M. Bruno Retailleau. C’est le fédéralisme !

M. Jean-Yves Le Drian, ministre. Cette circonscription transnationale sera l’occasion toute particulière d’une réponse européenne au Brexit.

L’unité de l’Europe est bien sûr une réalité politique ; c’est aussi une réalité économique – je vais y revenir. Mais la base, le socle sur lequel tous ces projets peuvent se construire, c’est le lien sensible, le vivre ensemble, en un mot, la conscience qu’ont nos concitoyens d’être des Européens. Fortifier cette conscience, en particulier dans notre jeunesse, par l’enseignement, par les échanges universitaires et par les échanges d’apprentis, c’est garantir l’avenir de l’idée européenne, cet universel qui se dit en plusieurs langues, cette civilisation que chacune de nos cultures nationales exprime d’une façon propre, singulière.

Il y a là, également, un enjeu d’égalité. Notre jeunesse n’a jamais été aussi mobile, aussi ouverte sur le monde, et en premier lieu sur les pays européens. Assurer une égalité d’accès à l’horizon européen : c’est aussi de cette manière que nous conjuguerons l’unité de l’Europe et l’exigence démocratique.

Les objectifs qui ont été affichés par le Président de la République sont ambitieux. Ceux qui veulent aller plus loin, plus vite, doivent pouvoir le faire sans en être empêchés. Les coopérations seront ouvertes à tous, avec pour seul critère le niveau d’ambition partagée. Le Président de la République a d’ailleurs proposé de réunir au sein d’un « groupe de la refondation européenne » tous les États membres qui partagent cette vision, afin de définir les mesures qui traduiront concrètement cette ambition à l’horizon 2024.

À cet égard, je dois dire que l’accueil réservé par nos partenaires à nos propositions – lesquelles sont en lien avec celles portées par le président de la Commission, Jean-Claude Juncker –, lors du sommet des chefs d’État ou de gouvernement de Tallinn, montre que cet exercice collectif de refondation a toutes les chances d’aboutir. Le président du Conseil européen, Donald Tusk, qui est aujourd’hui même à Paris, présentera dans les prochaines semaines une feuille de route en ce sens.

Pour avancer, l’Allemagne sera notre partenaire majeur. Vous le savez, mesdames, messieurs les sénateurs, la République fédérale est entrée dans une période de négociation du contrat de coalition sous l’égide d’Angela Merkel. Je tiens d’ailleurs à souligner la qualité des relations qui se sont nouées depuis plusieurs années entre les ministres allemands et les membres du Gouvernement.

Cette base politique et relationnelle est essentielle pour porter le projet européen, d’autant plus que les élections allemandes, et notamment le score très élevé de l’extrême droite, ont révélé que le scepticisme voire le rejet de l’Europe étaient également un risque outre-Rhin. La meilleure réponse à ce risque sera apportée par l’action conjointe d’Angela Merkel et d’Emmanuel Macron pour permettre à l’Europe de progresser en puissance et de relever les grands défis qui nous font face, et ce dans la solidarité.

Nous avons si souvent été le moteur de l’Europe par le passé ; nous le serons de nouveau demain. Le Président de la République a souhaité l’élaboration d’un nouveau traité de l’Élysée. Ce pourrait être le creuset du futur projet européen.

L’unité de l’Europe doit aussi se manifester face à la crise migratoire. Ce drame exige la solidarité des pays européens : solidarité s’agissant de l’accueil et du droit d’asile, mais solidarité, aussi, dans l’aide à apporter aux pays de départ et de transit, afin d’éviter que celles et ceux qui font l’objet de tentations de la part des passeurs ne risquent leur vie pour rejoindre l’Europe.

C’est dans ce but que le Président de la République a réuni à Paris, le 28 août dernier, ses homologues allemand, espagnol, tchadien, nigérien, ainsi que la haute représentante de l’Union pour les affaires étrangères et la politique de sécurité, Federica Mogherini.

C’est aussi le sens des mesures concrètes que le Président a exposées dans son discours de la Sorbonne – je pense à la mise en place d’un véritable office européen de l’asile pour harmoniser les procédures, ou encore à la création d’une police aux frontières européenne.

Sur ce sujet comme sur d’autres, l’exigence de solidarité européenne repose sur un équilibre, une réciprocité, entre les droits et les obligations. La cohésion entre les États, la cohérence et la légitimité du projet européen passent par là.

L’unité de l’Europe passe également par une convergence sociale et fiscale accrue. Jacques Delors a coutume de dire que « le modèle économique européen doit se fonder sur trois principes : la concurrence qui stimule, la coopération qui renforce et la solidarité qui unit ».

Force est de reconnaître que l’Union européenne a davantage avancé sur le premier volet que sur les deux autres. Or il est fondamental de préserver un équilibre pour que les États membres convergent économiquement et socialement, et le fassent vers le haut. C’est ce que nous demandent nos concitoyens.

Je pense notamment au travail détaché ; je sais que ce sujet mobilise l’attention et le travail du Parlement. La directive actuelle n’est satisfaisante pour personne : ni pour les travailleurs français, qui font face à une concurrence déloyale, ni pour les travailleurs étrangers, dont les conditions de vie et de travail sont souvent insuffisamment protectrices, ni pour leurs pays d’origine, qui souffrent d’une insuffisance de main-d’œuvre qualifiée.

L’ensemble des ministres concernés par ce dossier est mobilisé, avec une méthode claire : parler à tous, écouter nos partenaires, notamment les pays d’Europe centrale et orientale, afin de dégager des convergences avec le plus grand nombre d’entre eux.

J’ajoute que la convergence sociale passe aussi par la définition d’un socle minimal des droits sociaux européens. Parvenir à cet objectif est indispensable ; cela fait partie de la refondation, et le Premier ministre participera à Göteborg, dans les jours qui viennent, à une rencontre dont l’objectif est que nous avancions sur ce sujet.

Cette convergence des niveaux de développement est aussi le but du Fonds de cohésion, qui bénéficie aux États membres les plus éloignés du niveau moyen de développement en Europe. Il s’agit d’un outil puissant et nécessaire pour minimiser les disparités entre les régions, ce qui profite en même temps à la croissance collective.

Ce même objectif de minimiser les disparités au sein de l’Union guide l’affectation des fonds structurels. La France bénéficie, sur la période 2014–2020, de 27 milliards d’euros au titre des différents fonds. Les élus que vous êtes, mesdames, messieurs les sénateurs, savent l’importance de ce soutien européen à notre politique de cohésion économique, sociale et territoriale.

Sur le terrain économique, la condition de l’unité européenne est bien sûr le marché unique, avec, aujourd’hui, un objectif : progresser sur l’Union économique et monétaire, en poursuivant l’établissement de l’Union des marchés de capitaux, afin de stimuler la croissance en favorisant l’investissement et l’innovation. De même, les discussions doivent se poursuivre sur l’achèvement de l’Union bancaire, avec la mise en place d’un système européen de garantie des dépôts.

Plus généralement, nous devons faire de l’Europe une véritable puissance économique et monétaire, et c’est pour cette raison que le Gouvernement porte une ambition forte pour la zone euro. Nous souhaitons ainsi la renforcer, pour qu’elle puisse en particulier mieux garantir ses membres contre les crises financières lorsque c’est nécessaire. La proposition du Président de la République de créer un budget de la zone euro constitue un objectif pragmatique au service de cette ambition.

Le renforcement de la zone euro nécessitera également d’inventer une gouvernance adaptée, avec un ministre commun et un contrôle parlementaire au niveau européen, devant lequel ledit ministre devra rendre compte de son action. Mais, plus encore qu’une gouvernance, il sera nécessaire de définir les grandes orientations économiques et politiques de la zone euro, pour permettre à celle-ci de s’affirmer comme une puissance économique mondiale capable de défendre les intérêts des États membres.

Cette exigence de protection, c’est le deuxième élément qui définit aujourd’hui notre ambition d’une Europe souveraine.

Le souci de protection est inhérent au projet européen, y compris dans ses politiques les plus anciennes et les plus emblématiques. En effet, quelles étaient les préoccupations des Européens lorsqu’ils instituèrent la politique agricole commune ? C’étaient la protection du revenu des agriculteurs, la sécurité alimentaire, la protection des consommateurs. À ces objectifs historiques se sont ajoutés la protection de l’environnement et le développement rural. Et nous devons, dans le cadre d’une PAC rénovée, nous assurer que ces objectifs essentiels seront encore mieux atteints, afin que notre agriculture assure un niveau de vie décent aux producteurs et que les consommateurs puissent accéder à des produits agricoles de qualité à un juste prix.

M. Didier Guillaume. C’est indispensable !

M. Jean-Yves Le Drian, ministre. Par ailleurs, s’agissant de protection, la création du Fonds européen d’aide aux plus démunis a permis à la France de recevoir, sur la période 2014–2020, 500 millions d’euros pour la fourniture d’aide alimentaire aux plus démunis. Cela représente, pour les associations qui agissent dans ce domaine, un quart de leurs frais de fonctionnement et d’intervention.

Mais, dans le cadre d’une mondialisation aujourd’hui perturbée par la concurrence entre grands blocs économiques et par les tentations isolationnistes, une Europe qui protège, c’est aussi une Europe qui cesse d’être naïve dans le domaine commercial. Dans ce domaine, nous progressons, et je veux ici saluer la décision du Conseil européen de se doter d’une nouvelle méthode de calcul des distorsions de marché résultant de l’intervention de l’État dans les pays tiers. S’agissant de la lutte contre la concurrence commerciale déloyale, nous veillerons à ce que la Commission fasse plein usage de ce nouvel instrument anti-dumping, en vue de défendre l’industrie européenne.

Plus largement, nous devons refonder la politique commerciale européenne : les négociations commerciales ne peuvent plus être menées portes fermées. Elles doivent être transparentes ; elles ne peuvent plus concerner seulement les tarifs et les tonnages ; elles doivent pleinement garantir le respect des normes sanitaires et environnementales et contribuer à la lutte contre le dérèglement climatique.

Je le dis devant votre assemblée, mesdames, messieurs les sénateurs : les accords de demain devront être plus complets que ne l’est le CETA, l’Accord économique et commercial global. Comprenons-nous bien : cet accord reste un bon accord, par les ouvertures de marchés qu’il autorise, et parce qu’il prévoit un véritable mécanisme juridictionnel de règlement des différends sur les investissements. Mais doit lui être adjoint un instrument complémentaire, dans le domaine climatique en particulier. C’est la voie choisie par le Gouvernement. En outre, le Parlement sera informé à chaque étape préparatoire de la ratification du CETA.

D’ailleurs, les négociations engagées en vue d’autres accords devront être menées dans la plus grande transparence. C’est la raison pour laquelle le Président de la République a aussi proposé que soit rapidement mis en place un « procureur commercial » au niveau européen, chargé d’assurer la protection de nos intérêts face aux pratiques commerciales litigieuses qui sont en permanence à l’œuvre dans les échanges internationaux.

Parce qu’une puissance doit définir ses intérêts stratégiques, la souveraineté de l’Europe passe également par la sauvegarde de ses intérêts économiques majeurs. Comme vous le savez sans doute, mesdames, messieurs les sénateurs, le président de la Commission, Jean-Claude Juncker, a présenté, à la suite de son discours sur l’état de l’Union, une proposition visant à établir un cadre pour la surveillance des investissements étrangers dans les secteurs stratégiques au sein de l’Union. Aujourd’hui, certains États membres, comme la France, sont dotés, en la matière, de dispositifs performants ; d’autres disposent de mécanismes qui le sont moins ; certains États en sont tout simplement dépourvus. Une coordination européenne est indispensable dans le cadre du marché unique.

L’Europe de la protection s’entend également sur le terrain de la défense et de la sécurité. Je l’ai rappelé : les crises internationales affectent nos intérêts dans des zones toujours plus proches de l’Europe. La Syrie, la Libye, le Sahel, l’Ukraine sont à proximité ou à nos portes, avec des effets directs sur l’ensemble des pays européens. Ces crises engendrent la menace terroriste ; elles font craquer les frontières de Schengen ou vaciller l’architecture de sécurité européenne. Cette situation exige que nous soyons collectivement capables de définir nos intérêts fondamentaux de sécurité.

La France, en raison de ses capacités et de son engagement, doit être à l’initiative, s’agissant, en premier lieu, de la manière dont nous définissons nos propres intérêts nationaux en relation avec la souveraineté de l’espace européen.

Avec l’Allemagne, nous avons aussi un partenaire de plus en plus conscient des menaces diverses qui pèsent sur l’Europe, à l’est comme sur son flanc sud – on l’a vu ces dernières années en Afrique – : nous pouvons donc, sur ce terrain, avancer avec elle.

La définition d’une doctrine stratégique commune européenne, c’est la condition sine qua non de la mise en œuvre de l’autonomie stratégique européenne : c’est en effet à partir d’une conception partagée de ces intérêts communs que nous pourrons définir les capacités, le budget et la culture de sécurité commune qui donneront corps à cette dimension fondamentale de la souveraineté européenne.

Concrètement, s’agissant de l’Europe de la défense, vous le savez, deux avancées majeures ont été récemment enregistrées.

D’abord, il y a le projet d’une coopération structurée permanente, la CSP. Sur la base d’une contribution proposée voilà un an par la France, l’Allemagne, l’Espagne, l’Italie et soutenue par la Belgique, les Pays-Bas, le Luxembourg, la Finlande et la République tchèque, une liste précise de critères à remplir pour participer à la CSP a été établie et approuvée, assortie d’un mécanisme de vérification permettant de garantir que ces critères ambitieux sont respectés par les États membres désireux de participer à cette coopération.

Les États de la CSP s’engagent à fournir un effort particulier en termes de développement de leur capacité de défense, mais aussi de mise à disposition d’unités de combat pour des missions communes. Il appartient désormais aux États membres qui le souhaitent de notifier leur volonté de participer à la CSP et de démontrer qu’ils respectent les critères que nous avons fixés collectivement, et ce avant la fin de l’année.

Le deuxième aspect des avancées dans le domaine de la défense est la proposition par la Commission de créer un programme européen pour le développement de l’industrie de défense qui doit financer des investissements nationaux dans la recherche, le développement de prototypes et l’acquisition d’équipements et de technologies.

Il s’agit d’une avancée considérable. Les négociations sur ce programme, que l’on appelle le Fonds européen de défense, sont en cours. Il serait souhaitable qu’elles aboutissent avant la fin du premier semestre 2018. L’enjeu sera ensuite de le doter de financements suffisants. Les perspectives devront être négociées dans le cadre financier pluriannuel prévu à cet effet. Ces financements pourront atteindre 500 millions d’euros par an. On le voit, c’est un saut qualitatif tout à fait significatif.

Mesdames, messieurs les sénateurs, le Président de la République a exposé les principales clefs d’une Europe souveraine à construire : outre la sécurité, il a cité la maîtrise des flux migratoires, la stabilisation de son voisinage, la confirmation d’une transition écologique efficace et équitable, l’affirmation en tant que puissance d’innovation, en particulier numérique, et la puissance économique et monétaire.

Sur toutes ces politiques structurantes, le Président a fait des propositions opérationnelles ; vous les avez entendues. Il a proposé sur chaque point, à la fois, une vision et des projets concrets. Dans chacun des domaines, l’objectif est de construire une Europe capable d’agir comme une puissance globale. C’est la troisième dimension de l’Europe souveraine : sa capacité de projection.

Je pense notamment à l’action que nous devons mener à l’échelle européenne s’agissant de la régulation de la mondialisation et des inégalités qu’elles engendrent. Le sentiment d’être laissés pour compte est partagé par une part croissante des citoyens européens ; l’espérance du progrès social qui a animé nos sociétés est mal en point. Cette perception, qui oscille entre le désenchantement et la colère, affecte profondément notre vie démocratique. Elle met au défi les responsables politiques de proposer un chemin qui fait le pari de l’optimisme, du progrès et de l’ouverture, plutôt que de l’isolement, du repli et du déclin.

Ce que nos citoyens réclament, c’est non pas le projet irréaliste d’une sortie de la mondialisation, mais une mondialisation organisée selon des règles justes et équitables. L’Europe est un acteur économique de premier plan, de même niveau que la Chine ou les États-Unis. Elle a donc des arguments à faire valoir dans les instances internationales pour agir en faveur de cette régulation que nos peuples réclament, sous réserve qu’elle soit unie et déterminée.

De même, elle doit agir pour le développement économique et humain, tout particulièrement en Afrique. De ce point de vue, l’Alliance pour le Sahel lancée cet été avec l’Allemagne et l’Union européenne a valeur d’exemple. Cet effort sera poursuivi avec la proposition du Président de la République de reprendre les travaux relatifs à la mise en œuvre d’une taxe sur les transactions financières, dont le produit serait intégralement affecté au développement.

C’est aussi le cas s’agissant de la lutte contre le réchauffement climatique et pour l’environnement. Dans ce domaine, l’Europe doit être exemplaire, pour convaincre à l’échelle mondiale. C’est le sens de la proposition de travailler à un juste prix du carbone et à l’instauration d’une taxe aux frontières extérieures de l’Union afin de compenser le différentiel d’ambition environnementale pour les entreprises les plus exposées à la concurrence internationale. Par ailleurs, la méthode d’action pour assurer un consensus des États autour de l’Accord de Paris en dépit de la décision américaine de retrait prouve, là encore, que la voix de la France porte lorsqu’elle est bien coordonnée avec nos partenaires européens.

Mesdames, messieurs les sénateurs, l’Europe, ce sont des valeurs, celles de la démocratie, des droits et des libertés publiques, de la paix et de la coopération.

Dans un monde en proie aux incertitudes, la volonté d’ouverture à laquelle le Président de la République invite l’Europe répond à une exigence de responsabilité. L’unité, la protection, ce sont les conditions pour que l’Europe puisse se projeter et contribuer efficacement à la stabilité de l’ordre international, pour que les normes qu’elle incarne soient un modèle crédible à l’échelle du monde.

Pour la génération qui naît aujourd’hui à la conscience politique, l’idée européenne passe pour une évidence. Nous pouvons nous en réjouir, bien sûr, tant ce sentiment illustre les soixante-dix ans de silence des armes que le projet européen a rendu possible entre nos États, grâce à une construction « bâtie sur l’idée de réconciliation et qui reste la meilleure garantie de paix », comme le rappelait sans cesse Simone Veil.

Mais si nous voulons bâtir l’avenir de l’Europe, nous devons aussi nous rappeler que les créations humaines en apparence les plus assurées peuvent être balayées par les fracas de l’histoire, voire par la folie des hommes.

La valeur de la construction européenne, cette création politique unique, mesurons-la non seulement en termes de succès économiques mais aussi en la ramenant à son origine, celle des drames du siècle passé et de la volonté qui permit de les dépasser. Chacune des générations de notre pays peut rattacher la naissance de sa conscience européenne à un événement marquant, à un projet fédérateur : je pense aux ruines de la guerre dont notre pays s’est relevé et aux premiers efforts de réconciliation avec l’Allemagne dans une Europe divisée par la guerre froide ; je pense à la liesse lors de la chute du mur de Berlin ou à l’émotion immense de voir Helmut Kohl et François Mitterrand main dans la main devant l’ossuaire de Douaumont ; je pense au projet et à la concrétisation de la monnaie unique.

Quel sera pour notre jeunesse, elle qui incarne l’avenir de l’idée européenne, elle qui devra en assumer demain la responsabilité, l’événement, le projet à partir duquel elle fera sien l’idéal européen ? C’est la question à laquelle nous devons répondre collectivement par notre détermination et notre action.

L’horizon de notre souveraineté est européen. C’est en construisant avec l’ensemble des États membres de l’Union une Europe souveraine que nous assumerons nos responsabilités à l’égard du peuple français. (Applaudissements sur les travées du groupe La République en marche et du groupe socialiste et républicain. – M. Pierre Louault ainsi que Mme Cécile Cukierman applaudissent également.)

M. le président. Acte est donné de la déclaration du Gouvernement.

Dans le débat, la parole est à M. André Gattolin, pour le groupe La République en marche.

M. André Gattolin. Monsieur le président, monsieur le ministre de l’Europe et des affaires étrangères, madame la ministre chargée des affaires européennes, mes chers collègues, je voudrais tout d’abord vous dire mon immense satisfaction quant à la tenue ici de ce débat sur l’avenir de l’Union européenne.

Des débats en séance publique sur l’Europe, nous en avons assez régulièrement, mais ils ne rassemblent en général guère plus d’une vingtaine de sénateurs, bien loin de l’affluence d’aujourd’hui.

Ces débats ont habituellement lieu à la veille de chaque sommet européen, en présence du secrétaire d’État aux affaires européennes.

Sur le fond, nous égrenons à cette occasion un ordre du jour prévisionnel pléthorique, renvoyant à une multitude de points assez hétérogènes qui ressemble plus à une liste à la Prévert qu’à un véritable panorama de l’état de l’Union.

C’est donc une excellente chose que nous ayons enfin un débat générique sur l’avenir de l’Europe et je trouverais, monsieur le ministre, particulièrement pertinent, si vous l’acceptiez, d’annualiser cet important rendez-vous.

En militant de l’Europe que je suis depuis plus de trente-cinq ans, je ne vous cache pas non plus la joie que me procure votre présence à ce débat ainsi que le nouvel intitulé de votre ministère : ministère de l’Europe et des affaires étrangères ! Excusez-moi de la trivialité de mon langage, mais cela a tout de même plus de « gueule » et surtout plus de sens que « ministère des affaires étrangères et du développement international » – un intitulé pas si ancien que cela et qui dénote une époque où l’on avait l’Europe discrète, pour ne pas dire l’Europe honteuse, dans ce pays.

Ce nouvel intitulé du Quai d’Orsay n’est pas qu’un symbole, il est le fruit de la volonté d’un Président français qui, contrairement à ses plus récents prédécesseurs, a la matrice et la fibre européennes viscéralement ancrées en lui. (M. Roger Karoutchi rit.)

Mais la première grande audace d’Emmanuel Macron, ce fut d’avoir osé mettre l’Europe au cœur de sa campagne présidentielle, et ce à un moment où notre pays, comme notre continent, était traversé par une succession de crises majeures.

Son audace originelle fut donc d’avoir osé présenter l’Europe non plus comme une contrainte, mais comme un véritable atout pour notre pays ! Et sa force politique aujourd’hui, en tant que Président en exercice, c’est de ne cesser de parler d’Europe, de parler à l’Europe et pour l’Europe.

De fait, la persévérance européenne du Président n’est pas discutable et son discours de la Sorbonne du 26 septembre dernier ne saurait être lu comme une fulgurance d’un jour qui remiserait la question européenne au rang des dossiers à ne ressortir qu’à la veille des prochaines échéances européennes.

Non, ce discours, pour important qu’il soit – et il l’est ! –, s’inscrit dans une série d’interventions majeures d’Emmanuel Macron, avant et après son élection, sur la centralité de l’enjeu européen pour notre pays.

À celles et à ceux qui s’étonnent de sa volonté pragmatique, exprimée à la Sorbonne, d’aller de l’avant, quitte à avancer d’abord avec un groupe d’États volontaires pour déverrouiller le blocage institué par la règle de l’unanimité, sur les défis aujourd’hui les plus capitaux que nous devons affronter, je renvoie à la lecture de son discours du 18 avril 2016 à Bruges devant le Collège d’Europe, alors qu’il était encore ministre et qu’il venait tout juste de lancer le mouvement En Marche !

À celles et à ceux qui s’étonnent de voir l’importance primordiale qu’il accorde à la construction d’une défense et d’une véritable politique de sécurité commune, je renvoie au grand meeting d’Emmanuel Macron du 19 avril dernier à Nantes (Exclamations sur des travées du groupe Les Républicains.), à quatre jours du premier tour de l’élection présidentielle, où nous étions, monsieur le ministre, tous deux présents.

M. Roger Karoutchi. M. le ministre préfère ne pas s’en souvenir !

M. André Gattolin. Merci, cher ami Karoutchi !

Enfin, à celles et à ceux qui s’étonnent de son propos à la Sorbonne sur la souveraineté européenne et sur la reconquête de notre souveraineté nationale « dans et par l’Europe », en même temps que de son affirmation de l’urgence démocratique à mettre en place – dès le premier semestre 2018 – des conventions démocratiques visant à définir avec tous les citoyens d’Europe le cap à donner à l’Union pour les années à venir, nous renvoyons au discours qu’il a prononcé le 7 septembre dernier, à Athènes. (Exclamations sur plusieurs travées.)

Mme Éliane Assassi. Qu’est-ce qu’il a parlé !

M. André Gattolin. À Athènes, où il a également affirmé son souhait de voir instaurer des listes transnationales dès les prochaines élections européennes de 2019.

L’idée en soi n’est pas nouvelle,…

M. Roger Karoutchi. Ah ça, oui !

M. André Gattolin. … et le Parlement européen avait échoué à l’imposer à l’occasion des élections européennes de 2014.

Les vieilles formations politiques nationales, même grimées en pseudo-partis européens, ont la vie dure, en particulier en France où la question européenne semble être une chose trop sérieuse pour être abandonnée à des élus qui pensent « Europe » et agissent véritablement en Européens.

Mais le fait que cette proposition soit aujourd’hui portée par le président de l’un des principaux État membres de l’Union rend assez difficile sa mise à l’écart d’un simple revers de main. (M. Roger Karoutchi sourit.)

Il n’y aura pas, mes chers collègues, d’Europe puissante, souveraine et démocratique si nous ne sommes pas capables de faire émerger non pas une classe politique européenne, mais une représentation politique de « classe européenne » dans l’ensemble des États membres.

Un des plus grands succès de l’Union au cours des dernières décennies a été et demeure sans conteste le programme Erasmus. Eh bien, mes chers collègues, il est grand temps d’instaurer un Erasmus de la représentation politique en Europe. (M. Roger Karoutchi rit.)

Être député européen ne saurait se réduire à une commutation Paris-Bruxelles ou Paris-Strasbourg…