compte rendu intégral

Présidence de Mme Valérie Létard

vice-présidente

Secrétaires :

Mme Mireille Jouve,

M. Guy-Dominique Kennel.

Mme la présidente. La séance est ouverte.

(La séance est ouverte à neuf heures trente.)

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Procès-verbal

Mme la présidente. Le compte rendu analytique de la précédente séance a été distribué.

Il n’y a pas d’observation ?…

Le procès-verbal est adopté sous les réserves d’usage.

2

État B (interruption de la discussion)
Dossier législatif : projet de loi de finances pour 2019
seconde partie

Loi de finances pour 2019

Suite de la discussion d’un projet de loi

Discussion générale
Dossier législatif : projet de loi de finances pour 2019
Solidarité, insertion et égalité des chances

Mme la présidente. L’ordre du jour appelle la suite de la discussion du projet de loi de finances pour 2019, adopté par l’Assemblée nationale (projet n° 146, rapport général n° 147, avis nos 148 à 153).

Nous poursuivons l’examen, au sein de la seconde partie du projet de loi de finances, des différentes missions.

seconde partie (suite)

MOYENS DES POLITIQUES PUBLIQUES ET DISPOSITIONS SPÉCIALES

Solidarité, insertion et égalité des chances

seconde partie
Dossier législatif : projet de loi de finances pour 2019
État B

Mme la présidente. Le Sénat va examiner les crédits de la mission « Solidarité, insertion et égalité des chances » (et articles 82 à 83 quater).

Mes chers collègues, au regard de notre ordre du jour, et afin d’éviter tout risque de report de mission, j’invite chacun et chacune d’entre vous à la concision et au respect du temps de parole.

La parole est à M. le rapporteur spécial.

M. Arnaud Bazin, rapporteur spécial de la commission des finances. Madame la présidente, madame la ministre, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, la mission « Solidarité, insertion et égalité des chances », qui porte les politiques publiques de solidarité et de cohésion sociale de l’État en faveur des personnes les plus fragiles, est dotée, en 2019, de 21,1 milliards d’euros de crédits de paiement. Ces crédits progressent ainsi de 7,5 % par rapport à 2018.

Cette augmentation est principalement due au dynamisme des dépenses d’intervention, qui représentent 93 % des crédits de la mission, mais s’explique également par les revalorisations dites « exceptionnelles » de la prime d’activité et de l’allocation aux adultes handicapés.

Il y a ainsi un effort budgétaire d’ensemble de la part du Gouvernement, que nous reconnaissons, mais qui doit cependant être nuancé par l’existence d’un certain nombre de mesures de paramètre, des mesures dont l’impact sur les bénéficiaires ne semble, d’ailleurs, pas vraiment maîtrisé par le Gouvernement, ce qui est quelque peu inquiétant.

Derrière la communication gouvernementale et les revalorisations annoncées, la réalité des crédits de la mission atteste, en effet, de la mise en œuvre d’un certain nombre de réformes de paramètre, qui viennent minorer, voire neutraliser dans certains cas, les revalorisations annoncées, le Gouvernement ayant choisi de faire sien le célèbre adage « donner d’une main pour mieux reprendre de l’autre »…

En effet, parallèlement aux revalorisations annoncées, différentes mesures sont prévues par le projet de loi de finances pour 2019, ou ont déjà été mises en œuvre par la loi de finances pour 2018.

Concernant tout d’abord la prime d’activité, il s’agit de la baisse de l’abattement portant sur les revenus d’activité pris en compte dans le calcul de la prime – de 62 % à 61 % –, intervenue par un décret d’octobre dernier. Ainsi, d’après des simulations effectuées, sur les 20 euros de revalorisation forfaitaire annoncés, une personne au SMIC et sans enfant bénéficierait d’un gain de seulement 8 euros !

Autre réforme paramétrique, l’exclusion pour les « nouveaux entrants » du bénéfice de la prime d’activité : les bénéficiaires de rentes accidents du travail et maladies professionnelles, ou AT-MP, et de pensions d’invalidité.

Enfin, il a été décidé la suppression de la revalorisation annuelle du 1er avril pour 2019 et 2020 de la prime et de son bonus, indexées jusque-là sur l’inflation.

De même, pour l’allocation aux adultes handicapés, l’AAH, sont prévues ou déjà mises en œuvre les réformes de paramètre suivantes.

Le rapprochement des règles de prise en compte des revenus d’un couple dont l’un des deux perçoit l’AAH, sur celles d’un couple percevant le revenu de solidarité active, le RSA, a déjà débuté, avec la publication d’un décret, fin octobre, qui abaisse le plafond de ressources à 1,89. En 2019, celui-ci sera abaissé à 1,81.

Autre mesure qui atténue la revalorisation annoncée, la suppression d’un des deux compléments de l’AAH, le complément de ressources. D’un montant de 179 euros par mois pour les personnes les plus fragiles, il sera supprimé par l’article 83 rattaché à la mission, sur lequel nous présenterons un amendement de suppression.

Enfin, dernière mesure paramétrique, je citerai, comme pour la prime d’activité, la suppression de la revalorisation annuelle indexée sur l’inflation pour 2019, et sa limitation à 0,3 % en 2020.

Outre le fond de ces mesures, c’est surtout la méthode du Gouvernement qui est quelque peu critiquable, madame la ministre. Le Gouvernement a su abondamment communiquer sur les coups de pouce, en oubliant d’évoquer ces nombreux coups de ciseaux, qui seront autant de mauvaises surprises pour les bénéficiaires, c’est-à-dire, madame la ministre, madame la secrétaire d’État, ne l’oublions pas, les plus vulnérables de nos concitoyens.

Nous souhaiterions ainsi, madame la ministre, que nous soient transmis des éléments chiffrés et statistiques, et notamment les simulations réalisées par le Gouvernement, pour connaître le réel impact de toutes ces mesures de restriction budgétaire sur les bénéficiaires. Nous nous sommes essayés à l’exercice et avons obtenu des ordres de grandeur, mais nous aimerions avoir des chiffres plus précis.

Malgré ces insuffisances, que je regrette, la commission des finances a décidé d’adopter ces crédits, mais également de voter un amendement visant à maintenir, conformément au droit existant, le complément de ressources à l’allocation aux adultes handicapés. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – M. le rapporteur pour avis de la commission des affaires sociales applaudit également.)

Mme la présidente. La parole est à M. le rapporteur spécial.

M. Éric Bocquet, rapporteur spécial de la commission des finances. Madame la présidente, madame la ministre, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, Arnaud Bazin a parfaitement souligné les insuffisances budgétaires dont souffre cette mission, mais il ne s’agit malheureusement pas des seules.

Outre cette question des revalorisations et de ces mesures paramétriques, la mise en œuvre du budget de la mission, pour 2019, est entourée d’un certain nombre d’incertitudes. Elles concernent notamment le financement des mineurs non accompagnés. L’aide exceptionnelle aux départements s’agissant de la prise en charge partielle des dépenses d’aide sociale à l’enfance est certes reconduite, mais l’incertitude demeure sur son montant.

Il semblerait que le niveau des dépenses prises en charge par l’État diminue, passant de 30 % à 15 %. Toutefois, malgré nos demandes, le Gouvernement n’a malheureusement pas été en mesure de nous le confirmer, ce qui est regrettable, puisqu’une enveloppe a bien été budgétée pour 2019. Nous souhaiterions, madame la ministre, avoir, sur cette question, des éléments de réponse de votre part.

Par ailleurs, sur ce sujet qui relève, à notre sens, de la politique nationale d’immigration, nous estimons que l’État doit prendre ses responsabilités, d’une part, en assumant les dépenses d’évaluation et de mise à l’abri, et, d’autre part, en augmentant l’aide versée aux départements pour les dépenses d’aide sociale à l’enfance.

Outre cette question des MNA, il est un autre sujet dont l’exécution nous semble entourée d’incertitudes : il s’agit du plan Pauvreté. Nous ne pouvons que saluer les objectifs de cette stratégie et le travail mené par le délégué interministériel, que nous avons reçu en audition. Néanmoins, la majorité des crédits inscrits au titre de la mission reposent sur une contractualisation avec les départements. La mise en œuvre de ce plan semble ainsi, en l’état actuel des choses, compromise au vu de la situation financière des départements.

Un autre sujet était entouré d’incertitudes, et le Gouvernement est finalement intervenu en cours de discussion à l’Assemblée nationale : la suppression de la prise en compte, en tant que revenus professionnels, des rentes AT-MP et des pensions d’invalidité dans le calcul du droit à la prime d’activité.

Cette mesure avait été adoptée en loi de finances initiale pour 2018, contre l’avis du Sénat, pour une application au 1er janvier 2018. Elle fut appliquée temporairement, et avec retard, au 1er juin 2018, mais le Gouvernement a finalement « fait machine arrière », suspendant l’application de la mesure au vu de ses conséquences dommageables sur les bénéficiaires, conséquences que l’on avait pourtant pointées lors de l’examen de la dernière loi de finances. Des pertes ont ainsi été constatées chez les bénéficiaires – majoritairement, des familles monoparentales – s’échelonnant de 60 à 200 euros par mois.

On ne peut que regretter, madame la ministre, madame la secrétaire d’État, la mise en œuvre chaotique de cette mesure, qui n’a fait l’objet d’aucune publicité auprès des bénéficiaires, ni s’agissant de la suppression du droit ni ensuite s’agissant du versement du rappel. Nous reviendrons, lors de l’examen des amendements, sur l’article que vous avez ajouté, par voie d’amendement, à l’Assemblée nationale.

Enfin, le dernier financement entouré d’incertitudes que je souhaitais aborder ici dépasse le cadre strictement national. Il s’agit du financement de l’aide alimentaire par le biais du Fonds européen d’aide aux plus démunis, dont nous avons montré le caractère essentiel dans un récent travail de contrôle sur le sujet. Nous souhaiterions, à l’heure où les négociations européennes débutent, que le Président de la République et le Gouvernement s’engagent clairement pour la pérennisation de ce fonds.

Enfin, je terminerai mon intervention par un mot sur les deux autres programmes de la mission.

S’agissant du programme 137 relatif à l’égalité entre les femmes et les hommes, ses crédits sont stables à l’euro près, mais masquent des situations contrastées, notamment la diminution des crédits liés à la lutte contre la prostitution, portée par la loi du 13 avril 2016. Bien que la diminution soit moins importante que l’année dernière, nous tenions à rappeler que le maintien de financements aux associations est essentiel, puisque d’elles dépend la mise en œuvre de cette loi et des parcours d’accompagnement de sortie de la prostitution.

Enfin, s’agissant du programme 124 – il porte l’ensemble des crédits de soutien des politiques des ministères sociaux et la contribution de l’État au fonctionnement des agences régionales de santé –, ses crédits diminuent de près de 2,5 %.

Les ministères sociaux faisant partie des ministères non prioritaires, ils sont ainsi touchés significativement, depuis plusieurs années, par des mesures d’économie budgétaire. Il semble néanmoins que le processus de rationalisation des moyens atteigne aujourd’hui ses limites. Nous serons ainsi attentifs, mesdames les ministres, au maintien d’un niveau satisfaisant des crédits en cohérence avec le bon fonctionnement de ces ministères.

Ainsi, pour ces différentes raisons, j’avais, personnellement, émis un avis défavorable à l’adoption des crédits de cette mission. La commission des finances a finalement décidé de les adopter. (Mme Laurence Cohen et M. Marc Laménie applaudissent.)

Mme la présidente. La parole est à M. le rapporteur pour avis.

M. Philippe Mouiller, rapporteur pour avis de la commission des affaires sociales. Madame la présidente, madame la ministre, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, je suis rapporteur pour avis de la commission des affaires sociales sur les crédits de la mission depuis quatre ans. Bien que cette période ait vu une augmentation régulière de ces crédits, je constate une évolution moins solidariste des politiques publiques qu’elle finance.

La prime d’activité nous en fournit depuis deux ans l’illustration. Voilà une prestation sociale dont le succès, certes, ne se dément pas, mais dont l’objectif repose sur une ambiguïté : minimum social ou incitation financière au retour à l’emploi ?

La réduction de la pauvreté est un objectif évidemment louable, mais encore faut-il qu’il soit mesuré à partir de principes fermement établis, et pas simplement à l’aune de dépenses budgétaires reconduites, année après année, sans que le cap soit clairement défini.

La prime d’activité repose sur deux composantes : l’une familialisée et l’autre individuelle. Selon l’arbitrage, un effort concentré sur la première contribuera à l’augmentation du niveau de vie des ménages les plus pauvres, alors que la seconde touchera davantage l’incitation financière au retour à l’emploi. Par les mesures contenues dans le présent projet de loi de finances, le Gouvernement privilégie ce dernier aspect, limitant ainsi le soutien aux revenus les plus modestes.

Le programme dispersé de la stratégie pluriannuelle de prévention et de lutte contre la pauvreté, qui sera majoritairement orienté vers l’insertion dans l’activité, promet, certes, de belles réussites, mais laisse présager d’inquiétantes lacunes… Tandis que les efforts porteront sur les « moins pauvres des plus pauvres », qu’en sera-t-il des autres ? Les mesures qui les visent directement sont d’une ambition moindre et, surtout, ne paraissent pas encore parfaitement abouties : crèches à vocation sociale et « petit-déjeuner pour tous » sont dénoncés par certaines associations comme inopérants. À ceux qui sont susceptibles d’en faire le meilleur usage, on attribue les revenus de remplacement réévalués ; aux autres, on réserve les prestations en nature : curieuse partition…

Un autre sujet de la mission doit être évoqué : la réforme de l’allocation aux adultes handicapés. La revalorisation de son montant, qui passera à 900 euros d’ici au 1er novembre 2019, est une excellente nouvelle.

Je tiens néanmoins à rappeler mon attachement au caractère spécifique de l’AAH et au danger qu’il y aurait à calquer sur cette prestation, créée pour des personnes en situation d’inadaptation durable à l’emploi, les critères généraux des autres minima sociaux, conçus, eux, pour inciter à la reprise d’une activité. Le début de rapprochement de l’AAH et du RSA, qu’illustre notamment la fusion des compléments de ressources, présente selon moi le danger de la perte d’une spécificité qu’il faut maintenir.

Enfin, la commission des affaires sociales a adopté un amendement visant à créer, sans modification de crédits, un nouveau programme budgétaire spécifique à l’évaluation et à l’hébergement d’urgence des mineurs non accompagnés, afin que soit officiellement consacrée la compétence exclusive de l’État en cette matière. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et sur le banc des commissions. – M. Daniel Chasseing applaudit également.)

Mme la présidente. La parole est à M. le président de la commission.

M. Alain Milon, président de la commission des affaires sociales. Madame la présidente, madame la ministre, madame la secrétaire d’État, messieurs les rapporteurs, mes chers collègues, malgré son intitulé, la mission « Solidarité, insertion et égalité des chances » est loin d’épuiser à elle seule les moyens que la Nation consacre à la solidarité envers nos concitoyens en difficulté et à la réduction des inégalités.

Pour mémoire, le projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2019 consacre cette année 500 milliards d’euros au financement de la protection sociale, qui est au cœur de notre système solidaire.

La mission « Travail et emploi » est l’un des autres vecteurs de la solidarité, avec des crédits majoritairement consacrés à l’insertion dans l’emploi.

Je pourrais aussi convoquer le budget de l’éducation nationale et celui de l’enseignement supérieur, dont l’objet même est d’offrir à nos futurs concitoyens les outils indispensables à l’égalité des chances que sont le savoir et les compétences.

Tant par les prélèvements que par les prestations, le système socio-fiscal français est un puissant moteur de réduction des inégalités, qui concrétise au quotidien le troisième terme de la devise de la République. Aux côtés de l’État régalien, celui de la défense, de la police et de la justice, il y a donc bien un État social, auquel est consacré près d’un tiers de notre richesse nationale. Le modèle social français divise ainsi par quatre les écarts de revenus entre les 10 % les plus riches et les 10 % les plus pauvres.

Cet effort ne s’est pas démenti pendant la crise, notre pays ayant fait le choix de l’augmentation des impôts, mais aussi des déficits pour garantir ce modèle, même s’il l’écornait quelque peu au passage dans son soutien aux familles, la baisse des prestations ayant suivi de peu la baisse du quotient familial. Les Français semblaient s’accommoder d’un haut degré de prélèvements pour garantir cette spécificité qui semblait placée au cœur de notre identité.

Comment se fait-il, alors, que ce modèle semble craquer de toutes parts depuis quelques semaines, déchiré entre des injonctions contradictoires de « plus de solidarité » et de « moins d’impôt » ? Dans ces circonstances complexes où les passions se mêlent aux contradictions, on ne peut que faire preuve d’humilité dans la recherche d’explications. J’en tenterai cependant quelques-unes.

La première, c’est que nous ne sommes pas sortis de la panne de croissance qui mine notre pays depuis trop d’années. La crise reste bien présente dans tous ses aspects : crise économique, crise des finances publiques, crise sociale, elle est devenue une crise de confiance, dans l’avenir, dans les institutions, dans la possibilité pour les jeunes à vivre demain mieux que leurs parents.

Dans les réponses apportées, les gouvernements successifs n’ont pas su éviter deux écueils majeurs.

Le premier, c’est le piège du pouvoir d’achat, porté en étendard, alors que l’État est bien loin d’en maîtriser tous les paramètres, puisqu’il relève avant tout de la situation de l’emploi.

Le second, c’est la tentation du meccano fiscal, certes irrésistible, parce qu’il entretient l’illusion de l’action, mais à la complexité si effroyable et aux résultats si limités qu’ils ne peuvent que semer le doute dans l’esprit de nos concitoyens quant à ses finalités ultimes. Quel besoin y avait-il ainsi d’emporter dans un même tourbillon la fiscalité du patrimoine, la contribution sociale généralisée, la taxe d’habitation et les cotisations sociales avec des effets et des calendriers différenciés ?

M. René-Paul Savary. Tout à fait !

M. Alain Milon, président de la commission des affaires sociales. Le résultat est en tout cas une incompréhension totale, un brouillage complet et une méfiance accrue.

Derrière le débat, d’apparence technique, qui a émergé ces dernières semaines sur l’affectation de telle ou telle taxe à telle ou telle dépense au sein du budget de l’État, se profile un autre sujet d’ampleur, celui du consentement à l’impôt.

La commission des affaires sociales s’est opposée, pour cette raison, aux modifications intervenues dans le financement de la sécurité sociale et de l’assurance-chômage. Les cotisations sociales ont un sens, celui de la contrepartie sous forme de prestation. Cette contrepartie que certains de nos concitoyens perdent de vue et ne perçoivent plus doit rester présente dans la sphère sociale. C’était le sens du rétablissement, par le Sénat, de la contribution salariale d’assurance chômage, dont nous considérons qu’elle n’est pas équivalente à une CSG devenue indifférenciée et sans doute trop élevée.

Pour en venir plus précisément aux crédits de la mission qui nous occupe ce matin et qui traduit les premières orientations du plan de lutte contre la pauvreté, nous avons besoin de clarté, clarté sur les objectifs, clarté sur les bénéficiaires, clarté sur les résultats attendus.

Clarté sur les objectifs, tout d’abord.

Ainsi que l’a indiqué M. le rapporteur pour avis de la commission des affaires sociales, nous ne sommes pas très au clair sur les objectifs de la prime d’activité. François Chérèque l’avait souligné en son temps devant notre commission, le débat entre soutien à la reprise d’activité et soutien au niveau de vie des familles n’est pas tranché et la lisibilité de cette prestation s’en ressent.

Clarté sur les bénéficiaires des prestations, ensuite.

Le retour en arrière sur la prise en compte des rentes AT-MP et des pensions d’invalidité en tant que revenus professionnels traduit, là encore, une certaine hésitation. Que voulons-nous faire de la prime d’activité ?

Clarté sur les résultats attendus, enfin.

Nous ne pourrons jamais garantir un revenu considéré comme satisfaisant par des revenus de transfert. Ils doivent néanmoins garantir une certaine dignité, en application du préambule de la Constitution de 1946, à ceux qui ne peuvent subvenir à leurs besoins par eux-mêmes. À tous les autres, la solidarité nationale doit garantir les moyens d’accéder à l’autonomie et d’exercer leur liberté en favorisant l’émancipation par la santé, par l’éducation et par le travail. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et du groupe Union Centriste, ainsi quau banc des commissions. – M. Daniel Chasseing applaudit également.)

Mme la présidente. Mes chers collègues, je vous rappelle que le temps de parole attribué à chaque groupe pour chaque unité de discussion comprend le temps d’intervention générale et celui de l’explication de vote.

Par ailleurs, le Gouvernement dispose au total de dix minutes pour intervenir.

Dans la suite de la discussion, la parole est à Mme Patricia Schillinger.

Mme Patricia Schillinger. Madame la présidente, madame la ministre, madame la secrétaire d’État, messieurs les rapporteurs, mes chers collègues, je vais essayer d’être un peu plus positive et tiens à apporter tout mon soutien au Gouvernement dans les moments bien difficiles que nous vivons.

La mission « Solidarité, insertion et égalité des chances » compte plusieurs mesures de soutien destinées à celles et ceux qui en ont le plus besoin. Elle s’inscrit totalement dans la volonté du Gouvernement de « faire plus pour ceux qui ont le moins ».

Ainsi, les crédits de la mission s’élèvent à 21,1 milliards d’euros de crédits de paiement et progressent de 7,5 % entre 2018 et 2019, soit une augmentation de près de 1,5 milliard d’euros en crédits de paiement.

Parmi les mesures de solidarité de ce projet de loi de finances, la première vise à revaloriser dès avril prochain le montant de la prime d’activité de 30 euros au niveau du SMIC, par création d’un bonus. En quelques mois, c’est la deuxième augmentation, après la récente majoration d’octobre dernier. Ce bonus, croissant jusqu’à un SMIC, sera versé à chaque membre du foyer dont les revenus sont compris entre 0,5 et 1,2 SMIC. Il augmentera significativement le pouvoir d’achat des travailleurs et renforcera l’incitation à l’activité.

De plus, une réorganisation des prestations complémentaires à l’allocation aux adultes handicapés est prévue pour rationaliser et mieux articuler le soutien aux personnes en situation de handicap.

Lors de la lecture à l’Assemblée nationale, le Gouvernement a introduit par voie d’amendement l’article 83 ter, qui met en place l’expérimentation d’une innovation dans le mode de délivrance du RSA en Guyane, à Mayotte et à Saint-Martin. Cette innovation consiste à distribuer le RSA via un titre de paiement de type « carte prépayée ». Elle a pour objectif de permettre aux bénéficiaires de régler l’achat de biens et l’ensemble des services via ce moyen de paiement. Cela prend pleinement en compte les difficultés des usagers au sein des territoires, notamment leur faible accès aux services bancaires à Mayotte.

Enfin, je souhaite particulièrement insister sur un amendement déposé par notre groupe et qui prévoit des expérimentations de mise en libre distribution de protections périodiques dans différents lieux accueillant du public, et notamment les personnes les plus vulnérables.

Sujet trop souvent éludé, la précarité liée aux règles est peu connue et peu traitée dans notre pays. Il est cependant indéniable que, faute de moyens, beaucoup de femmes dans notre pays se retrouvent dans l’impossibilité de se procurer des protections périodiques. Ainsi, lorsque l’on vit à la rue ou en centre d’hébergement, les règles représentent des moments particulièrement difficiles, humiliants, et impliquent de nombreuses complications pour de trop nombreuses femmes déjà vulnérables, parfois contraintes d’utiliser des morceaux de vêtements pour se protéger.

Cette situation critique sur le plan sanitaire et sur celui de la dignité sociale ne peut plus durer ! Il nous faut sans attendre explorer et tester les solutions qui s’offrent à nous !

Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Louis Tourenne.

M. Jean-Louis Tourenne. Madame la présidente, madame la ministre, madame la secrétaire d’État, messieurs les rapporteurs, mes chers collègues, en cette période troublée que la violence sauvage utilise et que nous devons unanimement condamner, j’aurais vraiment aimé approuver les crédits de la mission « Solidarité, insertion et égalité des chances ». Hélas, ce gouvernement fait de la mystification auprès des plus vulnérables sa méthode.

Derrière les grandes déclarations se cache tout de même un certain cynisme ; c’est intolérable ! Ainsi se nourrissent et s’accroissent un profond ressentiment dans la population et de la défiance à l’égard des élus. Christine Lagarde, que l’on ne peut soupçonner d’être une dangereuse gauchiste, accuse les élites d’être inconscientes de ce qui se passe.

Ainsi, sur l’AAH, une augmentation, louable, des crédits de 5,1 % est annoncée. En réalité, cette mesure est accompagnée de la suppression pure et simple d’un droit essentiel pour les bénéficiaires, à savoir la garantie de ressources fixée à 998 euros, soit en dessous du seuil de pauvreté. Cette garantie vole en éclats avec la fusion, injustifiable et incompréhensible, du complément de ressources et de la majoration pour vie autonome. Elle entraînera, de surcroît, une perte de pouvoir d’achat de 75 à 179 euros pour les nombreuses personnes concernées.

Les mesures contre les personnes en situation de handicap ne s’arrêtent pas là : diminution de 10 % de l’allocation aux adultes handicapées pour les couples de bénéficiaires, suppression de la prime d’activité aux travailleurs invalides - on leur doit un peu plus de reconnaissance et de respect -, augmentation des frais de tutelle après désengagement de l’État et désindexation de l’AAH.

Sur la prime d’activité, on atteint des sommets en matière de supercherie.

Le Gouvernement annonce à tous les carrefours à son de trompe la revalorisation de 20 euros de la prime d’activité. Chacun s’en réjouit et approuve. Hélas, le bleu budgétaire au bas de la page 38 précise : « Le montant forfaitaire de la prime d’activité a fait l’objet d’une revalorisation exceptionnelle de 20 euros […]. En parallèle, le coefficient de prise en compte des revenus est abaissé d’un point, passant de 62 % à 61 %. » Pourquoi ? Cela fait 12 euros de moins sur les 20 euros promis à un salarié au SMIC. Excusez du peu !

Ainsi, l’augmentation se limitera à 8 euros – désindexés, soit moins de 7 euros en réalité – pour un SMIC, et à 14 euros pour un demi-SMIC, sachant que le périmètre aussi a changé. En dessous d’un demi-SMIC, pas de prime d’activité !

Les plus touchés sont, encore et toujours, les plus fragiles, notamment les femmes travaillant à temps partiel et, encore, les personnes en situation de handicap ! Comment peut-on agir ainsi : tromper et accabler ceux de nos concitoyens qui, accablés, le sont déjà, et ce pour quelques économies minimes, surtout au regard de l’argent distribué aux très riches ?

L’égalité entre les hommes et les femmes, c’est la grande cause du quinquennat, selon le Gouvernement. Eh bien, la grande cause n’échappe pas « à la poudre de perlimpinpin ». On refond en totalité les crédits, selon une géométrie quelque peu fantaisiste. Cela permet subtilement, pense-t-on, d’opérer des coupes importantes. Ainsi assiste-t-on à une réduction de 500 000 euros pour l’accompagnement des personnes en situation de prostitution, et à une réduction de 400 000 euros du montant de l’allocation financière pour leur insertion sociale et professionnelle, soit une baisse de 20 % des crédits consacrés à cette politique indispensable de lutte contre la prostitution et d’insertion des êtres qui y étaient contraints.

Votre proposition met en péril l’accompagnement social apporté par les associations agréées, qui font pourtant un travail remarquable sur nos territoires pour lutter contre les violences sexistes et sexuelles et accompagner les personnes qui en sont victimes.

Le même sort est réservé aux actions en direction des personnes en difficulté. Le RSA n’est pas revalorisé et les crédits consacrés à l’aide alimentaire, dont les principaux bénéficiaires sont les Restaurants du cœur et la Banque alimentaire, baissent de 363 000 euros, alors que les indicateurs montrent une progression élevée du nombre de demandes – plus de 4 millions aujourd’hui. Tandis que l’Union européenne peine à reconduire ses aides, les difficultés risquent d’être considérables cet hiver.

Par ailleurs, le Gouvernement divise par cinquante le montant de l’aide à la réinsertion familiale et sociale des anciens migrants dans leur pays d’origine, laquelle passe de 10 millions d’euros en 2017 à 200 000 euros en 2019. Cette action, décidée en 2016, s’inscrivait dans une politique globale et lucide de l’immigration, s’efforçant de limiter les sorties et de favoriser les retours. Mais c’était l’ancien monde…

La lutte contre la pauvreté, annoncée comme l’une des grandes priorités – mais qu’est-ce qui, dans les déclarations du Gouvernement, n’est pas prioritaire ? –, ressemble juste à un alibi pour tenter de se construire une image plus noble que celle qui lui colle désormais à la peau de gouvernement des très riches. Un montant de 135 millions seulement pour sortir de la misère 8 millions de pauvres et 3 millions d’enfants paraît totalement déconnecté de la réalité des besoins. Il est vrai que l’ambition est de faire participer les collectivités locales… Comment croire encore à la parole du Gouvernement, qui, là encore, communique plus qu’il n’agit ?

Enfin, les ministères sociaux sont parmi les plus touchés par les suppressions de postes. Après 287 en 2018, le Gouvernement supprime, cette année, 460 emplois. Cette décision est contradictoire avec les grandes et belles déclarations. Curieuse vision d’une politique sociale ambitieuse ! On compte de moins en moins de personnels pour la mettre en œuvre.

Un tel acharnement quasi clandestin contre les politiques sociales, contre la cohésion sociale, c’est la négation de nos traditions de solidarité. Or la solidarité est le fondement d’une société civilisée, selon la définition d’Edgar Morin. Elle devrait permettre à tout individu, quelles que soient ses différences, d’accéder à son maximum d’autonomie, de s’insérer dans les meilleures conditions, tant sur le plan social que sur le plan professionnel, de réussir sa vie sans être condamné par les conditions de sa naissance.

Il est grand temps de changer d’orientation, d’engager des actions de lutte contre les inégalités plutôt qu’accroître celles-ci, de favoriser l’épanouissement de tous, d’offrir à chacun les conditions de sa réalisation, de rassembler la Nation derrière et autour d’un projet pour une société plus juste, plus douce, plus harmonieuse et plus solidaire. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain et du groupe communiste républicain citoyen et écologiste.)