Mme Catherine Troendlé, rapporteur pour avis. Absolument !

M. Dany Wattebled. Ces agressions ont augmenté de 18 % entre 2015 et 2016. Et les sapeurs-pompiers voient leurs marges budgétaires se réduire dangereusement.

Je voudrais évoquer la gratuité des autoroutes pour les véhicules d’intérêt général prioritaires en intervention, notamment ceux des sapeurs-pompiers, de la police et de la gendarmerie. L’année dernière, cette gratuité avait été décidée. Mais rien n’a changé aujourd’hui, faute de décret d’application. C’est tout simplement inadmissible ! Cela l’est d’autant plus que ce budget laisse en marge la sécurité civile territoriale au moment où les départements et les intercommunalités se heurtent à de graves difficultés financières.

Bien que les services départementaux d’incendie et de secours soient financés principalement par les collectivités territoriales, le projet de loi de finances pour 2019 ne prévoit pas les adaptations fiscales et les concours ciblés nécessaires à l’amélioration de leurs investissements, comme l’a souligné notre collègue Catherine Troendlé, rapporteur pour avis pour le programme « Sécurité civile ».

Je veux rendre hommage à cette tribune aux hommes et aux femmes qui, tous les jours, souvent au péril de leur vie, assurent notre sécurité. Je les remercie ici de leur engagement au service des citoyens. Je souhaite également saluer les sapeurs-pompiers dont les interventions de secours à la personne ont considérablement augmenté, de 40 % au cours de ces dix dernières années !

En raison de l’affaiblissement du maillage territorial du système de santé, les sapeurs-pompiers sont devenus aujourd’hui un dernier recours, dans certains quartiers urbains, mais également et surtout dans nos zones rurales de plus en plus touchées par la désertification médicale.

Monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, le projet de budget n’apporte ni à la police ni à la gendarmerie nationale les moyens, matériels et humains à la hauteur de leurs missions et de leur niveau de sollicitation. Il ne prend pas non plus la pleine mesure de la dégradation du contexte sécuritaire dans notre pays.

Pour toutes ces raisons, le groupe Les Indépendants – République et Territoires ne votera pas les crédits de la mission « Sécurités » du projet de loi de finances pour 2019. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. le président. La parole est à M. Arnaud de Belenet.

M. Arnaud de Belenet. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, je voudrais à mon tour saluer avec sobriété le professionnalisme, le dévouement et l’humilité de nos forces de sécurité, mais aussi de secours, avec une pensée particulière envers ceux qui ont été blessés par certains de nos concitoyens – concitoyens certes, mais bien peu républicains – venus en découdre avec une violence inouïe et singulière.

À l’évidence, le débat budgétaire n’est pas qu’une joute technique réservée à ses seuls pratiquants. C’est l’affaire de tous. Il doit sans doute redevenir un outil d’instruction populaire et de controverse politique. Or nous vivons encore dans un monde où l’information budgétaire est une lutte politique permanente. Et l’on est parfois bien en peine d’identifier sur ces lignes budgétaires filandreuses, car difficilement praticables, le contenu politique qui s’y est déposé, et cela malgré l’amélioration remarquée de la maquette de performance sur le budget et les objectifs du ministère de l’intérieur.

Il importe de remonter la trace de quelques marqueurs politiques un tant soit peu consistants. J’en viens donc à quelques observations fondamentales sur la mission « Sécurités ».

La progression des crédits de la mission et des effectifs, avec – cela a été souligné – 2 500 recrutements prévus pour l’exercice 2019, s’effectue au bénéfice de la force de frappe opérationnelle des policiers et gendarmes, conformément au plan quinquennal de recrutement.

En parallèle, le Gouvernement s’affaire à recentrer les forces de l’ordre dans leur office. Notre doctrine d’action, c’est prioritairement le terrain, le lien quotidien avec la population. Les tâches indues doivent être éliminées ; elles le seront. La procédure pénale sera révisée. La numérisation et la rationalisation des activités de police et de gendarmerie seront accrues. Le chemin est donc tout tracé pour assouplir le formalisme procédural qui frappe partiellement d’inertie nos services de sécurité. À ces gains de disponibilité attendus s’additionneront les moyens alloués à la police de sécurité du quotidien et à l’expérimentation des brigades territoriales de contact.

Un effort particulier doit être également salué. Il concerne l’amélioration des conditions matérielles de travail de nos agents. On peut considérer l’ampleur de la tâche ; on peut aussi considérer l’effort. Ainsi, 137 millions d’euros seront affectés à l’acquisition de 5 800 véhicules neufs sur 60 000. C’est l’investissement le plus important depuis huit ans.

Les commissariats de police et les casernes de gendarmerie bénéficieront de la poursuite du plan triennal 2018-2022 s’agissant du parc immobilier domanial des forces de sécurité. Sur le terrain des rémunérations également, l’institution respectera les engagements pris envers les agents qui la servent. Ainsi, la mise en œuvre du protocole de valorisation des corps, des carrières et des métiers sera poursuivie en 2019, à hauteur de près de 61 millions d’euros.

Je souhaite évoquer le matériel à disposition de nos forces de l’ordre, auquel sont assurément liés le moral des troupes et l’attractivité de leur métier, comme le soulignent avec justesse les conclusions de la commission d’enquête sénatoriale relative au malaise dans les forces de sécurité intérieure.

Voilà pourquoi, outre les véhicules, il y aura 14 000 caméras supplémentaires pour équiper nos policiers. Et, au cours du premier trimestre de 2019, ce sont 50 000 tablettes et smartphones Néopol et 67 000 équipements Néogend, ainsi que le dispositif Nex-Sys pour nos services d’incendie et de secours et de sécurité civile auront été déployés.

Voilà donc un arsenal budgétaire sous l’effet duquel la hausse des effectifs s’adjoindra à celle des équipements. C’est un budget qui prend acte du processus endogène de restructuration du risque terroriste, en s’abstenant toutefois de lui opposer les actes de délinquance quotidienne, un budget qui inscrit donc dans la durée les efforts passés et les efforts récents, accentués.

Telle est l’articulation des faits qui nous conduit à renouveler notre confiance au ministre de l’intérieur et à voter les crédits de la mission « Sécurités ».

M. le président. La parole est à Mme Éliane Assassi.

Mme Éliane Assassi. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, cela fait maintenant de nombreuses années que les membres du groupe CRCE dénoncent les conditions de travail déplorables de nos forces de sécurité intérieure.

Je le rappelais voilà peu en tant que membre de la commission d’enquête sénatoriale sur le sujet : le décalage est grand entre les priorités nettes des gouvernements successifs en matière de sécurité publique, qui ont donné lieu à de nombreuses lois, globalement répressives, et les moyens concrètement alloués à nos services de police et de gendarmerie.

Conformément aux annonces du Gouvernement, le présent projet de loi de finances s’inscrit dans la tendance d’augmentation des effectifs constatée depuis 2013, avec le financement de 2 378 équivalents temps plein en 2019 pour les programmes « Police nationale » et « Gendarmerie nationale ». Cette hausse est bien évidemment positive. Mais elle vient – hélas ! – nourrir un déséquilibre important entre dépenses de personnels et ensemble des crédits.

Comme le relève le rapporteur spécial de la commission des finances sur cette mission, cette évolution positive du schéma d’emplois intervient alors même que les comparaisons internationales ne témoignent d’aucun sous-dimensionnement des forces de sécurité intérieure de notre pays, et surtout alors même que, en parallèle, le parc automobile est marqué par une augmentation continue de l’âge moyen des véhicules et une dégradation de leur état.

En outre, le parc immobilier des forces de sécurité intérieure devrait constituer une préoccupation majeure pour le Gouvernement. C’est également ce que relevait voilà peu l’enquête sénatoriale que je citais.

Toutefois, au-delà des données quantitatives et des questions de fonctionnement et d’investissement, il apparaît urgent de réfléchir enfin à la doctrine d’emploi que nous souhaitons pour nos forces de sécurité intérieure, notamment en vue de renouer le lien entre forces de l’ordre et population. Nous ne cessons de le répéter, mais nous sommes convaincus qu’il s’agit là de la seule issue possible pour améliorer cette relation et pour que l’État assure son autorité en toute légitimité.

La gestion de la crise actuelle lors des manifestations des « gilets jaunes » est pour nous révélatrice de l’état de désœuvrement dans lequel sont plongés nos agents de police, obéissant à des ordres qui semblent parfois contestables…

Tout en condamnant sévèrement – je l’ai également fait cet après-midi, ainsi qu’à de nombreuses autres reprises – les violences et les dégradations, nombre de ces agents estiment que la meilleure manière de mettre fin aux violences dans les manifestations est d’accéder aux revendications légitimes des manifestants, que d’ailleurs beaucoup d’entre eux partagent, habités qu’ils sont par la même colère sociale, se sentant eux aussi laissés-pour-compte.

Aussi, un syndicat de policiers déclarait hier : « Nous, salariés du ministère de l’intérieur, sommes impactés par la baisse du pouvoir d’achat, à travers le gel du point d’indice, pour les fonctionnaires, et l’absence de coup de pouce pour le SMIC, pour les contractuels, par l’injustice fiscale, et plus largement par la politique de modération salariale que nous subissons toutes et tous depuis plus de vingt ans. […] Pour nous, le Gouvernement doit entendre et répondre positivement aux revendications des salariés, retraités, privés d’emploi, étudiants. C’est la seule solution pour retrouver la paix sociale. »

Nous partageons pleinement cette analyse. Rappelons d’ailleurs que le rôle des forces de l’ordre n’est sûrement pas d’être le dernier rempart d’un pouvoir politique bloqué, sourd aux revendications populaires ; c’est bien d’assurer la sécurité des personnes et des biens.

Je finirai mon propos sur les crédits alloués à la sécurité civile de notre pays. La situation est plus que préoccupante en la matière. Les augmentations de crédit sont ciblées sur les lacunes révélées les années précédentes, soit la flotte aérienne et le renforcement de la capacité de déminage. Mais alors que les départements et les intercommunalités connaissent de graves difficultés financières, la sécurité civile territoriale continue à être sous-dotée par rapport à la sécurité civile de l’État. Cela n’est pas acceptable, à plus forte raison compte tenu de la situation de crise politique pour la gestion de laquelle eux aussi sont fortement, voire trop fortement, sollicités.

Pour toutes ces raisons, nous voterons contre ce budget, qui ne prend en compte aucune nouvelle doctrine de sécurité pour notre pays à l’heure où l’urgence est à l’écoute des policiers qui sont sur le terrain et des habitants qui souffrent de l’insécurité. (Applaudissements sur les travées du groupe communiste républicain citoyen et écologiste. – M. Jean-Pierre Sueur applaudit également.)

M. le président. La parole est à M. Guillaume Arnell.

M. Guillaume Arnell. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, après les deux exercices exceptionnels de 2016 et 2017 pour le ministère de l’intérieur, où la priorité opérationnelle a été donnée à la lutte contre le terrorisme, les crédits consacrés à la mission « Sécurités » en 2019, comme en 2018, traduisent la volonté du Gouvernement de réorienter les efforts vers la sécurité et la paix publique des Français au quotidien.

Toutefois, la menace terroriste n’a pas disparu : elle a évolué d’une forme exogène vers une forme endogène, comme l’a constaté François Molins. Nos services de renseignements et forces de l’ordre, au-delà des renforts budgétaires et humains, vont bénéficier dans les années à venir d’un cadre légal plus favorable pour lutter contre le terrorisme.

Monsieur le secrétaire d’État, nous soutenons votre volonté d’accompagner le changement de perception d’insécurité de nos concitoyens, que les attentats ont profondément altérée. Il faut absolument empêcher la pérennisation d’un sentiment de méfiance généralisée et rétablir la concorde.

C’est la philosophie de la « police de sécurité du quotidien », qui est actuellement expérimentée. C’est aussi le sens de l’amendement de notre collègue Nathalie Delattre, qui vise à rassurer les Français dans leurs activités de loisir.

Si l’on s’attarde sur les conditions matérielles d’exercice des femmes et des hommes qui concourent bravement à la sécurité de notre pays, nos rapporteurs ont relayé leurs craintes, en matière d’équipement et surtout d’organisation du temps de travail, après la décision de la Cour de justice de l’Union européenne, qui invalide le système d’astreintes.

Sur le premier point, l’équipement, nous nous interrogeons sur les difficultés liées à la passation des commandes. Celle-ci permet-elle une réactivité suffisante selon la priorité opérationnelle du moment ? Les rapporteurs ont posé la question de la flotte vieillissante des véhicules, mais on pourrait y ajouter celle de la généralisation des tenues ignifugées.

Enfin, une évaluation de l’utilité des nouveaux outils technologiques est nécessaire, alors que les actions récursoires en cas de casse ou de perte exposent financièrement les agents, qu’il s’agisse de la mise à disposition de téléphones portables équipés de logiciels de consultation de fichiers ou aux caméras mobiles.

Je m’interroge sur l’angle d’approche de nos rapporteurs quant aux conséquences de la jurisprudence européenne. Ne s’agit-il pas d’un défi managérial de réorganisation du temps de travail, plutôt que d’une lacune budgétaire ?

D’autres réformes attendent le ministère de l’intérieur : des transformations internes, avec, dans le mouvement Action publique 2022, la conduite d’une réflexion sur l’équilibre des moyens entre l’administration centrale, qui peut paraître hypertrophiée, et les services déconcentrés sur tout le territoire, en métropole comme outre-mer. La réduction des tâches indues doit être recherchée par le dialogue interministériel, afin de permettre des redéploiements utiles d’effectifs et de rapprocher les agents des missions qui ont fait naître leur vocation.

J’avais constaté l’importance du dispositif d’escorte nécessaire au centre de rétention administrative de Vincennes. Dans un ministère particulièrement exposé à la brutalité des rapports humains et à la mort, le renforcement de l’accompagnement psychologique paraît nécessaire ; il ne doit pas reposer seulement sur des entreprises associatives, comme celle du domaine de Courbat, qui accueille les forces de l’ordre victimes de burn-out.

L’évolution des attentes de la société concernant la lutte contre les violences sexuelles et familiales devrait faire l’objet d’une réflexion et d’adaptation des pratiques, en concertation avec le ministère de la justice.

Un autre chantier majeur est celui de l’évolution du continuum de sécurité associant les forces de sécurité nationales, locales et privées. Parallèlement à l’augmentation des effectifs de police municipale, soit 21 500 personnes en 2016, les dernières évolutions législatives prises dans le contexte terroriste ont organisé la montée en puissance des activités privées de sécurité.

En particulier, les lois de 2017 ont marqué un changement de paradigme, avec, comme le formule le Conseil national des activités privées de sécurité, le CNAPS, la « consécration de la place de la sécurité privée comme un acteur à part entière de la sécurité globale de la Nation ». Entre 2012 et 2017, le Conseil a ainsi délivré plus de 363 000 cartes professionnelles d’une durée de validité de cinq ans.

Certes, cette évolution crée de la richesse et des emplois : les entreprises de la prévention et de la sécurité représentent aujourd’hui 7,1 milliards d’euros de chiffre d’affaires et près de 165 000 salariés, soit approximativement la somme des crédits « dépenses de personnel » de la gendarmerie et le nombre d’agents de la police nationale…

Prenons garde à ne pas sous-estimer la portée de ces changements, en particulier l’extension du port d’arme à certains agents privés. Le risque existe de voir augmenter le nombre d’armes en circulation sur notre territoire, sans un contrôle rigoureux des modalités de leur conservation au domicile des agents.

De la même manière, le recours aveugle à des agents contractuels à des fonctions support pourrait mettre en danger les effectifs des commissariats et gendarmerie, en offrant un accès privilégié à leurs coordonnées et à leur vie familiale.

Monsieur le secrétaire d’État, la plupart des membres du groupe du RDSE voteront donc les crédits de la mission « Sécurités », avec la confiance dans votre capacité de relever ces défis et avec pour soutien ces mots de Georges Clemenceau : « Un homme de gouvernement qui doit agir a d’autres soucis que l’homme d’opposition, dont la parole n’engage que lui et dont les théories ne s’inquiètent pas du possible. » (M. Jean-Marc Gabouty applaudit.)

M. le président. La parole est à M. François Grosdidier.

M. François Grosdidier. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, le 19 novembre dernier, j’étais à être Haybes, dans les Ardennes, aux obsèques de Maggy Biskupski, présidente de l’Association des policiers en colère.

Elle était le trente-troisième membre de la police à mettre fin à ses jours en 2018, de même qu’il y a eu trente et un gendarmes. En m’embrassant, sa maman m’a dit : « Ma fille demandait si peu ». Je lui ai répondu : « Oui, si peu et si juste : des conditions matérielles minimales, un peu de considération et de respect, du soutien moral et juridique que doit tout employeur à ses employés. »

Il faut écouter les policiers qui souffrent au lieu d’envoyer l’Inspection générale de la police nationale aux policiers qui expriment cette souffrance. Place Beauvau, on met depuis trop longtemps la poussière sous le tapis ; vous devez le savoir, monsieur le secrétaire d’État. C’est bien de cultiver le secret – c’est même indispensable à la Direction générale de la sécurité intérieure, la DGSI. C’est moins bien dissimuler la réalité, au risque de se mentir à soi-même et parfois aux autres.

Au sein de la commission d’enquête sur l’état des forces de sécurité intérieure, nous n’avons rien dissimulé de la réalité, ni même de nos responsabilités antérieures : RGPP et pression par les chiffres pour la droite ; faiblesse pénale et sous-investissement pour la gauche. Et puis, il y a eu la vague terroriste, la vague migratoire, l’Euro, les manifestations contre la loi Travail… Le problème réside non pas dans les responsabilités antérieures, mais dans la situation actuelle.

Certaines solutions appellent non pas des moyens financiers, mais de la volonté politique, d’autres attitudes morales, des déblocages idéologiques, des révolutions culturelles. La première est certainement celle du management dans la police nationale ; le rapport dit beaucoup sur ce point. Je parle de révolutions culturelles, de déblocages idéologiques et de volonté politique pour apporter enfin une réponse pénale adaptée.

Policiers et gendarmes courent de plus en plus de risques pour pas grand-chose ou pour rien, et cela les mine. Ils sont dévorés aussi par la lourdeur et la complexité de la procédure pénale, qui mangent les deux tiers de leur temps.

En cinq ans, vous créerez péniblement 7 500 postes de policiers et 2 500 postes de gendarmes, en grande partie gommés, on l’a dit, par la vacation forte ou la directive européenne sur le temps de travail. Vous en gagnerez des dizaines de milliers en allégeant drastiquement la procédure pénale. Mais là, ce n’est pas Bercy qui commande ; c’est la place Vendôme. Le projet de loi sur la justice, c’est seulement un cinquième de ce qui était attendu, soit une timide numérisation. L’oralisation était exclue ; on l’a réintroduite au Sénat par amendement ; l’Assemblée nationale l’a pour l’instant maintenue. J’espère que cela tiendra.

Nicolas Hulot disait que le Gouvernement se mentait à lui-même et donc aussi aux autres. Ce budget est en trompe-l’œil ; nos rapporteurs l’ont parfaitement démontré. Ce budget ne résorbera pas le stock des 22 millions d’heures supplémentaires impayées, qui vont continuer à augmenter. Ce budget ne répond pas au déficit de formation. Ce budget ne résorbe pas les dizaines de millions d’euros d’arriérés de loyers dus aux collectivités, qui logent les gendarmes tellement mieux que l’État, lequel les montre pourtant du doigt.

Nous avons vu comment l’État loge ces gendarmes, par exemple à Satory, dans des appartements indignes, insalubres, sans double vitrage, avec des baignoires sabots des années cinquante et des installations électriques non conformes, aussi dangereuses que ces voitures qui ne passeraient pas le contrôle technique si elles n’étaient pas sérigraphiées.

Vous vous apprêtez à déployer samedi prochain les blindés de la gendarmerie. Ils ont quarante-cinq ans ! Quand j’étais gamin, je jouais avec un VBRG Solido ; c’est dire s’ils ne sont pas jeunes ! (Sourires.)

M. Loïc Hervé. En effet ! (Nouveaux sourires.)

M. François Bonhomme. Ce n’est pas gentil !

M. François Grosdidier. Les hélicoptères vieillissent aussi. Et un aéronef qui tombe en panne, c’est très dangereux ! Les équipements les plus modernes manquent sérieusement ; nous en avons parlé mardi au sujet des forces mobiles. La violence dont elles sont victimes et le courage dont elles font preuve nous obligent. Je pourrais encore évoquer les manteaux qui manquent aux jeunes gendarmes pour affronter l’hiver ou les munitions qui font défaut simplement pour faire les tirs réglementaires.

Votre budget n’y répond pas. Les crédits de paiement augmentent ? Oui, mais moins que l’inflation ! Le parc automobile va continuer à vieillir. Le parc immobilier va continuer à se dégrader. L’équipement indispensable va continuer à manquer. Le stock d’heures supplémentaires va continuer à augmenter.

Certes, en un an ou deux, vous ne pouvez pas rattraper une décennie, voire deux de retards et de manquements. Mais vous les aggraverez en 2019 ; au mieux, vous les stabiliserez.

Il vous faut prendre dès 2019 un rythme qui permette d’atteindre le niveau minimum nécessaire aux missions que la Nation confère à ses forces de sécurité. Pour leur ouvrir cette perspective, pour leur redonner le moral, pour sécuriser ses moyens, il faut une loi de programmation pour la sécurité intérieure, à l’instar de la loi de programmation militaire. Même si le montant des investissements est sans commune mesure, ils sont aussi indispensables à la sécurité des Français et – je le dis cette semaine avec une gravité particulière – à la protection non pas du pouvoir, mais de la République, dont elles sont le seul rempart !

Or vous ne fournissez pas à nos forces les moyens nécessaires et vous ne le ferez pas en 2019. Nous ne ferons pas semblant d’y croire, et nous voterons donc contre ce budget en trompe-l’œil. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, ainsi quau banc des commissions.)

M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Sueur.

M. Jean-Pierre Sueur. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, la difficulté de l’exercice tient au fait que, plus on avance dans la soirée, plus on est en quelque sorte condamné à redire les mêmes choses. Le point qui m’apparaît tout à fait significatif ce soir est la grande convergence des interventions.

Bien sûr, la hausse des effectifs se poursuit par rapport à l’année dernière, puisqu’il y aura 2 360 emplois de plus, dont 1 735 policiers et 632 gendarmes. Le Président de la République a annoncé pendant la campagne électorale 10 000 effectifs de policiers et de gendarmes de plus pendant le quinquennat.

Je le rappelle, pendant le quinquennat précédent, 9 000 emplois avaient été créés. Mais, pour être tout à fait juste, cher monsieur Grosdidier, vous qui évoquiez la dernière décennie, il ne faut jamais oublier ce qui s’est passé de 2007 à 2012.

M. François Grosdidier. Vous, vous avez sous-investi !

M. Jean-Pierre Sueur. Je pense aux deux dernières décennies. Personne ne m’empêchera de rappeler que, de 2007 à 2012, il y a eu 13 720 postes de moins, dont 6 930 postes de policiers et 6 730 postes de gendarmes.

M. François Grosdidier. Mais les effectifs avaient augmenté de 2002 à 2007 !

M. Jean-Pierre Sueur. Je ne remonterai pas aux couches archéologiques, mon cher collègue.

M. François Grosdidier. Et on a supprimé des postes sous Jospin à cause de la RTT !

M. Jean-Pierre Sueur. Notre groupe s’est associé à la commission des lois, qui s’est prononcée contre ces crédits. Certes, le fait que le nombre d’emplois augmente est positif. Mais je souhaite formuler trois remarques.

Premièrement, je crains que l’annonce des 10 000 postes dans le quinquennat ne soit compromise. En effet, dans le projet annuel de performances, le PAP – vous le savez, on crée toujours de nouveaux acronymes –, il n’y a que 832 postes, dont 824 pour la police et 8 pour la gendarmerie, si l’on tient compte des reports de l’année précédente. Par conséquent, il faudra en effet, comme cela a déjà été souligné, un important effort l’année prochaine et les autres années si l’on veut atteindre les 10 000 postes promis.

Deuxièmement, je souhaite évoquer les charges indues. Certes, c’est toujours un refrain ; cela doit faire quelques dizaines d’années que l’on en parle. Il s’agit en effet de profiter des créations de postes pour avoir davantage d’effectifs opérationnels.

Malheureusement, il y a un point sur lequel j’ai le sentiment – peut-être me démentirez-vous, et j’en serai heureux, monsieur le secrétaire d’État – que les choses n’avancent pas comme cela avait été prévu pour la question des transfèrements judiciaires.

Vous le savez, il y a plusieurs centaines de transfèrements judiciaires tous les mois, qui mobilisent d’importants effectifs de police. Un accord a été conclu avec le ministère de la justice – mais nous n’ignorons pas que ce dernier a aussi des problèmes de personnels et de moyens –, pour que la tâche soit effectuée par des personnels de ce ministère. Or il a été conclu un accord en vertu duquel ce processus serait achevé en 2019. Je ne vois pas les effets concrets de cette reprise de charge. Mais peut-être allez-vous me répondre, monsieur le secrétaire d’État.

Troisièmement, ainsi que M. Leroy l’a rappelé, le problème ce sont les investissements, les locaux, les véhicules le matériel et les crédits d’investissement de la police. La masse salariale augmente et prend une place toujours plus importante dans le budget.

Toutefois, la réalité est que les crédits d’investissement de la police diminuent de 11,7 % en autorisations d’engagement et de 18,6 % en crédits de programme. Mes collègues ont déjà souligné l’ancienneté des véhicules, avec une moyenne de six ans et quatre mois d’ancienneté pour la police et de sept ans et quatre mois pour la gendarmerie. On ne peut à l’évidence pas continuer comme cela.

À l’instar de mes collègues, j’affirme notre total soutien et notre totale solidarité à l’égard des policiers et des gendarmes, qui sont soumis à dure épreuve. Ce n’est pas la violence qui règle les questions, et celle-ci est condamnable. Nous sommes dans une démocratie où on peut parler, discuter et s’affronter sans que cela passe par cette violence. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain.)