compte rendu intégral

Présidence de M. Jean-Pierre Caffet

vice-président

Secrétaires :

MM. Philippe Adnot, Jackie Pierre.

M. le président. La séance est ouverte.

(La séance est ouverte à neuf heures trente.)

1

Procès-verbal

M. le président. Le compte rendu analytique de la précédente séance a été distribué.

Il n’y a pas d’observation ?…

Le procès-verbal est adopté sous les réserves d’usage.

2

Candidature aux fonctions de secrétaire du Sénat

M. le président. L’ordre du jour appelle la désignation d’un secrétaire du Sénat.

J’informe le Sénat que le groupe du Rassemblement démocratique social et européen a fait connaître à la présidence le nom du candidat qu’il propose pour remplacer, en qualité de secrétaire du Sénat, notre regretté collègue, François Fortassin.

La candidature de M. Jean Claude Requier a été publiée et la désignation aura lieu conformément à l’article 3 du règlement. (Applaudissements.)

3

Souhaits de bienvenue à une délégation parlementaire

M. le président. Mes chers collègues, il m’est particulièrement agréable de saluer la présence, dans notre tribune d’honneur, d’une délégation de députés de l’Assemblée nationale populaire de la République populaire de Chine, conduite par M. Chi Wanshun,…

M. le président. … membre du comité permanent de l’Assemblée nationale populaire, vice-président de la commission des affaires étrangères et président du groupe d’amitié Chine-France (Mmes et MM. les sénateurs, ainsi que M. le secrétaire d'État chargé des relations avec le Parlement, porte-parole du Gouvernement, se lèvent).

Le groupe d’amitié France-Chine du Sénat, animé par notre collègue Didier Guillaume, reçoit cette délégation aujourd’hui dans nos murs. La délégation est arrivée en France hier.

Cette visite se déroule à Paris autour de deux thématiques : « l’agriculture en 2050 » et « les relations entre la Chine, la France et l’Union européenne : l’expérience pratique en France sur l’entraide judiciaire en matière pénale ». Elle s’achève samedi.

Soyez les bienvenus au Sénat, chers collègues chinois ! (Applaudissements.)

4

Dépôt de documents

M. le président. M. le président du Sénat a reçu de M. le Premier ministre :

- le projet de convention entre l’État et Bpifrance relative à l’action « Industrie du futur – volet « Industrie du futur - développement de l’offre » du programme d’investissements d’avenir, PIA 3 ;

- l’avenant n°1 à la convention du 12 décembre 2014 entre l’État et l’Agence nationale pour la rénovation urbaine relative au programme d’investissements d’avenir - action : « Ville durable et solidaire, excellence environnementale du renouvellement urbain ».

Acte est donné du dépôt de ces documents.

Ils ont été transmis aux commissions permanentes compétentes.

5

 
Dossier législatif : projet de loi ratifiant l'ordonnance n° 2016-1360 du 13 octobre 2016 modifiant la partie législative du code des juridictions financières
Discussion générale (suite)

Ordonnance modifiant le code des juridictions financières

Adoption en procédure accélérée d’un projet de loi dans le texte de la commission

Discussion générale (début)
Dossier législatif : projet de loi ratifiant l'ordonnance n° 2016-1360 du 13 octobre 2016 modifiant la partie législative du code des juridictions financières
Article 1er

M. le président. L’ordre du jour appelle la discussion du projet de loi, adopté par l’Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, ratifiant l’ordonnance n° 2016–1360 du 13 octobre 2016 modifiant la partie législative du code des juridictions financières (projet n° 432, texte de la commission n° 594, rapport n° 593).

Dans la discussion générale, la parole est à M. le secrétaire d'État.

M. Christophe Castaner, secrétaire d'État auprès du Premier ministre, chargé des relations avec le Parlement, porte-parole du Gouvernement. Monsieur le président, madame la rapporteur, mesdames, messieurs les sénateurs, permettez-moi, à mon tour, de saluer les représentants du Parlement chinois et le président du groupe d’amitié Chine-France.

Mesdames, messieurs, l’article 86 de la loi du 20 avril 2016 relative à la déontologie et aux droits et obligations des fonctionnaires habilitait le Gouvernement à prendre par ordonnance toutes mesures relevant du domaine de la loi ayant pour objet, d’une part, la modernisation du code des juridictions financières, « afin d’en supprimer les dispositions devenues obsolètes, redondantes ou de les clarifier », d’autre part, l’adaptation de règles statutaires concernant notamment le régime disciplinaire, la garantie de l’indépendance ou bien encore le recrutement par le tour extérieur.

Cette ordonnance a été publiée par le Gouvernement le 13 octobre 2016. Puis, le projet de loi de ratification a été adopté par l’Assemblée nationale le 16 février 2017. Vous en êtes, mesdames, messieurs les sénateurs, désormais saisis.

Je précise que les évolutions que nous examinons concernent non seulement la Cour des comptes, mais aussi les chambres régionales des comptes, les chambres territoriales des comptes et la Cour de discipline budgétaire et financière.

Tout d’abord, le projet d’ordonnance modernise les dispositions relatives aux missions, à l’organisation et aux procédures des juridictions financières.

L’ordonnance comporte une importante dimension technique puisqu’elle procède à une clarification de la rédaction du code des juridictions financières. À la faveur de cette refonte, plusieurs dispositions de modernisation et de clarification sont introduites.

Le code des juridictions financières avait en effet perdu de sa cohérence au fur et à mesure d’ajouts ponctuels et successifs.

Les juridictions financières ont, il est vrai, vu leurs attributions s’élargir au cours des quinze dernières années. Il était donc nécessaire d’en tirer les conséquences en termes de lisibilité du texte.

Cet élargissement a touché leurs métiers puisqu’au jugement des comptes et au contrôle de la gestion se sont ajoutées l’évaluation des politiques publiques et la certification des comptes.

Comme vous le savez tous, cet élargissement également a touché leurs publics, notamment avec le développement des demandes d’enquêtes d’origine parlementaire.

Il a, en outre, touché le périmètre de leur compétence. Ainsi, l’an dernier, elles se sont vu confier, par la loi du 26 janvier 2016 de modernisation de notre système de santé, le contrôle des comptes et de la gestion des établissements sociaux et médico-sociaux et des cliniques privées.

Un effort de lisibilité générale des procédures a été réalisé afin de les rendre plus homogènes et de faciliter leur compréhension par les organismes contrôlés et les citoyens.

À cette occasion, les droits des personnes contrôlées ont aussi été renforcés, notamment avec une extension et une clarification de leur droit à être entendues directement en audition par les formations de délibéré des juridictions financières.

Par ailleurs ont été simplifiées des procédures devenues trop complexes ou dont la spécificité n’était plus du tout justifiée. C’est le cas, par exemple, des dispositions relatives au contrôle des entreprises publiques, qui résultaient d’une rédaction datant de 1976.

D’autres procédures ont été harmonisées. Le nouvel article L. 132-5 prévoit ainsi que « lorsque la Cour des comptes procède aux enquêtes qui lui sont demandées par les commissions des affaires sociales du Parlement, elle peut intervenir dans le domaine de compétence des chambres régionales et territoriales des comptes, par cohérence avec la disposition applicable lorsque la saisine émane des commissions des finances ».

Les dispositions relatives au droit de communication sont elles aussi mises à jour dans ce texte. En effet, les juridictions financières disposent traditionnellement d’un droit étendu de communication des documents utilisés par les organismes qu’elles contrôlent, mais ces articles avaient besoin d’être adaptés.

Adaptés, tout d’abord, du fait de la dématérialisation croissante de l’information : aujourd’hui, le droit de communication doit avant tout être un droit d’accès à des données et des traitements informatiques.

Adaptés également dans leur champ, notamment en ce qui concerne les dossiers des commissaires aux comptes de ces organismes, puisque le code des juridictions financières n’avait pas été modifié à la suite des extensions du périmètre de l’obligation de certification des comptes, en particulier aux établissements publics de santé.

Le projet d’ordonnance apporte par ailleurs quelques modifications relatives au statut des membres des juridictions financières.

La loi relative à la déontologie et aux droits et obligations des fonctionnaires avait d’ores et déjà prévu un certain nombre de dispositions en la matière. Sur ces questions statutaires, l’ordonnance intervient donc de façon plus ponctuelle. Ainsi, s’agissant de la Cour des comptes, elle porte principalement sur la mise à jour de quelques dispositions du code qui n’étaient plus cohérentes au vu d’évolutions législatives antérieures, que ce soit la loi organique du 1er août 2001 relative aux lois de finances, qui a supprimé la notion de « vacances » de postes ou le passage du grade d’auditeur au grade de conseiller référendaire en trois ans et non plus en sept ans, réforme déjà ancienne qui a aujourd’hui des conséquences sur la suite de la carrière des magistrats.

Enfin, si la loi du 13 décembre 2011 relative à la répartition des contentieux et à l’allègement de certaines procédures juridictionnelles a prévu l’adoption par la Cour et les chambres régionales des comptes de normes professionnelles, elle avait restreint leur champ d’application aux seuls magistrats. L’ordonnance élargit donc ce champ aux rapporteurs extérieurs, aux conseillers maîtres en service extraordinaire, aux conseillers référendaires en service extraordinaire et aux conseillers-experts.

S’agissant des magistrats des chambres régionales des comptes, le régime d’incompatibilité applicable à leur détachement est aménagé : pour tenir compte de l’élargissement des ressorts géographiques des chambres régionales des comptes, l’ordonnance rend en effet possible une mobilité sortante vers une collectivité ou un organisme de ce ressort, ce qui était jusqu’à présent impossible avant un délai de trois ans.

Toutefois, et c’est bien naturel, l’ordonnance l’assortit de conditions strictes : au cours de ses trois dernières années dans la chambre, le magistrat ne doit pas avoir participé au jugement des comptes de la collectivité vers laquelle il se destine, ni au contrôle de ses comptes et de sa gestion, ni au contrôle de ses actes budgétaires, ni même à ceux d’une autre collectivité ou organisme ayant pour représentant légal celui de la structure qu’il souhaite rejoindre.

Enfin, l’ordonnance simplifie et modernise les procédures de la Cour de discipline budgétaire et financière, sans toucher toutefois à ses compétences, que ce soit sur le plan des infractions et des sanctions ou sur celui des justiciables.

La Cour de discipline budgétaire et financière, juridiction administrative spécialisée chargée de réprimer les violations, par les gestionnaires publics, des règles de protection des finances publiques, est régie par des règles qui proviennent essentiellement de la loi du 25 septembre 1948. Celle-ci a été entièrement codifiée dans la partie législative du code des juridictions financières dans les années quatre-vingt-dix et n’a été modifiée, s’agissant des règles de procédure, qu’à la marge depuis 1948.

Dès lors, certaines de ces règles étaient imprécises et méritaient, au regard des exigences tant du droit interne que du droit européen, d’être clarifiées et modernisées.

Les modifications portent sur des règles d’organisation et de procédure, comme les possibilités de représentation du procureur général dans ses fonctions de ministère public, le plan de déroulement de l’audience, la possibilité pour les procureurs de la République de déférer des faits à la Cour – c’était déjà le cas dans la pratique, même si ce n’était pas encadré – ou la date d’interruption de la prescription.

Elles renforcent les droits de la défense en clarifiant les règles d’incompatibilité et de récusation des membres de la Cour et des rapporteurs, en élargissant le droit d’accès au dossier des personnes mises en cause et en affichant expressément le caractère de sanction de la décision de publication de l’arrêt que peut rendre la Cour.

L’ordonnance supprime, enfin, certaines dispositions obsolètes ou susceptibles d’être déclarées non conformes à la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, comme le suivi du déroulement de l’instruction par le ministère public, la demande d’avis des ministres, la présentation de son rapport par le rapporteur à l’audience ou la voix prépondérante du président en cas de partage égal des voix.

Avant de conclure ce propos, je souhaite saluer le travail rigoureux et très précis de Mme la rapporteur.

Les amendements qu’elle a présentés à la commission des lois, qui les a adoptés, ont permis de corriger quelques erreurs matérielles et de répondre à un point de droit soulevé récemment par le Conseil d’État, à savoir que seule la loi, et non le règlement, peut organiser certaines modalités selon lesquelles sont prises les décisions juridictionnelles de la Cour et des chambres régionales et territoriales des comptes.

Je vous invite donc à adopter sans réserve ce projet de loi.

M. le président. La parole est à Mme la rapporteur.

Mme Catherine Di Folco, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale. Monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, nous examinons donc le projet de loi ratifiant l’ordonnance du 13 octobre 2016 modifiant la partie législative du code des juridictions financières.

Cette ordonnance a été prise sur le fondement de l’article 86 de la loi du 20 avril 2016 relative à la déontologie et aux droits et obligations des fonctionnaires, qui a habilité le Gouvernement à intervenir dans le domaine législatif pour modifier les règles statutaires applicables aux magistrats des juridictions financières, adapter les dispositions régissant l’activité de ces magistrats et moderniser le code des juridictions financières, « afin d’en supprimer les dispositions devenues obsolètes, redondantes ou de les clarifier ».

Les cinquante-trois articles de l’ordonnance modifient l’ensemble des livres du code des juridictions financières. Ils concernent ainsi la Cour des comptes, les chambres régionales et territoriales des comptes, mais également la Cour de discipline budgétaire et financière, la CDBF.

Ce texte n’introduit que peu de modifications de fond ; la plupart concernent les questions statutaires. Les autres modifications apportées visent à adapter le code aux évolutions des missions des juridictions financières et à moderniser la Cour de discipline budgétaire et financière.

L’ordonnance restructure principalement les différentes parties du code des juridictions financières en créant, par exemple, de nouvelles sections au sein de plusieurs chapitres relatifs aux missions de la Cour et des chambres régionales et territoriales des comptes ou au sein du chapitre qui régit les relations de la Cour des comptes avec le Parlement et le Gouvernement, et en déplaçant de nombreux articles, sans pour autant modifier le fond.

Au-delà des dispositions d’organisation du code et des simples clarifications rédactionnelles, l’ordonnance modifie sur le fond certaines dispositions pour tenir compte de l’évolution des missions des juridictions financières au fil du temps, notamment avec l’ajout des missions d’évaluation des politiques publiques et de certification des comptes de diverses structures.

Ainsi, l’ordonnance harmonise les procédures d’enquêtes demandées à la Cour des comptes par le Parlement, simplifie certaines procédures obsolètes, notamment celles qui concernent le contrôle des entreprises publiques et de leurs filiales, renforce les droits des personnes contrôlées à être entendues sur l’ensemble des observations formulées par la Cour, y compris celles qui ne sont pas publiées.

L’ordonnance modifie ensuite le statut des membres de la Cour et des chambres régionales et territoriales des comptes. Ainsi, elle applique les « normes professionnelles » des juridictions financières à l’ensemble de leurs membres.

Elle modifie le régime disciplinaire des magistrats de la Cour et des chambres régionales et territoriales des comptes en s’inspirant de celui qui est prévu par les articles 26 et 27 de la loi relative à la déontologie et aux droits et obligations des fonctionnaires pour les agents publics et les militaires.

Elle modifie également certaines conditions d’avancement des magistrats de la Cour des comptes.

Elle assouplit le régime de détachement et de mise en disponibilité des magistrats des chambres régionales et territoriales des comptes auprès des collectivités territoriales, établissements publics et organismes de leur ressort.

L’ordonnance modifie certaines règles de procédures applicables devant la Cour de discipline budgétaire et financière.

Ainsi, les possibilités de représentation et d’assistance du procureur général près la CDBF sont clarifiées et la liste des autorités pouvant déférer une affaire au ministère public près cette cour est modifiée.

L’ordonnance fait évoluer les conditions d’instruction en renforçant l’indépendance du rapporteur et en modifiant les règles de prescription.

Les droits des personnes mises en cause devant cette cour sont également renforcés : elles peuvent désormais avoir accès à leur dossier dès l’instruction et n’ont plus à attendre le renvoi de l’affaire devant la Cour.

Le délai de prescription n’est pas modifié. En revanche, sept cas d’interruption de ce délai sont précisés.

Les avis du ministre concerné par les faits et du ministre des finances sont supprimés.

L’ordonnance renforce également les critères d’impartialité de la Cour de discipline budgétaire et financière conformément à la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales. Un dispositif de récusation des magistrats est consacré au niveau législatif, lorsqu’il existe une raison sérieuse de mettre en doute leur impartialité.

La prépondérance de la voix du président de la formation de jugement en cas de partage des voix est supprimée.

Enfin, des modifications sont apportées au régime de publication des arrêts de la Cour de discipline budgétaire et financière. Ceux-ci peuvent être publiés même lorsqu’ils n’ont pas acquis un caractère définitif.

Sur le fond, l’ordonnance ne modifie qu’à la marge les procédures applicables devant la Cour des comptes et devant les chambres régionales et territoriales des comptes. En revanche, elle modifie de façon importante les procédures de la Cour de discipline budgétaire et financière, alors même qu’il s’agit d’un sujet en soi. Comme je l’avais d’ailleurs évoqué lors de la présentation de la proposition de loi de notre collègue Vincent Delahaye visant à assurer la sincérité et la fiabilité des comptes des collectivités territoriales, il apparaît nécessaire de mener une réflexion globale sur le fonctionnement et le champ de compétences de cette juridiction.

Sur ce sujet important, l’ordonnance prend des mesures qui dépassent de loin le simple « toilettage » légistique et, donc, le périmètre de l’habilitation. Nous pouvons nous étonner de cette façon de faire.

Toutefois, la plupart de ces modifications visent à renforcer les droits des personnes mises en cause devant la Cour de discipline budgétaire et financière, notamment en leur permettant d’accéder à leur dossier dès l’instruction et non plus après renvoi de l’affaire.

La suppression de la voix prépondérante du président de la formation de jugement peut davantage poser question, notamment parce que cette mesure ne va pas de soi, d’autant que les magistrats siègent en nombre pair. Je rappelle, par exemple, que l’assemblée du contentieux du Conseil d’État ne peut statuer « qu’en nombre impair » et que le président du Conseil constitutionnel dispose d’une voix prépondérante en cas de partage.

Lors de son audition, M. Didier Migaud, Premier président de la Cour des comptes et président de la CDBF, a précisé qu’historiquement il n’a jamais été fait appel à sa voix prépondérante, aucun partage de voix n’ayant été constaté. Il a également précisé qu’en cas de partage des voix et en l’absence de voix prépondérante du président, le bénéfice du doute serait laissé à la personne mise en cause.

Dès lors, ces deux observations n’ont pas paru constituer d’obstacle dirimant à la ratification de la présente ordonnance.

De plus, d’un point de vue formel, on peut constater que le Gouvernement a respecté le délai de l’habilitation pour prendre l’ordonnance, ainsi que le délai qui lui était imparti pour déposer un projet de loi de ratification.

Il convient également de saluer les efforts de clarification et de structuration du code des juridictions financières.

La commission des lois a cependant approuvé cinq amendements visant principalement à apporter des précisions au texte de l’ordonnance, à corriger des erreurs matérielles, à procéder à des coordinations concernant les dispositions relatives à l’outre-mer et à préciser, au niveau législatif, la liste des formations délibérantes des juridictions financières exerçant des fonctions juridictionnelles.

La commission des lois ayant adopté le projet de loi ainsi modifié, elle espère, monsieur le secrétaire d'État, que vous parviendrez à trouver une petite « niche » dans l’ordre du jour de l’Assemblée nationale pour que ce texte qui sera adopté « non conforme » par le Sénat puisse entrer rapidement en vigueur… (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et du groupe Union Centriste.)

M. le président. La parole est à M. Vincent Delahaye, pour le groupe Union Centriste.

M. Vincent Delahaye. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, la ratification de l’ordonnance qui nous est soumise ce matin aurait pu passer inaperçue si le contexte de cette session extraordinaire n’avait pas posé de nouveau d’importantes questions relatives à nos juridictions financières.

En effet, nous examinerons la semaine prochaine en séance publique les deux projets de loi relatifs au rétablissement de la confiance dans l’action publique. Ces textes ont vocation à inaugurer un cycle législatif nous conduisant jusqu’à une révision de la Constitution dans les mois prochains.

À cet égard, le Président de la République nous a rappelé, lors de la dernière réunion du Congrès, son souhait de supprimer la Cour de justice de la République, la CJR, juridiction d’exception compétente pour juger des actes commis par les membres du Gouvernement.

Cette annonce concerne directement les dispositions de l’ordonnance qui sont relatives à la Cour de discipline budgétaire et financière. En effet, depuis la loi du 25 septembre 1948, cette juridiction n’a jamais été compétente pour juger des infractions financières commises par les ordonnateurs principaux des ministères, c’est-à-dire les ministres eux-mêmes.

Dès lors, je profite de cette séance pour poser la question : quel ordre de juridiction sera compétent pour juger des carences financières et comptables des ministres, le juge administratif ou le juge judiciaire ? En réalité, cela repose fatalement la question de l’avenir de la CDBF.

Cette ordonnance avait vocation à moderniser, enfin, une juridiction et une procédure dont l’originalité était en contradiction avec le droit de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales. En effet, la CDBF est une juridiction administrative spécialisée, à l’instar de la Cour des comptes, mais qui agit comme une juridiction pénale bien qu’elle ne soit composée que de membres de la juridiction administrative.

Le présent texte a pour mérite de clarifier non seulement la procédure devant la CDBF, mais également le statut de ses membres. Je crains néanmoins que cette ratification n’arrive paradoxalement trop tôt.

En effet, si les ministres ne sont plus justiciables de la Cour de justice de la République, ils devraient l’être, en tant qu’ordonnateurs, devant la CDBF, comme les ordonnateurs locaux. Je crois en effet que notre tradition juridique penche de longue date pour confier à la juridiction administrative, ou du moins à une juridiction spécialisée, le soin de juger ces justiciables spécifiques que sont les ministres.

Au-delà, je rappelle que nous avions terminé la dernière session ordinaire par l’examen d’une proposition de loi que j’avais déposée avec plusieurs de mes collègues et qui visait à étendre le champ de compétence de la CDBF aux exécutifs locaux.

Ces deux propositions permettraient ainsi de faire de cette cour le juge répressif de droit commun des responsables politiques en matière de finances publiques.

Bien que cela puisse paraître un peu audacieux, ou un peu prématuré dans l’attente des expérimentations en cours prévues par la loi portant nouvelle organisation territoriale de la République, ou loi NOTRe, et la suppression de la CJR elle-même, je crois que, dans le cadre du « galop » législatif sur la confiance et la transparence de la vie publique, il est temps de se poser ces questions.

Il est d’autant plus temps de le faire que nous avons eu hier, lors de notre audition du Premier président de la Cour des comptes, Didier Migaud, la confirmation que le projet de loi de finances pour 2017 était, en réalité, dans ses hypothèses de base comme dans sa construction, totalement insincère.

Cette insincérité n’était pas accidentelle. Le budget pour 2017 a été préparé dans un but d’affichage politique. Il a été présenté sans que l’avis du Haut Conseil des finances publiques non plus que le rejet massif, franc et immédiat du Sénat ne soient pris en compte. Aussi, il ne serait pas déraisonnable, en l’espèce, que certains puissent aller présenter leurs explications devant une juridiction spécifiquement formée à cet effet.

En deçà de cet appel à un renforcement de fond des compétences répressives de nos juridictions financières, je note avec intérêt que le présent texte étend les outils du contrôle budgétaire réalisé par le Parlement en rapport avec la Cour des comptes. L’ordonnance harmonise les procédures d’enquêtes demandées à la Cour des comptes par le Parlement. Toutes les commissions parlementaires compétentes peuvent faire une demande d’enquête, les commissions des affaires sociales bénéficiant désormais des mêmes prérogatives que les commissions des finances et les commissions d’enquête. C’est une bonne disposition.

Concernant les dispositions statutaires relatives aux membres de la Cour des comptes, ce texte est plus un toilettage de l’existant qu’une véritable révolution. C’est bien dommage ! À quelques jours du début de l’examen des projets de loi relatifs à la confiance dans notre vie démocratique, il aurait été encourageant que soit demandé à la Cour des comptes de revoir les conditions d’avancement de ses membres en détachement, notamment en matière de droits à la retraite. Cela aurait été un signal bienvenu.

Comme le veut l’adage, « la femme de César doit être irréprochable », et la Cour des comptes, en tant que gardienne du sérieux et de la crédibilité du contrôle budgétaire public, se doit d’être, elle aussi, parfaitement irréprochable. Nul ne doute qu’elle le soit, mais en la matière, tout est toujours perfectible !

Au-delà de ces quelques remarques, mes chers collègues, je ne vois aucune objection à ce que nous ratifiions cette ordonnance. Voilà pourquoi les sénateurs du groupe Union Centriste voteront en faveur de ce texte. (Applaudissements sur les travées du groupe Union Centriste et du groupe Les Républicains.)

M. le président. La parole est à Mme Michèle André, pour le groupe socialiste et républicain.