M. le président. Mes chers collègues, je vous rappelle que le temps de parole attribué à chaque groupe pour chaque discussion comprend le temps d’intervention générale et le temps de l’explication de vote.

Par ailleurs, le Gouvernement dispose au total de vingt minutes pour intervenir.

Dans la suite de la discussion, la parole est à M. Jean-Louis Lagourgue.

M. Jean-Louis Lagourgue. Monsieur le président, madame la ministre, madame, messieurs les rapporteurs, mes chers collègues, c’est dans un contexte économique et social très dégradé dans nos territoires ultramarins que nous examinons les crédits consacrés à l’outre-mer.

Il faut que nous entendions la colère légitime qui s’exprime. Cette colère, d’où vient-elle ? Elle vient surtout de l’incertitude face à l’avenir. Elle vient aussi de l’attitude de l’État devant son obligation d’organiser la solidarité nationale.

En effet, au lieu de s’appuyer sur la solidarité nationale, le Gouvernement ne fait que transférer les contributions des Ultramarins vers leur propre territoire. Toutes les mesures que nous avons combattues, comme la suppression de la TVA non perçue récupérable pour les entreprises et le resserrement de l’abattement sur l’impôt sur le revenu, seront, in fine, financées par les Ultramarins eux-mêmes.

Or nos territoires ultramarins souffrent d’un chômage chronique, structurel, important, insupportable. Madame la ministre, vous étiez voilà quelques jours à l’île de la Réunion, où plus de six jeunes sur dix sont au chômage : vous avez pu constater de visu la souffrance et le désarroi de la population réunionnaise, dont près de 42 % vit sous le seuil de pauvreté.

Je vous félicite pour votre courage et pour l’écoute dont vous avez fait preuve vis-à-vis des Réunionnaises et des Réunionnais. Mais, vous l’aurez compris, il faut à présent aller vite, et beaucoup plus loin. Il faut que ces revendications soient entendues au plus haut niveau de l’État !

De fait, à l’image de cette crise sociale sans précédent qui secoue La Réunion, force est de constater que nos territoires d’outre-mer vivent actuellement dans la plus grande inquiétude. Cette situation doit s’améliorer rapidement, car les collectivités territoriales ne peuvent plus agir, en raison, notamment, de la contraction de la dotation globale de fonctionnement et de la suppression des contrats aidés.

L’emploi en outre-mer devrait être la première priorité de cette mission !

Le programme 138 est, en ce sens, crucial. Pour l’essentiel, il prend en charge les exonérations de cotisations de sécurité sociale. Il est donc fortement affecté par le projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2019, qui prévoit, sauf pour Mayotte, les modalités de suppression du crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi, dont le taux en outre-mer était majoré à 9 %, contre 6 % en métropole.

Sur le régime des aides directes aux entreprises de la nouvelle action n° 04, je m’interroge : pourquoi remplacer un dispositif qui fonctionne de façon relativement simple – la TVA non perçue récupérable – par une multitude de petits dispositifs complexes de soutien aux entreprises ?

Je m’interroge aussi sur le délai d’activation de ces nouvelles aides, qui doit être le plus court possible : quand seront-elles opérationnelles ? Je m’interroge encore sur leur pérennisation, car on sait que les dispositifs de ce type finissent par être abandonnés par l’État après quelques années… Je m’interroge enfin sur leur efficacité, car on sait qu’un système unique et lisible est toujours préférable à un émiettement des aides.

Nous souhaitons que ce budget pour 2019 ne fasse aucun perdant.

J’en viens maintenant à nos compatriotes d’outre-mer, aux ménages touchés par la ponction de 70 millions d’euros par an prévue à l’article 4 du projet de loi de finances. A-t-on évalué les effets de cette mesure sur la classe moyenne ? A-t-on pris en compte que ralentir un peu plus la consommation en outre-mer nous amènera tout droit vers de nouvelles crises sociales ?

M. Jean-Louis Lagourgue. Le pouvoir d’achat, vous le savez, est l’une des principales préoccupations en outre-mer. L’État doit s’impliquer pour réduire les inégalités avec la métropole.

Plusieurs propositions vous ont été faites, madame la ministre, parmi lesquelles la mise en place d’une continuité territoriale des biens et des marchandises, la révision de certaines taxes et le plafonnement des prix. Le débat doit être ouvert. Je pense que vous avez pleinement conscience des attentes de nos populations.

Madame la ministre, nos outre-mer doivent surmonter à la fois l’éloignement géographique, l’insularité, l’étroitesse des marchés et l’exposition aux risques naturels. Ces défis nécessitent une solidarité de la part de la Nation tout entière. Aujourd’hui, il y a moins lieu que jamais de remettre en cause cette solidarité.

Le budget que vous nous présentez ce matin n’est pas encore à la hauteur des enjeux de nos territoires ultramarins. En conséquence, nous nous abstiendrons sur les crédits de la mission. (Mme Victoire Jasmin applaudit.)

M. le président. La parole est à Mme Esther Benbassa.

Mme Esther Benbassa. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, pauvreté et précarité records, problèmes d’éducation alarmants, criminalité grandissante, manque d’infrastructures scolaires et hospitalières : de quoi parle-t-on, mes chers collègues ? De nos banlieues ? De nos milieux ruraux ? D’un énième espace où l’État est en recul dans la France métropolitaine d’Emmanuel Macron ? Non ! Tout simplement d’autres territoires oubliés de la République, qu’on occulte bien trop souvent : les outre-mer.

À l’appui du constat des grandes difficultés que ces régions et départements rencontrent, la dernière étude de la Commission nationale consultative des droits de l’homme sur l’effectivité des droits de l’homme dans les outre-mer fait état de situations d’extrême pauvreté auxquelles doit faire face une proportion élevée des populations ultramarines. L’exclusion sociale est provoquée notamment par un système éducatif limité, dont les répercussions ne peuvent être que négatives sur l’insertion socioprofessionnelle et le développement des territoires. Les infrastructures scolaires délabrées et mal réparties ne permettent pas aux jeunes d’avoir accès à une éducation de qualité.

Sur le volet sanitaire également, le constat est préoccupant. Ainsi, le taux de la mortalité infantile et maternelle est largement supérieur à celui de la métropole. Pourtant, cette situation est décrite comme évitable, car la surmortalité serait due au manque de moyens dans les établissements hospitaliers et de mesures thérapeutiques.

En outre, les spécificités climatologiques de ces territoires entraîneraient une prévalence des maladies infectieuses et parasitaires, couplées à un déficit d’accès à l’eau potable, notamment à Mayotte et en Guyane. Les enjeux de santé publique les plus élémentaires sont négligés, au détriment d’une population particulièrement exposée.

Les régions et départements d’outre-mer ayant souffert trop longtemps du manque d’investissements de l’État et du recul des services publics, nous attendions beaucoup, madame la ministre, du budget qui leur serait alloué. Nous notons les augmentations d’autorisations d’engagement prévues par ce projet de loi de finances, bien qu’elles soient moindres que ce que laissaient présager les documents budgétaires liminaires transmis à l’Assemblée nationale en octobre dernier.

Toutefois, mes chers collègues, nous vous enjoignons de considérer un peu plus en détail les dépenses prévues par le projet de loi de finances. Plusieurs écueils devraient attirer votre attention.

Dans ce budget, madame la ministre, vous faites le choix de doter massivement l’investissement privé pour l’emploi et les entreprises, au détriment du programme « Conditions de vie outre-mer », au sein duquel nous constatons une réduction des financements accordés aux services publics et une stagnation de ceux alloués aux collectivités territoriales.

Une fois de plus, vous appliquez votre doxa, qui laisse entendre que le progrès social passe avant tout par une bonne santé économique, alors même que la pauvreté et la précarité de ces territoires exigeraient que l’on investisse davantage dans les services publics.

Il faut remarquer aussi le choix discutable que vous faites en matière économique : alors que vous promettez plus de 1 milliard d’euros pour redynamiser les territoires ultramarins, vous décidez de n’accorder que 15 millions d’euros à un « fonds vert » destiné à lutter contre les changements climatiques et à investir dans les énergies renouvelables. S’agit-il d’un acte manqué ?

Au regard du climat majoritairement tropical des outre-mer et compte tenu du fait que la France est la deuxième puissance maritime mondiale, nous avions les moyens de devenir les champions des énergies propres, notamment hydraulique et solaire. Mais, une fois de plus, le Gouvernement est absent là où il aurait pu impulser une politique économique novatrice dans ces territoires.

Mes chers collègues, par les résultats du référendum du 4 novembre dernier en Nouvelle-Calédonie, des Ultramarins ont renouvelé leur confiance en l’État français et ont signifié leur volonté d’appartenir à notre nation. Nous ne saurions leur répondre en les considérant comme des citoyens de seconde zone !

Puisque ce budget manque d’ambition, qu’il porte un énième coup de rabot aux services publics ultramarins et ne prend pas suffisamment en compte les spécificités économiques, sanitaires, sociales, territoriales et climatiques de l’outre-mer, nous voterons contre les crédits de la mission ! (Applaudissements sur les travées du groupe communiste républicain citoyen et écologiste et sur des travées du groupe socialiste et républicain.)

M. le président. La parole est à Mme Catherine Conconne.

Mme Catherine Conconne. Monsieur le président, mes chers collègues, j’aimerais, madame la ministre, que vous vous sentiez exonérée du plaidoyer auquel je vais me livrer. Je vous ai vue au front, ces quatre derniers jours encore à La Réunion : vous avez essayé par tous les moyens, avec toute votre détermination et tout votre être, de rectifier ce qui pouvait l’être, et je vous rends hommage pour cela. Parce que je suis habitée par la justice, cette justice qui a tant fait défaut dans la construction de nos peuples, je me dois de vous rendre justice quand il le faut.

M. Yvon Collin. Très bien !

Mme Catherine Conconne. L’an dernier, à cette même tribune, j’avais parlé à propos du budget de l’outre-mer d’effet Doliprane, faisant allusion à un médicament célèbre censé calmer la douleur. Comme un pied de nez, vous avez choisi la couleur bleue pour désigner le document censé nous apporter des mesures, des solutions, des remèdes : le livre bleu, bleu un peu comme cette fameuse pilule censée redonner de la motivation… (Sourires.)

Hélas, je me rends compte que, cette année encore, le couple formé par l’outre-mer et la France hexagonale s’installera inexorablement dans la routine.

La routine, une année de plus : tout cela parce qu’un énième gouvernement n’a toujours pas compris que, lorsqu’on a entre 23 % et 25 % de chômeurs, tous territoires confondus, et un niveau de revenus inférieur de 10 000 euros à celui du reste du territoire français, il faut sortir de la routine !

Un gouvernement qui n’a toujours pas compris qu’avec des territoires manquant d’infrastructures élémentaires, il faut sortir de la routine !

Un gouvernement qui n’a toujours pas compris qu’avec une industrie touristique qui pourrait être notre fer de lance, mais dont l’attractivité est en berne, et qui peine à faire face à la concurrence mondiale féroce, il faut sortir de la routine !

Un gouvernement qui n’a toujours pas compris qu’avec des territoires dans lesquels l’investissement de l’État par habitant est très inférieur à ce qu’il est dans le reste du territoire, il faut sortir de la routine !

Un gouvernement qui n’a toujours pas compris que, avec des territoires où plus de la moitié de la jeunesse est durablement installée dans le chômage, il faut sortir de la routine !

Il n’a pas compris qu’avec des territoires, comme la Guadeloupe et la Martinique, où entre 3 000 et 5 000 personnes quittent le pays et, pour l’essentiel, n’y reviennent pas, il faut sortir de la routine !

Ni que sur des territoires où la confiance durable est essentielle, on ne peut continuer à rapiécer, en ajoutant en cours de débat 10 millions d’euros par-ci, dix autres par-là. L’amendement du jour, que vous vous apprêtez à présenter, madame la ministre, est une nouvelle illustration de cette méthode. Là aussi, il faut sortir de la routine !

Or on prive la classe moyenne de nos territoires, la seule en mesure pour l’instant d’amorcer la pompe de la consommation, de ce que le Gouvernement, en chasseur de recettes, a qualifié, à tort, de « niche fiscale » : l’abattement légitime de 30 % sur l’impôt sur le revenu destiné à corriger les 38 % de vie chère supplémentaire. Partant, on frappe les classes moyennes en plein vol : alors qu’elles ont déjà arrêté leur plan d’investissement en fonction de leur reste à vivre, on leur annonce qu’elles disposeront d’un reste à vivre amoindri.

Dans des territoires où le logement insalubre fait encore florès, il faut sortir de la routine !

Dans un territoire où la mortalité infantile est trois fois plus élevée que dans le reste du territoire français, oui, il faut sortir de la routine !

Comme vous, madame la ministre, j’aurai « fait le job » ce matin. Mais je l’aurai fait sans espoir, en vain, car j’entends déjà qu’on me hurle un énième : « Nous gardons le cap ! » Ce fameux « Nous gardons le cap ! » qui entraîne aujourd’hui des milliers de Français dans la rue.

Madame la ministre, nous essaierons de faire. Dans nos pays, nous avons l’habitude de la résignation, la saine résignation, et de la résilience, la saine résilience. Nous avons l’habitude aussi de résister, de résister à la fatalité de la misère. Nous avons l’habitude de se maré ren, c’est-à-dire de nous ceindre les reins, en vaillants hommes et femmes, pour faire face aux difficultés.

Nous ferons donc, nous nous bâtirons, comme dirait le poète, « avec des bouts de ficelle, avec des rognures de bois, avec de tout tous les morceaux bas ».

J’aurai moi aussi fait le job, sans espoir, en vain, mais, parce que je refuse la résignation, parce que la situation est trop grave, durablement trop grave, pour que je puisse me contenter d’un « C’est bon comme ça », parce que nos pays ont résolument besoin d’un big-bang, sachez, madame la ministre, que notre groupe votera contre le budget de la mission !

Je finirai par un exemple : nous avons été destinataires du document de programmation par territoire, le DPT, que nous considérons comme un exercice difficile. On nous annonce, pour le pays que je connais le mieux, mais aussi pour les autres, des hausses de budget. Je veux bien y croire, et ce serait tant mieux.

Seulement, nous découvrons que ces hausses – 1,5 % pour le pays que je connais le mieux, la Martinique – correspondent en fait à l’augmentation des budgets de la défense – 8 millions d’euros supplémentaires –, des forces de sécurité – 4 millions d’euros supplémentaires – et de l’administration générale et territoriale de l’État – 4 millions d’euros supplémentaires – et le budget de l’enseignement scolaire, soit tout ce qui fait le devoir de l’État, le devoir régalien de l’État ? J’ai envie de vous demander, pour parodier une célèbre publicité : What else ?

Pour toutes ces raisons, madame la ministre, je vous annonce, la mort dans l’âme, que je voterai contre le budget de la mission « Outre-mer » ! (Vifs applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain et du groupe communiste républicain citoyen et écologiste. – Mme Nathalie Goulet applaudit également.)

M. le président. La parole est à M. Guillaume Arnell.

M. Guillaume Arnell. Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le président de la commission des finances, madame, messieurs les rapporteurs, mes chers collègues, de prime abord, le budget de la mission « Outre-mer » pour 2019 semble en légère hausse par rapport à celui de cette année : de 22,5 % pour les autorisations d’engagement et de 20,5 % pour les crédits de paiement.

Si l’on s’arrêtait à ces chiffres, on pourrait se réjouir. Mais, comme l’ont souligné les rapporteurs, en soustrayant les mesures de périmètre, il apparaît que les crédits de la mission sont en réalité stables, tant en autorisations d’engagement qu’en crédits de paiement.

Cela est insuffisant, madame la ministre, pour répondre aux situations difficiles que connaissent nos territoires ultramarins, depuis très longtemps. Une augmentation des crédits aurait été nécessaire pour montrer à nos populations que le Gouvernement avait pris la mesure de leurs difficultés tant structurelles que conjoncturelles.

Malheureusement, budget après budget, ministre après ministre, nous sommes obligés de nous battre avec acharnement pour, simplement, conserver l’existant, déjà insuffisant…

L’augmentation du nombre de contribuables à l’impôt sur le revenu par la modification de l’abattement de 30 % et l’augmentation de la taxation sur le rhum, largement infondée, sont symptomatiques des incohérences et des incompréhensions dont fait preuve le Gouvernement en prenant des décisions unilatérales, le plus souvent sans étude d’impact.

S’agissant du rhum, madame la ministre, lorsque vous évoquez une mesure de santé publique, comprenez notre désarroi dans un contexte où, parallèlement, nous ne savons toujours pas si les taux de sucre dans les denrées alimentaires dans les outre-mer sont bel et bien contrôlés, plus de deux ans après le vote de la loi et la publication, bien tardive, du décret d’application. Comment peut-il y avoir, d’un côté, un empressement à taxer et, de l’autre, un manque de suivi dans l’application d’une loi pourtant fondamentale pour la santé publique ?

En ce qui concerne mon île, Saint-Martin, c’est avec force qu’il m’a fallu, avec l’aide de mes collègues, que je remercie, batailler, contre l’avis du Gouvernement, pour obtenir le maintien du dispositif prévu par la loi pour le développement économique des outre-mer, la LODEOM, en faveur des entreprises sinistrées après le passage d’Irma et qui peinent à repartir.

Il en a été de même pour arracher in extremis des mesures en faveur du logement social et de la rénovation hôtelière.

Madame la ministre, j’espère que vous aurez entendu mon message et celui que le Sénat a voulu vous adresser en adoptant ces deux amendements. Donnez à Saint-Martin les moyens de se relever et, plus largement, aux territoires ultramarins les moyens de faire face aux nombreux défis auxquels ils sont durablement confrontés !

Malgré nos ministres des outre-mer successifs, de Mme Penchard à vous-même, madame Girardin, en passant par M. Lurel, Mmes Pau-Langevin et Ericka Bareigts, le combat reste le même, malheureusement.

Comprenez que notre objectif à tous, c’est de défendre nos territoires, nos populations, non contre vous, mais avec vous ! À vos côtés, mais avec détermination, pour que s’expriment avec force et de façon audible les voix de nos territoires. Puissions-nous être un jour entendus. Alors les outre-mer ne seront plus considérés comme une charge, mais bien au contraire comme une chance pour la France, un atout supplémentaire pour sa cohésion nationale et son rayonnement international ! (Applaudissements sur les travées du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen. – Mme Victoire Jasmin et M. Pierre Laurent applaudissent également.)

M. le président. La parole est à M. Gérard Poadja.

M. Gérard Poadja. Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le président de la commission des finances, madame, messieurs les rapporteurs, mes chers collègues, nous examinons ce matin les crédits de la mission « Outre-mer ». Ce rendez-vous incontournable est l’occasion de nous prononcer sur les orientations politiques et budgétaires pour nos territoires ultramarins.

Je tiens avant tout à saluer le travail des rapporteurs, plus particulièrement de mes collègues centristes Mme Dindar, rapporteur pour avis, et M. Laurey, rapporteur spécial.

Il est difficile de prendre position sur une mission aussi vaste, avec des domaines divers et des territoires qui ont chacun leurs spécificités. De plus, cette mission ne représente qu’un dixième de l’effort total pour les outre-mer : celui-ci s’élève à 24 milliards d’euros, répartis entre quatre-vingt-huit programmes.

Cela devrait nous amener à une réflexion sur l’organisation du budget des outre-mer. En effet, cette mission est la seule à vocation géographique. Or nous devrions davantage intégrer les outre-mer dans toutes les composantes du budget. Nous pourrions aussi améliorer la lisibilité de ce budget, pour en avoir une vision plus globale et mieux adaptée à la diversité des territoires.

Sur le fond, les défis pour les outre-mer sont nombreux.

La situation actuelle à La Réunion est très préoccupante. Les taux de pauvreté et de chômage, bien plus élevés que dans l’Hexagone, ajoutés à la cherté de la vie, y ont amplifié et fait prendre une tournure violente au mouvement des « gilets jaunes ». Cette situation met en lumière les difficultés économiques, sanitaires, sociales et sécuritaires auxquelles nombre de territoires ultramarins sont confrontés.

Dans ce contexte difficile, ce budget doit avant tout permettre la mise en œuvre du Livre bleu, fruit des assises de l’outre-mer et remis au Président de la République en juin dernier. Nous en attendons cette année les premières concrétisations. Nous saluons cette initiative, mais nous serons attentifs à leur traduction concrète sur le terrain.

À première vue, la mission connaît une hausse exceptionnelle de ses moyens : 22 % d’autorisations d’engagement et 21 % de crédits de paiement en plus. Toutefois, comme il a été signalé à l’Assemblée nationale et au Sénat, cette hausse n’est qu’apparente : elle s’explique en réalité par des mesures de périmètre qui font évoluer les contours de la mission, ainsi que par trois sources de financement qui existaient déjà, mais dont la nature change.

La première de ces sources est la transformation du CICE en exonérations de charges à l’échelle nationale. Les deux autres, ce sont les 170 millions d’euros d’aides fiscales transformées en soutien budgétaire : 100 millions d’euros issus de la suppression de la taxe sur la valeur ajoutée non perçue récupérable, 70 millions d’euros de la diminution de l’abattement sur l’impôt sur le revenu applicable dans certains départements et régions d’outre-mer.

En définitive, les crédits de la mission « Outre-mer » sont donc stables.

La disparition d’aides fiscales a logiquement suscité des inquiétudes chez bon nombre de nos collègues ultramarins. Je crois qu’elle aurait mérité davantage de pédagogie de la part du Gouvernement.

Je salue néanmoins, madame la ministre, votre volonté de faire autrement, en changeant le mode d’accompagnement des territoires d’outre-mer.

En matière de logement, ainsi que l’a indiqué notre collègue Nuihau Laurey, rapporteur spécial, les moyens budgétaires visant à le favoriser sont stables, mais inférieurs aux besoins. Dans les collectivités du Pacifique, par exemple, les coûts de construction des logements sont très élevés, du fait de l’insularité et de l’éloignement. L’État doit pouvoir apporter un soutien plus actif à ses territoires les plus éloignés.

À l’Assemblée nationale, la défiscalisation applicable au secteur du logement social a été étendue aux travaux de rénovation d’immeubles de plus de vingt ans dans certaines zones prioritaires des collectivités d’outre-mer et de Nouvelle-Calédonie. C’est une avancée, mais c’est encore insuffisant. Étant donné les coûts de construction élevés, il faudrait relever le plafond du montant des travaux pris en compte pour le calcul de la réduction d’impôt par logement.

Je crois aussi que nous devrons résoudre le problème des effets de la baisse du taux de l’impôt sur les sociétés sur les schémas de défiscalisation en Nouvelle-Calédonie. Je reviendrai sur cette question dans la suite de la discussion du projet de loi de finances.

Plus généralement, le changement aurait pu être mieux accompagné, mais le volontarisme de ce budget doit être salué. En dépit de certaines réserves, le groupe de l’Union Centriste votera donc les crédits de la mission « Outre-mer ».

Madame la ministre, mes chers collègues, nous examinons ce budget au lendemain d’une journée historique pour la Nouvelle-Calédonie : le 4 novembre dernier, les Calédoniens ont choisi souverainement leur destin. Je tiens à saluer l’implication de l’État, qui a fait en sorte que la consultation se déroule dans les meilleures conditions. Nous avons franchi une étape de l’histoire de la Nouvelle-Calédonie. Il faut désormais nous intéresser à son développement économique, afin de consolider la paix et de construire ensemble un avenir commun !

M. le président. La parole est à M. Michel Magras.

M. Michel Magras. Monsieur le président, mes chers collègues, la trajectoire de politique économique pour les outre-mer que vous nous présentez, madame la ministre, au cours de cette séquence budgétaire, ainsi que les mécanismes qui y président, ont suscité des inquiétudes d’une rare intensité.

Ainsi, au cours des nombreuses auditions que j’ai conduites, toutes les remontées de terrain ont convergé pour exprimer de très sérieux doutes sur les choix stratégiques opérés.

Au centre de cette politique, c’est la question du développement des outre-mer qui se pose. Ce développement implique une vision de long terme.

Or plusieurs points constituent des signaux d’alerte.

Le premier concerne la réforme des allégements de charges patronales, un paramètre essentiel pour la compétitivité des économies ultramarines. Si, face à la concurrence régionale et au niveau très bas du coût du travail, cette mesure se justifie, elle ne peut plus se comprendre si l’on se place sur le long terme. De plus, associée à la remise en cause de la baisse des charges sur les salaires d’encadrement et d’expertise, elle enferme les marchés ultramarins, les condamnant à s’inscrire sur des segments de basse et de moyenne gamme.

Surtout, cette orientation n’est pas cohérente avec une politique de développement de la formation et d’exhortation des jeunes à participer à la mobilisation économique.

Les crédits de l’aide à la formation et à la qualification professionnelles sont, à cet égard, en légère hausse, ce dont il faut se féliciter. Mais, faute de salaires attractifs, trop de jeunes diplômés choisiront de poursuivre leur carrière à l’étranger. Il faut plus globalement prendre garde au nivellement salarial provoqué par une telle politique.

Il me semble que le niveau du coût du travail touche à des sujets de fond.

J’ouvre d’ailleurs une parenthèse pour rappeler que, s’agissant de la formation de base, les outre-mer sont pionniers avec un service militaire adapté, le SMA, qui démontre année après année son efficacité. J’ai relevé une approbation unanime au sujet de la solidité de la formation des jeunes passés par ce service militaire. Il existe là un potentiel de formation qui doit être développé, car le SMA ne profite qu’à 6 000 jeunes par an.

Fort pertinemment, les travaux du Sénat ont permis de borner la discussion sur l’établissement des seuils d’exonération, qui a été poursuivie durant la navette et à laquelle, madame la ministre, vous vous étiez engagée, l’honnêteté commande de le souligner. Les échanges ont abouti à un relèvement des seuils qui, sans répondre intégralement aux demandes formulées par les socioprofessionnels, constitue une amélioration par rapport au dispositif initial.

Je crois pouvoir dire que toutes les collectivités ont exprimé un besoin d’adaptation aux réalités locales, dans un souci d’efficience des dispositifs.

Tel a été le cas à Saint-Barthélemy qui a souhaité faire prévaloir la stabilité, surtout dans un contexte économique qui reste, malgré une reconstruction avancée, marqué par l’après-Irma.

L’île de Saint-Barthélemy n’est pas bénéficiaire du CICE : elle n’était donc pas directement concernée par les enjeux de sa transformation en baisse de charges, et je vous sais gré, madame la ministre, d’avoir entendu cette demande.

Un autre signe est envoyé au travers de la méthode employée, qui est inédite – il faut bien le dire – dans ses principes et dans ses proportions : celle-ci a renvoyé l’idée que les outre-mer, par « recyclage » des sommes disponibles localement, financeraient leur propre développement.

Pour 2019, en effet, le budget opère une ponction de sommes disponibles entre les mains des agents économiques pour les centraliser : cela s’appelle une hausse de la fiscalité, qui va modifier les comportements économiques dans un sens restrictif.

Certes, nous comprenons bien les contraintes budgétaires qui obligent à faire des arbitrages douloureux, madame la ministre, mais je ne peux m’empêcher de m’étonner, sinon de l’inexistence, du moins de la faiblesse de la prise en compte des effets collatéraux de mesures qui peuvent paraître pertinentes budgétairement.

Dans ces économies qui peinent, les augmentations fiscales résultant, d’une part, de la réduction de la réfaction de l’impôt sur le revenu des classes moyennes et, d’autre part, de la suppression de la TVA non perçue récupérable, la TVA-NPR, ne pourront avoir qu’un effet déstabilisateur.

Avec la réduction de l’abattement de l’impôt sur le revenu, il reste que ce sont 70 millions d’euros dont seront privés des secteurs d’activité tels que les loisirs, les services à la personne, et j’en passe. Dans cette hypothèse, un cercle vicieux, qui pourrait se traduire à terme par une augmentation des dépenses sociales, s’enclenchera.

En outre, bien que n’ayant pas une inclination particulière pour le développement subventionné, il n’en demeure pas moins que la TVA-NPR constitue un élément de la trésorerie des entreprises. Il y a donc fort à parier que celles-ci seront tentées de compenser sa suppression par des augmentations de prix, créant un autre cercle vicieux inflationniste.

Il est vrai que les territoires ultramarins se caractérisent par leurs besoins en infrastructures. La progression du fonds exceptionnel d’investissement, dont les crédits s’établissent à 110 millions d’euros, est conforme aux préconisations du Livre bleu outre-mer.

Ainsi, à la dépense fiscale faisant appel au libre arbitre des agents économiques, vous préférez la recentralisation des crédits et l’étatisation de la dépense. Le choix a donc été fait de prendre un risque récessif pour améliorer les infrastructures.

Là encore, la compensation soulève de nombreuses inquiétudes essentiellement, très prosaïquement d’ailleurs, en raison du traitement administratif des demandes de financement qui seront présentées. Qui va les traiter, à quel rythme et selon quel processus ?

Dans tous les cas, entreprises et collectivités auront à remplir des dossiers qui devront ensuite être instruits, cette dernière étape comportant des incertitudes et entraînant des délais d’attente. Madame la ministre, le Gouvernement est-il en mesure de s’engager à garantir la célérité des démarches ?

L’annualité budgétaire se traduit trop souvent par des crédits non consommés et l’étape administrative ne doit en aucun cas se transformer en une variable de limitation de la consommation.

La stabilité du cadre fiscal et économique est l’autre enjeu pour les outre-mer.

Chaque gouvernement, quelle que soit sa couleur politique, se fait fort de présenter sa réforme avant même que les mesures adoptées par ses prédécesseurs n’aient atteint leur rythme de croisière. C’est un stop and go incessant qui pousse les investisseurs à l’attentisme.

Il en va ainsi du CICE, transformé en réduction de cotisations, alors que les entreprises venaient à peine de s’y adapter. Au surplus, cette transformation ne sera pas dénuée de conséquences fiscales.

À la différence du CICE, c’est-à-dire un crédit d’impôt assis sur la masse salariale, les baisses de cotisations entraînent une hausse du résultat net et du bénéfice imposable de l’entreprise. Fiscalement, il n’est donc pas certain que les réductions de charges ne soient pas atténuées dans certains cas par des augmentations d’impôts.

Par ailleurs, en ce qui concerne les zones franches d’activité nouvelle génération, il conviendra de même d’être attentif aux effets d’éviction qui pourraient être occasionnés par la simplification du dispositif et la suppression des zones géographiques, ainsi qu’aux « trous dans la raquette », comme a pu le redouter un entrepreneur auditionné.

Au total, en dépit de toutes les réserves exprimées, je vous fais crédit, madame la ministre, d’avoir pris en compte l’apport du Sénat pour rééquilibrer une approche trop comptable des outre-mer. C’est dans cet esprit constructif que je ne m’opposerai pas à l’adoption des crédits de cette mission, espérant qu’elle permettra une coconstruction accrue dans l’unique intérêt des outre-mer.

Si, sur un plan purement comptable, notre groupe choisit de ne pas s’opposer à votre budget, reconnaissons ici que, derrière les chiffres, il existe des choix politiques forts et surprenants, pour ne pas dire inquiétants, faits par votre gouvernement. Je peux donc comprendre et partager les inquiétudes qui se sont généralisées en outre-mer.

Tout en affirmant votre volonté d’appliquer une politique de différenciation territoriale, madame la ministre, je constate avec une certaine amertume que vous choisissez une direction et un cap diamétralement opposés. C’est dans les territoires que se prennent les bonnes décisions, c’est dans les territoires que se prennent les décisions les mieux adaptées et les plus efficaces. Alors, pourquoi ne pas laisser et redonner aux territoires les moyens et la liberté d’agir ?