit ! Voilà pourquoi il faut, à tout le moins, assurer une compensation financière.

À présent, M. Grand et M. Marc nous proposent de supprimer l’article unique de cette proposition de loi. Vous l’avez compris, en vertu de la règle « qui peut le plus peut le moins », je voterai sans états d’âme ces deux amendements ! (Applaudissements sur des travées du groupe Les Républicains et du groupe Union Centriste.)

M. Michel Savin. Très bien !

Mme la présidente. La parole est à M. François Bonhomme, pour explication de vote.

M. François Bonhomme. Chers collègues, pourquoi telle ou telle idéologie s’immiscerait-elle dans ce débat ? À mon sens, vous en mettez où l’on n’en a pas besoin.

M. Reichardt vient de le rappeler : depuis des années, les maires doivent assumer des charges de plus en plus nombreuses et de plus en plus lourdes. On leur confie toujours de nouvelles missions – je pense notamment au PACS –, et ils ne cessent de le déplorer.

De plus, avec ce texte, l’on touche à un sujet extrêmement délicat. Si cette proposition de loi n’est pas opportune, c’est tout simplement parce que la ritualisation de la mort n’a pas vocation à être institutionnalisée à l’échelle des mairies.

L’argument économique a déjà été invoqué : cette mesure créerait encore une nouvelle charge. Certes, on nous a opposé un argument juridique, fondé sur l’existence d’un vide législatif. Mais pourquoi opter pour un plein législatif, alors que la pratique existante donne satisfaction à la plupart des personnes ?

J’y insiste, cette disposition placerait les maires dans une position extrêmement délicate. Si ce texte entrait en vigueur, la notion de « salle adaptable » ne tarderait pas à susciter des contentieux. Les maires devraient s’exprimer, devant les tribunaux, au sujet d’un moment très particulier : la cérémonie célébrée lors d’un décès.

Cette réforme déchaînerait les passions. Elle mettrait les maires dans une position difficile, et pour cause, ils ne sauraient pas comment traiter cette situation. Bref, l’on créerait des difficultés là où il n’y en a pas.

En définitive, cette proposition de loi est surtout marquée par l’air du temps. L’Assemblée nationale a récemment débattu de la fessée. (Protestations sur les travées du groupe socialiste et républicain et du groupe communiste républicain citoyen et écologiste.)

M. Pierre-Yves Collombat. Oh ! Pas ça !

Mme Catherine Di Folco, vice-présidente de la commission des lois. C’est vrai !

M. François Bonhomme. Aujourd’hui, nous examinons ce texte, qui, en définitive, trahit la saturation des symboles. À tout propos, l’on s’écarte des problèmes juridiques pour s’attacher à des mesures symboliques. Ne nous laissons pas emporter par ce mouvement général, qui est tout à fait dommageable.

La parole est aux maires. Il faut suivre l’esprit girondin, c’est-à-dire faire confiance envers les élus. Or, avec le présent texte, on nous propose tout le contraire ! (Applaudissements sur des travées du groupe Les Républicains et du groupe Union Centriste.)

Mme la présidente. La parole est à Mme Françoise Gatel, pour explication de vote.

Mme Françoise Gatel. Mes chers collègues, nous le savons tous : le sujet dont nous débattons cette après-midi est, par définition, extrêmement privé, et il est d’une extrême gravité.

L’intention que traduit le présent texte honore ses auteurs et, plus largement, ceux qui le défendent. Personne sur ces travées ne peut le nier, il s’agit d’un instant tout à fait particulier, qui relève de la vie privée et que certains d’entre nous rattachent à des convictions religieuses ou philosophiques. Mais, à travers cette proposition de loi, peut-on défendre la création d’une « cérémonie républicaine de funérailles », comme l’a dit Pierre Ouzoulias ? J’approuve les propos de M. le ministre : on est bien au-delà de la mise à disposition d’une salle « adaptable ».

Cher Pierre Ouzoulias, pardonnez-moi de le rappeler en ce temple de la laïcité : le baptême est un sacrement religieux éminemment catholique. Mieux vaudrait donc parler de parrainage républicain.

M. Pierre-Yves Collombat. C’est ce que nous fîmes !

Mme Françoise Gatel. En outre, qu’est-ce qu’une salle « adaptable » aux besoins et aux attentes d’une famille ? Au-delà des situations, qui sont nécessairement particulières, ces circonstances sont extrêmement douloureuses. Les proches du défunt sont dans une situation d’émotivité telle qu’ils risquent de s’en prendre au maire, si celui-ci n’est pas en mesure de mettre une salle à leur disposition.

M. Jean-Pierre Grand. C’est bien là le problème !

Mme Françoise Gatel. Avec un tel texte, nous nous exposons à de très graves risques de contentieux, notamment parce que le mot « adaptable » est indéfinissable.

Plus largement, on ne peut pas demander à la République de gérer notre vie privée. Si la France est une République laïque, il convient d’entendre et de reconnaître que, en dehors de l’enregistrement des actes d’état civil, les événements de la vie privée ne relèvent pas de la République.

Chers collègues, peut-on sincèrement demander à un maire de devenir un prêtre de la République (Protestations sur des travées du groupe socialiste et républicain et du groupe communiste républicain citoyen et écologiste.) et d’officier dans des cérémonies conformes aux aspirations philosophiques de chacun ? (Applaudissements sur des travées du groupe Union Centriste et du groupe Les Républicains.)

M. Michel Savin. Très bien !

Mme la présidente. La parole est à M. Patrick Kanner, pour explication de vote.

M. Patrick Kanner. Monsieur le rapporteur, en faisant allusion aux événements de Strasbourg, vous avez laissé entendre – j’espère que vos propos ont dépassé votre pensée – que nous ne pourrions pas débattre du texte proposé par les élus du groupe socialiste et républicain.

M. Loïc Hervé, rapporteur. Je n’ai pas dit cela !

M. Patrick Kanner. En suivant cette logique, il faudrait interrompre tous nos travaux ! Or nous devons légiférer, même si, par ces deux amendements, vous avez manifestement décidé de mettre à mort – passez-moi l’expression –…

Mme Catherine Di Folco, vice-présidente de la commission des lois. C’est un peu douteux…

M. Patrick Kanner. … le texte que nous souhaitons tout simplement soumettre au débat, ici même ! (M. Jean-Pierre Sueur applaudit.)

M. Jean-Pierre Sueur. Tout à fait, le débat est légitime !

Mme Catherine Di Folco, vice-présidente de la commission des lois. Et nous avons également débattu en commission !

M. Patrick Kanner. Ce que nous voulons, par ce texte, c’est permettre à de très nombreuses familles françaises d’enterrer leurs défunts dans de meilleures conditions qu’aujourd’hui. Vous ne le souhaitez pas, en tout cas pas dans les conditions que nous avons imaginées. Pour notre part, nous étions prêts à prendre en considération les propositions constructives formulées par Alain Richard.

Chers collègues de la majorité sénatoriale, ces débats s’inscrivent dans le cadre d’une niche du groupe socialiste et républicain. Nous souhaitons pouvoir mener à son terme l’examen de ce texte. Par vos deux amendements, vous entendez nous en empêcher.

M. Patrick Kanner. Manifestement, une demande de scrutin public va être déposée. Nous désapprouvons cette méthode. Quels que soient les arguments, il faut pouvoir étudier les textes en intégralité : à mon sens, cet usage relève des bonnes manières qui doivent régir les rapports entre les groupes politiques.

Au nom de mon groupe, je regretterai donc que, par votre décision, vous nous empêchiez de mener ce débat dans de bonnes conditions. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain.)

Mme la présidente. La parole est à Mme Marie-Françoise Perol-Dumont, pour explication de vote.

Mme Marie-Françoise Perol-Dumont. Mes chers collègues, les leçons que j’ai entendues, quant à la confiance qu’il convient d’accorder aux élus locaux, me semblent assez regrettables.

Si nous ne leur faisions pas confiance, nous ne serions pas sur ces travées, de quelque côté que nous siégions ! (Applaudissements sur des travées du groupe socialiste et républicain.) Représentants des territoires, élus par les élus locaux, nous faisons, par principe, confiance aux élus locaux ; d’ailleurs, la plupart d’entre nous ont longtemps été élus dans les collectivités et même responsables d’exécutif local.

Cette précision étant faite, j’en viens au fond du débat. Chers collègues de la majorité sénatoriale, vous souhaitez manifestement brider le débat, et même l’empêcher, par vos amendements de suppression. Mais pourquoi le présent texte vous inquiète-t-il tant ?

Cher Jean-Pierre Grand, j’ai perçu un certain malaise dans vos propos, lorsque vous avez présenté l’amendement n° 1. Les coûts supplémentaires pour les communes, les débats que ces dispositions pourraient provoquer ne sont que des arguties, et, au fond de vous-même, vous le savez bien : vos arguments ne résisteraient pas aux débats que nous souhaitons mener ensemble, dans cet hémicycle, pour amender cette proposition de loi. D’ailleurs, ce travail irait largement dans le sens que vous souhaitez !

Derrière tous ces propos, il me semble voir autre chose. Je ne voudrais froisser personne. Mais je devine chez certains le refus d’admettre les obsèques non confessionnelles ; le refus d’admettre que la spiritualité n’est pas le propre des religions. (Protestations sur des travées du groupe Les Républicains et du groupe Union Centriste.)

Mme Marie-Françoise Perol-Dumont. Oui, l’on peut vouloir des obsèques civiles tout respectant une spiritualité, tout en souhaitant un temps de rencontre, un temps d’échange. Ces débats sont derrière nous depuis plus d’un siècle !

M. André Reichardt. C’est ce qui s’appelle être sourd !

Mme Marie-Françoise Perol-Dumont. Ne les remettons pas à l’ordre du jour,…

M. Loïc Hervé, rapporteur. Ce n’est pas de notre fait !

Mme Marie-Françoise Perol-Dumont. … et travaillons ensemble pour améliorer ce texte, dans le sens que vous souhaitez ! (Applaudissements sur des travées du groupe socialiste et républicain. – Huées sur des travées du groupe Les Républicains et du groupe Union Centriste.)

Mme la présidente. La parole est à Mme Marie-Pierre de la Gontrie, pour explication de vote.

Mme Marie-Pierre de la Gontrie. En l’espace de quelques mois, la droite sénatoriale a progressivement dévoilé ses positions. Elle s’est exprimée au sujet des écoles privées hors contrat.

Mme Françoise Gatel. Excellent texte !

M. Loïc Hervé, rapporteur. Tout à fait, madame Gatel, et cité par le Président de la République !

Mme Marie-Pierre de la Gontrie. Puis, lorsque nous avons demandé la création d’une commission d’enquête relative à la pédophilie dans l’Église, elle s’y est opposée. (Protestations sur les travées du groupe Les Républicains et du groupe Union Centriste.)

Mme Françoise Gatel. Quelle diabolisation !

Mme Marie-Pierre de la Gontrie. Aujourd’hui, elle refuse à nos électeurs la possibilité d’organiser des funérailles républicaines.

En arrivant au Sénat, je croyais entrer dans une institution qui défendait bec et ongles la laïcité. Aujourd’hui, chers collègues de la majorité sénatoriale, je découvre le poids de la religion… (Nouvelles protestations, sur les mêmes travées.)

Mme Marie-Pierre de la Gontrie. … dans l’engagement qui est le vôtre.

Dans cet hémicycle, nous sommes tous des élus locaux. Vous relevez que, dans la pratique, ces obsèques civiles ne posent pas de problème, mais vous refusez qu’elles figurent dans la loi.

M. Loïc Hervé, rapporteur. En effet !

Mme Marie-Pierre de la Gontrie. En outre, monsieur le rapporteur, alors que Paris a été dévasté le 1er décembre dernier, le groupe Les Républicains – nous en avons tous été informés, par la voie d’un courriel émanant de la direction de la séance – décide d’inscrire dans sa future niche, comme l’on dit, une proposition de loi visant à sécuriser les passages à niveau… On appréciera la cohérence !

De même, alors que les « gilets jaunes » s’apprêtaient, samedi dernier, à défiler une nouvelle fois, que faisiez-vous dans cet hémicycle ? Vous votiez l’allégement de l’exit tax.

Vous prétendez…

M. Loïc Hervé, rapporteur. Je n’ai aucune prétention !

Mme Marie-Pierre de la Gontrie. … que notre assemblée doit être en phase avec ce qui se passe dans le pays ; et, à court d’arguments, mais voulant vous opposer à toute force à cette proposition de loi, vous osez instrumentaliser de manière indécente ce qui s’est passé à Strasbourg. (Protestations sur les travées du groupe Les Républicains et du groupe Union Centriste.)

Je ne peux que vous renvoyer à votre propre faiblesse, que prouvent l’allégement de l’exit tax et votre formidable proposition de loi visant à sécuriser les passages à niveau !

Vous voulez, une nouvelle fois, plier le genou devant l’engagement religieux.

Mme Françoise Gatel. Mais non se mettre à genoux ! (Sourires sur les travées du groupe Union Centriste et du groupe Les Républicains.)

Mme Marie-Pierre de la Gontrie. Pour notre part, nous soutenons cette proposition de loi ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain et du groupe communiste républicain citoyen et écologiste. – Huées sur des travées du groupe Les Républicains et du groupe Union Centriste.)

M. André Reichardt. Scandaleux !

Mme la présidente. La parole est à Mme Nadia Sollogoub, pour explication de vote.

Mme Nadia Sollogoub. Mes chers collègues, au risque de vous sembler extrêmement terre à terre, je relève que cette question n’est ni politique ni spirituelle, mais purement pratico-pratique.

Cher Pierre Ouzoulias, vous demandez pourquoi, tout en permettant les parrainages et les mariages républicains, la loi n’organise pas de funérailles républicaines. La réponse est très simple ; je peux vous l’apporter en évoquant mon expérience, dans la mesure où j’ai été maire d’une commune de 1 500 habitants.

Un mariage ou un baptême s’organise avec beaucoup d’avance. À l’inverse, pour préparer des funérailles, l’on ne dispose que de trois ou quatre jours. (Protestations sur des travées du groupe socialiste et républicain et du groupe communiste républicain citoyen et écologiste.)

M. Loïc Hervé, rapporteur. Et après l’événement…

Mme Nadia Sollogoub. Je me souviens d’une famille qui souhaitait une cérémonie civile au cimetière. Or nous étions en pleine canicule : pour les bébés, les enfants et les personnes âgées, il n’était pas possible de célébrer les funérailles comme prévu, et la famille a eu beaucoup de mal à s’organiser.

Il est franchement indécent de placer un corps entre deux buts de basket, sachant que, deux heures après la cérémonie, le terrain doit accueillir le tournoi des poussins de la Nièvre.

Mme Françoise Gatel. Ça, c’est du vécu !

Mme Nadia Sollogoub. Il est indécent de placer, en toute improvisation, un corps dans une salle préparée pour le marché de Noël. Bref, qu’appelle-t-on un local approprié ?

La réponse est toute simple : les communes n’ont pas les moyens d’appliquer ces dispositions. Elles ne le peuvent pas, c’est tout ! (Applaudissements sur des travées du groupe Union Centriste et du groupe Les Républicains.)

Mme la présidente. La parole est à M. Claude Bérit-Débat, pour explication de vote.

M. Claude Bérit-Débat. Différentes positions ont déjà été exprimées et, au fil des explications de vote, l’on a déjà pu entendre les arguments des uns et des autres. Pour ma part, je reviendrai simplement sur la procédure.

Dans toutes les commissions, le président ou le rapporteur peuvent appeler un amendement en priorité : cette procédure est utilisée régulièrement, notamment par la commission des lois. En tant que président de séance, j’ai eu plusieurs occasions de l’observer.

Chers collègues de la majorité sénatoriale, il serait bon que nous puissions débattre, au moins, de l’amendement n° 11, présenté par M. Richard. Cette méthode n’influerait en rien sur le vote final : si vous voulez voter contre cette proposition de loi, vous pourrez bien sûr le faire ! En revanche, nous pourrions avancer un tant soit peu : les élus du groupe socialiste et républicain obtiendraient peut-être des réponses plus précises. Nous souhaitons débattre.

M. François Bonhomme. On ne fait que cela depuis une heure !

M. Claude Bérit-Débat. Nous souhaitons amender un texte à propos duquel vous avez, vous-mêmes, formulé un certain nombre de remarques. À travers leurs amendements, Alain Richard et d’autres ont pris en compte vos observations.

J’y insiste : chacun pourrait s’exprimer tranquillement et, en définitive, le vote vous appartiendrait, car rien ne vous empêcherait de maintenir votre demande un scrutin public.

Certains sont pressés de faire passer à la trappe notre proposition de loi, je l’entends bien… Mais, à mes yeux, la solution que je défends serait un peu plus démocratique ! (Bravo ! et applaudissements sur des travées du groupe socialiste et républicain.)

Mme la présidente. La parole est à Mme Brigitte Lherbier, pour explication de vote.

Mme Brigitte Lherbier. Lorsque, sur cette proposition de loi, j’ai déposé mes amendements, c’était précisément pour alléger les obligations faites aux maires. À mon sens, il était incroyable de leur imposer ainsi de nouvelles contraintes.

Il n’est absolument pas nécessaire de voter de telles mesures pour aider les familles en deuil. Tous les maires, tous les élus épaulent leurs concitoyens dans les moments douloureux : ce n’est pas la peine d’inscrire, à ce sujet, des dispositions dans la loi.

C’est donc avec plaisir que je voterai les amendements de M. Grand et de M. Marc. (Applaudissements sur des travées du groupe Les Républicains.)

M. Bernard Bonne. Très bien !

Mme la présidente. La parole est à M. Yves Détraigne, pour explication de vote.

M. Yves Détraigne. Selon Marie-Pierre de La Gontrie, nous voudrions empêcher d’organiser des funérailles républicaines. Mais il ne s’agit pas du tout de cela !

M. Yves Détraigne. D’ailleurs, ces cérémonies existent déjà. Nous estimons simplement qu’il n’est pas nécessaire de graver dans le marbre de la loi l’obligation de pratiquer des funérailles républicaines.

J’ai été enfant de chœur (Exclamations et applaudissements ironiques sur les travées du groupe socialiste et républicain et du groupe communiste républicain citoyen et écologiste.),…

M. Yves Détraigne. … j’ai été interne chez les frères des écoles chrétiennes, j’ai tout fait ! Et cela ne m’a pas empêché de présider, au moins une dizaine de fois, à des funérailles républicaines. Ce n’est pas antinomique. Je le répète, il n’y a pas besoin de loi ! (Vifs applaudissements sur des travées du groupe Les Républicains et du groupe Union Centriste.)

Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Pierre Grand, pour explication de vote.

M. Jean-Pierre Grand. Mes chers collègues, en défendant mon amendement, je relevais que, dans les conseils municipaux, l’autorisation de telles funérailles ouvrirait des débats, et que ces derniers connaîtraient des dérives.

Aujourd’hui, notre assemblée, qui est extrêmement sage – elle l’est restée… –, vient d’en donner l’exemple. Nous avons glissé, naturellement, vers un autre débat : pour ou contre la religion, pour ou contre la laïcité.

M. Jean-Pierre Grand. Imaginez ce qu’il en sera au sein des conseils municipaux des villages, voire des communes plus grandes : le débat dérivera de la même manière, mais avec beaucoup plus de brutalité.

M. Laurent Duplomb. Tout à fait ! Bravo !

M. Jean-Pierre Grand. À l’issue de nos discussions, cet amendement me paraît donc encore plus justifié ! (Applaudissements sur des travées du groupe Les Républicains.)

M. Michel Savin. Très bien !

Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Luc Fichet, pour explication de vote.

M. Jean-Luc Fichet. Mes chers collègues, je suis quelque peu stupéfait de voir comment l’on parvient à rendre complexe une mesure infiniment simple.

M. Laurent Duplomb. Et inversement ! (Sourires sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. Jean-Luc Fichet. De quoi s’agit-il ? De demander aux communes de mettre à disposition la salle municipale pour l’organisation d’obsèques civiles. C’est tout ! La question de la gratuité vient ensuite : on peut la résoudre grâce aux amendements proposés.

Pourquoi débattre avec tant de passion d’un service qui pourrait être rendu aux familles ? La situation de ces dernières n’a guère été évoquée. Mais, je vous le certifie, dès lors que la possibilité dont il s’agit sera ouverte dans toutes les communes, une véritable réponse leur sera apportée. Nombre d’entre elles sont dans l’ignorance : elles sont contraintes d’accepter des obsèques religieuses alors qu’elles voudraient des obsèques civiles, ne serait-ce que pour respecter la volonté du défunt.

Réfléchissons tous ensemble avant de voter ces amendements de suppression. Je vous le dis très honnêtement : quand nous avons décidé de reprendre cette proposition de loi, votée par l’Assemblée nationale, nous étions tous convaincus qu’elle ne poserait aucune difficulté. Nous étions même persuadés qu’une mesure si simple appellerait un vote unanime ! (Applaudissements sur des travées du groupe socialiste et républicain.)

M. Jackie Pierre. Il n’est pas interdit de se tromper ! (Sourires sur les travées du groupe Les Républicains.)

Mme la présidente. La parole est à Mme la vice-présidente de la commission.

Mme Catherine Di Folco, vice-présidente de la commission des lois. Monsieur Bérit-Débat, vous nous rappelez la faculté, dont disposent les commissions permanentes, d’appeler un amendement en priorité. Telle n’est pas la solution qu’a retenue la commission des lois au terme de ses travaux d’hier.

Nous avons souhaité examiner, tout d’abord, les amendements identiques nos 1 et 14 rectifié, qui ont reçu de notre part un avis favorable. Je maintiens la position de la commission. (Bravo ! et applaudissements sur des travées du groupe Les Républicains.)

Mme la présidente. La parole est à M. Franck Montaugé, pour explication de vote.

M. Franck Montaugé. Chers collègues, pourquoi compliquer une proposition qui, en définitive, est extrêmement simple ? Respecter les confessions et les croyances de chacun, c’est tout simplement appliquer la laïcité.

En l’occurrence, il s’agit de proposer un nouveau service public à notre population, ni plus ni moins. (Protestations sur des travées du groupe Les Républicains.) J’observe, comme nous tous ici, le contexte sociologique dans lequel nous nous trouvons : nombre de familles sont éclatées et, souvent, les personnes réunies à l’occasion de funérailles viennent de très loin,…

Mme Catherine Di Folco, vice-présidente de la commission des lois. Et alors ?

M. Franck Montaugé. … a fortiori dans nos territoires ruraux. Or il est indispensable qu’elles puissent se rassembler.

La mesure que nous proposons ne coûtera pas un centime à nos communes : les salles des fêtes sont déjà mises à la disposition des familles qui le souhaitent, et cet usage ne pose problème à personne. On nous oppose des arguments qui n’ont pas lieu d’être. La mesure que nous proposons est extrêmement simple, mais elle répondrait à une attente profonde et justifiée de la population française. (Protestations sur les travées du groupe Les Républicains.)

Mme la présidente. Mes chers collègues, les amendements identiques nos 1 et 14 rectifié visant à supprimer l’article unique de la proposition de loi, leur adoption vaudrait rejet de la proposition de loi.

Personne ne demande plus la parole ?…

Je mets aux voix les amendements identiques nos 1 et 14 rectifié.

J’ai été saisie de trois demandes de scrutin public émanant, la première, du groupe Les Républicains, la deuxième, du groupe Union Centriste et, la troisième, du groupe Les Indépendants – République et Territoires. (Exclamations ironiques sur les travées du groupe socialiste et républicain.)

Je rappelle que l’avis de la commission est favorable, de même que celui du Gouvernement.

Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l’article 56 du règlement.

Le scrutin est ouvert.

(Le scrutin a lieu.)

Mme la présidente. Personne ne demande plus à voter ?…

Le scrutin est clos.

J’invite Mmes et MM. les secrétaires à procéder au dépouillement du scrutin.

(Il est procédé au dépouillement du scrutin.)

Mme la présidente. Voici, compte tenu de l’ensemble des délégations de vote accordées par les sénateurs aux groupes politiques et notifiées à la présidence, le résultat du scrutin n° 39 :

Nombre de votants 342
Nombre de suffrages exprimés 321
Pour l’adoption 208
Contre 113

Le Sénat a adopté. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et du groupe Union Centriste.)

En conséquence, l’article unique de la proposition de loi est supprimé, et les amendements nos 11, 6, 10, 8, 2 rectifié, 9, 12, 3 rectifié, 5 rectifié bis et 4 rectifié bis n’ont plus d’objet, non plus que les amendements nos 7 et 13.

L’amendement n° 11, présenté par M. Richard, est ainsi libellé :

Rédiger ainsi cet article :

L’article L. 2223-21 du code général des collectivités territoriales est complété par un alinéa ainsi rédigé :

« Le conseil municipal peut prévoir l’usage d’une salle communale accessible au public en faveur des familles demandant à organiser une célébration funèbre civile. Il détermine les conditions et modalités de cet usage. »

L’amendement n° 6, présenté par Mme Lherbier, est ainsi libellé :

Alinéa 3

Remplacer le mot :

républicaines

par le mot :

civiles

L’amendement n° 10, présenté par M. Collombat, est ainsi libellé :

Alinéas 4 et 5

Rédiger ainsi ces alinéas :

« Art L. 2223-52 – Chaque commune peut mettre à disposition des familles qui le demandent une salle municipale leur permettant l’organisation de funérailles laïques. Par dérogation au premier alinéa de l’article L. 2125-1 du code général de la propriété des personnes publiques, cette mise à disposition est gratuite.

« La commune apporte son concours à l’organisation de ces funérailles dans la limite de ses possibilités. »

L’amendement n° 8, présenté par Mme Lherbier, est ainsi libellé :

Alinéa 4, première phrase

Remplacer les mots :

met celle-ci à disposition des familles qui le demandent et garantit ainsi l’organisation de funérailles républicaines qui leur permettront de se recueillir

par les mots :

peut mettre celle-ci à disposition des familles qui le demandent pour leur permettre de se recueillir

L’amendement n° 2 rectifié, présenté par MM. Reichardt et Daubresse, Mme Noël, M. Chevrollier, Mme Lassarade, MM. Bonhomme et Moga, Mme Gruny, M. Kern, Mme Garriaud-Maylam, M. Pierre et Mme A.M. Bertrand, est ainsi libellé :

Alinéa 4, première phrase

Remplacer le mot :

met

par les mots :

peut mettre

L’amendement n° 9, présenté par Mme Lherbier, est ainsi libellé :

Alinéa 4, deuxième phrase

Supprimer cette phrase.

L’amendement n° 12, présenté par MM. A. Marc, Wattebled et Decool, est ainsi libellé :

Alinéa 4, deuxième phrase

Remplacer le mot :

gratuite

par les mots :

soumise au paiement d’une redevance

L’amendement n° 3 rectifié, présenté par MM. Reichardt et Daubresse, Mme Noël, M. Chevrollier, Mme Lassarade, MM. Bonhomme et Moga, Mme Gruny, M. Kern, Mme Garriaud-Maylam, M. Pierre et Mme A.M. Bertrand, est ainsi libellé :

Alinéa 4, dernière phrase

Supprimer cette phrase.

L’amendement n° 5 rectifié bis, présenté par MM. Reichardt et Daubresse, Mme Noël, M. Chevrollier, Mme Lassarade, MM. Bonhomme et Moga, Mme Gruny, M. Kern, Mme Garriaud-Maylam, M. Pierre et Mme A.M. Bertrand, est ainsi libellé :

Alinéa 6

Remplacer cet alinéa par deux alinéas ainsi rédigés :

II. – À compter de l’année suivant l’entrée en vigueur de la présente loi, il est institué un prélèvement sur les recettes de l’État dont le montant est égal à la somme des dépenses engagées par les communes, l’année précédente, au titre de l’article L. 2223-52 du code général des collectivités territoriales. Son produit est réparti entre les communes au prorata des dépenses engagées au titre du même article.

III. – La perte de recettes résultant pour l’État du paragraphe précédent est compensée, à due concurrence, par la création d’une taxe additionnelle aux droits prévus aux articles 575 et 575 A du code général des impôts.

L’amendement n° 4 rectifié bis, présenté par MM. Reichardt et Daubresse, Mme Noël, M. Chevrollier, Mme Lassarade, MM. Bonhomme et Moga, Mme Gruny, M. Kern, Mme Garriaud-Maylam, M. Pierre et Mme A.M. Bertrand, est ainsi libellé :

I. - Compléter cet article par un paragraphe ainsi rédigé :

… . – Il est institué, à compter de l’entrée en vigueur de la présente loi, un prélèvement sur les recettes de l’État destiné à soutenir les communes dans l’organisation des funérailles républicaines.

Le montant de ce prélèvement est égal aux éventuelles charges directes qui résulteraient pour les communes de la mise en œuvre de la présente loi.

II. – Pour compenser la perte de recettes résultant du I, compléter cet article par un paragraphe ainsi rédigé :

… – La perte de recettes résultant pour l’État du présent article est compensée, à due concurrence, par la création d’une taxe additionnelle aux droits prévus aux articles 575 et 575 A du code général des impôts.

L’amendement n° 7, présenté par Mme Lherbier, est ainsi libellé :

Rédiger ainsi cet intitulé :

Proposition de loi instituant des funérailles civiles

L’amendement n° 13, présenté par M. Richard, est ainsi libellé :

Rédiger ainsi cet intitulé :

Proposition de loi en faveur de l’accueil de célébrations funèbres civiles

L’article unique de la proposition de loi ayant été supprimé, je constate qu’il n’y a plus de texte et qu’il n’y a donc pas lieu de voter sur l’ensemble.

La proposition de loi n’est pas adoptée.

Mes chers collègues, nous allons interrompre nos travaux pour quelques instants.

La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à seize heures trente, est reprise à seize heures trente-cinq.)

Mme la présidente. La séance est reprise.

Article unique (début)
Dossier législatif : proposition de loi instituant des funérailles républicaines
 

9

 
Dossier législatif : proposition de résolution en application de l'article 34-1 de la Constitution, en faveur de la création de paiements pour services environnementaux rendus par les agriculteurs
Discussion générale (suite)

Services environnementaux rendus par les agriculteurs

Rejet d’une proposition de résolution

Discussion générale (début)
Dossier législatif : proposition de résolution en application de l'article 34-1 de la Constitution, en faveur de la création de paiements pour services environnementaux rendus par les agriculteurs
Discussion générale (fin)

Mme la présidente. L’ordre du jour appelle l’examen de la proposition de résolution en faveur de la création de paiements pour services environnementaux rendus par les agriculteurs, présentée, en application de l’article 34-1 de la Constitution, par M. Franck Montaugé et plusieurs de ses collègues (proposition n° 86).

Dans la discussion générale, la parole est à M. Franck Montaugé, auteur de la proposition de résolution.

M. Franck Montaugé, auteur de la proposition de résolution. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, j’ai élaboré la proposition de résolution qui est soumise aujourd’hui à votre examen avec les sénateurs Henri Cabanel et Jean-Claude Tissot ; nous la présentons au nom du groupe socialiste et républicain.

Au moment où je m’exprime dans cet hémicycle, des tracteurs ont pris place devant la préfecture du Gers, à Auch, contre la redevance pour pollution diffuse. Les agriculteurs qui manifestent ainsi ne portent pas de gilets jaunes, mais ils connaissent, eux aussi, des conditions de vie difficiles, qui justifient leur mobilisation.

Leur dignité m’est familière, je me permets donc de dire qu’ils en ont assez des apitoiements, quelle qu’en soit l’origine. Je m’en garderai donc. Ils attendent de nous que, par nos initiatives, nous les aidions à vivre décemment de leur travail. « Nous voulons des prix, pas des primes ! » nous disent-ils. Le système actuel le permet-il ? Non, nous le savons. Le permettra-t-il demain, pour tous ? Nous pouvons en douter, même si nous le souhaitons.

Notre devoir à leur égard est de formuler des propositions en nous plaçant à l’écoute des attentes de la société et des grands enjeux que nous devons relever collectivement.

Notre agriculture se trouve incontestablement à un tournant de son histoire. Changements climatiques, raréfaction de nos ressources naturelles, épuisement de notre biodiversité, concurrence économique exacerbée, insuffisance et instabilité des revenus sont autant de défis qui rendent aujourd’hui le métier d’agriculteur de plus en plus difficile et incertain.

À ces contraintes climatiques, économiques et conjoncturelles, s’ajoutent des attentes sociétales toujours plus fortes concernant la préservation de notre environnement et la qualité des produits et des aliments que nous consommons. Malheureusement, ces attentes se transforment souvent en critiques et elles participent d’une forme de détérioration de l’image du métier d’agriculteur depuis quelques années.

« L’agri-bashing, ça suffit ! », disiez-vous, monsieur le ministre ; nous partageons ce point de vue. Il est nécessaire, les agriculteurs en ont pris conscience, d’expliquer aux consommateurs et aux citoyens ce que l’on fait, comment on le fait et avec quelles contraintes. Il faut montrer aussi ce que l’agriculture et les agriculteurs apportent à la société, au-delà des apparences immédiates, qui limitent leur rôle au seul acte de production.

Un point est essentiel à nos yeux : il n’est pas question de stigmatiser les agriculteurs, mais de prendre en compte et de reconnaître, à terme, l’ensemble des effets bénéfiques de leur action sur la société. Face à ces nombreux nouveaux défis, face aux mutations sociétales et environnementales qui sont engagées, nous devons apporter de nouvelles réponses.

Les orientations que la Commission européenne a indiquées s’agissant des principes de la future Politique agricole commune, ou PAC, nous poussent également à en discuter et à proposer des pistes au Gouvernement. À ce titre, les paiements pour services environnementaux, les PSE, apparaissent comme un outil susceptible d’allier nécessité économique et prise en compte des enjeux climatiques et environnementaux.

En préambule, toutefois, il est important de nous mettre d’accord sur les mots. Nous retenons comme définition des services environnementaux les effets, ou les externalités, positifs de l’agriculture sur les écosystèmes, engendrés par des modes de production ou des pratiques agricoles adaptés. En d’autres termes, ils visent à encourager, en les rémunérant dans la durée, les pratiques tendant à améliorer la santé et l’efficacité agronomique et environnementale des écosystèmes.

Il ne s’agit donc plus seulement de compenser des surcoûts ou des manques à gagner, comme le permettent des dispositifs en vigueur, comme les mesures agroenvironnementales et climatiques, les MAEC, mais bien de rémunérer de façon permanente des pratiques apportant une plus-value environnementale et/ou climatique.

Des exemples existent déjà dans le domaine privé, dont l’un des plus emblématiques est la politique mise en œuvre dans les années 1990 par Perrier-Vittel. Afin de protéger ses sources, cette société a passé des contrats avec les exploitants agricoles afin que ceux-ci modifient leurs pratiques et contribuent à préserver les nappes phréatiques.

Dans mon département, une société qui produit du pop-corn bio a proposé à ses cultivateurs de maïs une part du prix d’achat en échange de la mise en œuvre de techniques de travail simplifié du sol et de l’apport de couverts végétaux afin d’améliorer la séquestration du carbone dans le sol et de réduire les émissions de CO2.

Grâce à ces PSE, il est possible de valoriser le rôle indispensable joué par les agriculteurs en matière d’aménagement du territoire et d’entretien de nos paysages. Dans nos massifs montagneux, le pastoralisme rend des services d’intérêt général aux territoires et à la société, en évitant les incendies et les avalanches, tout en renforçant aussi, bien souvent, l’attractivité des lieux de tourisme.

Entendons-nous bien : le pastoralisme, comme toute activité agricole, doit être rémunéré par l’activité économique. Les PSE permettraient toutefois de reconnaître son apport à l’intérêt général. En Corse, par exemple, les incendies se déclenchent souvent, et sont plus difficiles à maîtriser, dans des zones dont l’exploitation a été abandonnée. C’est là une démonstration a contrario de la justesse du concept de PSE !

Le même constat peut être fait dans les mêmes termes en ce qui concerne les territoires ruraux et hyper-ruraux qui subissent la déprise agricole ou qui en sont menacés. La sortie de certains éleveurs des zones défavorisés renvoie ainsi à cette problématique d’intérêt général, alors que l’on sait que le bilan carbone de la disparition des prairies ne sera pas positif.

M. Didier Guillaume, ministre de lagriculture et de lalimentation. C’est vrai.

M. Franck Montaugé. L’agriculture est profitable pour l’ensemble de la société, et les citoyens en bénéficient au quotidien, bien souvent sans s’en rendre compte.

Pour éviter les incompréhensions, je veux rappeler ici quelques principes auxquels nous sommes attachés, à propos des PSE.

Tout d’abord, il faut toujours partir des marchés et de l’attente du consommateur. Les PSE doivent conforter le développement des territoires sur les plans économique, social et, bien entendu, environnemental. Ils doivent être élaborés avec les professionnels et toutes les parties prenantes, dans le cadre de démarches de projets territoriaux dont les périmètres peuvent aller de l’exploitation de base jusqu’aux grands territoires. Il faut les conditionner à une activité agricole productive : pas de PSE sans agriculture, car nous ne voulons pas de mise sous cloche des territoires agraires.

Ils ne doivent pas faire l’objet d’un cadre réglementaire rigide, car il ne s’agit pas, pour nous, d’ajouter des normes aux normes. Les notions d’adaptabilité et de subsidiarité doivent être au cœur du dispositif.

Le consommateur doit-il contribuer aux PSE à travers les prix, ou est-ce du ressort du contribuable, par les aides ? Cette question doit être discutée. Les PSE peuvent également être valorisés entre acteurs privés.

Les paiements ne doivent pas se substituer aux aides issues de la PAC, que nous connaissons et dont nous savons qu’elles vont très probablement baisser. J’attire votre attention sur ce point, qui est très important. Les PSE doivent venir en plus, parce qu’ils répondent à des objectifs radicalement nouveaux. À ce titre, les 150 millions d’euros du plan biodiversité présenté en juillet dernier, qui étaient inscrits au budget 2018 pourraient utilement les financer, sans qu’il soit aucunement besoin de toucher au premier pilier.

L’État, par l’intermédiaire de l’Institut national de la recherche agronomique, l’INRA, a travaillé sur la question des PSE dans ses dimensions scientifique, économique et juridique.

Vous nous le direz certainement, monsieur le ministre, mais j’ai noté que, en 2019, des guides pratiques seront proposés aux agences étatiques, parmi lesquelles celles qui sont chargées de l’eau, aux collectivités et aux acteurs privés, qu’il s’agisse d’entreprises, d’associations, de fondations, etc. Une phase de mise au point et de test in situ serait susceptible d’intéresser de nombreux territoires. Le Gers pourrait, avec d’autres, y participer.

La reconnaissance de la valeur environnementale produite par les pratiques culturales n’est à ce jour pas possible dans le cadre de l’Organisation mondiale du commerce, l’OMC, mais, pour nous, les PSE devraient être traités à l’aune des engagements de la Conférence des parties, donc être classés comme des aides de type « boîte verte », selon la nomenclature de l’OMC.

À nos yeux, les MAEC et les PSE sont deux outils complémentaires. La mise en place des seconds ne saurait impliquer une disparition non plus qu’une diminution à court terme des budgets consacrés aux premiers.

Les récentes propositions législatives de la Commission européenne pour la future PAC semblent ouvrir la voie à la possibilité de création de ces PSE au sein du premier pilier, par exemple au titre du dispositif appelé « eco-scheme ».

Notre position est la suivante : tant que la question des prix payés aux producteurs ne sera pas réglée, donc que les paiements directs seront indispensables, les PSE ne pourront pas se substituer à ces derniers. Selon nous, ils devront être financés sur des fonds environnementaux spécifiques. En tout état de cause, n’attendons pas l’Europe pour entamer des actions concrètes, fussent-elles expérimentales !

En demandant au Gouvernement d’engager cette démarche et de mettre en débat le dispositif, nous ne prenons aucun risque. Il s’agit d’améliorer un peu le revenu des agriculteurs, tout en répondant aux enjeux sociaux, sociétaux, territoriaux et environnementaux qui s’imposent à nous collectivement. C’est à cela que peuvent contribuer les PSE.

Je n’ai pas le temps de développer plus avant la présentation de cette proposition de résolution, mais je vous invite à vous prononcer sur ce qu’elle contient réellement, et non sur autre chose.

Nous sommes très prudents, et ce texte vise d’abord à demander au Gouvernement de s’engager concrètement sur le sujet, dans l’intérêt premier des agriculteurs et de l’agriculture française. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain. – Mme Patricia Schillinger et M. Bruno Sido applaudissent également.)

Mme la présidente. La parole est à M. Laurent Duplomb. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. Laurent Duplomb. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, à la lecture de la proposition de résolution sur la création de paiements pour services environnementaux rendus par les agriculteurs, comme à l’écoute des propos de notre collègue Franck Montaugé certaines des idées qui fondent ce texte peuvent paraître séduisantes. Il n’en reste pas moins qu’elles sont potentiellement très dangereuses pour l’avenir de notre agriculture française.

Je partage totalement l’idée qu’il faut arrêter de stigmatiser notre agriculture, car cela ne conduit qu’à monter les gens les uns contre les autres, à mépriser le travail de nos agriculteurs et à créer une véritable psychose chez nos agriculteurs, poussant, trop souvent, certains d’entre eux à commettre l’irréparable.

Nos agriculteurs travaillent plus de soixante-dix heures par semaine, et certains, comme les éleveurs, sept jours sur sept. Dans une société qui perd petit à petit le sens de la valeur travail et le goût de l’effort, ils sont sans cesse critiqués et traités de chasseurs de primes, de pollueurs et d’empoisonneurs. C’est insupportable pour eux !

L’agri-bashing paraît sans limites ; il est poussé par une démagogie verte et s’appuie sur des totems qu’il est urgent d’abattre, comme l’idée selon laquelle il faudrait supprimer le glyphosate, malgré l’absence d’étude préalable et de méthode alternative efficace. Tout cela évoque l’obscurantisme plus que le progrès ! L’identification, par une énième ONG, de prétendues fermes-usines, est une insulte de plus au modèle agricole français.

Or ce modèle a su maintenir une agriculture répartie sur la totalité de notre territoire, même dans des zones où la concurrence mondiale et les handicaps naturels auraient facilement pu la conduire à disparaître. C’est un modèle qui favorise le maintien d’un maximum d’agriculteurs, grâce à une politique forte d’aide à l’installation et de soutien à l’agriculture familiale.

Mes chers collègues, cette démagogie n’est plus tenable. Nous ne pouvons plus continuer à souffler sur les braises. Malheureusement, je crains que cette proposition de résolution ne le fasse pourtant une fois de plus ! En effet, pourquoi chercher à reconnaître des services rendus à l’environnement par l’agriculture, alors que celle-ci y contribue déjà beaucoup ?

M. Franck Montaugé. Pour payer ces services !

M. Laurent Duplomb. Certes, le système alimentaire mondial est responsable d’un tiers des émissions de gaz à effet de serre. En revanche, la France occupe depuis trois ans la première place du classement de l’index de durabilité des systèmes alimentaires.

Mes chers collègues, contrairement à ce que l’on entend souvent, nous sommes déjà exemplaires !

M. Bruno Sido. Et alors ?

M. Laurent Duplomb. Le risque d’une diminution importante du budget de la PAC se profile, annonçant une possible déstabilisation de la « ferme France ». Pourquoi, dès lors, amplifier ce mouvement par une ponction sur le premier pilier pour financer ces mesures agro-écolo-bobo-environnementales ? (Sourires sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. Franck Montaugé. Ce n’est pas ce que nous demandons !

M. Laurent Duplomb. Pourquoi mettre cette résolution sur la table avant les négociations du budget de la PAC, comme si nous étions pris dans une course effrénée au concours Lépine de l’idée qui lave plus vert que vert ? Ce texte nous placerait-il en meilleure position dans les discussions budgétaires ? Je ne le crois pas.

Bien au contraire, il indiquerait que nous acceptons déjà la subsidiarité, qui nous conduirait vers une Politique agricole commune de moins en moins commune et qui accentuerait encore les écarts de compétitivité entre notre agriculture française et celles des autres pays européens concurrents.

Pourquoi prétendre donner l’exemple avec cette résolution, alors que nous sommes déjà exemplaires ?

Ce texte semble s’adresser une fois de plus à cette minorité d’éternels insatisfaits qui n’a pas assez d’objectivité pour reconnaître les progrès qu’a réalisés notre agriculture. Celle-ci a pourtant su nous fournir une alimentation en qualité et en quantité suffisante, ce que, partout sur la planète, les autres États cherchent inlassablement à réussir.

Méfions-nous, mes chers collègues, l’autonomie alimentaire de la France n’est pas un fait acquis. À cause de condamnations répétées, doublées d’un manque de lucidité politique, nous ne sommes déjà plus autosuffisants pour certaines productions. Nous laissons ainsi la place à des produits d’importation dans nos assiettes, sans que personne – particulièrement pas ces éternels insatisfaits – critique le fait qu’ils ne répondent pas à nos normes de production.

Mes chers collègues, j’en appelle à votre responsabilité et à votre bon sens. Laissons enfin nos agriculteurs tranquilles ! Arrêtons de chercher toujours à leur mettre des boulets aux pieds, tout en leur demandant de courir le cent mètres !

Cette profession, qui me passionne, en a assez de toutes ces normes et de tous ces clichés. Plutôt que de la contraindre sans cesse, laissons-la faire ce qu’elle fait le mieux : cultiver et élever, en tenant compte des vicissitudes de la nature, afin de nourrir dignement son peuple !

Je ne voterai donc pas cette résolution, et je vous appelle à faire de même, car je suis agriculteur, et non jardinier de la nature ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. Bruno Sido. Je ne suis pas d’accord !

Mme la présidente. La parole est à Mme Patricia Schillinger.

Mme Patricia Schillinger. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, cette proposition de résolution en faveur de la création de paiements pour les services environnementaux rendus par les agriculteurs tient compte à la fois du contexte mouvant et instable que subissent chaque jour les agriculteurs, ainsi que de la nécessité de chercher de nouveaux outils au service de la protection environnementale.

Ces paiements récompenseraient donc les externalités positives de notre agriculture en faveur de l’environnement. Celles-ci regroupent les influences directes et positives du travail agricole, au-delà de l’activité agricole en elle-même, notamment la séquestration de C02, l’entretien des écosystèmes ou la protection contre des maladies.

Notre groupe admet l’intérêt du texte soumis au vote par nos collègues du groupe socialiste et républicain. Nous soutenons, par ailleurs, une approche plus large des externalités positives, qui inclut non seulement les points considérés dans cette proposition, mais également l’ensemble des effets positifs de notre agriculture, tels que la création d’emplois ou la contribution à l’attractivité des espaces ruraux et à leur développement.

Nous nous placerions ainsi au croisement de trois problématiques majeures de la politique agricole : le soutien à la transition environnementale, le développement rural, enfin – ce n’est pas le moins important – la garantie de revenus décents issus de l’activité agricole. Il nous faut donc analyser les politiques mises en œuvre jusqu’à présent pour relever les défis actuels et futurs en matière de santé, d’environnement, de lutte contre le changement climatique, de protection de la biodiversité et, plus largement, d’adaptation aux nouvelles attentes sociétales.

Nous devons, enfin, identifier des pistes vers un modèle agricole permettant de mieux prendre en compte les externalités positives d’une agriculture capable de dégager des revenus viables pour tous les agriculteurs.

Nous sommes d’accord, la PAC a atteint ses limites et, malgré un soutien moyen de 30 000 euros par agriculteur, elle ne parvient à endiguer ni la baisse continue du nombre d’exploitants agricoles ni leur appauvrissement. Ainsi, quelque 30 % d’entre eux avaient un revenu inférieur à 350 euros par mois en 2016, selon la mutuelle sociale agricole, la MSA.

Le régime de paiement de base – ou paiement vert – offre un exemple des mesures employées par les pouvoirs publics. Il constitue un outil de poids de la PAC pour assurer un niveau de vie équitable aux agriculteurs et représente 30 % de son budget. Cependant, en mars 2018, la Cour des comptes européenne a conclu, dans un rapport d’évaluation, que, si ce régime fonctionne, il a un trop faible impact.

En juin dernier, le Sénat adoptait une résolution européenne en faveur de la préservation d’une Politique agricole commune forte. Cette résolution « rappelle l’importance de valoriser les externalités positives de l’agriculture, en particulier son potentiel de stockage de carbone, au regard des services rendus, tant à l’égard de la société que de l’environnement, ce qui devrait valoir aux agriculteurs une rémunération mieux conçue et plus simple des biens publics qu’ils produisent ».

Alors même que, au début des négociations, la Commission européenne envisageait une baisse du budget global de la PAC, le ministère de l’agriculture et de l’alimentation s’est engagé à « défendre fermement et sans relâche un budget à la hauteur des défis que l’agriculture européenne doit relever ».

Les attentes environnementales de la part des agriculteurs comme de la population, la volonté des agriculteurs de tirer de meilleurs revenus de leur activité et les souhaits des consommateurs, qui achètent toujours plus d’aliments issus de l’agriculture biologique, nous poussent vers un nouveau modèle économique, social et environnemental qui reste à construire et qui devra favoriser la transition écologique du monde agricole et la durabilité des revenus des agriculteurs.

Pour toutes ces raisons, les membres du groupe La République En Marche portent un regard bienveillant sur cette proposition de résolution. Nous considérons qu’elle pourrait aller plus loin, mais nous voterons en faveur de son adoption. (Applaudissements sur les travées du groupe La République En Marche, ainsi que sur des travées du groupe socialiste et républicain.)

Mme la présidente. La parole est à Mme Cécile Cukierman.

Mme Cécile Cukierman. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, à l’heure où commence l’examen de cette proposition de résolution, la question de l’impact de l’activité agricole sur l’environnement est plus que jamais au cœur des débats politiques et sociaux, en France et en Europe.

À cet égard, la nécessité d’une transition agroenvironnementale a été particulièrement soulignée lors des derniers États généraux de l’alimentation, mais aussi lors de la discussion du projet de loi pour l’équilibre des relations commerciales dans le secteur agricole et alimentaire et une alimentation saine, durable et accessible à tous, qui en est issu, au Sénat comme à l’Assemblée nationale.

Ainsi, la sécurité alimentaire, la santé publique, le bien-être animal ou la préservation des milieux naturels et de la ressource en eau sont aujourd’hui des défis que le monde agricole doit relever.

Si la nécessité de transformer en profondeur notre modèle agricole pour une agriculture plus respectueuse de l’environnement est un impératif indiscutable, nous devons toutefois y consacrer les moyens nécessaires. C’est dans ce cadre qu’il faut appréhender les débats sur les paiements pour services environnementaux, très en vue au niveau européen dans le cadre de la négociation de la future PAC et dont il est question dans cette proposition de résolution présentée au nom du groupe socialiste et républicain.

Que contient ce texte ? Sur le modèle de ce qui a été fait, par exemple, au Costa Rica, il vise à inciter les grandes entreprises agroalimentaires à mettre en œuvre le principe « zéro déforestation ».

Dans les faits, il s’agit de rémunérer les agriculteurs qui adopteraient des pratiques favorables à la préservation de l’environnement. Ce dispositif repose sur des contrats pouvant impliquer des acteurs privés, tels que des propriétaires fonciers, des entreprises ou des associations et des acteurs publics. L’intention de départ est donc très bonne.

Notons toutefois qu’il existe déjà un mécanisme pouvant être assimilé à un dispositif de type PSE, en Europe et en France : les mesures agroenvironnementales et climatiques de la politique agricole commune. Franck Montaugé a souligné la possible complémentarité de ces MAEC et du dispositif qu’il propose ; il n’en demeure pas moins que ces mesures offrent déjà des possibilités d’agir.

Dans le cadre des MAEC, l’agriculteur s’engage à respecter des pratiques environnementales précises allant au-delà de la réglementation, en contrepartie de quoi l’administration lui verse un financement public couvrant les coûts supplémentaires entraînés par ces pratiques et les pertes de revenu, ainsi que les coûts de transaction.

Les auteurs de la proposition de résolution entendent faire autrement : il ne s’agirait plus, comme aujourd’hui, de compenser des surcoûts ou des manques à gagner, mais de rémunérer une pratique environnementale à travers un financement public ou privé.

M. Jean-Claude Tissot. Non, ce n’est pas cela !

M. Franck Montaugé. Ce n’est pas du tout cela !

Mme Cécile Cukierman. L’idée est séduisante, et le débat sur les PSE permet d’interroger la notion de bien commun, dans laquelle j’inclus bien évidemment l’environnement ; mais il soulève également des questions sur la notion de propriété foncière : quid de la transmission des contrats en cas de cession d’exploitation ? Bien plus, ce débat pose la question d’un réel accompagnement des agriculteurs dans la transition agroécologique.

Pour séduisants qu’ils soient, les PSE soulèvent des questions qui nous semblent occultées, en tout cas peu traitées, par la présente proposition de résolution. Ainsi, comment éviter les effets d’aubaine ou l’éco-opportunisme ? Les PSE ne sont intéressants que si tout risque de chantage environnemental – si vous ne me payez pas, je détruirai – est écarté et si tous les agriculteurs peuvent potentiellement en bénéficier.

De plus, comme le soulignent certains, la généralisation des PSE pourrait entraîner la disparition de pratiques désintéressées participant à la protection de la nature : dès lors qu’une rémunération peut être envisagée, pourquoi ne pas en profiter ? Peut-être aussi deviendrait-il de plus en plus difficile de mettre en place des normes environnementales, du fait, notamment, du principe de contractualisation, qui s’appliquerait au détriment des normes législatives.

Enfin, il faut être attentif à l’écueil consistant à voir dans la protection de l’environnement, à terme, l’unique justification de l’intervention publique en agriculture.

La correction des défaillances de marchés au fondement des crises économiques agricoles ne serait alors plus légitime, alors qu’elle justifie tout autant une intervention publique. Cette dernière action est d’autant plus nécessaire que les propositions aujourd’hui sur la table des négociations laissent présager une PAC beaucoup moins commune, dans laquelle les budgets seraient fortement réduits et on renoncerait à toute politique environnementale ambitieuse et globale.

Ces contrats PSE peuvent ainsi participer à une remise en cause de la vision publique de l’environnement et à la possibilité d’une privatisation – j’ose le mot – du droit de l’environnement.

Pour toutes ces raisons, la majorité des membres de notre groupe ne votera pas cette proposition de résolution, qui, sans garde-fou, risque de laisser de nombreux agriculteurs en dehors du dispositif.

Nous pensons qu’il faut développer une réflexion alternative, ainsi qu’il a été précédemment évoqué, notamment autour du concept de rémunération des externalités positives, qui prend en compte l’environnement, mais aussi les avantages sociaux, la dimension humaine, l’aménagement du territoire et, finalement, le lien entre territoires ruraux, pratiques agricoles et défis climatiques à venir.

Selon nous, le passage d’un modèle intensif à un modèle vertueux doit être largement soutenu. Pour autant, la majorité d’entre nous pensent que cela ne passe pas par le dispositif proposé, tel qu’il est aujourd’hui conçu. La plupart d’entre nous s’abstiendront donc sur cette proposition de résolution. (Applaudissements sur les travées du groupe communiste républicain citoyen et écologiste.)

Mme Éliane Assassi. Très bien !

Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Claude Tissot.

M. Jean-Claude Tissot. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, pour être rentable, une exploitation agricole doit-elle nécessairement être négative pour l’environnement, la qualité nutritionnelle des produits et la santé de celles et ceux qui y travaillent ? Évidemment non !

Par cette proposition de résolution, nous souhaitons faire reconnaître l’action positive que cherchent à mener de nombreux agriculteurs pour la santé, l’environnement et l’aménagement du territoire. À nos yeux, cette reconnaissance doit être double : morale et économique.

On n’a jamais tant parlé d’agriculture, mais on n’en a jamais aussi mal parlé. Les images qui y sont associées dans les médias depuis quelques années ont très souvent une dimension négative : maltraitance animale, pesticides, scandales alimentaires. Le fossé semble se creuser toujours plus entre la population et ceux qui la nourrissent.

Les attentes grandissantes de nos concitoyens en matière de préservation de l’environnement et de sécurité alimentaire sont légitimes. Elles sont même essentielles, car c’est l’opinion publique qui nous pousse à transformer en profondeur notre modèle agricole.

Ce modèle, hérité de l’après-guerre, a été construit pour répondre à une préoccupation unique : produire suffisamment pour nourrir la génération du baby-boum.

Le modèle vers lequel nous devons désormais tendre doit répondre à une exigence qualitative et plus seulement quantitative. En effet, qui peut se satisfaire de la pente qui nous mène toujours plus vers une alimentation à deux vitesses, saine pour les plus fortunés, bas de gamme pour les plus pauvres ? Personne !

De nombreux agriculteurs n’ont pas attendu le législateur pour améliorer l’efficacité agronomique et environnementale de leurs pratiques. Toutefois, ces actions positives restent trop méconnues – j’allais dire : invisibles. Par la création de paiements pour services environnementaux, nous pouvons donner de la visibilité à des pratiques qui ont déjà cours, en complément, comme l’a très bien expliqué M. Franck Montaugé, des aides directes existantes.

Au-delà de cette juste reconnaissance symbolique, il y a une nécessité beaucoup plus terre à terre : améliorer la rémunération des agriculteurs qui font des efforts, parfois des sacrifices, au service de l’intérêt général, et ainsi en inciter d’autres à les rejoindre.

Nous ne pouvons plus laisser nos agriculteurs seuls face à ce dilemme permanent : utiliser des intrants dangereux et polluants, dont ils sont les premières victimes, ou tirer le diable par la queue mois après mois – d’autant que, nous le savons tous, l’un n’empêche pas l’autre… Trop souvent, des agriculteurs qui souhaiteraient sincèrement aller vers des modes de production plus sains en sont dissuadés par les coûts suscités par une telle conversion.

Il existe, bien sûr, quelques outils pour accompagner ces transitions – cela a déjà été souligné. Je pense notamment aux mesures agroenvironnementales et climatiques. Elles vont dans le bon sens, mais restent insuffisantes. Pour inciter durablement à une modification en profondeur des pratiques, nous devons valoriser de manière permanente les effets positifs de l’agriculture sur l’environnement.

Nous savons que la politique agricole commune est à un tournant. Elle sera nécessairement touchée par les conséquences d’un Brexit qui n’en finit pas de se conclure. En tant que grande puissance agricole au sein de l’espace européen, la France a une responsabilité particulière pour orienter la prochaine PAC vers un soutien plus affirmé aux bonnes pratiques. Nous souhaitons que notre pays se rende à la table des négociations avec dans sa besace des propositions concrètes pour aider mieux, si ce n’est plus, le monde agricole.

Ainsi, les PSE représentent plus que jamais une opportunité de concilier différents impératifs. Les agronomes ont d’ores et déjà construit le logiciel du modèle agricole vers lequel nous devons tendre : la rotation des cultures, le travail du sol ou les herbicides naturels sont autant d’alternatives aux produits chimiques qui abîment la terre et les hommes. Ils nous proposent un modèle non seulement plus respectueux de notre planète, mais qui créera aussi plus d’emplois et améliorera les conditions de travail de nos agriculteurs.

En tant que législateurs, nous n’avons pas à inventer le modèle agricole de demain. En revanche, il est de notre devoir de tout faire pour le rendre possible ! La création de paiements pour services environnementaux rendus par les agriculteurs serait un premier pas sur cette voie.

Mes chers collègues, un tel enjeu justifie de dépasser la couverture qui porte le nom des auteurs de la proposition de résolution et de leur groupe, pour se prononcer sur le contenu proposé, sans dogmatisme ni préjugés. Parce que, comme notre collègue Duplomb, je suis agriculteur et pas jardinier de la nature, je vous invite à voter ce texte ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain.)

Mme la présidente. La parole est à M. Joël Labbé.

M. Joël Labbé. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, je tiens tout d’abord à saluer l’initiative du groupe socialiste de nous soumettre cette proposition de résolution en faveur de la création de paiements pour services environnementaux. À mon sens, cette proposition tombe au bon moment, et cela à plusieurs titres.

Les paiements pour services environnementaux suscitent des attentes fortes de la part de bon nombre d’agriculteurs, ainsi que d’associations environnementales et citoyennes. Ces attentes font suite aussi à l’engagement du Président de la République, que, monsieur le ministre, vous avez tout récemment confirmé, mais dont la mise en œuvre continue d’inspirer des inquiétudes.

Au niveau européen, au vu de l’état actuel des négociations, on peut s’interroger sur l’ambition de la nouvelle programmation, notamment sur le plan de la transition agroécologique.

Au niveau national, la fin du cofinancement de l’aide au maintien en agriculture biologique, qui était pourtant une forme de PSE, a envoyé un très mauvais signal. Il est vrai, monsieur le ministre, que vous n’étiez pas encore en fonction lorsqu’elle a été décidée.

Par ailleurs, l’enveloppe de 150 millions d’euros sur trois ans allouée aux agences de l’eau reste insuffisante, comme le rappellent les auteurs de la proposition de résolution.

Cette proposition est donc une occasion de réaffirmer qu’il est essentiel que la France défende une position forte dans les négociations européennes. Elle est aussi une occasion de rappeler que, si la France veut être crédible dans ces négociations, elle se doit de mettre en œuvre sur son territoire une politique ambitieuse dans ce domaine.

Il me faut encore une fois le rappeler : à l’heure du dérèglement climatique, de l’effondrement de la biodiversité et des atteintes à la qualité de l’eau, de l’air et des sols, mais aussi de la crise des revenus agricoles, la réorientation de notre modèle agricole est urgente !

Les PSE peuvent, et doivent, comme le soulignent les auteurs de la proposition de résolution, constituer la base d’un nouveau contrat entre l’agriculture et la société, en même temps qu’un outil au service du changement des pratiques agricoles. Il faut toutefois donner un contenu précis à ce concept, dont la définition n’est pas encore stabilisée.

J’ai coorganisé, vendredi dernier, au Sénat, un séminaire sur ce sujet, en partenariat avec la plateforme Pour une autre PAC, qui rassemble trente-trois organisations, à la fois des associations et syndicats de producteurs et d’agriculteurs, des associations environnementales, des associations de solidarité internationale et d’autres de citoyens consommateurs.

Leur position sur les PSE recoupe en partie cette proposition de résolution, mais va plus loin : les PSE doivent rémunérer des pratiques concrètes, dont l’effet positif sur l’environnement est avéré ; ils ne doivent pas rémunérer une simple limitation d’impacts négatifs – c’est le rôle des outils d’accompagnement au changement de système, comme les MAEC.

À ce titre il est essentiel, comme le signalent les auteurs de la proposition de résolution, que la mise en place des PSE ne signifie pas une diminution de l’enveloppe budgétaire des outils d’accompagnement à la transition.

Au regard des éléments ressortis, pour moi, de ce séminaire, cette proposition de résolution reste donc incomplète.

Au niveau budgétaire, la proposition de résolution ne s’engage pas sur la part qui devra être consacrée aux PSE : pour la plateforme avec laquelle nous avons travaillé, il faudrait, pour être efficace, mettre de l’ordre de 40 % du premier pilier au service de ce dispositif.

La plateforme propose également qu’une place soit accordée à l’agriculture biologique dans ces PSE. En effet, ce mode de production a des effets positifs avérés sur les écosystèmes. Le texte semble un peu timide sur ce plan.

Je trouve aussi que la proposition de résolution aurait dû avancer des pistes plus concrètes pour définir des pratiques ambitieuses méritant d’être rémunérées. Je pense au captage du carbone via le maintien des prairies permanentes en lien avec l’élevage à l’herbe, à un linéaire de haie bocagère important et aux pratiques de l’agroforesterie, sans oublier le maintien d’un couvert végétal permanent,…

M. Didier Guillaume, ministre de lagriculture et de lalimentation. Eh oui !

M. Joël Labbé. … sans utilisation de glyphosate, évidemment !

Songeons aussi à l’allongement des rotations de cultures diversifiées. À titre d’exemple, la réglementation appliquée en Suisse, qui nous a été présentée vendredi dernier, rend impossible la monoculture de maïs.

Le paiement pour des pratiques favorables au bien-être animal répondrait également à une attente sociétale forte. Au reste, ces pratiques sont le plus souvent efficaces sur le plan de l’environnement.

Un autre sujet important n’est pas abordé par la proposition de résolution : la nécessaire simplicité du système. Les contrôles PAC sont aujourd’hui une source d’angoisse pour les agriculteurs, qui n’en ont pas besoin. Une politique efficace doit susciter la confiance.

Rappelons aussi, monsieur le ministre, que nombre d’aides PAC n’ont pas encore été payées, notamment les aides bio et les MAEC.

M. Didier Guillaume, ministre. En effet !

M. Joël Labbé. Il s’agit, là aussi, d’une situation dont vous héritez ; mais il y a urgence à agir !

Malgré les limites que je viens d’exposer, cette proposition de résolution arrive au bon moment pour donner une impulsion sur le sujet. Si elle insiste sur l’importance de la mobilisation des syndicats agricoles, des collectivités territoriales et du Gouvernement, je souhaite ajouter à cette liste les citoyens et les ONG, qui ont un rôle à jouer pour peser sur les nécessaires changements de cap.

Enfin je voudrais rappeler l’idée avancée par Nicolas Hulot, que l’on n’a pas tout à fait oublié : pour réussir une politique agricole et alimentaire aboutie, un copilotage de la PAC entre les ministères de l’agriculture et de la transition écologique et solidaire serait une absolue nécessité.

Pour ma part, je voterai la proposition de résolution. Quant à la majorité des membres de mon groupe, où il y a toujours liberté de vote, ce qui est très respectable, elle prendra position en fonction de nos débats. (Applaudissements sur les travées du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen, ainsi que sur des travées du groupe socialiste et républicain.)

Mme la présidente. La parole est à M. Pierre Louault.

M. Pierre Louault. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous débattons cet après-midi de la question intéressante du paiement des services rendus par les agriculteurs dans le domaine environnemental. Sur le constat de départ, je crois que nous n’avons pas de mal, dans cet hémicycle, à nous accorder, tant les difficultés de l’agriculture française sont vives et non résolues.

J’ai eu l’occasion, ces jours derniers, de m’entretenir avec un certain nombre d’agriculteurs et de représentants syndicaux de cette proposition de résolution. Ils m’ont presque ri au nez, me disant : il existe déjà, depuis un certain nombre d’années, des mesures proches de ce qui est contenu dans la résolution ; et aujourd’hui, tous les agriculteurs volontaires, tous ceux qui font le plus d’efforts vers une révolution environnementale, tous ceux-là n’ont toujours pas perçu ce qui est leur est dû par l’Europe comme par l’État français… Ils ont ajouté : vous avez vraiment du temps à perdre, et je crois que vous vous moquez un peu de nous !

Des agriculteurs qui font le travail, qui s’investissent, qui avancent, depuis trente ans pour certains, sur les technologies permettant déjà de réduire de moitié par rapport à l’agriculture conventionnelle l’usage des pesticides, tous types confondus, attendent depuis deux ans, d’abord, d’être payés pour le travail accompli et, ensuite, de recevoir un minimum de reconnaissance de la Nation et de tous.

Cette proposition de résolution, certes louable – nous n’en discutons même pas –, les agriculteurs disent que c’est vers cela qu’il faut tendre à terme, mais qu’il faut commencer par porter un minimum de reconnaissance à l’agriculture qui fait des efforts énormes, à ceux qui travaillent en profondeur et non de leur salon, à ceux qui ne sont pas des donneurs de leçons (Mme Patricia Schillinger sexclame.), mais font avancer l’agriculture au quotidien ! Ceux-là, aujourd’hui, n’ont ni reconnaissance financière ni reconnaissance morale de la Nation.

Ce qu’attendent les agriculteurs aujourd’hui, ce n’est pas une énième loi ou une énième résolution, surtout pas une résolution dont l’adoption, de l’aveu même de ses auteurs, aboutirait à une complexité dans les règles, alors que la complexité actuelle fait déjà boguer les ordinateurs du ministère de l’agriculture… C’est cette complexité qui est en cause !

À un moment, dans cet hémicycle, au ministère et dans les milieux environnementaux, il va falloir prendre le temps d’écouter un peu aussi les agriculteurs, de voir ceux qui font des efforts et ont acquis des connaissances environnementales depuis trente ans d’expérience, mais ne sont pas écoutés.

L’orateur précédent a parlé de l’avenir de la technique du couvert végétal. Les agriculteurs disent : oui, dans quatre, cinq ou dix ans, nous n’aurons peut-être plus besoin de pesticides, mais, aujourd’hui, si vous nous enlevez le glyphosate, c’est comme si vous enleviez le cuivre ou la chaux en agriculture biologique. Voilà la réalité, que les utopistes nient et ne veulent pas reconnaître !

Il faut simplifier véritablement les procédures. Robuchon le disait, le summum de la cuisine, c’est la simplicité du plat. Eh bien, je crois que le summum d’une réglementation environnementale pour l’agriculture, ce sera la simplicité des mesures appliquées, à rebours de la complexité que vous défendez tous, les uns et les autres. Pour ma part, je considère avec beaucoup de perplexité et de douleur la manière dont, dans les hémicycles, on s’acharne quelquefois à complexifier des lois qui, au départ, partent d’un bon état d’esprit, un état d’esprit simple.

Tout d’abord, les agriculteurs ont besoin de mesures rapides et efficaces qui leur permettent de travailler et de gagner leur vie. Là est l’urgence absolue. Prendre d’autres mesures est pris un peu comme une provocation.

Ensuite, ils sont d’accord pour une agriculture européenne qui applique ces mesures environnementales, en tirant toute l’agriculture européenne vers le haut et sans pénaliser l’agriculture française. Prendre des mesures franco-françaises et s’imaginer que nous pouvons laver plus blanc que blanc, que nous sommes les meilleurs au monde dans les lois, c’est une utopie qui condamne notre agriculture à disparaître.

C’est comme de s’imaginer qu’on peut avoir une agriculture pastorale avec un élevage de loups bien dressés pour venir manger les moutons tous les jours… On ne peut pas avoir la chèvre et le chou dans le même parc !

À cet égard, il faut prendre le temps d’écouter un minimum les agriculteurs qui s’investissent énormément, mais aussi un peu les scientifiques. J’ai eu l’occasion d’entendre des chercheurs de l’INRA, qui disent : « Pour les loups, vous êtes fous ! »

D’autres pays connaissent les loups et savent comment en avoir, y compris dans leur espace agricole, mais les méthodes à la française ne tiennent pas debout : regardez ce qui se passe dans les autres pays du monde, et vous verrez que des loups en nombre raisonnable peuvent vivre en même temps qu’une agriculture pastorale. En France, nous ne savons pas faire, parce que nous nous imaginons qu’il suffit de légiférer pour que tout aille bien.

Mes chers collègues, je vous suggère d’attendre pour cette révolution. Je proposerai à mes collègues du groupe Union Centriste de ne pas voter cette proposition de résolution, qui arrive trop tôt : réglons d’abord nos problèmes d’aujourd’hui, puis adoptons une résolution au moment de la réforme de la politique agricole commune ; battons-nous pour une agriculture européenne, mais ne sacrifions pas l’agriculture française au bénéfice de quelques idéologies ! (Applaudissements sur les travées du groupe Union Centriste et du groupe Les Républicains. – Mme Éliane Assassi sexclame.)

Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Pierre Decool.

M. Jean-Pierre Decool. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, l’agriculture française et européenne fait face et devra répondre dans les prochaines années à des défis majeurs : une demande alimentaire en hausse, plus diversifiée et plus exigeante en qualité, une concurrence internationale accrue et un contexte économique instable, la révision de la PAC, une pression foncière constante et la recherche d’une contribution positive à la préservation des territoires et des ressources naturelles.

Des réformes ont déjà été menées ; d’autres sont en cours, aux niveaux européen et national. Il nous faudra être innovants, plus que jamais, sur les réponses à apporter pour satisfaire les attentes de la société et soutenir nos agriculteurs.

La présente proposition de résolution soulève une question fondamentale sur l’avenir de notre agriculture, son rôle, son évolution et la meilleure façon pour les pouvoirs publics de la soutenir, tout en répondant aux nouveaux défis sociétaux, environnementaux et économiques.

La création de paiements pour services environnementaux afin de valoriser les externalités positives semble aller dans le bon sens. Premiers utilisateurs des territoires, les agriculteurs jouent un rôle fondamental dans la gestion de nos paysages, la préservation de la biodiversité et la lutte contre le changement climatique. Or force est de constater que ces services rendus, ces actions du quotidien, dont la portée environnementale est indéniable, sont trop rarement pris en compte et rémunérés à leur juste valeur.

L’État les a timidement pris en considération dans son plan biodiversité, tout comme les régions dans leur soutien à l’agriculture biologique, par exemple, mais cela reste beaucoup trop restreint. D’autant que les externalités positives des agriculteurs sont beaucoup plus importantes et variées qu’il n’y paraît !

L’agriculture aménage et façonne le territoire ; elle se nourrit des richesses naturelles. De par son importance, l’activité agricole influe directement sur l’ensemble des enjeux environnementaux. Élément majeur des paysages, elle influence la biodiversité, les sols et la ressource en eau. Elle est également au cœur de l’enjeu du réchauffement climatique et représente un potentiel de production d’énergies renouvelables intéressant.

Il est aujourd’hui fondamental d’impliquer et de faire reconnaître l’agriculture dans les enjeux d’aménagement du territoire et de préservation de l’environnement, au travers d’un soutien plus pertinent.

Parmi les territoires agricoles les plus intéressants en termes de biodiversité, je voudrais mentionner les zones humides : marais littoraux, vallées alluviales, zones humides intérieures et tourbières.

Signataire de la Convention de Ramsar en 1971, la France l’a ratifiée en 1986. Ce traité a pour mission la conservation et l’utilisation rationnelle des zones humides par des actions locales, régionales et nationales. À ce jour, quarante-huit sites s’étendent en France sur une superficie de plus de 3,6 millions d’hectares, en métropole et outre-mer. Ces milieux abritent près de 45 % des espèces menacées en France métropolitaine.

Pourtant, malgré plusieurs plans nationaux successifs, leur disparition et leur dégradation se poursuivent, sous l’effet de plusieurs menaces : intensification agricole, endiguement des cours d’eau, urbanisation ou simplement abandon.

Ma grande région compte plusieurs de ces sites Ramsar, parmi lesquels le marais audomarois, qui abrite 1 050 hectares de prairies humides, 436 hectares de terres maraîchères et 171 hectares de roselières ; on y produit cinquante variétés de légumes. Comme toute zone humide, le marais audomarois est un atout pour sa région, mais subit de nombreuses pressions liées aux activités humaines. Il est sans doute le témoin, rare, d’un équilibre réussi, mais fragile entre la nature et les activités humaines.

Actuellement, les aides octroyées pour les zones humides ne diffèrent que très peu des aides classiques appliquées à l’échelon national et sont loin d’être suffisantes pour prendre en compte les spécificités de cette activité agricole et ses bénéfices pour la société. Les mesures agroenvironnementales ont simplement ralenti les dégradations subies, mais demeurent insuffisantes au vu des difficultés réelles et souvent croissantes en zone humide.

La richesse de ces milieux de transition en fait des leviers primordiaux dans la lutte contre les changements climatiques et pour l’adaptation au réchauffement. En conséquence, ils devront être pris en compte dans les nouvelles modalités, encore à inventer, d’aménagement des territoires, fondées sur les solutions par la nature.

Ces milieux sont au cœur des efforts que nous devons réaliser pour assurer à nos concitoyens une meilleure santé, une meilleure qualité de vie et un meilleur accès à l’eau. Ils peuvent permettre de développer une économie verte et de créer des emplois.

Je voudrais également dire un mot, monsieur le ministre, du système hydraulique des wateringues du Nord et du Pas-de-Calais, autre zone considérée comme humide. Ce système maintient hors d’eau un territoire de 900 kilomètres carrés situé plus bas que le niveau de la mer. Il est en grande partie entretenu par les agriculteurs, qui pourraient à ce titre percevoir des paiements pour services environnementaux.

Créer des paiements pour services environnementaux pour toutes ces zones, dont les polders, reviendrait à reconnaître leur grande plus-value et à mettre en avant le travail mené au quotidien par ceux qui les entretiennent et les préservent, à savoir les agriculteurs.

Une telle proposition s’inscrit parfaitement dans le cadre des travaux menés actuellement par mon collègue Jérôme Bignon, dans le cadre de la mission parlementaire sur la préservation des zones humides que lui a confiée le Premier ministre et dont les conclusions sont vivement attendues.

Pour les zones précitées, dont les charges de structure sont supérieures à la moyenne nationale, le groupe les Indépendants – République et Territoires soutient globalement, avec discernement, cette proposition de résolution visant à la fois le développement de nouvelles sources de revenus pour nos agriculteurs et la préservation de l’environnement et de nos ressources naturelles. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Indépendants – République et Territoires, du groupe La République En Marche et du groupe socialiste et républicain.)

Mme la présidente. La parole est à Mme Anne-Marie Bertrand.

Mme Anne-Marie Bertrand. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, victimes des changements climatiques, nos agriculteurs n’ont pas attendu l’État, ou encore l’Union européenne, pour se soucier de leur matière première, à savoir leurs terres, leur passion.

En région méditerranéenne, les incendies constituent un risque important. Mon collègue l’a dit, la gestion pastorale des milieux embroussaillés est un bel outil pour lutter efficacement contre les départs de feux.

Autre exemple, l’irrigation traditionnelle permet de préserver nos nappes phréatiques et les agriculteurs des Bouches-du-Rhône en savent quelque chose. Ils utilisent l’eau du Rhône et de la Durance grâce aux barrages construits dans les années cinquante et à de nombreux canaux : c’est le système dit « d’irrigation gravitaire » ou par submersion.

Bref, les initiatives sont là et portent leurs fruits. Elles ne les portent pas au nom d’une idéologie, mais au nom du bon sens, le bon sens paysan. Le département des Bouches-du-Rhône est le premier département français en agriculture biologique, ce qui témoigne d’une attention particulière à l’écosystème.

Une résolution part toujours d’une bonne intention – heureusement ! –, mais elle peut aussi décrédibiliser. Lorsqu’on me propose d’habiller Paul, je me demande toujours qui sera Pierre.

M. Franck Montaugé. Ce n’est pas du tout cela !

Mme Anne-Marie Bertrand. Souvent, dans cet hémicycle, nous rappelons à quel point nous devons veiller à ne pas créer des usines à gaz et à rester pragmatiques. Nos agriculteurs nous le disent, ils ne veulent pas d’aides, ils veulent vivre de leur travail. Ils sont toujours enclins à préserver nos ressources, puisqu’elles sont, je le rappelle, leur matière première. Pour ce faire, il faut cependant des alternatives.

« Marchandiser » les « services environnementaux » rendus par les agriculteurs pose également des questions d’ordre philosophique. Finalement, c’est remercier les agriculteurs de respecter l’environnement en les rémunérant. Par défaut, cela signifie qu’un agriculteur ne souhaite pas préserver l’environnement.

M. Claude Bérit-Débat. N’importe quoi !

Mme Anne-Marie Bertrand. S’agissant de la manière de procéder, de nombreuses questions se posent. Si un exploitant souhaite contractualiser avec une collectivité pour services environnementaux, cela pose la question des marchés publics. Quels critères pour établir un juste prix ? Qui contrôlera ? Comment contrôler ? Peut-on parler d’obligations de résultat lorsqu’on dépend d’aléas climatiques ?

Ce que certains appellent les « externalités positives » doit devenir la norme. Sanctionnons plutôt les externalités négatives, quand des alternatives existent. Pour ce faire, concentrons nos moyens dans la recherche et l’innovation. Nous y croyons pour l’agriculture de demain.

Pour conclure, l’enfer est pavé de bonnes intentions : ne faisons donc pas de notre droit un enfer pour nos agriculteurs ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – Exclamations sur les travées du groupe socialiste et républicain.)

Mme la présidente. La parole est à M. Henri Cabanel. (Vifs applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain.)

M. Henri Cabanel. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, dans l’Hérault, dans le milieu urbain autour de Montpellier, un automobiliste sur dix avait un gilet jaune sur le pare-brise. À Béziers, en zone rurale, neuf sur dix en avaient un.

Il faut parcourir la France pour comprendre le clivage qui s’est creusé entre l’urbain et sa périphérie, paupérisée, abandonnée. Quand on vit dans un village rural devenu un village-dortoir ayant perdu son âme tout autant que son identité, on comprend la fracture qui s’est faite lentement, sournoisement, sans bruit, entre les populations.

Je suis vraiment inquiet de la méconnaissance de cette mutation de nos villages et de la non-compréhension des enjeux sociaux, économiques, environnementaux et, bien évidemment, politiques. En effet, c’est dans nos villages ruraux que la montée de l’extrême droite est la plus forte.

C’est pourquoi je prône une vraie complémentarité entre l’urbain et le rural. Les bonnes intentions teintées de condescendance ne suffisent pas !

Au-delà des réformes sociales et fiscales qu’il faut engager avec courage pour répondre à cet appel au secours, il convient d’abord de concentrer les efforts sur les populations périphériques. Réconcilier les citoyens de l’urbain avec ceux du rural passera par une vraie prise de conscience par les urbains de la plus-value des territoires ruraux pour l’environnement. Les paiements pour services environnementaux en sont l’un des outils.

Cette proposition de résolution met en exergue un outil né dans les années 1990, mais jamais développé. On peut dire, comme notre collègue Pierre Louault, que c’est peut-être trop tôt. Pourtant, cela fait déjà trente ans !

Au cours de nos différentes auditions, nos interlocuteurs, de l’INRA à la FNSEA, ont rappelé que beaucoup ont travaillé sur ce sujet, mais sans jamais trouver de solutions.

Les agriculteurs français ont compris depuis des années les mutations auxquelles ils étaient confrontés et que Franck Montaugé a rappelées tout à l’heure : changements climatiques qui engendrent une augmentation des risques, instabilité des revenus, crise des vocations, le tout attisé par une pression sociétale sur fond d’un agri-bashing intolérable. En effet, s’il est facile de critiquer certaines pratiques, il est primordial de souligner la volonté de nombre d’agriculteurs qui se sont engagés dans une agriculture durable.

Si les enjeux sont évidents, les modalités sont plus complexes. En septembre 2017, votre ministère a reçu les résultats d’une étude menée par le Centre d’études et de prospective et Oréade-Brèche. Elle portait un regard croisé sur les mesures agroenvironnementales et les PSE.

Le « service environnemental » est défini, dans l’étude, comme « un système transparent pour une fourniture additionnelle de services environnementaux à travers des paiements conditionnels à des fournisseurs volontaires ». Mon cher collègue Laurent Duplomb, je me permets de souligner ce terme de « volontaires ».

Depuis 2017, silence radio. Les PSE en sont au même stade, à savoir une convergence positive, mais sans concrétisation. Car plusieurs questions se posent : le ciblage des agriculteurs, les critères de paiements, les montants accordés et les méthodes d’évaluation.

Nous avons conscience des difficultés, techniques tout autant que politiques, liées à ces problématiques. Car ce sont bien des choix politiques qui donneront une vraie impulsion aux PSE.

Ces derniers changent le paradigme de l’évaluation. Il s’agit non plus d’une obligation de moyens comme pour les MAE, les mesures agroenvironnementales, mais bien d’une obligation de résultat. C’est pourquoi les PSE reposent sur le seul volontariat des agriculteurs.

Toutefois, il n’est nullement question de superposer une norme et des contraintes à d’autres normes et contraintes. Il s’agit de donner la possibilité à des agriculteurs, qui sont persuadés du bien-fondé, pour l’environnement, de nouveaux modes de production, d’être rémunérés pour leurs choix vertueux. Les PSE reposent sur un degré d’acceptabilité, qui est essentiel.

Pour fixer le montant à payer aux agriculteurs, il faut identifier le coût d’opportunité, c’est-à-dire évaluer notamment la prise de risque pour le changement d’un système de production.

Il faudra ajuster le ciblage des mesures aux enjeux environnementaux des territoires : définir l’échelle, les parties prenantes et un taux de paiement réellement incitatif.

Je veux espérer que nos collègues sceptiques comprendront notre volonté d’apporter un revenu supplémentaire aux agriculteurs qui font des choix vertueux. Ces derniers doivent être réellement encouragés et soutenus.

Si c’est un message d’espoir et d’encouragement évident adressé à la filière, c’est également un message fort envoyé aux populations urbaines : l’environnement – les paysages, les forêts, le littoral, les sentiers –, dont elles bénéficient gratuitement, a un prix. Il est le fruit d’une protection collective, celle des pouvoirs publics, mais aussi de personnes privées, le plus souvent les agriculteurs tant décriés, qui y participent dans le plus grand anonymat. Ainsi les bergers ouvrent-ils les milieux et luttent-ils contre les incendies avec leurs gestes quotidiens. Je pense à l’écobuage, au brûlage et, bien évidemment, au pastoralisme, qui pourrait constituer une solution pour les territoires sortis des ICHN, les indemnités compensatoires des handicaps naturels, comme ceux du Gers ou de l’Aude.

Notre proposition de résolution, vous l’aurez compris, appelle donc l’État à mettre en œuvre dès maintenant, avec l’ensemble des parties prenantes, un cadre incitatif et des mesures concrètes pour développer les PSE dans nos territoires. De nombreux agriculteurs y sont prêts. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain et du groupe La République En Marche.)

Mme la présidente. La parole est à M. Vincent Segouin.

M. Vincent Segouin. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, la proposition de résolution déposée par nos collègues vise à créer des paiements pour services environnementaux rendus par les agriculteurs.

Il s’agit d’un nouvel outil d’aide aux agriculteurs destiné à créer de nouvelles ressources financières, faire face à l’instabilité des revenus et limiter la crise des vocations. Cette aide serait versée en échange de services rendus en faveur de l’environnement et serait complémentaire aux MAEC, les mesures agroenvironnementales et climatiques, mises en place en 2015.

Avant toute chose, j’aimerais rappeler l’objectif défini lors de la création des MAEC, qui sont financées par le Fonds européen de développement régional, le FEDER, et gérées par un pacte entre la région, l’État et la profession. Il s’agissait de développer de nouvelles pratiques agricoles combinant des performances économiques et environnementales, afin de préserver la qualité de l’eau, des biodiversités, des sols et de lutter contre les changements climatiques.

Il existe plusieurs types de MAEC, en fonction des exploitations par secteur et de l’environnement.

S’agissant des MAEC grandes cultures, les agriculteurs prennent l’engagement, pour en bénéficier, de diversifier leurs assolements, d’augmenter la durée des rotations et de réduire les intrants, produits azotés et phytosanitaires.

Pour ce qui concerne les MAEC des surfaces pastorales, elles ont pour objet d’aider financièrement les agriculteurs à maintenir les pâturages et les fauches d’herbe dans les milieux semi-naturels. Ainsi, nous améliorons la préservation de la qualité de l’eau, nous luttons contre l’érosion des sols et préservons la biodiversité.

Quant aux MAEC polyculture-élevage, ils visent à interdire le retournement de prairies naturelles, pour diminuer la part de maïs, céréale consommatrice d’eau, limiter l’achat de concentrés et revenir en autonomie alimentaire, et assurer la reprise et le maintien de ces exploitations dans des zones spécifiques. Enfin, il existe aussi des MAEC pour l’aide à la conversion ou au maintien en agriculture biologique.

Les mesures agroenvironnementales et climatiques ont réellement été créées pour obtenir des effets positifs sur les écosystèmes, avec une obligation de résultat. Elles ont été comprises par les agriculteurs, parce qu’elles œuvrent en faveur d’une agriculture raisonnée et de qualité, recherchée de plus en plus par les consommateurs.

Toutefois, elles ont été trop bien comprises ! En février 2017, un article de la France Agricole nous alertait sur les chèques en blanc signés dans le cadre des MAEC. Le FEDER alloué pour la période 2015 à 2020 a été épuisé dès la fin de 2016. Des acomptes ont été versés, mais les soldes engagés étaient ou sont versés avec trois ans de retard. Sans compter que les dossiers étaient relativement compliqués à remplir pour l’exploitant agricole, qui avait souvent recours à des organismes extérieurs et engageait donc des frais !

De plus, pour justifier les retards de paiement, les agriculteurs ont eu le sentiment que les contrôles étaient de plus en plus réguliers et de plus en plus sévères.

Trois ans pour toucher ces sommes ! Frappés par les crises du marché agricole, les agriculteurs se voyaient appliquer des majorations sur des paiements tardifs à la MSA, lesquelles dépassaient parfois l’aide promise et attendue. Ainsi, l’État, par le biais de la MSA, reprochait à l’agriculteur de ne pas régler ses factures à temps, alors que ce dernier attendait de l’État les aides promises.

Les MAEC ont ainsi perdu la confiance des agriculteurs, ce que nous pouvons regretter, l’État étant le principal responsable de la situation. Dès lors, pourquoi créer une nouvelle aide dont l’objectif est identique ?

Nos collègues proposent en effet de régler des prestations aux agriculteurs pour services rendus, avec une obligation de résultat, contrairement aux MAEC, qui prévoient une obligation de moyens. Ils affirment que les règles doivent être non pas rigides, mais adaptables, les aides devant être attribuées en fonction de critères spécifiques, leurs montants étant proportionnels aux bénéfices qu’elles engendrent pour l’environnement.

Si cela peut se concevoir pour la source de Vittel-Perrier, citée tout à l’heure en exemple, l’entreprise ayant dû calculer ses pertes si la source était polluée pendant une période de six mois, il paraît impossible de faire de même pour les sources d’eau potable de nos communes, qui ne font pas de profits.

M. Henri Cabanel. Buvons l’eau de New York ! (Sourires.)

M. Vincent Segouin. Je prendrai un autre exemple illustrant l’obligation de résultat. Si, en montagne, nous n’avons plus d’agriculteurs, nous pouvons craindre la reprise de la végétation. Nous devrons alors développer des moyens pour assurer l’entretien.

Bref, cette disposition me paraît bien compliquée à mettre en place à l’échelle nationale et dans un souci d’équité des bénéficiaires de la profession. Or la proposition de résolution n’apporte aucune réelle réponse sur ce point.

En outre, nous pouvons craindre un changement de vocation des agriculteurs. Je m’explique. Supposons que nous arrivions à estimer les risques en cas de pollution de l’eau dans les différents syndicats ou le coût d’entretien des espaces montagnards s’il n’y a plus d’agriculteurs. Supposons également que les aides proviennent de fonds européens, par le biais des PSE. Supposons encore que ces aides disparaissent au bout de cinq ans au profit d’un autre système. Nous pourrions alors craindre que les exploitants réclament aux différents organismes – syndicats d’eau ou communes – le remboursement des sommes jusqu’alors attribuées par l’Europe.

Je suis convaincu que les agriculteurs ne veulent pas devenir des salariés de l’État. Ils veulent vivre de leurs productions et avoir des exploitations rentables.

M. Claude Bérit-Débat. Justement, ils pourraient vivre mieux !

M. Vincent Segouin. Vous l’avez compris, mes chers collègues, je suis donc contre la création de ce fonds, et défavorable à cette proposition de résolution. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

Mme la présidente. La parole est à M. le ministre. (Applaudissements sur les travées du groupe La République En Marche, ainsi que sur des travées du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen et du groupe socialiste et républicain.)

M. Didier Guillaume, ministre de lagriculture et de lalimentation. Madame la présidente, mesdames, messieurs les sénateurs, aujourd’hui est un grand jour, puisque ce matin, en conseil des ministres, nous avons validé les ordonnances qui permettront, espérons-le, une meilleure répartition de la valeur pour nos agriculteurs, et qui encadreront les promotions des grandes surfaces.

Il s’agit de faire en sorte que les agriculteurs puissent, comme vous venez de le dire, monsieur le sénateur, mieux vivre de leur travail. Depuis quinze ans, de nombreuses mesures ont été prises ; peu d’entre elles ont abouti à un résultat satisfaisant. Espérons que cette nouvelle mesure permettra aux agriculteurs d’avoir un meilleur revenu !

Ne soyons pas toujours pessimistes au sujet de l’agriculture. Certes, il faut lutter contre l’agri-bashing, mais en tenant des discours positifs sur l’agriculture et les agriculteurs.

À cet égard, je tiens à saluer l’initiative prise par M. Montaugé et ses collègues, qui ont déposé cette proposition de résolution. En effet, il ne s’agit pas d’une proposition de loi ! C’est un acte posé, du moins je l’espère, destiné à mettre en lumière l’importance du lien entre agriculture et environnement. Vous l’avez tous signalé, quelles que soient les travées sur lesquelles vous siégez, les agriculteurs sont en avance. Ils savent ce que signifie protéger l’environnement, car ils le font tous.

N’ayons pas peur, ne soyons pas frileux et essayons de tracer des perspectives. Car il s’agit non pas d’une loi aux effets immédiats, mais d’un texte dans lequel la représentation nationale indique clairement à la population, et à ceux qui, parfois, font de l’agri-bashing, que l’agriculture et l’environnement sont intimement et définitivement liés, parce que les agriculteurs et la population le veulent. Au demeurant, nous n’avons pas le choix.

Nous avons besoin non pas de pessimisme, mais d’optimisme. Les agriculteurs ont fait leur mue. C’est la raison pour laquelle le Gouvernement est favorable à cette proposition de résolution, qui correspond aux orientations voulues par mon ministère et aux objectifs que j’ai déjà présentés ici à plusieurs reprises.

La mesure prévue peut en effet contribuer à garantir un revenu aux agriculteurs. Bien évidemment, ces derniers veulent tous vivre des revenus de leur travail. Mais heureusement que la PAC existe : elle leur permet, malgré tout, parfois difficilement, de tenir la tête hors de l’eau.

Il faut accompagner les agriculteurs et lutter avec ferveur contre l’agri-bashing. Sans cesse, trop de campagnes sont menées contre l’agriculture et contre les agriculteurs. Le Gouvernement et moi-même servons sans cesse de boucliers contre l’agri-bashing.

Il convient aussi de réussir la transition agroécologique, qui est irréversible, c’est évident. Si certains ont muté plus vite que d’autres, ils ont tous choisi soit l’agriculture biologique, soit l’agriculture raisonnée, soit une agriculture utilisant moins de pesticides et moins d’eau.

C’est pourquoi je ne les oppose jamais entre elles. Chacun avance à son rythme. Dans certaines régions ou filières, c’est plus facile. Quoi qu’il en soit, je ne connais pas aujourd’hui un seul agriculteur qui ne veuille pas aller dans cette direction, un seul agriculteur qui mette des intrants dans le sol pour polluer, un seul agriculteur qui veuille abîmer l’environnement. Tous vivent les pieds dans la terre, au milieu de leurs champs.

Les attaques incessantes contre les agriculteurs sont vraiment insupportables. Cette proposition de résolution s’inscrit donc dans des orientations que nous voulons tous. Il s’agit de rémunérer les services environnementaux rendus par des agriculteurs et de promouvoir leur mise en œuvre. Je le répète, je soutiens cette démarche.

Même si de nombreux points doivent encore être précisés, les PSE constituent un outil innovant pour réussir la transition agroécologique de notre agriculture. Ce ne sont pas des contraintes supplémentaires, mais simplement l’un des dispositifs incitatifs que nous avons à notre disposition. Ils peuvent aider nos agriculteurs.

En effet, ils permettent de reconnaître et de valoriser les actions des agriculteurs en matière d’aménagement du territoire – qui pourrait être contre ? – et d’entretien des paysages. Bien entendu, les agriculteurs et les éleveurs ne sont pas des jardiniers des paysages. Toutefois, reconnaissons qu’ils sont ceux qui entretiennent nos prairies, nos paysages et nos territoires, sur lesquels les urbains aiment venir se promener ou faire du tourisme. Ne l’oublions jamais ! Je remercie d’ailleurs les agriculteurs de leur action.

Il faut cependant aller plus loin, et les PSE peuvent nous y aider, sans stigmatiser, mais en accompagnant et en reconnaissant l’engagement des agriculteurs. Accompagner et valoriser plus que stigmatiser, tel est le sens de cette proposition de résolution et des PSE, qui pourront garantir un revenu plus juste aux agriculteurs.

Tout travail et service méritant salaire, la rémunération de cette approche vertueuse pour l’environnement peut-être tout à la fois portée par des instruments de politique publique et par le marché. Il ne faut oublier ni l’un ni l’autre. Je pense en particulier à l’agriculture biologique, soutenue à la fois par une politique publique et par une meilleure valorisation des produits par le marché.

Au-delà de ce soutien de principe, il faut lever plusieurs interrogations concernant la mise en œuvre des PSE. À cet égard, je tiens à saluer M. Joël Labbé, qui a organisé vendredi dernier un colloque. Celui-ci a fourni un certain nombre de pistes pour apporter une traduction politique concrète. C’est une pierre à un édifice qu’il faut bâtir. Je vous remercie, monsieur Labbé, du travail que vous menez dans ce domaine, particulièrement dans le cadre de ce colloque.

J’entends votre demande de rémunérer les résultats et non les moyens mis en œuvre. J’en comprends la logique. Il existe d’ailleurs aujourd’hui des mesures agro- environnementales et climatiques, les MAEC, fondées sur une logique de moyens.

Toutefois, je veux vous alerter sur la généralisation d’une telle évolution. En effet, en matière d’environnement et d’action climatique, les résultats ne sont généralement pas immédiats. Ils sont également complexes à mesurer. C’est la raison pour laquelle cette partie de votre texte mérite d’être encore travaillée et précisée.

Mesdames, messieurs les sénateurs, je veux revenir sur le versement des aides, notamment à l’agriculture biologique, qui a été évoquée par plusieurs d’entre vous. Pour 2016, quelque 99 % des aides ont été payées ; il reste à verser 100 millions d’euros sur 9,2 milliards d’euros. Pour 2017, quelque 98 % des aides ont été payées ; il reste à verser 150 millions d’euros sur 9,2 milliards d’euros. Certes, c’est trop ! L’État et la MSA ont été défaillants, je l’ai dit à cette tribune et à la tribune de l’Assemblée nationale. Mais je ne puis laisser dire que les agriculteurs n’ont pas été payés !

Par ailleurs, un délai de trois ans pour être payé, c’est beaucoup trop long. Nous l’avons tous dit, c’est anormal. J’ai donc demandé à hâter le pas. Les aides attribuées en 2016 et 2017 seront payées en début d’année 2019, puis nous reprendrons un rythme de paiement plus normal, celui-ci intervenant en année n+1.

Les PSE ne doivent pas être une nouvelle usine à gaz. Il faut trouver des indicateurs de résultats qui soient pertinents et simples à instrumentaliser et à contrôler. Aujourd’hui, nous n’avons pas encore atteint ce but, le projet pouvant encore s’apparenter à une usine à gaz. C’est la raison pour laquelle le travail doit se poursuivre. Ces PSE ne seront mis en place que s’ils sont fluides, simples, compréhensibles et accessibles au plus grand nombre.

Ils s’inscrivent également dans un cadre réglementaire contraint, qu’ils figurent ou non dans la PAC.

Quoi qu’il en soit, la France soutient une PAC portant une vraie ambition environnementale, tout en donnant au secteur agricole les moyens de réaliser la transition écologique. Comme vous l’avez très bien dit, les PSE doivent relever du cadre national, mais aussi du cadre européen.

Monsieur Louault, vous évoquiez tout à l’heure la simplification. Je suis entièrement d’accord avec vous, et j’espère avoir sur ce point le soutien de tout le Sénat, lorsque, pour la future PAC, j’enclencherai un travail de simplification. En effet, recourir à 9 000 critères pour payer des aides, c’est inacceptable ! Il n’y aura pas toujours une bonne raison pour faire bénéficier d’une aide une région, un territoire, une filière ou un secteur. Bien souvent, quand on veut simplifier en France, cela se transforme en une simplification complexe.

C’est la raison pour laquelle nous soutenons l’architecture proposée par la Commission européenne dans le cadre de la future PAC. Elle permet en effet de rémunérer au travers de soutiens directs les agriculteurs qui en ont encore besoin, et je l’assume.

Vous avez évoqué, en patois gersois, un eco-scheme ou, en français, un « éco-programme ». Il doit avant tout être obligatoire pour les États membres. Si seulement un ou deux États sont concernés, les distorsions risquent de nous revenir en boomerang.

Ce dispositif devra donc permettre de rémunérer, sur une base incitative et forfaitaire. Votre texte devra évoluer : cela ne sera possible que si nous disposons, dans le cadre de la PAC et dans le cadre national, d’un budget suffisant. La France commence les négociations sur la PAC. Elle se bat pour que son budget soit maintenu au même niveau, et refuse la baisse de 15 % ou 5 % voulue par la Commission européenne. Nous ne céderons pas sur ce point.

Toutefois, sans attendre la prochaine PAC, vous l’avez dit, monsieur Montaugé, le Gouvernement a déjà engagé plusieurs actions en faveur des PSE. En 2017, le ministère a lancé un travail de recensement des dispositifs et initiatives publics et privés – l’un ne va pas sans l’autre – permettant de rémunérer des services environnementaux en France.

Faisant suite à ce travail, le ministère de l’agriculture et de l’alimentation œuvre à la réalisation de guides méthodologiques destinés aux services de l’État, aux collectivités territoriales et aux organisations privées associatives, afin de voir éclore sur tout le territoire des PSE dans un cadre juridique et sécurisé. En effet, rien ne serait pire que des situations qui ne soient pas juridiquement sécurisées.

Le Gouvernement s’est engagé, dans le cadre du plan Biodiversité, présenté en juillet dernier, à consacrer 150 millions d’euros d’ici à 2021 pour expérimenter des outils de paiement pour services environnementaux. Ces PSE viseront prioritairement à valoriser les pratiques bénéfiques à l’environnement, notamment la préservation des sols et la restauration de la biodiversité partout.

À cet égard, je veux dire à mon collègue Jean-Pierre Decool que les wateringues font totalement partie de ce dispositif. Les ministères de l’agriculture et de la transition écologique travaillent conjointement sur ce point.

Pour conclure, je veux vous assurer que le Gouvernement est engagé dans cette voie et va travailler dans les mois et les années qui viennent à développer toutes les démarches de nature à soutenir les nombreuses prestations environnementales rendues par les agriculteurs, comme c’est déjà le cas.

Aussi, le Gouvernement donne un avis favorable à cette proposition de résolution, tout en sachant qu’il faudra aller plus loin encore pour préciser les choses. Il faudra en effet mettre en cohérence le droit français et le droit européen, en vue de généraliser un jour ce dispositif. (Applaudissements sur les travées du groupe La République En Marche, du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen et du groupe socialiste et républicain.)

Mme la présidente. La discussion générale est close.

Nous allons procéder au vote sur la proposition de résolution.

proposition de résolution en faveur de la création de paiements pour services environnementaux rendus par les agriculteurs

Le Sénat,

Vu l’article 34-1 de la Constitution,

Vu la loi n° 2014-1170 du 13 octobre 2014 d’avenir pour l’agriculture, l’alimentation et la forêt qui a mis au cœur de notre politique agricole la notion d’agroécologie,

Vu le Plan biodiversité présenté le 4 juillet 2018 à l’occasion du premier comité interministériel pour la biodiversité,

Vu les propositions législatives de la Commission européenne du 1er juin 2018 sur la politique agricole commune après 2020 qui envisage la création d’un système de programmes écologiques obligatoires visant à rémunérer la mise en œuvre de pratiques agricoles allant au-delà de ce qui est actuellement exigé au titre de la conditionnalité,

Considérant que notre modèle agricole est à un tournant de son histoire et que des mutations profondes vont devoir être engagées ;

Considérant que les pouvoirs publics ont la responsabilité d’être partie prenante de cette révolution annoncée afin d’accompagner et d’orienter notre agriculture vers davantage de prise en compte de la préservation de son environnement ;

Considérant que les agriculteurs ont parfaitement conscience de la nécessité d’opérer certains changements dans leurs modes de production et que la majorité d’entre eux les met déjà en œuvre au quotidien ;

Regrettant à ce titre que le monde agricole soit actuellement stigmatisé sur la question environnementale alors même que des transformations profondes sont d’ores et déjà en cours ;

Considérant que notre politique agro-environnementale ne saurait se résumer à la seule compensation des surcoûts ou des manques à gagner induits par des modifications de mode de production ;

Rappelant que le revenu des agriculteurs est en baisse constante et que les crises successives ont profondément fragilisé une grande partie des exploitations françaises ;

Estimant que le contexte économique et concurrentiel peut être un frein au changement de certaines pratiques et qu’il faudra nécessairement un appui public et donc financier pour opérer certaines mutations ;

Estimant que la France doit être un modèle au niveau européen dans le domaine de l’agroécologie et un moteur dans la reconnaissance des externalités positives de notre agriculture ;

Estimant que notre politique agro-environnementale se doit d’être incitative, ambitieuse et rémunératrice ;

Estimant que le nécessaire maintien du budget de la politique agricole commune (PAC) à un niveau proche de celui de la période 2014-2020 devra passer par la création de nouveaux outils légitimant sa nécessité auprès des pouvoirs publics et de la société civile ;

Considérant que les paiements pour services environnementaux (PSE) sont des outils pertinents pouvant allier une nécessité économique à une attente sociétale ;

Considérant que les PSE ont pour objectif d’encourager les agriculteurs à s’engager dans des démarches productives vertueuses produisant des externalités environnementales positives ;

Considérant que les agriculteurs ont un rôle majeur en matière d’aménagement du territoire, d’entretien de nos paysages et de création d’activités économiques particulièrement en zones rurales ;

Estimant que les services ainsi rendus par les agriculteurs bénéficient à l’ensemble de la société et doivent, à ce titre, donner lieu à une rémunération ;

Considérant que le développement des PSE aura sans aucun doute un impact positif sur l’emploi en encourageant des modes de production moins intensifs et davantage pourvoyeurs d’emplois ;

Soulignant que les PSE seront sans aucun doute des outils de réconciliation du monde agricole avec la société civile ;

Invite le Gouvernement à avoir une politique volontariste en matière de création de ces PSE ;

Invite le Gouvernement à renforcer ses engagements dans le cadre du nouveau Plan biodiversité, en augmentant notamment l’enveloppe allouée à la mise en place de PSE ;

Appelle les collectivités, les territoires et les syndicats agricoles à avoir un rôle moteur dans la reconnaissance, l’accompagnement et la création de PSE ;

Invite le Gouvernement à plaider au niveau européen en faveur de la création de PSE dans le cadre de la future PAC d’après 2020 ;

Souhaite que la création des PSE n’implique pas une diminution des crédits consacrés aux mesures agro-environnementales et climatiques (MAEC), les deux outils étant complémentaires ;

Souhaite que ces PSE à l’échelle européenne comportent une part importante de subsidiarité afin de laisser aux États membres la possibilité de les adapter à leurs territoires ;

Appelle finalement l’ensemble des acteurs concernés à faire de la France la référence au niveau européen en matière d’agroécologie et de PSE afin de concilier intérêts économiques, environnementaux et sociétaux.

Vote sur l’ensemble

Mme la présidente. Mes chers collègues, je rappelle que la conférence des présidents a décidé que les interventions des orateurs valaient explication de vote.

Je mets aux voix la proposition de résolution.

J’ai été saisie d’une demande de scrutin public émanant du groupe socialiste et républicain.

Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l’article 56 du règlement.

Le scrutin est ouvert.

(Le scrutin a lieu.)

Mme la présidente. Personne ne demande plus à voter ?…

Le scrutin est clos.

J’invite Mmes et MM. les secrétaires à procéder au dépouillement du scrutin.

(Il est procédé au dépouillement du scrutin.)

Mme la présidente. Voici, compte tenu de l’ensemble des délégations de vote accordées par les sénateurs aux groupes politiques et notifiées à la présidence, le résultat du scrutin n° 40 :

Nombre de votants 344
Nombre de suffrages exprimés 329
Pour l’adoption 131
Contre 198

Le Sénat n’a pas adopté.

Mes chers collègues, nous allons interrompre nos travaux pour quelques instants.

La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à dix-huit heures cinq, est reprise à dix-huit heures trente.)

Mme la présidente. La séance est reprise.

Discussion générale (suite)
Dossier législatif : proposition de résolution en application de l'article 34-1 de la Constitution, en faveur de la création de paiements pour services environnementaux rendus par les agriculteurs
 

10

Mise au point au sujet de votes

Mme la présidente. La parole est à Mme Nathalie Delattre.

Mme Nathalie Delattre. Madame la présidente, lors du scrutin public n° 39, Franck Menonville et moi-même souhaitions voter pour.

Mme la présidente. Acte est donné de cette mise au point, ma chère collègue. Elle sera publiée au Journal officiel et figurera dans l’analyse politique du scrutin.

11

Communication relative à une commission mixte paritaire

Mme la présidente. J’informe le Sénat que la commission mixte paritaire qui s’est réunie sur le projet de loi de finances pour 2019 n’est pas parvenue à l’adoption d’un texte commun.

M. Michel Savin. C’est dommage ! (Sourires.)

12

 
Dossier législatif : proposition de loi relative à la performance des services de la navigation aérienne
Discussion générale (suite)

Grève des contrôleurs aériens

Adoption d’une proposition de loi dans le texte de la commission modifié

Discussion générale (début)
Dossier législatif : proposition de loi relative à la performance des services de la navigation aérienne
Article unique

Mme la présidente. L’ordre du jour appelle la discussion, à la demande du groupe Les Indépendants – République et Territoires, de la proposition de loi relative à l’obligation de déclaration d’un préavis de grève des contrôleurs aériens (texte n° 621 [2017-2018), texte de la commission n° 162, rapport n° 161).

Dans la discussion générale, la parole est à M. Joël Guerriau, auteur de la proposition de loi.

M. Joël Guerriau, auteur de la proposition de loi. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, la proposition de loi que nous vous invitons à approuver préserve le droit de grève des contrôleurs aériens, un droit constitutionnel, tout en assurant la continuité du service public dans les aéroports.

Nous poursuivons deux objectifs : tout d’abord, garantir la bonne organisation du trafic aérien, ensuite, et surtout, assurer la protection des droits et la sécurité des passagers.

Il y a un peu moins de 4 000 contrôleurs aériens en France responsables de la gestion et de la surveillance des décollages et des atterrissages des avions, du survol de l’ensemble de l’espace aérien national. Ils sont en liaison constante avec les contrôleurs des pays voisins. Leur métier est lourd de responsabilités. Ils travaillent soit dans un aéroport soit dans l’un des cinq centres de contrôle régionaux. Leur compétence est d’une importance cruciale pour la bonne marche du trafic aérien, qui impose des sujétions particulières.

Cette proposition de loi conforte le droit de grève. Nous souhaitons seulement aborder les conditions d’exercice de ce droit, qui, quand il est utilisé de manière impromptue, a des conséquences épouvantables sur les usagers et les entreprises françaises.

La France est à l’origine de 67 % des mouvements de grève de contrôleurs aériens dans toute l’Union européenne, causant 97 % des retards liés à ces grèves. Cette proportion ne fait qu’augmenter : en 2018, les grèves des contrôleurs aériens ont augmenté de 300 % en un an.

Ce record en termes de jours de grève a des implications négatives directes sur les passagers, l’économie de notre pays et la compétitivité de nos entreprises. Selon PricewaterhouseCoopers, quelque 12 milliards d’euros ont été perdus sur la période 2010-2016, dont 60 % pour le seul secteur du tourisme, soit 1 milliard d’euros de perte annuelle ! Le pourtour de la Méditerranée se trouve très affecté, et de nombreux jeunes, en recherche d’emploi, perdent des chances d’en trouver dans le tourisme.

Les deux jours de grève de 2015, les 8 et 9 avril, ont engendré une perte de recettes supérieure à 20 millions d’euros pour le transport aérien français, avec l’annulation de 1 300 vols, soit 10 millions d’euros pour chaque jour de grève ! Je vous laisse imaginer la perte pour 254 jours de grèves. L’impact pour les compagnies aériennes françaises, Air France et HOP !, se chiffre à 66 millions d’euros en trois ans, avec 3 300 vols annulés, et à 35 millions d’euros à cause des retards.

À chaque grève, les compagnies étrangères contournent le ciel français, qui est très étendu. Sur la période 2014-2016, ce sont 6 millions de kilomètres additionnels qui ont été parcourus, ce qui a eu un lourd impact environnemental.

Le coût important de ces grèves pousse ainsi l’État à céder à certaines revendications. Plusieurs préavis de grève ont été levés avant même d’avoir été mis en application. Éviter temporairement une crise est une très bonne chose, mais cela n’apporte pas de solutions durables.

Le cadre juridique français doit être plus protecteur des usagers. Il doit prévoir pour les voyageurs une meilleure information en matière d’intention de grève des agents. En cas de grève, la loi de 1984 sur le service minimum permet d’assurer 50 % des survols, ainsi qu’un certain nombre d’arrivées et de départs dans les aéroports, qui sont précisés par décret.

Ce service minimum est essentiel et son maintien est indiscutable. Cependant, son mode de gestion actuel est pénalisant et induit des effets disproportionnés. Le mode de gestion du service minimum ne prévoit aucune information sur le nombre de grévistes, compliquant ainsi les régulations de précaution effectuées par les entreprises de transport aérien. Cela cause des retards et annulations à la dernière minute, du fait du manque de prédictibilité.

En résumé, même avec un très faible nombre de grévistes, l’effet des désorganisations liées au mode de gestion est tel que les retards, voire les annulations, sont très importants. De 2015 à 2017, par exemple, le contrôle du trafic aérien français a fait face à 32 journées de grèves, sur les 40 recensées en Europe, dont 16 portaient sur des revendications qui ne concernaient pas les contrôleurs aériens.

Un système de notification préalable est donc indispensable. Il permettra aux entreprises du transport aérien d’éviter les annulations à chaud et une partie des retards causés par une minorité de grévistes. Ainsi, nous amoindrirons les pertes financières, qui resteront bien sûr de toute façon importantes.

La Commission européenne, dans un récent rapport, recommande un préavis syndical de vingt et un jours et un préavis individuel de soixante-douze heures pour les contrôleurs aériens européens. Vous le voyez, mes chers collègues, avec cette proposition de loi, nous sommes très loin du compte.

Quel est au fond l’objet de l’article unique de la proposition de loi ? Il vise à étendre la loi Diard aux services de la navigation aérienne sous une forme appropriée. Il impose pour les contrôleurs aériens une obligation de déclaration individuelle préalable de grève d’au moins quarante-huit heures, et non de soixante-douze heures, comme l’Europe le demande.

Mes chers collègues, trouvez-vous normal que des passagers français et étrangers apprennent seulement au moment du décollage que leur vol est annulé ? Des familles se sentent prises en otage, souvent démunies de toute alternative dans les halls de gare…

Mme Éliane Assassi. Quel lapsus !

M. Joël Guerriau. … dans les halls d’aéroport, voulais-je dire, qui sont surchargés. Ces passagers doivent supporter des frais d’hébergement supplémentaires, parfois des frais d’annulation ou de transport, qui ne leur seront jamais remboursés. Ce coût caché des grèves dans le secteur aérien n’est jamais chiffré, mais il pèse sur les familles et les entreprises. Il est aussi psychologique : il se compte en heures de stress et de mal-être.

Cette situation n’est pas tolérable, mes chers collègues, et donne une image déplorable de notre pays. Elle contraste avec l’essence du droit de grève tel qu’il est régi par la loi sur les transports, qui repose sur l’assurance contre les atteintes disproportionnées aux libertés des usagers, la protection des besoins de la population et la continuité du service public.

Mes chers collègues, les témoignages d’usagers victimes d’annulation et de perturbation de vols montrent à quel point ces situations ont atteint un degré intolérable. Sur les réseaux sociaux, on lit beaucoup de témoignages d’usagers victimes. Très souvent, ils attribuent à Air France, à tort, la responsabilité de l’annulation, certains affirmant qu’ils ne partiront plus jamais avec cette compagnie.

Depuis le dépôt de cette proposition de loi, j’ai eu des rendez-vous avec des passagers, qui m’ont fait part de leur désarroi. Pour vous montrer concrètement l’ampleur du problème, je voudrais vous lire quelques témoignages.

Je commencerai par celui d’Aude, dont cinq des vols ont été annulés en deux mois : « Les contrôleurs aériens prennent en otage l’ensemble des personnes qui souhaitent ou doivent voyager. Mon entreprise a perdu trois contrats au profit de compétiteurs étrangers. Nous envisageons le dépôt de bilan. »

Émery, un usager de l’aéroport de Marseille, indique : « Il faut que les contrôleurs aériens pensent aux petits qui gagnent moins de 1 500 euros et qui se privent toute l’année pour s’offrir un petit voyage et qui, à cause d’eux, devront se priver de cela. »

Myriam évoque le rêve de ses grands-parents agriculteurs : « Toute la famille avait cotisé pour leur offrir la croisière de leurs rêves pour les cinquante ans de leur mariage, mon grand-père souffrant d’un cancer. Au moment du départ, le vol a été annulé, le paquebot a quitté le quai sans mes grands-parents. » Elle écrit : « Si nous avions su vingt-quatre heures plus tôt, nous serions partis en voiture. » Aucun remboursement ; un rêve devenu cauchemar.

Jérémy, au chômage depuis deux ans, qui avait finalement obtenu un troisième entretien pour un emploi, alors qu’il ne restait plus que deux candidats, écrit : « Mon vol EasyJet vient d’être annulé, tous mes espoirs s’envolent, je suis désespéré. »

Justine a travaillé d’arrache-pied pendant un an pour passer un concours qui a eu lieu tous les deux ans. Elle a misé sur les tarifs attrayants d’une compagnie low cost. Mais ce qu’elle ne pouvait pas anticiper, alors qu’elle se trouvait à l’aéroport, c’est qu’aucun vol ne partirait le jour J.

Ahmed n’a pas pu assister à la naissance de son fils : bloqué à Casablanca, son vol Ryanair a été annulé à la dernière minute. Il en fut de même pour Lilia ; l’annulation de ce même vol ne lui a pas permis d’être témoin au mariage de sa sœur jumelle. Et la liste est longue… Ce sont autant de cas individuels qui se multiplient ; on ne saurait accepter le désarroi de ces personnes.

Mes chers collègues, avec l’augmentation des vols low cost, la croissance du trafic aérien est de plus en plus importante, et des personnes aux revenus de plus en plus modestes deviennent des usagers. Or ils sont les plus menacés par l’imprévisibilité des annulations, car ils n’ont pas les moyens ni les capacités de s’assurer. Ce sont des personnes modestes, avec de petits revenus, qui se trouvent affectées par le fait de ne pas avoir été prévenues assez tôt de l’annulation d’un vol.

Pour eux, mes chers collègues, pour Aude, pour Émery, pour Myriam, pour Jérémy, pour Justine et pour les milliers de victimes d’une situation qui aurait pu être évitée, j’en appelle à vos sentiments humanistes et vous demande de soutenir cette proposition de loi, qui est de bon sens.

Cette proposition de loi préserve bien entendu toute la portée du droit de grève, droit sacré en démocratie, mais elle protège mieux les usagers et les entreprises. Elle met fin à la capacité d’une minorité à mettre en souffrance des personnes innocentes. Elle rend notre système de transport aérien plus efficace, plus sûr, mais, surtout, elle le rendra plus humain. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Indépendants – République et Territoires et du groupe Union Centriste.)

Mme la présidente. La parole est à M. le rapporteur. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Indépendants – République et Territoires.)

M. Alain Fouché, rapporteur de la commission de laménagement du territoire et du développement durable. Madame la présidente, madame la ministre, monsieur le président de la commission, mes chers collègues, la proposition de loi que nous examinons ce soir a un objectif simple : mieux organiser le service de la navigation aérienne en cas de grève, au profit des usagers.

Joël Guerriau vient de le dire, nous avons tous été témoins de scènes insupportables dans les aéroports, et vu des passagers dont le vol venait d’être annulé attendre désemparés pendant des heures sans qu’aucune solution leur soit proposée.

Les grèves des contrôleurs aériens ne sont pas, bien sûr, la seule cause des annulations et des retards de vols, puisque ceux-ci sont aussi imputables aux conditions météorologiques, aux difficultés de gestion des compagnies aériennes ou à la saturation des capacités de contrôle aérien, dans un contexte de très forte croissance du trafic aérien.

Toutefois, les mouvements sociaux qui touchent les services de la navigation aérienne sont une cause non négligeable des perturbations en France, qui, au demeurant, est le pays qui détient le record européen du nombre de grèves de contrôleurs aériens.

Le rapport d’information sur le contrôle aérien que notre collègue Vincent Capo-Canellas a publié l’été dernier est assez éloquent sur ce point : entre 2004 et 2016, la France a enregistré 254 jours de grève et a été responsable de 67 % des jours de grève qui se sont produits en Europe !

La France se distingue notamment par le fait que de nombreuses grèves de contrôleurs aériens ne sont pas seulement liées à des revendications propres aux métiers de la navigation aérienne, mais sont des grèves de solidarité avec la fonction publique, qui portent sur des préoccupations communes à l’ensemble des fonctionnaires et n’ont rien à voir avec l’aéronautique : je veux parler de l’enseignement, du secteur hospitalier, etc.

Comme je l’indiquais, ces grèves provoquent des annulations et des retards de vols importants. Si, la plupart du temps, les compagnies aériennes sont en mesure d’informer leurs passagers des annulations de vols en amont, il arrive, du fait des difficultés à anticiper le nombre de grévistes et à organiser le service en conséquence, que certains vols soient annulés « à chaud », alors que les passagers sont déjà présents dans l’aéroport, voire dans les avions, ce qui est particulièrement difficile à vivre pour eux.

Cette situation s’explique par le fait que le cadre actuel du droit de grève des contrôleurs aériens ne permet pas à la direction générale de l’aviation civile, la DGAC, d’organiser au mieux le service, afin de limiter au maximum les perturbations pour les passagers.

Quel est ce cadre et pourquoi est-il insuffisant ? En tant que fonctionnaires d’État, les contrôleurs aériens et les autres personnels des services de la navigation aérienne ne peuvent participer à une grève que dans le cas où ils sont couverts par un préavis déposé cinq jours avant le déclenchement de la grève, sous peine de sanctions.

Par ailleurs, ces agents sont soumis à une obligation de service minimum en cas de grève. Cela signifie qu’un certain nombre d’entre eux sont réquisitionnés par l’administration, afin que certaines missions soient assurées, notamment les missions de défense et de secours, que 50 % de la capacité de survol de l’espace aérien français soit maintenue, et que des aéroports soient ouverts sur l’ensemble du territoire pour assurer un certain nombre d’arrivées et de départs de vols.

Si le service minimum permet d’assurer le maintien d’un certain volume d’activité en cas de grève, il ne fonctionne pas de manière optimale aujourd’hui. En effet, les agents de la DGAC ne sont actuellement pas tenus de déclarer individuellement s’ils participent ou non à une grève. Par conséquent, l’administration ne connaît pas à l’avance le nombre de grévistes qu’il y aura.

Or, compte tenu de l’importance des enjeux de sécurité que posent les activités de surveillance de la navigation aérienne, l’administration doit, par précaution, demander aux compagnies aériennes de supprimer un certain nombre de vols, alors même que cela peut ne pas se révéler nécessaire finalement.

Il arrive en effet que la grève soit peu suivie et que le nombre de vols annulés soit trop important par rapport aux capacités de contrôle. À l’inverse, lorsqu’une grève est davantage suivie que ce qui était envisagé, cela se traduit par des retards, voire des annulations de vols, car les capacités de contrôle sont saturées. Problèmes humains, problèmes financiers…

C’est ce manque de prévisibilité que la proposition de loi cherche à corriger, en obligeant les personnels de la navigation aérienne à déclarer individuellement leur intention de participer à une grève, au plus tard quarante-huit heures avant son début, et à en informer leur employeur s’ils renoncent à participer à cette grève ou s’ils souhaitent reprendre leur service vingt-quatre heures avant. Ce n’est tout de même pas compliqué ! (M. Joël Guerriau sourit.)

Une telle obligation de déclaration individuelle de participation à une grève existe déjà dans le secteur des transports, s’agissant des salariés des entreprises de transport terrestre – on peut citer la SNCF, par exemple, ou la RATP, madame la ministre (Mme la ministre sourit.) –, ainsi que des salariés des entreprises de transport aérien, notamment Air France.

Vous l’aurez compris, mes chers collègues, l’objet de cette proposition de loi n’est en aucune manière, j’y insiste, de remettre en cause le droit de grève des personnels de la navigation aérienne. C’est clair : les agents pourront continuer à faire grève, mais ils devront simplement le déclarer au préalable, et ce pour des raisons évidentes de sécurité.

La commission de l’aménagement du territoire et du développement durable a approuvé ce texte, tout en en améliorant la rédaction sur plusieurs points.

Tout d’abord, la commission a restreint le champ d’application de l’obligation de déclaration préalable de participation à une grève, afin que celle-ci ne concerne que les personnels qui concourent directement à l’activité du transport aérien de passagers, et non tous les personnels de la navigation aérienne, comme il était prévu initialement. En effet, si le Conseil constitutionnel reconnaît la compétence du législateur pour limiter le droit de grève en vue de le concilier avec d’autres principes à valeur constitutionnelle, ces limitations doivent être proportionnées à l’objectif visé.

Ensuite, et c’est très important, la commission a prévu que les informations issues des déclarations préalables soient couvertes par le secret professionnel. Ainsi, leur utilisation à d’autres fins que celles d’organiser le service pendant la grève ou leur communication à des tiers serait passible d’un an d’emprisonnement et de 15 000 euros d’amende.

Enfin, la commission a adopté plusieurs amendements visant à harmoniser le dispositif de la proposition de loi avec les dispositions législatives existantes, et à en modifier l’intitulé, afin que celui-ci corresponde mieux aux mesures qu’elle prévoit.

Voilà, mes chers collègues, les éléments que je souhaitais porter à votre connaissance.

Cette proposition de loi est utile, et même indispensable. Elle ne réglera certes pas toutes les difficultés auxquelles les passagers sont exposés, mais elle permettra de mieux organiser le service de la navigation aérienne en cas de grève, au profit des usagers. Je vous invite donc à voter ce texte, qui est excellent ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Indépendants – République et Territoires et du groupe Les Républicains.)

Mme la présidente. La parole est à Mme la ministre.

Mme Élisabeth Borne, ministre auprès du ministre dÉtat, ministre de la transition écologique et solidaire, chargée des transports. Madame la présidente, mesdames, messieurs les sénateurs, vous le savez, M. Guerriau et M. le rapporteur l’ont justement rappelé, le transport aérien est essentiel pour répondre aux besoins de déplacement de nos concitoyens. C’est également un secteur vital pour notre économie, puisque, si l’on tient compte de la construction aéronautique, il représente 4,3 % de notre PIB et emploie directement plus de 320 000 personnes.

Je tiens à vous redire la constance de mon engagement en faveur de ce secteur. C’est pourquoi j’ai voulu organiser, au travers des Assises nationales du transport aérien, une grande phase de concertation et de réflexion approfondie avec l’ensemble des parties prenantes. Ma détermination à faire de ces assises le socle d’une stratégie pour le transport aérien français n’a pas varié.

Depuis trois ans, le transport aérien connaît une forte croissance en Europe, souvent concentrée sur certains axes, qui n’avait pas été prévue dans les hypothèses qui ont servi à l’établissement des plans de performance des prestataires de services de navigation aérienne européens.

Cette croissance fait suite à plusieurs années de stagnation au cours desquelles la priorité avait été mise, à l’échelon européen, sur la maîtrise, voire la baisse des taux de redevances pour les services de la navigation aérienne. C’est ainsi que les effectifs de contrôleurs aériens ont diminué de 10 % et que des investissements ont dû être reportés.

Malgré cette situation, je sais que l’impératif de sécurité est la priorité numéro un de l’ensemble des acteurs du secteur aérien. C’est bien sûr la mienne et celle de mes services.

Cependant, avec la reprise du trafic, le système de contrôle aérien dans bon nombre de pays européens se retrouve en tension en raison du manque de capacité pour traiter tous ces vols. Cela crée, en particulier en période estivale, de nombreux retards au cœur des routes européennes. Nous avons partagé ce constat au cours du dernier conseil des ministres des transports en nous appuyant sur le rapport d’Eurocontrol, qui a mis l’accent sur les situations particulières de l’Allemagne, du Benelux ou encore de la France.

Certains de ces retards résultent d’aléas météorologiques. D’autres sont directement causés par les modèles d’exploitation de certaines compagnies aériennes. C’est d’autant plus prégnant que l’organisation opérationnelle des transporteurs, qui vise à faire voler chaque avion le plus possible, est telle qu’un aléa localisé peut perturber le programme complet d’une journée.

Cependant, c’est un fait : le contrôle aérien reste responsable d’une partie de ces retards, en raison notamment du retard dans la modernisation des systèmes, des besoins en ressources humaines…

Mme Élisabeth Borne, ministre. … et, parfois, il faut le reconnaître, des jours de grèves. Je salue ici le travail de votre collègue Vincent Capo-Canellas, qui, dans son rapport, a su éclairer tous ces aspects. Nous pourrons en tirer collectivement des enseignements.

Le Gouvernement est attaché à remédier aux causes structurelles de ces retards. Des axes de progrès ont été définis en concertation avec les représentants des personnels.

C’est ainsi qu’un protocole social a été signé avec quatre organisations syndicales de la DGAC représentant plus de 70 % des personnels. Ce protocole-cadre, issu d’une négociation globale, fixe les mesures retenues pour accroître la performance du contrôle aérien pour les années 2016 à 2019. Cette démarche montre la volonté partagée de faire évoluer l’organisation du travail en concertation avec les organisations syndicales.

Le protocole prévoit notamment des expérimentations sur de nouvelles organisations du travail. Plusieurs d’entre elles ont été engagées dans certains centres depuis plusieurs années. Ces expérimentations ont en particulier permis d’absorber les dernières hausses du trafic aérien. À cet égard, je voudrais saluer le professionnalisme et l’engagement des agents de la navigation aérienne.

Ces expérimentations doivent se poursuivre et être déployées dans d’autres centres. Nous devrons certainement aller plus loin encore : désormais, pour accompagner une croissance durable du trafic aérien, le recrutement d’effectifs opérationnels en nombre suffisant sera nécessaire, en France comme ailleurs en Europe, sachant que, dans notre pays, le Gouvernement a poursuivi l’effort de recrutement, qui conduit à remplacer la totalité des départs de contrôleurs aériens.

Il a également été décidé un très important effort d’investissement pour le renouvellement des systèmes de la navigation aérienne. Monsieur Capo-Canellas, vous l’avez souligné dans votre rapport, nous agissons : à partir de 2019, nous investirons près de 300 millions d’euros au profit de l’ensemble de ces systèmes de navigation aérienne. Je veillerai à ce que les mesures adéquates soient prises pour assurer, en particulier, la mise en service en 2021 ou en 2022 du nouveau système 4-Flight.

C’est sur ces bases que la France aborde la négociation européenne en cours, qui fixera le cadre économique et la régulation associée pour les cinq années à venir. Toutes ces thématiques font et continueront à faire l’objet d’un dialogue social dense, visant à accroître de façon concertée la performance de la navigation aérienne.

Reste que la navigation aérienne doit gérer des mouvements sociaux. Ceux-ci sont de différente nature. Ils peuvent en effet être communs à l’ensemble de la fonction publique. On a ainsi dénombré quatorze mouvements de ce type en 2017, et trois au premier semestre 2018. Il peut également s’agir de grèves locales. Il y en a eu trente de cette sorte en 2017 et dix au premier semestre 2018.

Ces épisodes ont eu un impact sur les opérations des compagnies aériennes et, par là même, le service aux passagers, qu’il s’agisse de survols ou de vols partant ou arrivant en France.

L’accessibilité de l’espace aérien français et de ses principaux aéroports reste assurée grâce aux dispositions de la loi du 31 décembre 1984 sur le service minimum, qui est essentielle pour garantir les besoins vitaux de la France et le respect de nos engagements internationaux, en particulier en matière de droit de survol de notre territoire.

En application de cette loi, une obligation de résultat s’impose. Le texte prévoit en effet que doivent être assurés « en toutes circonstances » les services nécessaires à « la continuité de l’action gouvernementale et l’exécution des missions de la défense nationale, la préservation des intérêts ou besoins vitaux de la France et le respect de ses engagements internationaux, notamment le droit de survol du territoire, les missions nécessaires à la sauvegarde des personnes et des biens, le maintien de liaisons destinées à éviter l’isolement de la Corse, des départements et territoires d’outre-mer et de Mayotte, et la sauvegarde des installations et du matériel de ces services ».

Un service minimum est enfin garanti sur certains aéroports, dont la liste est fixée par décret. Ce service minimum est mis en œuvre au moyen d’astreintes à demeurer en fonction. C’est bien ce service minimum, déjà fixé par la loi, qui garantit la continuité du transport aérien en toutes circonstances.

Il me paraît également important de rappeler dans cette enceinte que le préavis de grève de cinq jours applicable à tout service public vaut évidemment pour les services de la navigation aérienne. Son strict respect est indispensable, tant pour négocier que pour mettre matériellement en œuvre les dispositions du service minimum.

Ce délai de cinq jours permet également d’informer les compagnies aériennes, voire de leur recommander de réduire leurs programmes de vols. Il est en effet préférable que des vols soient annulés en amont, plutôt que de faire attendre des passagers sans information dans les aérogares.

Mesdames, messieurs les sénateurs, la proposition de loi de M. Guerriau que vous examinez aujourd’hui vise à ajouter une pièce à ce dispositif, en demandant à nos personnels de signaler individuellement leur intention de participer à la grève quarante-huit heures avant le début du mouvement, pour plus de prévisibilité.

Plus précisément, le texte de la commission étend les dispositions aujourd’hui applicables aux entreprises de transport aérien aux « personnels des services de la navigation aérienne qui assurent des fonctions de contrôle, d’information de vol et d’alerte et qui concourent directement à l’activité du transport aérien de passagers ».

De telles dispositions permettraient certainement de partager avec les compagnies aériennes une information plus fiable et plus précise sur nos capacités de contrôle disponibles. Les pratiques actuelles conduisent en effet à certaines approximations dans l’évaluation de la capacité de survol garantie, en l’absence d’un dispositif permettant de savoir avec précision qui se déclare gréviste ou non.

L’information des passagers restera assurée par les compagnies aériennes, qui sont seules en mesure de définir leur programme de vols à partir des informations que le contrôle aérien leur communique.

Vous le savez, le droit de grève est un droit constitutionnel. Cela étant, je mesure bien qu’un dispositif de déclaration préalable individuelle permet, dans certains cas, d’ajuster au plus près le volume des astreintes à demeurer en fonction, ce qui évite qu’un trop grand nombre d’agents fasse l’objet de ces mesures d’astreinte. En définitive, on l’aura compris, le dispositif envisagé vise à se doter d’une plus grande prévisibilité, afin d’organiser le service au mieux et de limiter au maximum les perturbations pour les passagers.

Chacun conviendra que le sujet qui nous occupe est éminemment sensible, dans la mesure où il touche à des libertés aussi essentielles que celle de se déplacer et au droit de grève.

Dans ces conditions, j’estime qu’il mérite un examen approfondi, ainsi qu’une concertation poussée. À mon sens, en effet, l’impact des dispositions proposées par M. Guerriau doit être clairement mesuré et discuté. Il me semble également nécessaire de partager l’analyse précise du bénéfice escompté, et les limites éventuelles de la modification législative envisagée.

Comme vous le savez, la semaine dernière a été l’occasion d’élections professionnelles au sein de la fonction publique. Dans ces conditions, aucune concertation suffisamment complète n’a pu être menée, même si j’ai bien noté, monsieur le rapporteur, que vous aviez reçu les organisations syndicales dans le cadre de vos auditions.

Aussi, je suis convaincue qu’un travail sur un sujet aussi important que l’exercice du droit de grève doit être réalisé de façon approfondie et être enrichi par un niveau de concertation adéquat.

La question que vous posez, monsieur Guerriau, exige que l’ensemble des parties prenantes y travaille, avec un esprit de dialogue et d’écoute. Cela mérite, selon moi, un temps de débat significatif avec les organisations syndicales et les compagnies aériennes.

Les événements récents qui ont eu lieu dans notre pays, les colères et les espoirs qui se manifestent encore aujourd’hui, nécessitent de la part des élus que vous êtes, et des personnes responsables que nous sommes, une méthode fondée sur un dialogue et une écoute renouvelés. Et le Premier ministre le rappelait jeudi dernier à cette même place : « Certains problèmes demandent des solutions rapides » et « d’autres exigent des concertations plus larges ».

C’est dans cet esprit que je discuterai avec vous ce soir de votre initiative parlementaire, en vous invitant à toute la sagesse dont vous savez faire preuve, mais également en appelant à votre sens des responsabilités…

M. Bruno Sido. Il faut appeler un chat un chat !

Mme Élisabeth Borne, ministre. … dans une période comme celle que nous vivons, qui impose plus que jamais l’unité du pays ! (Applaudissements sur les travées du groupe La République En Marche. – Mme Nicole Bonnefoy applaudit également.)

M. Michel Savin. Dommage !

M. Bruno Sido. C’est une occasion manquée !

Mme la présidente. La parole est à M. Frédéric Marchand.

M. Frédéric Marchand. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, nous examinons ce soir la proposition de loi de notre collègue Joël Guerriau sur le droit de grève des contrôleurs aériens, texte qui consiste à obliger les contrôleurs aériens, mais aussi d’autres personnels des services de la navigation aérienne, à déclarer individuellement leur intention de participer à une grève au moins quarante-huit heures avant son commencement, et à informer leur employeur s’ils y renoncent.

Ne nous y trompons pas, le problème soulevé par cette proposition de loi est réel. En effet, depuis plusieurs années, les grèves du contrôle aérien français ont perturbé le ciel européen à de nombreuses reprises. Notre pays est à l’origine de plus de 60 % des mouvements de grève de contrôleurs aériens de toute l’Union européenne, causant la très grande majorité des retards liés à ces grèves.

Il est aussi indéniable que des actions répétées engendrent des perturbations pour des millions de passagers qui se voient contraints d’annuler des réunions, des vacances, des nuits d’hôtel. Certains de nos collègues sont eux-mêmes parfois contraints d’annuler des réunions et ne peuvent assister aux débats dans cet hémicycle.

Bref, j’ai bien à l’esprit que les désagréments suscités par ces grèves sont très importants pour les voyageurs. J’ajoute que l’impact environnemental de ces mouvements est également significatif puisque, sur la période 2014-2016, on estime que 6 millions de kilomètres additionnels ont été parcourus en raison des grèves des contrôleurs aériens en France.

Cette proposition de loi part du constat que la France est le pays en Europe qui connaît le plus grand nombre de grèves de contrôleurs aériens.

Je voudrais simplement ajouter que les mouvements sociaux explosent partout en Europe, à la suite d’une augmentation record du trafic conjuguée à la baisse des effectifs qualifiés. Aujourd’hui, cette combinaison touche plus particulièrement la direction des services de la navigation aérienne, la DSNA, le plus gros pourvoyeur de délais en Europe.

Dans son rapport, notre collègue Alain Fouché indique que les grèves ne sont pas la seule cause des retards puisque, outre les conditions météorologiques et les difficultés de gestion qui incombent aux compagnies aériennes, ceux-ci « résultent principalement du manque de personnel, dans un contexte de très forte croissance du trafic aérien, et de la vétusté des instruments de gestion de la navigation aérienne, qui induisent un manque de capacité de contrôle ». Cela étant, il précise que ces grèves « représentent tout de même 20 % des causes de retard ».

Notons que, selon la CFDT, qui s’appuie sur les chiffres fournis par Eurocontrol, les grèves ne représentent que 1 % du total des délais européens. Les compagnies sont responsables à elles seules de 55 % des retards. Quant aux problèmes d’effectifs des prestataires de contrôle, ils sont la cause de 15 % à 20 % de ceux-ci.

Loin de moi l’idée de remettre en cause les chiffres figurant dans le rapport, mais je veux simplement à souligner qu’il existe manifestement des causes multiples à ces retards et un désaccord profond avec une organisation syndicale réputée réformiste sur la logique et les chiffres.

De même, je tiens à faire observer que le syndicat national des contrôleurs du trafic aérien a lancé une mise en garde, arguant que si cette proposition de loi devait être adoptée, cela mettrait forcément un coup d’arrêt à la concertation pour améliorer les conditions de la navigation aérienne, dont ce syndicat convient qu’il s’agit évidemment d’une nécessité.

Aussi, dans le contexte de tension sociale que nous vivons – vous l’avez rappelé, madame la ministre –, il convient d’aller vers l’idéal en passant par le réel, en ne balayant pas d’un revers de main la position de ces organisations syndicales.

Par ailleurs, le personnel qui dépend de la direction des services de la navigation aérienne est composé de fonctionnaires, qui ne peuvent participer à une grève que s’ils sont couverts par un préavis émanant d’une ou plusieurs organisations syndicales représentatives, transmis à l’autorité hiérarchique cinq jours francs avant le déclenchement de la grève.

Ce délai de préavis est systématiquement respecté par les organisations syndicales. S’il ne l’était pas, l’administration pourrait prendre des sanctions disciplinaires à l’encontre des agents grévistes. Depuis la loi du 31 décembre 1984, ces mêmes agents sont en outre soumis à une obligation de service minimum qui permet concrètement à certains services essentiels de continuer à être assurés pendant les grèves.

Aujourd’hui, il existe donc des mesures qui garantissent un service minimum même si, j’en conviens, elles peuvent être améliorées.

En conclusion, je dirai que l’objet de cette proposition de loi est louable, puisqu’elle vise à assurer un meilleur service et à éviter au maximum les désagréments causés aux voyageurs européens par les grèves françaises. Néanmoins, ce texte implique une méthode coercitive, qui ne me paraît guère de nature à apaiser le climat social, déjà tendu dans le secteur, mais aussi – cela n’aura échappé à personne – dans toute la France avec le mouvement qui traverse le pays depuis plusieurs semaines, et dont on ne saurait faire abstraction, sauf à se condamner à être hors sol.

De la même manière, le calendrier d’examen de cette proposition de loi me semble pour le moins inopportun, cet avis étant d’ailleurs partagé par les représentants de certaines organisations représentatives des compagnies aériennes avec lesquels j’ai pu échanger sur le sujet. En effet, les négociations sur le protocole social entre le personnel de la DGAC et sa hiérarchie auront lieu en 2019. À ce titre, les questions soulevées dans ce texte pourront être mises sur la table dans le cadre du dialogue social.

Mes chers collègues, nous vivons depuis plusieurs semaines un climat de tension extrêmement vif dans le pays. Cela a été dit sur toutes les travées de notre assemblée, c’est d’abord et avant tout le fruit de plus de quarante ans de politique qui n’ont pas pris assez en compte l’avis des citoyens et des salariés.

M. Joël Guerriau. J’espère que l’on demandera aussi l’avis des 145 millions de passagers concernés par ce problème !

M. Frédéric Marchand. Aussi, même s’il apparaît nécessaire de mieux encadrer le droit de grève des contrôleurs aériens, cette proposition de loi me semble, dans ce contexte, de nature à créer de l’incompréhension et des polémiques qui seront interminables, voire à mettre le feu aux poudres.

M. Joël Guerriau. C’est écœurant !

M. Frédéric Marchand. Il me semble beaucoup plus opportun de traiter ces questions dans le cadre du futur protocole de négociation sociale entre le personnel de la DGAC et sa hiérarchie, qui sera lancé en 2019.

Pour toutes ces raisons, mes chers collègues, le groupe La République En Marche s’abstiendra.

Mme la présidente. La parole est à Mme Éliane Assassi.

Mme Éliane Assassi. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, à l’heure où notre pays affronte une grave crise sociale et institutionnelle avec le mouvement des « gilets jaunes », qui dénoncent d’un même mouvement la vie chère, la déconnexion des élites et les inégalités sociales et fiscales, le Sénat inscrit à son ordre du jour un texte qui peut apparaître comme une énième provocation vis-à-vis du monde du travail et des salariés de ce pays.

M. Alain Fouché, rapporteur. Voilà autre chose ! Il s’agit d’un bon texte !

Mme Éliane Assassi. Ce texte sous-entend que les difficultés du transport aérien ne seraient pas le fruit du libéralisme exacerbé, de la soumission de ce secteur à la seule rentabilité, indépendamment des exigences de sécurité et de service public, mais, bien au contraire, la faute des salariés du contrôle aérien par leur usage intempestif de leur droit constitutionnel de se mettre en grève, lorsqu’ils estiment que leur outil de travail et leurs conditions salariales sont menacés.

Sincèrement, ce n’est pas sérieux ! Alors que le protocole social doit être revu l’année prochaine, que ce secteur est déjà soumis à la mise en œuvre d’un service minimum extrêmement contraignant et efficace, qui permet la réquisition de personnels dans des conditions très larges, les auteurs de cette proposition de loi souhaitent aller toujours plus loin pour « casser » les droits des salariés. (Marques dironie au banc des commissions.)

Nous considérons, pour notre part, qu’il s’agit d’une atteinte disproportionnée à un droit constitutionnellement reconnu, une atteinte inadmissible aux droits fondamentaux des salariés.

M. Bruno Sido. Pas du tout !

Mme Éliane Assassi. Ainsi, les dispositions de ce texte organisent un système de déclaration individuelle de grève quarante-huit heures en amont du mouvement.

M. Joël Guerriau. Comme pour les pilotes !

M. Alain Fouché, rapporteur. Comme pour les conducteurs de train !

Mme Éliane Assassi. En outre, le salarié ne devra pas y renoncer moins de vingt-quatre heures avant, sous peine de sanction disciplinaire.

Ces dispositifs sont bien plus subtils que l’interdiction pure et simple de la grève : en rendant l’exercice du droit de grève plus difficile et en l’individualisant, ses promoteurs permettent que des pressions inacceptables s’exercent sur les salariés, alors même que l’exercice de ce droit est par essence collectif.

De tels dispositifs ne sont pas nouveaux. Ils ont été introduits par la loi sur les transports terrestres de 2007 et la loi sur les entreprises de transport aérien de 2012 pour le personnel navigant.

M. Alain Fouché, rapporteur. Et cela fonctionne bien !

Mme Éliane Assassi. Nous avons chaque fois saisi le Conseil constitutionnel. Certes, celui-ci a estimé que ces lois n’étaient pas contraires à la Constitution. Cependant, nous considérons que de telles décisions sont par nature purement politiques et qu’elles entrent en contradiction avec les jurisprudences des autres cours de justice.

Dans son arrêt Air France de 2003, la Cour de cassation a ainsi reconnu qu’il ne pouvait être imposé à un salarié d’indiquer à son employeur son intention de participer à la grève avant le déclenchement de celle-ci. Dans l’affaire de la société Rhodia Chimie, la cour d’appel de Grenoble a également jugé, en 2002, que la société ne pouvait interroger chaque salarié sur ses motivations sans exercer une pression inacceptable sur chaque salarié pris individuellement.

Nous continuons donc d’affirmer que les déclarations préalables de grève portent une atteinte caractérisée et inacceptable au droit de grève et qu’elles ne répondent pas aux exigences d’amélioration et de renforcement du dialogue social.

Les amendements déposés sur ce texte tendent, semble-t-il, à revenir sur ces dispositifs, pour les remplacer par une sorte d’« alerte sociale ». Que s’est-il passé entre-temps ? Avez-vous pris conscience du fait qu’attiser la colère sociale aussi frontalement et sans fondement était un mauvais calcul ?

Nous sommes d’accord avec vous au moins sur un point : soumettre l’exercice du droit de grève des contrôleurs aériens à la double contrainte d’un service minimum et d’une déclaration individuelle revient à rendre impossible l’exercice d’un droit constitutionnel. D’ailleurs, la position du Conseil constitutionnel pourrait évoluer après une éventuelle saisine sur cette proposition de loi.

Soyons clairs, ce texte répond en réalité à une demande des compagnies britanniques, irlandaises et hongroises (M. Joël Guerriau sexclame.), qui ont porté plainte contre la France auprès de l’Union européenne, afin de protester contre les grèves des contrôleurs aériens français. Voilà la vérité ! Encore une fois, on veut faire primer le jeu du marché sur les droits des salariés. Nous ne pouvons pas l’accepter.

Mes chers collègues, je voudrais, pour finir, vous parler des véritables maux du transport aérien et des causes réelles des retards et des annulations de vols.

Cela a été dit, les grèves ne constituent qu’une partie infime – de l’ordre de 1 % – des dysfonctionnements entraînant des retards. Le reste est lié aux compagnies, pour environ 55 % des cas, à la météo, pour environ 20 % des cas, et au manque d’effectif, pour 15 % à 20 % d’entre eux.

Ce qui détériore la qualité du service aérien, c’est bien le dogme de la concurrence, le manque de moyens humains et la faiblesse des investissements publics ! C’est le renoncement même à toute idée de service public, et cela va se poursuivre avec la privatisation du groupe ADP, qui est prévue par le projet de loi PACTE !

Alors que le rapport de la commission des finances ouvrait d’autres portes, mettant en avant, notamment, la vétusté des matériels et des instruments de navigation, cette proposition de loi ne retient que la limitation du droit de grève, véritable chiffon rouge pour la droite sénatoriale ! (Protestations sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. Alain Fouché, rapporteur. C’est faux ! Au contraire !

Mme Éliane Assassi. Il faut le démontrer, chers collègues !

À nos yeux, la priorité reste, bien au contraire, de moderniser et d’investir dans le contrôle aérien, dont l’importance pour la sécurité des passagers aériens est incontournable.

Pour cela, il nous faut sortir de la spirale infernale du dumping social et de l’étau de l’austérité à tous les étages.

M. Alain Fouché, rapporteur. Encore les vieux discours !

Mme Éliane Assassi. Il convient également de restaurer les conditions d’un dialogue social de qualité pour entendre les revendications, justes et légitimes, des organisations syndicales et des salariés, et y répondre enfin.

Vous l’aurez compris, mes chers collègues, nous nous opposerons à cette proposition de loi.

M. Alain Fouché, rapporteur. Comme d’habitude !

M. Joël Guerriau. Merci pour le peuple !

Mme Éliane Assassi. Allez discuter avec lui dans la rue, monsieur Guerriau !

M. Alain Fouché, rapporteur. Qu’avez-vous fait quand vous étiez au pouvoir ?

Mme Éliane Assassi. Contrairement à vous, je ne l’ai jamais été !

M. Alain Fouché, rapporteur. Mais vos amis, oui !

Mme la présidente. Je vous en prie, mes chers collègues. Un peu de calme !

La parole est à Mme Nicole Bonnefoy.

Mme Nicole Bonnefoy. Madame la présidente, madame la ministre, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, nous examinons aujourd’hui une proposition de loi relative à l’obligation de déclaration d’un préavis de grève des contrôleurs aériens, qui n’est pas satisfaisante à nos yeux, ni sur la forme ni sur le fond.

Elle n’est tout d’abord pas satisfaisante sur le fond. En effet, nous considérons que les grèves du contrôle ne sont pas le problème majeur du transport aérien en Europe, comme en attestent, d’ailleurs, deux rapports denses et fournis sur le sujet, récemment publiés par la Fédération européenne des travailleurs des transports – ETF – et Eurocontrol.

Selon les différentes estimations issues de ces rapports, les raisons imputables au contrôle aérien, parmi lesquelles nous trouvons des problèmes d’effectif – cela a été souligné –, des aléas climatiques et des faits de grève, n’entraîneraient que 5 % à 10 % des retards de vol.

Si les deux premières causes, c’est-à-dire les problèmes d’effectifs et les conditions météorologiques, causent le plus grand nombre de cas, les faits de grève, eux, ne sont que très marginaux. Ainsi, la durée moyenne de retard causée par un mouvement de grève des contrôleurs aériens est inférieure à 55 secondes par vol !

La conflictualité sociale dans le secteur du contrôle aérien n’est donc pas l’élément le plus pénalisant pour la compétitivité des compagnies françaises. C’est plutôt le manque de moyens humains alloués aux centres de contrôle qu’il faut incriminer.

Si les impondérables et les imprévus sont inéluctables en matière de contrôle aérien, de par la nature même de l’activité exercée, la proposition de loi que nous examinons aujourd’hui est une invitation à détourner le regard d’autres problèmes, qui, eux, sont causés par les compagnies aériennes.

Quand dans l’exposé des motifs de cette proposition de loi on s’attarde sur la situation de familles en détresse dans les aérogares, il convient de rappeler que ce problème n’est aucunement le fait des contrôleurs aériens. Il est surtout lié au modèle économique des compagnies low cost, lequel ne permet que très rarement d’assurer l’hébergement des passagers en pareille situation.

M. Joël Guerriau. N’importe quoi !

M. Alain Fouché, rapporteur. Vous ne pouvez pas dire cela !

Mme Nicole Bonnefoy. Cette proposition de loi n’est pas plus satisfaisante sur la forme, au moment où bon nombre de nos concitoyens réclament un dialogue social rénové et efficient.

Alors que l’accord social quadriennal du secteur du contrôle aérien civil sera renouvelé au cours de l’année 2019, il nous paraît plus adéquat d’utiliser ce levier, qui a fait ses preuves depuis 1986. En effet, nous le répétons, le présent texte n’améliorera pas la situation du contrôle aérien civil en France. Au contraire, il le complexifiera inutilement en cas de grève, en fragilisant des droits acquis de longue date, comme, d’ailleurs, notre collègue Vincent Capo-Canellas le souligne dans l’objet de son amendement.

Contraindre chaque agent à informer individuellement ses supérieurs hiérarchiques de ses intentions de participer à une action sociale reviendrait à individualiser, de manière insidieuse, le droit de grève.

Aussi, plutôt que d’imposer aux contrôleurs aériens une obligation de réquisition qui ne pèserait que sur eux, il est préférable de travailler sur l’amélioration de l’efficience du service minimum par le biais d’un dialogue social réinventé et plus direct entre les différentes parties prenantes. Il ne vous a pas échappé, mes chers collègues, que c’est ce que les corps intermédiaires et les citoyens eux-mêmes réclament.

Pour toutes ces raisons, le groupe socialiste se prononcera contre cette proposition de loi. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain et du groupe communiste républicain citoyen et écologiste.)

Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Pierre Corbisez.

M. Jean-Pierre Corbisez. Madame la présidente, madame la ministre, monsieur le président de la commission, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, on a coutume d’assigner à la France, souvent de manière hâtive, le trophée peu valorisant de « championne du monde de la grève ». Bien entendu, un tel jugement méconnaît assez largement notre histoire sociale, dont l’un des produits, le préambule de la Constitution du 27 octobre 1946, a érigé à juste titre le droit de grève en droit fondamental.

Si ce droit doit être défendu sans concession, sa compatibilité avec le principe de continuité du service public n’en est pas moins fondamentale.

Or, si le contrôle de la circulation et de la navigation aériennes constitue bien un service public assuré par des fonctionnaires, ce dernier échappe de manière difficilement compréhensible à certaines règles de droit commun s’agissant du service minimum.

Cela a été dit, en 2012, la loi « Diard » avait instauré le principe d’un préavis individuel de grève de quarante-huit heures pour tous les salariés des entreprises ou établissements concourant directement à l’activité de transport aérien de passagers, en particulier lorsque leur absence est de nature à affecter la réalisation des vols.

Je pense pouvoir affirmer, mes chers collègues, qu’il est difficile de nier que les contrôleurs aériens participent au service public du transport aérien de passagers ! Extrêmement technique, cette profession est indispensable, à la fois, pour la souveraineté de notre espace aérien, pour la sécurité des passagers, pour la coordination des vols et pour la bonne tenue du ciel européen, dans lequel la France occupe une place centrale.

Or, cette profession n’est pas soumise au principe du préavis de grève individuel de quarante-huit heures, alors même que les mouvements sociaux qu’elle organise ont des conséquences massives pour nos concitoyens. La proposition de loi de notre collègue Joël Guerriau nous offre donc la possibilité de corriger cet oubli – va-t-on dire… –, en exigeant des contrôleurs aériens un préavis individuel de grève de quarante-huit heures, selon un alignement logique sur les règles auxquelles sont soumis les autres personnels participant directement à la réalisation du service de transport aérien de passagers.

J’en veux pour preuve le fait que les contrôleurs aériens n’ont jamais été entravés dans l’exercice de leur droit de grève. Le corps des ingénieurs du contrôle de la navigation aérienne, ou ICNA, fait partie de ceux qui en font le plus grand usage dans la fonction publique d’État.

Entre 2004 et 2016, les contrôleurs aériens ont effectivement accumulé plus de 250 jours de grève, entraînant une perte d’environ 300 millions d’euros par an pour les compagnies aériennes, mais surtout des conséquences néfastes pour des millions de passagers. Et c’est sans parler des conséquences financières pour l’État. L’activité du contrôle est facturée aux compagnies aériennes au titre d’une redevance pour service rendu. Chaque journée dépourvue de contrôle coûte ainsi à l’État entre 3 et 4,5 millions d’euros. Et c’est sans parler non plus des conséquences et pertes financières pour le tourisme français, comme l’a indiqué mon collègue Joël Guerriau.

Cette situation, qui conduit la France à être responsable du tiers des retards dus aux contrôles en Europe, n’est plus acceptable !

Elle est d’autant moins compréhensible pour nos concitoyens que les contrôleurs aériens bénéficient de conditions de travail et de rémunération objectivement très favorables et déjà revalorisées en 2016 par le dernier protocole social de la DGAC. Si, naturellement, nous comprenons que cela soit cohérent avec les lourdes responsabilités dont les contrôleurs aériens ont la charge, il nous apparaît comme une juste contrepartie que nous puissions avoir une meilleure visibilité sur l’organisation de leurs grèves.

La mesure de l’enjeu dépasse largement les frontières nationales, puisque la France est le centre névralgique de la circulation aérienne en Europe, devant le Royaume-Uni et l’Allemagne.

Nous disposons, en effet, du premier espace aérien du ciel européen, avec plus de 8 600 contrôles effectués chaque jour, chiffre dont l’augmentation est constante depuis maintenant plusieurs années. C’est d’ailleurs pour cette raison que le « coût temporel » d’un jour de grève sur le trafic est beaucoup plus important en France – 35 000 minutes environ – qu’en Allemagne, en Italie ou en Grèce. Au-delà des questions intérieures, cette position nous impose donc une forme de responsabilité, qui, pour commencer, exigerait une amélioration de l’information sur l’organisation des mouvements sociaux dans le secteur aérien.

Pour toutes ces raisons, une large majorité du groupe du RDSE soutiendra la proposition de loi du groupe des Indépendants – République et Territoires.

Toutefois, nous attirons l’attention sur la nécessité d’explorer les autres pistes suggérées par notre collègue Vincent Capo-Canellas pour améliorer l’état du trafic aérien en France, notamment dans le cadre du prochain protocole social de la DGAC. Nous pensons, par exemple, à la réforme en profondeur des rythmes de travail des contrôleurs aériens, dont les effets attendus en termes de fluidification du service sont particulièrement prometteurs.

Pour Henri Bergson, mes chers collègues, un problème bien posé était un problème à moitié résolu. Nous avons fait la moitié du chemin, en discutant de ce sujet ; ayons le courage de parcourir l’autre moitié, en votant cette proposition de loi ! (Applaudissements sur les travées du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen, du groupe Union Centriste et du groupe Les Républicains.)

Mme la présidente. La parole est à M. Vincent Capo-Canellas. (Applaudissements sur les travées du groupe Union Centriste.)

M. Vincent Capo-Canellas. Madame la présidente, madame la ministre, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, un certain nombre d’orateurs avant moi ont bien voulu citer le modeste rapport…

M. Bruno Sido. L’excellent rapport !

M. Vincent Capo-Canellas. … que j’ai été amené à présenter à la commission des finances et qui a été publié à la fin du mois de juin, juste avant le dépôt de cette proposition de loi par notre collègue Joël Guerriau.

Voici la recommandation que j’avais moi-même formulée dans ce cadre : « appliquer la loi Diard aux contrôleurs aériens, en l’adaptant aux caractéristiques du service minimum auquel ils sont déjà astreints ». Elle comprenait donc deux volets : premièrement, l’application de la loi Diard ; deuxièmement, son adaptation aux caractéristiques du service minimum déjà imposé aux contrôleurs aériens.

Ce rapport a fait du bruit, eu égard au nombre de jours de grève que j’ai révélé dans ce document, mais également au rappel que j’ai fait de cette exigence : il faut donner à la France, grande nation aéronautique – la deuxième au monde aujourd’hui, la plus belle pour moi et, sans doute, pour nous tous – la capacité de faire voler les avions dans les meilleures conditions possible pour les passagers et les compagnies. Cela exige de limiter les retards et, surtout, de permettre que le trafic se fasse, au moment même où celui-ci va croissant – 4,8 %, d’augmentation cette année et entre 2,5 % et 5 % l’année prochaine.

Le contrôle aérien est donc essentiel pour coordonner les compagnies et les installations au sol, gérer le survol et la circulation des avions, et nos contrôleurs aériens sont mondialement reconnus. L’École nationale de l’aviation civile a un rôle pilote dans le monde entier et, de par son excellence, elle est en mesure de nouer des partenariats. Nous pouvons nous enorgueillir de ce service public !

Toutefois, il faut aussi pouvoir regarder ses failles et ses difficultés – j’en ai cité plusieurs dans ce rapport, qui se voulait constructif en posant un certain nombre de problématiques.

J’ai indiqué qu’il fallait réfléchir au nombre de contrôleurs aériens, c’est-à-dire desserrer la contrainte en termes d’effectifs : le trafic augmentant, nous avons besoin de plus de contrôleurs aériens !

J’ai également recommandé de se mettre en situation de moderniser les logiciels et matériels, au regard du trafic à faire passer.

Enfin, j’ai appelé au dialogue social, à plus de mobilité, à plus d’agilité dans l’organisation du temps travail, toujours en vue de s’adapter aux évolutions du trafic. C’est dans ce cadre que j’ai mis en avant la question des jours de grève et formulé la recommandation précédemment citée.

Il s’agit bien de mener avec les contrôleurs aériens – cela passe, à mon sens, par le dialogue social – une démarche de modernisation consistant à ajouter, à un service minimum qui existe déjà, à des réquisitions qui existent déjà et qui, par exemple, seront encore mises en œuvre vendredi prochain, car un mouvement social est prévu ce jour-là, une obligation de se déclarer gréviste à l’avance.

J’insiste sur ce point, car il y a là, tout de même, une singularité. Nous devons conjuguer deux systèmes – le service minimum, qui, contrairement à la RATP ou la SNCF, est déjà mis en œuvre, et cette obligation de se déclarer gréviste à l’avance – et cela demande d’instaurer un minimum de dialogue et de traiter un certain nombre de questions juridiques.

Effectivement, d’autres l’ont dit avant moi, le moment n’est pas forcément le meilleur ! Certains objecteront que ce n’est jamais le bon moment, mais il ne faut pas négliger la tenue des élections professionnelles, le fait que nous sommes en fin d’année, à quelques semaines des vacances, et, surtout, le climat actuel dans le pays.

Je veux insister sur le fait que mon rapport était un tout. C’est dans cet ensemble qu’il faut, je crois, progresser, c’est-à-dire allier modernisation des logiciels et matériels, dialogue social, problématique du droit de grève et augmentation, nécessaire, du nombre de contrôleurs.

La réalité à laquelle nous sommes confrontés revêt bien plusieurs dimensions : faiblesse des effectifs, déficit technique et besoin d’agilité sociale. Toutes ces questions doivent être traitées en parallèle.

La direction des services de la navigation aérienne, la DSNA, a besoin de se projeter dans un avenir partagé avec l’ensemble des contrôleurs. Je voudrais donc, tout en indiquant la position favorable de mon groupe sur une disposition que j’avais moi-même proposée, exprimer deux interrogations : je ne suis pas certain qu’il y ait, aujourd’hui, l’accompagnement social et le temps de dialogue nécessaires à ce projet, d’une part, et, d’autre part, que le dispositif soit totalement au point, même s’il va dans le bon sens.

De manière générale et, en particulier dans ce secteur, je crois au dialogue social. C’est ensemble que les personnels de la DSNA, avec les équipes de direction de la DGAC, réussiront à franchir le palier de l’augmentation du trafic. Attention aux clichés, mes chers collègues ! J’ai compté à peu près 20 % de retards dus aux grèves : c’est beaucoup, mais le taux est bien de 20 % !

Il faut aussi se rappeler que le droit de grève est un droit constitutionnel, qu’il importe de garantir, d’où la complexité de la question. Nous sommes ici sur un sujet social et dans un domaine conflictuel. Il est de notre devoir de gérer le dialogue social, en essayant de prévenir la conflictualité, comme Mme la ministre l’a précédemment rappelé.

En outre, certaines questions doivent, me semble-t-il, être approfondies. Comment concilier le service minimum, qui existe déjà, et cette obligation nouvelle, qu’il est nécessaire d’instaurer ? C’est un point difficile ! Pour ma part, je ne souhaite pas que l’obligation de se déclarer gréviste vienne affaiblir le système des réquisitions. Assurer la solidité de l’édifice juridique m’apparaît être un élément majeur.

Enfin, je veux dire que, si nous parvenons à un résultat, nous aurons une spécificité en Europe, car aucun des services européens de navigation aérienne n’a, à ce jour, réussi à concilier ces deux systèmes. Cela mérite, à mes yeux, quelques égards et un certain délai de concertation, ce qui n’a pas forcément été le cas jusqu’à présent.

Pour résumer ma position et celle de mon groupe, nous sommes favorables à la proposition de loi, mais nous aurions souhaité plus de concertation avec les organisations professionnelles et syndicales, ainsi qu’un approfondissement des questions juridiques liées à la juxtaposition de deux systèmes tout de même complexes.

S’agissant de droit social et d’un service majeur pour la France, qui est un grand pays aéronautique, il va falloir créer les conditions permettant à tous les acteurs de se réunir, d’aller de l’avant et de se mobiliser autour d’un projet industriel et d’un projet aéronautique majeur, attendu par les compagnies.

J’espère que ce calendrier, qui me paraît quelque peu resserré, ne nuira pas à l’objectif que nous devons atteindre, ensemble, à savoir éviter la conflictualité trop souvent de mise et, surtout, mettre en place un système pérenne, afin d’offrir aux voyageurs, qui sont au centre du dispositif, un service public amélioré. (Applaudissements sur les travées du groupe Union Centriste.)

Mme la présidente. La parole est à M. Max Brisson. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. Max Brisson. Madame la présidente, madame la ministre, monsieur le rapporteur, monsieur le président de la commission, mes chers collègues, je n’ai pas la connaissance pointue du sujet de Vincent Capo-Canellas, qui vient de s’exprimer, ni le talent de Pierre Soulages pour peindre des tableaux en noir. Mais je voudrais rappeler quelle est la traduction concrète de la problématique que nous avons à traiter ce soir.

Courriel à 23 heures informant de perturbations possibles pour un avion aux aurores et vous invitant à repousser votre voyage.

Lignes téléphoniques saturées pour les passagers, bien sûr, et, après des minutes d’attente cadencées par les Quatre Saisons de Vivaldi, il vous est répondu que la compagnie de dispose pas d’informations concernant votre vol.

Arrivée au petit matin, angoissé, dans un aéroport bondé.

Attente jusqu’à plusieurs heures dans des salles de l’aéroport ou, pour les moins chanceux – ce fut mon cas le 22 mai –, dans un avion cloué au sol dont vous ne pouvez pas sortir, pendant que l’on est parti chercher un contrôleur aérien quelque part, à l’autre bout du département.

Enfin, remboursement des billets perdus, rarement à la hauteur du coût engagé.

Telles sont actuellement, mes chers collègues, les conséquences de l’exercice du droit de grève des contrôleurs aériens pour nos concitoyens !

Malheureusement, dans ce domaine, la France s’illustre, comme plusieurs orateurs l’ont rappelé en citant le rapport de Vincent Capo-Canellas. Un chiffre a été retenu par la presse : 67 % des jours de grève de l’ensemble des contrôleurs aériens en Europe sont le fait de fonctionnaires français !

Ce constat, et les grèves qui, comme chaque année, ont rythmé le printemps dernier nous appelaient à agir. Je soutiens donc pleinement la proposition de loi déposée par notre collègue Joël Guerriau, ayant d’ailleurs déposé, avec ma collègue Christine Bonfanti-Dossat, une proposition de loi dont les dispositions sont tout à fait semblables.

Nos objectifs sont clairs : obliger les contrôleurs aériens à déclarer individuellement leur intention de participer à la grève, afin d’ajuster l’organisation des services de transport aériens ; conserver le plein exercice de leur droit de grève ; éviter de prendre en otage les passagers et d’intensifier des situations de crise, qui peuvent être évitées avec un peu de bonne volonté.

À ceux qui tenteront de faire croire que ces formalités portent atteinte à l’exercice du droit de grève, je répondrai que le nombre de jours de grève dans les transports n’a sans doute pas baissé depuis que le service minimum, via la loi Diard, est entré en vigueur.

Par ailleurs, on ne peut comprendre que seuls les fonctionnaires, qui, je le rappelle, sont des agents du service public – j’insiste sur le mot « service » –, soient le maillon qui perturbe cette chaîne. Tous les autres métiers de la chaîne de préparation du vol ont une obligation de déclaration, permettant aux établissements et entreprises qui les emploient d’appréhender l’ampleur de la grève, donc de déployer les mesures nécessaires au respect du service minimum.

Inclure les contrôleurs aériens dans ce cadre est d’autant plus important que, comme l’a rappelé Alain Fouché, notre rapporteur, une journée de grève coûte à la DGAC entre 3 et 4 millions d’euros.

J’y insiste, il ne s’agit que d’instaurer une obligation d’information de participation à une grève, une simple obligation d’information, mes chers collègues ! Mais elle permettra de lutter contre le manque de prévisibilité et de contenir des perturbations dommageables sur le plan humain, comme financier.

Bien entendu, l’instauration d’une telle obligation aurait pu s’inscrire dans un texte plus large, incluant d’autres services publics, comme les services postaux, auxquels, je le sais, ma collègue Christine Lavarde est particulièrement attachée.

Bien entendu, je comprends les doutes concernant l’opportunité de l’examen de ce texte au moment où une période d’élections syndicales vient de s’achever. J’ai moi-même été alerté par certains syndicats sur le risque de fragilisation des plus réformistes d’entre eux. J’entends ce risque, très relatif, mais puisque l’occasion nous est donnée de prendre des décisions qui vont dans le bon sens, mes chers collègues, il faut agir !

Madame la ministre, vous en appelez à notre sens des responsabilités. Nous avons le sens des responsabilités ! Et, puisque tel est le cas, nous allons achever un travail inachevé.

La flamme réformatrice de notre pays se serait-elle éteinte sur les ronds-points ? Nous ne le souhaitons pas ! « Le pire risque, c’est celui de ne pas en prendre », comme l’affirmait Nicolas Sarkozy au moment d’instituer le service minimum.

M. Bruno Sido. Bonne référence ! (Sourires sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. Max Brisson. Voilà pourquoi je voterai, comme mes collègues du groupe Les Républicains, cette proposition de loi, certes sectorielle, mais utile pour nos concitoyens. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. Bruno Sido. Très bien !

Mme la présidente. La parole est à M. Claude Malhuret.

M. Claude Malhuret. Madame la présidente, madame la ministre, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, je voudrais d’abord saluer le travail remarquable effectué par nos collègues Joël Guerriau et Alain Fouché, respectivement auteur et rapporteur de la proposition de loi que nous examinons aujourd’hui.

Au mois de juillet dernier, quatre compagnies aériennes ont déposé plainte auprès de l’Union européenne contre la France, pour violation du respect du principe de liberté de mouvement à l’intérieur de l’Union. Il n’y a pas que sur nos ronds-points que la liberté de mouvement pose problème…

Sur la période allant de 2004 à 2016, la France a enregistré 254 jours de grève de ses contrôleurs aériens. Le second pays européen sur le podium en la matière est la Grèce ; loin de nous égaler, elle n’enregistre que 46 jours de grève sur la même période.

La situation semble d’ailleurs s’aggraver depuis quelques années : les grèves des contrôleurs aériens ont été quatre fois plus nombreuses cette année par rapport à 2017, perturbant plus de 16 000 vols depuis le début de l’année et pénalisant plus de 750 000 voyageurs.

Ces grèves à répétition retentissent sur notre économie et pénalisent nos partenaires étrangers. Selon un récent rapport de la commission des finances, la France est ainsi responsable, à elle seule, de 33 % des retards dus au contrôle aérien en Europe.

L’absence de préavis de grève effectif empêche la bonne information des passagers français et étrangers sur l’état de leur vol ; bien souvent, ils en apprennent l’annulation à la dernière minute. Aussi, la révision des statuts de grève des contrôleurs aériens, pour améliorer l’information des voyageurs, des compagnies et des institutions, apparaît-elle comme une nécessité.

La proposition de loi que nous présente Joël Guerriau vise à étendre les obligations de déclaration de grève applicables aux salariés des entreprises de transport terrestre au transport aérien. Les contrôleurs aériens, et une partie du personnel des services de la navigation aérienne, devront déclarer leur intention de participer à un mouvement de grève au moins quarante-huit heures à l’avance et informer leur employeur en cas de renoncement à la grève au moins vingt-quatre heures avant.

Ces nouvelles règles, dès leur entrée en vigueur, permettront au personnel de navigation d’anticiper les contraintes organisationnelles et de réduire, autant que faire se peut, les retards et annulations de vol.

Il ne s’agit en aucun cas d’une atteinte au droit de grève des contrôleurs aériens, dont nous mesurons les contraintes dans un contexte de hausse du trafic et de baisse des ressources. Pour autant, il est vital, pour nos économies comme pour celles de nos voisins, de préserver la régularité, l’efficacité et la bonne gestion des liaisons aériennes.

J’ai entendu l’une de nos collègues déclarer que cette proposition de loi constituait une atteinte au droit de grève constitutionnellement reconnu… Je crois que nous devons faire, auprès d’elle, amende honorable. Il est certain que le Sénat français n’a pas ni la fibre humaniste ni la sophistication technique qui lui permettrait d’appliquer un droit de grève aussi généreux, aussi favorable aux salariés que celui des pays de cocagne dirigés par ses amis Nicolas Maduro, Raúl Castro ou Xi Jinping, qui partagent son idéologie… (Applaudissements sur des travées du groupe Les Républicains. – Protestations sur les travées du groupe communiste républicain citoyen et écologiste.)

Mme Éliane Assassi. L’anticommunisme vous tuera, monsieur Malhuret !

M. Claude Malhuret. Si j’avais fait un peu d’histoire, madame Assassi, j’aurais pu citer la sophistication encore plus grande à laquelle était parvenue la défunte Union des républiques socialistes soviétiques, l’URSS, que vous avez toujours soutenue.

Mme Éliane Assassi. Vous êtes dans le caniveau !

M. Claude Malhuret. Oui, dans le caniveau de l’URSS, que vous avez toujours soutenue, jusqu’à son décès prématuré, qui vous a désespérée ! (Applaudissements sur des travées du groupe Les Républicains.)

Mme Éliane Assassi. Vous êtes haineux !

M. Alain Fouché, rapporteur. C’est la réalité !

M. Claude Malhuret. Autant de pays dont chacun connaît le respect absolu des droits de l’homme et un droit de grève qui, donc, serait sans nul doute mis en œuvre en France si votre parti arrivait au pouvoir, pour le plus grand bonheur de nos concitoyens ! Mea culpa ! Mea culpa ! Mea maxima culpa ! (Sourires sur des travées du groupe Les Républicains.)

Pour répondre aux difficultés du secteur, les assises du transport aérien organisées par le ministère des transports en mars dernier devraient rendre leurs conclusions d’ici peu.

Nous sommes demandeurs d’une véritable stratégie nationale en matière de transport aérien. Ce secteur représente 25 milliards d’euros de chiffre d’affaires et 100 000 emplois. Il connaît de vraies difficultés, pris en tenaille entre des charges importantes et une concurrence effrénée, exercée par les compagnies du Golfe, le secteur du low cost et nos voisins européens, qui n’ont pas à supporter des charges sociales aussi lourdes que celles de nos compagnies françaises.

À titre d’exemple, pour Air France, cet écart dans les charges représenterait entre 400 et 700 millions d’euros, selon les pays.

À l’échelle nationale, les liaisons aériennes contribuent au désenclavement des territoires. Nous saluons à ce titre la volonté du Gouvernement de soutenir le développement des lignes d’aménagement du territoire, avec un montant de 15 millions d’euros supplémentaires, soit quatre fois le montant consacré à ces liaisons en 2018. Nous saluons également l’initiative de notre collègue Vincent Capo-Canellas, qui, après avoir publié un rapport remarqué – Mme la ministre y a fait allusion il y a quelques instants –, a conduit à l’adoption au Sénat, dans le cadre du projet de loi de finances pour 2019, d’une disposition visant à alléger le poids des taxes aéronautiques sur les billets des vols intérieurs.

Chers collègues, je vous l’annonce sans surprise, le groupe Les Indépendants – République et Territoires votera cette proposition de loi. (Applaudissements sur des travées du groupe Les Indépendants – République et Territoires et du groupe Les Républicains. – Mmes Annick Billon et Véronique Guillotin applaudissent également.)

Mme la présidente. La parole est à Mme Catherine Procaccia.

Mme Catherine Procaccia. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, merci à Joël Guerriau pour le dépôt et l’inscription de cette proposition de loi et à l’excellent rapport d’Alain Fouché, qui dit tout ! Cela me permettra, je l’espère, d’obtenir ce soir une réponse à ma question écrite n° 6485, que j’ai déposée le 2 août et qui est pour l’instant restée lettre morte, ainsi que de rappeler de précédents débats au sein de cet hémicycle.

Madame la ministre, je vous interrogeais sur les intentions du Gouvernement pour limiter les conséquences des grèves des contrôleurs aériens français, qui restreignent la liberté de mouvement non seulement des Français, mais aussi des compagnies aériennes européennes.

Comme ma collègue l’a rappelé, quatre compagnies européennes, AIG, Ryanair, Easyjet et Wizz Air, ont déposé une plainte contre la France auprès de l’Union européenne. Ainsi, 16 000 vols auraient été perturbés au premier trimestre, affectant plus de 2 millions de voyageurs. Ces compagnies contestent non pas le droit de grève des contrôleurs aériens, mais le fait que le survol de l’Hexagone leur soit dans ce cas interdit.

La France pourrait être condamnée au nom de la libre-circulation, comme elle l’a déjà été en 1997 lorsque l’Espagne nous avait attaqués pour obstruction de ses exportations de fruits et légumes.

Faut-il attendre une condamnation pour qu’un gouvernement impose enfin la déclaration préalable de grève de quarante-huit heures, qui améliorerait sans aucun doute la situation des voyageurs et des compagnies ?

Les orateurs qui m’ont précédée l’ont rappelé, le droit de grève des contrôleurs aériens date de 1984–1985. Dans les faits, il autorise la réquisition des fonctionnaires d’État que sont nos contrôleurs, afin que la totalité des survols et au moins 50 % des arrivées et des départs soient assurés.

La réalité – nous l’avons tous dit – est tout autre. Les grèves se superposent : celles des aiguilleurs du ciel en tant que tels, mais aussi en tant que fonctionnaires, auxquelles se surajoutent des grèves locales sur certains sites. J’ai même le sentiment que la situation s’est dégradée ces dernières années.

En 2007, j’étais rapporteur de la loi communément appelée « service minimum pour les transports terrestres », à laquelle plusieurs d’entre vous ont fait référence. C’est à ce titre que je souhaite intervenir.

Cette loi, voulue par Nicolas Sarkozy, n’est en réalité qu’une loi de dialogue social visant à prévenir les conflits et, s’ils surviennent, à permettre la mise en place d’un service minimum garanti, grâce à une connaissance plus fine des personnels présents, les grévistes devant se déclarer quarante-huit heures à l’avance. Surtout, elle impose une concertation préalable.

Cette loi a clairement amélioré la situation : les transporteurs terrestres peuvent organiser le trafic et les usagers sont mieux informés, sans pour autant que les grèves, comme l’ont dit certains, se soient réduites.

C’est la raison pour laquelle, au mois de juin 2009, j’ai déposé une proposition de loi visant à étendre ces dispositions au transport aérien et maritime. Elle fut signée par une cinquantaine de collègues, dont Alain Fouché, ici présent, qui ne s’en souvient peut-être pas…

M. Alain Fouché, rapporteur. Si ! Je m’en souviens très bien !

Mme Catherine Procaccia. À l’époque, lors des auditions, la Direction générale de l’aviation civile, la DGAC, m’avait assuré que l’extension aux contrôleurs aériens était inutile, les dispositions existantes suffisant amplement.

Au mois de janvier 2010, lors d’un débat organisé sur mon initiative sur le service minimum dans l’aérien, le ministre des transports de l’époque me répondait : « Les grévistes ne sont pas obligés de se déclarer à l’avance, ce qui conduit souvent à annuler plus de vols que nécessaire ». Cela a été rappelé. Il ajoutait : « Peut-être faudrait-il modifier en ce sens la loi de 1984 ». Mais lui ne l’a pas fait, et il est inutile de compter sur ses successeurs socialistes : il suffit d’ailleurs d’écouter mes collègues présents ce soir ! Et en 2012, la loi Diard, qui a été votée, ne concernait pas non plus les aiguilleurs du ciel.

J’espère que nous allons voter cette proposition de loi. Je la soutiens, même s’il manque un élément essentiel à mes yeux : le volet prévention des conflits avant le déclenchement de la grève. C’est d’ailleurs un peu ce que vous proposez avec la concertation, madame la ministre.

Je ne peux pas oublier les débats un peu surréalistes qui ont été tenus dans cet hémicycle sur le droit de grève dans le secteur aérien. Nous en avons eu un aperçu ce soir.

Madame la ministre, je ne doute pas que vous êtes consciente de la nécessité d’agir, même si vous n’êtes pas autorisée à émettre un avis favorable sur cette proposition de loi. Il faut que le texte soit également voté par l’Assemblée nationale et, sans doute, amendé, comme le souhaite notre collègue Vincent Capo-Canellas.

Car que se passera-t-il si la France est condamnée, comme je l’évoquais en introduction ? Ne vaut-il pas mieux se concerter, élaborer un texte qui pourrait être accepté par les contrôleurs aériens, au lieu d’être contraint et forcé de prendre au dernier moment des mesures qui provoqueront des grèves sans doute encore plus dures ? Cette loi ne mettra pas fin aux grèves, mais elle permettra de mieux organiser un service essentiel pour la France et l’Europe. (Applaudissements sur des travées du groupe Les Républicains et du groupe Les Indépendants – République et Territoires.)

Mme la présidente. La parole est à Mme Christine Lavarde. (Applaudissements sur des travées du groupe Les Républicains.)

Mme Christine Lavarde. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, nous allons retourner sur terre.

Voilà 261 jours, soit huit mois et dix-sept jours, que des facteurs se sont mis en grève dans les Hauts-de-Seine, du jour au lendemain, sur le fondement d’un préavis qui courrait depuis 2015. Il a fallu plus de deux mois avant que le ministère de l’économie et des finances, qui assure la tutelle de l’établissement La Poste, ne prenne connaissance du problème grâce aux courriers parlementaires. En effet, les indicateurs de performance mensuels, établis à la maille départementale, ne reflétaient pas la forte dégradation de la qualité du service public à la maille locale. Il y a eu près de trois mois sans aucun courrier dans certains quartiers - lettres des communes de Boulogne-Billancourt, Neuilly-sur-Seine, Levallois-Perret ou Asnières-sur-Seine. Au plus fort du mouvement, il y avait près de 800 000 plis en souffrance, stockés, en attente d’un tri, puis d’une distribution. Et, en conséquence, des plis datés du mois d’avril ne sont arrivés à destination qu’au début du mois de septembre !

Combien de petites entreprises, d’artisans, de commerçants, de professions libérales ont perdu des clients ou des marchés à cause de cette défaillance du service public ? Combien de patients n’ont pas reçu à temps les résultats de leur analyse médicale ou leur convocation à l’hôpital ? Combien de futurs acheteurs ont connu d’immenses difficultés à conclure leur offre de prêt ? Combien d’automobilistes reçoivent désormais des amendes majorées pour un soi-disant refus de paiement ?

M. Roger Karoutchi. Très bien !

Mme Christine Lavarde. Dans une société de plus en plus immatérielle, nombre de documents officiels continuent cependant à être échangés entre particuliers, entreprises, associations ou administrations sous forme matérielle par la voie postale.

Les exemples sont nombreux : carte bancaire, code de carte bancaire, carnet de chèques, chèque, facture, extrait d’acte de naissance, résultat médical, avis d’imposition, amende de police, et la liste est encore plus longue.

Mme Christine Lavarde. La réception de ces documents avec retard peut avoir des conséquences pénalisantes : majoration d’amende, radiation de la sécurité sociale. Il est impossible dans toutes ces situations de se tourner vers une solution alternative. En effet, force est de le constater, malgré l’ouverture de la totalité du marché du courrier à la concurrence depuis le 1er janvier 2011, aucun acteur n’est venu concurrencer La Poste sur le marché des plis de moins de cinquante grammes.

Le service universel postal, défini à l’article L. 1 du code des postes et des communications électroniques, précise qu’au titre de service public, le service universel postal « est assuré dans le respect des principes d’égalité, de continuité et d’adaptabilité en recherchant la meilleure efficacité économique et sociale ». Compte tenu des mouvements sociaux survenus ces derniers mois, et pas seulement dans les Hauts-de-Seine, mais en plusieurs points du territoire, la juste conciliation du droit de grève et de la continuité du service public postal n’a jamais semblé aussi indispensable. C’est l’objet de la proposition de loi qui a été cosignée par plus de quatre-vingts d’entre nous.

Mme Christine Lavarde. La réglementation du droit de grève des agents publics en droit français manque d’unité – cela a été souligné –, et le bénéficiaire du service public, à savoir l’usager, se trouve confronté à des textes « divers et variés », selon l’expression du professeur Pierre Delvolvé, qui ajoute dans son commentaire du célèbre arrêt Dehaene du 7 juillet 1950 : « L’ampleur et le succès des mouvements de grève dépendent essentiellement des conditions de fait et des rapports de force, et échappent dans une large mesure à l’emprise des limitations juridiques. »

Ces limitations juridiques, qui vont de l’obligation de déposer un préavis à l’interdiction d’une grève tournante en passant par la réquisition, manquent singulièrement d’unité. Ainsi, selon le service public concerné, il y aura une obligation de préavis ou une obligation de service minimum. Le délai de ce préavis ne sera pas le même selon le service public : de quarante-huit heures dans l’éducation nationale à cinq jours pour un agent territorial.

Madame la ministre, pourquoi, dans le « nouveau monde », ne pourrait-on pas unifier l’ensemble de ces limitations dans un souci de simplification ?

M. Laurent Duplomb. Tout à fait !

Mme Christine Lavarde. Pourquoi ne pas légiférer au lieu d’attendre du gouvernement des juges des décisions jurisprudentielles variables selon les magistrats, selon le temps, selon les parties ?

Mme Christine Lavarde. Pourquoi, surtout, ne pas unifier et étendre les règles de service minimum ? La présente proposition de loi du groupe Les Indépendants – République et Territoires nous invite au débat. (Applaudissements sur des travées du groupe Les Républicains. – Mme Nathalie Delattre applaudit également.)

M. Alain Houpert. Très bien !

Mme la présidente. La parole est à Mme la ministre.

Mme Élisabeth Borne, ministre. Je souhaite vous rassurer, madame Procaccia : il n’y a aucun risque que la France soit condamnée dans le cadre de la plainte déposée par quatre compagnies aériennes. Ces dernières ont d’ailleurs peut-être aussi beaucoup à se faire pardonner auprès des passagers… Le survol de la France a toujours été assuré. Aucune règle internationale n’indique que le survol doit être assuré sans délai. En fait, les compagnies aériennes concernées font un peu de la communication.

Oui, il y a des perturbations dans le transport aérien ; cela a été souligné. Mais ne sous-estimons pas non plus les conséquences des événements météorologiques, qui sont d’ailleurs sans doute appelés à se développer ; il faut nous y préparer. En outre, il y a eu des sous-investissements.

M. Max Brisson. Tout à fait !

Mme Élisabeth Borne, ministre. Et il y a un problème d’effectifs dans le contrôle aérien. Enfin, un certain nombre de compagnies aériennes conçoivent leur rotation de façon trop juste : le moindre grain de sable, par exemple un événement météorologique, conduit à des effets boule de neige qui perturbent et qui pénalisent de nombreux passagers. (M. Claude Malhuret sexclame.)

À propos des grèves, je rappelle – certes, les chiffres sont désormais largement partagés – qu’il existe un service minimum dans les services du contrôle aérien ; c’est, me semble-t-il, unique. Il y a effectivement une possibilité d’astreinte pour les agents concernés. Par ailleurs, il existe un préavis, comme pour tous les agents de la fonction publique.

Il est sans doute utile de réfléchir à des dispositifs de prévention des conflits, qui existent dans d’autres secteurs mais pas dans le transport aérien, ainsi qu’à des mesures permettant de mieux anticiper des conséquences d’une grève, par exemple avec des déclarations préalables des agents concernés.

Nous le voyons, c’est une architecture qu’il s’agit de bâtir. Ma conviction est qu’une telle architecture et que de tels dispositifs seront d’autant plus efficaces et mieux acceptés qu’ils auront été précédés d’une concertation.

Mme la présidente. La discussion générale est close.

Nous passons à la discussion du texte de la commission.

proposition de loi relative à l’obligation de déclaration de participation à une grève des contrôleurs aériens

Discussion générale (suite)
Dossier législatif : proposition de loi relative à la performance des services de la navigation aérienne
Article additionnel après l'article unique - Amendement n° 1 rectifié bis

Article unique

Après l’article 1er de la loi n° 84-1286 du 31 décembre 1984 abrogeant certaines dispositions des lois n° 64-650 du 2 juillet 1964 relative à certains personnels de la navigation aérienne et n° 71-458 du 17 juin 1971 relative à certains personnels de l’aviation civile, et relative à l’exercice du droit de grève dans les services de la navigation aérienne, il est inséré un article 1er bis ainsi rédigé :

« Art. 1er bis. – En cas de grève et pendant toute la durée du mouvement, les personnels des services de la navigation aérienne qui assurent des fonctions de contrôle, d’information de vol et d’alerte et qui concourent directement à l’activité du transport aérien de passagers informent leur chef de service ou la personne désignée par lui de leur intention d’y participer, de renoncer à y participer ou de reprendre leur service, dans les conditions prévues aux trois premiers alinéas de l’article L. 1114-3 du code des transports. En cas de manquement à cette obligation, ces personnels sont passibles d’une sanction disciplinaire dans les conditions prévues à l’article L. 1114-4 du même code.

« Les informations issues des déclarations individuelles des agents ne peuvent être utilisées que pour l’organisation du service durant la grève. Elles sont couvertes par le secret professionnel. Leur utilisation à d’autres fins ou leur communication à toute personne autre que celles désignées par l’employeur comme étant chargées de l’organisation du service est passible des peines prévues à l’article 226-13 du code pénal. »

Mme la présidente. L’amendement n° 2 rectifié, présenté par MM. Capo-Canellas, Bonnecarrère, Prince, Canevet, Henno, Détraigne, Laugier, Lafon, Janssens, Cigolotti, Médevielle, Moga, Vanlerenberghe et Kern et Mmes de la Provôté, Doineau, Létard, Gatel, Vermeillet, Tetuanui, Dindar, Vullien, Loisier, Férat, N. Goulet et Guidez, est ainsi libellé :

Rédiger ainsi cet article :

Après l’article 2 de la loi n° 84–1286 du 31 décembre 1984 abrogeant certaines dispositions des lois n° 64–650 du 2 juillet 1964 relative à certains personnels de la navigation aérienne et n° 71–458 du 17 juin 1971 relative à certains personnels de l’aviation civile, et relative à l’exercice du droit de grève dans les services de la navigation aérienne, sont insérés trois articles 2–1 à 2–3 ainsi rédigés :

« Art. 2–1. – Le dépôt d’un préavis de grève ne peut intervenir qu’après activation d’une procédure de prévention des conflits tendant à développer le dialogue social.

« Art. 2–2. – Le dépôt d’un préavis de grève ne peut intervenir avant quinze jours francs après l’activation de cette procédure.

« Art. 2–3. – Un décret en Conseil d’État fixe les règles d’organisation et de déroulement de la négociation préalable mentionnée à l’article 2–1. »

La parole est à M. Vincent Capo-Canellas.

M. Vincent Capo-Canellas. Je suis attaché à un système équilibré. Comme nous ajoutons une contrainte, l’obligation de se déclarer gréviste, il me semble logique de veiller en parallèle à la prévention des conflits sociaux pour éviter le nombre de grèves et d’essayer de favoriser le dialogue social.

Cet amendement vise donc à introduire une procédure obligatoire de prévision des conflits sociaux, avec un délai de quinze jours. Cela laisse le temps de vérifier qu’il y a une bonne raison de faire grève et de permettre à la direction, peut-être, d’apporter des éclaircissements, voire de nouer un dialogue, dans des formes qu’il faudra définir par décret.

Il s’agit de réduire la conflictualité sociale. Une telle procédure de prévention des conflits sociaux sera évidemment combinée au dispositif de réquisition et à ce texte instaurant l’obligation de se déclarer gréviste. Ce sera complémentaire avec ce que la DGAC fait déjà : les protocoles sociaux triennaux. Ceux-ci sont signés avec les organisations syndicales et visent à améliorer la performance globale du système.

Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?

M. Alain Fouché, rapporteur. Cet amendement tend à rédiger intégralement l’article. En fait, lui et le suivant visent à réécrire la proposition de loi pour revoir les conditions d’exercice du droit de grève des contrôleurs aériens.

Il est proposé d’adapter le dispositif du service minimum pour faire en sorte que les réquisitions de personnels ne puissent concerner au maximum que 50 % de l’effectif opérationnel prévu le jour de la grève.

M. Vincent Capo-Canellas. Ça, c’est l’amendement suivant, pas celui dont nous discutons actuellement !

M. Alain Fouché, rapporteur. Je réponds sur les deux amendements, qui sont liés.

Mme la présidente. Nous examinons l’amendement n° 2 rectifié, et uniquement celui-là, monsieur le rapporteur.

M. Alain Fouché, rapporteur. La commission émet un avis défavorable sur cet amendement.

Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?

Mme Élisabeth Borne, ministre. Cet amendement vise à mettre en place un dispositif de prévention des conflits. Je ne puis qu’y être favorable.

Toutefois, comme je l’indiquais, en l’état, une telle proposition modifie très significativement la manière dont doit se dérouler la négociation préalable à la grève pour les personnels concernés de la navigation aérienne. Il est prévu d’instaurer un délai de quinze jours qui viendrait s’ajouter au délai de droit commun de cinq pour les préavis de grève. Cela changerait fondamentalement les conditions d’exercice du droit de grève dans le secteur. Je pense qu’il faut une réelle concertation sur chacun des dispositifs et sur leur cumul.

C’est pourquoi je sollicite le retrait de cet amendement. À défaut, l’avis serait défavorable.

Mme la présidente. La parole est à M. Vincent Capo-Canellas, pour explication de vote.

M. Vincent Capo-Canellas. Je maintiens mon amendement, qui répond, me semble-t-il, à une logique d’équilibre. Si on instaure une obligation, le minimum me paraît être de veiller à se donner les moyens du dialogue et de la concertation avant d’aller à la grève.

Monsieur le rapporteur, je suis confus, mais vous m’avez répondu sur un amendement que je n’ai pas encore présenté. L’amendement n° 1 rectifié bis vise effectivement à apporter une modification substantielle ; je suis d’accord pour dire qu’il s’agit de réécrire le texte.

En revanche, l’amendement dont nous discutons actuellement tend simplement à ajouter un dispositif de prévention des conflits. L’élément complémentaire que je propose me semble aller dans le sens de ce qui est recherché : diminuer la conflictualité et le nombre de grèves.

Mme la présidente. La parole est à Mme Catherine Procaccia, pour explication de vote.

Mme Catherine Procaccia. Ainsi que je l’ai indiqué, ce qui manque dans la proposition de loi, c’est un mécanisme de prévention des conflits qui impose un dialogue. Je rappelle à notre collègue rapporteur qu’un tel dispositif existait dans la proposition de loi qu’il avait cosignée…

Je ne sais pas si le délai retenu, quinze jours, est le bon, mais je pense qu’il est important d’avoir un tel élément dans le texte pour ne pas donner le sentiment de remettre en cause le droit de grève. En l’occurrence, il s’agit de prévenir les conflits en dialoguant d’abord, puis de mettre le système de préavis en place ensuite.

À titre personnel, je voterai l’amendement de mon collègue Vincent Capo-Canellas.

Mme la présidente. Je mets aux voix l’amendement n° 2 rectifié.

(Lamendement est adopté.)

Mme la présidente. En conséquence, l’article unique est ainsi rédigé.

Article unique
Dossier législatif : proposition de loi relative à la performance des services de la navigation aérienne
Article additionnel après l'article unique - Amendement n° 3 rectifié

Articles additionnels après l’article unique

Mme la présidente. L’amendement n° 1 rectifié bis, présenté par MM. Capo-Canellas, Bonnecarrère, Prince, Canevet, Détraigne, Henno, Laugier, Lafon, Janssens, Cigolotti, Kern, Médevielle et Vanlerenberghe, Mmes Guidez, Vullien, Loisier, Férat, N. Goulet et Dindar, M. Moga et Mmes de la Provôté, Létard, Gatel, Vermeillet, Doineau et Tetuanui, est ainsi libellé :

Après l’article unique

Insérer un article additionnel ainsi rédigé :

Au premier alinéa de l’article 3 de la loi n° 84-1286 du 31 décembre 1984 abrogeant certaines dispositions des lois n° 64-650 du 2 juillet 1964 relative à certains personnels de la navigation aérienne et n° 71-458 du 17 juin 1971 relative à certains personnels de l’aviation civile, et relative à l’exercice du droit de grève dans les services de la navigation aérienne, après le mot : « , désigne », sont insérés les mots : « dans la limite de 50 % de l’effectif opérationnel prévu d’être en fonction le jour de la cessation concertée du travail, ».

La parole est à M. Vincent Capo-Canellas.

M. Vincent Capo-Canellas. Cet amendement est, j’en conviens, plus substantiel.

Comme cela a été expliqué il y a quelques instants, la Direction des services de la navigation aérienne, la DSNA, peut pratiquer des réquisitions – d’ailleurs, elle ne s’en prive pas, et on la comprend – sur un taux important : 50 % des contrôleurs, voire plus, peuvent être réquisitionnés. L’amendement vise à combiner l’obligation de se déclarer gréviste à ce système.

Je propose de limiter le pourcentage de réquisitions à 50 %. Le mécanisme permet de connaître le nombre d’avions qu’il faudra supprimer, parce que l’on connaîtra le nombre de grévistes, et il sera possible de procéder à des réquisitions. La combinaison entre, d’une part, obligation de se déclarer gréviste et, d’autre part, maintien du taux de réquisitions à plus de 50 % pourrait être excessive. Je suggère donc de limiter les réquisitions à 50 % du personnel, ce qui garantit déjà un service minimum important.

Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?

M. Alain Fouché, rapporteur. Cet amendement tend à rédiger complètement l’article. Son adoption aurait pour effet d’écraser le texte et de supprimer l’obligation de déclaration préalable. (M. Vincent Capo-Canellas le conteste.)

L’avis de la commission est donc défavorable.

Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?

Mme Élisabeth Borne, ministre. Cet amendement concerne un autre sujet. Il s’agit de modifier le régime du service minimum des services de la navigation aérienne en limitant le nombre de personnels astreints à 50 % de l’effectif opérationnel en fonction le jour de la grève.

Je le rappelle, la loi de 1984 instaure une obligation de résultat sur la continuité d’un certain nombre de services à assurer. La fixation d’un plafonnement des astreintes est contradictoire avec l’obligation de garantir l’exécution du service minimum en toutes circonstances, selon les termes de la loi.

Si le plafond proposé était retenu, il pourrait parfois conduire à une diminution du niveau de service minimum, avec des conséquences en particulier sur la desserte de certains aéroports métropolitains. Cela ne manquerait pas d’avoir des incidences sur le traitement d’un certain nombre d’événements ponctuels, comme le Festival de Cannes ou le Grand Prix de Monaco, qui exposent certains aéroports à de très fortes variations d’activité. Dans ces circonstances, il peut se révéler nécessaire de disposer d’une capacité plus élevée nécessitant d’astreindre des personnels supplémentaires.

De telles situations ont fait l’objet à plusieurs reprises de jugements des tribunaux administratifs, qui en ont validé le bien-fondé. La limitation proposée ne permettrait pas au service du contrôle aérien de faire face, avec les conséquences économiques, médiatiques, mais également d’ordre public que l’on peut imaginer. Par ailleurs, la France s’exposerait à ne pas pouvoir respecter ses engagements internationaux.

Pour toutes ces raisons, le Gouvernement sollicite le retrait de cet amendement, faute de quoi l’avis serait défavorable.

Mme la présidente. La parole est à M. Vincent Capo-Canellas, pour explication de vote.

M. Vincent Capo-Canellas. J’en conviens tout à fait, cet amendement est plus substantiel. En revanche, monsieur le rapporteur, il n’écrase pas le texte. Dès lors que nous avons voté l’article unique, le texte existe. Je souhaite simplement ajouter un dispositif.

L’argument du Festival de Cannes ne me paraît pas le plus performant. (Sourires.) Certes, il faut évidemment veiller aux grands événements médiatiques ; ce n’est pas l’ancien maire du Bourget qui dira le contraire, pour d’autres événements !

J’accepte de retirer mon amendement, en notant toutefois que la combinaison des deux systèmes crée une petite fragilité.

Article additionnel après l'article unique - Amendement n° 1 rectifié bis
Dossier législatif : proposition de loi relative à la performance des services de la navigation aérienne
Intitulé de la proposition de loi

Mme la présidente. L’amendement n° 1 rectifié bis est retiré.

L’amendement n° 3 rectifié, présenté par MM. Capo-Canellas, Bonnecarrère, Prince, Henno, Détraigne, Lafon, Laugier, Moga, Canevet, Vanlerenberghe, Cigolotti, Médevielle et Kern et Mmes de la Provôté, Létard, Gatel, Doineau, Vermeillet, Tetuanui, Dindar, Vullien, Loisier, Férat, N. Goulet et Guidez, est ainsi libellé :

Après l’article unique

Insérer un article additionnel ainsi rédigé :

Avant le 16 octobre de chaque année, le Gouvernement présente au Parlement un rapport relatif à l’état d’avancement des grands programmes de modernisation des outils de contrôle de la navigation aérienne, menés par la direction des services de la navigation aérienne. Ce rapport détaille notamment les coûts de réalisation de chacun de ces programmes, les délais de mise en œuvre de ces outils dans les centres de contrôle en route et les tours de contrôle, et la performance opérationnelle de ces systèmes à l’aide d’indicateurs précis. Il rend également compte de l’état d’avancement du dialogue social avec les personnels du contrôle de la navigation aérienne afin d’améliorer l’organisation du travail dans les centres de contrôle pour répondre à l’évolution du trafic.

La parole est à M. Vincent Capo-Canellas.

M. Vincent Capo-Canellas. Comme je l’ai indiqué lors de la discussion générale, nous souhaitons que, chaque année, le Parlement puisse disposer d’un rapport. Il faut que les contrôleurs puissent voir par écrit l’état d’avancement de la modernisation de leur outil de travail. Cela me paraît utile lorsqu’on leur fixe de nouvelles contraintes.

Le sujet principal est que nous n’avons pas suffisamment modernisé aujourd’hui. Nous aurons bientôt dépensé 2,1 milliards d’euros pour un système qui n’est pas encore performant aujourd’hui.

Nous devons augmenter la capacité de traitement des vols ; c’est un vrai sujet. Comme je l’ai souligné dans mon rapport – mon but n’était pas de polémiquer ou de stigmatiser qui que ce soit –, la France a une difficulté. J’ai pointé un certain nombre de fragilités sur lesquelles nous devons réfléchir : à ce prix-là, si j’ose dire, il faudrait tout de même qu’on y voit clair sur le rythme avec lequel nous pourrons nous doter de matériels et de logiciels dont les autres pays ont pu bénéficier.

J’ai beaucoup de respect pour ceux dont c’est le métier. C’est une mission particulièrement difficile. Il y a aussi des enjeux industriels. Je sais que Mme la ministre, la DSNA et la DGAC en sont conscientes.

Je propose donc de nous doter collectivement d’une visibilité sur la modernisation de ce service, en parallèle de l’effort qui est demandé aux contrôleurs sur le droit de grève.

Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?

M. Alain Fouché, rapporteur. Cet amendement prévoit que le Gouvernement présente chaque année au Parlement un rapport sur l’état d’avancement des programmes de modernisation des outils de contrôle de la navigation aérienne, le rapport devant notamment présenter le délai de mise en œuvre de ces outils, ainsi que leur performance opérationnelle.

Une telle demande fait suite au constat alarmant que notre collègue Vincent Capo-Canellas a effectivement dressé dans son rapport sur le contrôle aérien au mois de juillet dernier. Ce rapport montre que l’obsolescence des instruments de navigation aérienne est responsable de nombreux retards de vol et que les programmes de modernisation de ces instruments ont pris beaucoup de retard et représentent un coût très important.

Une telle préoccupation a d’ailleurs été relayée par l’ensemble des syndicats que j’ai auditionnés. Nous partageons cette inquiétude.

La commission a donc émis un avis favorable sur cet amendement, qui, s’il est adopté, permettra au Parlement d’être régulièrement informé de l’avancement des programmes de modernisation.

Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?

Mme Élisabeth Borne, ministre. Mener à bien ces grands programmes de modernisation de nos outils de contrôle aérien est effectivement un impératif. Je regrette le retard qui a été pris, en raison parfois de contraintes budgétaires.

Il me semble indispensable de doter nos contrôleurs aériens des meilleurs outils. Je trouve parfaitement légitime que le Parlement souhaite avoir un compte rendu régulier de l’avancement de la modernisation de ces outils.

Le Gouvernement émet donc un avis favorable sur cet amendement.

Mme la présidente. Je mets aux voix l’amendement n° 3 rectifié.

(Lamendement est adopté.)

Mme la présidente. En conséquence, un article additionnel ainsi rédigé est inséré dans la proposition de loi, après l’article unique.

Article additionnel après l'article unique - Amendement n° 3 rectifié
Dossier législatif : proposition de loi relative à la performance des services de la navigation aérienne
Explications de vote sur l'ensemble (début)

Intitulé de la proposition de loi

Mme la présidente. L’amendement n° 4 rectifié, présenté par MM. Capo-Canellas, Bonnecarrère, Prince, Henno, Cigolotti, Médevielle, Lafon, Laugier, Moga, Canevet, Détraigne, Vanlerenberghe, Kern et Janssens et Mmes de la Provôté, Létard, Gatel, Doineau, Vermeillet, Tetuanui, Vullien, Loisier, Dindar, Férat, N. Goulet et Guidez, est ainsi libellé :

Rédiger ainsi cet intitulé :

Proposition de loi relative à la performance des services de la navigation aérienne

La parole est à M. Vincent Capo-Canellas.

M. Vincent Capo-Canellas. Cet amendement vise à modifier l’intitulé de la proposition de loi. Certains m’objecteront peut-être qu’il s’agit d’un problème sémantique, ce que je peux entendre.

Je propose de remplacer l’intitulé : « Proposition de loi sur la déclaration d’un préavis de grève des contrôleurs aériens » par : « Proposition de loi relative à la performance des services de la navigation aérienne ». La performance constitue un tout : elle englobe le dialogue social et l’ensemble des sujets que nous venons d’aborder.

Je soumets donc cette suggestion à votre sagacité.

Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?

M. Alain Fouché, rapporteur. Cet amendement vise à modifier l’intitulé du texte, afin de l’appeler : « Proposition de loi relative à la performance des services de la navigation aérienne ». C’est un amendement de conséquence par rapport aux amendements précédents, tendant à réécrire en totalité la proposition de loi.

La commission, qui s’est prononcée en faveur du maintien du dispositif prévu par la proposition de loi sur l’obligation de déclaration préalable de participation à une grève lors de l’examen des amendements précédents, émet un avis défavorable sur cet amendement.

Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?

Mme Élisabeth Borne, ministre. Il me semble que cet amendement vise finalement à fixer l’objectif autour duquel nous sommes tous réunis, à savoir l’amélioration de la performance des services de la navigation aérienne, pour in fine rendre un meilleur service aux passagers. J’émets donc un avis favorable.

Mme la présidente. Je mets aux voix l’amendement n° 4 rectifié.

(Lamendement est adopté.)

Mme la présidente. En conséquence, l’intitulé de la proposition de loi est ainsi rédigé.

Vote sur l’ensemble

Intitulé de la proposition de loi
Dossier législatif : proposition de loi relative à la performance des services de la navigation aérienne
Explications de vote sur l'ensemble (fin)

Mme la présidente. Avant de mettre aux voix l’ensemble de la proposition de loi, je donne la parole à Mme Catherine Procaccia, pour explication de vote.

Mme Catherine Procaccia. J’espère que Mme la secrétaire d’État profitera du vote de cette proposition de loi pour obtenir, d’ici à quelques mois ou un an, un véhicule qui lui permettra, comme ça a été le cas en d’autres occasions au Sénat, de faire évoluer les choses afin d’aboutir à cette performance de service, en intégrant un certain nombre d’éléments qui, pour l’instant, ne figurent pas encore dans la loi et en améliorant le système de déclaration du droit de grève.

Mme la présidente. Personne ne demande plus la parole ?…

Je mets aux voix, dans le texte de la commission, modifié, l’ensemble de la proposition de loi.

(La proposition de loi est adoptée.) – (Applaudissements sur des travées du groupe Les Indépendants – République et Territoires ainsi que sur des travées du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen.)

Mme la présidente. Mes chers collègues, nous allons maintenant interrompre nos travaux ; nous les reprendrons à vingt et une heures cinquante.

La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à vingt heures vingt, est reprise à vingt et une heures cinquante, sous la présidence de M. Philippe Dallier.)

PRÉSIDENCE DE M. Philippe Dallier

vice-président

M. le président. La séance est reprise.

Explications de vote sur l'ensemble (début)
Dossier législatif : proposition de loi relative à la performance des services de la navigation aérienne
 

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Emplois non pourvus en France : quelles réponses ? quelles actions ?

Débat organisé à la demande du groupe Les Indépendants – République et Territoires

M. le président. L’ordre du jour appelle le débat, organisé à la demande du groupe Les Indépendants – République et Territoires, sur le thème : « Emplois non pourvus en France : quelles réponses ? quelles actions ? »

Nous allons procéder au débat sous la forme d’une série de questions-réponses dont les modalités ont été fixées par la conférence des présidents.

Je vous rappelle que l’auteur de la demande du débat dispose d’un temps de parole de huit minutes, puis le Gouvernement répond pour une durée équivalente.

À l’issue du débat, le groupe auteur de la demande dispose d’un droit de conclusion pour une durée de cinq minutes.

Voici qui est original : M. Joël Guerriau, représentant du groupe auteur de la demande, auquel je devrais donner la parole en cet instant, n’est pas là ! (Sourires.)

Mes chers collègues, je vais donc suspendre la séance quelques instants.

La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à vingt et une heures cinquante-deux, est reprise à vingt et une heures cinquante-cinq.)

M. le président. La séance est reprise.

Madame la ministre, mes chers collègues, M. Joël Guerriau ne nous ayant pas encore rejoints, nous allons innover et commencer par entendre le Gouvernement. (Assentiment.)

Dans le débat, la parole est donc à Mme la ministre.

Mme Muriel Pénicaud, ministre du travail. Monsieur le président, mesdames les sénatrices, messieurs les sénateurs, je tiens tout d’abord à remercier le groupe Les Indépendants – République et Territoires d’avoir inscrit ce thème très important à l’ordre du jour de la Haute Assemblée.

Il va permettre de prolonger les débats que nous avons eus il y a une semaine exactement, sur la mission « Travail et emploi », rapportée notamment par votre collègue Emmanuel Capus. Plus largement, ce débat sur les emplois non pourvus nous permet de poursuivre nos discussions sur les réformes en cours et sur les ordonnances pour le renforcement du dialogue social, ainsi que sur la loi pour la liberté de choisir son avenir professionnel.

Le paradoxe, et c’est tout le sens de la question qui est posée, c’est l’existence concomitante, d’une part, de 2,6 millions de personnes qui cherchent un emploi et, d’autre part, d’un nombre croissant d’entrepreneurs qui veulent embaucher, mais qui, faute de trouver les compétences, voire même des candidats, renoncent à des marchés ou à défaut sont contraints à recourir au travail détaché.

En 2018, l’enquête besoins en main-d’œuvre, ou BMO, de Pôle emploi, montre que la pénurie de candidats dans 83 % des cas est le premier motif des difficultés de recrutement, devant l’inadéquation des candidatures et la nature du poste proposé.

Ce sont ainsi entre 250 000 à 330 000 offres d’emploi qui n’avaient pas été pourvues en 2017. Même si nous n’avons bien évidemment pas encore les chiffres, ce sera plus en 2018, en raison de la dynamique de création d’emplois : 211 000 créations nettes en un an, soit l’équivalent des habitants de la ville de Rennes. Plus la dynamique de création d’emplois est forte, plus le désajustement entre l’offre et la demande, entre les compétences disponibles et les compétences recherchées, apparaît.

Il convient toutefois de rappeler que, dans un contexte d’accroissement fort des offres d’emploi déposées – plus 9,2 % entre la mi-2017 et la mi-2018, soit 3,5 millions d’offres déposées –, une large majorité des offres – plus de 90 % – sont pourvues. Ici, on parle du delta. Dans l’ensemble, le système fonctionne, mais nous sommes tous d’accord ici pour trouver insupportable que 300 000 emplois ne soient pas pourvus faute de compétences alors qu’il existe tant de demandeurs d’emploi.

Une étude de la direction de l’animation de la recherche, des études et des statistiques, la DARES, publiée hier, identifie clairement deux situations de tension sur le marché du travail. Elles sont sensiblement différentes.

D’une part, on trouve des métiers pour lesquels on recherche des personnes plutôt qualifiées, avec des besoins de recrutements forts, mais où le nombre de demandeurs d’emploi est faible. Dans ce cas, la problématique apparaît davantage liée à la qualification et au manque de qualification disponible sur le marché : soudeurs, chefs cuisiniers, ingénieurs de l’informatique, techniciens de l’électricité, de la maintenance, etc.

D’autre part, on trouve des métiers où les besoins de recrutement de la part des entreprises sont importants et coexistent avec un nombre significatif de chômeurs, souvent peu qualifiés et avec une forte rotation de la main-d’œuvre : ouvriers du bâtiment, aides à domicile, serveurs.

Une question préalable se pose : comment en sommes-nous arrivés à une telle situation, qui se retrouve sur l’ensemble du territoire, même si certains d’entre eux sont plus tendus que d’autres ?

Ces tensions sur le marché du travail sont liées au fait que la croissance s’accélère : il y a donc plus de demandes. Mais elles résultent aussi d’une série de résignations dont le caractère insidieux et interdépendant au fil du temps a produit ces effets.

La France est un des pays qui a connu trente ans de chômage de masse – et nous n’en sommes pas encore sortis –, fruit de décennies de croissance en berne, qui ont entamé notre capacité d’anticipation des besoins en main-d’œuvre. Chacun le comprendra aisément, cela n’a pas grand sens de se former quand on n’a pas de perspectives d’avenir. Résultat, la qualification de notre main-d’œuvre disponible est assez peu élevée par rapport aux besoins. Il importe de sortir de cette fatalité.

Nous sommes ensuite résignés face à un système de formation professionnelle pourtant en pointe dans les années soixante-dix et quatre-vingt, mais qui s’est progressivement sclérosé, devenant très injuste puisque seul un demandeur d’emploi sur dix a accès à la formation depuis une dizaine d’années. Encore aujourd’hui, un salarié sur trois – notamment les ouvriers, les employés et les salariés des TPE – a peu accès à la formation.

Résignation également face à une image dévalorisée ou simplement datée des métiers, en particulier des métiers manuels ainsi que de leur voie de formation en apprentissage. Nous sommes en train de changer cet état de fait. La loi pour la liberté de choisir son avenir professionnel a créé une vraie dynamique puisque nous enregistrons une hausse de 6 % du nombre d’inscrits et de 45 % des demandes à la rentrée. Néanmoins, il faudra clairement continuer également à lutter contre ce phénomène.

Enfin, résignations face à des règles de l’assurance chômage qui ne permettent pas suffisamment de lutter contre la précarité et d’inciter au retour à l’emploi. Ce sera tout l’objet de la réforme à venir de l’assurance chômage.

Notre première réponse par rapport à ces défis a bien évidemment été la loi pour la liberté de choisir son avenir professionnel, avec la formation professionnelle et l’apprentissage. Nous avons également répondu par un effort inédit par son ampleur et sa durée en direction du Plan d’investissement dans les compétences, le PIC, qui s’étalera sur cinq ans.

Je rappellerai les trois axes d’action mis en œuvre par le Gouvernement.

Le premier axe, c’est le renforcement de l’attractivité des métiers en tension, couplée à une meilleure identification en temps réel de leur besoin en compétences. À cette fin, il convient tout d’abord d’améliorer la connaissance des métiers, car elle est très faible. Un effort devra être fait en matière d’éducation et d’orientation. Tel est le sens de la loi pour la liberté de choisir son avenir professionnel.

Nous avons lancé avec Pôle emploi le 20 septembre dernier l’opération #VersUnMétier. Elle consiste à organiser une fois par semaine et dans l’ensemble des agences Pôle emploi une rencontre – job dating, ateliers, visites – entre employeurs et candidats autour d’un métier ou d’un secteur en tension. Beaucoup d’emplois en tension sont accessibles à des salariés qui n’ont aucune expérience ni compétence dans le domaine, à condition qu’ils suivent une formation, ce à quoi personne ne pense.

Par exemple, dans le secteur de la cybersécurité ou du développement web, on peut former en plusieurs mois des personnes pour qu’elles soient en mesure d’occuper des emplois qualifiés. Pour autant, si on ne présente pas ces métiers et si on ne dit pas qu’ils sont accessibles, les demandeurs d’emplois restent dans l’ignorance et ne demandent pas à se former.

Cette meilleure connaissance des métiers, nous l’avons aussi renforcée sur le plus long terme au travers de la loi pour la liberté de choisir son avenir professionnel. Le même objectif est visé avec l’instauration des prépa-métiers ou des prépa-apprentissage en cours de lancement. Le PIC permettra de financer des prépa-apprentissage dans à peu près tous les secteurs.

En outre, près de la moitié du Plan d’investissement dans les compétences se fera en partenariat avec les régions au travers de pactes. Le PIC comprendra un important volet sur les métiers en tension. Je signerai d’ailleurs le premier pacte, celui du Grand Est, mercredi prochain à Metz avec le président de cette région.

La loi permet aussi de mettre en place les dispositifs « Pro A », de « reconversion et promotion par l’alternance », qui seront en particulier ciblés sur les nouveaux métiers.

Le Plan d’investissement dans les compétences comprendra 10 000 formations numériques puisque le secteur cherche 80 000 personnes et 10 000 formations aux métiers verts, qui se développent à toute vitesse. Au travers des PIC régionaux, nous disposerons de nombreux leviers pour travailler sur ces métiers en tension, y compris via le financement de gestion prévisionnelle des emplois et des compétences dans toutes les branches qui le souhaitent.

Enfin, le volet de l’assurance chômage sera important, car il importe également que le travail paie mieux. Cela fait partie des mesures annoncées par le Président de la République en début de semaine pour rendre l’emploi plus attractif.

En clair, ce débat aborde un vrai sujet. Il s’agit même d’une question d’intérêt national. L’offre et la demande, cela signifie plus de compétences pour les entreprises et moins de chômage pour les demandeurs d’emploi. Pour ce faire, il importe d’agir sur tous les leviers : la connaissance des métiers, l’incitation au travail, la reconnaissance des métiers et la formation massive pour tirer vers le haut l’ensemble des compétences. C’est ce à quoi nous nous sommes attelés avec votre concours. (MM. Daniel Chasseing et Olivier Cigolotti applaudissent.)

M. le président. La parole est à M. Joël Guerriau, pour le groupe auteur de la demande de débat.

M. Joël Guerriau, pour le groupe Les Indépendants – République et Territoires. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, chaque année, des centaines de milliers d’offres d’emploi ne trouvent pas preneur. À l’heure où le taux de chômage en France est de 9,3 % alors qu’il n’est que de 2,3 % en République tchèque et de 3,4 % en Allemagne et en Pologne, nous pouvons légitiment nous interroger, d’autant que le taux de chômage a baissé dans tous les États membres pour atteindre 6,6 % en moyenne dans la zone euro alors qu’il stagne en France.

Nous avons tous en mémoire une phrase qui a fait le buzz « traverser la rue pour trouver du travail ». Derrière cette phrase devenue célèbre se cache une réalité à nuancer.

En 2017, Pôle emploi a publié une étude sur les fameux emplois non pourvus. Ces offres restées sans réponse ne le sont pas forcément faute de « gens prêts à travailler ». Sur les 300 000 offres, 97 000 d’entre elles ont été annulées par les recruteurs eux-mêmes et 53 000 concernaient des offres toujours en cours. Et si 150 000 recrutements restants ont été abandonnés faute de candidat, surtout faute de profils adéquats, selon cette étude 19 500 offres d’emploi n’ont fait l’objet d’aucune candidature.

Enfin, quand on sait que les employeurs ont transmis en 2017 près de 24 millions de déclarations d’embauche, le nombre d’emplois non pourvus prend à cet égard une importance relative.

Néanmoins, cette absence de candidatures pose la question de l’inadéquation entre l’offre et la demande. Il existe des secteurs qui peinent à recruter et qui en souffrent.

Les candidatures sont inadaptées, les entreprises déplorent le manque de compétences, de connaissances techniques, d’expérience professionnelle ou l’absence d’un diplôme en lien avec le métier.

Les principaux postes non pourvus sont ceux d’employés et d’agents de maîtrise de l’hôtellerie et de la restauration, de cuisiniers, d’assistantes maternelles, de conducteurs de véhicule, de cadres, de technico-commerciaux, d’ingénieurs, de techniciens de l’informatique et de carrossiers. Cette liste ne présente aucune surprise, ces métiers connaissant régulièrement des problèmes de recrutement.

Si certains secteurs en tension demeurent, c’est sur eux qu’il faut donc concentrer nos efforts. Ce sont souvent des emplois ressentis comme peu valorisants et/ou peu rémunérateurs, mais aussi des métiers que l’on ne connaît pas vraiment ou qui ont mauvaise presse, comme celui de chaudronnier qui a aujourd’hui peu à voir avec l’image que l’on s’en fait communément.

Mon département, la Loire-Atlantique, malgré un taux de chômage inférieur à la moyenne nationale, ne déroge pas à cette situation. Selon le recensement de Pôle emploi des besoins en main-d’œuvre pour 2018, plus de 50 % des 54 236 projets de recrutement sont réputés difficiles. Pour 442 d’entre eux, la difficulté est même estimée à 100 %.

Dans ces projets de recrutement très difficiles qui représentent donc moins de 1 % du volume global, on retrouve principalement les métiers de charpentier, de régleur, d’ouvrier qualifié industriel, d’ouvrier non qualifié en artisanat, de vendeur en gros, de personnel navigant de l’aviation, d’agent de maîtrise en entretien, de conducteur d’engins, de contrôleur de transports ou encore de concierge.

Si certaines offres d’emploi ne trouvent pas preneur, c’est peut-être aussi parce qu’elles ne sont pas assez attractives, que ce soit au niveau des missions, du salaire ou au regard de la pénibilité.

Quand on recherche un emploi, on privilégie celui qui correspond à son souhait et à sa formation, ce qui est assez légitime. Généralement, le fait d’élargir ses recherches à d’autres secteurs d’activité fait que les niveaux de qualification et de rémunération sont alors moindres. Il est alors difficile pour la personne en recherche d’emploi de se projeter dans un nouveau projet professionnel quand celui-ci, en plus de l’éloigner de son profil initial, est financièrement non stimulant.

Enfin, l’attractivité d’un poste dépend aussi des conditions de vie et de la qualité de vie environnante. Entre 2007 et 2011, environ 500 000 personnes ont dû renoncer à un poste en raison de problèmes de logement et du surcoût de la mobilité exigée. À ce niveau, le mouvement des « gilets jaunes » a mis en évidence dans nos campagnes la problématique du coût de l’essence.

Un postulant qui se rend compte qu’aucun logement ne lui sera accessible au regard de ses revenus et/ou que les transports ne seront pas adaptés à ses horaires, même s’il a les capacités professionnelles pour répondre à l’offre, risque de se retrouver en difficulté et ne déposera peut-être pas sa candidature. C’est un élément très important à prendre en compte, surtout pour les secteurs qui fonctionnent essentiellement en temps partiel et en CDD. La restauration est, de ce point de vue, un bon exemple.

Cet environnement favorable est du ressort des collectivités locales, qui doivent penser leur aménagement en ce sens. Il est aussi du ressort des entreprises, qui doivent adapter ces offres non pourvues, notamment en termes de temps de travail, de rémunérations, de mobilité géographique, pour mieux répondre aux possibilités des candidats.

Enfin se pose le problème des nombreux jeunes formés dans des filières aux débouchés insuffisants pour satisfaire tout le monde. Le rôle des instances publiques doit être d’orienter ceux qui n’ont pas de projet professionnel défini vers les secteurs en tension et en devenir, et de les inciter à se former en ce sens.

Dans un monde du travail où le secteur des services occupe près de 75 % de l’économie française, où la numérisation et la robotisation constituent une vague irrésistible, la politique de formation est un enjeu stratégique. La formation professionnelle, initiale et continue demeure donc un enjeu clé. Il est essentiel de mieux cibler les formations et surtout de mieux les adapter aux demandeurs d’emploi.

Pour conclure, le chômage n’est pas simplement un choix personnel qui se résoudrait en traversant la rue.

Concernant les emplois non pourvus, il ne faut pas se concentrer sur une vaine bataille de chiffres. Le marché du travail est en perpétuelle évolution et a besoin de souplesse. La question fondamentale de la politique de l’emploi demeure l’accroissement du nombre d’offres, pas leur pourvoi intégral !

Néanmoins, pour changer la donne, chacun doit prendre ses responsabilités : à l’État de mieux adapter l’offre de formation aux besoins ; aux entreprises de rendre certains métiers boudés par les candidats plus attractifs en termes de salaire, d’horaires ou de conditions de travail ; aux collectivités de faciliter la mobilité géographique liée aux coûts du logement ou des transports. Bref, ce débat a pour objet d’esquisser des pistes, car il y a urgence. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Indépendants – République et Territoires. – MM. Yves Bouloux et Olivier Cigolotti applaudissent également.)

Débat interactif

M. le président. Je rappelle que chaque orateur dispose de deux minutes maximum pour présenter sa question avec une réponse du Gouvernement pour une durée équivalente. Dans le cas où l’auteur de la question souhaite répliquer, il dispose de trente secondes supplémentaires à la condition que le temps initial de deux minutes n’ait pas été dépassé.

Dans le débat interactif, la parole est à Mme Cathy Apourceau-Poly.

Mme Cathy Apourceau-Poly. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, alors que le Président de la République a annoncé regretter ses propos blessants à l’égard des Français, nous avons encore toutes et tous en tête la réponse faite à un jeune en recherche d’emploi qui l’avait interpellé sur la question du chômage et auquel il avait répondu : « Je traverse la rue et je vous trouve un emploi » !

L’attitude arrogante du Président de la République qui ramène le problème du chômage à une question de bonne « volonté » reprenait un vieil argument du patronat selon lequel ce sont les chômeurs qui ne souhaitent pas travailler.

Pourtant les chiffres sont têtus. Selon Pôle emploi, en 2017, plus de neuf offres d’emploi sur dix ont été pourvues et les offres d’emploi qui n’ont fait l’objet d’aucune candidature sont rares : seulement 18 000 d’entre elles, soit 0,6 % du total. Rapporté aux 6 millions de chômeurs, cela représente un poste disponible pour trois cent trente-trois demandeurs d’emploi. Nous sommes donc bien loin du compte !

Face à ce « problème », le Premier ministre a déclaré vouloir faire du développement de la formation et de l’apprentissage « une voie royale pour trouver un métier ». Pourtant, à la demande du Gouvernement, l’Agence nationale pour la formation professionnelle des adultes, l’AFPA, projette de fermer trente-huit centres de formation et de supprimer 1 541 postes en CDI.

Avez-vous l’intention, madame la ministre, de laisser fermer des sites de formation de l’AFPA sur nos territoires alors qu’ils sont pourtant indispensables à la formation aux nouveaux métiers ?

M. le président. La parole est à Mme la ministre.

Mme Muriel Pénicaud, ministre du travail. Madame la sénatrice, votre question soulève beaucoup de points. Je reprendrais ceux qui correspondent à la formation.

Oui, tout n’est pas formation, mais les enquêtes de l’INSEE, de Pôle emploi ou de Bpifrance montrent qu’une fois sur deux les difficultés de recrutement sont liées à un problème de compétence et donc de formation.

Voilà pourquoi nous avons engagé une grande réforme de l’apprentissage. Comme je l’ai rapidement évoqué dans mon propos liminaire, on peut réussir grâce à l’apprentissage, car il s’agit d’une véritable voie d’excellence et de réussite. Les résultats sont très encourageants. Les décrets n’ont pas encore été publiés que la dynamique est déjà enclenchée autour de la loi puisque l’apprentissage augmente significativement. Des outils ont d’ores et déjà été mis en place pour permettre aux opérateurs d’agir.

En ce qui concerne le Plan d’investissement dans les compétences, il a démarré de façon très forte. Nous nous préparons à signer avec la quasi-totalité des régions des plans d’accélération.

En ce qui concerne l’AFPA, la situation est très claire. Cela fait dix ans que l’AFPA survit chaque année grâce à une aide d’urgence de l’État qui lui permet de boucler son budget. Depuis cinq ans, ce sont plus de 700 millions d’euros de déficit qui ont été accumulés. Cette situation est désespérante à la fois pour les territoires et pour les salariés de l’AFPA, qui ne voient pas l’avenir.

La Direction générale de l’AFPA a proposé une réforme structurelle qui va permettre de recentrer cette agence sur des missions plutôt régaliennes : la formation des réfugiés, des personnes les plus vulnérables et les plus en difficulté.

On ne peut pas continuer à demander à l’AFPA de toujours jouer le jeu de la concurrence et donc de perdre, très souvent, les appels d’offres lancés par les régions parce qu’elle n’est pas dans la même situation que ses concurrents.

Il faut faire en sorte, bien sûr, de garder une offre de formation dans les territoires. Les centres AFPA feront ainsi une offre mobile – l’« AFPA nomade » –, afin que des formations soient assurées sur tout le territoire, y compris là où des regroupements sont faits.

Sur le plan social, j’ai demandé à la Direction générale de mener cette réforme afin de sauver l’AFPA, et ce dans les meilleures conditions. Pour 600 personnes qui partent à la retraite, 600 postes seront créés. J’espère que tous ces mouvements se feront de façon volontaire. C’est en tout cas l’esprit de la réforme.

Mais on ne pourra pas, en 2019, compter sur l’AFPA pour tout !

M. le président. La parole est à Mme Cathy Apourceau-Poly, pour la réplique.

Mme Cathy Apourceau-Poly. Je vous remercie pour votre réponse, madame la ministre, mais elle ne me satisfait guère.

La décision qui touche l’AFPA va en effet se traduire par des fermetures d’établissements publics qui fonctionnaient sur nos territoires et permettaient à des personnes, au terme de six à onze mois de formation, d’acquérir une qualification, ce qui n’est pas rien ! Cet organisme affichait tout de même un taux de réinsertion dans l’emploi de l’ordre de 66 %.

Nous regrettons donc cette décision du Gouvernement.

S’agissant de l’apprentissage, je suis d’accord avec vous lorsque vous dites qu’il peut mener à une voie d’excellence. Lorsque la formation initiale est bonne, l’apprentissage permet en effet de décrocher un diplôme d’études supérieures.

M. le président. La parole est à Mme Corinne Féret.

Mme Corinne Féret. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, nous sommes réunis ce soir pour échanger sur un sujet qui fait trop souvent l’objet de questionnements, d’interrogations, voire d’incompréhensions : celui des emplois non pourvus. Pourtant, on le sait, il ne suffit pas de « traverser la rue » et de postuler à un emploi pour être embauché.

S’il existe dans certains secteurs, comme ceux du bâtiment, de l’industrie hôtelière ou des services à la personne, un fossé entre demandeurs d’emploi et recruteurs, il n’est pas forcément et exclusivement le fait des premiers.

De même, si la plupart des offres d’emploi non pourvues dans ces secteurs le sont en raison de leur manque d’attractivité, la question de la formation – vous l’avez dit, madame la ministre – reste posée.

Après le plan de formation de 500 000 chômeurs mis en place par le précédent gouvernement, vous avez lancé le Plan d’investissement dans les compétences, le PIC, avec pour ambition de former 1 million de demandeurs d’emploi peu ou pas qualifiés et 1 million de jeunes éloignés du marché du travail. Nous ne pouvons que saluer cette volonté.

Au regard du projet de loi de finances pour 2019, marqué par la forte contraction des crédits de la mission « Travail et Emploi » pour la deuxième année consécutive, de près de 3 milliards d’euros, et par un affaiblissement historique des différents opérateurs publics chargés de l’accompagnement vers l’emploi, permettez-moi de formuler mes plus vives inquiétudes. Je m’interroge tout particulièrement sur les capacités de ces acteurs à porter le PIC.

Prenons l’exemple de Pôle emploi, particulièrement touché, avec une baisse de la subvention pour charges de service public de 85 millions d’euros et l’annonce de la suppression d’au moins 800 équivalents temps plein l’an prochain.

Je n’ai pas le temps, malheureusement, d’évoquer la situation des missions locales et des Maisons de l’emploi, elles aussi fragilisées, ni même de revenir sur les difficultés, précédemment évoquées, de l’AFPA, qui montrent bien que la question de l’accompagnement et de la formation des chômeurs dans nos territoires reste posée.

Pourriez-vous, madame la ministre, nous présenter un premier bilan du PIC et de ses perspectives ? (Mmes Viviane Artigalas, Michelle Meunier et Nadine Grelet-Certenais applaudissent.)

M. le président. La parole est à Mme la ministre.

Mme Muriel Pénicaud, ministre du travail. Madame la sénatrice, nous avons voulu, afin d’éviter que la qualité ne baisse, ne pas lancer trop vite le PIC.

Nous avons vu, dans le passé, que procéder par à-coups ne permettait pas forcément à l’offre de formation et aux opérateurs qui accompagnent celle-ci d’être au rendez-vous. Nous avions donc choisi, pour 2018, d’atteindre un niveau d’effort de formation supérieur à celui de l’année précédente, mais pas trop élevé, pour permettre aux régions, aux professions et à l’ensemble des opérateurs de préparer la mise en place du système.

Nous allons accélérer le rythme en 2019 puisque nous allons quasiment doubler l’effort de formation dans le PIC, le système de formation et les régions étant désormais mûrs pour cela.

Pour ce qui est des opérateurs, nous avons inscrit ce sujet dans la réflexion que nous menons région par région.

Selon l’investissement qui est fait dans les régions, la situation n’est pas la même. En Bretagne et en Normandie, par exemple, il n’y a pas de fermeture de centres AFPA, car ces régions ont toujours « joué le jeu » à l’égard de ces centres. J’insiste, il y a donc des différences selon les régions.

S’agissant de Pôle emploi, sa recette principale est assise sur la masse des salaires. Lorsque l’emploi est en hausse, les salaires augmentent. Aujourd’hui, les ressources de Pôle emploi continuent donc à augmenter, malgré la baisse de subventions de l’État.

De ce fait, Pôle emploi aura donc davantage de moyens l’année prochaine : 100 millions d’euros supplémentaires. Ces moyens bénéficieront à l’accompagnement et aux effectifs, puisque la suppression des 400 équivalents temps plein est plus que compensée par la numérisation, laquelle permet de dégager davantage de productivité.

Quant au budget de l’ensemble des missions locales, il est en baisse, avec l’ensemble des trois enveloppes, de 1,1 %. Cela signifie que la demande de productivité est très faible, et là aussi la numérisation est en cours.

Tous les réseaux sont donc en ordre de marche pour accompagner aujourd’hui cette transformation.

M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Moga.

M. Jean-Pierre Moga. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, au troisième trimestre de 2018, ce sont 5,6 millions de personnes qui étaient inscrites à Pôle emploi en catégorie A, B et C, parmi lesquelles 3,4 millions étaient sans emploi.

Selon une étude de Pôle emploi portant sur l’année 2017, 300 000 offres n’ont pas été pourvues et 150 000 ont réellement conduit à un abandon de recrutement, faute de candidats.

Ces chiffres apportent un éclairage intéressant. Pour autant, les emplois non pourvus sont bien une réalité, que ce soit dans l’hôtellerie-restauration, la chaudronnerie, le BTP ; je pense notamment aux emplois de couvreur, de maçon et de technicien.

Nous constatons également qu’il existe très peu d’emplois non pourvus dans les grandes entreprises, alors que les entreprises de moins de 50 salariés, et a fortiori de moins de 10 salariés, peinent à recruter. Cela s’explique par le manque de culture « ressources humaines » des TPE.

Madame la ministre, nous avons travaillé cet été avec vous sur la formation et l’apprentissage. C’était indispensable.

Si nous voulons que ces offres d’emploi trouvent preneur, il convient de rendre ces métiers plus attractifs. Or l’attractivité de ces secteurs n’étant pas constituée du simple fait de l’existence de postes disponibles, il est important de trouver d’autres leviers.

Les employeurs expliquent à Pôle Emploi l’insuffisance de recrutement par un manque d’expérience, de motivation ou de compétence des candidats.

Une enquête auprès de 5 000 professionnels de l’hôtellerie-restauration montrait que les faibles salaires et les heures supplémentaires non rémunérées étaient cités en tête des raisons expliquant les difficultés de recrutement du secteur.

Pour rendre ces métiers plus attractifs, les accords de branche ou d’entreprise sont des leviers intéressants, mais il est indispensable de mobiliser d’autres moyens.

M. le président. Il faut conclure.

M. Jean-Pierre Moga. C’est pourquoi j’aimerais savoir ce que le Gouvernement pourrait mettre en œuvre – pourquoi pas avec le concours des chambres de commerce et d’industrie, les CCI, et des chambres de métiers et de l’artisanat ? – pour que ces entreprises puissent recourir à un service d’accompagnement et de soutien tout au long de leur activité.

M. le président. La parole est à Mme la ministre.

Mme Muriel Pénicaud, ministre du travail. Monsieur le sénateur, vous soulevez un problème important. En termes de recherche de compétences ou de ressources, les petites et moyennes entreprises sont, à la fois, celles qui ont le plus besoin d’embaucher et celles qui sont le moins équipées en matière de recrutement.

Le premier point que vous avez évoqué est la capacité d’ingénierie des ressources humaines.

Dans le cadre du PIC, une partie est réservée à la structuration de l’offre et à l’accompagnement, dans laquelle nous avons prévu des appels à projets pour l’accompagnement par les branches des petites et moyennes entreprises.

La loi pour la liberté de choisir son avenir professionnel prévoit également la création d’opérateurs de compétences, les OPCO, par grandes familles de métiers, dont le rôle sera de conseiller les petites et moyennes entreprises.

Nous allons aussi développer l’apprentissage, dont nous avons beaucoup parlé cet été.

Il faut enfin évoquer des conditions de travail, au sens large, qui sont moins attractives dans certains métiers que dans d’autres.

Ma conviction est qu’il n’y a pas de fatalité. Évoquer les conditions de travail, c’est parler de santé et de sécurité au travail, et parfois d’horaires de travail, de salaires, voire de précarité du travail.

N’ayant pas le temps d’approfondir tous ces sujets, je m’en tiendrai à celui de la précarité.

Les secteurs les moins attractifs sont aussi ceux qui proposent le plus d’emplois en CDD et en intérim. Être obligé de se déplacer loin de chez soi pour occuper un emploi peu qualifié et temporaire, alors même que les règles de l’assurance chômage n’incitent pas à reprendre un travail lorsqu’il est temporaire, on comprend que cela n’encourage pas à travailler et que les difficultés restent importantes.

Il nous faut donc travailler sur les conditions de travail et réfléchir à la question des règles qui rendent l’emploi précaire moins attractif pour les employeurs. C’est l’un des objectifs de la réforme de l’assurance chômage.

M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Decool.

M. Jean-Pierre Decool. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, je souhaite remercier les orateurs qui m’ont précédé pour leurs interventions qui ont mis en avant les grands enjeux de ce débat.

Je voudrais, quant à moi, évoquer plus spécifiquement la question de l’apprentissage, pour lequel de nombreuses offres de formation et de contrats de travail en alternance ne sont pas pourvues.

Dans ma région, nombreux sont les lycées professionnels et les entreprises qui cherchent sans succès de jeunes apprentis, notamment dans les filières traditionnelles de l’hôtellerie-restauration, de l’alimentation, de l’industrie, mais aussi dans certaines filières plus innovantes, comme le numérique.

L’apprentissage est une voie d’avenir qui forme à de nouveaux métiers, des plus traditionnels aux plus innovants. Dans les Hauts-de-France, il est possible de préparer plus de 530 diplômes par la voie de l’apprentissage.

Cette année encore, plus de 33 000 jeunes de ma région ont choisi l’apprentissage pour se former au métier de leur choix, dans l’un des 380 centres de formation. Mais c’est loin d’être suffisant ! Il faudrait 50 000 jeunes pour satisfaire les entreprises et remplir les formations.

Comment améliorer cette situation ? Comment mieux communiquer auprès des jeunes pour revaloriser ces filières ? Car choisir l’apprentissage, c’est opter pour l’excellence, l’accès à une qualification reconnue et la perspective d’une insertion professionnelle rapide : près de 70 % des apprentis trouvent un emploi dans l’année qui suit l’obtention de leur diplôme.

Le Gouvernement a décidé de simplifier le dispositif et de créer de nouveaux circuits de financement dans la loi pour la liberté de choisir son avenir professionnel. Il faut maintenant aller plus loin en travaillant sur le terrain avec les collectivités locales, les centres de formation et les entreprises afin d’attirer davantage de jeunes dans ces filières et formations d’avenir.

M. le président. La parole est à Mme la ministre.

Mme Muriel Pénicaud, ministre du travail. Monsieur le sénateur, nous partageons cette conviction que l’apprentissage est l’une des grandes voies permettant de lutter contre le chômage massif des jeunes, véritable drame pour notre pays, pour les jeunes et pour leurs familles.

Xavier Bertrand, le président de la région Hauts-de-France, que vous avez évoquée, a été le premier à soutenir la réforme que nous mettons en place afin de développer massivement l’apprentissage.

De nombreux freins existaient. Votre question concerne particulièrement l’appétence, la connaissance et l’envie des jeunes d’aller vers l’apprentissage.

Pour donner envie de se diriger vers l’apprentissage, il faut rendre attractifs, à la fois, le métier, en le faisant connaître, et l’apprentissage lui-même. La loi pour la liberté de choisir son avenir professionnel permet d’accomplir plusieurs révolutions à ce niveau.

Tout d’abord, tous les jeunes, de la classe de quatrième jusqu’à la première, suivront désormais 54 heures annuelles de découverte des métiers, organisées par les régions, les professionnels, les collèges et les lycées.

Depuis un an, il est beaucoup question de cette loi, notamment grâce à des reportages et des témoignages. Bien que nous en soyons seulement au tout début de la réforme, nous avons eu l’heureuse surprise de constater, au mois de juin dernier, que les demandes des jeunes à la sortie de la troisième ont crû de 45 %. Ce n’était jamais arrivé ! L’une des raisons de ce succès est que l’éducation nationale met désormais sur le même plan toutes les filières, y compris dans l’évaluation des proviseurs et des conseillers principaux d’éducation. Là aussi, c’est la première fois que cela arrive.

Dans le cadre de mes incessantes visites de terrain, j’ai dû visiter une cinquantaine de CFA dans l’année. Une chose me frappe : lorsque je demande aux jeunes comment ils ont connu l’apprentissage, deux sur trois me répondent qu’un membre de leur famille fait ce métier ou leur a fait découvrir l’apprentissage. Il convient donc de mener une véritable opération de reconquête des esprits. Au vu des premiers résultats obtenus, je suis confiante.

Nous devons désormais mieux organiser l’offre et la demande, dans la mesure où des entreprises cherchent des apprentis, et des apprentis cherchent des entreprises. Les régions vont s’y atteler dans le cadre de leurs compétences d’orientation. Une fois la mise en contact entre les jeunes et les entreprises organisée par les organismes publics et les professions, nous allons pouvoir progresser massivement.

Il est intéressant que les jeunes commencent à découvrir la diversité des emplois. L’opération que nous avons menée ces dernières semaines avec des youtubeurs – des jeunes en apprentissage qui témoignaient de leur expérience – a ainsi eu un succès énorme, touchant 3 millions de personnes.

Je voudrais insister sur la situation des jeunes issus des quartiers prioritaires de la politique de la ville et des jeunes handicapés, qui ont très peu accès à l’apprentissage. C’est la raison de la nomination à mes côtés de Patrick Toulmet en tant que délégué interministériel au développement de l’apprentissage dans les quartiers prioritaires de la politique de la ville. Sa mission sera de labourer le terrain et d’aller au contact de ces jeunes afin qu’ils accèdent, eux aussi, à l’apprentissage, cette voie de réussite.

M. le président. La parole est à Mme Frédérique Puissat. (MM. Jean-Raymond Hugonet et Serge Babary applaudissent.)

Mme Frédérique Puissat. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, je remercie les membres du groupe Les Indépendants – République et Territoires d’avoir pris l’initiative de ce débat. Je ne reviendrai pas sur les chiffres qui ont été cités.

Nous traitons là d’un mal français, lié à l’inadéquation entre les entreprises et la main-d’œuvre disponible. Il s’agit, au-delà, d’un élément majeur du sentiment d’injustice qui forge le populisme, décrédibilise nos institutions, et sur lequel pas plus l’ancien monde que le nouveau n’ont trouvé de solution.

Mes questions, qui sont au nombre de trois, s’appuient sur l’expérience de la filière logistique, qui est confrontée à des difficultés, et à laquelle Le Figaro de ce jour a consacré un article intitulé Pénurie de main-dœuvre dans le transport et la logistique. Je vous ferai part, aussi, de la situation des entreprises de l’Isère.

Premièrement, ces entreprises, souhaitant recruter, ont dû solliciter l’éducation nationale pour faire connaître leurs métiers – leur approche était très large, et comprenant aussi les jobs d’été. N’est-il pas temps de casser les codes et d’imposer à l’éducation nationale des immersions plus étroites dans le milieu économique de proximité ? Je ne parle pas seulement de formation, je parle aussi de connaissance de l’autre et, encore une fois, du milieu économique.

Je ne reprendrai pas la fameuse phrase du Président de la République, dont on peut penser ce que l’on veut… Mais elle est significative d’une chose : nos concitoyens doivent intégrer le fait qu’en attendant de trouver un emploi dans la branche pour laquelle on a été formé, il est indispensable d’accepter de s’engager dans une autre branche. Pour cela, il demeure indispensable de réviser les règles d’indemnisation aux fins d’inciter à la reprise d’un emploi ; c’est l’objectif de la réforme de l’assurance chômage.

Deuxièmement, pouvez-vous nous éclairer, madame la ministre, sur les éléments qui vont dans ce sens dans la dernière lettre de cadrage du Gouvernement sur l’assurance chômage, adressée aux partenaires sociaux ?

Troisièmement, je veux vous faire part de l’expérience de la filière logistique iséroise, qui a créé un pôle d’intelligence logistique visant à promouvoir ses métiers. Cette initiative s’est construite avec Pôle emploi, qui a accepté de se remettre en cause au vu de l’inadéquation à l’œuvre sur le marché du travail, et avec le préfet.

Pensez-vous que les préfets et les agents de l’État ont des consignes suffisamment pressantes et effectives pour s’atteler à cette dynamique économique, dont l’enjeu devrait être une priorité majeure ? (Mme Patricia Morhet-Richaud, ainsi que MM. Yves Bouloux et Jean-Raymond Hugonet applaudissent.)

M. le président. La parole est à Mme la ministre.

Mme Muriel Pénicaud, ministre du travail. Madame la sénatrice, vous avez évoqué plusieurs points très importants.

Tout d’abord, la filière de la logistique et du transport fait en effet partie des métiers en forte tension, car le nombre d’offres d’emploi y explose. C’est le pendant des problèmes de la distribution, dans la mesure où c’est le e-commerce qui fait augmenter ce chiffre.

Dans le cadre du PIC, un dispositif est prévu pour cette branche professionnelle logistique, qui est décliné dans les différents plans régionaux.

Vous avez mentionné l’Isère. Je suis obligée de dire que, dans certaines régions, il est plus difficile et plus long de mettre en œuvre les plans régionaux et le plan d’investissement parce que celles-ci ne souhaitent pas s’associer au PIC. C’est le cas, pour l’instant, de la région Rhône-Alpes, et je le regrette. J’espère que cela changera.

Compte tenu de la baisse très forte des crédits de formation pour les demandeurs d’emploi en région Rhône-Alpes – une diminution de 65 % pour les bas niveaux de qualification –, nous ne sommes pas en mesure de signer ces formations, et c’est Pôle emploi qui prend le relais.

Pôle emploi est certes très impliqué, mais, vous l’avez dit, il faut aussi mobiliser l’éducation nationale. Je le disais, il y aura chaque année dans l’ensemble des collèges et des lycées une ouverture à la découverte des métiers, dont bénéficieront plus de 3 millions de jeunes chaque année. Si je me fie à mon expérience, ce qui convaincra le plus les jeunes de se diriger vers l’apprentissage, c’est de rencontrer des professionnels, un apprenti, un maître d’apprentissage, un jeune qui aura cinq ans de plus que lui, un ingénieur qui a fini ses études et va lui transmettre la passion d’un métier qu’il ne connaît pas et auquel il va s’identifier.

Pour préparer la rentrée, le ministre de l’éducation nationale Jean-Michel Blanquer et moi-même avons écrit de concert aux préfets et aux recteurs pour leur demander de se mobiliser et de réfléchir à ce problème du rapport entre l’offre et la demande, en visant les jeunes qui sortent de troisième. Je pense notamment aux jeunes décrocheurs qui, pour certains, « disparaissent » pendant deux ou trois ans avant que les missions locales puissent intervenir. Il faut agir dès la sortie de l’école, à tous les niveaux, à bac + 4 comme à la sortie de la troisième.

Enfin, vous avez évoqué l’assurance chômage. À cet égard, nous nous sommes concentrés sur les règles liées à la précarité, ce que j’appelle la « précarité excessive ». Aujourd’hui, neuf propositions d’embauche sur dix sont en CDD ou en intérim. C’est probablement le problème majeur posé par nos règles d’assurance chômage, et notre priorité est de le régler. Bien évidemment, les partenaires sociaux ont toute liberté pour aller plus loin dans la réflexion. Peut-être feront-ils aussi des propositions sur ce sujet ?

M. le président. La parole est à Mme Patricia Schillinger.

Mme Patricia Schillinger. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, les chiffres ont déjà été annoncés : on décompte en France près de 300 000 emplois non pourvus, et l’un des secteurs les plus touchés est celui de l’aide à domicile.

En effet, 78 % des responsables de structures déclarent rencontrer des difficultés de recrutement. Pourtant, il s’agit d’un secteur en pleine évolution. D’ici à 2030, le nombre d’emplois d’aide à domicile à pourvoir s’élèvera à environ 300 000.

L’importance de ce gisement d’emplois s’explique par le boom démographique. Il y a aujourd’hui en France 15 millions de personnes âgées de plus de 60 ans ; elles seront près de 20 millions en 2030.

Les difficultés de recrutement dans ce secteur s’expliquent principalement par le manque d’attractivité de ces emplois dévalorisés. Les témoignages le confirment, si le niveau des salaires est avancé comme la principale raison de ces freins, les contraintes de temps et d’organisation du travail, ainsi que la pénibilité, sont également largement mises en cause.

C’est aussi le volume des personnes formées sur le territoire qui pose problème. Car aider les autres, c’est un métier, qui nécessite une vocation, certes, mais également une formation et un accompagnement.

Madame la ministre, vous avez à cœur, je le sais, de porter des objectifs forts en matière de formation des salariés, et vous avez largement œuvré en ce sens dans la loi pour la liberté de choisir son avenir professionnel.

Quelles mesures comptez-vous prendre pour redonner à ces emplois locaux non délocalisables, qui font partie du tissu d’entraide de notre pays, stabilité, perspective et reconnaissance ?

M. le président. La parole est à Mme la ministre.

Mme Muriel Pénicaud, ministre du travail. Madame la sénatrice, vous avez raison, il s’agit, à la fois, d’une question d’emploi et d’intérêt social puisqu’elle concerne la société de demain.

Le sujet de l’aide à domicile, qui touche les personnes en situation de handicap et les personnes âgées, devient de plus en plus essentiel dans notre société du fait du vieillissement de la population. Les offres non pourvues dans ce secteur sont très nombreuses. Si l’on en dénombre 2 100 sur le site du chèque emploi service universel, le CESU, on sait qu’il y en a beaucoup plus. Tous les organismes du secteur cherchent à recruter.

Vous avez cité les raisons de ces difficultés de recrutement.

Il s’agit, d’abord, de la non-valorisation de ces métiers, qu’elle soit symbolique, sociale, financière, ou au niveau des conditions de travail.

La non-valorisation symbolique est importante. Ces métiers ne sont pas choisis, mais subis ; on les exerce parce qu’on n’a pas pu faire autre chose. La société n’a pas encore accepté de reconnaître que les aides à domicile et les aidants sont essentiels pour la société. Il est d’ailleurs caractéristique que ces métiers – nous l’avons constaté, ainsi que les partenaires sociaux, dans les conventions de branche –, qui sont souvent des métiers de services à la personne occupés à 90 ou 95 % par des femmes, sont ceux pour lesquels les classifications de branche sont les moins précises, ce qui explique une partie des salaires les plus bas.

Vous le savez, nous nous battons aussi pour l’égalité de salaire entre les femmes et les hommes. Or c’est typiquement dans de tels métiers que la question se pose.

Il faut aussi évoquer la précarité.

Dans ce secteur, on embauche beaucoup sur des contrats précaires, et ce sont souvent des personnes en situation de précarité qui acceptent ces emplois, non délocalisables, mais qui, dès qu’elles trouvent une solution un peu plus pérenne, prennent un autre emploi.

Il convient de travailler sur ces questions avec la profession, et cela entre aussi dans la mission des opérateurs de compétences, les OPCO, que nous mettons en place. Aujourd’hui, les professionnels de ce secteur sont dispersés dans différents organismes paritaires collecteurs agréés, les OPCA. Ils vont désormais se retrouver dans un seul et même lieu pour parler ensemble des compétences, mais aussi de l’avenir de ces métiers.

Les possibilités d’emploi sont immenses dans ce secteur, mais il convient de travailler sur le fond et sur l’organisation de ces professions afin qu’elles deviennent des métiers plus attractifs et d’avenir, en prévoyant des passerelles et des qualifications permettant une évolution au fil du temps.

M. le président. La parole est à Mme Patricia Schillinger, pour la réplique.

Mme Patricia Schillinger. Je remercie Mme la ministre de ses réponses. Une tâche considérable nous attend dans les mois à venir, car cette question est très complexe et l’urgence est là. Il faut aussi revoir le dispositif de formation, notamment les certificats d’aptitude professionnelle, les CAP, et les baccalauréats professionnels. Ce travail de fond devra être mené avec M. Blanquer.

M. le président. La parole est à Mme Michelle Meunier.

Mme Michelle Meunier. « On est combien aujourd’hui ? » : c’est la question que se posent chaque jour des employés du secteur médico-social.

Cette question cruciale dissimule à peine une surcharge de travail, des cadences intenables, des toilettes à réaliser à la hâte. La santé des soignants est en jeu : tabagisme, maladies cardiovasculaires, stress, horaires décalés et invalidité font de ces métiers des professions à risques.

Les syndicats des personnels estiment que 35 % des agents – infirmières aides-soignantes, aides médico- psychologiques, agents de service hospitaliers –, que ce soit dans le public ou dans le privé, ont le sentiment que l’effectif présent ne permet ni d’assurer la sécurité et la qualité des soins ni de respecter la dignité des patients. De leur côté, les établissements font part de leurs difficultés à recruter. Pour les nuits, les week-ends et les périodes de congé, 63 % des établissements d’hébergement pour personnes âgées dépendantes, les EHPAD, rencontrant des difficultés de recrutement ont des postes non pourvus depuis six mois ou plus.

Au vu de ses besoins criants, madame la ministre, vous venez de vous prononcer sur des pistes. Mais j’aimerais vous entendre concrètement sur des améliorations à prendre en termes de reclassement, de déroulement de carrière, de rémunération et de protection sanitaire.

Comment comptez-vous, madame la ministre, redonner leurs lettres de noblesse à ces métiers du soin ?

M. le président. La parole est à Mme la ministre.

Mme Muriel Pénicaud, ministre du travail. Madame la sénatrice, vous posez une vaste question, qui déborde le sujet précis de notre débat, même s’il y a trait en partie.

Sur ces métiers, ma collègue ministre des solidarités et de la santé a engagé un chantier. Je suis frappée qu’en l’occurrence les possibilités de qualification ou d’évolution de carrière pour les premiers niveaux ne soient pas très importantes. Or, comme pour tous les métiers, l’existence d’un ascenseur social dans sa profession ou dans des métiers connexes, est un point non négligeable en termes d’attractivité, d’intérêt du travail et de développement de carrière.

L’une des difficultés de ce secteur, c’est qu’il y manque une visibilité sur les carrières et les compétences. Il y a des employeurs publics, privés, associatifs et à but lucratif qui se retrouvent dans des instances différentes pour parler de ces sujets. Cela n’aide pas ! Aussi, l’opérateur de compétences qui travaillera sur ce sujet sera un bon « carrefour » pour réfléchir à la question des diplômes.

Je rappelle que, dans la loi pour la liberté de choisir son avenir professionnel, vous avez prévu, sur la proposition du Gouvernement, que le contenu professionnel des diplômes et leur enchaînement seraient désormais élaborés par les professionnels ; dans le cas de diplômes d’État, on vérifiera bien sûr la cohérence d’ensemble.

C’est très important parce que sur ces métiers qui ont grandi très vite – je ne parle pas de ceux qui sont purement médicaux, qui relèvent d’une hiérarchie – il n’y a pas eu de véritable construction de parcours. Les personnes qui en bénéficient ont fait cette démarche à titre individuel. Il n’y a donc ni véritables passerelles ni construction de métier.

La ministre des solidarités et de la santé s’attachera à traiter ce sujet sur le fond, mais l’appui des systèmes de formation aidera à construire ces parcours.

M. le président. La parole est à Mme Michelle Meunier, pour la réplique.

Mme Michelle Meunier. Je vous remercie, madame la ministre, et je prends note de vos suggestions.

Vous le savez, bon nombre de blouses blanches soutiennent les revendications des « gilets jaunes », et nous sommes attachés à ce que leurs demandes soient prises en compte, à savoir qu’une moindre importance soit accordée à la culture du chiffre, que soit privilégiée la qualité du soin et qu’une attention nécessaire soit portée à l’évolution de ces personnes dans leur métier.

M. le président. La parole est à M. Jean-Claude Luche.

M. Jean-Claude Luche. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, afin d’illustrer ce débat en parlant de ce que je connais le mieux, je vais prendre en exemple mon département de l’Aveyron.

Le nombre d’emplois non pourvus y est au minimum de 3 000. Notre taux de chômage est de 6,6 %. Oui, nous recherchons activement des travailleurs ! Oui, les emplois ne sont pas tous dans les métropoles. Nous avons des atouts dans nos territoires ruraux : la sécurité, la proximité avec la nature, la qualité de vie, etc.

Bien sûr, cela a été dit, la formation doit être améliorée, et la réforme de l’assurance chômage qui va être examinée par le Parlement sera déterminante pour favoriser le travail.

Trouvons rapidement la solution à ce paradoxe : manque de travailleurs d’un côté, trop de demandeurs d’emploi de l’autre. Cela ne peut pas durer !

Par ailleurs, nous sommes plusieurs départements à vouloir attirer de nouvelles populations. Nous nous efforçons de nous faire connaître, de mettre en avant les qualités de nos territoires. Par exemple, lorsque j’étais président du conseil général, j’avais créé un site intitulé « L’Aveyron recrute », qui permet de recenser les offres d’emploi disponibles dans le département.

Pour nous, le développement économique et les nombreux emplois disponibles sont surtout liés à l’attractivité du territoire. Je sais toutefois que l’emploi dans nos territoires ruraux est nécessaire, mais pas suffisant. Pour cela, le maintien d’un service public de qualité est indispensable – je pense notamment à l’accès à la santé, à l’éducation et au très haut débit.

Je reste persuadé qu’il faut investir aussi dans nos infrastructures routières, ferroviaires et numériques afin de favoriser la mobilité sur nos territoires. Les emplois non pourvus dans l’Aveyron pourraient enfin trouver preneur et, plutôt que de travailler dans les métropoles saturées, pourquoi ne pas créer un début d’exode urbain ?

Madame la ministre, dans quelle mesure pouvez-vous prendre en compte l’aménagement du territoire afin d’aider nos chefs d’entreprise à recruter ?

M. le président. La parole est à Mme la ministre.

Mme Muriel Pénicaud, ministre du travail. Monsieur le sénateur, vous soulevez deux questions importantes.

La première, c’est que les territoires ne sont pas du tout dans la même situation à l’égard du chômage. Le taux de chômage est de 6,8 % en Aveyron et de 5,8 % en Mayenne, alors que la moyenne nationale se situe à 9,1 %. Certains départements connaissent un taux de chômage de 18 % et, dans les outre-mer, le taux peut être de 25 % ou 30 %. La stratégie ne peut évidemment pas être la même selon le niveau du taux de chômage.

La seconde, c’est l’attractivité inversée liée au phénomène de métropolisation qui, depuis trente ou quarante ans, s’accentue. La crise des dernières semaines a montré à quel point la question des territoires ruraux, des petites villes ou des villes moyennes était un véritable sujet, puisque beaucoup de ces habitants avaient le sentiment d’être loin des grandes métropoles où se concentrent l’emploi, l’activité, une partie des services publics et, d’une certaine façon, les richesses.

Face à cette situation, nous devons mener des stratégies différenciées. C’est ce que nous avons commencé à faire avec les pactes régionaux d’investissement dans les compétences. Pour aller plus loin, il faut aborder la question de la mobilité, que vous avez évoquée. C’est le deuxième frein à l’emploi après la compétence. Un Français sur quatre a refusé, au cours de sa vie, une formation ou un emploi faute de mobilité.

Il s’agit d’abord de la mobilité de proximité : c’est le problème de l’accès à des modes de transport, et il faudra certainement encourager le développement du covoiturage dans la loi sur les mobilités, mais d’autres formes existent.

Il s’agit, ensuite, de la mobilité résidentielle, c’est-à-dire, pour être clair, le fait de déménager. Aujourd’hui, nos politiques d’emploi et de formation sont liées, mais la mobilité et le logement sont souvent mis dans des silos différents, avec des compétences différentes, y compris dans nos institutions.

Dans le grand débat national que nous allons lancer dans quelques semaines et qui sera très territorialisé – vous avez entendu le Premier ministre l’évoquer –, les questions de logement et de transport seront très importantes. Car une partie des solutions viendra aussi, demain, du couplage des offres : vous aurez un emploi et un logement, ou un emploi et une mobilité.

Aujourd’hui, nous n’y sommes pas encore. Pôle emploi propose des aides à la mobilité, qui peuvent aller jusqu’à 5 000 euros par an et qui sont d’ailleurs peu et pas assez connues des demandeurs d’emploi. Il faut aller plus loin et prévoir de véritables ingénieries, car avec les possibilités actuelles en matière de télétravail, de travail à distance pour le conjoint, on peut certainement créer plus d’emplois dans des zones qui en ont perdu beaucoup par le passé.

M. le président. Il faut conclure, madame la ministre.

Mme Muriel Pénicaud, ministre. Pour cela, il faut mixer tous les acteurs, puisque nous avons besoin à la fois des départements, des intercommunalités, des communes, de l’État et des acteurs privés.

M. le président. La parole est à Mme Sophie Primas. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

Mme Sophie Primas. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, sur le front de l’emploi, la France est le dernier grand pays industriel à ne pas s’être remis de la crise de 2008 : plus de 9 % de chômage – vous venez de le dire – et 300 000 emplois non pourvus. Nous sommes tous d’accord, cela pose un gros problème.

Une des raisons majeures de cette situation est la probable inadéquation de notre appareil de formation, en grande partie parce que les entreprises, qui sont les mieux placées pour connaître leurs propres besoins, n’y occupent pas assez de place.

Les entreprises trop éloignées de la formation, cela entraîne trois conséquences, que vous avez d’ailleurs évoquées : une inadéquation trop fréquente de la formation aux besoins réels, une méconnaissance totale par les jeunes de l’entreprise en général, de son fonctionnement et de son activité – vous avez dit qu’ils avaient une image datée des métiers et vous avez raison –, et enfin une méconnaissance de l’éventail des métiers et des opportunités de carrière.

Or, dans la formation initiale, il existe un dispositif performant qui est l’apprentissage. Bon nombre des métiers en tension nécessitent un apprentissage. L’objectif de 500 000 places qui est régulièrement cité – je crois que vous l’avez fait vôtre – est toujours le même. J’ai entendu votre engagement ; néanmoins, nous stagnons depuis des années à 300 000 places.

Avant de faire décoller l’apprentissage, encore ne faudrait-il pas l’entraver. Sur les 300 000 apprentis, 100 000 sont formés dans des centres de formation et des écoles dépendant des chambres consulaires. Or, loi de finances après loi de finances, le Gouvernement assèche véritablement ces chambres consulaires, poursuivant en cela la politique du précédent quinquennat. Pour 2018, la recette affectée est réduite de 100 millions d’euros.

Le ministre de l’économie, Bruno Lemaire, a déclaré devant notre commission des affaires économiques qu’il ne faudrait pas que cette réduction ait un effet négatif sur les CFA et les écoles, et il l’a répété ce soir lors de son audition dans le cadre de l’examen du projet de loi PACTE, mais il ne nous a pas dit comment.

En l’état actuel, les CCI vont être contraintes de fermer des centres de formation, de se détourner de l’apprentissage au profit de la formation continue ou de la formation d’étudiants étrangers, plus lucratives.

Ma question est simple : comment ferez-vous pour garantir que le nombre d’apprentis des chambres consulaires non seulement ne diminue pas, mais augmente de deux tiers comme il conviendrait pour atteindre nos objectifs ?

M. le président. La parole est à Mme la ministre.

Mme Muriel Pénicaud, ministre du travail. Madame la sénatrice, en ce qui concerne l’appareil de formation et notamment les centres de formation d’apprentis, nous avons complètement libéré, dans la loi Avenir professionnel, la capacité à développer et à créer ces centres. Nous avons même lancé, il y a quelques jours, un kit sur ce sujet. Désormais, une collectivité territoriale, une association, une chambre consulaire, une profession, une entreprise pourra créer ou développer un CFA. Je peux vous dire que le nombre de projets en cours est très important.

Par ailleurs, vous avez évoqué les organismes consulaires, qui assurent une grande partie de l’apprentissage aujourd’hui. La réforme prévue dans la loi Avenir professionnel va régler – j’évoque ici non pas le financement des chambres en général, mais la question de l’apprentissage – un problème patent : la moitié des régions n’utilisaient pas tout l’argent de l’apprentissage pour l’apprentissage. De nombreux CFA étaient donc en difficulté, et une subvention d’équilibre était nécessaire chaque année, ce qui est vraiment « limite ».

On sait que, dans certaines régions, une formation de CAP cuisinier est payée 2 500 euros par an tout compris – je ne sais pas comment on peut financer une formation de qualité avec cette somme – alors que, dans d’autres, elle peut coûter jusqu’à 14 500 euros.

Maintenant, ce sont les professionnels qui fixeront le coût au contrat, afin de permettre au CFA de « vivre dignement » – pas dans l’opulence – et de proposer une formation de qualité. Nous contrôlerons évidemment a posteriori. Mais, j’y insiste, ce sont les professionnels qui vont définir ce coût au contrat. Les professions ont jusqu’à la fin du mois de février pour le faire, mais les premières simulations montrent que, dans un très grand nombre de cas, le financement par apprenti sera plus important qu’avant. Car de nombreuses formations étaient payées en deçà des frais, ce qui obligeait les organismes consulaires à compléter la différence.

La loi a prévu que, désormais, le CFA aurait sa propre comptabilité analytique. Avec ce nouveau mode de financement, je suis très confiante. Nous sommes allés sur le terrain dans toutes les régions, et nous avons visité plusieurs centaines de CFA. Quand on explique à leurs responsables la loi en détail, ils sont très rassurés, car ils comprennent qu’ils pourront se développer. Nous aurons, je le crois, une offre de qualité en matière d’apprentissage.

Enfin, je veux dire que nous allons développer les « prépas apprentissage ». Plus de 300 CFA ont déjà postulé. Ce dispositif est très important : il permettra à des jeunes qui voudraient entrer en apprentissage, mais n’ont pas tout à fait le savoir-être professionnel ou ne connaissent pas bien les métiers, de s’y préparer. Cela attirera aussi un flux plus important.

M. le président. La parole est à Mme Nadine Grelet-Certenais.

Mme Nadine Grelet-Certenais. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, je voudrais également remercier le groupe Les Indépendants d’avoir demandé l’inscription à l’ordre du jour de ce débat, qui n’est pas sans lien avec les propos de M. le Président de la République lors des Journées du patrimoine. Mes collègues l’ont déjà dit, l’expression « traverser la rue » a marqué – c’est évident – les esprits. Ces mots avaient douloureusement entaché la personne du président, comme si le chômage était une question de choix personnel et de volonté.

La question des emplois non pourvus participe de cette idée que le travail est là, à portée de main de tout demandeur d’emploi et qu’il suffirait que ce dernier s’en saisisse. Or, mes chers collègues, vous le savez, si les offres d’emploi publiées n’aboutissent pas, ce n’est pas parce qu’il n’y a pas de candidats.

L’étude de Pôle emploi parue en décembre 2017 et intitulée « Offres pourvues et abandon de recrutement » l’explique très bien : sur les 300 000 offres n’ayant pas trouvé preneur, près d’un tiers ont fait l’objet d’un retrait à la suite d’un changement de stratégie de l’entreprise et 50 000 offres faisaient l’objet de recrutement en cours. Nous avons effectivement les mêmes chiffres.

Pour les offres restantes, pouvons-nous tenter de renverser la logique induite par ce débat en posant la question de l’attractivité de l’emploi proposé ? En effet, quelles sont les offres d’emplois qui ne trouvent pas preneur ?

On a cité les contrats courts, les CDD de moins d’un mois, dont le nombre a explosé, les horaires décalés, les contrats dont la faible rémunération ne couvre pas les coûts induits par ce travail – voiture, carburant, frais de garde, etc. Les « gilets jaunes » ont également confirmé que la mobilité était un enjeu fondamental, notamment en milieu rural. Je le constate dans la Sarthe.

En outre, l’expérimentation « Territoires zéro chômeur de longue durée » prouve que l’emploi est d’abord une question d’accompagnement social et permet de démythifier la rhétorique trop entendue des emplois non pourvus. Il est d’ailleurs très regrettable que l’exécutif n’ait pas étendu cette expérimentation à d’autres territoires dans le projet de loi de finances pour 2019.

Ainsi, madame la ministre, vous avez affirmé précédemment vouloir envisager d’adapter le logiciel du marché du travail en termes d’attractivité des métiers, de mobilité et d’accompagnement. Pouvez-vous nous éclairer sur les moyens concrètement investis dans ces trois domaines, sans que cela pèse trop, bien évidemment, sur les collectivités locales, déjà fortement mises à contribution ? (Mme Michelle Meunier applaudit.)

M. le président. La parole est à Mme la ministre.

Mme Muriel Pénicaud, ministre du travail. Madame la sénatrice, vous avez évoqué plusieurs sujets, je me concentrerai sur la question que vous avez évoquée à la fin de votre propos relative aux structures d’accompagnement vers l’emploi des plus vulnérables.

Aujourd’hui, il est trop difficile pour une partie de nos concitoyens d’accéder directement à un emploi, parce qu’ils ont connu des accidents de la vie ou des démarrages difficiles. Pour eux, nous mettons en place une stratégie en plusieurs points.

Le premier, je l’ai évoqué à propos des jeunes, porte sur les savoir-être professionnels. Selon Pôle emploi, un demandeur d’emploi sur trois, jeune ou moins jeune, a des difficultés relationnelles, de présentation, ou pour oser s’exprimer, pour travailler en équipe ou respecter des horaires. Ce sont, dirais-je, les « basiques » de ce qu’on appelle les savoir-être professionnels – je pourrais utiliser d’autres termes, mais ils sont en anglais. Nous finançons de telles actions dans le cadre de Pôle emploi, du Plan d’investissement dans les compétences et des « prépas apprentissage ».

Le deuxième point, qui correspond à une conviction profonde, porte sur le tissu associatif très riche de notre pays, qui sait accompagner des chômeurs de longue durée, des anciens SDF, des personnes en situation de handicap. Ce sont les entreprises adaptées pour le handicap, ce sont les chantiers d’insertion et l’insertion par l’activité économique pour les personnes en difficulté sociale.

Dans le budget pour 2019, comme vous avez pu le constater, j’ai mis en place, avec une programmation sur quatre ans, des moyens très importants pour pouvoir développer cette offre sur le quinquennat. Nous voulons augmenter de 40 000 le nombre de places en entreprise adaptée et porter de 130 000 à 230 000 le nombre de places dans l’insertion par l’activité économique, parce que ce sont des tremplins vers l’emploi, qui reposent sur le bon triptyque : une situation d’emploi, un accompagnement social et une formation.

En ce qui concerne les « Territoires zéro chômeur », nous prolongeons dans le budget l’expérimentation en 2019, avec un doublement du nombre de places. Il faut continuer cette expérimentation l’année prochaine pour en faire le bilan, comme l’a prévu la loi.

M. le président. La parole est à Mme Patricia Morhet-Richaud. (Applaudissements sur des travées du groupe Les Républicains.)

Mme Patricia Morhet-Richaud. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, avec près de 6 millions de demandeurs d’emploi en France, on peut légitimement s’interroger sur les métiers qui demeurent en tension aujourd’hui.

En effet, les difficultés de recrutement que rencontrent 23 % des entreprises durant le premier semestre 2018 mettent en lumière des phénomènes endémiques. Ainsi, 70 % des entreprises ayant eu du mal à recruter évoquent des problèmes de qualification ; 63 % d’entre elles évoquent aussi l’absence de candidatures. La part des embauches jugées difficiles s’accentue et s’élève à 44,4 % en 2018, tous secteurs confondus.

Ces difficultés ont augmenté le plus dans les entreprises d’un à quatre salariés. Elles sont bien sûr liées à la pénurie de candidats, à l’inadéquation des profils, mais aussi aux conditions de travail.

Pour les métiers de bouche par exemple, les projets de recrutement sont jugés difficiles à 74 % dans la boucherie, à 72,9 % chez les charcutiers-traiteurs, à 67 % en boulangerie-pâtisserie. Si l’on sait que ce déficit d’attractivité s’explique en partie par la priorité donnée à l’enseignement général au détriment des métiers de l’économie de proximité, où les opportunités sont pourtant plus nombreuses, on peut donc attendre de la part du Gouvernement des actions fortes visant à corriger ce phénomène.

Alors que le besoin de main-d’œuvre existe réellement dans les TPE artisanales notamment, comme dans le secteur du BTP, je vous demande, madame la ministre, de bien vouloir m’indiquer les dispositions qui sont prises pour accroître l’attractivité de ces métiers.

M. le président. La parole est à Mme la ministre.

Mme Muriel Pénicaud, ministre du travail. Madame la sénatrice, je me permettrai d’abord d’apporter une précision : il n’y a pas 6 millions de demandeurs d’emploi en France, si l’on entend par demandeur d’emploi une personne prête à travailler demain si elle trouve un emploi.

C’est le nombre d’inscrits en flux qui s’élève à 6 millions, car on peut avoir un travail et être inscrit à Pôle emploi, qui est aussi un service de mise en relation avec des offres. Au sens de l’INSEE et du Bureau international du travail, le BIT, le nombre de demandeurs d’emploi immédiatement disponibles pour prendre un emploi en France est de 2,6 millions. Néanmoins, ce nombre est encore énorme, et c’est notre but à tous de le faire diminuer.

Vous avez évoqué ceux qui ne répondent pas. Cela s’explique parfois par les règles de l’assurance chômage, car certaines d’entre elles conduisent à perdre un revenu si l’on reprend un travail. Ce n’est pas possible ! Une personne ne retournera pas travailler si elle gagne moins. Ce problème ne concerne pas tous les demandeurs d’emploi, mais il fait partie des règles sur lesquelles les partenaires sociaux se penchent.

Certaines personnes sont aussi découragées, après avoir cherché indéfiniment et frappé à toutes les portes. Au cours des contrôles – l’année dernière, Pôle emploi a réalisé 300 000 contrôles –, nous nous sommes aperçus que 66 % des chômeurs cherchaient réellement un travail, que 20 % n’en cherchaient plus par découragement – ces contrôles les ont redynamisés, les ont relancés dans une dynamique d’emploi, qui a produit d’excellents résultats – et que 14 % n’en cherchaient vraiment pas, tout en ayant les moyens d’en chercher sans être découragés. Ce dernier cas relève d’un autre type d’action. Ces chiffres montrent bien que la majorité cherche du travail, mais qu’il est possible d’être parfois découragé. C’est pourquoi l’accompagnement est très important.

En ce qui concerne les métiers, j’ai déjà eu l’occasion de répondre lors de questions précédentes. L’une des grandes voies, c’est – je le crois – l’apprentissage.

L’apprentissage ouvre à tous les métiers, de ceux du numérique aux métiers verts. Le secteur agricole a besoin aujourd’hui de relève et cherche notamment des mécaniciens agricoles et des vétérinaires ; la plupart des jeunes qui ne sont pas du monde agricole pensent que ce domaine n’est pas pour eux. Cela nous ramène au problème de l’Ardèche…

Il faut aller vers une ouverture très large des métiers. Les jeunes filles pensent que les métiers de la technique ne sont pas pour elles : on en est encore là en France en 2018 ! Dans le numérique, 90 % des emplois sont pourvus par de jeunes hommes ; pourquoi n’y aurait-il pas plus de femmes ? Une action doit aussi être mise en œuvre sur ce point.

Avec le grand projet d’ouverture que Jean-Michel Blanquer et moi-même menons avec les régions et les branches dans tous les collèges et lycées pour faire découvrir les métiers, on peut changer les choses en quelques années. La génération qui entre en quatrième bénéficiera de nombreuses initiatives pour faire découvrir les métiers. C’est cela qui permettra de changer le regard. C’est d’ailleurs déjà le cas, ce qui est très encourageant, alors que nous commençons à peine ces opérations. Des actions sont menées à titre expérimental, nous allons maintenant les déployer massivement pour tous les jeunes du pays, ce qui va être d’une grande aide.

Dans les métiers que vous avez évoqués, certains travaillent dans des conditions difficiles, d’autres pas, mais comme ces métiers ne sont pas connus, personne n’y va. Il reste beaucoup à faire !

M. le président. La parole est à M. Serge Babary.

M. Serge Babary. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, le 16 septembre dernier, un échange entre Emmanuel Macron et un jeune horticulteur en recherche d’emploi a relancé la question des emplois non pourvus.

Dans un contexte de chômage élevé, l’existence d’emplois ne trouvant pas preneur est un paradoxe fréquemment dénoncé en France. Si le chiffre de 300 000 emplois non pourvus est souvent avancé, en réalité aucun indicateur ne permet aujourd’hui de mesurer l’ampleur réelle du phénomène ni d’en analyser les causes.

Le seul élément de réflexion à notre disposition réside dans les résultats de l’enquête « Besoins en main-d’œuvre » réalisée chaque année sous le pilotage de Pôle emploi et du Centre de recherche pour l’étude et l’observation des conditions de vie, le CRÉDOC.

Ainsi, après une hausse de 8,2 % en 2017, l’enquête sur les « Besoins en main-d’œuvre des entreprises » pour l’année 2018 fait état d’une hausse inédite de 18,7 % du nombre de projets de recrutement, soit une augmentation de 370 000 par rapport à 2017.

Près de 2 350 000 projets de recrutement étaient ainsi anticipés pour l’année 2018. Les plus fortes augmentations d’intentions d’embauche se situent dans la construction et l’industrie, avec des hausses respectives de 37 % et 27,4 %.

Si ces chiffres sont plus qu’encourageants, cette même étude révèle malheureusement que les difficultés de recrutement perçues par les employeurs sont nettement en hausse. Par exemple, le secteur de l’hôtellerie-restauration où, selon l’Union des métiers et des industries de l’hôtellerie, l’UMIH, entre 50 000 et 100 000 emplois n’ont pas été pourvus à l’été 2018.

Cela explique probablement pourquoi ce début de reprise économique n’est pas encore perçu par les Français.

Désormais, 44,4 % des projets de recrutement sont jugés difficiles par les employeurs, contre 37,5 % l’an dernier. Selon les recruteurs, les candidatures inadéquates demeurent le principal motif de ces difficultés – soit l’employeur constate une pénurie de candidats, soit les profils ne lui conviennent pas. Se pose alors la question de l’employabilité de certains candidats et de l’attractivité de certains emplois, qui atteint même le recrutement des apprentis en CFA.

Il est important d’encourager la reprise d’activité. L’emploi doit être plus rémunérateur et valorisant que les minima sociaux.

Pouvez-vous, madame la ministre, me préciser aujourd’hui le plan d’action que le Gouvernement entend mettre en œuvre pour anticiper le besoin de main-d’œuvre pour 2019 ? Compte tenu des secteurs qui vont recruter, ne faut-il pas encourager les AFPA plutôt que de les fermer ? (Applaudissements sur des travées du groupe Les Républicains.)

M. le président. La parole est à Mme la ministre.

Mme Muriel Pénicaud, ministre du travail. Monsieur le sénateur, je voudrais d’abord dire, en étant quelque peu provocatrice, que ces difficultés de recrutement sont un « beau » problème. Car cela signifie que la France recrute aujourd’hui !

Nous avons plus de tensions parce que nous recrutons davantage qu’il y a quelques années. L’élément nouveau depuis un an est que l’on recrute plus en CDI, ce qui n’était pas arrivé depuis plus de dix ans.

L’industrie s’est remise à recruter. Pourquoi avons-nous une pénurie dans ce secteur ? En quinze ans, nous avons perdu un million d’emplois dans l’industrie en France ! Ce domaine est sorti de la tête des familles et des jeunes, pour lesquels ces métiers ne sont plus vus comme des métiers d’avenir.

Depuis un an, l’industrie cherche du monde. Bien évidemment, il faut reconstruire toute l’offre de formation. De plus, dans l’industrie, ce sont des métiers qualifiés. On cherche des soudeurs – cela a toujours été le cas, mais maintenant c’est dans des proportions énormes. On cherche des forgeurs numériques : tous ces métiers intègrent maintenant le numérique, mais les jeunes en ont une image qui date, si j’ose dire, de l’époque de Zola, alors qu’ils sont aujourd’hui extrêmement modernes, passionnants et plutôt mieux rémunérés que d’autres. On cherche des techniciens supérieurs et de maintenance. On cherche dans tous les secteurs ! On lance un plan fibre, mais on ne trouve pas de poseurs de fibre… Nous pourrions passer la soirée à citer des exemples bien réels.

Le premier sujet est celui des compétences, d’où cet effort massif au travers de l’apprentissage et du plan d’investissement dans les compétences ; c’est vraiment la priorité. Rien que pour les 124 territoires d’industrie qui viennent d’être annoncés, nous avons prévu dans ce plan 110 millions d’euros pour les questions de compétences et de qualification.

Certains métiers se sont aussi beaucoup développés. Vous avez évoqué l’hôtellerie-restauration, qui pose pour partie la question des conditions de travail, mais qui va de pair avec l’extraordinaire explosion du tourisme. La hausse du nombre d’emplois dans ces métiers dans notre pays est de 9 % depuis dix ans. C’est une bonne nouvelle, et c’est un « beau » problème, allais-je dire, à condition de le résoudre !

Certains emplois ne sont pas attractifs, on le sait, mais nous manquons de certains autres métiers, par exemple les chefs cuisiniers, pour lesquels une qualification qui ne s’acquiert que par l’apprentissage est nécessaire.

Nous avons la qualité, et même la meilleure. Je profite de l’occasion pour vous annoncer que la France a postulé pour être l’organisatrice en 2023 des jeux Olympiques, si j’ose dire, de l’apprentissage et des métiers que sont les WorldSkills. J’espère que nous pourrons alors faire briller les talents de la France dans tous les domaines. Cela permettra aussi de montrer l’attractivité des métiers, y compris les métiers techniques et ceux de l’aide aux personnes.

Il y a toutes sortes de métiers dans l’apprentissage, et chaque fois qu’on promeut l’apprentissage, on promeut le travail, on promeut la valeur du travail et on promeut l’attractivité des entreprises.

M. le président. La parole est à M. Yves Bouloux. (Mmes Frédérique Puissat, Patricia Morhet-Richaud et Sophie Primas applaudissent.)

M. Yves Bouloux. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, parmi les paradoxes français, le problème des emplois non pourvus n’est pas le moindre, alors que le taux de chômage est encore à plus de 9 %. Leur nombre pose une sérieuse question sur l’efficacité de notre politique de l’emploi et la vitalité de notre économie.

Selon Pôle emploi, sur 300 000 offres d’emploi non pourvues en France, 97 000 ont été annulées, du fait de la disparition du besoin ou d’un manque de budget disponible dans les entreprises ; 53 000 n’ont pas abouti et sont encore en attente de recrutement, et 150 000 ont été abandonnées, faute de candidats. Je note avec satisfaction que j’ai exactement les mêmes chiffres que notre collègue Joël Guerriau.

Les 150 000 abandons ne sont pas seulement le reflet d’un dysfonctionnement du marché du travail. Madame la ministre, quatre raisons peuvent expliquer ces abandons par les recruteurs.

Premièrement, il peut arriver que les candidats ne disposent pas de l’expérience et/ou des compétences attendues pour le poste. En matière de recrutement, il n’est pas seulement question de formation, il est aussi question d’expérience et de compétences et favoriser l’apprentissage est essentiel. Que comptez-vous faire pour les autres filières ?

Deuxièmement, le manque d’attractivité des postes. Comment l’État pourrait-il concourir à l’attractivité de certains métiers et de certains secteurs et branches d’activité ?

Troisièmement, l’inexpérience des recruteurs et leur méconnaissance du marché du travail. Prévoyez-vous la mise en place d’aides spécifiques aux employeurs les moins autonomes, PME et TPE en premier lieu, qui néanmoins ont besoin de recruter ?

Quatrièmement, enfin, la fracture territoriale et la faible mobilité étant susceptibles de renforcer ce phénomène, quelles actions envisagez-vous pour les territoires éloignés des métropoles ?

J’ajouterai en outre trois autres questions. Comment adapter le contrôle des chômeurs à la réalité des emplois non pourvus ? Quelle réponse spécifique pouvons-nous apporter pour les départements et régions d’outre-mer ? Enfin, pensez-vous pouvoir améliorer la problématique des emplois non pourvus par des actions à l’échelle européenne, avec l’appui du réseau EURES ?

M. le président. La parole est à Mme la ministre.

Mme Muriel Pénicaud, ministre du travail. Le sujet du recrutement est effectivement très important. À mon sens, et j’ai un peu d’expérience dans ce domaine, il nous faut changer nos approches. Aujourd’hui, malgré des changements en cours, les employeurs ont une approche trop « clonée », c’est-à-dire que, s’ils ne cherchent que des hommes entre 28 et 40 ans, qui ont le bon diplôme et la bonne expérience, sans handicap et qui n’habitent pas dans un quartier prioritaire de la ville, ils ne vont pas les trouver. C’est ce que je leur dis souvent. En revanche, s’ils s’ouvrent aux seniors, aux femmes, aux personnes en situation de handicap, aux réfugiés, aux habitants des quartiers prioritaires de la ville, et qu’on aide ces publics à accéder à l’emploi, alors, à ce moment-là, le vivier de ressources devient beaucoup plus grand.

Je crois que cette approche est très importante, même si elle ne permet pas de répondre à toutes les situations. J’étais voilà quelques semaines à Poitiers dans une entreprise qui a accueilli des réfugiés formés dans le cadre d’un de nos programmes, avec un taux de succès à 100 %. Les dirigeants, ravis d’avoir trouvé des gens motivés, formés, ont changé leur manière de recruter.

C’est pareil pour les jeunes et pour les habitants des quartiers prioritaires de la ville. L’expérimentation « emplois francs », qui a mis quelques mois à bien prendre son envol, est en phase d’accélération. En la matière, il faut passer outre les préjugés et les stéréotypes, qui s’apparentent parfois à de la discrimination.

Cela fait partie aussi de notre stratégie de lutte contre le chômage. Il y a des représentations erronées des métiers et de l’emploi du côté des demandeurs d’emploi, mais il y a aussi des représentations erronées des demandeurs d’emploi du côté des recruteurs.

Cette approche est d’autant plus importante que tout le monde va évoluer dans ces métiers. On a testé chez Pôle emploi un type de recrutement où l’on s’intéresse non pas aux CV ou aux diplômes, mais aux compétences. Je puis vous dire que les succès sont remarquables, car cela permet aux demandeurs d’emploi de découvrir qu’ils ont des compétences et de les formaliser. Du côté des employeurs, les taux de réussite sont très importants.

En résumé, il faut aussi que nous changions les mentalités, ce que j’ose appeler le logiciel de recrutement.

Sur la question européenne – c’est un des volets de la réforme de l’apprentissage –, nous allons mettre tous les moyens pour développer l’Erasmus de l’apprentissage. Nous avons déverrouillé grâce à la loi tout ce qui empêchait de le faire. Cela fera partie de l’attractivité de l’apprentissage. Nos apprentis, comme nos étudiants, doivent pouvoir s’ouvrir à d’autres pays, apprendre d’autres techniques et découvrir d’autres cultures.

M. le président. La parole est à M. Jean-Raymond Hugonet. (M. Yves Bouloux, ainsi que Mmes Frédérique Puissat, Patricia Morhet-Richaud et Corinne Imbert applaudissent.)

M. Jean-Raymond Hugonet. Monsieur le président, madame la ministre, m’exprimant en dernier orateur devant un hémicycle bondé et des tribunes combles (Sourires.), en présence des fidèles et du fan club,…

M. Loïc Hervé. Des gens motivés !

M. Jean-Raymond Hugonet. … je ne peux m’empêcher de penser à La Bruyère lorsqu’il disait : « Tout est dit, et l’on vient trop tard… »

Madame la ministre, notre pays compte aujourd’hui 5 649 600 demandeurs d’emploi. Et pourtant, dans le même temps, la pénurie de compétences est devenue une des préoccupations majeures des entreprises.

Plus d’un tiers d’entre elles ne parviennent pas à recruter les salariés dont elles ont besoin.

Dans le cadre de la récente enquête « Besoins en main-d’œuvre 2018 », Pôle emploi estime à 44,4 % la proportion de recrutements jugés difficiles par les entreprises en 2018, contre 37,5 % en 2017. Ainsi, 744 354 projets de recrutement sont considérés comme difficiles cette année. On estime par ailleurs que plus de 300 000 offres d’emploi restent non pourvues, faute de candidature.

Cette situation est d’autant plus choquante qu’elle est incompréhensible.

Certains feront porter la responsabilité sur les entreprises, en mettant en avant la dureté des conditions de travail dans certains métiers ou la faiblesse des salaires proposés. D’autres justifieront cette situation par l’inefficacité actuelle du dispositif de formation professionnelle. D’autres, enfin, considéreront que rien n’est fait pour inciter les demandeurs d’emploi à retrouver le chemin de l’entreprise et que les abus sont multiples.

En réalité, l’ensemble de ces arguments sont sans doute à prendre en compte.

Aucun secteur n’échappe au problème et il existe des pistes à creuser.

La préparation opérationnelle à l’emploi individuelle est une forme de réponse. Rappelons qu’elle consiste à identifier une compétence et à former une personne en vue d’une offre d’emploi disponible. Plus de 85 % des salariés entrant dans ce dispositif ont retrouvé un emploi. Sa généralisation pourrait être envisagée.

Autre piste à explorer, l’incitation à la reprise d’emploi. Est-il, par exemple, acceptable qu’un salarié qui se voit offrir un CDI à l’issue de son CDD puisse le refuser et faire le choix de s’inscrire à Pôle emploi ?

Enfin, cela a été dit, il nous faut davantage miser réellement sur l’apprentissage, dont l’efficacité n’est plus à démontrer, mais qui peine toujours à s’imposer.

On le voit, mes chers collègues, cette question difficile passe obligatoirement par un éventail de solutions. Il faut donc la traiter dans sa globalité en imaginant une chaîne de réponses multiples. Il est maintenant très urgent d’agir !

M. le président. La parole est à Mme la ministre.

Mme Muriel Pénicaud, ministre du travail. Monsieur le sénateur, je partage tout à fait votre point de vue. Tous ceux qui pensent qu’il y a une baguette magique et une seule pour la lutte contre le chômage se trompent. Je pense comme vous qu’il y a un éventail de solutions. Il faut agir sur tous les leviers à la fois : l’offre, la demande, la formation, la mobilité, la motivation, la dignité du travail, les formes et conditions du travail. Bref, et, d’ailleurs, l’ensemble de vos questions le montrent, lutter contre le chômage de masse, c’est en même temps valoriser le travail, le retour au travail et donner les moyens à chacun d’accéder à un emploi.

C’est une question vaste, et peut-être y a-t-il des sujets que nous n’avons pas encore assez développés. Pour autant, je pense qu’avec le Plan d’investissement dans les compétences nous avons choisi d’accélérer. Nous finançons massivement les préparations opérationnelles à l’emploi individuelles, car, comme vous l’avez dit, elles sont très efficaces. Nous allons aussi développer l’insertion par l’activité économique via les entreprises adaptées.

Enfin, nous misons sur l’opération #VersUnMetier, qui porte spécifiquement sur les métiers en tension. Cette opération a été lancée avec le directeur général de Pôle emploi voilà deux mois et demi. Déjà 10 000 actions ont été menées dans plus de 800 agences Pôle emploi. Le succès est au rendez-vous, car c’est non pas un agent de Pôle emploi qui parle d’un métier aux demandeurs d’emploi, mais directement le chef d’entreprise, l’entrepreneur ou un collaborateur.

J’étais il y a quelques semaines à Paris dans une agence du XXe arrondissement où une cinquantaine de demandeurs d’emploi étaient venus découvrir ce qu’était un référent web. Dans une PME, il s’agit de la personne qui sait à la fois s’occuper des connexions de l’ordinateur, faire un emailing, réaliser un petit développement web. C’est un peu le « couteau suisse » dont a besoin la PME. Il arrive que ces salariés soient à la disposition d’un groupement d’employeurs, parce qu’il n’y a pas de besoin à plein-temps pour un seul employeur. Il y a donc une offre potentielle de CDI très intéressants, répartis sur deux ou trois entreprises. Ces emplois ne nécessitent pas de qualifications préalables ; on n’a pas besoin d’être geek ni d’avoir fait des maths. Il suffit de suivre les quatre mois de formation intensive, que nous finançons grâce au Plan d’investissement dans les compétences.

Ce genre d’approche montre une chose : il faut actionner tous les leviers et, je terminerai sur ce point, mobiliser les leviers et les acteurs sur le terrain, car ce sont de multiples microsolutions de ce type qui font reculer le chômage chaque jour. Nous nous y attelons, et nous avons besoin du soutien de tous pour le faire.

M. le président. Pour clore ce débat, la parole est à M. Daniel Chasseing, pour le groupe auteur de la demande.

Vous disposez de cinq minutes, mon cher collègue.

M. Daniel Chasseing, pour le groupe Les Indépendants – République et Territoires. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, le marché du travail présente une inadéquation persistante entre l’offre et la demande, faute de candidats ou faute de profils adéquats. Les secteurs du bâtiment et de la construction sont les premiers concernés, mais il y a aussi la filière des services à la personne, le commerce, les TPE, les emplois saisonniers, en horaires décalés, et le travail le week-end.

En décembre 2017, le conseil d’administration de Pôle emploi constatait que 150 000 à 200 000 offres n’étaient pas pourvues, faute de candidats. Les principales causes incriminées par les recruteurs sont le manque de formation, soit le manque de compétences nécessaires, la faible attractivité de certaines offres due à un déficit d’image, aux conditions de travail ou à l’éloignement.

Pourquoi ce constat ? En France, 150 000 jeunes sortent chaque année du milieu scolaire sans formation et sans diplôme ; il y a au total 1,3 million de personnes dans cette situation. La France compte 22 % de ses jeunes au chômage, et seulement 300 000 à 400 000 apprentis, tandis que l’Allemagne compte 1,4 million d’apprentis et seulement 7 % de jeunes au chômage. Mon collègue Jean-Pierre Decool a fait état des difficultés de recrutement des apprentis dans certaines filières, notamment l’hôtellerie-restauration.

De plus, le système d’orientation n’est pas suffisamment performant en France : 50 % des jeunes disent avoir mal été accompagnés dans les établissements scolaires. Notre pays accuse un grand retard dans ce domaine, l’orientation se limitant bien souvent à la présentation des filières, quand dans d’autres pays, comme en Finlande, l’orientation est pleinement intégrée dès l’école élémentaire, avec également, au collège, des visites dans les entreprises, des films sur les métiers et des entretiens individuels assurés par un enseignant spécifique.

En ce qui concerne la formation, seulement 19 % des ouvriers en font la demande à l’employeur, contre 50 % des cadres. La réalisation d’entretiens professionnels dans les TPE serait souhaitable.

La loi pour la liberté de choisir son avenir professionnel apporte des solutions pour les apprentis, avec une transformation d’un système trop complexe. Elle vise notamment l’aide pérenne aux entreprises, les horaires de travail adaptés, la simplification des contrats d’apprentissage, la possibilité d’apprentissage jusqu’à 30 ans et la mise en place d’une meilleure information par les régions dans les lycées.

Il s’agit également, à travers les ordonnances prises sur le fondement de la loi d’habilitation à prendre par ordonnances les mesures pour le renforcement du dialogue social, d’encourager le dialogue social dans les entreprises pour améliorer la formation des salariés.

Actuellement, les CFA et les lycées professionnels sont gérés respectivement par les branches et l’éducation nationale, qui doivent travailler ensemble pour tenir compte de la spécificité de l’emploi des territoires et faire de l’apprentissage une voie d’excellence. Il est nécessaire d’associer Pôle emploi, la région, les partenaires sociaux et les entreprises pour réorganiser la formation, en particulier en tenant compte des compétences recherchées dans les bassins d’emploi.

Le Gouvernement a misé sur la formation professionnelle, avec un financement de 15 milliards d’euros entre 2018 et 2022 pour rehausser le niveau de compétences des plus éloignés de l’emploi.

L’aide à la mobilité, notamment dans le milieu rural, est essentielle. Il faut une différence de salaire suffisamment incitative, coût de mobilité compris, entre les personnes qui travaillent et celles qui restent inactives.

Le réseau emplois compétences pourrait tenir le rôle de plateforme de coordination, chargée de centraliser, de traiter les données locales et d’anticiper les besoins par le déploiement de formations centrées sur les compétences recherchées dans les bassins d’emploi.

Pour conclure, je dirai que la lutte contre le chômage passe par la formation initiale et continue, notamment par une voie d’apprentissage, mais aussi par une coopération étroite avec les entreprises, les plus à même d’identifier les salariés dont elles ont besoin. Les personnes handicapées pourront, avec le doublement des entreprises adaptées, trouver aussi une solution. Redonner un sens et une valeur au travail, faire de l’apprentissage une voie d’excellence, favoriser les mobilités internes et géographiques, ainsi que les formations en entreprise : tels sont les principaux axes d’action que nous proposons pour apporter une réponse aux problèmes des emplois non pourvus et du chômage.

Je veux enfin remercier notre collègue Joël Guerriau, qui a pris l’initiative de ce débat, mais également Mme la ministre et tous nos collègues, qui nous ont permis d’avoir des échanges de qualité. (MM. Emmanuel Capus et Jean-Pierre Decool, ainsi que Mme Patricia Schillinger applaudissent.)

M. le président. La parole est à Mme la ministre.

Mme Muriel Pénicaud, ministre du travail. Monsieur le président, mesdames les sénatrices, messieurs les sénateurs, je vous remercie d’avoir permis ce débat. J’ai apprécié cette conclusion, qui, je crois, montre bien que la loi pour la liberté de choisir son avenir professionnel et le Plan d’investissement dans les compétences nous offrent tous les moyens pour développer l’apprentissage et la formation. Nous avons aussi progressé sur le développement de la mobilité, qui est importante, même si nous avons bien identifié qu’il s’agissait probablement d’un des axes de progrès : il faut mieux relier l’offre de formation à la demande.

En matière d’apprentissage, je suis confiante : le secteur du bâtiment a lancé une opération « 15 000 bâtisseurs » ; l’Assemblée permanente des chambres de métiers et de l’artisanat pense que ses adhérents pourront créer 60 000 places de plus dans le secteur grâce à la loi ; l’industrie s’est quant à elle engagée à en créer 40 000 de plus. Le mouvement a déjà commencé à la rentrée.

Grâce à cette stratégie, si nous arrivons, d’une part, à faire vraiment décoller l’apprentissage dans notre pays, et donc à réduire significativement le chômage des jeunes, et, d’autre part, à permettre à tous ceux qui sont les plus éloignés de l’emploi de bénéficier de cette croissance inclusive, nous aurons fait œuvre utile et nous pourrons faire baisser significativement le chômage. C’est un travail de longue haleine ; il ne faut rien lâcher, sur aucun des leviers, car tous sont importants. Cette vue d’ensemble et cette détermination à agir sur le terrain, avec l’ensemble des acteurs concernés, peuvent nous permettre d’obtenir des résultats. Il n’y a pas de fatalité ni de raison à ce que la France, sixième puissance économique mondiale, continue d’avoir 9,1 % de chômage et 20 % de chômage des jeunes. C’est notre combat à tous ! Encore une fois, je vous remercie de ce débat, qui a permis d’éclairer plusieurs aspects très importants. (Mme Patricia Schillinger, ainsi que MM. Emmanuel Capus, Jean-Pierre Decool et Loïc Hervé applaudissent. – plusieurs sénateurs du groupe Les Républicains applaudissent également.)

M. le président. Nous en avons terminé avec le débat sur le thème : « Emplois non pourvus en France : quelles réponses ? quelles actions ? »

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Ordre du jour

M. le président. Voici quel sera l’ordre du jour de la prochaine séance publique, précédemment fixée à demain, jeudi 13 décembre 2018, à quinze heures :

Questions d’actualité au Gouvernement

Personne ne demande la parole ?…

La séance est levée.

(La séance est levée à vingt-trois heures vingt-cinq.)

 

nomination de membres dune commission mixte paritaire

La liste des candidats désignés par la commission spéciale pour faire partie de la commission mixte paritaire chargée de proposer un texte sur les dispositions restant en discussion du projet de loi habilitant le Gouvernement à prendre par ordonnances les mesures de préparation au retrait du Royaume-Uni de lUnion européenne a été publiée conformément à larticle 12 du règlement.

Aucune opposition ne sétant manifestée dans le délai dune heure prévu par larticle 9 du règlement, cette liste est ratifiée. Les représentants du Sénat à cette éventuelle commission mixte paritaire sont :

Titulaires : MM. Jean Bizet, Ladislas Poniatowski, Jean-François Rapin, Olivier Henno, Didier Marie, Jean-Marc Todeschini et André Gattolin ;

Suppléants : MM. Éric Bocquet, Jean-Noël Guérini, Benoît Huré, Claude Kern, Ronan Le Gleut, Mme Claudine Lepage et M. Olivier Paccaud.

 

Direction des comptes rendus

GISÈLE GODARD