M. le président. La parole est à Mme Corinne Féret.

Mme Corinne Féret. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, nous sommes réunis ce soir pour échanger sur un sujet qui fait trop souvent l’objet de questionnements, d’interrogations, voire d’incompréhensions : celui des emplois non pourvus. Pourtant, on le sait, il ne suffit pas de « traverser la rue » et de postuler à un emploi pour être embauché.

S’il existe dans certains secteurs, comme ceux du bâtiment, de l’industrie hôtelière ou des services à la personne, un fossé entre demandeurs d’emploi et recruteurs, il n’est pas forcément et exclusivement le fait des premiers.

De même, si la plupart des offres d’emploi non pourvues dans ces secteurs le sont en raison de leur manque d’attractivité, la question de la formation – vous l’avez dit, madame la ministre – reste posée.

Après le plan de formation de 500 000 chômeurs mis en place par le précédent gouvernement, vous avez lancé le Plan d’investissement dans les compétences, le PIC, avec pour ambition de former 1 million de demandeurs d’emploi peu ou pas qualifiés et 1 million de jeunes éloignés du marché du travail. Nous ne pouvons que saluer cette volonté.

Au regard du projet de loi de finances pour 2019, marqué par la forte contraction des crédits de la mission « Travail et Emploi » pour la deuxième année consécutive, de près de 3 milliards d’euros, et par un affaiblissement historique des différents opérateurs publics chargés de l’accompagnement vers l’emploi, permettez-moi de formuler mes plus vives inquiétudes. Je m’interroge tout particulièrement sur les capacités de ces acteurs à porter le PIC.

Prenons l’exemple de Pôle emploi, particulièrement touché, avec une baisse de la subvention pour charges de service public de 85 millions d’euros et l’annonce de la suppression d’au moins 800 équivalents temps plein l’an prochain.

Je n’ai pas le temps, malheureusement, d’évoquer la situation des missions locales et des Maisons de l’emploi, elles aussi fragilisées, ni même de revenir sur les difficultés, précédemment évoquées, de l’AFPA, qui montrent bien que la question de l’accompagnement et de la formation des chômeurs dans nos territoires reste posée.

Pourriez-vous, madame la ministre, nous présenter un premier bilan du PIC et de ses perspectives ? (Mmes Viviane Artigalas, Michelle Meunier et Nadine Grelet-Certenais applaudissent.)

M. le président. La parole est à Mme la ministre.

Mme Muriel Pénicaud, ministre du travail. Madame la sénatrice, nous avons voulu, afin d’éviter que la qualité ne baisse, ne pas lancer trop vite le PIC.

Nous avons vu, dans le passé, que procéder par à-coups ne permettait pas forcément à l’offre de formation et aux opérateurs qui accompagnent celle-ci d’être au rendez-vous. Nous avions donc choisi, pour 2018, d’atteindre un niveau d’effort de formation supérieur à celui de l’année précédente, mais pas trop élevé, pour permettre aux régions, aux professions et à l’ensemble des opérateurs de préparer la mise en place du système.

Nous allons accélérer le rythme en 2019 puisque nous allons quasiment doubler l’effort de formation dans le PIC, le système de formation et les régions étant désormais mûrs pour cela.

Pour ce qui est des opérateurs, nous avons inscrit ce sujet dans la réflexion que nous menons région par région.

Selon l’investissement qui est fait dans les régions, la situation n’est pas la même. En Bretagne et en Normandie, par exemple, il n’y a pas de fermeture de centres AFPA, car ces régions ont toujours « joué le jeu » à l’égard de ces centres. J’insiste, il y a donc des différences selon les régions.

S’agissant de Pôle emploi, sa recette principale est assise sur la masse des salaires. Lorsque l’emploi est en hausse, les salaires augmentent. Aujourd’hui, les ressources de Pôle emploi continuent donc à augmenter, malgré la baisse de subventions de l’État.

De ce fait, Pôle emploi aura donc davantage de moyens l’année prochaine : 100 millions d’euros supplémentaires. Ces moyens bénéficieront à l’accompagnement et aux effectifs, puisque la suppression des 400 équivalents temps plein est plus que compensée par la numérisation, laquelle permet de dégager davantage de productivité.

Quant au budget de l’ensemble des missions locales, il est en baisse, avec l’ensemble des trois enveloppes, de 1,1 %. Cela signifie que la demande de productivité est très faible, et là aussi la numérisation est en cours.

Tous les réseaux sont donc en ordre de marche pour accompagner aujourd’hui cette transformation.

M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Moga.

M. Jean-Pierre Moga. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, au troisième trimestre de 2018, ce sont 5,6 millions de personnes qui étaient inscrites à Pôle emploi en catégorie A, B et C, parmi lesquelles 3,4 millions étaient sans emploi.

Selon une étude de Pôle emploi portant sur l’année 2017, 300 000 offres n’ont pas été pourvues et 150 000 ont réellement conduit à un abandon de recrutement, faute de candidats.

Ces chiffres apportent un éclairage intéressant. Pour autant, les emplois non pourvus sont bien une réalité, que ce soit dans l’hôtellerie-restauration, la chaudronnerie, le BTP ; je pense notamment aux emplois de couvreur, de maçon et de technicien.

Nous constatons également qu’il existe très peu d’emplois non pourvus dans les grandes entreprises, alors que les entreprises de moins de 50 salariés, et a fortiori de moins de 10 salariés, peinent à recruter. Cela s’explique par le manque de culture « ressources humaines » des TPE.

Madame la ministre, nous avons travaillé cet été avec vous sur la formation et l’apprentissage. C’était indispensable.

Si nous voulons que ces offres d’emploi trouvent preneur, il convient de rendre ces métiers plus attractifs. Or l’attractivité de ces secteurs n’étant pas constituée du simple fait de l’existence de postes disponibles, il est important de trouver d’autres leviers.

Les employeurs expliquent à Pôle Emploi l’insuffisance de recrutement par un manque d’expérience, de motivation ou de compétence des candidats.

Une enquête auprès de 5 000 professionnels de l’hôtellerie-restauration montrait que les faibles salaires et les heures supplémentaires non rémunérées étaient cités en tête des raisons expliquant les difficultés de recrutement du secteur.

Pour rendre ces métiers plus attractifs, les accords de branche ou d’entreprise sont des leviers intéressants, mais il est indispensable de mobiliser d’autres moyens.

M. le président. Il faut conclure.

M. Jean-Pierre Moga. C’est pourquoi j’aimerais savoir ce que le Gouvernement pourrait mettre en œuvre – pourquoi pas avec le concours des chambres de commerce et d’industrie, les CCI, et des chambres de métiers et de l’artisanat ? – pour que ces entreprises puissent recourir à un service d’accompagnement et de soutien tout au long de leur activité.

M. le président. La parole est à Mme la ministre.

Mme Muriel Pénicaud, ministre du travail. Monsieur le sénateur, vous soulevez un problème important. En termes de recherche de compétences ou de ressources, les petites et moyennes entreprises sont, à la fois, celles qui ont le plus besoin d’embaucher et celles qui sont le moins équipées en matière de recrutement.

Le premier point que vous avez évoqué est la capacité d’ingénierie des ressources humaines.

Dans le cadre du PIC, une partie est réservée à la structuration de l’offre et à l’accompagnement, dans laquelle nous avons prévu des appels à projets pour l’accompagnement par les branches des petites et moyennes entreprises.

La loi pour la liberté de choisir son avenir professionnel prévoit également la création d’opérateurs de compétences, les OPCO, par grandes familles de métiers, dont le rôle sera de conseiller les petites et moyennes entreprises.

Nous allons aussi développer l’apprentissage, dont nous avons beaucoup parlé cet été.

Il faut enfin évoquer des conditions de travail, au sens large, qui sont moins attractives dans certains métiers que dans d’autres.

Ma conviction est qu’il n’y a pas de fatalité. Évoquer les conditions de travail, c’est parler de santé et de sécurité au travail, et parfois d’horaires de travail, de salaires, voire de précarité du travail.

N’ayant pas le temps d’approfondir tous ces sujets, je m’en tiendrai à celui de la précarité.

Les secteurs les moins attractifs sont aussi ceux qui proposent le plus d’emplois en CDD et en intérim. Être obligé de se déplacer loin de chez soi pour occuper un emploi peu qualifié et temporaire, alors même que les règles de l’assurance chômage n’incitent pas à reprendre un travail lorsqu’il est temporaire, on comprend que cela n’encourage pas à travailler et que les difficultés restent importantes.

Il nous faut donc travailler sur les conditions de travail et réfléchir à la question des règles qui rendent l’emploi précaire moins attractif pour les employeurs. C’est l’un des objectifs de la réforme de l’assurance chômage.

M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Decool.

M. Jean-Pierre Decool. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, je souhaite remercier les orateurs qui m’ont précédé pour leurs interventions qui ont mis en avant les grands enjeux de ce débat.

Je voudrais, quant à moi, évoquer plus spécifiquement la question de l’apprentissage, pour lequel de nombreuses offres de formation et de contrats de travail en alternance ne sont pas pourvues.

Dans ma région, nombreux sont les lycées professionnels et les entreprises qui cherchent sans succès de jeunes apprentis, notamment dans les filières traditionnelles de l’hôtellerie-restauration, de l’alimentation, de l’industrie, mais aussi dans certaines filières plus innovantes, comme le numérique.

L’apprentissage est une voie d’avenir qui forme à de nouveaux métiers, des plus traditionnels aux plus innovants. Dans les Hauts-de-France, il est possible de préparer plus de 530 diplômes par la voie de l’apprentissage.

Cette année encore, plus de 33 000 jeunes de ma région ont choisi l’apprentissage pour se former au métier de leur choix, dans l’un des 380 centres de formation. Mais c’est loin d’être suffisant ! Il faudrait 50 000 jeunes pour satisfaire les entreprises et remplir les formations.

Comment améliorer cette situation ? Comment mieux communiquer auprès des jeunes pour revaloriser ces filières ? Car choisir l’apprentissage, c’est opter pour l’excellence, l’accès à une qualification reconnue et la perspective d’une insertion professionnelle rapide : près de 70 % des apprentis trouvent un emploi dans l’année qui suit l’obtention de leur diplôme.

Le Gouvernement a décidé de simplifier le dispositif et de créer de nouveaux circuits de financement dans la loi pour la liberté de choisir son avenir professionnel. Il faut maintenant aller plus loin en travaillant sur le terrain avec les collectivités locales, les centres de formation et les entreprises afin d’attirer davantage de jeunes dans ces filières et formations d’avenir.

M. le président. La parole est à Mme la ministre.

Mme Muriel Pénicaud, ministre du travail. Monsieur le sénateur, nous partageons cette conviction que l’apprentissage est l’une des grandes voies permettant de lutter contre le chômage massif des jeunes, véritable drame pour notre pays, pour les jeunes et pour leurs familles.

Xavier Bertrand, le président de la région Hauts-de-France, que vous avez évoquée, a été le premier à soutenir la réforme que nous mettons en place afin de développer massivement l’apprentissage.

De nombreux freins existaient. Votre question concerne particulièrement l’appétence, la connaissance et l’envie des jeunes d’aller vers l’apprentissage.

Pour donner envie de se diriger vers l’apprentissage, il faut rendre attractifs, à la fois, le métier, en le faisant connaître, et l’apprentissage lui-même. La loi pour la liberté de choisir son avenir professionnel permet d’accomplir plusieurs révolutions à ce niveau.

Tout d’abord, tous les jeunes, de la classe de quatrième jusqu’à la première, suivront désormais 54 heures annuelles de découverte des métiers, organisées par les régions, les professionnels, les collèges et les lycées.

Depuis un an, il est beaucoup question de cette loi, notamment grâce à des reportages et des témoignages. Bien que nous en soyons seulement au tout début de la réforme, nous avons eu l’heureuse surprise de constater, au mois de juin dernier, que les demandes des jeunes à la sortie de la troisième ont crû de 45 %. Ce n’était jamais arrivé ! L’une des raisons de ce succès est que l’éducation nationale met désormais sur le même plan toutes les filières, y compris dans l’évaluation des proviseurs et des conseillers principaux d’éducation. Là aussi, c’est la première fois que cela arrive.

Dans le cadre de mes incessantes visites de terrain, j’ai dû visiter une cinquantaine de CFA dans l’année. Une chose me frappe : lorsque je demande aux jeunes comment ils ont connu l’apprentissage, deux sur trois me répondent qu’un membre de leur famille fait ce métier ou leur a fait découvrir l’apprentissage. Il convient donc de mener une véritable opération de reconquête des esprits. Au vu des premiers résultats obtenus, je suis confiante.

Nous devons désormais mieux organiser l’offre et la demande, dans la mesure où des entreprises cherchent des apprentis, et des apprentis cherchent des entreprises. Les régions vont s’y atteler dans le cadre de leurs compétences d’orientation. Une fois la mise en contact entre les jeunes et les entreprises organisée par les organismes publics et les professions, nous allons pouvoir progresser massivement.

Il est intéressant que les jeunes commencent à découvrir la diversité des emplois. L’opération que nous avons menée ces dernières semaines avec des youtubeurs – des jeunes en apprentissage qui témoignaient de leur expérience – a ainsi eu un succès énorme, touchant 3 millions de personnes.

Je voudrais insister sur la situation des jeunes issus des quartiers prioritaires de la politique de la ville et des jeunes handicapés, qui ont très peu accès à l’apprentissage. C’est la raison de la nomination à mes côtés de Patrick Toulmet en tant que délégué interministériel au développement de l’apprentissage dans les quartiers prioritaires de la politique de la ville. Sa mission sera de labourer le terrain et d’aller au contact de ces jeunes afin qu’ils accèdent, eux aussi, à l’apprentissage, cette voie de réussite.

M. le président. La parole est à Mme Frédérique Puissat. (MM. Jean-Raymond Hugonet et Serge Babary applaudissent.)

Mme Frédérique Puissat. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, je remercie les membres du groupe Les Indépendants – République et Territoires d’avoir pris l’initiative de ce débat. Je ne reviendrai pas sur les chiffres qui ont été cités.

Nous traitons là d’un mal français, lié à l’inadéquation entre les entreprises et la main-d’œuvre disponible. Il s’agit, au-delà, d’un élément majeur du sentiment d’injustice qui forge le populisme, décrédibilise nos institutions, et sur lequel pas plus l’ancien monde que le nouveau n’ont trouvé de solution.

Mes questions, qui sont au nombre de trois, s’appuient sur l’expérience de la filière logistique, qui est confrontée à des difficultés, et à laquelle Le Figaro de ce jour a consacré un article intitulé Pénurie de main-dœuvre dans le transport et la logistique. Je vous ferai part, aussi, de la situation des entreprises de l’Isère.

Premièrement, ces entreprises, souhaitant recruter, ont dû solliciter l’éducation nationale pour faire connaître leurs métiers – leur approche était très large, et comprenant aussi les jobs d’été. N’est-il pas temps de casser les codes et d’imposer à l’éducation nationale des immersions plus étroites dans le milieu économique de proximité ? Je ne parle pas seulement de formation, je parle aussi de connaissance de l’autre et, encore une fois, du milieu économique.

Je ne reprendrai pas la fameuse phrase du Président de la République, dont on peut penser ce que l’on veut… Mais elle est significative d’une chose : nos concitoyens doivent intégrer le fait qu’en attendant de trouver un emploi dans la branche pour laquelle on a été formé, il est indispensable d’accepter de s’engager dans une autre branche. Pour cela, il demeure indispensable de réviser les règles d’indemnisation aux fins d’inciter à la reprise d’un emploi ; c’est l’objectif de la réforme de l’assurance chômage.

Deuxièmement, pouvez-vous nous éclairer, madame la ministre, sur les éléments qui vont dans ce sens dans la dernière lettre de cadrage du Gouvernement sur l’assurance chômage, adressée aux partenaires sociaux ?

Troisièmement, je veux vous faire part de l’expérience de la filière logistique iséroise, qui a créé un pôle d’intelligence logistique visant à promouvoir ses métiers. Cette initiative s’est construite avec Pôle emploi, qui a accepté de se remettre en cause au vu de l’inadéquation à l’œuvre sur le marché du travail, et avec le préfet.

Pensez-vous que les préfets et les agents de l’État ont des consignes suffisamment pressantes et effectives pour s’atteler à cette dynamique économique, dont l’enjeu devrait être une priorité majeure ? (Mme Patricia Morhet-Richaud, ainsi que MM. Yves Bouloux et Jean-Raymond Hugonet applaudissent.)

M. le président. La parole est à Mme la ministre.

Mme Muriel Pénicaud, ministre du travail. Madame la sénatrice, vous avez évoqué plusieurs points très importants.

Tout d’abord, la filière de la logistique et du transport fait en effet partie des métiers en forte tension, car le nombre d’offres d’emploi y explose. C’est le pendant des problèmes de la distribution, dans la mesure où c’est le e-commerce qui fait augmenter ce chiffre.

Dans le cadre du PIC, un dispositif est prévu pour cette branche professionnelle logistique, qui est décliné dans les différents plans régionaux.

Vous avez mentionné l’Isère. Je suis obligée de dire que, dans certaines régions, il est plus difficile et plus long de mettre en œuvre les plans régionaux et le plan d’investissement parce que celles-ci ne souhaitent pas s’associer au PIC. C’est le cas, pour l’instant, de la région Rhône-Alpes, et je le regrette. J’espère que cela changera.

Compte tenu de la baisse très forte des crédits de formation pour les demandeurs d’emploi en région Rhône-Alpes – une diminution de 65 % pour les bas niveaux de qualification –, nous ne sommes pas en mesure de signer ces formations, et c’est Pôle emploi qui prend le relais.

Pôle emploi est certes très impliqué, mais, vous l’avez dit, il faut aussi mobiliser l’éducation nationale. Je le disais, il y aura chaque année dans l’ensemble des collèges et des lycées une ouverture à la découverte des métiers, dont bénéficieront plus de 3 millions de jeunes chaque année. Si je me fie à mon expérience, ce qui convaincra le plus les jeunes de se diriger vers l’apprentissage, c’est de rencontrer des professionnels, un apprenti, un maître d’apprentissage, un jeune qui aura cinq ans de plus que lui, un ingénieur qui a fini ses études et va lui transmettre la passion d’un métier qu’il ne connaît pas et auquel il va s’identifier.

Pour préparer la rentrée, le ministre de l’éducation nationale Jean-Michel Blanquer et moi-même avons écrit de concert aux préfets et aux recteurs pour leur demander de se mobiliser et de réfléchir à ce problème du rapport entre l’offre et la demande, en visant les jeunes qui sortent de troisième. Je pense notamment aux jeunes décrocheurs qui, pour certains, « disparaissent » pendant deux ou trois ans avant que les missions locales puissent intervenir. Il faut agir dès la sortie de l’école, à tous les niveaux, à bac + 4 comme à la sortie de la troisième.

Enfin, vous avez évoqué l’assurance chômage. À cet égard, nous nous sommes concentrés sur les règles liées à la précarité, ce que j’appelle la « précarité excessive ». Aujourd’hui, neuf propositions d’embauche sur dix sont en CDD ou en intérim. C’est probablement le problème majeur posé par nos règles d’assurance chômage, et notre priorité est de le régler. Bien évidemment, les partenaires sociaux ont toute liberté pour aller plus loin dans la réflexion. Peut-être feront-ils aussi des propositions sur ce sujet ?

M. le président. La parole est à Mme Patricia Schillinger.

Mme Patricia Schillinger. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, les chiffres ont déjà été annoncés : on décompte en France près de 300 000 emplois non pourvus, et l’un des secteurs les plus touchés est celui de l’aide à domicile.

En effet, 78 % des responsables de structures déclarent rencontrer des difficultés de recrutement. Pourtant, il s’agit d’un secteur en pleine évolution. D’ici à 2030, le nombre d’emplois d’aide à domicile à pourvoir s’élèvera à environ 300 000.

L’importance de ce gisement d’emplois s’explique par le boom démographique. Il y a aujourd’hui en France 15 millions de personnes âgées de plus de 60 ans ; elles seront près de 20 millions en 2030.

Les difficultés de recrutement dans ce secteur s’expliquent principalement par le manque d’attractivité de ces emplois dévalorisés. Les témoignages le confirment, si le niveau des salaires est avancé comme la principale raison de ces freins, les contraintes de temps et d’organisation du travail, ainsi que la pénibilité, sont également largement mises en cause.

C’est aussi le volume des personnes formées sur le territoire qui pose problème. Car aider les autres, c’est un métier, qui nécessite une vocation, certes, mais également une formation et un accompagnement.

Madame la ministre, vous avez à cœur, je le sais, de porter des objectifs forts en matière de formation des salariés, et vous avez largement œuvré en ce sens dans la loi pour la liberté de choisir son avenir professionnel.

Quelles mesures comptez-vous prendre pour redonner à ces emplois locaux non délocalisables, qui font partie du tissu d’entraide de notre pays, stabilité, perspective et reconnaissance ?

M. le président. La parole est à Mme la ministre.

Mme Muriel Pénicaud, ministre du travail. Madame la sénatrice, vous avez raison, il s’agit, à la fois, d’une question d’emploi et d’intérêt social puisqu’elle concerne la société de demain.

Le sujet de l’aide à domicile, qui touche les personnes en situation de handicap et les personnes âgées, devient de plus en plus essentiel dans notre société du fait du vieillissement de la population. Les offres non pourvues dans ce secteur sont très nombreuses. Si l’on en dénombre 2 100 sur le site du chèque emploi service universel, le CESU, on sait qu’il y en a beaucoup plus. Tous les organismes du secteur cherchent à recruter.

Vous avez cité les raisons de ces difficultés de recrutement.

Il s’agit, d’abord, de la non-valorisation de ces métiers, qu’elle soit symbolique, sociale, financière, ou au niveau des conditions de travail.

La non-valorisation symbolique est importante. Ces métiers ne sont pas choisis, mais subis ; on les exerce parce qu’on n’a pas pu faire autre chose. La société n’a pas encore accepté de reconnaître que les aides à domicile et les aidants sont essentiels pour la société. Il est d’ailleurs caractéristique que ces métiers – nous l’avons constaté, ainsi que les partenaires sociaux, dans les conventions de branche –, qui sont souvent des métiers de services à la personne occupés à 90 ou 95 % par des femmes, sont ceux pour lesquels les classifications de branche sont les moins précises, ce qui explique une partie des salaires les plus bas.

Vous le savez, nous nous battons aussi pour l’égalité de salaire entre les femmes et les hommes. Or c’est typiquement dans de tels métiers que la question se pose.

Il faut aussi évoquer la précarité.

Dans ce secteur, on embauche beaucoup sur des contrats précaires, et ce sont souvent des personnes en situation de précarité qui acceptent ces emplois, non délocalisables, mais qui, dès qu’elles trouvent une solution un peu plus pérenne, prennent un autre emploi.

Il convient de travailler sur ces questions avec la profession, et cela entre aussi dans la mission des opérateurs de compétences, les OPCO, que nous mettons en place. Aujourd’hui, les professionnels de ce secteur sont dispersés dans différents organismes paritaires collecteurs agréés, les OPCA. Ils vont désormais se retrouver dans un seul et même lieu pour parler ensemble des compétences, mais aussi de l’avenir de ces métiers.

Les possibilités d’emploi sont immenses dans ce secteur, mais il convient de travailler sur le fond et sur l’organisation de ces professions afin qu’elles deviennent des métiers plus attractifs et d’avenir, en prévoyant des passerelles et des qualifications permettant une évolution au fil du temps.

M. le président. La parole est à Mme Patricia Schillinger, pour la réplique.

Mme Patricia Schillinger. Je remercie Mme la ministre de ses réponses. Une tâche considérable nous attend dans les mois à venir, car cette question est très complexe et l’urgence est là. Il faut aussi revoir le dispositif de formation, notamment les certificats d’aptitude professionnelle, les CAP, et les baccalauréats professionnels. Ce travail de fond devra être mené avec M. Blanquer.

M. le président. La parole est à Mme Michelle Meunier.

Mme Michelle Meunier. « On est combien aujourd’hui ? » : c’est la question que se posent chaque jour des employés du secteur médico-social.

Cette question cruciale dissimule à peine une surcharge de travail, des cadences intenables, des toilettes à réaliser à la hâte. La santé des soignants est en jeu : tabagisme, maladies cardiovasculaires, stress, horaires décalés et invalidité font de ces métiers des professions à risques.

Les syndicats des personnels estiment que 35 % des agents – infirmières aides-soignantes, aides médico- psychologiques, agents de service hospitaliers –, que ce soit dans le public ou dans le privé, ont le sentiment que l’effectif présent ne permet ni d’assurer la sécurité et la qualité des soins ni de respecter la dignité des patients. De leur côté, les établissements font part de leurs difficultés à recruter. Pour les nuits, les week-ends et les périodes de congé, 63 % des établissements d’hébergement pour personnes âgées dépendantes, les EHPAD, rencontrant des difficultés de recrutement ont des postes non pourvus depuis six mois ou plus.

Au vu de ses besoins criants, madame la ministre, vous venez de vous prononcer sur des pistes. Mais j’aimerais vous entendre concrètement sur des améliorations à prendre en termes de reclassement, de déroulement de carrière, de rémunération et de protection sanitaire.

Comment comptez-vous, madame la ministre, redonner leurs lettres de noblesse à ces métiers du soin ?

M. le président. La parole est à Mme la ministre.

Mme Muriel Pénicaud, ministre du travail. Madame la sénatrice, vous posez une vaste question, qui déborde le sujet précis de notre débat, même s’il y a trait en partie.

Sur ces métiers, ma collègue ministre des solidarités et de la santé a engagé un chantier. Je suis frappée qu’en l’occurrence les possibilités de qualification ou d’évolution de carrière pour les premiers niveaux ne soient pas très importantes. Or, comme pour tous les métiers, l’existence d’un ascenseur social dans sa profession ou dans des métiers connexes, est un point non négligeable en termes d’attractivité, d’intérêt du travail et de développement de carrière.

L’une des difficultés de ce secteur, c’est qu’il y manque une visibilité sur les carrières et les compétences. Il y a des employeurs publics, privés, associatifs et à but lucratif qui se retrouvent dans des instances différentes pour parler de ces sujets. Cela n’aide pas ! Aussi, l’opérateur de compétences qui travaillera sur ce sujet sera un bon « carrefour » pour réfléchir à la question des diplômes.

Je rappelle que, dans la loi pour la liberté de choisir son avenir professionnel, vous avez prévu, sur la proposition du Gouvernement, que le contenu professionnel des diplômes et leur enchaînement seraient désormais élaborés par les professionnels ; dans le cas de diplômes d’État, on vérifiera bien sûr la cohérence d’ensemble.

C’est très important parce que sur ces métiers qui ont grandi très vite – je ne parle pas de ceux qui sont purement médicaux, qui relèvent d’une hiérarchie – il n’y a pas eu de véritable construction de parcours. Les personnes qui en bénéficient ont fait cette démarche à titre individuel. Il n’y a donc ni véritables passerelles ni construction de métier.

La ministre des solidarités et de la santé s’attachera à traiter ce sujet sur le fond, mais l’appui des systèmes de formation aidera à construire ces parcours.