M. le président. La parole est à Mme la rapporteur.

Mme Élisabeth Doineau, rapporteur de la commission des affaires sociales pour la famille. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, l’année 2017 marque le retour à l’équilibre de la branche famille, pour la première fois depuis dix ans. Attachée, comme nombre d’entre vous, à notre modèle de politique familiale, je ne peux, a priori, que me réjouir de cette situation.

Pour autant, les conditions de ce retour à l’équilibre suscitent des interrogations. Si le redressement des comptes de la branche résulte, en partie, de l’amélioration de la conjoncture économique et d’un transfert de charges vers l’État, il est aussi le fruit d’importantes mesures d’économies. L’impact de l’ensemble des réformes intervenues dans le champ de la politique familiale depuis 2012 s’élève environ, cette année, à 1,5 milliard d’euros d’économies, assumées par les familles.

La majeure partie de ces efforts a été supportée par des familles relativement aisées, au travers des abaissements du plafond du quotient familial et de la modulation des allocations familiales.

Pour autant, les familles des classes moyennes n’ont pas été épargnées par les mesures portant sur des prestations sous conditions de ressources.

Au-delà de ce rabotage, qui est préoccupant dans un contexte de baisse du nombre des naissances, l’évolution de la politique familiale au cours de la période récente nous interpelle. Elle remet en effet en cause quelques-uns des principes fondateurs de cette politique, alors même que certains de nos voisins souhaiteraient aujourd’hui s’en inspirer.

La politique familiale a été conçue dans une logique de compensation des charges de famille et de solidarité horizontale. Si des aides spécifiques ont été instaurées en faveur de publics ciblés, la notion d’universalité demeurait centrale. En supprimant presque intégralement les prestations d’entretien dont bénéficient les familles aisées et en resserrant les montants et les conditions de ressources des prestations destinées aux classes moyennes, les mesures prises durant le quinquennat précédent ont réorienté la politique familiale vers la lutte contre la pauvreté.

Cette évolution, qui a parfois semblé résulter davantage d’une succession de mesures d’économie que d’une orientation assumée, pose un certain nombre de questions. Doit-on renoncer au principe de compensation des charges de famille et aider uniquement les familles exposées au risque de pauvreté ? À revenus équivalents, une famille aisée avec enfants a-t-elle droit à davantage d’aides qu’un couple sans enfant ? Quelle serait l’acceptabilité sociale d’une politique familiale excluant de ses bénéfices ses principaux financeurs ? Enfin, si la politique familiale doit être transformée en outil de lutte contre la pauvreté, cette logique doit-elle être étendue à d’autres domaines, comme l’assurance maladie, voire l’accès aux services publics ?

Alors que s’ouvre un nouveau quinquennat et qu’une nouvelle convention d’objectifs et de gestion doit être conclue entre l’État et la CNAF, la Caisse nationale des allocations familiales – vous l’avez annoncé, madame la ministre –, il convient donc de définir la place que nous souhaitons collectivement accorder aux familles dans notre modèle de société.

Madame la ministre, j’ai bien entendu votre volonté de donner du sens à la politique familiale. C’est parce qu’elle y souscrit que la commission des affaires sociales a décidé d’apporter une petite modification à l’un des articles de votre PLFSS.

Ce dernier ne répond pas aux questions que j’ai soulevées. Sans doute vient-il trop précocement – j’en conviens totalement. Il tient compte d’un excédent de la branche famille qui dépasserait, en 2018, 1 milliard d’euros, pour atteindre 5 milliards d’euros en 2021, et contient peu de mesures relatives à la famille.

L’augmentation des plafonds de prise en charge au titre du complément de libre choix du mode de garde pour les familles monoparentales est relativement consensuelle. Il s’agit d’aider davantage un public, majoritairement féminin, qui est particulièrement touché par la pauvreté et l’éloignement du marché du travail.

Pour autant, il ne faut pas exagérer sa portée. Le coût de cette mesure, 40 millions d’euros en année pleine, indique que le bénéfice pour les familles concernées sera nettement moins important que les montants théoriques présentés par l’étude d’impact.

À l’inverse, l’alignement par le bas des montants et plafonds de l’allocation de base de la prestation d’accueil du jeune enfant, la PAJE, sur ceux du complément familial représente une économie qui atteindrait à terme 500 millions d’euros par an.

Au vu de l’excédent que connaît la branche, la commission des affaires sociales a considéré que cette mesure d’économie ne s’imposait pas, d’autant qu’une grande concertation nationale sur la politique familiale a été annoncée et que l’examen de cette question pourrait à bon droit y être reporté. Les justifications avancées par le Gouvernement ne font pas disparaître le sentiment que les prestations familiales sont utilisées comme variables d’ajustement budgétaire, dans la continuité de la période précédente. Nous reviendrons sur ce point au cours des débats sur l’article 26, que la commission des affaires sociales vous proposera de supprimer, mes chers collègues.

Sous cette réserve, et tout en soulignant que ce PLFSS ne traite pas les défis auxquels la politique familiale fait face, la commission a donné un avis favorable à l’adoption de l’objectif des dépenses de la branche famille. Mais le débat est ouvert, et nous y participerons avec plaisir ! (Applaudissements sur les travées du groupe Union Centriste et du groupe Les Républicains.)

M. le président. La parole est à M. le rapporteur pour avis.

M. Alain Joyandet, rapporteur pour avis de la commission des finances. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, plus encore que les années précédentes, les projets de loi de finances et de financement de la sécurité sociale pour 2018 sont très imbriqués, s’agissant notamment des transferts financiers entre le budget de la sécurité sociale et celui de l’État ou du « poids » des administrations de sécurité sociale dans les finances publiques.

À ce titre, le Gouvernement compte principalement sur les administrations de sécurité sociale pour atteindre l’objectif de ramener le déficit public à 0,2 point de PIB en 2022, conformément à la trajectoire prévue par le projet de loi de programmation des finances publiques pour les années 2018 à 2022. D’après les estimations de la commission des finances, près de la moitié des économies à réaliser d’ici à 2022 reposent sur les administrations de sécurité sociale. C’est beaucoup, madame la ministre ! Il s’agit d’un pari risqué.

Compte tenu des mesures proposées pour 2018, qui reposent sur des leviers traditionnels déjà largement exploités, il est permis de douter de l’objectif que le Gouvernement s’est fixé d’un retour à l’équilibre des comptes de la sécurité sociale à l’horizon de 2020.

Je souhaiterais d’abord revenir sur la modification structurelle du financement de la sécurité sociale proposée par le Gouvernement et sur la suppression du CICE, qui sera transformé en baisse de charges en 2019.

La suppression des cotisations salariales d’assurance maladie et de chômage pour les salariés du secteur privé en contrepartie d’une hausse de 1,7 point du taux de CSG modifie en l’élargissant le mode de financement de la sécurité sociale, qui repose majoritairement, à l’heure actuelle, sur les revenus du travail.

Madame la ministre, nous approuvons cette orientation, même si, comme d’autres, je regrette le choix de la CSG en lieu et place de la TVA. Ce dernier levier aurait pourtant permis de taxer les importations – la croissance, en ce moment, repart à la hausse, mais notre déficit commercial ne se résorbe pas, bien au contraire – et d’élargir encore l’assiette.

Cette mesure est toutefois satisfaisante, à une exception près : celle des retraités qui ne bénéficieront d’aucune mesure de compensation, contrairement aux salariés. Je rappelle que, à partir de 1 440 euros par mois, ils seront prélevés de 324 euros par an. Ils sont 8 millions à être concernés par cette mesure, laquelle s’ajoutera au gel des pensions de retraite en 2018, « année blanche » résultant du report de la revalorisation des pensions. La commission des finances a donc adopté un amendement visant à supprimer la hausse de la CSG pour les 60 % de personnes retraitées qui auraient été concernées par cette augmentation.

La transformation proposée du CICE en baisse de cotisations patronales est une autre avancée positive. La réduction pérenne des charges est plus souhaitable qu’une subvention aléatoire, à laquelle s’apparentait le CICE. Je rappelle toutefois que l’État a récupéré 1 point au passage, puisque la compensation sera effectuée sur la base de 6 % et non de 7 % de la masse salariale.

J’en viens maintenant aux choix du Gouvernement en matière de maîtrise de la dépense sociale, qui conduisent à douter de la trajectoire annoncée des comptes sociaux.

En recettes, la réduction prévue des déficits repose sur le dynamisme des recettes, portées par des hypothèses de forte augmentation de la masse salariale du secteur privé, grâce à la baisse du chômage.

En dépenses, alors que la branche maladie concentre les déficits et les inquiétudes – l’un de mes collègues l’a rappelé tout à l’heure –, il ne nous est guère proposé de mesures nouvelles : 4,2 milliards d’euros d’économies sont attendus pour maîtriser un ONDAM dont le taux de progression serait de 2,3 %. Ces économies proviennent non pas de nouvelles mesures, mais de la poursuite des axes déjà mis en œuvre entre 2015 et 2017, pour des résultats assez limités.

Ce sont en réalité les familles et les retraités qui assumeront la charge des principales mesures d’économies. La commission des finances aurait préféré que les économies soient réalisées sur le fonctionnement des structures et non par des baisses des prestations destinées aux familles.

Quoi qu’il en soit, sur ces deux branches, des dépenses nouvelles sont annoncées par le Gouvernement, mais sont en réalité plus que compensées par de nouvelles mesures d’économies.

Le revalorisation du minimum vieillesse coûtera 115 millions d’euros en 2018 ; « en même temps », l’alignement des revalorisations des pensions de retraite et du minimum vieillesse au 1er janvier conduit à un gel des pensions de retraite qui permet d’économiser 380 millions d’euros en 2018, sur le dos des retraités.

L’augmentation de 30 % du complément de libre choix du mode de garde coûterait 40 millions d’euros en 2022 ; « en même temps », le montant et les plafonds d’éligibilité de la PAJE sont alignés par le bas sur ceux du complément familial. Un couple d’instituteurs, par exemple, perdrait près de 2 000 euros d’allocations l’année suivant la naissance de son premier enfant ! Voilà une nouvelle économie, de 500 millions d’euros par an à compter de 2022, réalisée cette fois sur le dos des familles. La commission des finances a donc voté la suppression de l’abaissement du montant et des plafonds de la PAJE.

Tels sont les deux amendements essentiels déposés par notre commission.

La commission des finances et la commission des affaires sociales proposent des améliorations à ce projet de loi de financement de la sécurité sociale ; si le Sénat les adopte, la commission des finances proposera, elle, d’adopter le texte. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. le président. La parole est à M. le président de la commission des affaires sociales.

M. Alain Milon, président de la commission des affaires sociales. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, permettez-moi de commencer mon propos par une citation : « Celui qui vient au monde pour ne rien troubler ne mérite ni égards ni patience. »

Les propos de nos rapporteurs sur ce projet de loi de financement de la sécurité sociale témoignent de l’existence, aux yeux de la commission des affaires sociales, de points de désaccord – sur la CSG, sur la prestation d’accueil du jeune enfant–, de motifs d’inquiétude sur les conditions de rattachement des indépendants au régime général, mais aussi de vraies satisfactions, en particulier sur le volet « santé ».

Après un quinquennat dont nous ne partagions pas les choix, cette appréciation nuancée traduit néanmoins une certaine déception.

Globalement, à la faveur de meilleures perspectives économiques, le déficit de la sécurité sociale s’atténue, sans qu’il soit besoin de recourir, comme l’an passé, à de multiples artifices de présentation. Ce déficit pourrait même faire place, d’ici deux ans si les hypothèses se vérifient, à des excédents. C’est visiblement sur ces excédents que compte le Gouvernement pour apurer la dette d’une vingtaine de milliards d’euros qui reste aujourd’hui gérée en trésorerie par l’ACOSS.

La branche famille est excédentaire, mais c’est au prix de mesures que le Sénat avait dénoncées, et l’économie sur la PAJE, prévue à partir de l’an prochain, nous semble injustifiée.

Madame la ministre, devant notre commission, vous avez indiqué vouloir mener un débat « apaisé » sur l’avenir de notre politique familiale. Mais s’il en résultait de nouveau la réduction de toute forme de compensation des charges familiales au-delà d’un certain niveau de revenu, cela viderait de sa substance une politique dont la réussite tenait au profond sentiment qu’elle s’adressait à tous, sans exception.

S’agissant de la branche vieillesse, le déficit repart à la hausse. Je n’insiste pas, car nous avions absolument contesté, l’an dernier, l’idée selon laquelle le problème des retraites aurait été réglé. Il s’agit donc d’un retour à la réalité, sans pour autant que le Gouvernement, pour l’instant, en tire de conséquence.

Je souscris totalement à l’objectif d’unification des cotisations et des droits, mais il s’agit d’un objectif de moyen terme, laissant entière la question de l’accentuation à très court terme des déséquilibres. Il faudra donc y répondre rapidement, sans attendre une future modification de l’architecture et des paramètres des différents régimes, d’autant que l’exercice sera nécessairement complexe à mener.

Nous voyons, à l’échelle plus modeste du RSI, le soin que requièrent des réformes de ce type. C’est d’ailleurs pourquoi j’aurais pour ma part préféré, madame la ministre, que l’affiliation des professions indépendantes fasse l’objet d’un projet de loi séparé, et non d’un simple article soumis au Parlement dans les délais d’examen très brefs propres au PLFSS.

Sur l’assurance maladie, la commission des affaires sociales porte une appréciation plus positive. Nous soutenons pleinement les mesures sur le tabac, la vaccination, les consultations de prévention pour les jeunes femmes. La suppression de l’obligation générale du tiers payant témoigne d’un changement d’approche indispensable vis-à-vis des professionnels de santé.

Enfin, nous approuvons les mesures en faveur de nouvelles formes de prise en charge. Sans doute ne seront-elles pas suffisantes pour donner corps à cette ambition que nous partageons avec vous, madame la ministre, à savoir préserver l’accès à des soins de qualité en gagnant toutes les marges possibles d’efficacité dans nos modes d’organisation.

C’est un défi, avec une prévision de progression de l’ONDAM fixée à 2,3 % pour les quatre ans à venir, car notre système de santé reste sous tension, comme on le constate notamment dans les établissements hospitaliers.

Si j’ai parlé il y a quelques instants de déception, c’est que, sur la question essentielle du financement, je ne vois pas clairement où nous mènent les choix opérés par le Gouvernement ; je ressens même, en la matière, de réelles inquiétudes.

La principale mesure du programme de législature réside dans la hausse de la CSG au 1er janvier prochain.

De cette mesure, il ne résulte ni ressources supplémentaires pour la sécurité sociale ni baisse du coût du travail. Assortie de multiples compensations, dont toutes, à ce jour, ne sont pas arrêtées, elle entraîne un gain de pouvoir d’achat pour une majorité d’actifs et une perte pour beaucoup de retraités. Elle s’accompagne de complexes circuits de transferts, entre l’État et la sécurité sociale comme au sein de celle-ci. Tout cela, de mon point de vue, brouille plus qu’il ne clarifie le financement de la protection sociale.

C’est aussi la première fois, me semble-t-il, qu’on touche aux cotisations d’assurance chômage au sein d’un PLFSS. Cette première sera peut-être aussi une dernière, puisque l’exonération prévue équivaut à une suppression pure et simple de la part salariale.

Le plus étonnant est que cette modification du financement de l’assurance chômage s’opère alors que les discussions sur sa future réforme ne sont pas encore engagées.

Nous ignorons aujourd’hui ce qu’il en sera de l’extension aux démissionnaires et aux indépendants, ainsi que du financement d’une telle réforme et de ses implications sur la gestion paritaire de l’UNEDIC.

Madame la ministre, pourquoi ne pas avoir attendu un an de plus pour nous présenter un projet cohérent sur la couverture des différents risques et les ressources qui en garantiront le financement ?

La hausse de la CSG renforce la part de l’impôt dans le financement de la sécurité sociale, alors que cette dernière ne recevra pratiquement plus de TVA de la part de l’État. En définitive, la sécurité sociale sollicitera davantage les revenus d’activité et moins la consommation. Beaucoup d’entre nous pensent ici – plusieurs de mes collègues l’ont rappelé – qu’il aurait fallu faire l’inverse pour améliorer la compétitivité de notre pays tout en préservant son modèle social.

Cette mesure nous éloigne également un peu plus du principe selon lequel les impôts financent la solidarité et les cotisations les risques assurantiels.

Enfin, il me paraît nécessaire de préserver la spécificité des finances sociales. C’est d’ailleurs l’un des grands acquis de la réforme constitutionnelle de 1996. Ses auteurs ont voulu que le Parlement se prononce sur un projet de loi de financement de la sécurité sociale, de manière à discuter dans un ensemble cohérent du niveau de couverture sociale de nos concitoyens et des ressources que la collectivité y consacre.

La semaine dernière, nous examinions un projet de loi de programmation quinquennale qui annonçait une remise en cause à venir de la compensation par l’État des exonérations de cotisations sociales. Avec la hausse de la CSG et les mesures qui l’accompagnent s’amorce déjà un déséquilibre des relations financières entre l’État et la sécurité sociale.

En supprimant la hausse de la CSG sur les pensions de retraite et d’invalidité, la commission des affaires sociales a voulu corriger le point le moins acceptable à ses yeux du volet « recettes » du PLFSS. Mais, au-delà de cet aspect particulier, je reste réservé sur l’orientation qui semble se dessiner en matière de financement de la protection sociale, ce qui ne m’empêche pas de reconnaître par ailleurs, dans le domaine de la politique de santé notamment, plusieurs mesures positives de ce PLFSS. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et du groupe Union Centriste. – Mme Victoire Jasmin et MM. Michel Amiel et Guillaume Arnell applaudissent également.)

M. le président. Nous passons à la discussion de la motion tendant à opposer la question préalable.

Question préalable

Discussion générale (suite)
Dossier législatif : projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2018
Discussion générale (début)

M. le président. Je suis saisi, par Mme Cohen, M. Watrin et les membres du groupe communiste républicain citoyen et écologiste, d’une motion n° 442.

Cette motion est ainsi rédigée :

En application de l’article 44, alinéa 3, du règlement, le Sénat décide qu’il n’y a pas lieu de poursuivre la délibération sur le projet de loi, adopté par l’Assemblée nationale, de financement de la sécurité sociale pour 2018 (n° 63).

Je rappelle que, en application de l’article 44, alinéa 8, du règlement du Sénat, ont seuls droit à la parole sur cette motion l’auteur de l’initiative ou son représentant, pour dix minutes, un orateur d’opinion contraire, pour dix minutes également, le président ou le rapporteur de la commission saisie au fond et le Gouvernement.

En outre, la parole peut être accordée pour explication de vote, pour une durée n’excédant pas deux minutes et demie, à un représentant de chaque groupe.

La parole est à M. Dominique Watrin, pour la motion.

M. Dominique Watrin. Mes chers collègues, c’est un autre projet de loi de financement de la sécurité sociale que nous vous invitons à écrire, dégagé de la mainmise étatique que le Gouvernement veut imposer à la sécurité sociale, en contradiction avec ses principes fondateurs de solidarité, de gestion paritaire et de progrès continu. Tel est le sens de cette question préalable.

Le journal Les Échos ne pouvait cacher sa joie en sous-titrant le mardi 31 octobre : « Le transfert des cotisations sociales vers la CSG constitue une des réformes clefs de l’exécutif. »

De manière « emblématique » en effet, il n’y aura plus en 2019 de cotisation « employeur » au niveau du SMIC. Or la cotisation sociale est un prélèvement sur les profits des entreprises qui ouvre des droits salariaux sur la santé, les retraites, la politique familiale – et j’en passe –, que les représentants des salariés ont toute légitimité à cogérer. Il n’en est plus de même avec la fiscalisation massive des recettes de la sécurité sociale.

Derrière l’écran de fumée de la « hausse du pouvoir d’achat », c’est donc le détournement du salaire indirect, c’est-à-dire des cotisations, qui est organisé. Ainsi, entre 1990 et 2018, la part des cotisations sociales dans le financement de la sécurité sociale sera descendue à 55 %, quand celle des impôts et taxes, dont la CSG, pourrait approcher les 40 %. Or la CSG est acquittée à près de 90 % par les salariés et les retraités quand les cotisations sociales sont à 70 % à la charge de l’employeur. Parallèlement, et non sans lien, les dividendes versés aux actionnaires sont passés de l’équivalent de dix jours de salaire voilà trente ans à quarante-cinq jours en 2012 ! Ce projet de loi de financement de la sécurité sociale sanctuarise cette évolution ; nous proposons de dire stop !

Madame la ministre, vous prétendez – ce n’est qu’un exemple – donner un peu de pouvoir d’achat aux salariés en supprimant leur cotisation sociale au titre de l’assurance chômage. Vous vous donnez en réalité les pouvoirs pour imposer au régime le passage progressif d’un droit du salarié généré par la cotisation, particulièrement précieux dans une France à 6 millions de chômeurs, à une prestation sociale uniforme – pourquoi pas ? –, dont vous fixerez – pourquoi pas ? – le montant.

La fiscalisation massive du financement de la sécurité sociale, c’est aussi le détricotage de notre système solidaire. Sous couvert de rétablissement des comptes sociaux, vous voulez imposer, avec ce projet de loi de financement de la sécurité sociale, une nouvelle cure d’austérité à hauteur de 5,4 milliards d’euros, dont 4,2 milliards d’euros sur les dépenses de santé et 1,2 milliard d’euros au moins sur l’hôpital public.

Comme ma collègue Laurence Cohen le développera, ce projet de loi de financement de la sécurité sociale constitue donc un véritable déni de réalité, alors que les hôpitaux publics, les équipes médicales et de soignants, les patients sont déjà au bord de la crise de nerfs. Le plafonnement des dépenses d’assurance maladie à seulement 2 %, si l’on ne prend pas en compte l’augmentation du forfait hospitalier de 18 euros à 20 euros par jour, est insupportable quand les besoins évoluent naturellement de 4,5 % !

Ce sont aussi 10 % des recettes nouvelles déjà insuffisantes qui seront financées par une ponction supplémentaire sur les plus pauvres – assurés sans couverture, handicapés en maison d’accueil spécialisé –, mais aussi sur l’ensemble des patients, via l’augmentation quasi inévitable des « mutuelles ».

Le développement de l’ambulatoire, dont le bilan réel reste à faire en termes de qualité de prise en charge des malades et des coûts liés aux réadmissions, ne saurait justifier ce nouveau « délitement » de l’hôpital public !

Je sais bien que le président Macron est passé maître dans les tours de passe-passe, afin de présenter aux Français des reculs comme des avancées. Il faut reconnaître que vous savez aussi jouer de la division pour mieux imposer cette logique libérale, c’est-à-dire l’affaiblissement généralisé de notre système de protection sociale au nom de la sacro-sainte baisse des « charges patronales », comme ils disent !

Ainsi, vous instruisez de fait un procès à charge contre les retraités, que vous ponctionnerez d’un nouveau prélèvement de 1,7 point de CSG sans aucune compensation – sur celle qui est consentie aux salariés, il y aurait d’ailleurs beaucoup à dire !

Et vous n’y allez pas de main morte, madame la ministre ! Ainsi, les retraités de plus de 65 ans à partir de 1 440 euros de pension, et même 1 331 euros pour les moins de 65 ans, seront taxés d’un nouveau prélèvement direct sur leur revenu et leur pouvoir d’achat. Comme si on était riche avec un tel niveau de ressources, que l’on soit d’ailleurs retraité ou salarié !

En somme, votre conception de la politique sociale, c’est l’alignement vers le bas des revenus modestes. C’est d’ailleurs ce qu’a très bien expliqué le rapporteur de la commission des finances de l’Assemblée nationale, en pointant le fait que les retraités avaient été « moins impactés » par la crise !

En réalité, vous ne digérez pas le fait que la pension moyenne des retraités soit passée de 62,7 % à 66,1 % du revenu d’activité moyen, ce qui n’est pourtant que la conséquence d’une plus grande activité des femmes notamment. Il est vrai que c’est tout notre système de retraites que vous voulez bousculer en proposant, dès le printemps prochain, une retraite par points, où le montant des pensions pourrait varier à la baisse pour sanctuariser – c’est là le fond – les cotisations patronales à leur niveau le plus bas possible. Ce qui est en train de se passer au niveau des retraites complémentaires en est la parfaite préfiguration.

La politique familiale sera aussi une des grandes perdantes de ce budget. Non seulement vous réaliserez une économie de 760 millions d’euros, malgré l’excédent de la branche, mais les quelques mesures positives ne pourront pas masquer le véritable changement de paradigme que vous vous vantez d’imposer à la branche, contre l’avis majoritaire de son conseil d’administration. Ce dernier, en ne vous suivant pas, a marqué à juste titre son attachement à une véritable politique familiale favorisant – je rappelle ce qu’est une politique familiale ! – la natalité, l’autonomie et l’émancipation de la femme et l’épanouissement de chaque enfant.

Mais alors que ces indicateurs de la politique familiale sont au rouge, vous accélérez au contraire la fuite en avant de la mise sous conditions de ressources de certaines prestations à un plafond de ressources toujours plus bas. Où est la justice sociale ? Où est la politique familiale, quand les familles exclues de la prestation d’accueil du jeune enfant passeront de 20 % à 30 % des potentielles éligibles ? Les Français doivent savoir, par exemple, que les parents bénéficiaires actuels de la prestation à taux plein gagnant chacun plus de 1 660 euros et accueillant un deuxième enfant en perdront la moitié à partir du 1er avril 2018 !

Fondamentalement, les difficultés dans l’accès aux soins, la remise en cause de la politique familiale, le matraquage des retraités, l’étatisation de la sécurité sociale ou l’absence quasi totale d’anticipation des questions liées au vieillissement – selon la Cour des comptes, il y a 7 milliards d’euros de besoins de financement à trouver d’ici à 2040, mais vous les renvoyez à une énième mission – sont le résultat de la prédation toujours plus sauvage des richesses par les privilégiés de l’argent. Faut-il rappeler ici que la fortune des 500 Français les plus riches a été multipliée par sept en vingt ans et que chacun des 100 Français les plus riches va encore bénéficier d’un cadeau fiscal de 600 000 euros par an avec la réforme de l’impôt de solidarité sur la fortune, l’ISF ?

Nous ne le dirons jamais assez : les moyens existent dans notre beau pays, qui n’a jamais été aussi riche, pour donner une autre ambition que l’austérité et la confiscation toujours plus grande des moyens de gestion de la sécurité sociale aux assurés eux-mêmes.

Il faudrait au contraire mobiliser les intelligences et les moyens, rassembler les efforts pour lutter efficacement contre la désertification médicale ou le renoncement aux soins, particulièrement problématique dans certains territoires et chez les jeunes par exemple, pour reconstruire un système de prévention en milieu scolaire et au travail en en faisant une vraie priorité nationale et pour mettre fin à la casse de l’hôpital public.

Mais, au lieu de questionner les exonérations massives de cotisations sociales patronales, les nouveaux cadeaux contenus dans ce projet de loi de financement de la sécurité sociale et dans le projet de loi de finances – je pense au crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi, le CICE, et à la flat tax –, vous préférez emboîter le pas à la Commission européenne dans sa logique austéritaire. Vous imposez, avec le projet de loi de programmation des finances publiques que vous venez de faire voter ces jours-ci, un carcan limitant la croissance des dépenses de santé à 2,3 % sur la période 2018-2022 quand les réponses aux besoins devraient la porter à près de 5 %.

C’est pourquoi, mes chers collègues, en adoptant cette motion tendant à opposer la question préalable, vous affirmerez de manière forte votre refus d’une telle abdication et d’une telle soumission en même temps que votre attachement aux fondements humanistes de la sécurité sociale ! (Applaudissements sur les travées du groupe communiste républicain citoyen et écologiste.)