compte rendu intégral

Présidence de Mme Catherine Troendlé

vice-présidente

Secrétaires :

Mme Agnès Canayer,

M. Yves Daudigny.

Mme la présidente. La séance est ouverte.

(La séance est ouverte à seize heures.)

1

Procès-verbal

Mme la présidente. Le compte rendu intégral de la séance du vendredi 16 novembre 2018 a été publié sur le site internet du Sénat.

Il n’y a pas d’observation ?…

Le procès-verbal est adopté.

2

Reprise du mandat sénatorial d’un ancien membre du Gouvernement

Mme la présidente. En application de l’article L.O. 319 du code électoral, le mandat sénatorial de M. Jacques Mézard, dont les fonctions gouvernementales ont pris fin le mardi 16 octobre 2018, a repris le samedi 17 novembre 2018, à zéro heure. (Exclamations sur les travées du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen et du groupe socialiste et républicain.)

M. Richard Yung. Très bien !

Mme la présidente. En conséquence, le mandat sénatorial de Mme Josiane Costes a cessé le vendredi 16 novembre, à minuit.

3

Remplacement d’un sénateur nommé au Gouvernement

Mme la présidente. Conformément à l’article 1er de l’ordonnance n° 58-1099 du 17 novembre 1958 portant loi organique pour l’application de l’article 23 de la Constitution, acte est pris de la cessation, le vendredi 16 novembre, à minuit, du mandat sénatorial de M. Didier Guillaume, nommé ministre par décret du 16 octobre 2018 relatif à la composition du Gouvernement.

En application de l’article L.O. 320 du code électoral, M. Bernard Buis l’a remplacé en qualité de sénateur de la Drôme. Le mandat de notre collègue a débuté le samedi 17 novembre 2018, à zéro heure.

4

Rappel au règlement

Mme la présidente. La parole est à Mme Nathalie Goulet, pour un rappel au règlement.

Mme Nathalie Goulet. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, mon intervention se fonde sur l’article 25 de notre règlement. Elle a trait à l’affaire Nissan et aux mesures prises à l’encontre de Carlos Ghosn. Ces sanctions immédiates pour suspicion de fraude fiscale nous montrent à quel point ce sujet est grave et combien les autorités japonaises le prennent au sérieux.

Il est indispensable pour nous d’évaluer les conséquences, qui risquent d’être importantes, de cette affaire pour le groupe Nissan et les entreprises françaises qui lui sont liées. Il faudra sans doute que nous en débattions, soit au sein de la commission des finances, dans le cadre du groupe de travail sur la fraude fiscale, soit en séance publique.

Mme la présidente. Acte est donné de ce rappel au règlement, ma chère collègue.

5

Mises au point au sujet de votes

Mme la présidente. La parole est à M. Jean-François Rapin.

M. Jean-François Rapin. Madame la présidente, au cours de l’examen des articles du projet de loi de financement de la sécurité sociale, lors du scrutin public n° 19, M. Cédric Perrin a été considéré comme votant pour, alors qu’il souhaitait s’abstenir.

Mme la présidente. La parole est à Mme Brigitte Lherbier.

Mme Brigitte Lherbier. Madame la présidente, lors du même scrutin, sur l’amendement visant à porter à soixante-trois ans l’âge minimum légal de départ à la retraite, j’ai été considérée comme ayant voté pour, alors que je souhaitais m’abstenir.

Mme la présidente. Acte est donné de ces mises au point, mes chers collègues. Elles seront publiées au Journal officiel et figureront dans l’analyse politique du scrutin.

6

Souhaits de bienvenue à une délégation parlementaire

Mme la présidente. Mes chers collègues, je suis très heureuse de saluer en votre nom la présence, dans notre tribune d’honneur, d’une délégation de l’Assemblée nationale de la République de Bulgarie, conduite par M. Tsvetan Tsvetanov, député et président de la commission parlementaire de la sécurité intérieure. (Mmes et MM. les sénateurs se lèvent, ainsi que M. le ministre de laction et des comptes publics.)

La délégation est accompagnée par Mme Marta de Cidrac et M. Jean-Yves Leconte, tous deux vice-présidents du groupe d’amitié France-Bulgarie, lequel est présidé par notre collègue M. Loïc Hervé, retenu par un voyage d’études à l’étranger.

Cette visite s’inscrit dans le cadre du programme de coopération du ministère de l’intérieur avec la Bulgarie.

Arrivée ce matin à Paris, la délégation s’est entretenue avec les membres du groupe d’amitié. Elle sera accueillie demain à l’Assemblée nationale, où elle rencontrera plusieurs de nos collègues députés, afin d’échanger sur le thème des politiques de sécurité.

Les relations entre la France et la Bulgarie sont anciennes, et les relations interparlementaires contribuent pour une large part à la qualité de notre relation bilatérale.

Mes chers collègues, en votre nom à tous, permettez-moi de souhaiter à nos homologues du parlement bulgare la plus cordiale bienvenue au Sénat français, ainsi qu’un agréable et fructueux séjour à Paris. (Mmes et MM. les sénateurs, ainsi que M. le ministre de laction et des comptes publics, applaudissent longuement.)

7

Candidatures à une éventuelle commission mixte paritaire

Mme la présidente. J’informe le Sénat que des candidatures ont été publiées pour siéger au sein d’une éventuelle commission mixte paritaire chargée de proposer un texte sur les dispositions restant en discussion sur le projet de loi de finances rectificative pour 2018.

Ces candidatures seront ratifiées si la présidence n’a pas reçu d’opposition dans le délai d’une heure prévu par notre règlement.

8

 
Dossier législatif : projet de loi de finances rectificative pour 2018
Discussion générale (suite)

Projet de loi de finances rectificative pour 2018

Discussion d’un projet de loi

Mme la présidente. L’ordre du jour appelle la discussion du projet de loi de finances rectificative pour 2018 (projet n° 121, rapport n° 129).

Dans la discussion générale, la parole est à M. le ministre. (Applaudissements sur les travées du groupe La République En Marche.)

Discussion générale (début)
Dossier législatif : projet de loi de finances rectificative pour 2018
Discussion générale (interruption de la discussion)

M. Richard Yung. Très bien !

M. Gérald Darmanin, ministre de laction et des comptes publics. Madame la présidente, monsieur le président de la commission des finances, monsieur le rapporteur général, mesdames, messieurs les sénateurs, j’ai le plaisir de vous présenter le projet de loi de finances rectificative pour l’année 2018, qui s’inscrit dans la démarche de sincérisation de nos comptes publics, engagée par le Gouvernement et par moi-même depuis le début de la mandature.

Sincérisation, d’abord, car si le collectif budgétaire n’est plus un exercice de rattrapage de la loi de finances, c’est avant tout parce que la loi de finances initiale pour 2018, dont vous avez eu à discuter, a construit le budget sur des bases assainies.

Sincérisation, ensuite, parce que toutes les hypothèses de finances publiques, telle que le Gouvernement les a présentées dans le projet de loi pour 2019 et dans la loi de finances 2018, sont confirmées, crédibilisant ainsi le redressement budgétaire que nous avons opéré.

Le constat est clair : au cours des exercices passés, le collectif budgétaire de fin d’année était devenu une sorte de « voiture-balai » – votre commission des finances, monsieur le rapporteur général, l’a longtemps dénoncé –, emportant avec elle toutes les dispositions n’ayant pas pu être inscrites dans le projet de loi de finances dont l’examen est cependant concomitant.

Cette pratique a nui à la clarté et à la lisibilité de nos débats budgétaires. Surtout, elle revenait à ne pas respecter l’autorisation que le Parlement doit accorder au budget de la Nation.

Vous le souligniez vous-même en 2016 dans votre rapport, monsieur le rapporteur général : « Les PLFR comportent une addition de mesures hétéroclites, que je ne pourrai résumer, car elles ne présentent pas de cohérence d’ensemble et sont des lieux de rattrapage de ce que le Gouvernement n’a pas su faire auparavant et dans les temps. »

En effet, quelles que soient les majorités, la plupart des dispositions figurant dans les derniers collectifs budgétaires, dont la majeure partie était de nature fiscale, n’avaient aucune incidence sur l’équilibre de l’année en cours. C’est pourtant bien le but du projet de loi de finances de fin de gestion !

Le plus souvent, ces dispositions auraient normalement dû être intégrées au projet de loi de finances initial : c’est ce que nous avons fait cette année. Nous nous sommes attachés, Bruno Le Maire et moi-même, à faire figurer l’intégralité des dispositions fiscales dans le PLF présenté en conseil des ministres et devant les commissions des finances du Parlement le jour même.

De la même manière, le collectif budgétaire avait vocation à pallier les insuffisances de crédits budgétaires d’une année sur l’autre, notamment dans l’urgence, se contentant de ratifier un décret d’avance qui, cependant, ne nécessitait pas d’autorisation des commissions des finances.

Comme je m’y étais moi-même engagé, monsieur le président de la commission des finances, monsieur le rapporteur général, je suis heureux de vous dire que le Gouvernement auquel j’appartiens et le ministre du budget que je suis n’ont présenté aucun décret d’avance pour cette année. Nous terminerons ainsi l’exercice en cours sans modifier profondément la politique budgétaire,…

M. Philippe Dallier. Très bien !

M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général de la commission des finances. C’est juste !

M. Gérald Darmanin, ministre. … exception faite des autorisations de crédits que je vous demande aujourd’hui d’ouvrir ou de fermer, ce qui est assez logique au regard des 340 milliards d’euros de crédits grâce auxquels vit l’État.

Je crois que c’est raisonnable et respectueux des deux assemblées, notamment de votre commission des finances, qui s’était légitimement émue de la pratique des décrets d’avance, très nombreux et d’un montant très important, qui ne passaient pas en séance publique.

Au cours des derniers exercices, vous l’avez vous-même constaté, le niveau des ouvertures de crédits s’est substantiellement accru, passant de 700 millions d’euros pour le gouvernement de François Fillon, en 2009, à plus de 3,4 milliards en 2016. Vous en avez fait vous-même le constat le 15 décembre 2016, monsieur le rapporteur général : « Le Gouvernement recourt de plus en plus à cette procédure, alors qu’elle devrait être exceptionnelle dans l’esprit de la LOLF ». Vous constaterez au passage que je ne cite que les bons orateurs ! (Sourires.)

De fait, de par son ampleur et sa fréquence, le recours aux décrets d’avance a surtout conduit à amoindrir la portée de l’autorisation parlementaire. Chaque année, vous reprochiez légitimement au Gouvernement de ne pas respecter les droits du Parlement. Vous aviez raison : il n’est pas normal que des centaines de millions d’euros d’ouvertures et d’annulations de crédits fassent l’objet d’un simple avis des commissions des finances, qui n’est pas susceptible d’apporter des modifications et qui ne lie pas le Gouvernement.

Nous nous sommes engagés à ce que, dorénavant, les ouvertures de crédits supplémentaires fassent toutes l’objet d’un vote du Parlement, ainsi que de possibles amendements, discutés en séance, sans mesures fiscales, dans le cadre d’une loi de finances spécifique. C’est le cas cette année.

Ces trois engagements, le Gouvernement les a respectés, puisque ce collectif budgétaire est le point d’aboutissement de notre démarche de sincérisation, entreprise dès l’an dernier, au lendemain du rapport de la Cour des comptes qui pointait des insincérisations graves et répétées lors de la gestion précédente.

Premièrement, comme vous l’avez constaté, le texte que je vous présente aujourd’hui est uniquement composé d’articles techniques – certes, il y a souvent de la politique derrière la technique –, qui confirment la sincérité des prévisions présentées lors du projet de loi de finances pour 2019. Son contenu a donc été restreint aux seules mesures ayant trait à l’exercice en cours, afin qu’il retrouve sa cohérence et sa vocation première. C’est la première fois depuis l’entrée en vigueur de la LOLF.

De la même manière, nous ne soumettons aucun décret d’avance à l’avis de votre commission des finances, conformément à l’engagement que j’avais pris devant vous. Si ce PLFR est voté, l’intégralité des ouvertures et des annulations de crédits sur le budget général aura donc été décidée par le Parlement, que ce soit dans le cadre du projet de loi de finances ou du projet de loi de finances rectificative. C’est une première, je le répète, depuis 2001 !

Mesdames, messieurs les sénateurs, vous l’aurez compris, si le Gouvernement est capable de présenter devant vous un PLFR de fin d’année qui confirme nos engagements et nos prévisions, sans aucune mesure fiscale supplémentaire, c’est d’abord la conséquence d’une budgétisation sincère lors du vote de la loi de finances initiale. Le Sénat y a largement contribué : nous avons ainsi pris en considération les travaux parlementaires et les discussions que nous avons eus ensemble sur l’évaluation des politiques publiques, tant à l’Assemblée nationale qu’ici.

Ainsi, ce projet de loi de finances rectificative « allégé », puisqu’il ne comporte que 9 articles, est divisé selon les problématiques suivantes : deux articles concernent les ajustements de recettes, qui arrêtent le montant de ressources affectées aux comptes d’affectation spéciale « Transition énergétique » et « Contrôle de la circulation et du stationnement routiers » ; un article technique de ratification de décrets relatifs à la rémunération de services rendus ; des articles prévoyant, conformément à l’article 11 de la loi de programmation des finances publiques, adoptée l’an dernier sur l’initiative de votre commission, de modifier les plafonds d’emplois des ministères et des budgets annexes, afin de ramener, dès 2018, l’écart entre les plafonds votés par le Parlement et la consommation effective des emplois à un niveau proche de 1 %.

Tous les élus locaux le savent, le compte administratif diffère souvent du budget, ce que les chambres régionales des comptes leur reprochent. Aujourd’hui, l’État doit faire l’effort de mettre en corrélation, comme vous le demandez, monsieur le rapporteur général, ses effectifs budgétisés et ses effectifs réels.

Le texte présenté devant vous suffit à démontrer la prudence des prévisions du Gouvernement, ce que l’on a pu lui reprocher, ainsi que la sincérité des hypothèses retenues.

Sincérité s’agissant du cadrage macroéconomique, tout d’abord, puisque la prévision de croissance de 1,7 % pour l’année 2018 reste inchangée par rapport aux hypothèses révisées dans le PLF pour 2019. C’est conforme à la loi de programmation des finances publiques.

Sincérité, ensuite, puisque le Gouvernement a respecté ses engagements en matière de dépenses, maintenant le déficit public à 2,6 % du PIB, soit le niveau retenu dans le projet de loi de finances pour 2019, que vous aviez voté, modifié. Le ratio de dépense publique reste lui aussi inchangé, à 54,6 % du PIB, tout comme le solde structurel, qui s’établit toujours à moins 2,2 % du PIB en 2018. Enfin, l’objectif national d’évolution des dépenses d’assurance maladie, devrait, selon l’avis du comité d’alerte du 15 octobre dernier, être respecté également.

Sincérité, enfin, parce que l’évolution des recettes a un effet neutre, si bien que le taux de prélèvements obligatoires s’établit, comme prévu dans le PLF, à 45 % en 2018.

La sincérité de notre politique budgétaire, c’est aussi la confirmation du redressement de nos finances publiques. Dans les faits, le solde présenté, révisé à moins 81,3 milliards d’euros dans le PLF 2019, s’établit ainsi à moins 80 milliards d’euros, sous l’effet de plusieurs facteurs dont vous me permettrez d’exposer rapidement le détail.

Premièrement, le solde du compte retraçant les participations financières de l’État s’améliore, à hauteur de 1,2 milliard d’euros, grâce à la cession par l’État de 2,35 % du capital de l’entreprise Safran.

Deuxièmement, comme nous l’avions annoncé dans le projet de loi de finances pour 2019, notre schéma de fin de gestion nous permettra de dépenser 600 millions d’euros de moins que l’objectif fixé en loi de finances initiale, tout en ouvrant les crédits indispensables au règlement des dépenses obligatoires.

Je pense naturellement aux opérations extérieures et intérieures du ministère des armées – 400 millions d’euros –, aux dépassements prévus pour les dépenses de personnel de certains ministères – un T2 qui, notamment à l’éducation nationale, mais également à l’intérieur, représente 300 millions d’euros –, pour la prime d’activité – 200 millions d’euros –, pour l’allocation des demandeurs d’asile – 100 millions d’euros –, pour les aides personnelles au logement – 100 millions d’euros –, ainsi que pour les exonérations sur le périmètre de l’outre-mer, pour environ 100 millions d’euros.

Ces ouvertures, que chacun pourra qualifier d’urgentes, seront intégralement gagées par des annulations à due concurrence, dans le respect strict du principe de responsabilité des gestionnaires, que nous avons affirmé dans le cadre de la loi de finances initiale pour 2018, et que vous avez soutenu.

Ces annulations concernent pour l’essentiel des crédits préalablement mis en réserve, ou bien sont rendues possibles par la réalisation d’économies au-delà de ce qui était initialement prévu. De ce point de vue, les ministères sont responsabilisés. Je vous rappelle que nous sommes passés de 8 % à 3 % de gel, ce qui constitue la plus importante baisse depuis la loi de finances pour 2001.

Par ailleurs, j’ai eu l’occasion de dire, lorsque j’ai présenté le PLFR au conseil des ministres, que j’avais dégelé l’intégralité des crédits de tous les ministères. Songez que, l’an dernier, pris sans doute par les difficultés héritées de la gestion précédente, il m’avait fallu attendre le 27 décembre pour dégeler l’intégralité des crédits, ce qui, convenez-le, n’était respectueux ni de votre autorisation d’engagement ni de la responsabilité des gestionnaires.

Voilà, mesdames, messieurs les sénateurs, les lignes directrices de ce collectif budgétaire de fin d’année, qui est conforme aux engagements que nous avons pris devant vous depuis le début de la mandature. Si votre assemblée vote ce texte, sa promulgation, au début du mois de décembre prochain, nous permettra, pour la première fois depuis trente ans, et, conformément aux engagements que j’ai pris devant vous, de faire en sorte qu’aucun décret d’avance ne soit déposé par le Gouvernement. Loin de remettre en cause les prérogatives du Parlement, le recours à un PLFR « allégé » est ainsi un instrument de revalorisation de l’autorisation parlementaire, donc du contrôle des membres du Parlement sur les choix budgétaires réalisés.

Le Gouvernement ayant fait l’effort de n’inclure aucune disposition fiscale, vous comprendrez, monsieur le rapporteur général, que je n’en accepterai pas lors de nos discussions. Cependant, je suis ouvert à tout débat fiscal, sur les sujets que vous voudrez, lors de la discussion du PLF 2019, qui est le moment le plus approprié.

En conclusion, je puis vous assurer que le Gouvernement prendra l’année prochaine le même engagement devant vous : un taux de gel bas ; une autorisation parlementaire respectée ; des crédits sincères dans le PLF.

Les décrets d’avance doivent rester une arme à notre disposition lors des difficultés très importantes que rencontre la Nation, par exemple à l’occasion d’une catastrophe ou d’une intervention militaire, mais jamais par temps calme, si tant est que les temps d’aujourd’hui puissent être considérés comme calmes. En tout cas, nos prévisions étaient justes et le Parlement a été respecté. Que vous ayez été favorables ou non aux crédits budgétaires inscrits, ils se sont révélés sincères, et le Gouvernement n’a pas menti. (Applaudissements sur les travées du groupe La République En Marche et du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen.)

Mme la présidente. La parole est à M. le rapporteur général.

M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général de la commission des finances. Madame la présidente, monsieur le ministre, monsieur le président de la commission des finances, mes chers collègues, nous sommes réunis cette année plus tôt que les autres années pour examiner le projet de loi finances rectificative qui, comme vient de le dire M. le ministre, revient à sa vocation initiale de PLFR de fin d’année, c’est-à-dire un texte réduit à des ajustements principalement budgétaires. Il permet de remplacer, ce dont nous nous réjouissons, le traditionnel décret d’avance de fin d’année.

En conséquence, l’examen de ce texte est particulièrement resserré, mais, je le répète, nous ne pouvons que nous féliciter de ce que le PLFR de fin d’année retrouve son objectif d’origine, qui est bien de se concentrer sur les mesures ayant uniquement un impact sur l’année en cours.

Comme Vincent Éblé le dira, je pense, dans un instant, nous avons nous-mêmes prôné ce retour aux fondamentaux de la loi de finances rectificative dans le cadre de la réforme constitutionnelle. C’est une bonne chose de ne pas avoir une sorte de seconde loi de finances, avec de nombreuses mesures fiscales, sorte de « voiture-balai » pour bien des amendements rejetés quelques jours ou semaines plus tôt, mais que nous voyions revenir.

Attention, néanmoins : il ne faudrait pas que cet examen dans un temps resserré nous conduise à nous prononcer sans disposer du temps nécessaire ni des éléments d’analyse suffisants. Attention, aussi, à ne pas voir se multiplier les articles non rattachés en PLF, comme nous pouvons malheureusement le craindre.

Du point de vue macroéconomique, le projet de loi de finances rectificative repose sur un scénario inchangé par rapport au projet de loi de finances pour 2019, en dépit des signaux conjoncturels défavorables apparus depuis. Certes, l’économie française a retrouvé un peu de dynamisme au troisième trimestre, après un premier semestre très décevant, mais, malheureusement, la reprise est plus faible que nous l’escomptions.

Aussi, monsieur le ministre, votre hypothèse de croissance, fixée à 1,7 %, est peut-être un peu optimiste. Je n’insisterai pas, même s’il est peu probable que l’économie française accélère suffisamment pour permettre d’atteindre ce taux sur l’ensemble de l’année. En tout cas, le rebond nécessaire pour atteindre cet objectif apparaît difficilement compatible avec l’orientation des enquêtes de conjoncture.

La consommation des ménages ne semble pas suivre la hausse de leur pouvoir d’achat au dernier trimestre. Nous sommes loin de « l’automne du pouvoir d’achat » que vous prôniez, monsieur le ministre. Surtout, l’augmentation des prix du carburant et la mise en place du prélèvement à la source risquent de prolonger l’attentisme des ménages.

À cela s’ajoutent des inquiétudes concernant la dynamique de l’investissement des entreprises. L’enquête menée en octobre dernier auprès des chefs d’entreprise dans l’industrie manufacturière fait état d’une baisse de 5 points des prévisions d’investissement pour 2018 par rapport à l’estimation de juillet dernier. D’ailleurs, le Haut Conseil des finances publiques qualifie votre prévision de croissance d’« un peu élevée ».

S’agissant de la trajectoire budgétaire, l’objectif de déficit devrait être tenu, mais c’est un minimum, compte tenu de son manque d’ambition. Le projet de loi de finances rectificative reprend ainsi la prévision de 2,6 % du PIB retenue dans la loi de finances pour 2019, soit une hausse de 0,3 point par rapport à l’objectif initial et une baisse de seulement 0,1 point de PIB par rapport à 2017. De plus, cette amélioration n’est malheureusement pas imputable à la politique du Gouvernement, puisqu’elle tient à ce que l’on peut appeler la « composante non discrétionnaire » de l’évolution du solde structurel.

S’agissant de la situation budgétaire de l’État, le déficit présenté est de 80 milliards d’euros, soit une légère amélioration par rapport à l’estimation initiale de 81,3 milliards d’euros que nous avons examinée la semaine dernière dans le cadre du projet de loi de finances pour 2019.

Nous en convenons tous, ce niveau reste très élevé, avec notamment une aggravation de 12,3 milliards d’euros par rapport à 2017. Le déficit reste ainsi supérieur aux niveaux connus avant la crise de 2008, et une nouvelle aggravation est attendue en 2019 – nous le verrons dans quelques jours –, avec près de 100 milliards d’euros de déficit – 98 milliards d’euros pour être exact.

L’amélioration de 1,3 milliard d’euros du solde budgétaire s’explique en réalité uniquement par la vente de 2,35 % du capital de Safran, qui a rapporté 1,240 milliard d’euros. M. Le Maire a déclaré que le Gouvernement voyait dans cette cession un moyen de procéder au désendettement. Toutefois, c’est malheureusement une goutte d’eau dans un océan de dettes de1 776 milliards d’euros.

Avant d’aborder les recettes et les dépenses, je souhaite saluer la mise en œuvre par le Gouvernement de la limitation à 1 % de la vacance sous plafond qui a été prévue par la loi de programmation des finances publiques pour 2018-2022, mesure de bonne gestion budgétaire introduite sur l’initiative du Sénat, comme vous l’avez rappelé. En effet, nous avons souvent constaté par le passé une décorrélation entre les plafonds d’emplois et les postes effectivement pourvus : l’écart constaté au cours des années passées était beaucoup plus important, variant de 1,5 % à 1,7 %.

Le rebasage des plafonds d’emploi au titre de l’année 2018 correspond ainsi à une diminution de 10 805 équivalents temps plein travaillé. Les plafonds d’emplois vont enfin pouvoir être un outil de pilotage des effectifs.

Concernant les recettes fiscales nettes, leur hausse par rapport à la prévision initiale est principalement liée au dynamisme de la TVA et à un rattrapage sur les produits des droits de mutation à titre gratuit. Vous nous aviez informés de l’erreur de comptabilisation à la fin de 2017, donc nous en avons déjà parlé lors de la discussion de la loi de règlement.

Finalement, ces recettes fiscales évoluent assez peu par rapport à l’estimation présentée dans le cadre du projet de loi de finances pour 2019. Le principal changement provient des quelque 600 millions d’euros supplémentaires obtenus au titre de la TICPE, actuellement objet de toutes les attentions des Français.

M. Philippe Dallier. Et du Parlement !

M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général de la commission des finances. Cette hausse a pour origine la moindre dépense enregistrée sur le compte d’affectation spéciale, le CAS, « Transition énergétique », conséquence de la réévaluation à la baisse des compensations liées à l’obligation d’achat d’électricité d’origine renouvelable.

En annulant près de 600 millions d’euros sur le CAS « Transition énergétique », l’équivalent en recettes de taxe intérieure de consommation sur les produits énergétiques, ou TICPE, est donc affecté au budget général, pour atteindre 13,9 milliards d’euros. En soi, monsieur le ministre, ce n’est pas critiquable, car nous n’avons peut-être pas besoin de plus d’argent pour l’achat d’énergies renouvelables. Je m’étonne simplement que ces révisions n’aient pas été présentées dès la présentation du PLF 2019, puisque la Commission de régulation de l’énergie, la CRE, connaissait ces chiffres dès le 12 juillet dernier. Vous auriez ainsi pu affecter ce surcroît de TICPE à la vraie transition énergétique.

Ce qui est bien davantage contestable, en revanche, c’est que la hausse de recettes de TICPE bénéficiant au budget de l’État ne s’accompagne aucunement d’un accroissement des ressources consacrées à la transition énergétique. Je pense que la question de l’accompagnement de la transition énergétique sera l’objet de toutes nos attentions lors du PLF 2019. Pour notre part, nous contestons le fait que la fiscalité énergétique soit avant tout considérée comme une fiscalité de rendement.

Malgré la baisse de presque 600 millions d’euros des « dépenses pilotables », les dépenses sont globalement en hausse de 500 millions d’euros par rapport à la dernière estimation.

Concernant les ouvertures et annulations de crédits, les deux tiers des ouvertures concernent la mission « Remboursements et dégrèvements » et sont uniquement liées aux évolutions de recettes fiscales brutes. La mission « Engagements financiers de l’État » enregistre pour sa part l’impact de l’inflation sur la charge de la dette.

Globalement, les ouvertures sur les missions couvrent classiquement quelques sous-évaluations. Je pense à la mission « Solidarité, insertion et égalité des chances » ou à la mission « Cohésion des territoires », qui doit couvrir des besoins supplémentaires en hébergements d’urgence et en aides personnelles au logement. Tout cela est assez classique.

La mission « Enseignement scolaire » bénéficie aussi de crédits pour assurer la paie du mois de décembre des enseignants. Enfin, l’annulation la plus importante concerne la mission « Travail et emploi », et a pour origine des dépenses moins élevées pour plusieurs dispositifs d’aide à l’emploi.

Monsieur le ministre, nous ne pouvons que constater que vous êtes parvenus à exécuter le budget de cette année sans recourir au décret d’avance et avec des mises en réserve réduites. Je le reconnais volontiers, votre effort de sincérisation est réel.

Nous aurons l’occasion d’y revenir, mais la question la plus délicate concerne bien sûr la mission « Défense ». Les ouvertures de crédits nécessaires pour financer les OPEX et les missions intérieures sont entièrement compensées par des annulations de crédits des autres programmes de la même mission. Le Gouvernement n’applique donc pas l’article 4 de la loi de programmation militaire, qui pose le principe de solidarité interministérielle pour le financement de ces surcoûts, d’autant que ceux-ci proviennent d’une sous-budgétisation manifeste, dénoncée dès l’examen de la loi de finances initiale.

Certes, nous prenons acte du dégel de 408 millions d’euros en autorisations d’engagement et des 272 millions d’euros en crédits de paiement sur la mission, mais cela n’éteint pas complètement les critiques susceptibles d’être formulées sur votre gestion des surcoûts des OPEX.

En conclusion, je dirai que le projet de loi de finances rectificative que vous nous présentez correspond à une exécution plus saine des crédits que sous le précédent quinquennat, où les gouvernements avaient recours à beaucoup de mesures artificielles. Aucune mesure, hormis peut-être celles qui portent sur la mission « Défense », ne saurait justifier l’opposition de la majorité sénatoriale.

Toutefois, ce projet de loi s’inscrit aussi dans la droite ligne du projet de loi de finances initiale que vous aviez présenté l’an dernier et dont nous n’avions pas approuvé tous les choix ; nous avions exprimé notre désaccord au moins sur certains d’entre eux, dans le domaine fiscal, notamment.

C’est la raison pour laquelle j’ai proposé à la majorité sénatoriale de s’abstenir sur le texte qui nous est aujourd’hui soumis, ce qu’elle a accepté. Si le projet de loi de finances rectificative a été rejeté en commission, c’est en raison du vote défavorable de l’opposition qui siège du côté gauche de l’hémicycle.

Voilà ce que je voulais vous dire, monsieur le ministre, en saluant – une fois n’est pas coutume ! – l’effort réel de sincérisation auquel vous vous êtes tenu. Pour notre part, nous respecterons vos souhaits, et je n’émettrai pas d’avis défavorable sur les dispositifs fiscaux proposés. D’ailleurs, le nombre d’amendements déposés est très faible, puisque douze seulement ont été déclarés recevables. Le message a donc bien été entendu ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)