compte rendu intégral

Présidence de M. David Assouline

vice-président

Secrétaires :

M. Guy-Dominique Kennel,

Mme Mireille Jouve.

M. le président. La séance est ouverte.

(La séance est ouverte à quatorze heures trente.)

1

Procès-verbal

M. le président. Le compte rendu intégral de la séance du mercredi 3 octobre 2018 a été publié sur le site internet du Sénat.

Il n’y a pas d’observation ?…

Le procès-verbal est adopté.

2

Candidature à un office parlementaire

M. le président. J’informe le Sénat qu’une candidature pour siéger au sein de l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques a été publiée.

Cette candidature sera ratifiée si la présidence n’a pas reçu d’opposition dans le délai d’une heure prévu par notre règlement.

3

 
Dossier législatif : projet de loi relatif à la lutte contre la fraude
Discussion générale (suite)

Lutte contre la fraude

Adoption des conclusions modifiées d’une commission mixte paritaire

Discussion générale (début)
Dossier législatif : projet de loi relatif à la lutte contre la fraude
Articles 1er A et 1er B

M. le président. L’ordre du jour appelle l’examen des conclusions de la commission mixte paritaire chargée d’élaborer un texte sur les dispositions restant en discussion du projet de loi relatif à la lutte contre la fraude (texte de la commission n° 15, rapport n° 14).

Dans la discussion générale, la parole est à M. le rapporteur.

M. Albéric de Montgolfier, rapporteur pour le Sénat de la commission mixte paritaire. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État – manifestement, nous avons encore un gouvernement… (Sourires sur les travées du groupe Les Républicains.) –, mes chers collègues, nous examinons aujourd’hui les conclusions de la commission mixte paritaire sur le projet de loi relatif à la lutte contre la fraude. Je note que ce texte a été examiné en premier par le Sénat, ce dont nous ne pouvons que nous féliciter. Espérons que cela augurera la saisine de notre assemblée en premier sur d’autres textes…

Avec nos collègues de l’Assemblée nationale, nous sommes parvenus à un accord sur ce texte, un peu plus de six mois après sa présentation devant le conseil des ministres et à la suite d’une première lecture ayant permis aux deux chambres d’enrichir considérablement le texte initial. En effet, ce projet de loi, qui était composé de onze articles au moment de son dépôt sur le bureau du Sénat, en compte désormais trente-huit.

L’accord en commission mixte paritaire a été obtenu à une très large majorité, puisqu’il y a eu seulement deux abstentions. Cela témoigne de notre détermination commune à lutter contre la fraude, qu’elle soit fiscale, sociale ou douanière. Nous aboutissons ainsi à un texte comportant plusieurs avancées notables, en particulier la fin de la procédure dite du « verrou de Bercy », sujet qui ne figurait pas dans le texte initial et sur lequel je reviendrai.

Lors de son examen en première lecture, le Sénat s’est inscrit dans une démarche constructive, face à un texte initial qui restait de portée finalement assez modeste. Certes, l’Assemblée nationale a ensuite supprimé neuf des dix-huit articles additionnels issus de nos travaux, ce que nous ne pouvons que regretter. Toutefois, plusieurs mesures issues de notre assemblée ont aussi été adoptées conformes ou avec des modifications à la marge.

Vous aussi, monsieur le secrétaire d’État, vous pouvez vous réjouir : l’ensemble des dispositions initiales du projet de loi sont restées dans le texte issu de la commission mixte paritaire, même si elles ont parfois été amendées pour être améliorées ou complétées. Notre collègue Nathalie Delattre y reviendra certainement dans son intervention, seul l’article 1er, qui crée une police fiscale à Bercy, ne nous a pas pleinement convaincus. Dans un souci de compromis, nous ne sommes pas revenus sur ce point en commission mixte paritaire. Nous verrons en pratique si le fonctionnement de cette police nous rassure et si, comme vous le défendez, son action complétera utilement celle de la BNRDF, la brigade nationale de répression de la délinquance fiscale.

Concernant les dix-neuf articles additionnels insérés par l’Assemblée nationale et, plus globalement, l’ensemble des amendements qu’elle a adoptés, peu d’entre eux soulevaient de réelles difficultés. Il s’agissait surtout de mesures permettant d’améliorer techniquement des procédures existantes. Bien sûr, comme c’est toujours le cas en commission mixte paritaire, quelques compromis ont cependant été nécessaires…

Les mesures adoptées en commission mixte paritaire ont été principalement guidées par notre volonté de sécuriser juridiquement les procédures prévues, soit en les complétant – je pense à l’article 6, qui concerne la publication des sanctions administratives, dite procédure name and shame –, soit en ne retenant pas certaines dispositions qui nous paraissaient fragiles juridiquement.

Mes chers collègues, nous pouvons toujours regretter que telle ou telle mesure issue notamment des travaux du Sénat ne figure plus dans le texte final. Néanmoins, en votant ce projet de loi, le Sénat fait œuvre utile et montre aussi toute sa détermination à lutter contre la fraude.

Surtout, notre assemblée a profondément enrichi le texte proposé.

En premier lieu, nous avons proposé, alors que cela ne figurait pas dans le texte initial, une réforme du dépôt de plaintes pour fraude fiscale, permettant ainsi d’ouvrir ce que l’on nomme communément le « verrou de Bercy ». Le Sénat a ainsi instauré une transmission automatique au procureur des cas de fraudes les plus graves, dans des conditions transparentes et objectives. Pour respecter l’exigence posée par le Conseil constitutionnel de ne renvoyer devant la justice pénale que les affaires ayant un caractère de gravité suffisante, la transmission automatique est prévue pour les dossiers remplissant trois critères cumulatifs : pénalités d’au moins 80 %, montant supérieur à un certain seuil fixé par décret et faits réitérés ou comportements aggravants.

Finalement, nous nous sommes ralliés à la rédaction proposée par l’Assemblée nationale, qui a introduit une procédure dont l’esprit est proche de celle que nous avions adoptée. Elle élargit toutefois les critères retenus pour sélectionner les dossiers, critères qui restent suffisamment contraignants pour répondre aux exigences du Conseil constitutionnel, rappelées dans deux QPC célèbres, mais aussi pour éviter d’encombrer la justice.

Contrairement à ce que certains diront, il s’agit là d’une véritable avancée, avec une réelle réforme des modalités de dépôt de plainte pénale en matière de fraude fiscale, l’administration étant liée par des critères légaux pour transmettre les dossiers les plus graves. En outre – certains ont tendance à l’oublier –, l’administration conservera toute latitude pour adresser au procureur de la République d’autres cas qui n’entreraient pas dans le champ de la transmission automatique, mais qui doivent également être traités au niveau pénal, notamment par souci d’exemplarité.

Outre le sujet du « verrou de Bercy », le Sénat a adopté plusieurs dispositifs qui ont été conservés dans le texte qui vous est aujourd’hui soumis. Je pense au rétablissement de la faculté transactionnelle de l’administration fiscale en cas de poursuites pénales. C’est une avancée, puisque, jusqu’à maintenant, lorsque l’administration envoie un dossier à la justice pénale, elle ne peut recouvrer les droits et pénalités, ce qui revient à se priver de recettes. Je pense également à la possibilité, proposée par la commission des lois, de conclure une convention judiciaire d’intérêt public en matière de fraude fiscale. Je citerai aussi l’interdiction faite à l’Agence française de développement, l’AFD, sur l’initiative de Mme Taillé-Polian et d’autres de nos collègues, de financer des projets avec un cofinanceur établi dans un État ou territoire non coopératif. Je citerai enfin les dispositifs visant à renforcer les moyens de lutte contre la contrebande de tabac, dont l’initiative revient à notre collègue Jean-Pierre Grand et au Gouvernement.

Surtout, monsieur le secrétaire d’État, le Sénat a complété votre projet de loi sur un point qui nous semblait un peu absent… En effet, comment peut-on faire un projet de loi relatif à la lutte contre la fraude fiscale en oubliant la TVA ? Cet impôt, qui, selon la Commission européenne, est le plus « fraudé », est notre principale recette fiscale ! Le Sénat a donc introduit des dispositions en matière de lutte contre la fraude à la TVA, notamment pour ce qui concerne les ventes en ligne sur internet. Ainsi, la commission mixte paritaire a rétabli le régime de responsabilité solidaire des plateformes en ligne en matière de TVA.

M. Philippe Dallier. Bonne idée !

M. Albéric de Montgolfier, rapporteur. Absolument ! D’autant que c’est un dispositif bien connu de la commission des finances du Sénat, que nous proposons chaque année dans le cadre du projet de loi de finances. Il vise à faire en sorte que les vendeurs indélicats respectent leurs obligations grâce aux plateformes qui les hébergent, qui seront éventuellement responsables solidairement du paiement de la TVA.

Ce dispositif est une avancée considérable, déjà employé, notamment, par les Britanniques et qui leur a permis de faire entrer des recettes. Je me réjouis que la commission mixte paritaire ait retenu ce régime de responsabilité solidaire des plateformes. Je le répète, un projet de loi relatif à la lutte contre la fraude qui aurait omis la fraude à la TVA sur internet aurait été très incomplet.

Ne l’oublions pas, l’article 4 du projet de loi, relatif à l’obligation de déclaration automatique des revenus par les plateformes, a pour origine un amendement que nous avions présenté et adopté au Sénat au cours des dernières années, dans le cadre de nos travaux sur l’économie collaborative. Nous reviendrons bien évidemment sur ce sujet, qui est loin d’être épuisé – je pense notamment au paiement scindé –, car ce n’est pas le dernier texte financier que nous examinons. Nous aurons sans doute l’occasion de reparler dans quelques jours de la fraude fiscale, qui doit être aussi vieille que l’impôt !

Monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, le texte issu de la commission mixte paritaire est parvenu à un équilibre qui permet à la fois à l’Assemblée nationale et au Sénat d’être satisfaits. Il est le fruit d’un travail constructif dont on ne peut que se féliciter et qui, je l’espère, se reproduira pour d’autres textes examinés par les commissions des finances.

Je veux ajouter un mot concernant la procédure d’examen des textes. Nous sommes en effet parfois confrontés à un certain encombrement de l’ordre du jour, ce que nous regrettons – le président du Sénat s’en fait à chaque fois l’écho auprès du ministre chargé des relations avec le Parlement –, mais aussi à des périodes de moindre activité. Pour mieux réguler l’activité du Parlement, sans doute faudrait-il davantage faire confiance au Sénat en lui confiant en premier l’examen de certains textes. Nous ferions ainsi œuvre utile.

M. Albéric de Montgolfier, rapporteur. Quoi qu’il en soit, le sujet de la fraude fiscale n’est pas clos, l’avancée constituée par ce texte n’épuisant pas le sujet. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et du groupe Union Centriste, ainsi que sur des travées du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen et du groupe Les Indépendants – République et Territoires.)

M. le président. La parole est à M. le secrétaire d’État.

M. Olivier Dussopt, secrétaire dÉtat auprès du ministre de laction et des comptes publics. Monsieur le président, monsieur le président de la commission des finances, monsieur le rapporteur, mesdames, messieurs les sénateurs, la réussite de la commission mixte paritaire sur ce projet de loi, qui fait suite à l’adoption du texte à l’unanimité au Sénat et à une très large majorité à l’Assemblée nationale, traduit le large consensus qu’il a su fédérer. J’y vois la preuve que son ambition, à savoir la modernisation de nos outils de lutte contre la fraude pour les adapter aux fraudes du XXIe siècle, fait l’objet d’un large consensus de la part de la représentation nationale. Aussi cette tribune sera-t-elle pour moi l’occasion de redire l’ampleur du travail mené par le Sénat, en particulier par son rapporteur, pour y parvenir.

De fait, la discussion parlementaire a considérablement enrichi le texte présenté par le Gouvernement, qui comportait onze articles. Le Sénat en a ajouté dix-huit, dont l’Assemblée nationale a conservé la moitié, concernant notamment la répression du délit de blanchiment douanier, les obligations déclaratives pour les comptes détenus à l’étranger, l’extension de la convention judiciaire d’intérêt public à la fraude fiscale, la lutte contre les trafics sur le tabac ou encore le rétablissement de la faculté transactionnelle de l’administration fiscale en cas de poursuites pénales. Ces apports majeurs ont largement contribué à ce qu’un accord soit trouvé entre les deux chambres.

Parmi les sujets moins consensuels figure l’article 1er, supprimé par le Sénat, créant le nouveau service de police fiscale rattaché directement à Bercy. Pour répondre aux inquiétudes que vous avez soulevées, mesdames, messieurs les sénateurs, sachez que ce service agira, je le redis, en complément de la brigade nationale de répression de la délinquance fiscale, en fonction de la nature des dossiers. Ce seront les parquets qui choisiront le service enquêteur le plus approprié. De ce point de vue, je crois que les engagements du Gouvernement ont été clairs, s’agissant notamment de la bonne coordination entre les deux services, pour faire suite aux réserves émises par le Conseil d’État. Aussi suis-je heureux de voir que votre assemblée s’est ralliée à la création de ce nouveau service, que l’Assemblée nationale a souhaité renforcer par un alignement des prérogatives des officiers fiscaux judiciaires sur celles des officiers des douanes judiciaires.

De la même manière, je me réjouis du pragmatisme dont a su faire preuve le Sénat s’agissant de la réforme de la procédure pénale applicable à la fraude fiscale, autrement dit du « verrou de Bercy ». De ce point de vue, l’Assemblée nationale a utilement complété le travail de votre rapporteur en définissant précisément les critères objectifs de gravité conduisant à une dénonciation automatique des dossiers au parquet. Surtout, l’article 13 tel qu’il est issu de vos travaux permettra indéniablement une meilleure collaboration entre l’autorité judiciaire et l’administration fiscale, comme cela se pratique dans nombre de pays. J’aurai l’occasion de revenir sur ce sujet, si vous le souhaitez, pour vous présenter la circulaire d’application que la garde des sceaux, Gérald Darmanin et moi-même sommes en train de préparer.

Je me réjouis par ailleurs que le Sénat accueille avec bienveillance plusieurs apports bienvenus nés du dialogue entre le Gouvernement et l’Assemblée nationale. Je pense ici aux initiatives conjointes des groupes communistes, socialistes, Modem et France insoumise, afin de prévoir à l’article 11 la possibilité d’inclure des États de l’Union européenne dans la liste des États et territoires non coopératifs.

J’évoquerai également un autre article, issu d’un amendement déposé par le rapporteur général de la commission des finances de l’Assemblée nationale, pour moderniser la procédure d’autorisation d’accès aux données de connexion par l’Autorité des marchés financiers, la direction générale des finances publiques et la direction générale des douanes et droits indirects.

L’examen des conclusions de la commission mixte paritaire est également pour moi l’occasion de saluer les avancées obtenues dans ce texte concernant les plateformes d’économie collaborative. Je sais l’attachement de votre assemblée, en particulier de votre commission des finances, à une meilleure appréhension de la fraude susceptible d’en résulter. Je pense tout d’abord à l’article 4, qui précise, comme le Parlement y invitait le Gouvernement depuis plusieurs années, les obligations fiscales et sociales imposées aux plateformes d’économie collaborative. J’évoquerai également l’article 4 ter, qui prévoit, à compter de 2020, un régime transitoire de responsabilité solidaire des plateformes en ligne en matière de TVA due par les vendeurs et prestataires, dans l’attente de la transposition de la directive adoptée à Bruxelles en fin d’année dernière.

Concrètement, lorsqu’existent des présomptions qu’une personne se livrant à des activités en France par l’intermédiaire d’une plateforme en ligne se soustrait à ses obligations en matière de TVA, l’administration pourra mettre en demeure l’opérateur de la plateforme de prendre les mesures permettant à la personne en cause de régulariser sa situation. En l’absence de régularisation, la plateforme est solidairement tenue au paiement de la TVA due par cette personne. Il s’agit d’une avancée majeure, qu’il convient de souligner.

Enfin, le texte issu de la commission mixte paritaire démontre utilement, me semble-t-il, la vigilance dont a su faire preuve le Sénat, pour conjuguer lutte contre la fraude et pragmatisme économique. Cela permet que notre détermination absolue à lutter contre ce phénomène ne se fasse pas au détriment de la compétitivité de notre économie. Vous me permettrez ici de donner trois exemples.

Le premier concerne le dispositif de publication des sanctions administratives prévu à l’article 6. Le texte issu de la commission mixte paritaire en revient aux équilibres initiaux du projet de loi, en restreignant la possibilité de publication aux personnes morales et en ajoutant l’obligation de publier toute décision contentieuse favorable au contribuable, lorsque celle-ci intervient après la publication des résultats d’un contrôle ayant donné lieu à redressement et sanctions.

Le deuxième exemple a trait à l’article 7 relatif aux prestations fournies par certains conseils entraînant des comportements abusifs.

Votre assemblée avait initialement souhaité réserver la sanction de l’intermédiaire à une condamnation pénale ou à une sanction définitive du contribuable abusivement conseillé. Je me réjouis, à la lecture des conclusions de la commission mixte paritaire, que cette disposition, qui aurait privé la mesure de toute efficacité et l’aurait détournée de son objectif, n’ait pas été retenue. Rappelons-le, cet article n’a pas pour objet dissimulé de mettre à mal la profession d’avocat ni celle d’expert-comptable. Il ne constitue pas une atteinte au secret professionnel, ce dernier restant applicable, sauf si le client le lève. En réalité, cet article vise non pas tant les professions réglementées, qui disposent déjà de leurs propres règles déontologiques, que toutes les officines qui, en dehors de tout cadre réglementé, fournissent des solutions pour échapper purement et simplement à l’impôt. La liste des prestations donnant lieu à sanction, définies dans cet article de façon restrictive, rassure tous ceux qui exercent leur profession de conseil honnêtement : ils pourront continuer à le faire sans crainte d’être inquiétés.

Dernier exemple : la commission mixte paritaire a fait preuve de pragmatisme en choisissant de conserver l’amendement de l’Assemblée nationale qui prévoit d’élargir le contenu du rapport extrafinancier des entreprises cotées, pour qu’il aborde également la lutte contre l’évasion fiscale, mais en supprimant l’obligation de communiquer aux représentants du personnel la documentation sur les prix de transfert, qui restera bien évidemment à la disposition de l’administration en cas de contrôle fiscal.

Mesdames, messieurs les sénateurs, la lutte contre la fraude est un objectif que nous partageons tous – cela a été rappelé tout au long des débats. Son ampleur est immense, mais nous avons la faiblesse de croire que, en dotant l’administration et la justice de nouveaux outils adaptés aux fraudes actuelles, ce texte contribuera à lutter contre des comportements frauduleux de plus en plus retors et dangereux. La contribution de votre assemblée à son enrichissement a été décisive. Je me réjouis de son adoption par la commission mixte paritaire. (Applaudissements sur les travées du groupe La République En Marche, ainsi que sur des travées du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen, du groupe Les Indépendants – République et Territoires et du groupe Union Centriste. – M. le rapporteur applaudit également.)

M. le président. La parole est à Mme Nathalie Delattre.

Mme Nathalie Delattre. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, en ces jours de commémoration du soixantième anniversaire de la Constitution de la Ve République, j’ai envie de faire référence à Georges Pompidou.

M. Philippe Dallier. Très bien !

Mme Nathalie Delattre. Ce dernier évoquait déjà durant les trente glorieuses le fléau de la fraude fiscale : « La fraude est à l’impôt ce que l’ombre est à l’homme. »

Les propos de l’ancien Président de la République n’ont jamais cessé d’être d’actualité. Nous y répondons aujourd’hui par un texte que l’on pourrait qualifier de « bélier », fruit d’un débat parlementaire riche, qui illustre bien, s’il le fallait encore, que le bicamérisme est un impératif démocratique pour notre pays.

Je me réjouis que la commission mixte paritaire, à laquelle j’ai eu l’honneur de participer en tant que représentante du groupe du RDSE, soit parvenue à l’adoption d’un texte commun.

Après la promulgation cet été de la loi pour un État au service d’une société de confiance, ce texte représente le volet « répressif » des nouvelles relations entre l’État et les citoyens que le Gouvernement souhaite engager. Son objet est simple : permettre de mieux détecter, de mieux appréhender et de mieux sanctionner les différentes formes de fraude, qui sont autant d’entorses à notre contrat social.

Je le rappelle, la fraude fiscale coûte entre 60 milliards et 80 milliards d’euros par an, soit près de 20 % des recettes fiscales brutes de notre pays. Ce sont autant de ressources en moins pour financer les politiques publiques et réduire nos déficits. Ce sont autant d’efforts en plus que nous demandons à nos concitoyens pour combler ce manque à gagner.

L’examen parlementaire a considérablement enrichi le texte du Gouvernement, qui, de onze articles dans sa version initiale, est passé à trente-huit.

En tant que rapporteur pour avis au nom de la commission des lois, j’avais proposé en première lecture, conformément à l’avis du Conseil d’État, la suppression de l’article 1er, auquel faisait référence M. le rapporteur. Celui-ci apparaissait en effet redondant avec les dispositifs existants de lutte contre la fraude fiscale au sein du ministère de l’intérieur. Je comprends la nécessité pour la commission mixte paritaire de parvenir à un compromis, mais je regrette le maintien de cet article, qui revient à créer un nouveau service de police fiscale au sein du ministère des comptes publics, à côté de la brigade nationale de répression de la délinquance financière. Cela risque de se traduire, au mieux, par un jeu à somme nulle, au pire, par une guerre des polices.

Je salue en revanche le maintien de l’article 9 bis, que j’avais défendu. Il concerne la convention judiciaire d’intérêt public, une « transaction pénale » ouverte en matière de fraude fiscale. Ce nouvel outil permettra de renforcer l’efficacité des modes de poursuite, tout en assurant la publicité et la transparence pour ce qui concerne la fraude effectuée. Je regrette toutefois que les députés aient supprimé l’article 9 ter, qui aurait permis d’inscrire dans la loi la jurisprudence Talmon, laquelle précise que le « verrou de Bercy » ne s’applique pas au délit de blanchiment de fraude fiscale. En effet, le risque évoqué par nos collègues et la Chancellerie d’interprétation a contrario me semble limité, dans la mesure où nos travaux ont bien indiqué que telle n’était pas l’intention. À mon sens, c’est un raté.

S’agissant de l’une des innovations du projet de loi, à savoir la généralisation du name and shame, je regrette que nous devions en arriver à une telle pratique, celle de la dénonciation et du blâme public. Il n’est pas dans notre culture d’utiliser ainsi la presse pour rendre publiques des infractions. Cela dit, je conçois parfaitement que notre droit évolue en ce sens pour les seules personnes morales, étant entendu que la fraude fiscale a atteint un degré d’acceptabilité sociale particulièrement bas.

C’est également le sens qu’il faut donner à l’évolution des pouvoirs de l’Autorité des marchés financiers en matière de lutte contre les abus de marché, adoptée par la commission mixte paritaire. Il s’agit d’anticiper une inconstitutionnalité qui devait prendre effet à la fin de l’année.

J’en viens à la réforme du « verrou de Bercy », point majeur de ce texte, auquel les médias ont consacré une attention peut-être disproportionnée au regard des autres dispositions.

Il est revenu à la Haute Assemblée de poser les bases du débat, de façon transpartisane, en instaurant des critères rendant obligatoire la transmission au parquet des dossiers de fraudes fiscales les plus graves, supérieures à 100 000 euros. L’Assemblée nationale a complété notre texte en renforçant le dispositif et la gravité des sanctions, notamment pour les élus.

De timides avancées avaient été réalisées en 2013 et 2016, avec les lois visant à lutter contre la délinquance économique et financière et la loi Sapin II, qui concernait la lutte contre la corruption. À l’échelle internationale, l’accord multilatéral de 2016 sur l’échange de déclarations pays par pays et la convention multilatérale de lutte contre l’érosion de la base d’imposition et le transfert de bénéfices, ratifiée par la Haute Assemblée le 19 avril dernier, ont représenté une petite avancée.

Même si le texte que nous examinons aujourd’hui n’est pas encore exemplaire dans son aboutissement, il est significatif. C’est à ce titre que mon groupe le soutiendra et votera en faveur de l’adoption des conclusions de la commission mixte paritaire. (Applaudissements sur les travées du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen, ainsi que sur des travées du groupe Union Centriste et du groupe Les Républicains.)

M. le président. La parole est à Mme Sylvie Vermeillet. (Applaudissements sur les travées du groupe Union Centriste.)

Mme Sylvie Vermeillet. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, je tiens en préambule à féliciter les rapporteurs, qui ont contribué à l’aboutissement de ce texte. Ses avancées sont nombreuses et significatives.

Les discours sur la répression de la fraude fiscale ont souvent été incantatoires, faute d’être accompagnés, comme il se devait, par un renforcement de l’arsenal législatif. Animés ici d’un même volontarisme politique visant à réprimer les comportements frauduleux et, ce faisant, consolider le pacte fiscal et social qui relie entre eux chacun de nos concitoyens, Sénat et Assemblée nationale sont intelligemment parvenus à trouver des compromis sur les quarante-trois articles qui restaient encore en discussion.

Mme Sylvie Vermeillet. Le groupe Union Centriste se réjouit de l’issue conclusive de cette commission mixte paritaire. Le Sénat aura pesé de tout son poids dans la discussion, démontrant une nouvelle fois par la rigueur de ses travaux et la qualité de son expertise à quel point il est indispensable à la vitalité du débat démocratique.

Certes, nous pouvons déplorer la suppression par l’Assemblée nationale de neuf des dix-huit articles additionnels insérés par la Haute Assemblée. Mais nous pouvons surtout nous satisfaire de l’adoption en termes identiques de nombreuses dispositions, tel le renforcement, notamment sur l’initiative du groupe Union Centriste, à l’article 2 bis, du régime de répression du délit douanier de blanchiment.

De même, nous pouvons, à l’issue des travaux de la commission mixte paritaire, nous satisfaire du rétablissement à l’article 12 de la faculté transactionnelle de l’administration fiscale en cas de poursuites pénales, ou encore du rétablissement de l’article 6 dans la rédaction adoptée par le Sénat, qui permet d’écarter les personnes physiques du dispositif de publication des sanctions, en parfaite conformité avec le droit au respect de la vie privée.

Le Sénat aura globalement veillé à garantir la sécurité juridique et l’efficacité des régimes de sanctions et des procédures fiscales contenues dans le projet de loi.

Par ailleurs, comment ne pas se féliciter du rétablissement de l’article 4 ter, qui introduit un régime de responsabilité solidaire des plateformes en ligne en cas de non-paiement de la TVA par les vendeurs ? La commission des finances du Sénat et son rapporteur général l’ont souligné : depuis que nos voisins Britanniques ont mis en place ce système, la fraude à la TVA sur internet a reculé, tandis que les recettes fiscales afférentes à cet impôt ont augmenté. L’enjeu n’est pas mince, mes chers collègues, la TVA fournissant à elle seule la moitié des recettes budgétaires de l’État.

J’aimerais enfin saluer l’action décisive du Sénat s’agissant du « verrou de Bercy ».

Supprimant le monopole de l’administration fiscale, l’article 13 permettra, demain, l’automaticité de la transmission des dossiers de fraudes les plus graves, le procureur décidant seul de l’opportunité des poursuites. Réserver un traitement différencié pour les élus et hauts fonctionnaires, comme certains l’exigeaient, eût été fouler aux pieds les principes constitutionnels les plus élémentaires. Si nul ne doit être au-dessus de la loi, la réciproque est aussi vraie : nul ne doit être en dessous !

L’État de droit nous fournit un cadre solide et exigeant où affichage et démagogie politiques n’ont pas leur place.

Grâce à l’implication constructive de chacun, et des rapporteurs en particulier, nous sommes aujourd’hui en mesure d’adopter un texte attaquant effectivement la fraude fiscale. Il constitue aussi un signal. Nous souhaitons que ses dispositions influent dès à présent sur les comportements. (Applaudissements sur les travées du groupe Union Centriste, ainsi que sur des travées du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen et du groupe Les Républicains.)