M. le président. La parole est à M. Thani Mohamed Soilihi, pour le groupe La République En Marche.

M. Thani Mohamed Soilihi. Monsieur le président, madame la ministre auprès du ministre d’État, ministre de l’intérieur, mes chers collègues, depuis le 10 mai, Mayotte subit ce que les spécialistes appellent un « essaim de séismes ».

Plus de 800 secousses ont été enregistrées, dont la plus importante d’entre elles et depuis trente ans, a atteint une magnitude de 5,8 sur l’échelle de Richter, le 15 mai dernier.

L’île se situe en zone sismique modérée et n’est historiquement pas une région où les séismes sont fréquents.

Aussi, cette activité, encore actuelle, continue et quotidienne, dont l’intensité et la durée demeurent incalculables, terrorise légitimement la population.

La propagation de rumeurs sur les réseaux sociaux alimente la panique générale, entraînant ainsi la saturation des standards des lignes de secours.

La population, peu informée sur la conduite à tenir en pareille situation, préfère passer la nuit dehors, en dépit des règles de sécurité habituelles.

Par ailleurs, eu égard à la précarité de l’habitat, les dégâts commencent à se faire sentir.

Au sein des bâtiments publics, tout d’abord, puisque des salles de classe, et parfois même des écoles entières, ont été, en raison de leur potentielle instabilité, temporairement fermées dans plusieurs communes.

Les habitations privées sont, elles aussi, touchées.

S’il appartient aux propriétaires de mandater un expert pour faire constater les dommages subis, peu de familles ont, en réalité, les moyens financiers de faire réaliser cette expertise et, le cas échéant, de se reloger.

Qu’entend faire le Gouvernement pour rassurer la population, non habituée à ce type de catastrophes naturelles ?

Cette situation étant inédite, dans quelle mesure pourrait-on mobiliser immédiatement des moyens exceptionnels pour mieux diagnostiquer le phénomène, accompagner les familles les plus modestes mais aussi pour que, collectivement, État, département et communes soient mieux préparés à faire face à une crise majeure ?

À l’avenir, l’ensemble des infrastructures ne devra-t-il pas respecter les normes de construction parasismiques ? (Applaudissements sur des travées du groupe La République En Marche.)

M. le président. La parole est à Mme la ministre auprès du ministre d’État, ministre de l’intérieur.

Mme Jacqueline Gourault, ministre auprès du ministre dÉtat, ministre de lintérieur. Monsieur le vice-président Thani Mohamed Soilihi, la région de Mayotte est actuellement touchée, il est vrai, par ce que les experts nomment « un essaim de séismes » – vous l’avez dit. Contrairement à la sismicité classique dans laquelle un choc principal est suivi de répliques de magnitude décroissante, le phénomène d’« essaim sismique » n’a pas d’événement dominant. Il est d’ailleurs à prévoir que cette activité perdure sans, à ce stade, pouvoir en donner une durée très précise.

Ce phénomène inquiète légitimement les Mahorais, qui n’en ont pas l’habitude. L’État met naturellement tout en œuvre pour informer la population en continu et de manière fiable. La préfecture diffuse quotidiennement, par voie de communiqués de presse et de messages sur les réseaux sociaux, toutes les consignes nécessaires en matière de prévention et d’anticipation en s’attachant à relayer les analyses du Bureau de recherches géologiques et minières, le BRGM.

L’objectif est justement de prévenir tout développement de rumeurs, vous l’avez dit, ou de mauvaises interprétations d’informations collectées sur internet.

Par ailleurs, les consignes de sécurité sont, elles aussi, systématiquement transmises aux maires, aux acteurs économiques, aux agents publics et aux médias.

À ce stade, vous l’avez dit, quelques dégâts matériels font tous l’objet d’expertises, notamment dans les écoles de Dembéni et de Combani. L’État mobilise aussi l’ensemble de ses services pour y répondre.

Notre état-major de zone et de protection civile de l’océan Indien a dépêché, au cours de ces derniers jours, une mission de reconnaissance pour anticiper une éventuelle projection de renforts et préparer le plan d’intervention.

Par ailleurs, des échanges sont en cours à l’échelon interministériel pour préparer le déploiement prochain, depuis la métropole, d’une mission d’expertise interservices composée de spécialistes, notamment de la sécurité civile, et de scientifiques spécialistes en sismologie. (MM. François Patriat, Claude Haut, André Gattolin et Jean-Marc Gabouty applaudissent.)

politique agricole commune

M. le président. La parole est à M. Jean Bizet, pour le groupe Les Républicains. (Applaudissements sur des travées du groupe Les Républicains.)

M. Jean Bizet. Ma question s’adresse à M. le Premier ministre et a trait précisément au montant du cadre financier pluriannuel européen pour les années 2020–2027.

La récente proposition de la Commission se chiffre à hauteur de 373 milliards d’euros, c’est-à-dire 1,114 % du revenu national brut des vingt-sept États membres.

Si je me réjouis de l’augmentation importante des crédits affectés tant à la protection des frontières extérieures de l’Union qu’à la lutte contre l’immigration illégale ou à la création d’un Fonds européen de la défense ou de l’Europe de l’innovation, je suis particulièrement critique quant à la baisse annoncée des crédits de la politique agricole commune et des fonds de cohésion.

Pour la seule politique agricole commune, cela se traduira, pour le premier pilier, par une diminution des crédits de 14,7 % et, pour le deuxième pilier, par une diminution des crédits de 27,3 %.

Ma critique est plus sévère encore après avoir entendu, jeudi dernier, lors de son audition devant la commission des affaires européennes et la commission des finances, le commissaire Oettinger souligner très clairement le double langage de la France. Je m’explique : à Bruxelles, la France n’a pas suivi la proposition de l’Allemagne, qui consistait à augmenter le cadre financier pluriannuel ; à Paris, la France s’en émeut et se lamente.

Ma question est simple : quelle est la véritable position de la France sur le montant du cadre financier pluriannuel ? (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et du groupe Union Centriste.)

M. le président. La parole est à M. le secrétaire d’État auprès du ministre de l’Europe et des affaires étrangères.

M. Jean-Baptiste Lemoyne, secrétaire dÉtat auprès du ministre de lEurope et des affaires étrangères. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, monsieur le président Jean Bizet, la France a toujours été constante : oui, il y a de nouveaux défis à relever et, de ce point de vue, certains éléments du nouveau cadre financier pluriannuel – propositions mises sur la table par la Commission – peuvent aller dans le bon sens. C’est le cas quand on parle de défense, quand on parle d’innovation, de gestion des frontières externes. Mais la France a aussi dit avec constance qu’il nous fallait préserver un certain nombre de politiques fondamentales qui font l’Europe au quotidien, dont la politique agricole commune, la PAC.

L’Europe, on s’en souvient, c’est le charbon, c’est l’acier, mais c’est aussi, dès 1957, la PAC et nous y sommes fondamentalement attachés.

La France l’a dit très clairement dès le 2 mai, elle n’acceptera pas cette baisse drastique proposée par la Commission européenne, tout simplement parce qu’elle pourrait emporter des conséquences très importantes sur la viabilité de nombreuses exploitations.

Pour la France, non, la PAC n’est pas une variable d’ajustement ! C’est clair, c’est net, c’est précis, cela a été dit et on le redit ! Stéphane Travert sera d’ailleurs, ce jeudi, à Madrid, avec un certain nombre de ses homologues, pour consolider le soutien à cette politique. Monsieur le président Bizet, nous étions ensemble à Buenos-Aires au mois de décembre, lors de la session ministérielle de l’Organisation mondiale du commerce, l’OMC. Vous l’avez vu, la France a su, à ce moment-là, pour défendre notre agriculture, réactiver une coalition d’États membres qui avaient arrêté un certain nombre de lignes rouges en matière de négociations commerciales internationales. Nous sommes tout à fait dans cette logique de montrer notre attachement à cette politique.

Il y a d’ailleurs des marges de manœuvre : en matière de recettes, parlons des rabais qui peuvent éventuellement être supprimés plus vite que prévu ! Parlons des ressources propres ! Vous le voyez, monsieur le président, nous avons une ferme détermination à défendre, à Paris comme à Bruxelles, partout, cette politique ! (Applaudissements sur les travées du groupe La République En Marche.)

M. le président. La parole est à M. Jean Bizet, pour la réplique.

M. Jean Bizet. Monsieur le secrétaire d’État, permettez-moi deux remarques.

D’abord, il ne nous reste que quelques mois – quelques mois seulement ! – pour trouver des alliés et conclure des accords. La première réunion aura lieu jeudi prochain.

Ensuite, un agriculteur français sur trois vit aujourd’hui – ou plus exactement survit – avec 350 euros par mois.

M. Jean-François Husson. C’est inacceptable !

M. Jean Bizet. Vous imaginez que toute baisse des dotations communautaires aura une répercussion humaine et territoriale dramatique, d’autant que je ne vois pas la stratégie économique agricole de ce pays.

M. Jean-François Husson. Eh oui ! C’est bien le problème !

M. Jean Bizet. Ce qui annonce le déclin de l’agriculture française, et je le redoute ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et sur des travées du groupe Union Centriste. – M. Franck Menonville applaudit également.)

intempéries en nouvelle-aquitaine

M. le président. La parole est à Mme Françoise Cartron, pour le groupe socialiste et républicain. (Applaudissements sur des travées du groupe socialiste et républicain.)

Mme Françoise Cartron. Madame la ministre, mon intervention se situe dans la continuité des interventions de mes deux collègues élus de la région Nouvelle-Aquitaine et concerne bien évidemment ce terrible épisode de grêle qui s’est abattu sur notre territoire samedi dernier. Certaines propriétés sont totalement dévastées !

En Gironde, ce sont les vignobles d’appellations dont les noms, souvent, chantent à vos oreilles – Côtes-de-Blaye, Côtes-de-Bourg, Haut-Médoc, Sud-Médoc – qui ont été dévastés, pour certains, et qui, tous, sont malheureusement concernés.

Selon les dernières estimations, près de 7 000 hectares du Bordelais ont été impactés par les violents orages, mais aussi 3 000 hectares dans le bassin Charentes-Cognac.

Cette situation est catastrophique pour les exploitants concernés et la production viticole. Elle aurait d’ailleurs, malheureusement, tendance à se répéter de façon alarmante. Pas une année sans que les volumes de récoltes soient entamés par des épisodes climatiques de grande ampleur !

Devant les vives inquiétudes des exploitants, je vous demande, madame la ministre, de bien vouloir préciser – en plus des dispositifs d’indemnisation envisagés précédemment évoqués – les actions de prévention que le Gouvernement serait en mesure de prendre sur le long terme afin de faire face à de futurs épisodes de ce type.

En effet, parallèlement à l’indemnisation des pertes subies – que nous souhaitons la plus rapide et la plus juste possible – se pose la question du financement d’un matériel modernisé de prévention avec l’objectif de préserver l’activité de la filière agricole dans son ensemble.

Dans mon département, il existe une structure, l’Association départementale d’études et de lutte contre les fléaux atmosphériques, qui tente d’anticiper la formation des grêlons liés à la température froide en altitude par ensemencement des masses nuageuses menaçantes, quelques heures avant le déclenchement de leur précipitation. Que pensez-vous, madame la ministre, de ce type de dispositif ?

Indemniser, oui ! Réparer, oui ! Mais, aujourd’hui, il convient aussi de mieux anticiper et de prévenir le plus possible ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain. – M. Richard Yung applaudit également.)

M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d’État auprès du ministre d’État, ministre de la transition écologique et solidaire.

Mme Brune Poirson, secrétaire dÉtat auprès du ministre dÉtat, ministre de la transition écologique et solidaire. Mesdames, messieurs les sénateurs, madame la sénatrice Françoise Cartron, je vous prie à nouveau d’excuser l’absence de Stéphane Travert. (Exclamations sur les travées du groupe Les Républicains.)

Il est, vous le savez, retenu par un projet de loi particulièrement important, relatif aux états généraux de l’alimentation et il m’a donc chargé de vous répondre.

La répétition des aléas climatiques – gel en 2017 et grêle en 2018 – rappelle l’importance pour les entreprises agricoles, notamment les exploitations viticoles, de s’inscrire dans une démarche globale de gestion des risques.

L’amélioration de la résilience des entreprises est un axe de travail majeur pour le Gouvernement, comme vous le savez, madame la sénatrice. Sous l’égide du ministère de l’agriculture, une réflexion a été engagée en vue d’améliorer et de rendre l’ensemble de ces objectifs le plus cohérent possible.

Je veux attirer votre attention sur le fait que certains investissements matériels peuvent permettre aux exploitations de se prémunir contre certains risques – filet anti-grêle, dispositif d’irrigation, notamment. Dans plusieurs régions, ces investissements peuvent d’ailleurs être soutenus financièrement.

La mise en place d’une réserve de précaution est l’un des outils permettant de faire face aux aléas. Tel est le cas de la dotation pour aléas, qui fait aujourd’hui l’objet d’une réflexion dans le cadre du chantier sur la fiscalité agricole lancé par MM. Stéphane Travert et Bruno Le Maire. L’assurance multirisque climatique doit aussi être encouragée.

Enfin, le développement d’outils de gestion des risques plus performants constitue l’un des enjeux importants de la prochaine PAC. Ce sujet fait donc l’objet d’une attention toute particulière pour le ministre de l’agriculture et de l’alimentation,…

Plusieurs sénateurs du groupe socialiste et républicain. Il est où ? (Sourires.)

Mme Brune Poirson, secrétaire dÉtat. … comme pour l’ensemble du Gouvernement. (Applaudissements sur des travées du groupe La République En Marche.)

M. le président. Monsieur le Premier ministre, mesdames, messieurs les ministres, mes chers collègues, nous en avons terminé avec les questions d’actualité au Gouvernement.

Je vous rappelle que la prochaine séance de questions d’actualité au Gouvernement aura lieu le jeudi 7 juin, à quinze heures. Elles seront retransmises sur Public Sénat, sur le site internet du Sénat et sur Facebook.

Mes chers collègues, nous allons interrompre nos travaux pour quelques instants.

La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à dix-sept heures quarante, est reprise à dix-sept heures cinquante-cinq, sous la présidence de M. Thani Mohamed Soilihi.)

PRÉSIDENCE DE M. Thani Mohamed Soilihi

vice-président

M. le président. La séance est reprise.

5

Décès d’un ancien sénateur

M. le président. Mes chers collègues, j’ai le regret de vous faire part du décès de notre ancien collègue André Maman, qui fut sénateur des Français établis hors de France de 1992 à 2001.

6

Communication relative à une commission mixte paritaire

M. le président. J’informe le Sénat que la commission mixte paritaire chargée d’élaborer un texte sur la proposition de loi relative à la protection du secret des affaires est parvenue à l’adoption d’un texte commun.

7

Rappel au règlement

M. le président. La parole est à Mme Éliane Assassi, pour un rappel au règlement. (Mmes et MM. les sénateurs du groupe communiste républicain citoyen et écologiste se lèvent, revêtent des gilets de sécurité au logo de la SNCF, et brandissent de petits écriteaux où figurent différents slogans : « La SNCF est notre bien commun » ; « Moins de trains, plus de pollution » ; « La SNCF nest pas à vendre » ; « Mon train jy tiens » ; « Concurrence = privatisation En Marche » ; « Je soutiens les cheminots ». – Exclamations sur des travées du groupe Les Républicains.)

Mme Éliane Assassi. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, mon intervention se fonde sur l’article 36 de notre règlement.

Le projet de loi relatif au nouveau pacte ferroviaire, qui organise – le mot n’est pas trop fort – la liquidation de la SNCF comme grande entreprise publique nationale n’est pas un simple projet de réforme économique et sociale : c’est un projet porteur d’un choix de société. C’est le choix d’une société où l’argent et ses nouveaux préceptes – la rentabilité, la productivité – prennent le pas sur les idées mêmes de service public et d’intérêt général.

Mme Fabienne Keller. C’est un refrain !

Mme Éliane Assassi. Ce projet de loi livre le service public ferroviaire au dogme de la concurrence en brisant, de fait, le principe de la desserte de tous nos territoires, villes, villages, campagnes et montagnes.

Cette dangerosité de votre projet de loi, madame la ministre, vous avez tenté de la dissimuler, de la masquer. Vous avez tenté de rendre les cheminots coupables de tous les maux, alors que, aujourd’hui, chacun reconnaît qu’ils ne sont en rien responsables des difficultés de l’entreprise, et que, bien au contraire, ils les ont subies. (M. Daniel Chasseing sexclame.)

Vous avez truffé votre texte de recours aux ordonnances pour éviter le débat parlementaire.

Vous avez dégainé un amendement de dernière minute, en séance publique à l’Assemblée nationale, pour transformer la SNCF en société anonyme et en permettre la privatisation future, alors qu’il s’agit d’un point clé, sinon du point clé, du texte.

Monsieur le président, jugez-vous acceptable que l’avenir de notre service public ferroviaire soit, pour une large part, défini par ordonnances ? Monsieur le président, doit-on accepter l’absence d’étude d’impact sur de nombreux aspects du texte ? Le Parlement avance ainsi à l’aveuglette et à marche forcée, ce qui est bien en conformité avec les projets constitutionnels présentés par le président Macron et son gouvernement…

Nous appelons donc le Sénat à la raison parlementaire : il faut forcer le Gouvernement à respecter le Parlement !

Nous appelons aussi le Sénat à réfléchir à deux fois avant de poursuivre la déstructuration – après Gaz de France, après France Télécom, après La Poste – de la grande entreprise publique qu’est la SNCF. (Applaudissements sur les travées du groupe communiste républicain citoyen et écologiste.)

Mme Fabienne Keller. C’est un rappel au règlement, ça ? La SNCF, il faut la réformer ! La réforme, c’est sa survie !

Mme Éliane Assassi. C’est votre version, ce n’est pas la nôtre !

M. le président. Acte vous est donné de votre rappel au règlement, ma chère collègue.

8

 
Dossier législatif : projet de loi pour un nouveau pacte ferroviaire
Discussion générale (suite)

Nouveau pacte ferroviaire

Discussion en procédure accélérée d’un projet de loi dans le texte de la commission

Discussion générale (début)
Dossier législatif : projet de loi pour un nouveau pacte ferroviaire
Discussion générale (interruption de la discussion)

M. le président. L’ordre du jour appelle la discussion du projet de loi, adopté par l’Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, pour un nouveau pacte ferroviaire (projet n° 435, texte de la commission n° 495, rapport n° 494).

Dans la discussion générale, la parole est à Mme la ministre.

Mme Élisabeth Borne, ministre auprès du ministre dÉtat, ministre de la transition écologique et solidaire, chargée des transports. Monsieur le président, monsieur le rapporteur, mesdames, messieurs les sénateurs, nos concitoyens et nos territoires ont besoin de mobilité. C’est un besoin vital.

C’est la première des réponses que nous avons collectivement le devoir d’apporter à celles et ceux qui se sentent encore assignés à résidence, à ces villes, ces villages et ces quartiers qui vivent l’isolement comme une relégation. Cette mobilité est aussi une réponse à la tentation du repli sur soi, terreau des populismes, face aux transformations politiques, économiques et sociales qui bouleversent notre pays.

Confortée par les échanges que nous avons déjà engagés dans cet hémicycle, je sais que nous partageons l’ambition de répondre à cette attente. Cette ambition commune est aussi celle des Assises nationales de la mobilité, qui nous ont permis de partager un diagnostic large et rigoureux.

À l’aune de ce travail riche et foisonnant, le Gouvernement s’est assigné une triple exigence à laquelle se soumettent tant le présent texte que le projet de loi d’orientation des mobilités que je présenterai dans les prochaines semaines : exigence d’efficacité, tout d’abord, pour remettre en état notre système de transport, aujourd’hui menacé par un sous-investissement chronique et insuffisamment préparé pour intégrer les nouveaux services ; exigence de justice sociale et territoriale, ensuite, afin de garantir la mobilité pour tous et dans tous les territoires ; exigence environnementale, enfin, par la création des conditions nécessaires au développement d’une mobilité plus durable et pleinement inscrite dans la transition écologique.

Répondre à cette triple exigence, c’est tirer parti de la richesse des nouvelles mobilités. Ces mobilités propres, partagées, connectées et autonomes doivent pouvoir être développées, mais aussi s’articuler avec un transport ferroviaire performant, colonne vertébrale de nos mobilités.

En effet, qui peut nier le rôle central que joue, depuis bientôt deux siècles, le transport ferroviaire dans les déplacements quotidiens de nos concitoyens, dans le développement de notre économie, dans le façonnement de nos territoires ? Qui peut nier la place centrale de la SNCF, depuis quatre-vingts ans, dans l’imaginaire collectif, depuis les trains des premiers congés payés jusqu’aux records de la grande vitesse ?

Parce que le rôle du transport ferroviaire est structurant, parce que notre attachement collectif à la SNCF est profond, nos attentes sont importantes ; c’est bien légitime.

Ces attentes sont-elles satisfaites aujourd’hui ? Je ne le pense pas, pas plus que nos concitoyens dans leurs trajets quotidiens ou plus occasionnels, pas plus que nos entreprises qui souhaitent s’appuyer sur le fret ferroviaire. Nos concitoyens et nos entreprises font un triple constat, que vous partagez tous sur ces travées et dans les territoires que vous représentez : malgré l’engagement des cheminots, la qualité de service ne répond pas aux attentes des usagers ; du fait de décennies de sous-investissement, les infrastructures se dégradent ; enfin, la dette menace dangereusement le système ferroviaire.

Face à l’urgence de la situation, le Gouvernement a engagé en février dernier une réforme d’ampleur. Celle-ci ouvre ce secteur à la concurrence, pour permettre à nos concitoyens d’avoir accès à des trains plus nombreux et circulant plus régulièrement, avec des offres tarifaires plus intéressantes.

Mme Fabienne Keller. Tout à fait !

Mme Élisabeth Borne, ministre. Elle transforme la SNCF en société nationale à capitaux publics pour en faire un groupe public performant et un champion sur ce marché. Elle refonde le pacte social des cheminots pour l’adapter, dans une logique d’équité, à un monde ouvert à la concurrence. Enfin, elle consolide le modèle économique de la SNCF afin de lui donner tous les atouts pour s’engager résolument dans l’avenir.

L’objectif du pacte ferroviaire proposé est simple : il s’agit tout à la fois d’augmenter et d’améliorer l’offre de service public.

Mieux répondre aux besoins de mobilité de nos concitoyens, c’est aussi réconcilier le service public avec l’une de ses valeurs fondamentales : l’adaptabilité aux besoins des usagers et des territoires.

En ce qui concerne les territoires, et parce que je sais que l’avenir de leur desserte a pu susciter des inquiétudes à la suite de la publication du rapport de Jean-Cyril Spinetta, je veux une nouvelle fois devant vous être très claire au sujet des lignes que l’on qualifie improprement de « petites ». Parce que ces lignes sont essentielles au lien social et territorial, parce qu’elles sont indispensables au développement du fret, l’État demeurera aux côtés des collectivités pour entretenir ce maillage et respectera les engagements pris dans le cadre des contrats de plan État-régions.

L’ouverture à la concurrence, je veux le dire tout aussi clairement, peut être une chance pour ces lignes, parce que de nouvelles entreprises pourront proposer aux régions de nouvelles approches.

De même, le modèle retenu par le Gouvernement confortera la desserte des territoires par les trains à grande vitesse, les TGV, qui ne se limite pas aux grandes métropoles, mais irrigue plus de deux cent trente villes. Nous y sommes tous particulièrement attachés, et ce sera un gage de réussite de cette réforme.

À ceux qui croient, ou veulent faire croire, que cette réforme signerait un recul de l’État, je veux ici rappeler que le Gouvernement prend pleinement ses responsabilités pour donner au ferroviaire un modèle viable sur le long terme.

Cela passe par trois engagements essentiels dont la portée a été précisée vendredi dernier par le Premier ministre.

Le premier, c’est d’investir dans le ferroviaire comme aucun gouvernement ne l’a jamais fait.

M. Charles Revet. Il y a du travail à faire !

Mme Élisabeth Borne, ministre. Pour permettre le développement d’une offre de qualité, il nous faut, en effet, un réseau performant.

L’effort déjà consenti est sans précédent, car ce sont près de 36 milliards d’euros que l’État s’est engagé à investir dans les dix prochaines années sur le réseau existant. Il est sans précédent, mais il n’est pas encore à la hauteur des besoins. Aussi, nous irons plus loin : dès 2022, nous investirons chaque année 200 millions d’euros supplémentaires. C’est ce qui permettra de lancer, par exemple, des projets de signalisation ferroviaire pour augmenter de plus de 20 % le nombre de trains entre Paris et Lyon ou pour réduire de moitié les incidents d’infrastructure entre Marseille et Nice.

Ces investissements sans précédent, ce sont bien des améliorations concrètes du quotidien pour que nos concitoyens bénéficient d’un réseau plus sûr et d’un service plus fiable, pour que les cheminots retrouvent la fierté d’un outil de travail à la hauteur de leurs compétences.

Deuxième engagement, pour permettre le développement de l’offre ferroviaire, le Gouvernement a également souhaité sortir du cercle vicieux de la hausse des péages, qui limitait le nombre de trains et nourrissait ainsi un déficit et une dette qu’elle était censée résorber.

Aussi, comme le Premier ministre l’a indiqué et en accord avec l’Autorité de régulation des activités ferroviaires et routières, l’ARAFER, nous limiterons la hausse des péages des TGV et du fret au niveau de l’inflation. Ce n’est pas une simple mesure technique ; c’est un levier essentiel du développement de services pour les voyageurs et de la relance du fret ferroviaire, sur lequel pesaient des hausses de péages insupportables.

Cette mesure s’inscrit dans une ambition bien plus large de développement du fret ferroviaire que je présenterai prochainement. En effet, je ne me satisfais pas d’une part modale du rail de 10 % pour les marchandises, d’autant qu’un train de fret représente cinquante camions de moins sur les routes !

Enfin, troisième engagement – je pense que, sur toutes les travées, vous pourrez le mettre à notre crédit –, le Gouvernement met un terme à des décennies de non-décision concernant la dette de la SNCF en reprenant 35 milliards d’euros de dette durant le quinquennat : 25 milliards d’euros en 2020 et 10 milliards d’euros supplémentaires en 2022. Dès 2020, la SNCF pourra ainsi se financer comme toutes les entreprises ; d’ici à la fin du quinquennat, elle sera en mesure d’investir sans creuser sa dette.

C’était un engagement fort du Président de la République : il est au cœur de ce pacte ferroviaire.

Parce que cet engagement est sans précédent, parce que cet effort demandé à nos concitoyens ne pourra être renouvelé, le Gouvernement entend se prémunir et prémunir la SNCF contre la reconstitution d’une telle dette. Aussi, je vous proposerai d’introduire dans le projet de loi une règle contraignante pour que SNCF Réseau ne puisse plus, à l’avenir, s’endetter sans que le Gouvernement prenne des mesures de rétablissement.

Par ailleurs, afin que le Parlement et, à travers lui, nos concitoyens puissent mesurer l’effort consenti pour le rétablissement de l’équilibre du système ferroviaire, le Gouvernement veillera à ce que la dette reprise soit mise en évidence dans les comptes de la Nation.

Ce sont là des garanties nécessaires au maintien dans la durée d’un équilibre enfin retrouvé.

Mesdames, messieurs les sénateurs, depuis l’annonce de ce pacte ferroviaire, le 26 février dernier, j’ai mené cette réforme avec détermination et dans un esprit de dialogue, fidèle à la méthode que le Premier ministre avait annoncée.

Pour répondre à l’urgence de la situation, nous avions présenté à l’Assemblée nationale un projet de loi d’habilitation à légiférer par ordonnances, qui s’est vu remplacé, avec méthode, chapitre après chapitre, par des dispositions concrètes, nourries de concertations structurées avec les organisations syndicales, et soumises au débat parlementaire.

Comme je m’y étais engagée, j’ai résolument poursuivi le dialogue avec celles des organisations syndicales qui, au-delà des divergences sur les fondamentaux de cette réforme – divergences que je respecte –, ont accepté de formuler des propositions concrètes pour enrichir le texte proposé par le Gouvernement dans l’intérêt des cheminots.

Dans cette œuvre commune, le Sénat a pris toute sa place, fidèle à son sens du dialogue. Je tiens à remercier votre rapporteur ainsi que le président et les membres de votre commission de l’aménagement du territoire et du développement durable de la qualité de nos échanges, qui se sont tenus dans un climat de confiance réciproque.