M. le président. Mes chers collègues, je vous rappelle que le temps de parole attribué à chaque groupe pour chaque discussion comprend le temps d’intervention générale et celui de l’explication de vote.

Par ailleurs, le Gouvernement dispose au total de dix minutes pour intervenir.

Dans la suite de la discussion, la parole est à M. Jean-Yves Leconte.

M. Jean-Yves Leconte. M. le rapporteur pour avis regrette que la circulaire Valls sur l’admission exceptionnelle au séjour n’ait pas été abrogée. Une circulaire est une sorte de compilation de textes législatifs et réglementaires. Il ne nous dit pas exactement ce qu’il voudrait y changer. S’agissant des paramètres sur lesquels le Gouvernement a une certaine marge de manœuvre, je signale que les critères d’admission prévus par les circulaires Sarkozy de 2006 et Hortefeux de 2008 étaient plus souples…

Vous regrettez aussi, monsieur Buffet, l’absence d’augmentation des crédits pour le financement de l’exécution des mesures d’éloignement. Je rappelle qu’un éloignement coûte en moyenne plus de quatre SMIC. C’est la méthode qui pose problème aujourd’hui, pas le manque d’argent. En réalité, le « tout-rétention » n’est pas efficace, surtout quand les pays d’origine ne coopèrent pas. La méthode allemande, plus souple, est plus efficace.

Monsieur Buffet, vous déplorez que le nombre de personnes en situation irrégulière augmente. Cela vaut pour toute l’Europe : de la Grèce à l’Allemagne et de la Turquie au Maroc, partout on constate une telle augmentation. Ces dernières années, le flux est plutôt mieux maîtrisé en France que dans nombre de pays voisins.

Le rapport de la commission des finances, quant à lui, semble confondre les crédits de cette mission de pilotage de la politique d’asile et d’immigration avec un supposé coût de l’immigration. Pourtant, les estimations de recettes, en termes de cotisations sociales ou d’impôts, rapportées au coût des prestations sociales et de la scolarité des enfants, notamment, montrent que la population immigrée apporte une contribution positive, tant à l’État qu’aux organismes sociaux, alors que l’immigration est toujours vue comme un coût !

Je rappelle à ceux qui affirment que signer le pacte de Marrakech sur les migrations serait une mauvaise chose que, si l’on souhaite lutter contre les passeurs et les trafics, il est bon d’améliorer le dialogue entre pays d’arrivée et pays de départ. Instaurer un cadre de dialogue est utile pour lutter contre l’immigration irrégulière : c’est l’objet de ce pacte, qui sera un outil non contraignant à la disposition des différents États, dont il respecte pleinement la souveraineté.

La France n’est pas seule face à ces défis. Depuis 2015, l’Europe a fait beaucoup. Ainsi, les franchissements irréguliers des frontières européennes sont passés de plus de 1,8 million en 2015 à moins de 150 000 par an aujourd’hui. Au cours de la même période, le nombre des demandes d’asile a été divisé par deux. C’est le résultat des politiques européennes. À cet égard, le budget de FRONTEX a plus que doublé entre 2015 et 2018. Si la situation reste préoccupante, il faut rappeler le chemin déjà parcouru !

Il est important, monsieur le secrétaire d’État, d’être attentif au budget de l’OFPRA, qui représente moins de trois semaines de financement de l’ADA. Pour des raisons à la fois humanitaires, d’efficacité et budgétaires, il importe que cet organisme puisse étudier rapidement les demandes d’asile. Ne le ramenons pas à sa situation de 2012 ! Aujourd’hui, il faut à l’OFPRA moins de cent jours pour étudier une demande d’asile : c’est un beau résultat, fruit du travail de ses agents. Pour aller plus loin et faire davantage d’économies, il faudrait donner la possibilité aux demandeurs d’asile de travailler et veiller à ce que l’application de la nouvelle loi sur l’asile permette d’améliorer l’accueil dans les services des étrangers des préfectures, la formation et le statut des personnels, ainsi que la cohérence entre les informations disponibles sur service-public.fr et les sites des préfectures et la réalité des choses. Je souligne aussi l’importance de la question des langues pour accélérer le traitement des demandes d’asile.

Les conditions de travail difficiles des agents de la police aux frontières – leur temps de travail dépasse souvent largement ce qu’il devrait être – pèsent aussi sur le quotidien des personnes en rétention.

Monsieur le secrétaire d’État, si nous sommes très critiques à l’égard des positions de la majorité sénatoriale, nous ne pourrons cependant pas voter les crédits dévolus à une politique qui manque de solidarité envers des pays comme l’Italie ou l’Espagne, avec les conséquences politiques que nous constatons aujourd’hui en Italie. Nous ne sommes bien sûr pas seuls responsables de cette catastrophe européenne, mais nous y avons participé.

Après l’Aquarius, ce sont aujourd’hui des bateaux marchands qui, alors qu’ils ne font que respecter le droit de la mer en sauvant des vies, ne savent pas où accoster pour mettre en sécurité les personnes qu’ils ont repêchées !

Je constate aussi que la coopération entre les garde-côtes libyens et l’Union européenne est très aléatoire, d’autant que l’on ne sait pas très bien à qui ils répondent.

Enfin, nous refusons une application de la procédure Dublin qui conduit 30 % des demandeurs d’asile en France à végéter pendant dix-huit mois avant de pouvoir engager la démarche. En attendant, ils vivent de manière indigne dans nos rues. Soit un autre pays a déjà étudié leur demande d’asile, auquel cas il faut changer les règles pour plus d’efficacité, soit ils n’ont pas encore déposé de demande d’asile, auquel cas nous devons appliquer le système Dublin de manière plus souple, pour qu’ils puissent la formuler immédiatement en France.

Par ailleurs, monsieur le secrétaire d’État, pourquoi les personnes ayant travaillé avec l’armée française en Afghanistan n’obtiennent-elles pas toutes rapidement un visa dans des conditions dignes ?

Mme Nathalie Goulet. Très bien !

M. Jean-Yves Leconte. Je n’ai pas parlé d’intégration, parce qu’avec des discours comme celui de notre collègue rapporteur spécial rien ne sera jamais possible, quelle que soit l’importance des moyens engagés !

La France inclusive que nous appelons de nos vœux n’a pas besoin d’une pluie de milliards : elle a simplement besoin de s’aimer et de faire vivre ses principes. C’est plus difficile que de mobiliser des milliards, mais là est l’enjeu pour l’intégration : respecter les droits, refuser absolument toute discrimination et permettre que, d’une génération à l’autre, les jeunes qui naissent en France puissent se sentir français et ne pas être discriminés du fait de leur origine ! (M. Jean-Pierre Sueur et Mme Esther Benbassa applaudissent.)

M. le président. La parole est à M. Guillaume Arnell.

M. Guillaume Arnell. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, messieurs les rapporteurs, mes chers collègues, les crédits affectés à la mission « Immigration, asile et intégration » dans le projet de loi de finances pour 2019 sont en hausse de 22,7 % en crédits de paiement. Toutefois, comme d’autres missions, celle-ci voit son périmètre élargi : à périmètre constant, l’augmentation n’est que de 12 % à 14 % en crédits de paiement.

Nécessaire, cette augmentation nécessaire vise à faire face à des demandes d’asile toujours plus nombreuses année après année : leur nombre a augmenté de 17 % en 2018 par rapport à 2017. C’est donc sans surprise que la grande majorité des crédits sont concentrés sur l’action n° 02, Garantie du droit d’asile.

Bien entendu, ces chiffres à eux seuls ne sauraient refléter les dépenses de l’État pour les politiques d’immigration, d’asile et d’intégration, qui ont de multiples coûts annexes, portant la facture pour l’État à près de 5,8 milliards d’euros pour 2018.

Si le Gouvernement a augmenté les crédits de la mission, ceux-ci restent encore insuffisants pour traiter en profondeur l’enjeu majeur que constituent l’immigration et l’asile dans notre pays.

Conscient qu’il faut repenser totalement notre système d’accueil et d’intégration, de l’hébergement d’urgence à l’exécution des décisions administratives, j’accueille très favorablement l’initiative prise par le Gouvernement de consacrer une loi à cette problématique. Cela me semble d’autant plus nécessaire que, partout en Europe, et même ailleurs, le populisme gagne du terrain en se nourrissant de la question migratoire. Adopter une approche globale est donc absolument nécessaire si l’on veut que les Français ne perçoivent pas notre politique d’accueil et d’intégration comme une charge déraisonnable et contraire à leurs intérêts.

« Il faut avoir à l’esprit que cette vision négative est liée au sentiment de déclassement et au renforcement des inégalités que certains de nos concitoyens éprouvent. » Tels étaient mes propos en juillet dernier, monsieur le secrétaire d’État, des propos qui font malheureusement écho à la crise des « gilets jaunes » que nous sommes en train de vivre.

Pour revenir à la question migratoire, le texte de juillet dernier, s’il a la vertu de corriger ou d’améliorer certains dispositifs, laisse des pans entiers de la problématique sans réponse. Comme les États à l’échelle européenne, les territoires français ne sont pas exposés de la même manière aux phénomènes migratoires : les zones frontalières, particulièrement les îles françaises les plus éloignées, sont les premières concernées.

À cet égard, la situation en outre-mer est largement sous-estimée. Je pense à Mayotte et à la Guyane, mais aussi à mon territoire, Saint-Martin, qui doivent faire face à un afflux important de migrants au regard de leur taille et de leur population, ce qui fragilise fortement les équilibres locaux. À Saint-Martin, l’inexistence d’une frontière étatique physique sur l’île tend à favoriser l’installation de populations immigrées, dont la précarité s’est accrue après les désastres causés par l’ouragan Irma, dont nous peinons toujours à nous relever.

Rien non plus, dans la loi de juillet dernier, ne permet de surmonter les difficultés chroniques dans les services publics régaliens ni de garantir des solutions d’hébergement d’urgence effectives. La loi ne comporte pas davantage de dispositions contraignantes relatives à la question des futurs réfugiés climatiques ou destinées à lutter contre la traite des êtres humains à laquelle se livrent les passeurs.

Le projet de loi de finances pour 2019 ne contient aucune mesure complétant utilement nos travaux de juillet dernier ou apportant des moyens supplémentaires pour combler les lacunes que je viens de mentionner. L’augmentation des crédits de paiement est avant tout un ajustement, au demeurant indispensable, du budget pour répondre à l’accroissement du nombre des demandes d’asile à traiter.

C’est peut-être la seule raison qui conduira la grande majorité du groupe du RDSE à voter les crédits de la mission. Nous mettons cependant en garde le Gouvernement : s’il veut réellement traiter le sujet dans toutes ses dimensions, il lui faudra mobiliser à l’avenir des moyens beaucoup plus importants !

M. le président. La parole est à M. Loïc Hervé.

M. Loïc Hervé. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, messieurs les rapporteurs, mes chers collègues, « la qualité de notre politique d’intégration est au cœur de l’équilibre général de notre politique d’immigration et d’asile. Nos priorités sont connues. Nous voulons un système d’asile plus rapide, une politique d’éloignement plus efficace pour les étrangers en situation irrégulière, une politique d’intégration digne de notre République pour tous ceux à qui nous donnons le droit de séjourner en France. »

Ces mots ne sont pas de moi, mais du Premier ministre, qui les a prononcés devant le Comité interministériel à l’intégration, le 5 juin dernier. En d’autres termes, le Gouvernement entend mettre en œuvre l’ensemble des moyens nécessaires à la réalisation de ses objectifs. Nous saluons cette volonté.

Au regard de ces dernières années, force est de constater que la demande d’asile connaît, en France, une hausse sans précédent, alors que, dans d’autres États européens, elle est en baisse. Les chiffres parlent d’eux-mêmes : au cours de la décennie 2007-2017, la demande de protection internationale en France a pratiquement triplé, augmentant de 183 %.

L’immigration régulière est toujours très dynamique, certains efforts ayant été réalisés. En effet, l’année 2019 sera marquée par une augmentation des crédits destinés à l’accueil des étrangers primoarrivants.

De plus, la loi du 10 septembre 2018 pour une immigration maîtrisée, un droit d’asile effectif et une intégration réussie produit ses premiers effets. Elle a permis, entre autres résultats, une meilleure insertion professionnelle des étrangers, auxquels elle assure une formation dispensée en langue française.

Néanmoins, notre collègue François-Noël Buffet signale, au nom de la commission des lois, que, « malgré des hausses ponctuelles, les moyens programmés par le présent budget sont fondés sur des hypothèses irréalistes et restent notoirement insuffisants au regard de la réalité des phénomènes migratoires auxquels la France est aujourd’hui confrontée ». En particulier, en raison de la forte hausse de la demande d’asile dans notre pays, les objectifs avancés par le Gouvernement – respect d’un délai cible de six mois pour le traitement des demandes d’asile et 86 % de demandeurs d’asile hébergés – ne semblent pas tenables.

Je voudrais attirer votre attention sur les crédits alloués à l’action n° 03 du programme « Immigration et asile », intitulée Lutte contre l’immigration irrégulière. Ils sont certes bienvenus, mais ne prennent pas en compte les conséquences de l’augmentation du nombre des demandes d’asile, non plus que les flux secondaires en provenance, notamment, d’Italie et d’Espagne. Ma collègue Denise Saint-Pé avait alerté le Gouvernement à cet égard lors des questions d’actualité au Gouvernement du 8 novembre dernier, expliquant que les Pyrénées étaient devenues une nouvelle route pour les populations migrantes. De fait, plus de 50 000 personnes sont arrivées sur les côtes espagnoles depuis le début de l’année, ce qui représente la moitié des entrées sur le continent. En réponse à ma collègue, monsieur le secrétaire d’État, vous avez exprimé votre volonté de nommer un coordinateur pour l’ensemble du massif pyrénéen, afin qu’un interlocuteur unique dialogue avec les autorités espagnoles : pouvez-vous nous indiquer si cette initiative s’est concrétisée et ce qui ressort de vos échanges avec les autorités espagnoles ?

La suite de mon propos sera consacrée au nombre de mesures d’éloignement effectivement exécutées.

Nous le savons, mes chers collègues, l’effort à cet égard est quasi nul. En effet, depuis quatre ans, les dépenses d’éloignement des migrants en situation irrégulière stagnent à un niveau proche de 30 millions d’euros. Je fais notamment référence à l’organisation des procédures d’éloignement par voies aérienne et maritime des étrangers faisant l’objet d’une mesure d’éloignement, dont la mise en œuvre revient à la police aux frontières.

Le problème est connu : près de neuf obligations de quitter le territoire sur dix ne sont pas exécutées. C’est une question complexe, dont la résolution, j’en suis bien conscient, ne nécessite pas simplement une écriture budgétaire.

Plus globalement, le problème majeur sur lequel bute ce gouvernement, comme d’ailleurs ceux qui l’ont précédé, est celui du traitement des déboutés du droit d’asile.

Oui, la France doit continuer à protéger les populations en danger au titre de l’asile. Oui, elle a encore des progrès à faire dans le traitement de ces demandes et sur les garanties offertes à ceux qui obtiennent l’asile. Mais, surtout, pour que ce système fonctionne, pour qu’il ait un sens, il est indispensable que nous trouvions de nouvelles solutions efficaces afin que les déboutés ne viennent pas presque systématiquement grossir les rangs des personnes en situation irrégulière sur notre territoire.

Monsieur le secrétaire d’État, cette diminution des crédits est en contradiction avec l’intention affichée à plusieurs reprises par le Gouvernement de faciliter l’accès aux places de rétention partout sur le territoire, en vue, notamment, de lutter contre l’insécurité et de renforcer la lutte contre l’immigration irrégulière.

Compte tenu de l’ensemble de ces observations, les sénateurs centristes ne peuvent pas apporter leur soutien aux crédits de la mission « Immigration, asile et intégration » du projet de loi de finances pour 2019 ! (Applaudissements sur des travées du groupe Les Républicains.)

M. le président. La parole est à M. Dany Wattebled.

M. Dany Wattebled. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, monsieur le rapporteur spécial, monsieur le rapporteur pour avis, mes chers collègues, dans le projet de loi de finances pour 2019, la mission « Immigration, asile et intégration » voit ses ressources fortement augmenter, il faut le souligner. En effet, le montant du budget alloué à cette mission s’établit à 1,7 milliard d’euros en crédits de paiement et à 1,9 milliard d’euros en autorisations d’engagement, soit une progression respective de 23 % en crédits de paiement et de 37,5 % en autorisations d’engagement en un an.

Certes, le budget augmente, mais avec la crise migratoire que connaît l’Union européenne et avec les programmes de relocalisation, il est loin d’être suffisant. Ne nous y trompons pas : il s’agit encore une fois d’un budget d’affichage où rien n’est fait efficacement pour lutter contre l’immigration irrégulière. Voilà pourquoi ce budget suscite de nombreuses remarques.

Tout d’abord, et il s’agit d’un point positif, je salue les efforts consentis en vue d’accueillir les étrangers en situation régulière. Je mentionnerai le renforcement du dispositif d’hébergement d’urgence et de la formation linguistique, ainsi que l’évolution du contrat d’intégration républicaine.

En revanche, il est toujours difficile de comprendre que le Gouvernement persiste à refuser l’abrogation de la circulaire Valls du 28 novembre 2012, qui a conduit en cinq ans à une augmentation de plus de 30 % des régularisations d’étrangers en situation irrégulière.

En 2017, on a comptabilisé 10 654 exécutions de mesures d’éloignement de moins qu’en 2012, alors que la pression migratoire était largement supérieure. Pis encore, le taux d’exécution des mesures prononcées recule, signe de l’insuffisance des politiques mises en œuvre.

Sur ce point, les chiffres sont édifiants : seuls 17,5 % des obligations de quitter le territoire français ont été exécutées l’an dernier. Il s’agit du plus bas niveau historique. Non seulement ces obligations de quitter le territoire sont peu appliquées, mais le Gouvernement ne prend même pas la peine de prendre une telle mesure quand un demandeur d’asile est débouté de sa demande ; en effet, seuls 36 % des déboutés en reçoivent une.

Une politique d’éloignement efficace constitue, à bien des égards, le pendant d’une bonne intégration des étrangers en situation régulière, et notamment des réfugiés.

La crédibilité de nos politiques d’éloignement est en outre entachée par les difficultés d’application du règlement de Dublin, qui prévoit le transfert des demandeurs d’asile vers l’État de l’Union européenne responsable de leur traitement, sans qu’une volonté de réforme se manifeste à ce jour : moins de 12 % des étrangers sous procédure Dublin ont été effectivement transférés vers un autre État au début de 2018.

Ce laxisme en matière d’éloignement du territoire vous conduit même, monsieur le secrétaire d’État, à refuser d’éloigner ceux qui représentent une menace pour la sécurité des Français. Je veux parler des 3 391 étrangers fichés pour radicalisation à caractère terroriste.

Monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, dans ce contexte, le groupe Les Indépendants – République et Territoires ne votera pas les crédits de la mission « Immigration, asile et intégration » pour 2019.

M. le président. La parole est à M. Thani Mohamed Soilihi.

M. Thani Mohamed Soilihi. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, monsieur le rapporteur spécial, monsieur le rapporteur pour avis, mes chers collègues, cette année encore, malgré un environnement budgétaire contraint et un contexte migratoire difficile, le budget consacré à la mission « Immigration, asile et intégration » connaît une augmentation significative, puisqu’il atteindra 1,69 milliard d’euros en 2019, soit 314 millions d’euros de plus qu’en 2018.

Monsieur le secrétaire d’État, cette hausse de 22 %, cohérente avec l’objectif du plan gouvernemental de refonte de notre politique d’asile et d’immigration et les dispositions de la loi du 10 septembre dernier, vous permettra d’améliorer les conditions d’exercice du droit d’asile et de faire face aux défis des migrations et de l’intégration des étrangers entrés régulièrement en France.

Suivant ces trois objectifs, le budget que vous nous présentez prévoit une mise à niveau et une réorganisation du dispositif national d’accueil des demandeurs d’asile, qui permettra de disposer de plus de 97 000 places en 2019.

S’il est vrai que ce budget repose sur une hypothèse optimiste de stabilisation de la demande d’asile et de baisse des demandeurs d’asile placés sous la procédure Dublin, il me semble que sa sincérité n’en est pas pour autant affectée. En effet, cette année, aucun décret d’avance n’a été prévu sur cette mission dans le projet de loi de finances rectificative, ce qui démontre que cette action n’avait pas été sous-budgétisée. Je tiens à préciser que cela n’était pas arrivé depuis neuf ans.

S’agissant de l’immigration régulière, je voudrais saluer les efforts consentis par le Gouvernement en matière d’intégration des étrangers primoarrivants. Les crédits alloués permettront notamment le renforcement de l’accompagnement en matière d’insertion professionnelle, et le doublement des cours de français et d’éducation civique. L’emploi, la maîtrise de la langue et la compréhension des valeurs de la République sont en effet des facteurs essentiels d’intégration.

Enfin, concernant la lutte contre l’immigration irrégulière, s’il est vrai que l’essentiel des crédits est consacré au maintien en zone d’attente ou en rétention, il est en revanche inexact de dire que l’effort dédié à l’éloignement est quasi nul. Même si ce n’est pas suffisant, quelque 30,9 millions d’euros sont consacrés aux frais d’éloignement des migrants en situation irrégulière, ce n’est pas rien.

Je ne puis évidemment pas m’exprimer sur cette question sans évoquer la situation au sein de mon département, où plus de la moitié de la population est étrangère et d’où sont effectuées chaque année la moitié des reconduites à la frontière depuis la France.

La pression migratoire inouïe que subissent les Mahorais m’a conduit à proposer l’adaptation des règles d’acquisition de la nationalité française à raison de la naissance et de la résidence en France.

Mme Éliane Assassi. Ce n’est pas bien !

M. Thani Mohamed Soilihi. Cette proposition a reçu l’avis favorable du Conseil d’État et a été validée par la suite par le Conseil constitutionnel. Il faut savoir que cela concerne tout de même 41 % à 50 % des naissances enregistrées à Mayotte.

Mme Éliane Assassi. Ce n’est vraiment pas bien !

M. Thani Mohamed Soilihi. Si, c’est très bien, chère collègue !

Au cours des dix derniers mois, des tensions importantes sont apparues dans les rapports entre les autorités comoriennes et les autorités françaises. Ces tensions ont eu pour conséquence de suspendre le retour chez eux de migrants reconduits à la frontière depuis Mayotte, ou de les rendre aléatoires, suscitant la colère légitime de la population mahoraise.

La crise était tellement profonde que, le 21 mars dernier, l’Union des Comores a renvoyé vers Mayotte un bateau qui devait accoster à Anjouan, avec, à son bord, une centaine de migrants reconduits à la frontière.

Fort heureusement, nous avons retrouvé le chemin du dialogue et, aujourd’hui, des retours sont de nouveau effectués grâce aux relations que le ministre de l’Europe et des affaires étrangères, Jean-Yves Le Drian, entretient avec le gouvernement comorien. Il est vrai que le dialogue est primordial, comme le soulignait notre collège Jean-Yves Leconte.

Ce dialogue entre nos deux pays, mené en concertation avec les élus mahorais, devrait donner lieu très prochainement à la formalisation d’un document-cadre qui comportera des décisions et des engagements réciproques en matière de lutte contre les mouvements de population non maîtrisés et de sauvegarde des vies humaines en mer, ainsi qu’en matière de développement.

Comme mes collègues parlementaires de Mayotte, je serai évidemment vigilant quant à sa bonne mise en œuvre et compte sur le Gouvernement pour apporter une solution pérenne à ce problème.

Pour conclure, je pense que ce budget pour 2019 donnera au Gouvernement les moyens de mener des politiques ambitieuses en matière d’asile et d’immigration régulière et irrégulière. C’est la raison pour laquelle le groupe La République En Marche votera en faveur des crédits de cette mission.

M. le président. La parole est à Mme Esther Benbassa.

Mme Esther Benbassa. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, monsieur le rapporteur spécial, mes chers collègues, il y a quelques mois, la Haute Assemblée adoptait un texte validant l’enfermement des mineurs en centre de rétention administrative, ou CRA, facilitant les expulsions et réduisant l’accès aux droits des exilés, alors même que nous connaissions, toutes et tous, la terrible réalité de ces destins arrachés à leur terre natale par la guerre, la famine, la persécution, l’instabilité politique et le dérèglement climatique.

Après le vote de la loi Asile et immigration, restait à découvrir le budget sur lequel s’appuierait sa mise en œuvre. Chacun peut aujourd’hui constater la nette augmentation des crédits alloués à cette mission. Pourtant, sous ces apparences flatteuses, se cache une réalité tout autre.

Alors que croît le nombre de requérants à l’Office français de protection des réfugiés et apatrides, l’OFPRA, et en dépit des alertes lancées par les professionnels de terrain, le Gouvernement mise sur une stabilisation très hypothétique des demandes d’asile. Le dispositif d’hébergement et de formation professionnelle, absolument nécessaire à l’intégration des personnes émigrées, souffre d’une évidente sous-budgétisation. Ce choix politique ne fera qu’aggraver la précarité déjà grande des exilés et aboutira, je le crains, à l’apparition de nouveaux campements de fortune.

Par là même, le Gouvernement nous éclaire sur sa priorité : la lutte contre l’immigration irrégulière, au détriment de l’intégration républicaine, ce qu’attestent notamment les 450 places supplémentaires qui seront créées en CRA, et l’aide au retour largement déployée par l’exécutif.

Du fait d’un désengagement de l’État, qui se refuse à développer des programmes pertinents comme celui de l’AFPA – l’Association nationale pour la formation professionnelle des adultes –, ce sont les forces vives de la société civile qui prennent le relais, telles que la CIMADE, COALLIA et d’autres associations et organisations non gouvernementales, qui sont à la pointe des combats en faveur des migrants que les pouvoirs publics renoncent à mener eux-mêmes en matière d’accès aux droits, d’accès aux soins et de socialisation par l’emploi et l’apprentissage du français.

Au lieu de promouvoir les bienfaits de certaines politiques publiques exemplaires en matière d’intégration, ou d’apprécier pour ce qu’elles sont les innovations de la société civile pour accompagner l’arrivée des exilés, le Gouvernement préfère agiter les peurs.

Pourtant, que vous le vouliez ou non, monsieur le secrétaire d’État, les mouvements de populations à l’échelle mondiale ne sont pas près de s’estomper. Reprenant, hélas, à son compte les mots du Rassemblement national, votre prédécesseur estimait que l’Europe était actuellement « submergée » par les migrations d’une Afrique appauvrie et d’un Moyen-Orient en guerre. Je parle évidemment de M. Collomb.