M. le président. La parole est à Mme Éliane Assassi, pour le groupe communiste républicain citoyen et écologiste.

Mme Éliane Assassi. Monsieur le président, madame la ministre, messieurs les corapporteurs, mes chers collègues, il y a un an, presque jour pour jour, nous débattions ici du projet de redressement de la justice de la droite sénatoriale, conduite par Philippe Bas.

M. le président de la commission des lois se disait alors prêt à faire profiter le Gouvernement de nos travaux, puisque les siens n’en étaient alors qu’à leurs prémices. Pour notre part, nous formions le vœu que les chantiers lancés par Mme la garde des sceaux aboutissent à un texte obéissant à une tout autre logique : il fallait répondre à l’urgence à prôner et à ériger une justice à la fois plus efficace et plus humaine.

De manière générale, le projet du Gouvernement nous déçoit tant sur la forme que sur le fond. Une myriade d’articles protéiformes expriment un objectif dangereux : il s’agirait de redresser la justice en traitant l’embolie diagnostiquée de nos juridictions à coups de mesures gestionnaires et comptables. C’est donc toujours la même logique, après la réforme du transport ferroviaire et avant celle des hôpitaux.

Bien que vous vous en défendiez, madame la garde des sceaux – de bonne foi, je pense –, je peux vous assurer que la main invisible de Bercy n’épargne pas votre ministère, aussi régalien soit-il !

Sur la forme des débats, certes, nous nous réjouissons que la première lecture de ce texte ait fait honneur au Sénat. Nous nous interrogeons cependant sur la qualité de nos échanges, qui ont été quelque peu tronqués par la dualité entre Gouvernement et droite sénatoriale, dualité dont le théâtre ne peut évidemment être que le Sénat.

Aussi avons-nous discuté d’un texte des Républicains, que les députés En Marche ramèneront à sa version initiale, avant de céder au final sur quelques points pour un éventuel accord en commission mixte paritaire. Tout est couru d’avance, si vous me permettez l’expression ; cela peut susciter un grand sentiment de frustration dans un groupe comme le nôtre.

Je veux à présent reprendre brièvement le fond du texte, dans sa structure générale et ses grandes divisions.

Sur le budget, si nous nous félicitons de la majoration de 10 % de l’augmentation des crédits prévus pour la période 2018-2022, qui rétablit la trajectoire budgétaire adoptée par le Sénat l’année dernière, la question de la ventilation de ces moyens continue à susciter des interrogations. Nous constatons ainsi que l’augmentation des crédits proposée s’inscrit dans la même orientation que celle de ces dernières années : l’impact de cette progression, telle que cela est suggéré, est largement réduit pour les services judiciaires ou l’accès à la justice, puisque le programme de l’administration pénitentiaire l’absorbe en grande partie.

Sur la procédure civile, nous nous réjouissons des modifications apportées par notre commission des lois ; son travail d’amélioration dans l’objectif de « mieux protéger les personnes vulnérables » est notable.

Nous saluons le travail de nos corapporteurs dans ce sens, ainsi que leur intention de combattre la déjudiciarisation dont était pétri le texte du Gouvernement dans un seul et simple souci économique. Nous espérons que leurs modifications résisteront aux lectures à venir.

Nous nous félicitons notamment de la conservation par la commission des lois de la phase de conciliation dans la procédure de divorce contentieux, que le texte gouvernemental supprimait. Nous approuvons aussi la suppression de la dématérialisation de certaines procédures lorsqu’elle se faisait au détriment de l’accès au juge pour les justiciables.

Sur la procédure pénale, quelques apports des corapporteurs ne sont pas négligeables non plus. Nous partageons leur constat d’un renforcement excessif du pouvoir du parquet. De ce fait, nous saluons la conservation de l’obligation de présentation au procureur pour la prolongation de garde à vue et celle de l’accord de la personne mise en cause pour la visioconférence lorsque le juge statue sur la détention provisoire. Saluons aussi la limitation de l’extension à de nouvelles infractions des techniques d’enquête intrusives pour la vie privée, et surtout le maintien de la collégialité des travaux de la chambre de l’instruction.

Nous regrettons néanmoins l’adoption d’un certain nombre d’autres mesures qui justifient notre opposition. Par exemple, l’expérimentation du tribunal criminel départemental porte atteinte selon nous à un fondement de notre justice républicaine, les jurés populaires ; l’extension de l’amende forfaitaire délictuelle ne fait quant à elle que poursuivre l’échec de la politique répressive en matière de lutte contre la drogue, politique à l’œuvre depuis trop longtemps et particulièrement délétère, notamment pour nos mineurs.

Sur l’efficacité et le sens des peines en matière de justice pénale, messieurs les corapporteurs, vos propositions nous inquiètent et témoignent de l’urgence qu’il y a à réfléchir sérieusement sur le sens de la peine et l’échelle des peines.

Je vous rappelle, mes chers collègues, que la peine a trois vocations : punir, protéger la société, et réinsérer. Dans ce texte, la réinsertion n’a que très peu de place ; au contraire, la peine n’est envisagée presque que sous l’angle de la punition. En outre, l’unique peine considérée comme possible est la prison, comme s’il n’existait que celle-ci.

Sur l’organisation des juridictions, enfin, point crucial d’accord entre le Gouvernement et la droite sénatoriale, quel que soit le nom qui sera finalement retenu pour les tribunaux uniques de première instance, leur création poursuit la logique qui consiste à englober les tribunaux d’instance dans les tribunaux de grande instance.

Cela est pour nous révélateur de la déshumanisation de la justice, que l’on engage, notamment, en s’attaquant à sa proximité avec le justiciable. La suppression à venir des tribunaux d’instance, en commençant par leur dévitalisation, n’ira que dans ce sens. Nous le regrettons amèrement. En effet, la justice, je le répète, fait l’objet d’une politique publique bien particulière, car elle est essentielle à notre État de droit : sans son bon fonctionnement, c’est toute la société qui s’effondre !

Sur les ajouts de la commission des lois, et notamment sur le point de l’accès à la justice, faire précéder toute demande d’aide juridictionnelle de la consultation d’un avocat ajoute selon nous un obstacle supplémentaire au parcours du justiciable qui souhaite saisir la justice et qui n’en a pas les moyens. De plus, confier aux avocats, qui sont des acteurs privés, une mission qui relève de l’autorité de l’administration, et ce dans le seul objectif de réaliser des économies, est pour nous inadmissible. S’attaquer à l’aide juridictionnelle, c’est s’attaquer à la fonction essentielle de la justice, à savoir rétablir l’égalité des armes entre les parties. L’aide juridictionnelle est un moyen précieux d’accéder à la même justice pour tous.

Pour toutes ces raisons, et également parce que le Sénat, malgré sa fidélité à son rôle de défenseur des libertés individuelles, n’a modifié le texte qu’à la marge sans rien changer à son économie générale, nous voterons contre ces deux projets de loi. (Applaudissements sur les travées du groupe communiste républicain citoyen et écologiste.)

M. le président. La parole est à M. Jacques Bigot, pour le groupe socialiste et républicain. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain.)

M. Jacques Bigot. Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le président de la commission des lois, messieurs les corapporteurs, mes chers collègues, la justice est le parent pauvre, l’institution à laquelle nous n’avons pas, dans le passé, donné suffisamment de moyens ; chaque gouvernement s’en préoccupe de manière plus ou moins heureuse.

Entre 2007 et 2012 – souvenons-nous tout de même de cette période ! –, se consacrer à la justice, c’était réduire à quatre-vingts l’effectif des promotions de magistrats recrutés, magistrats qui font cruellement défaut aujourd’hui. C’était la réforme de la carte judiciaire, qui laisse encore des doutes dans les esprits ; madame la garde des sceaux, vous le savez bien. C’était aussi la loi pénitentiaire de 2009, qui permettait de ne pas exécuter certaines peines d’emprisonnement de moins de deux ans ; cela a par la suite permis à certains d’en faire leurs choux gras, en disant que les peines ne sont pas exécutées !

Sous le précédent quinquennat, la garde des sceaux, Mme Taubira, avait lancé les états généraux de la justice. Ce grand débat aurait pu inspirer le gouvernement actuel, qui a préféré mener cinq chantiers rapides, dont les résultats rejoignent d’ailleurs pour partie ce qui a été dit lors des états généraux ou au sein de la mission d’information sénatoriale que présidait M. le président de la commission des lois et à laquelle j’avais participé au nom de mon groupe.

La garde des sceaux de l’époque avait, en matière pénale, fait une proposition que d’aucuns ont beaucoup décriée : la contrainte pénale.

Son successeur avait envisagé que l’on permette à des époux, qui sont d’accord pour mettre fin à leur union, de s’organiser, chacun avec son avocat, pour établir une convention de divorce. Ainsi, ils n’auraient pas été obligés de se présenter devant le juge. Dans la mesure où ils étaient d’accord, ce dernier n’avait qu’un rôle : homologuer cette convention.

Madame la garde des sceaux, les réformes que vous nous proposez depuis lors relèvent, avant tout, de la programmation financière. Cette dernière devait s’établir sur cinq ans, mais à compter de l’année qui s’achève. À juste titre, les corapporteurs ont observé qu’il vaudrait mieux élaborer une programmation pour les cinq ans à venir, à partir de 2019.

D’ailleurs, en examinant le budget de la justice, il semble déjà que l’augmentation n’est pas tout à fait à la hauteur des objectifs inscrits à l’article 1er de votre projet de loi. L’article 1er proposé par nos corapporteurs fixe des montants supérieurs et conformes à ce qui avait été annoncé lors du vote de la proposition de loi défendue par M. Bas, en octobre 2017.

Qu’importe : l’essentiel c’est que des efforts soient accomplis, et qu’ils s’inscrivent dans la durée, ce qui, étant donné l’annualisation budgétaire, n’est jamais garanti.

Toutefois – je vous l’avais dit lors de la discussion générale –, ce que l’on voyait poindre nettement derrière cette réforme, c’était le moyen de faire des économies, au risque d’entraîner une déjudiciarisation et une déshumanisation. Or nos concitoyens ont besoin de la justice.

Je reprends l’exemple du divorce. Certes, lorsque les époux sont d’accord, ils n’ont pas besoin d’aller voir le juge ; mais lorsque l’un veut divorcer et l’autre non, lorsque le couple a des enfants et que telle ou telle disposition s’impose, les époux doivent être en mesure de voir un juge très rapidement.

Aujourd’hui, la conciliation de divorce n’a plus vocation à concilier des époux,…

M. Philippe Bas, président de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et dadministration générale. En effet, elle est mal nommée !

M. Jacques Bigot. … mais à régler très rapidement diverses questions relatives, notamment, à l’organisation de l’autorité parentale.

Vous avez fait l’impasse sur ce point, qu’il faudrait travailler de nouveau – je le signale, même si, malheureusement, nous n’aurons qu’une seule lecture –, afin de satisfaire les attentes exprimées par notre collègue du groupe La République En Marche.

Pour ce qui concerne les autres dispositions du projet de loi, j’observe que la place du juge subit de nombreuses atteintes, et que ces dernières sont extrêmement importantes : on supprime, autant que faire se peut, la collégialité ; on retire au juge la révision des pensions alimentaires pour la confier à la caisse d’allocations familiales : ce sont là autant de sujets dont nous avons débattu.

Cher collègue corapporteur qui venez de vous exprimer au nom de votre groupe, j’aurais aimé pouvoir remercier, avec vous, Mme la garde des sceaux d’avoir pris l’initiative de saisir d’abord le Sénat, lequel a beaucoup travaillé sur ce sujet.

Mais, madame la ministre, tout au long du débat, vous avez tenté de rétablir votre texte, et rien que votre texte.

Nos collègues du groupe La République En Marche ont annoncé qu’ils voteraient le texte issu des travaux du Sénat : peut-être inciteront-ils ainsi les députés En Marche à ne pas totalement vous suivre, au profit des propositions faites par nos corapporteurs.

M. Simon Sutour. Ça, ce n’est pas sûr !

M. François-Noël Buffet, corapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et dadministration générale. En effet, que d’espérances !

M. Alain Richard. Ce qui est sûr, c’est l’inverse !

M. Jacques Bigot. Globalement, nous avons plutôt à saluer le travail de nos corapporteurs. Sur de très nombreux points, ils ont corrigé les excès de votre texte. Sur d’autres – je pense notamment à des sujets sur lesquels nous sommes tous d’accord, vous comprise –, ils ont apporté des garanties, notamment pour les droits de la défense dans le domaine pénal.

Mes chers collègues, au sujet des peines, peut-être ont-ils ouvert la voie à une synthèse entre nous. Il s’agit d’inscrire dans les dispositions du code pénal relatives à l’échelle des peines, en lieu et place de la contrainte pénale, non pas la détention à domicile, qui était un moyen d’organiser l’emprisonnement, mais la probation ; cette dernière est une synthèse entre le sursis avec mise à l’épreuve, qui ne fonctionne pas, et l’excès de l’emprisonnement, qui pose problème.

Dans ce domaine, il me semble que nous sommes sur la voie d’un consensus. En effet, nous devons être capables de dire tous ensemble que, d’une part, face à la justice, il est important qu’un coupable soit jugé coupable – à cet égard, la procédure pénale doit le protéger, ce qu’elle ne fait pas suffisamment ; d’autre part, la réinsertion doit être possible – et pour cause, elle est indispensable à notre société !

Monsieur le président de la commission, messieurs les corapporteurs, l’équilibre aurait pu être trouvé, et nous aurions presque pu voter le texte issu des travaux de la commission, si, au cours du débat, le groupe majoritaire n’avait subitement fait adopter un certain nombre d’amendements, afin de prouver qu’il défend une politique franchement répressive – je pense aux articles 43 et suivants du projet de loi.

Nous ne pouvions nous satisfaire du projet de loi initial déposé par le Gouvernement. Ce texte a été bien amélioré par le Sénat – il faut le dire –, mais, en définitive, il reflète les excès de votre proposition de loi de l’automne dernier. Mes chers collègues, dès lors, nous n’avons qu’une solution : nous abstenir.

M. François-Noël Buffet, corapporteur. Et voilà !

M. Jacques Bigot. Néanmoins, cette abstention est constructive : après avoir entendu notre collègue Thani Mohamed Soilihi, nous avons l’espoir que l’Assemblée nationale ne fera peut-être pas simplement ce que veut le Gouvernement. D’ailleurs, c’est là une solution dont ne veulent ni les avocats ni les magistrats, que nous avons tous auditionnés ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain. – Mme Patricia Schillinger et M. Thani Mohamed Soilihi applaudissent également.)

M. le président. La parole est à Mme Josiane Costes, pour le groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen. (Applaudissements sur les travées du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen.)

Mme Josiane Costes. Monsieur le président, madame la garde des sceaux, monsieur le président de la commission, messieurs les corapporteurs, mes chers collègues, je commencerai par un satisfecit, pour saluer le climat apaisé et constructif dans lequel ces deux textes ont été examinés.

Compte tenu de l’importance des sujets abordés et de la mise en œuvre de la procédure accélérée, il était indispensable de consacrer deux semaines à ces débats. Cette décision était gage de sérieux, et la qualité de nos échanges a été – je le crois – à la hauteur des défis qui s’imposent aujourd’hui à la justice.

Nos débats ont souvent permis de souligner, en matière pénale notamment, qu’il existe une volonté commune de changer de modèle.

Les hésitations qui demeurent portent essentiellement sur l’anticipation des effets directs et indirects des dispositifs que nous élaborons. Je pense notamment à la révision de l’échelle des peines correctionnelles, à la peine autonome de probation, ou encore à l’expérimentation d’un tribunal criminel.

La justice que nous défendons, au groupe du RDSE, est une justice accessible, lisible et impartiale, dont l’impartialité est garantie soit par le statut de fonctionnaire du magistrat rendant justice, soit par la reconnaissance par ses pairs.

À ce stade, ces deux textes contiennent donc des éléments de nature à nous réjouir, mais également des dispositions ambiguës ou plus contestables.

Les nouvelles technologies de communication sont certes devenues des outils incontournables pour une majorité de Français. Mais elles peuvent produire des effets ambivalents en matière de justice. Elles permettent sans doute d’accélérer la résolution de conflits pour une partie de la population. Toutefois, dans le même temps, elles réduisent l’accès à la justice de nos concitoyens victimes de la fracture numérique. C’est pourquoi nous restons très dubitatifs quant à l’extension à court terme de la dématérialisation des procédures.

Il en va de même des modes alternatifs de règlement des différends, qui sont des outils de pacification sociale intéressants, à condition qu’ils ne soient pas systématiquement rendus obligatoires ni uniquement utilisés afin de réguler le stock de contentieux.

Entre 2006 et 2017, le nombre de conciliations a progressé de 122 000 à 137 000 ; en revanche, le taux de conciliation s’est dégradé, passant de 56,2 % à 51,2 %. Ce constat semble illustrer l’existence d’un stock constant de litiges pour lesquels l’intervention du juge sera toujours nécessaire, en raison de la confiance que le justiciable place dans l’autorité judiciaire.

Nous craignons plus encore que les nouvelles dispositions introduites en commission des lois, au sujet de l’aide juridictionnelle, ne menacent l’accès au juge. Nous pensons, en particulier, à nos concitoyens les plus vulnérables, ceux qui ne peuvent s’acquitter d’un droit de timbre ou qui renoncent à recourir à un avocat avant l’obtention de l’aide juridictionnelle.

De plus, nous regrettons qu’un certain nombre de propositions que nous avions formulées n’aient pas été inscrites dans ces textes.

Tout d’abord, je songe à la revalorisation du statut de juriste assistant. Je l’évoquais lors de la discussion générale : partout où elle recule, la collégialité de la décision de justice doit être compensée par une collégialité de cabinet, qui sorte le juge de sa solitude de juge unique. Les assistants et greffiers qui assistent les magistrats ne doivent pas être perçus comme de simples délégataires des tâches les plus ennuyeuses. Leurs fonctions doivent s’inscrire dans une trajectoire professionnelle de long terme au sein des juridictions.

Ensuite, madame la garde des sceaux, au sujet de la prise en charge juridique des mineurs isolés étrangers, nous avons entendu vos réponses. Mais nous considérons que l’urgence de leur situation justifie d’apporter des solutions dès à présent. Beaucoup d’entre eux sont des adolescents aujourd’hui. Il n’est pas concevable de reporter le règlement de leur situation dans un ou deux ans.

Nous exprimons les mêmes regrets quant au rejet des amendements de notre collègue Françoise Laborde, visant à assurer une meilleure prise en compte des victimes de violences conjugales. Nos institutions n’ont pas suffisamment pris la mesure de ce phénomène. Les dispositions dont il s’agit sont pourtant un levier clef dans la lutte contre le sentiment d’insécurité.

A contrario, alors que la réforme de la carte judiciaire a suscité beaucoup d’inquiétudes dans les territoires, les solutions proposées par nos corapporteurs sont rassurantes, à commencer par l’abandon de la spécialisation des chambres détachées et des cours d’appel.

Néanmoins, comme l’a souligné notre collègue Sophie Joissains, une chambre détachée restera toujours plus facile à fermer qu’une juridiction. Nous resterons donc particulièrement vigilants sur ces points, car nous nous opposerons toujours aux effets indésirables de la métropolisation, qui consisteraient à faire des métropoles la seule référence des cartes administratives au détriment de l’échelle départementale, laquelle est beaucoup plus humaine.

La réussite de la réforme de la justice dépendra aussi de la confiance des agents envers les outils que nous mettons à leur disposition. C’est pourquoi il est si difficile de réformer des institutions qui fonctionnent bien, comme les tribunaux d’instance ou les cours d’assises. Vous vous y êtes pourtant attelée, madame la garde des sceaux, et il faut saluer l’approche globale que vous avez voulu suivre pour votre réforme.

D’autres outils judiciaires sont en plus mauvais état : nous tous ici en avons conscience, il est urgent de rénover le parc carcéral, et avec lui, le sens de la peine.

Grâce au travail accompli par la Chancellerie et par la commission des lois, le débat a permis de faire émerger un consensus autour de la nécessité de marginaliser l’emprisonnement en matière délictuelle.

Il importe que la prison ne soit plus perçue comme un « rite de passage », par lequel les jeunes délinquants vont s’endurcir dans des conditions matérielles indignes, aux côtés de condamnés plus aguerris et parfois radicalisés.

Il importe également de sortir de prison les personnes dont la santé exige des soins psychiatriques lourds. C’était l’objet des amendements que nous avions déposés avec notre collègue Nathalie Delattre. Certaines propositions, comme l’atténuation du principe de séparation des prévenus et des condamnés en vue d’optimiser l’occupation dans les maisons d’arrêt, nous semblent particulièrement pertinentes.

M. Yvon Collin. Tout à fait !

Mme Josiane Costes. Le sens doit enfin guider notre plume quand nous légiférons sur les travaux d’intérêt général menés à des fins de réadaptation : nous avons bon espoir que l’agence créée par le texte permette le développement de cette sanction, à condition qu’elle soit effectivement mise au service de la collectivité.

Dans ces conditions, au regard des équilibres obtenus après le débat en séance, les membres du groupe du RDSE ont décidé de s’abstenir. (Applaudissements sur les travées du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen.)

M. le président. La parole est à M. Jean Louis Masson, pour la réunion administrative des sénateurs ne figurant sur la liste d’aucun groupe. (Murmures.)

M. Jean Louis Masson. Monsieur le président, madame le ministre, chers collègues, ces textes présentent des aspects positifs, mais aussi des aspects beaucoup plus discutables. C’est la raison pour laquelle je m’abstiendrai.

Cela étant, je tiens à insister sur un point qui, finalement, sous-tend tous les autres : c’est la dimension géographique de la réforme.

Il ne faut pas se faire d’illusion, les ministres de la justice successifs visent un seul et même but : regrouper au maximum les tribunaux, notamment les cours d’appel.

Madame le ministre, vous n’êtes pas la première ; vous ne serez peut-être pas la dernière, sauf si vous parvenez à vos fins un peu plus vite que les autres… (M. Roger Karoutchi sexclame.) Quoi qu’il en soit, la volonté est claire. Il s’agit, par exemple pour les cours d’appel, de fixer petit à petit un cadre régional.

On a dit que ce projet était abandonné : ce n’est pas vrai ! Avec les réformes que vous engagez, il n’y aura plus, à terme, qu’une seule vraie cour d’appel par région. D’ores et déjà, dans chaque région, une cour d’appel commence à coordonner toutes les autres, elle prend la main sur leur organisation. Pour le moment, on garde ces autres cours d’appel pour ne pas ameuter les foules. Mais on voit bien que, petit à petit, la juridiction destinée à devenir l’unique cour d’appel régionale devient de plus en plus importante.

Bien sûr, des réorganisations doivent être menées, afin de garantir une harmonie territoriale. Mais on a créé de grandes régions en fusionnant les régions précédentes. Dans ces conditions, il n’est pas raisonnable de vouloir aboutir, à terme, à une seule cour d’appel par région.

Dans la région Grand Est, qui est complètement aberrante, c’est véritablement la chienlit ! Ce n’est pas normal de demander aux gens de faire 200 kilomètres pour aller à la cour d’appel : en procédant ainsi, on ne garantit pas à nos concitoyens l’accessibilité à une justice honnête et cohérente. Et ce qui est fait pour les cours d’appel vaut aussi pour d’autres tribunaux.

Chaque ministre avance d’un pas, puis recule de moitié. Mais, au total, on progresse toujours dans la même direction : une seule cour d’appel par région. Aujourd’hui, c’est clairement ce dont il s’agit. Je ne me fais pas d’illusion, on y viendra.

Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux, ministre de la justice. Mais c’est faux, monsieur le sénateur, c’est faux !

M. Jean Louis Masson. Les avocats de Colmar déclarent : « Ça y est, on a sauvé la cour d’appel. » Ils le disent peut-être pour se faire plaisir ; de toute manière, la cour d’appel de Colmar, comme d’autres cours d’appel de la région Grand Est, est menacée dans son existence à terme.

De deux choses l’une : ou bien l’on fait des petites régions, et dans ce cas il peut y avoir une cour d’appel par région ; ou bien l’on garde ces grandes régions qui n’ont aucun sens, mais alors – je le dis très clairement – ce choix est une aberration !

M. le président. La parole est à M. Hervé Marseille, pour le groupe Union Centriste. (Applaudissements sur les travées du groupe Union Centriste. – M. le président de la commission des lois applaudit également.)

M. Hervé Marseille. Monsieur le président, madame la garde des sceaux, messieurs les corapporteurs, mes chers collègues, l’ambition des deux textes qui vont être mis aux voix dans un instant est-elle à la hauteur de leur intitulé ? Est-ce une « réforme pour la justice » ? Est-ce bien l’électrochoc dont notre système a besoin ?

À nos yeux, avant que le Sénat ne s’en saisisse, la réponse était négative. Nous avions un florilège de mesures, souvent intéressantes d’ailleurs, mais non une réforme ambitieuse. Nous avions un catalogue assez fourni que l’on aurait pu appeler « diverses dispositions en matière de justice ».

Vous avez pu le constater, madame la garde des sceaux, le Sénat n’a pas été avare de propositions lors des semaines d’examen des deux projets de loi, et pour cause : notre commission des lois est mobilisée sur ce sujet depuis des années, notamment pour ce qui concerne son aspect budgétaire, qui ne règle pas tout, évidemment, mais qui est fondamental.

Notre collègue Yves Détraigne, dont je salue l’implication dans ce dossier, nous alerte inlassablement lors de chaque projet de loi de finances sur de nombreux problèmes : le manque criant de moyens, l’état de délabrement des juridictions, l’insalubrité de nombreuses prisons, ou encore les moyens informatiques d’un autre âge avec lesquels greffiers et magistrats travaillent au quotidien.

Nous avons donc modifié l’article 1er du projet de loi, qui fixe la programmation pluriannuelle, conformément à ce que nous estimons indispensable au redressement de notre justice.

La réflexion du Sénat sur le sujet ne se limite pas à cet aspect financier qui, je le répète, ne règle pas tout.

Nos corapporteurs se sont appuyés sur les travaux de la mission d’information sénatoriale sur le redressement de la justice, lancée en 2016. Celle-ci avait abouti à pas moins de 127 propositions, et elle a conduit à l’adoption par le Sénat de la proposition de loi d’orientation et de programmation pour le redressement de la justice, le 24 octobre 2017.

Nous avons fait de très nombreuses propositions, qui ont souvent reçu ici un très large assentiment, au-delà des frontières entre groupes politiques.

Malheureusement, madame la ministre, force est de constater qu’au cours des deux semaines de travaux en séance le Gouvernement n’a eu qu’une seule ligne de conduite, claire : tenter de rétablir, point par point, presque obstinément, le texte initial.

Je reconnais que vous avez toujours cherché à argumenter vos positions, et que la qualité de nos débats mérite d’être saluée.