M. le président. La parole est à M. le ministre de l’éducation nationale.

M. Jean-Michel Blanquer, ministre de léducation nationale. Monsieur Todeschini, nous allons nous retrouver sur bien des points, à commencer par l’amour de l’Italie…

C’est un sujet dont je parlais tout récemment avec l’ambassadrice d’Italie, parce que nous avons, en effet, à fortifier la diversité linguistique, donc des langues comme l’italien. Le tout dans le cadre d’une stratégie générale des langues qui ne date pas d’hier – vous avez eu raison de le souligner. Depuis une vingtaine d’années, des progrès ont été accomplis en France dans ce domaine : la situation est ainsi plus satisfaisante aujourd’hui que par le passé, même si bien des voies d’amélioration demeurent.

L’académie de Nancy-Metz a été interrogée sur l’enseignement des langues vivantes étrangères dans le premier degré dans le département de la Moselle, dont la commune de Talange fait partie. Au cours de l’année 2017-2018, les élèves du CP au CM2 ont bénéficié d’un enseignement de l’anglais à 56 %, de l’allemand à 41 %, de l’italien à 2 % et du luxembourgeois à 0,55 %. Ce portrait fait donc apparaître une certaine diversité linguistique dans un département significatif comme la Moselle.

La situation des deux écoles de Talange, qui comptent 450 élèves, est historiquement imprégnée par la culture italienne, comme vous l’avez expliqué, à travers la population de migrants italiens. Cette influence continue de vivre à travers l’enseignement de l’italien. D’ailleurs, le festival du film italien de Villerupt est une référence dans son domaine.

Dans le cadre d’un accord avec les autorités consulaires italiennes, l’enseignement de l’italien dans les deux écoles de la commune, ainsi qu’à Metz et à Moyeuvre-Grande, est assuré par trois locuteurs natifs, financés par le consulat. L’inspectrice de l’éducation nationale chargée de la circonscription du premier degré dont dépend Talange atteste la qualité de l’enseignement dispensé.

L’apprentissage de l’italien permet d’élargir le répertoire linguistique des élèves et vise l’obtention du niveau A1 en italien en fin de CM2. L’inspectrice de l’éducation nationale chargée du dossier n’a fait part d’aucun retour négatif des familles au sujet de cet enseignement.

Dans le cadre de la poursuite de la scolarité, la continuité linguistique est assurée au collège de Talange, qui offre dès la sixième une classe bilangue anglais-italien et l’enseignement de l’italien en langue vivante 2.

La commission académique sur l’enseignement des langues vivantes étrangères, présidée par le recteur de l’académie, est chargée de veiller à la diversité de l’offre de langues, ainsi qu’à la cohérence et à la continuité des parcours. Cette commission établit chaque année un bilan de l’enseignement et peut proposer des aménagements à la carte académique des langues.

Il est possible d’envisager, tout en préservant l’identité culturelle historique de ces écoles, de proposer l’apprentissage d’autres langues vivantes, en fonction des ressources en enseignants disponibles. C’est ainsi que, s’il me paraît bon que l’italien continue d’être enseigné fortement dans cette académie, des évolutions pourront éventuellement intervenir au nom de la diversité des langues.

M. le président. La parole est à M. Jean-Marc Todeschini, pour répondre à M. le ministre.

M. Jean-Marc Todeschini. Monsieur le ministre, je connais parfaitement la situation du département de la Moselle, en particulier du plateau lorrain, et la présence importante d’immigrés italiens de deuxième ou troisième génération.

L’italien comme langue de culture d’origine, les parents n’ont rien contre ! Mais, en l’occurrence, on impose cette langue à tous les jeunes. Ce que vous dit l’inspectrice de l’éducation nationale, qui est à Rombas et que je connais bien, est juste : sur l’enseignement et les enseignants italiens qui se succèdent, il n’y a pas rien à dire.

Je n’ai pas voulu aborder la question du consulat. C’est l’Italie, il est vrai, qui finance l’apprentissage de l’italien dans cette commune.

Reste que les parents s’inquiètent. Tous les matins, en effet, quelque 80 000 Mosellans franchissent la frontière pour travailler au Luxembourg ; dans le Grand Est, en comptant les trajets vers l’Allemagne, on dénombre 175 000 frontaliers. C’est pourquoi le département développe, en liaison avec vos services, un plan important en faveur de l’apprentissage de l’allemand.

Dans ce contexte, les parents ne peuvent pas comprendre que seul l’italien soit proposé, et, de fait, imposé. Je le répète, je n’ai rien contre cette langue. Simplement, je pense que, dans ces communes – il y en a où la présence d’immigrés italiens est encore plus forte qu’à Talange –, une diversité de possibilités pourrait être offerte. Cela s’est fait naguère, à une époque où l’allemand était enseigné par des professeurs de collège, mais ce n’est apparemment plus le cas.

situation scolaire des enfants dyslexiques

M. le président. La parole est à Mme Jocelyne Guidez, auteur de la question n° 367, adressée à M. le ministre de l’éducation nationale.

Mme Jocelyne Guidez. Monsieur le ministre, je souhaite appeler votre attention sur un sujet préoccupant : la situation scolaire des enfants dyslexiques.

Aujourd’hui, les différents troubles « dys » concerneraient environ 10 % de la population française. Dans ce contexte, je dois dire que les témoignages entendus à l’occasion de ma rencontre avec l’Association d’adultes et de parents d’enfants dyslexiques de l’Essonne semblaient en totale contradiction avec le discours officiel prononcé lors de la rentrée de septembre dernier.

En effet, alors qu’avait été annoncé « le développement de l’information aux familles afin de simplifier leurs démarches », ces mêmes familles parlaient plutôt d’un parcours du combattant et de méandres administratifs. Alors que « le renforcement de l’accompagnement humain » avait été présenté comme une priorité, les familles faisaient état d’un handicap invisible et d’un manque de communication, parfois même de considération. D’ailleurs, la formation des enseignants sur les troubles spécifiques du langage et des apprentissages est primordiale.

Enfin, alors que « le numérique au service d’une école inclusive » avait été vanté, ces parents dénonçaient une discrimination en constatant que leurs enfants se voyaient refuser pour des examens les aménagements auxquels ils étaient pourtant habitués en classe, comme des ordinateurs, la présence d’auxiliaires de vie scolaire ou du temps supplémentaire.

Certes, la scolarisation de ces jeunes aux besoins particuliers peut entraîner des difficultés pour l’administration ; je puis le concevoir. Toutefois, afin de les accompagner positivement dans leur parcours, il paraît légitime que des aménagements simples et pragmatiques soient mis en place pour simplifier la vie de ces nombreuses familles et soutenir ces enfants dans l’apprentissage des savoirs.

Monsieur le ministre, cette situation m’en rappelle malheureusement une autre : celle, elle aussi souvent oubliée, des jeunes aidants. S’occupant chaque jour d’un parent malade ou handicapé, ils sont épuisés : ils ont donc besoin d’une meilleure adaptation et mériteraient de bénéficier également d’un accompagnement personnalisé. Cela devient urgent !

En conclusion, et sans remettre en cause la sincérité de vos propos ni votre engagement plein et entier, un décalage entre les souhaits et la réalité du quotidien est à déplorer. Or l’école de la République ne saurait négliger l’idéal d’égalité auquel nous croyons tous !

Pour reprendre les mots de Jacques Chirac, « la démocratie, c’est l’égalité des droits, mais la République, c’est l’égalité des chances ». Ainsi, la société inclusive qu’appelle de ses vœux le Président de la République ne peut s’affranchir d’une école qui soit elle aussi inclusive.

C’est pourquoi je souhaite connaître, monsieur le ministre, vos engagements en faveur de ces enfants qui, comme tous les enfants, ont le droit de réussir.

M. le président. La parole est à M. le ministre de l’éducation nationale.

M. Jean-Michel Blanquer, ministre de léducation nationale. Madame Guidez, la question que vous soulevez est très importante et s’inscrit, en effet, dans l’enjeu de ce que nous appelons l’école inclusive. Il n’y a évidemment aucune différence entre vous et moi sur la priorité que constitue la réalisation de cette école inclusive.

Depuis les propos tenus par Jacques Chirac voilà une vingtaine d’années, les choses ont beaucoup évolué, et dans un sens plutôt positif. Il faut considérer la distance parcourue sur ce long chemin, qui suppose de nombreuses évolutions, à commencer par une amélioration de notre capacité à repérer les troubles « dys », ces problèmes divers et qui se complexifient à mesure que la recherche progresse. Un tel enjeu du repérage est à rattacher à ce que je disais précédemment de la médecine scolaire.

La formation des professeurs est le deuxième enjeu : un enjeu clé, car, si nous voulons une école inclusive, nous avons besoin de professeurs qui connaissent et comprennent ces questions, ce qui est plus le cas aujourd’hui qu’hier mais doit l’être encore bien davantage demain. La prochaine réforme de la formation des professeurs prendra pleinement en compte cette dimension.

Un troisième enjeu est la formation des personnels dédiés, qui sont de plus en plus nombreux. C’est pourquoi je suis moins d’accord avec vous au sujet du décalage à la rentrée dernière : nous avons créé 8 000 postes supplémentaires pour l’accueil des élèves en situation de handicap, ce qui a directement retenti sur les élèves atteints de troubles « dys ».

Certes, l’institution n’est peut-être pas encore parfaitement à la hauteur, quantitativement et qualitativement, mais elle est en progrès sur cette question, et nous avons pu suivre davantage d’élèves « dys » cette année que la précédente. À ces élèves, les plans d’accompagnement personnalisé, ou PAP, inscrits à l’article D. 311-13 du code de l’éducation permettent de bénéficier d’aménagements et d’adaptations pédagogiques.

En matière d’aménagements d’examen, nous recommandons vivement aux médecins scolaires d’accorder aux élèves les aménagements qu’ils sollicitent, dès lors que ceux-ci ont pu en bénéficier tout au long de leur parcours scolaire. C’est ce que l’institution scolaire s’engage à faire aujourd’hui et ce que nous avons pratiqué dans la période d’examen qui vient de s’achever.

Dans l’intérêt même de l’élève, et afin de ne pas l’exposer à des conditions d’examen qui ne lui seraient pas familières, les aides et aménagements qui lui sont accordés doivent être en cohérence avec ceux qui lui ont été accordés tout au long de sa scolarité.

Madame la sénatrice, c’est une politique d’ensemble que nous menons, Sophie Cluzel et moi-même, en faveur des élèves en situation de handicap, et elle prend pleinement en compte les élèves « dys ». Cette dimension est pleinement prise en compte dans notre politique pédagogique, de manière à prévenir certains troubles et à adopter, plutôt qu’une approche fondée sur la médicalisation, une approche pédagogique des problèmes « dys » – l’approche médicale étant mise en œuvre chaque fois que nécessaire, grâce aux liens entre l’éducation nationale et la santé.

Je suis totalement convaincu que nous sommes en progrès sur l’ensemble de ces questions et que la prochaine rentrée le montrera encore !

M. le président. La parole est à Mme Jocelyne Guidez, pour répondre à M. le ministre.

Mme Jocelyne Guidez. Monsieur le ministre, je vous remercie de votre écoute. J’espère que le chemin dont vous avez parlé, qui, jusqu’à présent, était semé d’embûches, débouchera sur une plus grande égalité des chances. Ces enfants en ont besoin.

Nous avons encore besoin de progresser, car les parents qui viennent nous voir rencontrent de sérieux problèmes. Ce n’est peut-être pas la réalité, mais ils ont l’impression de ne pas être suffisamment écoutés. La prochaine rentrée, dites-vous, sera certainement meilleure : nous l’attendons avec impatience.

M. le président. Nous en avons terminé avec les réponses à des questions orales.

Mes chers collègues, l’ordre du jour de ce matin étant épuisé, nous allons maintenant interrompre nos travaux ; nous les reprendrons à quatorze heures trente, pour l’examen du projet de loi relatif à la lutte contre la fraude.

La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à douze heures quinze, est reprise à quatorze heures trente, sous la présidence de M. Jean-Marc Gabouty.)

PRÉSIDENCE DE M. Jean-Marc Gabouty

vice-président

M. le président. La séance est reprise.

3

Candidatures à une éventuelle commission mixte paritaire

M. le président. J’informe le Sénat que des candidatures ont été publiées pour siéger au sein de l’éventuelle commission mixte paritaire chargée d’élaborer un texte commun sur le projet de loi pour l’équilibre des relations commerciales dans le secteur agricole et alimentaire et une alimentation saine, durable et accessible à tous.

Ces candidatures seront ratifiées si la présidence n’a pas reçu d’opposition dans le délai d’une heure prévu par notre règlement.

4

Mise au point au sujet d’un vote

M. le président. La parole est à Mme Nathalie Delattre.

Mme Nathalie Delattre. Monsieur le président, lors du scrutin n° 186 sur l’ensemble du projet de loi pour l’équilibre des relations commerciales dans le secteur agricole et alimentaire et une alimentation saine, durable et accessible à tous, Mme Véronique Guillotin souhaitait s’abstenir.

M. le président. Acte est donné de cette mise au point, ma chère collègue. Elle sera publiée au Journal officiel et figurera dans l’analyse politique du scrutin.

5

 
Dossier législatif : projet de loi relatif à la lutte contre la fraude
Discussion générale (suite)

Lutte contre la fraude

Discussion en procédure accélérée d’un projet de loi dans le texte de la commission

Discussion générale (début)
Dossier législatif : projet de loi relatif à la lutte contre la fraude
Demande de réserve

M. le président. L’ordre du jour appelle la discussion du projet de loi relatif à la lutte contre la fraude (projet n° 385, texte de la commission n° 603, rapport n° 602, avis n° 600).

La procédure accélérée a été engagée sur ce texte.

Dans la discussion générale, la parole est à M. le ministre.

M. Gérald Darmanin, ministre de laction et des comptes publics. Monsieur le président, monsieur le président de la commission des finances, monsieur le rapporteur, madame la rapporteur pour avis, mesdames, messieurs les sénateurs, je suis particulièrement heureux de défendre en premier lieu devant votre assemblée le projet de loi relatif à la lutte contre la fraude, après l’avoir présenté devant votre commission des finances.

En effet, la Haute Assemblée travaille depuis longtemps, quelle que soit sa majorité, sur la lutte contre la fraude, en particulier fiscale. C’est donc lui rendre justice que de lui permettre de travailler avec le Gouvernement sur ce sujet. Je sais que c’est dans cet esprit que vos auditions ont été menées et que M. le rapporteur général a travaillé.

Notre objectif est de lutter mieux encore contre la fraude fiscale et contre toute forme de fraude. J’ai souhaité, au nom du Premier ministre et du Président de la République, un texte aussi court que possible, afin qu’il ne se perde pas dans des méandres où l’essentiel disparaîtrait.

La fraude, c’est du vol. C’est de l’argent qui manque dans les caisses de la Nation pour améliorer la solidarité et le fonctionnement des services publics. C’est un impôt davantage concentré sur ceux qui paient honnêtement le juste impôt que nous devons à la Nation.

Partant de ce principe, nous devons renforcer les dispositions législatives qui nous permettent, au sein de la direction générale des finances publiques, de la direction générale des douanes, du ministère de l’intérieur et du ministère de la justice, de mieux lutter contre la fraude fiscale et contre toute forme de fraude.

Peut-être pouvons-nous nous arrêter quelques instants sur l’évaluation : combien la fraude fiscale représente-t-elle en France ?

M. François Bonhomme. Bonne question !

M. Gérald Darmanin, ministre. De très nombreux chiffres sont avancés et, comme toujours, il est difficile d’estimer un phénomène qui est caché.

J’entends parler de 60 à 80 milliards d’euros. Je m’étonne de ces montants, qui correspondent parfois à l’exact montant du déficit public… Il ne faudrait pas que ces évaluations nous portent à la paresse dans la réduction de nos dépenses publiques, avec l’idée qu’il suffirait de lutter contre la fraude pour restaurer l’équilibre des comptes publics.

Il est vrai que le montant de 20 milliards d’euros, sur lequel nous ne recouvrons que 12 milliards d’euros, de redressements en tout genre, constaté régulièrement, notamment dans le budget précédent, qui permet d’avoir un chiffre officiel validé par le Gouvernement, est sans doute bien en deçà de la réalité de la fraude fiscale. Je dirais donc, à première vue, que le montant annuel de la fraude fiscale se situe entre 20 et 80 milliards d’euros…

Pour essayer de limiter les incertitudes, j’ai proposé, monsieur le président de la commission des finances, monsieur le rapporteur, qu’avec votre assemblée, dans toute sa diversité politique, ainsi qu’avec l’Assemblée nationale, nous nous réunissions en septembre à Bercy, avec aussi les organisations non gouvernementales, l’OCDE et les spécialistes de la direction générale des finances publiques, afin de travailler à une méthodologie qui nous permette d’approcher du chiffre le plus consensuel possible.

Nous pourrons ainsi améliorer notre perception du phénomène et, peut-être, rendre possible un travail sur la partie immergée de l’iceberg.

Cette suggestion que je vous soumets est, je crois, originale, car il est rare que Bercy propose ainsi d’objectiver un montant de fraude – une fraude que nous essayons par ailleurs de combattre.

Monsieur le rapporteur, mesdames, messieurs les sénateurs, nous avons voulu un texte court. Mais, pour être court, le projet de loi n’en prévoit pas moins des moyens très importants pour lutter contre la fraude fiscale, de manière extrêmement pragmatique, sans idéologie et peut-être même sans grands effets de manche.

Sans vouloir parler à votre place, monsieur le rapporteur, vous avez reconnu que ce texte était intéressant, et il a, je crois, été salué par votre commission. Il l’a été aussi par les syndicats, y compris par ceux qui sont parfois les plus contestataires quand j’ai la chance de discuter avec eux au sujet des agents des finances publiques.

De fait, ce projet de loi va manifestement assez loin dans la frontière un peu trouble entre l’évasion et la fraude – parfois même, monsieur le rapporteur, entre le conseil et le montage fiscal frauduleux.

Surtout, nous avons entendu préserver les droits du Parlement, qui travaille depuis de nombreuses années sur un grand nombre de dispositions en la matière.

Ainsi, monsieur le rapporteur, mesdames, messieurs les sénateurs, j’essaierai d’émettre le plus grand nombre possible d’avis favorables sur vos amendements, de même que sur ceux des députés, quelle que soit la sensibilité de leurs auteurs, dès lors que ces initiatives ne dénatureront pas le texte. Vous aurez d’ailleurs remarqué, monsieur le rapporteur, que, à de très rares exceptions près, le Gouvernement n’a pas déposé d’amendement de suppression sur le texte de la commission, afin de respecter le travail de la Haute Assemblée.

La question médiatique, peut-être même parfois anecdotique, plus que profonde, du « verrou de Bercy » occupera sans doute une partie de nos travaux. Le Gouvernement n’a pas souhaité l’intégrer dans le texte adopté en conseil des ministres, parce que la mission d’information commune de l’Assemblée nationale sur les procédures de poursuite des infractions fiscales, présidée par M. Diard et dont Mme Cariou était la rapporteur, travaillait sur cette question, bien mal nommée, du « verrou de Bercy ». Nous avons ainsi souhaité respecter le temps du Parlement.

Sur ce sujet, monsieur le rapporteur, vous avez fait adopter par la commission un amendement reprenant, avec de légères modifications, l’essentiel de ce que nous avons proposé, pour la première fois dans l’histoire de ce verrou.

Je rappelle que, à la fin des années soixante-dix, le président Giscard d’Estaing et sa majorité ont voulu protéger les contribuables du pouvoir politique en mettant en place la commission des infractions fiscales. Depuis lors, plusieurs décisions sont intervenues, notamment du juge constitutionnel, interdisant de condamner une même personne deux fois pour un même motif, à l’exception des cas les plus graves.

Même si l’Assemblée nationale pourra, si elle le souhaite – j’imagine que ce sera le cas –, améliorer le dispositif en la matière, je donnerai mon accord de principe pour que les clés du verrou, si j’ose dire, reviennent au Parlement et qu’il vous appartienne de définir les critères.

Nous avons évoqué, au cours de nombreuses auditions, la difficulté de mener des enquêtes fiscales. À cet égard, je regrette – c’est peut-être le seul point de désaccord entre nous – que la commission ait supprimé l’article 1er du projet de loi, notamment la police fiscale.

Madame la rapporteur pour avis, l’argument selon lequel nous pourrions renforcer la police qui travaille sur les enquêtes fiscales au sein du ministère de l’intérieur, sous prétexte d’éviter un doublon, n’est à mon avis pas pertinent.

Les enquêtes fiscales, lorsque le procureur de la République est saisi, peuvent être confiées à la brigade du ministère de l’intérieur où travaillent des agents des impôts ou à un autre service, dirigé par un magistrat – en l’occurrence, une magistrate – et qui dépend du ministre de l’action et des comptes publics, même s’il est évidemment autonome, puisqu’il ne peut être saisi que dans le cadre d’un travail judiciaire. Je veux parler du service national de douane judiciaire, ou SNDJ, qui a été créé voilà quelques années et qui a fait montre d’une grande efficacité. Ce service d’enquête douanière permet de lutter contre les faits connexes de blanchiment, de contrebande, de contrefaçon et de trafic.

Un magistrat a donc aujourd’hui deux services à sa disposition : la brigade nationale de répression de la délinquance fiscale, la BNRDF, et le SNDJ.

J’essaierai de vous convaincre de l’intérêt de notre proposition : créer une police fiscale, placée, évidemment, sous l’autorité d’un magistrat – elle ne pourra pas être saisie par le ministre de l’action et des comptes publics – et qui pourra travailler sur les enquêtes concernant spécifiquement – il appartiendra au magistrat d’en juger, et c’est lui qui aura la possibilité de saisir ou non tel ou tel service – la fraude fiscale. Il s’agit en effet, il faut bien le dire, d’un service très particulier, qui mène des enquêtes très particulières.

Je fais remarquer à la représentation nationale que l’une des difficultés de notre droit et de notre pratique tient à ce que, lorsque, après le verrou, la direction générale des finances publiques transmet un dossier, par exemple, à la commission des infractions fiscales, qui elle-même le transmet à la justice, non seulement il s’écoule un temps parfois très long entre le moment où la plainte est déposée, celui où l’instruction est faite et celui où la personne est inquiétée, mais la spécificité de l’enquête fiscale ne résiste pas tellement à la procédure judiciaire.

Nous le constaterons ensemble, pas grand monde, voire personne, ne va en prison pour fraude fiscale seule. Même dans les affaires médiatiques, lorsque nous nous attendons toutes et tous à ce que des condamnations fermes ne soient pas remises en cause. Tout récemment encore, une très grande affaire, qui a mobilisé les services de Bercy et de la justice, s’est terminée par, dirons-nous, une mauvaise nouvelle pour les finances publiques et la justice, du fait de vices de procédure.

Sans doute la spécificité de l’enquête fiscale justifie-t-elle un certain nombre de mesures. C’est pourquoi je vous proposerai de rétablir l’article 1er du projet de loi, relatif à la police fiscale. Si, malheureusement, votre assemblée en décidait autrement, je suis certain que l’Assemblée nationale suivrait le Gouvernement sur ce point.

Parce que je m’efforce de travailler en bonne intelligence avec la Haute Assemblée, j’ajoute, dans la perspective de l’accord aussi efficace que possible auquel nous souhaitons parvenir, que le Gouvernement ne pourra pas reculer, y compris en commission mixte paritaire, sur l’article 1er et la police fiscale qu’il instaure.

Monsieur le rapporteur, vous avez évoqué plusieurs sujets, notamment lors des discussions relatives au projet de loi de finances et vous le ferez sans doute encore à l’avenir dans le cadre de l’examen du prochain projet de loi de finances. Je veux parler de la fiscalité et de la lutte contre la fraude des plateformes.

Nous avions déjà bien avancé avec les derniers textes qui faisaient suite à l’amendement Cherki déposé à l’Assemblée nationale ; en effet, ce premier pas ne nous permettait pas d’aller plus avant comme nous le souhaitions. Nous avons donc travaillé sur un certain nombre de plateformes notamment hôtelières – je ne veux pas citer nommément les sites visés –, et nous avons bien progressé ; chacun des élus pourra constater que le Gouvernement a tenu sa promesse, encouragé, il est vrai, par les deux assemblées.

Je suis prêt à examiner les dispositions que vous évoquez, monsieur le rapporteur – peut-être faudra-t-il les affiner si vous permettez que nous ayons une discussion sur ce point. Vous aurez constaté qu’il n’y a pas d’amendement de suppression concernant, notamment, la TVA pour ces plateformes – je sais que c’est l’un de vos chevaux de bataille, à l’instar de nombreux membres de cette assemblée. Nous aurons peut-être aussi cette discussion à l’Assemblée nationale.

Même s’il ne faut pas décourager la nouvelle économie, il n’y a pas de raison que, en matière fiscale, celle-ci soit traitée de manière distincte de l’ancienne économie, si je puis dire. Aussi, nous examinerons les amendements présentés par votre assemblée, notamment par vous-même, monsieur le rapporteur, avec un œil bienveillant, comme je l’avais souligné dans le cadre de l’examen de la loi de finances.

Permettez-moi de m’arrêter quelques instants sur plusieurs autres dispositions, qui font naître, me semble-t-il, des petites révoltes, plutôt qu’une grande révolution, pour reprendre vos termes, monsieur le rapporteur.

J’aborderai d’abord la question du renforcement des capacités de contrôle informatique en matière douanière.

Les agents des douanes font un travail très important : vous le savez, ils concourent à la sécurité de la Nation en tenant les frontières et, parfois, en luttant contre le terrorisme. Leur action est évidemment très importante dans le Brexit, avec l’accompagnement de nos entreprises en matière de fiscalité. Mais ils sont aussi parfois, et souvent en premier lieu, confrontés à des contrebandiers, des fraudeurs, des malfaisants, on peut le dire, qui les rudoient avec une certaine énergie. Or la loi ne permet malheureusement pas de sanctionner comme il se doit ceux qui ne se plient pas aux contrôles des douaniers.

Ainsi, l’article 2 prévoit de renforcer les capacités de contrôle informatique en matière douanière, et je suis certain que votre assemblée, qui a eu l’occasion, en lien avec la commission des finances, de conduire avec intérêt quelques missions sur le travail, très important, de nos douaniers, sera encouragée à renforcer les moyens que nous pourrons octroyer à ces derniers, ainsi qu’aux agents des impôts.

L’article 3 concerne l’échange d’informations entre administrations à des fins de lutte contre la fraude. À cet égard, nous aurons à réaliser un travail très important avec l’ensemble des administrations de contrôle, c’est-à-dire l’URSSAF ou encore les agents de l’inspection du travail.

La lutte contre la fraude exige parfois des moyens, ainsi qu’une mutualisation dans l’échange d’informations que la loi ne permet pas. Il est évident que les administrations de contrôle, lorsqu’elles sont face à de véritables fraudeurs, doivent recourir à toutes les dispositions en vigueur et à toutes les informations possibles pour avoir un accès direct, avec l’efficacité la plus grande, au fichier de la Direction générale des finances publiques, la DGFiP, mais nous aurons cette discussion ultérieurement.

Je ne reviendrai pas sur l’article 4 relatif aux plateformes d’économie collaborative, parce qu’un débat intéressant sur ce sujet aura lieu dans les deux assemblées.

En revanche, je veux évoquer avec vous la question assez importante de ceux qui conseillent non pas l’optimisation de l’impôt – on peut porter un jugement moral sur l’optimisation fiscale, mais ce n’est pas contra legem –, mais des montages de fraude fiscale.

Dans la phase préparatoire de ce texte, il m’est arrivé à plusieurs reprises de rencontrer des contrôleurs fiscaux, notamment ceux qui réalisent des perquisitions fiscales – Bercy peut en faire dans le cadre de telle ou telle enquête. Ceux-ci ont la preuve irréfutable que des conseils proposent non pas des optimisations, mais des montages de fraude fiscale, sans le moindre questionnement. Souvent, on n’organise pas seul son évasion fiscale…

C’est pourquoi il est essentiel d’arrêter et de condamner – en tout cas, il faut que vous nous aidiez à le faire – ceux qui proposent, de façon industrielle, des montages fiscaux frauduleux. La frontière est évidemment mince ; le Parlement aura donc intérêt à préciser l’esprit de la loi avec le Gouvernement pour distinguer le conseil de celui qui propose un montage frauduleux ; il ne doit pas y avoir de doute sur ce point.

Toutefois, monsieur le rapporteur, permettez-moi d’être un peu en désaccord avec l’idée que vous défendez selon laquelle il faudrait attendre que la personne soit condamnée pour poursuivre la personne qui aura fait ce montage frauduleux. Il me semble, au contraire, que nous pourrions le faire dans le même temps, ce qui ne signifie pas qu’il n’y aura pas de voie de recours pour les personnes que nous poursuivrons ; mais nous aurons sans doute cette discussion.

Ce point est très important, et j’accepterai sans doute les amendements visant à aggraver les peines que nous avons évoquées dans le texte. Comme je l’ai indiqué en commission, il s’agit en quelque sorte d’un article d’appel de la part du Gouvernement. Sans doute trouverons-nous la bonne sanction, de nature à décourager les uns et les autres d’œuvrer dans l’industrie de la fraude.

L’article 6 prévoit un changement très important pour répondre aux demandes à la fois des gouvernements précédents et des législatures précédentes ; il est conforme à la jurisprudence du Conseil constitutionnel : il s’agit de la publication des sanctions administratives appliquées aux personnes morales à raison de manquements fiscaux graves et frauduleux qu’elles ont pu commettre ; c’est ce que l’on appelle le name and shame. Cela permettra, j’en suis sûr, de contribuer au civisme fiscal que certains d’entre vous encouragent et auquel je m’associe.

La réputation fiscale présente un grand intérêt, et nos concitoyens demandent, me semble-t-il, cette transparence, qu’il s’agisse des sanctions pénales ou administratives, mais nous y reviendrons ultérieurement. Nous avons encore un petit désaccord sur ce point, monsieur le rapporteur, mais je suis sûr que le débat permettra de le lever ici ou à l’Assemblée nationale.

L’article 8 aggrave les amendes, tandis que l’article 9 étend la procédure dite du « plaider-coupable » – cette procédure a bien fonctionné depuis le vote de la loi Perben II, qui a permis, entre 2012 et 2016, de simplifier des dizaines de milliers de procédures, afin de condamner mieux et plus vite un certain nombre de fraudeurs. Nous souhaitons ici améliorer l’efficacité du dispositif.

Enfin, par l’article 10, nous souhaitons mettre en avant le travail très important des douaniers, en aggravant les sanctions contre ceux qui entravent leur action.

Deux derniers points sont en débat.

L’article 11 évoque la liste des paradis fiscaux, des trous noirs fiscaux, en bref, des pays qui ne jouent pas le jeu que la France souhaite mener, à l’instar de certains autres pays. Aussi, nous devons ici prendre des engagements.

Pour ma part, je me suis engagé, d’ici à la fin de l’adoption définitive de ce texte, c’est-à-dire à la fin du mois d’août ou au début du mois de septembre prochain, à faire la tournée de ce qu’il est convenu d’appeler les « trous noirs fiscaux ».

Aujourd’hui, la position du Gouvernement est d’être conforme au droit européen et au droit français. Cela ne signifie en aucun cas que nous ne pouvons pas faire avancer le débat européen.

L’une des difficultés – le sénateur Éric Bocquet le sait – tient au fait que, pour l’instant, les choses sont déclaratives. Viendra le moment, dans un an et demi, où les choses seront constatées. C’est ainsi que l’Union européenne a construit sa liste noire. Sans doute les choses sont-elles lentes, trop lentes, mais elles avancent, et je suis certain que le débat parlementaire qui aura lieu ici et à l’Assemblée nationale aidera le Gouvernement à intervenir plus efficacement.

En effet, on ne peut pas construire la même Europe avec de telles différences en matière de fiscalité. Celles-ci ne tiennent pas simplement à une décision politique ; elles s’apparentent plutôt à ce que l’on pourrait appeler un montage frauduleux européen dans la mesure où telle ou telle entreprise bénéficie de manquements à la solidarité fiscale européenne, pourrais-je dire, pour laisser la valeur s’échapper : c’est donc de l’argent qui ne rentre pas dans les caisses de l’État, alors que ce devrait justement être le cas.

Le dernier point concerne le tabac. Plusieurs sénateurs – je pense à M. Daudigny ou M. Grand – ont déposé des amendements sur ce sujet, sur lesquels j’émettrai sans doute un avis favorable – peut-être faudra-t-il en discuter plus largement. Le Gouvernement déposera aussi un amendement en séance publique, car la lutte contre le tabac de contrebande, le tabac de contrefaçon, le tabac qui n’est pas vendu par les seuls à pouvoir le vendre, c’est-à-dire les buralistes, des préposés de l’administration qui exercent un métier difficile, doit mobiliser toute l’énergie du Gouvernement.

À cet égard, j’ai donné des instructions extrêmement claires à M. le directeur général des douanes, qui les appliquera dès cet été, afin que les agents ne fassent plus preuve d’aucune marque de patience, ni d’écoute, ni de simplicité administrative envers ceux qui voudraient passer telle ou telle frontière avec plus de cartouches de cigarettes que cela n’est normalement autorisé.

Vous le savez, dans le passé, nous avons eu un désaccord avec la Commission européenne sur ce point. Mais l’augmentation du prix du tabac, assumée par le Gouvernement et qui porte ses fruits, vise à lutter très fermement contre ce qui pourrait s’apparenter à un laisser-aller en matière de santé : si le tabac vendu chez les buralistes est mauvais, il l’est sans doute plus encore ailleurs parce que ce produit n’est pas contrôlé. Nous devons donc à la santé des Français, mais aussi aux buralistes, d’être très fermes dans la lutte contre les trafics.

Pour ce faire, nous avons renforcé le service Cyberdouane, ce qui a permis, vous l’avez vu très récemment, de réaliser d’importantes saisies, notamment sur le dark web, où, hors des circuits traditionnels, se vend malheureusement désormais du tabac, en même temps que d’autres produits.

Par ailleurs, nous avons renforcé nos frontières. Dès ma prise de fonctions, je suis allé en Andorre et ailleurs pour renforcer les coopérations ; vous avez pu voir les énormes saisies réalisées par les douaniers grâce aux contrôles opérés en commun avec la police andorrane.

Sur ce sujet, je déposerai un amendement visant à respecter stricto sensu le nombre de paquets de cigarettes que les citoyens ont le droit de transporter hors de l’Union européenne et à l’intérieur de l’Union. L’instruction donnée aux services douaniers est claire : à partir du mois de juillet, il ne sera plus possible d’accepter des paquets de cigarettes ou de cigarillos en sus, parce qu’il est trop compliqué de dresser des procès-verbaux ou parce que ceux-ci attendent de faire une saisie importante.

Dans le même temps, le Gouvernement donnera un avis positif – je ne veux pas donner un avis favorable, car nous verrons quelle discussion nous aurons en séance publique – sur les amendements visant à alourdir les sanctions. Nous le devons aux buralistes, à la santé des Français et aux douaniers qui réalisent, chaque jour, un travail important sur notre territoire.

Monsieur le président de la commission des finances, monsieur le rapporteur, madame la rapporteur pour avis, mesdames, messieurs les sénateurs, c’est donc avec un esprit constructif que j’aborde cette discussion. Je souhaite être présent tout au long des débats, mais je devrai m’absenter en fin de journée,…