conférence nationale des territoires (ii)

M. le président. La parole est à M. Michel Berson, pour le groupe La République en marche.

M. Michel Berson. Monsieur le président, mesdames, messieurs les ministres, mes chers collègues, ma question s’adresse à M. le Premier ministre.

Lundi dernier, lors de la Conférence nationale des territoires, le Président de la République a porté sur les fonts baptismaux le pacte girondin audacieux qu’il veut construire entre l’État et les collectivités territoriales. (M. Francis Delattre s’exclame.)

Pour les esprits chagrins qui voudraient faire croire que les territoires constituent une sorte d’impensé présidentiel, c’est une déception. Mais pour les élus, profondément attachés à la défense des territoires, c’est une grande satisfaction. (Murmures sur les travées du groupe Les Républicains et du groupe Union Centriste.)

Le Président de la République nous a présenté une doctrine qui témoigne de sa conscience aiguë des défis territoriaux auxquels notre pays doit faire face : l’écart entre France des métropoles et France périphérique, l’importance du levier territorial pour réussir les transitions numérique et écologique, le besoin de simplification, sinon de simplicité, la nécessité de combattre les inégalités de richesses, c’est-à-dire les égoïsmes, et l’indispensable refonte de la fiscalité locale.

Le chef de l’État a su éviter le piège du grand soir territorial et des annonces tonitruantes sans lendemain. Il a été concret sur les transports du quotidien, les déserts médicaux, l’offre nouvelle de logements, le haut débit pour tous. Oui, ses engagements ont été clairs, et son calendrier précis. (Exclamations sur plusieurs travées du groupe Les Républicains et du groupe Union Centriste.)

Au nom des sénateurs qui se reconnaissent dans la majorité présidentielle, je veux saluer cette feuille de route ambitieuse et cette méthode pragmatique pour construire une France des territoires qui reste proche et qui voit loin. (Mêmes mouvements.)

Monsieur le Premier ministre, pouvez-vous nous préciser comment le Gouvernement entend mettre en œuvre le nouveau pacte de confiance et de responsabilité que le Président de la République veut sceller entre l’État et les collectivités territoriales ? (Applaudissements sur les travées du groupe La République en marche. – MM. Alain Bertrand et Yvon Collin applaudissent également.)

M. le président. La parole est à M. le ministre de la cohésion des territoires.

M. Jacques Mézard, ministre de la cohésion des territoires. Monsieur Berson, je salue votre enthousiasme (Exclamations et rires sur les travées du groupe Les Républicains et du groupe Union Centriste.) – je vous en remercie – auquel tout le Gouvernement est très sensible.

Oui, nous voulons établir un pacte de confiance : il ne vous a pas échappé que c’est un changement…

M. David Assouline. Moins 13 milliards d’euros !

M. Jacques Mézard, ministre. Aujourd’hui, en nous adressant aux collectivités territoriales et à tous les élus de la Nation, nous voulons travailler autrement : ne pas imposer, mais discuter et écouter.

M. David Assouline. Treize milliards !

M. Jacques Mézard, ministre. La Conférence nationale des territoires a cet objectif fondamental : réunir tout le monde autour de la table et dresser le bilan d’un certain nombre d’actions, parce que nous avons tous une responsabilité – une responsabilité collective donc – dans ce qui s’est passé pendant de nombreuses années s’agissant de l’aménagement du territoire et de la vie de nos collectivités territoriales. (MM. Alain Bertrand et Yvon Collin applaudissent.)

Le Gouvernement entend utiliser cette conférence nationale pour dégager un certain nombre d’orientations…

M. David Assouline. Treize milliards !

M. Jacques Mézard, ministre. Monsieur Assouline, je vous ai bien entendu. Seulement, aujourd’hui, il y a une différence, parce que, pendant plusieurs années, les baisses de dotations ont été imposées…

M. David Assouline. Parce qu’aujourd’hui elles sont acceptées, peut-être ?

M. Jacques Mézard, ministre. … et les réformes territoriales menées sans parfois que l’on consulte les collectivités territoriales. Nous comptons, nous, procéder différemment, par la concertation et l’écoute, pour essayer de trouver ensemble les moyens de faire avancer nos collectivités territoriales sur tout le territoire, avec plus d’équilibre et de justice.

Il y a, en effet, des efforts à réaliser : il reste encore des possibilités sur les charges de fonctionnement – telle est la réalité. Si certaines collectivités territoriales rencontrent aujourd’hui des difficultés considérables – je le sais bien –, d’autres peuvent encore faire des efforts. Nous allons en discuter ensemble.

Nous allons également travailler ensemble sur la simplification, dans la concertation et sans imposer de big bang, mais en essayant de faire mieux et de faire plus.

M. David Assouline. Moins 13 milliards !

M. Jacques Mézard, ministre. Monsieur Assouline, je vous ai vu accepter bien d’autres directives pour les collectivités territoriales… Ne nous donnez donc pas de leçons aujourd’hui ! (Applaudissements sur les travées du RDSE et du groupe La République en marche.)

enseignement supérieur

M. le président. La parole est à Mme Brigitte Gonthier-Maurin, pour le groupe communiste républicain et citoyen.

Mme Brigitte Gonthier-Maurin. Madame la ministre de l’enseignement supérieur, 87 000 bacheliers sans affectation et 331 millions d’euros de crédits que vous venez d’annuler : voilà le résultat des politiques menées depuis la loi relative aux libertés et responsabilités des universités, que vous ne remettez pas en cause, et du manque récurrent et criant de moyens pour répondre à la demande de poursuite d’études de tous les étudiants et à l’enjeu de démocratisation de l’enseignement supérieur.

Sous prétexte de mettre fin à la pratique honteuse du tirage au sort, vous annoncez votre intention d’instaurer des prérequis à l’entrée à l’université. Cette introduction d’un mode de sélection à l’université constitue une remise en cause du droit d’accès à la poursuite d’études pour toutes et tous, droit pourtant inscrit dans le code de l’éducation. De plus, elle est en contradiction avec les principes de la stratégie nationale de l’enseignement supérieur adoptée en 2015 par le Gouvernement en faveur d’une société apprenante.

Il faut au contraire, madame la ministre, bannir prérequis et sélection. Face à la gravité de la situation, mon groupe et moi-même vous demandons de mettre en place un plan d’urgence qui considère l’université et l’enseignement supérieur non plus comme un coût, mais bien comme un investissement indispensable pour l’avenir de nos jeunes et pour le développement du pays ! (Applaudissements sur les travées du groupe CRC. – Mme Bariza Khiari applaudit également.)

M. le président. La parole est à Mme la ministre de l’enseignement supérieur, de la recherche et de l’innovation.

Mme Frédérique Vidal, ministre de l'enseignement supérieur, de la recherche et de l'innovation. Madame Gonthier-Maurin, vous avez raison : qu’autant d’étudiants soient aujourd’hui sans affectation dans l’enseignement supérieur est un véritable gâchis.

Ce gâchis est le fait à la fois du tirage au sort, de la non-prise en compte de l’augmentation démographique des étudiants…

Mme Frédérique Vidal, ministre. … et de la non-prise en considération du fait que, cette année, 100 000 étudiants supplémentaires utilisent le système admission post-bac, ou APB, pour se réorienter.

Mais le véritable gâchis humain, c’est celui des étudiants qui échouent à l’université. Songez que, actuellement, plus de 60 % des étudiants qui s’inscrivent dans un cycle de licence générale n’obtiennent pas de diplôme au bout de quatre ans. Le véritable gâchis social, c’est de laisser autant d’étudiants échouer, alors que nous consacrons des moyens importants à l’enseignement supérieur !

Le gâchis est aussi financier : lorsqu’il s’agit d’investir entre 8 000 et 10 000 euros par étudiant dans l’enseignement supérieur pour faire réussir nos jeunes, évidemment, la Nation salue cet investissement, mais lorsque c’est pour les faire échouer et leur donner un sentiment d’inutilité, la Nation ne remplit pas alors ses devoirs.

Mme Nicole Bricq. Très bien !

Mme Frédérique Vidal, ministre. C’est pourquoi j’ai proposé la création, que le Premier ministre a confirmée, d’un contrat de réussite avec les étudiants. Il s’agit, en orientant mieux ceux-ci, en leur disant la vérité sur leur capacité à réussir en fonction des filières et en les accompagnant vers la réussite au moyen de cours de remédiation, de limiter ce gâchis humain, social et financier. (Applaudissements sur les travées du groupe La République en marche, ainsi que sur plusieurs travées du groupe socialiste et républicain et du groupe Union Centriste.)

M. le président. La parole est à Mme Brigitte Gonthier-Maurin, pour la réplique.

Mme Brigitte Gonthier-Maurin. Madame la ministre, la situation est grave, puisque quinze universités ont été jugées dispendieuses par la Cour des comptes pour avoir simplement décidé de distribuer les moyens nécessaires à leurs missions.

Pour notre part, nous n’avons de cesse d’avancer des propositions pour remédier à l’état de difficulté dans lequel nous nous trouvons. En particulier, il faudrait considérer l’enseignement supérieur non plus comme un coût, mais comme un investissement, extraire les dépenses qui lui sont destinées du calcul des déficits publics et porter immédiatement celles-ci à 2 % du produit intérieur brut.

En effet, nous aurons besoin de moyens et de places supplémentaires pour faire réussir tout le monde. Il faudra des moyens aussi pour changer le système d’orientation, afin qu’il ne trie plus les étudiants, mais les aide à réussir. Il en faudra également pour mettre en place des passerelles et des formations supplémentaires.

Cette réforme, ce n’est ni l’établissement de prérequis ni le tri des étudiants qui la rendra possible ! (Applaudissements sur les travées du groupe CRC. – M. Jean-Pierre Godefroy applaudit également.)

collectivités et réforme de la taxe d'habitation

M. le président. La parole est à M. Dominique Bailly, pour le groupe socialiste et républicain.

M. Dominique Bailly. Monsieur le Premier ministre, alors que la suppression de la taxe d’habitation pour 80 % des ménages est annoncée pour 2018, je serais tenté de vous dire : « chiche ! »

De l’avis général, en effet, cet impôt est injuste, « socialement » et « territorialement », pour reprendre les termes employés par le Président de la République au Sénat, lors de la Conférence nationale des territoires.

Je pourrais même vous dire : « deux fois chiche ! » Car si la taxe d’habitation est à ce point injuste, pourquoi ne pas la supprimer pour 100 % des ménages ?

M. Dominique Bailly. C’est du reste ce qu’avait proposé Lionel Jospin en 2000, sans pouvoir, malheureusement, aller au bout de sa volonté politique, au-delà de la suppression de la part régionale de cette taxe.

Reste que si nous supprimons pour 80 % ou 100 % des ménages la taxe d’habitation, une question politique essentielle se pose : celle de l’autonomie financière des collectivités territoriales, dont cette taxe est aujourd’hui le pilier. Or fragiliser cette autonomie, c’est porter atteinte au principe de libre administration des collectivités territoriales. Alors oui, monsieur le Premier ministre, les élus locaux sont très inquiets, et c’est normal !

J’ai entendu que vous procéderiez par dégrèvement. D’accord ! Mais je pense qu’il faut aller plus loin : comme M. le ministre de l’action et des comptes publics l’a suggéré il y a quelques instants, il faut une véritable réforme de la fiscalité locale pour rassurer durablement les élus locaux. Oui, il faut une véritable révolution fiscale ! Tout le monde en parle et tous les gouvernements en ont parlé… Aurez-vous la volonté politique d’aboutir ?

M. le président. Il faut conclure, mon cher collègue.

M. Dominique Bailly. Monsieur le Premier ministre, allez-vous rassurer durablement les élus locaux, qui font face à des dépenses dynamiques aujourd’hui impossibles à pérenniser, et quel est votre sentiment sur ma proposition de supprimer la taxe d’habitation pour 100 % des ménages ? (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain. – M. Alain Bertrand applaudit également.)

M. le président. La parole est à M. le ministre de l’action et des comptes publics.

M. Gérald Darmanin, ministre de l'action et des comptes publics. Monsieur Bailly nous aurions aimé, pour la bonne intelligibilité de nos débats, que vous nous proposiez aussi des économies correspondantes à la suppression totale de la taxe d’habitation…

Pour notre part, nous trouverons les économies nécessaires pour financer la mesure que nous avons annoncée, de façon progressive : 3 milliards d’euros, puis 3 autres milliards, et encore une fois 3 milliards.

Réfléchir au renouveau de la fiscalité locale, imaginer une révolution fiscale pour rendre le système plus équitable pour les collectivités territoriales et plus juste pour les citoyens, pourquoi pas ? Le Président de la République et le Premier ministre en ont parlé. Mais, monsieur le sénateur, vous n’avez rien dit des économies qui le permettraient…

La suppression de la taxe d’habitation pour 80 % des ménages représente un peu moins de 9 milliards d’euros ; supprimer cette taxe aussi pour les 20 % qui restent coûterait plus de 12 milliards d’euros. Au total, cela fait donc tout de même quelque 20 milliards d’euros à trouver.

Vous avez raison, monsieur le sénateur, de dire que la taxe d’habitation est injuste. Ainsi, dans la commune d’Orchies, que vous connaissez bien (Sourires), un couple sans enfant percevant un revenu annuel de 45 000 euros paie 1 309 euros pour une maison construite en 1920, tandis qu’un ménage identique paie 938 euros pour une maison de même surface construite auparavant.

Nous sommes tout à fait d’accord avec vous sur le renouveau de la fiscalité locale, et nous irons jusqu’au bout. Je me permets toutefois de vous corriger sur un point : si la Constitution prévoit l’autonomie financière des collectivités territoriales – une autonomie confortée par le dégrèvement que nous proposons, comme du reste elle l’aurait été par une exonération –, il n’y a pas, pour l’instant, d’autonomie fiscale des collectivités territoriales. En effet, toutes n’ont pas un pouvoir de taux ; les régions, notamment, n’en ont presque pas.

Il faut donc que nous travaillions sur ces questions d’autonomie financière et d’autonomie fiscale, étant entendu que, même si ce n’est pas le projet du Gouvernement, il peut y avoir une décentralisation très avancée, et même un État fédéral, comme en Allemagne, sans autonomie fiscale des collectivités. (Applaudissements sur les travées du groupe La République en marche. – MM. Alain Bertrand et Didier Guillaume applaudissent également.)

admission post-bac (i)

M. le président. La parole est à M. Gérard Roche, pour le groupe Union Centriste.

M. Gérard Roche. Ma question s’adresse à Mme la ministre de l’enseignement supérieur, de la recherche et de l’innovation, et mon collègue Jean-Léonce Dupont s’associe à moi, madame la ministre, pour vous la poser. Elle rejoint un peu celle de Mme Gonthier Maurin ; on peut reprendre les mêmes mélodies dans des tonalités différentes…

Vous avez justement qualifié de « gâchis », il y a quelques instants encore, le dysfonctionnement du portail admission post-bac, dit APB. Ce gâchis est d’abord humain, pour les jeunes et leurs familles, sans doute celles qui ont le moins les codes pour utiliser au mieux l’algorithme et pour lesquelles la poursuite d’études d’un enfant représente un investissement très lourd.

Si vous venez d’engager une large concertation pour éviter de telles errances à la rentrée 2018 et préconisez des prérequis naturellement indispensables, il demeure à ce jour partout en France quelque 87 000 néo-bacheliers, pour certains reçus avec mention, sans affectation pour le mois de septembre prochain, victimes, si j’ai bien compris, d’un tirage au sort voulu par vos prédécesseurs et dont l’absurdité, pour rester poli, n’échappe à personne. Or la plupart des universités ferment leurs portes dans quelques jours, aux alentours du 20 août.

Ma première question, madame la ministre, est simple : comment comptez-vous, dans ce calendrier très contraint, veiller à ce que ces milliers de jeunes, déboutés provisoires du droit aux études supérieures, ne perdent pas une année et à ce que leurs familles désemparées ne se tournent pas vers des formations onéreuses n’offrant parfois aucune réelle garantie ?

Garantissez-vous, par ailleurs, que les solutions trouvées ne seront pas substantiellement éloignées du projet d’études initial des jeunes ? Comment comptez-vous faire pour que ceux-ci puissent parvenir dans des délais courts à se loger dans la ville universitaire qui les accueillera ? Quelles instructions donnerez-vous aux CROUS en ce sens ?

Autant de questions certes terre-à-terre, mais qui appellent des réponses immédiates et concrètes. Madame la ministre, les familles vous seront reconnaissantes de les leur apporter ! (Applaudissements sur les travées du groupe Union Centriste. – Mme Corinne Bouchoux et M. Alain Richard applaudissent également.)

M. le président. La parole est à Mme la ministre de l’enseignement supérieur, de la recherche et de l’innovation.

Mme Frédérique Vidal, ministre de l'enseignement supérieur, de la recherche et de l'innovation. Monsieur Roche, vous avez raison, 87 000 candidats restent inscrits sur la plateforme admission post-bac.

Parmi eux, tous ne sont pas des néo-bacheliers. En effet, une grande partie sont en réorientation : ils disposent donc d’une place dans leur filière d’origine s’ils souhaitent y retourner. D’autres, nombreux aussi, n’ont pas encore accepté leur affectation de façon définitive, parce qu’ils en espèrent une meilleure. Les néo-bacheliers sans affectation, qui étaient 36 000 voilà un mois et 17 000 voilà quinze jours, sont aujourd’hui environ 10 000 : ils sont notre priorité, et nous travaillons jour après jour à en réduire le nombre.

Nous entrons maintenant dans une nouvelle phase d’admission post-bac, dans laquelle l’ensemble des près de 200 000 places libérées dans l’enseignement supérieur pour la rentrée prochaine seront offertes à l’ensemble des candidats, de manière qu’ils puissent exprimer leur choix en fonction des places disponibles.

Bien entendu, ce système reste d’une injustice absolue, puisque, comme vous l’avez souligné, monsieur le sénateur, la capacité à l’utiliser et à s’informer de manière correcte n’est pas la même pour l’ensemble des candidats. C’est pourquoi nous avons souhaité supprimer le tirage au sort pour la rentrée 2018. Plus généralement, nous voulons sortir de la situation actuelle au travers d’une orientation renforcée dès le lycée et d’un accompagnement particulier, en précisant les prérequis et la manière dont on aide les futurs étudiants à les acquérir.

Je signale que la plateforme APB vient de rouvrir et restera ouverte jusqu’au 25 septembre. À compter du 20 août, l’ensemble des rectorats et des universités traiteront une par une la situation des néo-bacheliers. (Applaudissements sur les travées du groupe La République en marche, sur de nombreuses travées du groupe Union Centriste et sur quelques travées du groupe socialiste et républicain.)

démission du chef d’état-major des armées

M. le président. La parole est à M. Cédric Perrin, pour le groupe Les Républicains. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. Cédric Perrin. Monsieur le président, mesdames, messieurs les ministres, mes chers collègues, ma question s’adresse à M. le Premier ministre.

Le Gouvernement, ainsi qu’il a été rapporté, envisage de réduire de 850 millions d’euros le budget de la défense pour cette année.

Chacun ici est au fait des événements aussi inhabituels que regrettables qui ont abouti, hier, fait rarissime, voire unique, à la démission du chef d’état-major des armées, Pierre de Villiers.

Je veux en cet instant rendre hommage au général de Villiers, grand soldat et grand serviteur de l’État, dont j’ai pu, comme tous ceux qui l’ont côtoyé, constater l’engagement sans réserve au service de la France et de la défense de celle-ci. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et du groupe Union Centriste.)

S’il est souvent dit qu’il ne faut pas gâcher l’opportunité d’une crise, gageons que celle-ci, grave, est l’occasion de s’interroger sur certains faits.

Le premier de ces faits, c’est que nul de sérieux ne conteste qu’il n’est pas d’autorité plus habilitée que le chef d’état-major des armées pour porter un diagnostic sur l’état de nos forces. Ce diagnostic, en dépit du départ du général de Villiers, reste valide.

Oui, trois fois oui, les moyens de nos armées, vous le savez, ont été consciencieusement réduits au cours des années récentes. L’usure de quantité de nos matériels compromet non seulement les missions, mais, dans certains cas, jusqu’à la sécurité de nos soldats.

Le second de ces faits, c’est l’extrême légèreté avec laquelle le travail parlementaire a été considéré. Car, jusqu’à preuve du contraire, les propos tenus à huis clos par le chef d’état-major des armées devant une commission parlementaire – je mets de côté certaines expressions – n’étaient nullement déplacés. À moins, monsieur le Premier ministre, qu’il n’existe désormais ce qu’il faudrait bien appeler une « jurisprudence Soubelet »…

Dans ce contexte, monsieur le Premier ministre, j’ai deux questions à vous poser.

Le Gouvernement est-il sincère quand il prétend que nos forces disposeront des moyens de leur mission, alors qu’il leur coupe les crédits ?

Pouvez-vous prendre l’engagement que le travail du Parlement sera pleinement respecté et que les personnalités auditionnées par les commissions ne seront pas sanctionnées s’ils posent un diagnostic potentiellement dérangeant pour l’exécutif ? (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et sur certaines travées du groupe Union Centriste.)

M. le président. La parole est à M. le Premier ministre.

M. Édouard Philippe, Premier ministre. Monsieur Perrin, il y a un chef d’état-major des armées et un chef des armées. Ce sont deux fonctions différentes, deux légitimités différentes, deux expériences différentes, et s’il y a un désaccord entre le chef d’état-major des armées et le chef des armées, dans notre République, sous la Ve République, c’est le pouvoir politique qui prévaut ! (Applaudissements sur les travées du groupe La République en marche.)

Le chef d’état-major des armées a exprimé son désaccord avec des décisions prises par le Président de la République. Il en a tiré les conséquences. Vous avez raison, monsieur le sénateur, de lui adresser un salut républicain au moment où il quitte ses fonctions, et je m’y associe.

Je me permets de saluer de la même façon celui qui entre en fonction, le général Lecointre, que vous connaissez sûrement, parce que vous êtes passionné par les questions de défense.

Mais, encore une fois, soyons clairs : dans notre pays, dans ce régime, le chef des armées a le dernier mot en matière de choix militaires, et il ne peut pas en aller autrement.

M. Alain Gournac. À quoi sert le chef d’état-major des armées, alors ?

M. Édouard Philippe, Premier ministre. Le Président de la République s’est engagé à porter l’effort de défense à 2 % du PIB en 2025. Il s’agit d’un engagement ferme. Et s’il faut élever notre effort de défense à 2 % du PIB, monsieur le sénateur, c’est parce qu’il n’a probablement pas été au niveau du danger et de l’instabilité du monde pendant de longues années.

Mme Bariza Khiari. Très bien !

M. Édouard Philippe, Premier ministre. Et je ne crois pas, même si vous nous en faites le grief aujourd'hui, monsieur le sénateur, que cette situation et cet état de fait datent d’il y a deux mois. Malheureusement, le diagnostic est ancien.

Ce n’est pas la première fois que nous opérons des régulations budgétaires. Et quand je dis « nous », je prends la responsabilité de parler au nom de tous les gouvernements qui nous ont précédés. (M. Martial Bourquin proteste.) Tout cela n’est donc pas nouveau.

Je voudrais citer quelques chiffres, car, après tout, autant être précis. Initialement, la loi de finances pour 2016 a fixé les crédits du ministère de la défense à 31,8 milliards d’euros. Pour 2017, ces crédits ont été votés à hauteur de 32,4 milliards d’euros, budget qui devrait d’ailleurs être exécuté à peu près à ce niveau.

M. Cédric Perrin. Sans les OPEX !

M. Édouard Philippe, Premier ministre. Vous avez raison, monsieur le sénateur ! D’ailleurs, j’apprécie vivement que vous précisiez que ce chiffre ne tient pas compte des OPEX.

Encore une fois, je ne suis pas là pour désigner des coupables ou même des responsables, mais je pose la question : qu’avons-nous fait collectivement depuis plusieurs années ? Nous avons accepté tranquillement, année après année, un report des crédits consacrés aux OPEX, report qui s’établit à 750 millions d’euros cette année et que nous allons faire descendre à 700 millions d’euros.

Vous savez très bien que cela n’est pas satisfaisant. Vous savez également que, depuis de nombreuses années, pour des raisons budgétaires qui peuvent s’expliquer, nous n’intégrons pas complètement le coût réel des OPEX dans le budget de la défense. Or nous savons que ces opérations coûtent cher !

Cela fait longtemps que nous ne regardons pas en face ce que coûte réellement notre effort de défense. Le Président de la République l’a dit le 13 juillet dernier, il l’a répété ce matin : les ressources du budget de la défense s’élèveront à 34,2 milliards d’euros en 2018, soit 1,8 milliard d’euros de plus que le montant prévu dans la loi de finances initiale pour 2017. Il s’agit d’un effort supplémentaire de 5,25 % pour le budget des armées. C’est plus que la progression du PIB ou l’inflation. Le budget de la défense sera le seul budget qui augmentera en volume.

Monsieur le sénateur, je me permets également d’indiquer que cet effort important ne s’arrêtera pas en 2018. En effet, si nous voulons atteindre les 2 % du PIB en 2025, ce qui est un effort considérable, la courbe des dépenses devra croître année après année. Et si nous favorisons cette évolution, c’est non pas pour faire plaisir à tel ou tel, mais parce que la modernisation de nos équipements, de notre capacité de dissuasion, les engagements que la France prend à l’étranger exigent que nous préparions notre outil de défense à la satisfaction et la protection de nos intérêts.

Je peux comprendre toutes les polémiques. Après tout, dans cet hémicycle, tout le monde aime son pays et aime la politique. Mais regardez ce qu’il se passe en matière de défense en analysant les trois derniers mois, alors que les crédits sont en diminution depuis très longtemps, depuis trop longtemps, et alors que nous nous sommes engagés à faire l’effort dont je viens de parler pour 2018 : ce n’est pas totalement à la hauteur des enjeux, monsieur le sénateur ! (Applaudissements sur les travées du groupe La République en marche.)