Sommaire

Présidence de M. Gérard Larcher

Secrétaires :

MM. François Fortassin, Jean-Pierre Leleux.

1. Procès-verbal

2. Dépôt du rapport annuel de la cour des comptes

M. le président

M. Didier Migaud, Premier président de la Cour des comptes

Mme Michèle André, présidente de la commission des finances

M. Alain Milon, président de la commission des affaires sociales

Suspension et reprise de la séance

3. Questions d'actualité au Gouvernement

rapport annuel de la cour des comptes

M. Michel Bouvard ; M. Christian Eckert, secrétaire d'État auprès du ministre de l’économie et des finances, chargé du budget et des comptes publics ; M. Michel Bouvard.

disponibilité des vaccins obligatoires

M. Jean-Claude Requier ; Mme Pascale Boistard, secrétaire d'État auprès de la ministre des affaires sociales et de la santé, chargée des personnes âgées et de l’autonomie ; M. Jean-Claude Requier.

situation à aulnay-sous-bois (I)

Mme Esther Benbassa ; M. Bruno Le Roux, ministre de l’intérieur ; Mme Esther Benbassa.

situation à aulnay-sous-bois (II)

Mme Éliane Assassi ; M. Bruno Le Roux, ministre de l’intérieur.

avenir de l’union européenne

M. Richard Yung ; M. Harlem Désir, secrétaire d'État auprès du ministre des affaires étrangères et du développement international, chargé des affaires européennes.

bilan de l’évacuation de la jungle de calais

M. Jean-Marie Vanlerenberghe ; M. Bruno Le Roux, ministre de l'intérieur ; M. Jean-Marie Vanlerenberghe.

avenir du site alstom de belfort

M. Cédric Perrin ; M. Christian Eckert, secrétaire d'État auprès du ministre de l’économie et des finances, chargé du budget et des comptes publics.

mixité sociale au collège

Mme Françoise Cartron ; Mme Hélène Geoffroy, secrétaire d'État auprès du ministre de la ville, de la jeunesse et des sports, chargée de la ville.

consultation des domaines en matière d’opérations immobilières

M. Jean-François Longeot ; M. Christian Eckert, secrétaire d'État auprès du ministre de l'économie et des finances, chargé du budget et des comptes publics ; M. Jean-François Longeot.

olympisme et langue française

M. Jacques Legendre ; M. Thierry Braillard, secrétaire d'État auprès du ministre de la ville, de la jeunesse et des sports, chargé des sports.

situation des aides à domicile

M. Christian Manable ; Mme Pascale Boistard, secrétaire d'État auprès de la ministre des affaires sociales et de la santé, chargée des personnes âgées et de l'autonomie.

eco’mouv

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx ; M. Christian Eckert, secrétaire d’État auprès du ministre de l’économie et des finances, chargé du budget et des comptes publics ; Mme Marie-Hélène Des Esgaulx.

Suspension et reprise de la séance

PRÉSIDENCE DE Mme Isabelle Debré

4. Communication relative à une commission mixte paritaire

5. Prise d’effet de nominations à une commission mixte paritaire

6. Établissement public chargé de la formation professionnelle des adultes. – Adoption définitive en procédure accélérée d’un projet de loi dans le texte de la commission

Discussion générale :

Mme Clotilde Valter, secrétaire d’État auprès de la ministre du travail, de l’emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social, chargée de la formation professionnelle et de l’apprentissage

M. Michel Forissier, rapporteur de la commission des affaires sociales

M. Dominique Watrin

Mme Hermeline Malherbe

M. Jean-Marc Gabouty

M. Jean Desessard

Mme Nicole Bricq

Mme Catherine Procaccia

M. Michel Forissier, rapporteur

Mme Clotilde Valter, secrétaire d’État

Clôture de la discussion générale.

Article unique

Adoption définitive, par scrutin public, de l’article unique du projet de loi dans le texte de la commission.

7. Communications du Conseil constitutionnel

8. Prise d’effet de nominations à une commission mixte paritaire

9. Ordre du jour

compte rendu intégral

Présidence de M. Gérard Larcher

Secrétaires :

M. François Fortassin,

M. Jean-Pierre Leleux.

M. le président. La séance est ouverte.

(La séance est ouverte à onze heures trente.)

1

Procès-verbal

M. le président. Le compte rendu analytique de la précédente séance a été distribué.

Il n’y a pas d’observation ?…

Le procès-verbal est adopté sous les réserves d’usage.

2

Dépôt du rapport annuel de la cour des comptes

M. le président. L’ordre du jour appelle le dépôt du rapport annuel de la Cour des comptes.

Huissiers, veuillez faire entrer M. le Premier président et M. le rapporteur général de la Cour des comptes.

(M. le Premier président et M. le rapporteur général de la Cour des comptes sont introduits dans l’hémicycle selon le cérémonial d’usage.)

M. le président. Monsieur le Premier président, monsieur le rapporteur général, c’est avec un grand plaisir que nous vous accueillons au Sénat pour la présentation du rapport annuel de la Cour des comptes.

Je connais l’attention que vous portez au Parlement et je tiens à vous remercier personnellement de votre présence parmi nous aujourd’hui, ainsi que de vos fréquentes interventions devant nos commissions. La Cour des comptes est en effet souvent sollicitée par les commissions permanentes et les délégations du Sénat, à commencer, bien sûr, par les commissions des finances et des affaires sociales.

Au cours de l’année 2016, la commission des finances a pu bénéficier de l’éclairage de la Cour sur des sujets aussi variés que la journée défense et citoyenneté, l’état et la compétitivité du transport aérien, l’enseignement français à l’étranger, le financement des opérations extérieures de la France ou, encore récemment, l’efficience des dépenses fiscales relatives au développement durable.

La commission des affaires sociales a, quant à elle, pu bénéficier, pour l’exercice de ses fonctions de contrôle, de l’expertise de la Cour des comptes sur la prévention des conflits d’intérêts en matière d’expertise sanitaire, ainsi que sur l’adaptation aux besoins des moyens matériels et humains consacrés à l’imagerie médicale.

Ces sollicitations illustrent l’attention que porte le Sénat aux observations et aux recommandations formulées par la Cour.

La remise du rapport annuel de la Cour des comptes est toujours un moment très attendu pour l’analyse critique qu’elle offre de nos finances publiques – le nombre de mes collègues présents en témoigne – a fortiori en cette année de transition où les options politiques des uns et des autres en matière budgétaire et fiscale seront soumises au verdict des urnes.

La situation de nos finances publiques est aujourd’hui loin d’être satisfaisante, de surcroît dans un contexte qui nous pousse à craindre des évolutions budgétaires négatives.

Vous l’aurez donc compris, monsieur le Premier président, c’est avec le plus grand intérêt et toute notre attention que nous allons à présent vous écouter présenter le rapport annuel de la Cour des comptes, avant d’entendre Mme la présidente de la commission des finances et M. le président de la commission des affaires sociales.

Monsieur le Premier président, vous avez la parole.

M. Didier Migaud, Premier président de la Cour des comptes. Monsieur le président, en application de l’article L. 143–6 du code des juridictions financières, j’ai l’honneur de vous remettre le rapport public annuel de la Cour des comptes. (M. le Premier président remet à M. le président du Sénat le rapport public annuel de la Cour des comptes.)

Monsieur le président, madame la présidente de la commission des finances, monsieur le président de la commission des affaires sociales, mesdames, messieurs les sénateurs, les juridictions financières publient de nombreux rapports tout au long de l’année, mais la présentation du rapport public annuel demeure un rendez-vous incontournable, un point culminant de notre calendrier.

En effet, ce rapport permet à la Cour et aux chambres régionales de rendre compte d’une partie de leurs constats, de leur incidence effective sur l’action publique et de leur activité, tout en satisfaisant leur obligation constitutionnelle de contribuer à l’information des citoyens.

Au sujet de l’activité des juridictions, je veux citer ce matin quelques éléments.

En 2016, le champ de compétences juridictionnelles de la Cour et des chambres régionales des comptes couvrait plus de 17 000 organismes. Les chambres régionales ont publié 612 rapports d’observations définitives portant sur la gestion et les comptes des collectivités territoriales, des hôpitaux et d’autres institutions locales, auxquels s’ajoutent les avis de contrôle budgétaire et les jugements, et plus de 1 000 travaux correspondant à nos différents métiers ont été conduits par les chambres de la Cour.

Certains travaux, vous l’avez rappelé, monsieur le président, ont été réalisés à la demande des commissions des finances et des affaires sociales du Sénat. Je profite de ma venue dans cet hémicycle pour me réjouir de la qualité des relations entre la Cour et la Haute Assemblée, notamment ses commissions permanentes. Cela témoigne de l’intensité et de la portée de la mission d’assistance de notre institution à la représentation nationale.

Naturellement, nous ne nous contentons pas de « poser tous ces travaux sur la table ». Nous en suivons très attentivement les effets en analysant les suites apportées à nos recommandations : 72 % des recommandations émises au cours des trois dernières années ont été au moins partiellement mises en œuvre, et près de 25 % l’ont été entièrement.

Ce que mesurent ces constats, c’est à la fois la réalité des efforts des agents publics pour appliquer nos recommandations – donc, l’incidence effective sur l’action publique des travaux des juridictions financières – et le chemin qu’il reste à parcourir pour améliorer l’efficacité et l’efficience de nos services publics.

Je voudrais à présent vous faire part des idées-forces que je retiens des travaux présentés aujourd’hui.

Premièrement, les progrès constatés depuis 2010 dans la situation de nos finances publiques sont réels, mais demeurent fragiles. Des efforts accrus de maîtrise des dépenses seront nécessaires pour que la France puisse stabiliser puis réduire son niveau de dette et respecter la trajectoire sur laquelle elle s’est engagée à travers son gouvernement et son Parlement.

Deuxièmement, pour accroître l’efficacité et l’efficience des services publics, une dynamique de modernisation s’est amorcée dans de nombreux secteurs. Elle demande à être amplifiée et doit concerner tous les domaines de l’action publique.

Enfin, troisièmement, pour accompagner et renforcer cette dynamique, les juridictions financières s’attachent à identifier les freins persistants qui l’entravent et à mettre en valeur les conditions de sa réussite.

J’en viens maintenant à mon premier message, qui concerne la situation de nos finances publiques, appréciée au regard des derniers éléments disponibles.

À première vue, on pourrait se réjouir et se satisfaire de l’évolution récente de nos grands agrégats financiers. En 2016, le déficit public devrait de nouveau se réduire selon les prévisions du Gouvernement.

M. Didier Guillaume. Très bien !

M. Didier Migaud, Premier président de la Cour des comptes. Le solde public s’établirait à moins 3,3 points de PIB, ce qui représente une amélioration de 0,2 point par rapport à 2015.

Plusieurs éléments conduisent néanmoins à relativiser la portée des progrès enregistrés, qui demeurent fragiles.

Mme Nicole Bricq. Oui, pour le moins !

M. Didier Migaud, Premier président de la Cour des comptes. Tout d’abord, la France est, avec l’Espagne, le Portugal et la Grèce, l’un des quatre pays de la zone euro à être encore placés en procédure de déficit public excessif.

Ensuite, la maîtrise apparemment accrue de nos dépenses publiques doit être mise en perspective.

Au-delà des efforts d’économies qui ont été engagés, des facteurs indépendants de la volonté des pouvoirs publics ont contribué à une maîtrise accrue de nos dépenses et au respect de la trajectoire : l’évolution à la baisse des taux d’intérêt, à laquelle est due 40 % de la réduction du déficit public intervenue depuis 2011,…

Mme Nicole Bricq. Merci M. Draghi !

M. Didier Migaud, Premier président de la Cour des comptes. … et la baisse de notre contribution au budget européen.

En dernier lieu, le niveau de notre dette publique est toujours préoccupant. Établi à 96 points de PIB, il est supérieur au niveau de dette moyen des États de la zone euro.

Sa stabilisation en 2016, telle qu’elle a été prévue par le Gouvernement, a été facilitée par des facteurs exceptionnels et par la poursuite de l’utilisation, par l’Agence France Trésor, d’un volume élevé d’émissions sur des souches anciennes, c’est-à-dire à des taux supérieurs à ceux du marché actuel. Cette pratique, qui freine dans un premier temps l’évolution de l’endettement en permettant l’encaissement de primes à l’émission, aura comme contrepartie l’alourdissement corrélatif dans les années à venir de la charge de la dette et le besoin de financement de l’État. En tout cas, c’est un risque.

Enfin et surtout, s’il se stabilise, le niveau de notre dette ne se replie pas, alors même que la dette de certains de nos voisins européens, comme l’Allemagne et les Pays-Bas, a continué de baisser en 2016.

En 2017, selon les prévisions du Gouvernement, l’amélioration de nos comptes devrait s’accentuer plus sensiblement. En effet, si l’objectif de réduction de déficit était de 0,2 point en 2016, celui de 2017 a été fixé à un niveau beaucoup plus ambitieux : 0,6 point.

Si les juridictions financières appellent de nouveau à faire preuve de prudence vis-à-vis de ces prévisions, ce n’est pas parce qu’elles font profession de pessimisme. C’est au contraire parce qu’elles considèrent que, sans prévisions réalistes, il n’existe pas de choix éclairés. Or les prévisions actuelles ne leur semblent pas assez prudentes. Elles comportent une évaluation optimiste des recettes publiques. Celle-ci repose, d’une part, sur une prévision de croissance économique pour 2017 qui avait été jugée un peu élevée par le Haut Conseil des finances publiques au mois de septembre dernier et, d’autre part, sur l’hypothèse d’une croissance spontanée des prélèvements obligatoires supérieure à ce que dicterait la prudence.

Du côté des dépenses publiques, les prévisions de déficit intègrent effectivement une nette accélération, qui s’explique notamment par une progression de plus de 3 % de la masse salariale de l’État en 2017.

La Cour estime néanmoins que cette prévision risque d’être sous-estimée, aussi bien pour l’État que pour la sécurité sociale.

En définitive, l’objectif d’un déficit de 2,7 points de PIB en 2017 sera très difficile à atteindre.

Comme j’ai eu l’occasion de le souligner voilà quelques semaines lors de notre audience solennelle de rentrée, le respect de la trajectoire adoptée dans le cadre de la dernière loi de programmation des finances publiques appellera des efforts supplémentaires en matière de dépenses.

Ces efforts seront d’autant plus exigeants que plusieurs tendances lourdes s’apprêtent à peser comme autant de contraintes supplémentaires sur la situation des finances publiques. Je veux parler de la remontée des taux d’intérêt qui est en train de se concrétiser, de l’évolution de notre contribution au budget de l’Union européenne qui, selon les prévisions mêmes de la Commission, devrait recommencer à s’accroître et, enfin, du choix souverain de notre pays de renforcer ses efforts en matière de sécurité intérieure et extérieure, ce qui ne manquera pas d’avoir des conséquences budgétaires.

Maîtriser les dépenses publiques ne signifie pas qu’il faille sacrifier la qualité du service public offert aux citoyens. Au contraire, ce que montrent de nombreux exemples figurant dans le rapport public annuel, ce sont des démarches d’amélioration possible qui reposent sur le souci d’accroître la capacité des organismes publics à répondre aux besoins réels des citoyens tout en utilisant plus efficacement chaque euro dépensé.

Les pouvoirs publics ne sont pas restés inactifs face au défi de la modernisation. Des efforts réels ont souvent été engagés par les administrations pour augmenter la performance des services publics. C’est mon deuxième message.

Certains de ces efforts manifestent une volonté de mieux organiser les politiques publiques, par la formalisation d’une stratégie reposant sur des priorités et des instruments explicites et par la clarification des rôles de chacun. Si ces réformes sont parfois très récentes, elles constituent des avancées dont la Cour sera attentive à suivre les effets. Je voudrais citer rapidement deux exemples.

Tout d’abord, la création par regroupement du nouvel opérateur Business France qui a permis un meilleur centrage des actions de l’État en matière d’appui à l’internationalisation de l’économie française, grâce à un partage des rôles avec les chambres de commerce et d’industrie et à la définition d’axes stratégiques prioritaires.

Second exemple, la réforme de l’externalisation du traitement des demandes de visa à l’étranger qui a atteint son objectif de désengorgement des consulats tout en offrant un service de bien meilleure qualité et sans peser sur les finances publiques.

La Cour constate également, dans certains secteurs, des efforts d’amélioration des processus de gestion, destinés à rendre ceux-ci plus rigoureux et plus efficients. Les exemples sont divers ; ils concernent notamment le sujet sensible des achats de maintenance et du maintien en condition opérationnelle des matériels militaires, ou le recours par Pôle emploi à des opérateurs privés, dont les limites avaient été soulignées par un rapport remis par la Cour au Parlement en 2014.

Vous le voyez, des progrès de nature diverse sont à l’œuvre, et nous les relevons chaque fois que nous les constatons, en soulignant les contraintes fortes auxquelles les administrations ont parfois dû faire face.

C’est ainsi le cas de la politique d’hébergement des personnes sans domicile. La Cour relève que cette politique a enregistré des progrès notables en matière de capacité d’accueil et de conditions de prise en charge des bénéficiaires. Toutefois, les effets de la crise économique dans un contexte international difficile n’ont pas permis une adaptation suffisante à des besoins sans cesse croissants. Le nombre de personnes sans domicile a augmenté de façon massive : 44 % en dix ans.

Au-delà de ce contexte, le rapport public annuel relève que les initiatives qui sont prises pour améliorer la performance des politiques publiques se heurtent trop souvent à des obstacles d’ordre interne, qui ont parfois dévoyé ou limité les effets des réformes nécessaires. Dans certains cas, ils ont tout à fait empêché les réformes d’advenir.

La Cour et les chambres régionales des comptes s’attachent à les identifier et à mettre en valeur les conditions à réunir pour les dépasser. C’est l’objet de mon troisième et dernier message.

Le premier frein, c’est le défaut d’adaptation des missions et des objectifs prioritaires des administrations publiques.

C’est, par exemple, la principale conclusion du chapitre portant sur le Muséum national d’histoire naturelle, qui n’a pas su faire face à la multiplicité des sites qu’il gère et à la nécessité de choisir un axe stratégique de développement.

Le deuxième frein identifié par la Cour, c’est le caractère inadapté de l’organisation institutionnelle, autrement dit, le manque de clarté ou de pertinence du partage des responsabilités et des tâches.

À cet égard, l’exemple des travaux portant sur le stationnement urbain est particulièrement significatif.

Mme Nicole Bricq. En effet !

M. Didier Migaud, Premier président de la Cour des comptes. Il montre effectivement l’incohérence de la répartition des compétences entre les communes et les structures intercommunales, qui peut entraîner une incohérence dans l’action.

Un autre exemple a trait au projet de constitution du pôle scientifique et technologique Paris-Saclay, de rang mondial, qui ne repose sur aucune stratégie ou gouvernance d’ensemble et dont les différents volets évoluent donc de façon très inégale, insuffisamment coordonnée et rythmée. La Cour recommande par conséquent, entre autres, de déterminer un nouveau mode d’organisation, basé sur la désignation par l’État d’un responsable interministériel d’un niveau adapté aux enjeux.

La troisième difficulté récurrente que relève la Cour, c’est le choix d’instruments inadéquats pour répondre aux objectifs fixés.

La politique de soutien aux débitants de tabac en est un exemple révélateur. Depuis les derniers travaux de la Cour en 2013, la situation économique des débitants de tabac s’est globalement améliorée, du fait de l’augmentation des prix du tabac et de la part qui revient aux buralistes, à travers la remise nette. Or l’État a choisi d’augmenter fortement cette dernière, tout en maintenant l’aide directe aux revenus. Pourtant, la remise nette profite à tous les buralistes, y compris ceux dont les chiffres d’affaires sont les plus élevés. Cette mesure n’encouragera en rien l’indispensable réorientation de l’activité des débitants de tabac, pourtant dictée par nos objectifs de santé publique.

Le dernier frein que je citerai est peut-être le plus important : il s’agit du défaut d’une volonté politique clairement exprimée et durable, cependant nécessaire pour surmonter les résistances au changement et conduire les réformes jusqu’à leur terme.

Bien entendu, il n’appartient pas et n’appartiendra jamais aux juridictions financières de décider à la place des représentants du suffrage universel. Néanmoins, nombre de leurs travaux mettent en évidence les opportunités ratées – voire le coût – qu’emporte un manque de constance dans la décision.

Ce constat apparaît nettement dans le chapitre consacré à l’écotaxe poids lourds.

M. Jean Desessard. Et voilà !

M. Didier Migaud, Premier président de la Cour des comptes. L’abandon de cette taxe s’est en effet avéré extrêmement coûteux pour les finances publiques, à hauteur d’environ un milliard d’euros. (Marques d’approbation sur diverses travées.)

M. Jacques Grosperrin. Merci Mme Royal !

M. Didier Migaud, Premier président de la Cour des comptes. Les recettes prévues et non collectées ont en outre été compensées de façon très insatisfaisante, au regard des objectifs initiaux, par un accroissement de la fiscalité pétrolière, dont le produit est inégalement réparti entre l’État et les collectivités territoriales et dont le coût a été supporté presque entièrement par les automobilistes d’abord et les poids lourds français.

M. Didier Migaud, Premier président de la Cour des comptes. Plusieurs autres travaux témoignent de l’immobilisme ou du retard avec lequel certains organismes font face à des difficultés de gestion pourtant évidentes et même dénoncées par la Cour. C’est le cas des chapitres consacrés à la situation de la Caisse interprofessionnelle de prévoyance et d’assurance vieillesse des professions libérales, la CIPAV, et des finances des hôpitaux d’Ajaccio et de Bastia. Notre rapport fait apparaître au sujet de ces derniers un abandon systématique de toute volonté de redressement de la situation, face aux résistances rencontrées.

En mettant en évidence ces freins, les juridictions financières identifient aussi, en quelque sorte en creux, les remèdes, les meilleures pratiques qui pourraient contribuer à des réformes efficaces.

Je voudrais à présent et pour conclure mon propos vous en présenter quelques éléments, qui apparaissent dans le rapport public de cette année.

Tout d’abord, les projets réussis sont les projets bien préparés, c’est une évidence. Cela suppose d’accorder plus d’attention aux résultats obtenus au travers des politiques qui existent déjà avant d’annoncer des politiques nouvelles. Cela signifie donc adopter réellement, et pas seulement en apparence, le réflexe de l’évaluation en intégrant dans le processus de réforme le temps nécessaire pour l’examen de ses résultats. Cela requiert enfin de renforcer considérablement le contenu des études d’impact.

M. Didier Migaud, Premier président de la Cour des comptes. Le Conseil d’État, de son côté, a d'ailleurs eu l’occasion de le préciser.

Cette observation réitérée des juridictions financières trouve son illustration dans le chapitre consacré aux autoroutes ferroviaires, dont la Cour souligne que le bilan est mitigé. Alors que leur développement a représenté un effort financier significatif pour la collectivité, la Cour recommande que soit menée rapidement une évaluation de l’incidence environnementale et économique de chaque projet.

Les réformes doivent par ailleurs reposer sur une stratégie connue des acteurs, construite sur la base d’une analyse partagée des besoins, des priorités d’action pour y répondre et un partage des rôles clair. C’est tout le sens des recommandations formulées par la Cour dans ses travaux sur la politique de contrôle et de lutte contre la fraude en matière de formation professionnelle continue des salariés. Aujourd’hui, les contrôles sont pratiquement inexistants. Pour construire cette politique, il apparaît nécessaire de mettre en place une véritable stratégie de contrôle, reposant sur une analyse des risques, une programmation annuelle et une organisation plus adaptée aux enjeux.

La qualité de la préparation d’une réforme est cruciale. Il ne s’agit pas pour autant de céder au mirage des planifications parfaites et de détourner pudiquement le regard à l’heure de la mise en œuvre.

Or les travaux présentés aujourd’hui permettent d’illustrer deux facteurs qui ont un rôle essentiel dans la mise en œuvre réussie d’un projet. Ces deux éléments sont les suivants : la responsabilisation des acteurs du changement et l’instauration d’un pilotage réactif par les résultats.

Le chapitre portant sur le renouvellement des moyens aériens et navals de la douane est ainsi le contre-exemple exact d’une responsabilisation réussie des agents. La Cour a constaté à leur sujet une longue et grave série d’erreurs et d’échecs, produits d’une culture autarcique de la douane et d’un défaut réitéré de contrôle des services locaux par l’administration centrale.

Enfin, l’exemple de l’indemnisation amiable des victimes d’accidents médicaux prouve la nécessité d’instaurer un pilotage réactif par les résultats qui permette de tirer la sonnette d’alarme lorsque les objectifs ne sont pas remplis.

Mise en œuvre dans la foulée de la loi du 4 mars 2002, cette politique a en effet été dévoyée. Si cette loi institue un droit à réparation des accidents médicaux même en l’absence de faute, ce qui constitue un grand progrès, les résultats obtenus dans le cadre de la procédure amiable ne sont pas à la hauteur. Le nombre de demandeurs d’indemnisation amiable reste effectivement modeste au regard de la population potentielle, car les victimes se détournent de la procédure amiable, qui est encore plus longue que la procédure contentieuse. Cela s’explique par des défaillances lourdes dans le positionnement et la gestion de l’Office national d’indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales, l’ONIAM, établissement public chargé d’indemniser les victimes.

Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, je voudrais à présent terminer mon intervention en rappelant trois messages.

Premièrement, la situation de nos finances publiques demeure fragile et vulnérable, malgré les progrès constatés. Les efforts pour maîtriser les dépenses publiques devront être poursuivis et intensifiés si notre pays veut préserver sa capacité à faire des choix souverains et à rester crédible dans le concert européen grâce au respect de ses engagements. Les rapports de la Cour et des chambres régionales des comptes montrent des marges d’efficacité et d’efficience dans nombre de politiques publiques.

Deuxièmement, une modernisation effective de notre action publique est possible. Elle a été engagée dans plusieurs secteurs et peut prendre appui sur des atouts importants, au premier rang desquels se trouvent les compétences et la force de l’engagement de l’immense majorité des agents publics. Elle doit être systématisée en prenant en compte les meilleures pratiques.

Enfin, et c’est un message réitéré des juridictions financières, le succès des démarches de modernisation dépend d’une sorte de révolution copernicienne, qui consisterait à prêter plus d’attention aux résultats effectifs de l’action publique, à l’effet des politiques publiques pour leurs bénéficiaires, et à fonder les décisions sur la mesure de ces résultats plutôt que sur le souci d’annoncer systématiquement des mesures nouvelles.

Pour accomplir cette révolution, les pouvoirs publics peuvent compter sur les juridictions financières, qui, je l’espère, pourront continuer de remplir avec une grande vigilance les missions que leur ont confiées les représentants du suffrage universel. (Applaudissements.)

M. le président. Monsieur le Premier président, le Sénat vous donne acte du rapport annuel de la Cour des comptes.

La parole est à Mme la présidente de la commission des finances.

Mme Michèle André, présidente de la commission des finances. Monsieur le président, monsieur le Premier président, mes chers collègues, le rapport public annuel de la Cour des comptes est toujours une source d’informations précieuses sur la qualité de la gestion et des comptes publics pour les parlementaires et, au-delà, pour nos concitoyens. Mais ce moment solennel est aussi l’occasion de rappeler combien est importante la mission, prévue par la Constitution, d’assistance de la Cour des comptes au Parlement dans ses travaux de contrôle et d’évaluation des politiques publiques. Cette mission prend des formes multiples et ne se résume évidemment pas au rapport public annuel.

À cet égard, 2016 a été une année de relations soutenues entre la Cour des comptes et le Parlement, puisque deux colloques ont été conjointement organisés, l’un au Sénat, l’autre à l’Assemblée nationale, à l’occasion des quinze ans du vote de la loi organique relative aux lois de finances.

Le rapport qui nous est remis aujourd’hui commence, comme c’est le cas depuis quelques années, par une première partie consacrée à la situation d’ensemble des finances publiques. La Cour des comptes présente son analyse de la situation financière des administrations publiques à la fin du présent mois, puis trace les perspectives pour l’année en cours et au-delà.

Chacun examinera avec attention ses analyses et recommandations, pour en tirer les enseignements qu’il jugera utiles.

La Cour rend compte chaque année de ses travaux par de nombreuses publications. Son rapport public annuel est en quelque sorte un condensé de ses investigations emblématiques. Au-delà des observations nouvelles, la Cour présente un suivi de ses recommandations, avec cette année un seul constat de progrès, concernant le traitement des demandes de visa à l’étranger. Toutefois, sur le plan général, la Cour estime que ses recommandations sont suivies à 72 %.

Je ne pourrai passer en revue toutes les observations, mais je m’arrêterai quelques instants sur celles qui attirent plus particulièrement l’attention de la commission des finances en raison, notamment, des travaux qu’elle a elle-même menés.

L’abandon définitif de l’écotaxe a été décidé dans le cadre de la loi de finances pour 2017. La mise en place de cette taxe puis le renoncement à cet impôt ont fait l’objet de débats intenses dans notre assemblée, aussi bien dans les commissions permanentes qu’au sein de la commission d’enquête qu’avait présidée Marie-Hélène Des Esgaulx. La Cour des comptes fait le point sur cette expérience qui marquera l’histoire de la fiscalité écologique.

L’insertion relative au projet Paris-Saclay témoigne d’une très forte convergence de vue entre les magistrats de la Cour et notre collègue Michel Berson, auteur, au mois de mai 2016, du rapport Réussir le cluster de Paris-Saclay, lesquels s’accordent pour dénoncer le caractère très insatisfaisant du pilotage du projet par l’État, le manque de transparence et de suivi pour ce qui concerne son financement et l’urgence, pour l’université Paris-Saclay, de se doter enfin d’une gouvernance à même de la transformer en université de rang mondial.

Dans le cadre du suivi de ses recommandations sur l’hébergement des personnes sans domicile, la Cour des comptes rejoint également plusieurs des constats établis et des préconisations formulées par Philippe Dallier dans son rapport du mois de décembre 2016 sur les dispositifs d’hébergement d’urgence, notamment, les nets progrès réalisés en termes de capacités d’accueil, tout en constatant également l’échec de la réduction du recours aux nuitées d’hôtel, la difficulté à répondre à une demande sans cesse en hausse, mais aussi les efforts restant à fournir en termes de définition du pilotage de cette politique publique.

D’autres insertions susciteront sans aucun doute l’intérêt de nos rapporteurs spéciaux, même s’il serait prématuré de dire qu’ils en partagent effectivement les conclusions, qu’il s’agisse des moyens aériens et navals de la douane – les rapporteurs spéciaux Michel Bouvard et Thierry Carcenac se sont particulièrement penchés sur le sujet des hélicoptères – ou de l’action sociale de la direction générale de l’aviation civile, la DGAC, sujet suivi attentivement par Vincent Capo-Canellas.

Comme vous le savez, les rapporteurs de la commission des finances utilisent les travaux de la Cour des comptes tout au long de l’année, sans attendre la parution du rapport public. Il s’agit non seulement des travaux faisant l’objet d’une publication, mais aussi des relevés d’observations définitives, quand leur existence est portée à leur connaissance.

Les enquêtes qui nous sont remises en application du 2° de l’article 58 de la loi organique relative aux lois de finances font l’objet d’une exploitation systématique, notamment grâce à des auditions auxquelles participent les représentants des administrations et organismes contrôlés. Sans citer toutes les enquêtes de l’an passé, force est de constater que celles qui sont relatives au financement des OPEX, les opérations extérieures, ou encore à la compétitivité du transport aérien ont enrichi nos débats sur les annulations de crédits pesant sur le ministère de la défense ou sur l’opportunité de réviser la taxe de solidarité sur les billets d’avion et la taxe sur les nuisances sonores aériennes.

Dans le contexte de la prolongation de dispositifs comme le crédit d’impôt pour la transition énergétique, l’enquête sur l’efficience des dépenses fiscales en faveur du développement durable a également été mise à profit par le rapporteur général de la commission des finances.

Bien entendu, le suivi se fait évidemment non pas uniquement sur l’année, mais dans un cadre plus long : ainsi, l’analyse de la mise en œuvre des contrats de plan État-régions, développée par la Cour des comptes dans une enquête remise au Sénat en 2014, a constitué une source d’information utile pour le rapporteur spécial Bernard Delcros. Celui-ci s’est notamment appuyé sur ces travaux pour formuler des recommandations d’amélioration du système d’information des contrats de plan État-régions dans le cadre de son contrôle budgétaire sur le Fonds national d’aménagement et de développement du territoire.

Pour l’année à venir, Alain Houpert et Yannick Botrel suivront une enquête sur la chaîne des aides agricoles, tandis que Jean-François Husson se penchera avec la Cour des comptes sur le soutien aux énergies renouvelables.

La Cour examinera le programme « Habiter mieux » pour Philippe Dallier et le sujet des personnels contractuels dans l’éducation nationale pour Gérard Longuet et Thierry Foucaud. Enfin, un rapport sera remis sur les matériels et équipements de la police et de la gendarmerie, à la demande de Philippe Dominati. Au mois de juin prochain, nous aurons également communication de l’enquête sur les politiques de lutte contre l’exclusion bancaire, que je rapporterai.

L’an passé, j’avais insisté sur la complémentarité entre les travaux du Sénat et ceux de la Cour des comptes, ainsi que sur la bonne coordination de nos activités. La commission des finances vient d’adopter son programme de contrôle budgétaire, qui a été rendu public et transmis à la Cour. Dans le cadre de sa mission d’assistance, celle-ci transmet les travaux définitifs qu’elle a réalisés sur les domaines qui intéressent les rapporteurs spéciaux. Cela nous est précieux.

Ainsi, pour effectuer ses travaux, qui viennent tout juste d’aboutir, sur la préfecture de police de Paris, Philippe Dominati s’est notamment appuyé sur un rapport daté de 2012 de la chambre régionale des comptes d’Île-de-France pour proposer une refonte de l’organisation budgétaire de l’institution.

Nos travaux s’inspirent mutuellement, au point qu’ils aboutissent d’ailleurs parfois au même moment.

C’est pour prolonger les travaux de la Cour des comptes sur la difficile mise en place de l’Institut national du cancer que Francis Delattre a présenté, au mois de juillet 2016, un rapport sur cet opérateur pivot des plans cancer successifs. Les rapports de la Cour des comptes, qui ont mis en lumière la dégradation du réseau ferré national, particulièrement en Île-de-France, et les faiblesses de certains projets de lignes à grande vitesse, ont également inspiré les sénateurs membres du groupe de travail sur le financement des infrastructures de transport.

C’est aussi parce que la Cour des comptes a soulevé un risque dans son rapport sur le budget de l’État du mois de mai 2015 que le rapporteur spécial Maurice Vincent a fait le choix de mener une mission de contrôle sur la politique de dividendes de l’État actionnaire. Hasard du calendrier, un rapport de la Cour des comptes sur l’État actionnaire a d’ailleurs été rendu public le 25 janvier dernier, le même jour que celui de Maurice Vincent.

Les travaux réalisés par la Cour des comptes dans le champ de l’éducation nationale, notamment ceux qui portent sur la gestion des enseignants ou sur le coût du lycée, ont été pris en compte par Gérard Longuet dans son rapport du mois de décembre 2016 relatif aux heures supplémentaires dans le second degré de l’éducation nationale.

Je pourrai multiplier les exemples. Au-delà des rapports eux-mêmes, la mise en ligne des données sous-jacentes aux travaux réalisés par la Cour des comptes est utile. Celle-ci a notamment permis au rapporteur général, Albéric de Montgolfier, d’analyser l’évolution de la masse salariale sur des séries longues.

En termes de calendrier, j’avais regretté l’an passé que certains travaux de la Cour des comptes ou du Conseil des prélèvements obligatoires nous parviennent parfois trop tard pour éclairer nos débats budgétaires. Ce fut encore le cas cette année. Ainsi, le référé relatif au taux réduit de TVA sur les travaux d’entretien et d’amélioration des logements de plus de deux ans a été rendu public seulement à la fin du mois de novembre 2016.

Cette année, monsieur le Premier président, vous êtes venu nous présenter dès le mois de janvier le rapport du Conseil des prélèvements obligatoires sur l’impôt sur les sociétés, lors d’une audition particulièrement suivie, et nous espérons que nous pourrons dans les mois à venir encore mieux exploiter les travaux de cette instance. Celle-ci devrait d’ailleurs inclure, dans sa prochaine étude sur la fiscalité du patrimoine, une analyse spécifique de l’imposition des plus-values immobilières permettant de répondre ainsi aux préoccupations de la commission des finances, et plus spécifiquement du groupe de travail que cette dernière avait constitué en son sein sur le financement et la fiscalité du logement en 2015.

Mes chers collègues, cette année encore, le rapport public annuel de la Cour des comptes est riche d’enseignements. Je renouvelle donc mes remerciements au Premier président pour sa disponibilité et vous remercie de votre attention. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain, du groupe écologiste, du RDSE, de l'UDI-UC et du groupe Les Républicains.)

M. le président. La parole est à M. le président de la commission des affaires sociales.

M. Alain Milon, président de la commission des affaires sociales. Monsieur le président, monsieur le Premier président de la Cour des comptes, madame la présidente de la commission des finances, mes chers collègues, la présentation du rapport public annuel 2017 nous offre une nouvelle occasion de saluer le rôle de la Cour des comptes dans sa mission constitutionnelle d’assistance au Parlement dans le contrôle de l’action du Gouvernement.

Il s’agit en effet, pour la commission des affaires sociales, d’un apport véritablement majeur que nous mesurons année après année avec les rapports annuels sur les lois de financement de la sécurité sociale, les rapports de certification, les rapports thématiques et les enquêtes effectuées à notre demande.

Alors que la sphère sociale représente près de la moitié des finances publiques, l’ensemble des travaux de la Cour invite, à nos yeux, à un triple impératif de lucidité, d’efficience et de persévérance.

Lucidité, tout d’abord, sur l’état de nos comptes publics et sur la réalité de nos marges de manœuvre dans une période où certains ne manquent pas d’être tentés par les promesses de dépenses nouvelles.

Le rapport que vient de nous présenter M. le Premier président fait le point sur la situation des finances publiques, à quelques semaines du démarrage d’un cycle budgétaire dont le déroulement sera fortement influencé par les échéances électorales.

Il est bien sûr trop tôt pour se prononcer sur les comptes du régime général de la sécurité sociale, lesquels ne seront disponibles qu’au printemps, mais la commission des affaires sociales a eu l’occasion, lors de l’examen du projet de loi de financement de la sécurité sociale, d’alerter sur certains des constats établis par la Cour.

Ainsi, le respect de l’objectif national de dépenses d’assurance maladie, l’ONDAM, pour 2016 n’est pas encore assuré, compte tenu du dynamisme des dépenses sur les premiers trimestres de cette même année. Comme les années précédentes, c’est la régulation de l’enveloppe allouée à l’hôpital qui sera sollicitée pour le bouclage de l’objectif, traduisant la faible effectivité des mesures d’économies annoncées. Le Gouvernement le confirme dans sa réponse.

Pour 2017, la Cour relève l’arrêt du mouvement de réduction des prélèvements obligatoires. Celui-ci n’avait été pourtant mis en œuvre que tardivement, à partir de 2015, et très progressivement. Malgré les annonces du pacte de responsabilité, le contre-choc fiscal n’a donc pas eu lieu.

Pour boucler l’exercice, le Gouvernement a recours à des expédients de trésorerie, en aménageant le calendrier de versement de la taxe sur les véhicules de société et de la contribution sociale de solidarité des sociétés, la C3S. Ces mesures ne sont pas reconductibles en 2018 alors que devront être financées des mesures nouvelles à effet différé sur les comptes publics : élargissement du crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi, le CICE, et du crédit d’impôt sur les services à la personne.

Les économies annoncées sur l’ONDAM ne sont pas plus pérennes ou reconductibles. Le rapporteur général de la commission des affaires sociales, Jean-Marie Vanlerenberghe, en avait démontré le caractère artificiel pour près d’un milliard d’euros.

La Cour exprime à son tour ses réserves en indiquant : « Sans ces artifices de méthode, les dépenses de l’ONDAM en 2017 croîtraient à un rythme équivalent à celui enregistré en moyenne au cours des années 2010 à 2015. »

L’an dernier, j’avais consacré une large part de mon propos à la situation préoccupante de l’assurance chômage. Force est de le constater, le diagnostic est toujours valable et, en l’absence de réforme, les économies annoncées par le Gouvernement sur ce poste restent hypothétiques, comme le souligne de nouveau la Cour.

Le rapport de la Cour nous invite donc à la lucidité sur l’état de nos comptes publics : le travail de rétablissement et d’assainissement de nos finances publiques reste à faire.

Il ne nous suffit pas d’être lucides, il nous faut aussi répondre à une exigence d’efficience, dans un contexte où le poids des prélèvements sur les ménages et les entreprises compte parmi les plus élevés des pays développés.

Ce n’est pas en dépensant plus que nous dépenserons mieux. Alors que les dépenses sociales sont bien supérieures à celles de l’État, il n’est pas surprenant que la Cour retienne trois exemples dans le domaine social pour illustrer son propos. Selon elle, « le niveau particulièrement élevé des dépenses publiques en France est loin de conduire à des résultats à la hauteur des moyens engagés, comme l’illustrent les politiques du logement, de la formation professionnelle ou de la santé. »

L’enjeu est de rendre la dépense plus efficace et les travaux de la Cour peuvent nous y aider.

C’est le cas pour ce qui concerne la formation professionnelle, pour laquelle la Cour prône, dans son rapport, une lutte plus déterminée contre les comportements frauduleux et un renforcement du contrôle des actions de formation.

C’est le cas également pour ce qui concerne l’Office national d’indemnisation des accidents médicaux, l’ONIAM, pour lequel la Cour met à jour un véritable dévoiement des intentions du législateur de 2002 en vue d’une indemnisation amiable et rapide des victimes d’aléas thérapeutiques, à quoi s’ajoutent de graves défaillances de gestion. La commission des affaires sociales veillera à ce que la remise en ordre annoncée par le Gouvernement soit pleinement effective. Elle va d’ailleurs auditionner dans quelques jours le candidat pressenti par le Gouvernement pour la direction générale de l’Office.

C’est aussi le cas des enquêtes que la commission des affaires sociales demande à la Cour. Notre collègue Daniel Chasseing a été le rapporteur de celle qui nous a été remise au mois d’avril dernier sur l’imagerie médicale, et dont les recommandations ont été traduites dans la relation conventionnelle entre la profession et l’assurance maladie.

J’évoquais la persévérance au début de mon propos. La Cour nous y appelle également par son suivi attentif des recommandations formulées les années précédentes.

C’est le cas cette année à propos de la CIPAV, la caisse de retraite de nombreuses professions libérales, sur laquelle le rapport public annuel de 2014 avait été particulièrement sévère. Trois ans plus tard, la Cour nous alerte notamment sur les conditions de la mise en œuvre de l’article 50 de la loi de financement de la sécurité sociale pour 2017 que nous devons revoir en tant que législateurs à la suite d’une décision du Conseil constitutionnel.

Persévérance, constance, voire ténacité seront indispensables dans la période qui s’ouvre pour tenir une ligne de redressement de nos comptes publics au moyen de véritables réformes, et non d’augmentation de l’impôt ou de mesures de régulation aveugles qui mettent à mal le service public sans apporter de réponses structurelles.

Pour conclure, je veux de nouveau, à l’occasion du dépôt de ce rapport annuel, souligner, au nom de la commission des affaires sociales, la contribution que la Cour des comptes nous apporte dans le nécessaire contrôle de l’action du Gouvernement.

À chacun d’en tirer ses propres conclusions. J’y vois pour ma part une incitation à une action résolue pour retrouver les marges nécessaires à une action publique rénovée, adaptée aux nombreux défis que nous devons relever. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, de l'UDI-UC et sur certaines travées du RDSE et du groupe socialiste et républicain.)

M. le président. Monsieur le Premier président, madame la présidente de la commission des finances, monsieur le président de la commission des affaires sociales, je vous remercie de vos interventions, de même que je remercie les nombreux collègues qui ont assisté à la séance.

Nous en avons terminé avec la présentation du rapport annuel de la Cour des comptes.

Huissiers, veuillez reconduire M. le Premier président et M. le rapporteur général de la Cour des comptes. (M. le Premier président et M. le rapporteur général de la Cour des comptes sont reconduits selon le cérémonial d’usage.)

Mes chers collègues, nous allons maintenant interrompre nos travaux ; nous les reprendrons à quinze heures pour les questions d’actualité au Gouvernement.

La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à douze heures vingt, est reprise à quinze heures.)

M. le président. La séance est reprise.

3

Questions d'actualité au Gouvernement

M. le président. L’ordre du jour appelle les réponses à des questions d’actualité au Gouvernement.

Je rappelle que la séance est retransmise en direct sur France 3, Public Sénat, le site internet du Sénat et Facebook.

J’appelle chacun de vous, mes chers collègues, à respecter le temps de parole qui lui est imparti, ainsi que les interventions des uns et des autres.

rapport annuel de la cour des comptes

M. le président. La parole est à M. Michel Bouvard, pour le groupe Les Républicains. (Très bien ! et applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. Michel Bouvard. Ma question, qui s'adresse à M. le secrétaire d'État chargé du budget et des comptes publics, fait suite à la remise du rapport annuel de la Cour des comptes qui a eu lieu ce matin pour ce qui est de notre assemblée.

La Cour, dans son rapport, revient sur la situation des finances publiques. Elle donne acte au Gouvernement du respect de l’objectif de réduction des déficits, tel qu’il figurait en loi de programmation des finances publiques, tout en soulignant la modestie dudit objectif.

Surtout, elle nous appelle à la vigilance et à la mobilisation pour l’avenir, soulignant que quatre pays restent en déficit excessif : l’Espagne, le Portugal, la Grèce et la France. Par ailleurs, elle relève l’insuffisance des réformes structurelles, ce qui tend à accroître le décalage avec nos partenaires, et nous avertit sur les difficultés qui sont devant nous, en raison à la fois de l’optimisme de la loi de finances pour 2017, « difficilement tenable », et du poids de la dette publique, à savoir 96,2 % du PIB.

La réduction des déficits, monsieur le secrétaire d’État, a été obtenue au cours des dernières années de la législature principalement grâce à la diminution de 40 % des taux d’intérêt et à l’effort demandé aux collectivités territoriales, avec la réduction des dotations de l’État.

Ma question est donc double : comment pouvons-nous faire face à une remontée éventuelle des taux d’intérêt, au moment où le décalage des taux entre la France et l’Allemagne est passé de 27 points à 54 points de base entre les mois de septembre et de décembre ? Y a-t-il des réformes structurelles que vous regrettez de ne pas avoir menées au cours de la législature ? (Très bien ! sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. le président. La parole est à M. le secrétaire d'État chargé du budget et des comptes publics.

M. Christian Eckert, secrétaire d'État auprès du ministre de l’économie et des finances, chargé du budget et des comptes publics. Monsieur Bouvard, j’apprécie la modération de votre propos, comparé à d’autres que j’ai pu entendre ici ou là. (Ah ! sur les travées du groupe Les Républicains.)

Il est vrai que chacun est en l’espèce dans son rôle, mais, dans ce genre d’exercice convenu, les acteurs qui jouent plusieurs années de suite le même rôle finissent parfois par surjouer… (Sourires.) Mais, j’en conviens, tel n’est pas votre cas !

Vous avez bien rappelé la réduction du déficit public, même si le rythme et l’ampleur peuvent en être commentés de façon diverse.

Concernant l’effet d’une éventuelle remontée des taux d’intérêt, je précise que nous faisons tous les ans des prévisions sur ce point à l’occasion de l’examen du projet de loi de finances. Pour le budget de 2017, nous avons retenu des taux à dix ans de 1,25 % ; ils sont aujourd’hui autour de 1 %, mais il est vrai qu’ils s’établissaient autour de 0,5 %, voire un peu moins, voilà quelques semaines ou quelques mois. Le contexte international joue sans aucun doute, mais le contexte national a aussi son importance : les échéances politiques dans notre pays donnent moins de lisibilité, oserai-je dire, pour l’avenir.

À mon sens, il est important d’assurer une stabilité. Or il me semble qu’un certain nombre de propos de certains candidats – ils se reconnaîtront ! –, qui annonçaient un déficit autour de 4,7 % en 2017, avant de revenir en arrière, comme sur d’autres points, ont probablement alerté des acteurs des marchés financiers. (M. François Grosdidier s’exclame.)

En tout état de cause, nos objectifs ont été tenus les deux années précédant 2016 et nous saurons au mois de mars que, en 2016, ils l’ont également été. Rendez-vous donc le 15 mars ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain.)

M. le président. La parole est à M. Michel Bouvard, pour la réplique.

M. Michel Bouvard. Monsieur le secrétaire d’État, je ne peux pas partager votre optimisme sur la dette.

En effet, les taux en fin d’année sont supérieurs, pour la première fois, à ceux qui étaient inscrits dans la loi de finances initiale.

En outre, la dette continue d’augmenter, la baisse apparente étant essentiellement due aux coupons que l’État a encaissés au cours de l’année écoulée, ce qui représente 0,5 % du PIB.

Enfin, la Cour des comptes souligne deux inquiétudes aux pages 34 et 38 de son rapport : d’une part, l’augmentation de la masse salariale va doubler en une année par rapport à son évolution au cours de la totalité de la législature ;…

Plusieurs sénateurs du groupe socialiste et républicain. C’est fini !

M. Michel Bouvard. … d’autre part, des mesures nouvelles vont conduire à accélérer sur 2017 les encaissements et à augmenter les prélèvements. C’est en page 34 ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

disponibilité des vaccins obligatoires

M. le président. La parole est à M. Jean-Claude Requier, pour le RDSE.

M. Jean-Claude Requier. Ma question s'adressait à Mme la ministre des affaires sociales et de la santé.

Hier, le Conseil d’État a enjoint au Gouvernement de prendre, dans un délai de six mois, des mesures pour rendre disponibles les vaccins contre la diphtérie, le tétanos et la poliomyélite, les trois seuls vaccins obligatoires.

Actuellement les laboratoires associent ces trois vaccins à d’autres, si bien que, pour se mettre en conformité avec la loi, il faut recourir à des vaccins hexavalents, qui vaccinent aussi contre la coqueluche, l’haemophilus influenzae et l’hépatite B. Au passage, cela permet aux laboratoires d’augmenter leurs marges.

Le Conseil d’État a été on ne peut plus clair et a demandé au Gouvernement de permettre l’application stricte de la loi : trois vaccinations sont obligatoires et pas davantage, même si les autres sont, je le rappelle, très fortement conseillées.

Aux termes de cette décision, « la loi, qui n’impose que trois obligations de vaccination, implique nécessairement qu’il soit possible de s’y conformer en usant de vaccins qui ne contiennent que ces trois vaccinations. »

Toutefois, il semble que cette décision soit en pratique très difficile à mettre en œuvre, surtout dans le délai de six mois. Alors, comment va faire le Gouvernement ?

Mme Marisol Touraine a immédiatement saisi ses services, de même que l’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé. Que peut-on en attendre ?

M. Jean-Claude Requier. Mme la ministre pense-t-elle possible de proposer d’ici à six mois le vaccin DTP, qui n’existe plus, ou envisage-t-elle de rendre obligatoires les six vaccins contenus dans le vaccin hexavalent, hypothèse du reste évoquée par le Conseil d’État lui-même dans son ordonnance ?

Enfin, je tiens à préciser que nous partageons entièrement l’analyse du Conseil d’État, qui a écarté l’argumentation des requérants sur les risques allégués des vaccinations non obligatoires, soulignant « qu’aucun élément sérieux n’est apporté sur l’existence d’un risque d’atteinte à l’intégrité de la personne et de mise en danger d’autrui. »

Le Gouvernement a-t-il l’intention de renforcer sa politique vaccinale, tordant ainsi le cou à nombre d’idées reçues et de préjugés qui peuvent mettre en danger la santé de nos concitoyens ? (Applaudissements sur les travées du RDSE. – M. André Gattolin applaudit également.)

M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d'État chargée des personnes âgées et de l’autonomie.

Mme Pascale Boistard, secrétaire d'État auprès de la ministre des affaires sociales et de la santé, chargée des personnes âgées et de l’autonomie. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, je vous prie de bien vouloir excuser Marisol Touraine, qui est actuellement en déplacement à l’étranger.

Tout d’abord, je souhaite rappeler que la vaccination est l’un des grands succès de notre politique de santé publique. Il ne faut ni oublier ni banaliser les fléaux qu’elle a permis d’éradiquer.

Dès le mois de janvier 2016, Marisol Touraine a annoncé un plan de rénovation de la politique vaccinale destiné à mieux informer les professionnels et le grand public, à améliorer la gouvernance de la politique vaccinale et à sécuriser l’approvisionnement, et ce afin de renforcer la confiance dans la vaccination.

Un comité d’orientation indépendant, présidé par le professeur Fischer, a également été chargé d’organiser une grande concertation citoyenne sur la vaccination en s’appuyant sur un jury citoyen et un jury de professionnels de santé, ainsi que sur les experts et acteurs de la vaccination.

Après plus de 10 000 contributions en ligne, des recommandations ont été présentées le 30 novembre dernier. Celles-ci font actuellement l’objet d’une expertise juridique et financière approfondie.

Vous m’interrogez sur la décision rendue hier par le Conseil d’État, et relative à la mise à disposition des vaccins avec les seules valences obligatoires. Sachez que le Gouvernement a pris acte de cette ordonnance. Comme vous l’avez rappelé, Marisol Touraine a saisi immédiatement les services du ministère et l’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé pour que l’État puisse la mettre en œuvre dans le délai imparti.

D’un point de vue pratique, je rappelle qu’il existe déjà un kit disponible gratuitement pour assurer la vaccination avec les seules valences obligatoires. En 2016, grâce à ce kit, qui peut être obtenu sur demande du médecin prescripteur, 2 362 demandes ont été satisfaites.

En tout état de cause, ce travail devra s’inscrire dans la réflexion engagée sur la politique vaccinale tout en tenant compte des recommandations de la concertation citoyenne, et pourrait à terme faire évoluer le cadre législatif sur lequel s’est fondé le Conseil d’État pour rendre sa décision.

M. le président. La parole est à M. Jean-Claude Requier, pour la réplique.

M. Jean-Claude Requier. Madame la secrétaire d’État, je vous remercie de ces précisions.

En ces temps de campagne électorale, je souhaite émettre un vœu : rendre obligatoire un quatrième vaccin, celui contre la langue de bois. (Applaudissements et rires sur la plupart des travées.)

situation à aulnay-sous-bois (I)

M. le président. La parole est à Mme Esther Benbassa, pour le groupe écologiste.

Mme Esther Benbassa. Ma question s'adresse à M. le ministre de l'intérieur.

Monsieur le ministre, jeudi dernier, Théo, 22 ans, jeune homme sans histoire, fils d’une famille honorablement connue, a été gravement blessé lors d’une opération de contrôle à Aulnay-sous-Bois. Il affirme avoir été victime d’insultes racistes, de coups et avoir subi un viol. Hospitalisé, opéré en urgence, il s’est vu prescrire soixante jours d’incapacité totale de travail.

Parmi les quatre policiers mis en cause, l’un a été mis en examen pour viol, les trois autres pour violences volontaires en réunion.

Les faits reprochés à ces quatre policiers rejaillissent injustement sur tous leurs collègues, hommes et femmes sans reproche, dévoués à leur tâche, toujours plus difficile, en butte eux-mêmes à des attaques parfois extrêmement violentes.

Pour le Défenseur des droits, « cette dramatique affaire […] illustre les conflits qui naissent parfois des contrôles d’identité. » Et il continue de réclamer que ces contrôles « soient réalisés pour des raisons objectives et vérifiables. » La Ligue des droits de l’homme ne dit pas autre chose.

L’urgence, après de tels faits, est claire : il faut reconstruire la confiance brisée entre les habitants de certains quartiers et leur police.

Ma question est simple. Monsieur le ministre, ne conviendrait-il pas, sans tarder, de rappeler à chacun ses devoirs, de rompre avec certaines pratiques discriminatoires et de faire prévaloir en toutes circonstances l’État de droit ? Ne vous paraît-il pas nécessaire de restaurer une police de proximité dûment formée, soucieuse avant tout de connaître et de protéger les citoyens dont elle a la charge ? (Applaudissements sur les travées du groupe écologiste et du groupe CRC.)

M. le président. La parole est à M. le ministre de l’intérieur.

M. Bruno Le Roux, ministre de l’intérieur. Mesdames, messieurs les sénateurs, les blessures dont a été victime le jeune Théo sont particulièrement graves. Au moment où je réponds pour la première fois à une question sur le sujet au Sénat, je veux l’assurer, ainsi que toute sa famille et ses proches, de ma compassion et de mon souci de faire éclater la vérité le plus rapidement possible.

Un magistrat instructeur a été saisi ; tout ce qui devait lui être transmis l’a été. Je n’ai pas à juger de la rapidité de l’enquête, mais je souhaite qu’elle puisse aller le plus vite possible pour établir la vérité des faits. Sans attendre, compte tenu du rapport et des éléments venant de l’Inspection générale de la police nationale, que j’ai saisie, j’ai suspendu les quatre fonctionnaires, qui, aujourd’hui, font l’objet d’une enquête par ce magistrat indépendant.

Aussi, j’en appelle à la sérénité de tous devant cet engagement de vérité et de justice. Cet engagement, je veux qu’il soit exactement le même pour tout ce qui se passe dans les quartiers. Depuis le début de la semaine, ce souci de faire passer chaque matin cette parole de sérénité au regard de l’enquête en cours est le même qui m’anime depuis plusieurs semaines, lorsque je m’inquiète tous les jours de savoir où en est l’enquête sur l’agression des policiers de Viry-Châtillon, dont les coupables doivent être rattrapés et conduits devant la justice.

Je veux un équilibre parfait : il n’y a pas dans nos quartiers, comme partout ailleurs dans notre pays, de place pour ceux qui agressent les symboles de la République que sont les personnes dépositaires de l’autorité, de la même façon qu’il n’y a aucune place pour ceux qui ne respecteraient pas les valeurs de la République dans la façon dont ils exercent la mission et l’autorité que nous leur avons confiées. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain. – M. Jean Desessard applaudit également.)

Sur ce point, je veux que les choses soient claires.

La question du rapport entre les forces d’autorité et la population est centrale. Il y a un sentiment de défiance, auquel j’ai pu être confronté dans le département dont je suis l’élu, mais d’autres pourraient dire la même chose. Là encore, je veux dire très concrètement que ce problème est au centre des politiques publiques qui sont menées. Je rappellerai le doublement des crédits du ministère de l’intérieur sur la question du rapprochement entre la police et la population et la mise en expérimentation prochaine, quand les policiers en seront dotés, du système de caméra mobile, qui, à mon sens, peut présenter le double avantage d’apaiser les interventions et de rassurer les forces de l’ordre et de sécurité.

M. le président. Il faut conclure, monsieur le ministre !

M. Bruno Le Roux, ministre. J’aurai l’occasion de préciser dans ma réponse à la question suivant ce que j’entends à cet égard. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain, du groupe CRC, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

M. le président. La parole est à Mme Esther Benbassa, pour la réplique.

Mme Esther Benbassa. Monsieur le ministre, je vous remercie de votre réponse. La tâche est lourde et le chemin sera long, mais espérons que cet acte d’une extrême violence aidera le Gouvernement à prendre les décisions qu’il convient concernant non seulement les crédits – vous en avez parlé –, mais aussi, et surtout, la création d’une police de proximité formée.

situation à aulnay-sous-bois (II)

M. le président. La parole est à Mme Éliane Assassi.

Mme Éliane Assassi. Tout le monde dans cette enceinte a pris connaissance de l’acte abominable commis à l’encontre de Théo Luaka à Aulnay-sous-Bois.

Face à cette violence inouïe, qui peut être qualifiée d’acte de barbarie, nos pensées et notre compassion vont bien sûr vers Théo, sa famille et ses proches, qui vivent un moment très douloureux.

Aujourd’hui, quatre agents de la brigade spécialisée de terrain, la BST, sont mis en examen, dont un pour viol. Le Défenseur des droits a ouvert une enquête. Et pour cause : d’après ses déclarations, le jeune homme aurait fait l’objet, en plus des coups et du viol, de moqueries, de crachats et d’injures racistes. Cela est profondément révoltant !

Malheureusement, ces faits ne constituent pas un événement tragique et isolé ; ils font écho à des pratiques pour le moins douteuses de contrôle policier et d’interpellation bien connues dans les quartiers populaires.

Mon propos en l’occurrence n’est pas de remettre en cause le travail et la déontologie de l’ensemble de nos forces de sécurité, dont nous reconnaissons la qualité de l'engagement,…

M. Bruno Sido. Quand même !

Mme Éliane Assassi. … qui plus est dans le contexte actuel et avec le peu de moyens dont elles disposent.

Mais une tension permanente, dont témoignent les forces de l’ordre et les citoyens, existe dans ces quartiers. Nous reconnaissons la dégradation des conditions de travail de la police de terrain, mais il convient aussi d’entendre les voix des nombreuses associations et des citoyens, voire du Défenseur des droits lui-même. Tous évoquent des contrôles d’identité discriminatoires, parfois répétés, voire systématiques. Les palpations de sécurité sont souvent faites hors des règles du code de déontologie des forces de sécurité, et s’apparentent trop fréquemment à une véritable atteinte à la dignité humaine.

Monsieur le ministre, certes, il faut rester serein, mais comment ignorer que, lorsque certains sont soumis à la justice expéditive de la comparution immédiate, d’autres bénéficient d’une réelle instruction ?

Mme Évelyne Didier. C’est incroyable !

Mme Éliane Assassi. La justice, aussi, doit être la même pour tous ! Il faut revenir aux réalités du terrain et, surtout, remettre à plat la doctrine et les pratiques du maintien de l’ordre en France, avec le retour d’une véritable police de proximité, recrutée et formée pour ces missions.

Dans ce cadre, il est nécessaire de mettre en place d’urgence le récépissé de contrôle, afin d’en finir avec les contrôles au faciès. Ces mesures sont attendues depuis cinq ans. Pourquoi ne pas utiliser le projet de loi Sécurité publique actuellement en discussion pour les faire adopter ?

Oui, il faut rétablir la confiance, afin qu’il n’y ait plus de Théo, d’Alexandre, d’Ahmed Selmouni ou d’Adama Traoré ! (Applaudissements sur les travées du groupe CRC.)

M. le président. La parole est à M. le ministre de l’intérieur.

M. Bruno Le Roux, ministre de l’intérieur. Madame Assassi, dans un premier temps, j’appelle chacun d’entre nous à la prudence. Il ne s’agit pas de minimiser ce qui s’est passé, mais, au moment où la justice est en train de faire son travail, tous les éléments lui ayant été transmis, il ne nous appartient pas de qualifier ce qui s’est passé.

Mme Éliane Assassi. Il suffit de constater !

M. Bruno Le Roux, ministre. Vous pouvez constater, mais tous vos mots ne peuvent pas remplacer l’enquête menée aujourd’hui par la justice.

Je souhaite qu’un message d’apaisement, éminemment républicain, et de confiance renouvelée soit adressé à ceux qui procèdent aujourd’hui à des investigations pour faire éclore la vérité. S’il y a des faits à reprocher, et à l’évidence les faits sont graves, ils doivent être sanctionnés.

M. Éric Doligé. Très bien !

M. Bruno Le Roux, ministre. Respectons le fonctionnement normal de la justice plutôt que d’utiliser, les uns après les autres, des qualificatifs qui ne font qu’exacerber les tensions. Tel n’est pas notre rôle, surtout quand on sait la crispation qui règne dans un certain nombre de nos quartiers. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain, de l'UDI-UC et du groupe Les Républicains.)

Pour ma part, je continuerai d’appeler au calme, tout en réfléchissant très concrètement, madame la sénatrice, à la façon d’aller plus loin ensemble, y compris dans le cadre du projet de loi relatif à la sécurité publique, qui a été débattu dans votre assemblée, et adopté hier à l’Assemblée nationale.

Je veux revenir sur la question des caméras mobiles, qui me semblent aujourd’hui utiles. À mon sens, il serait dommage de rêver à un dispositif qui supplanterait celui que nous nous apprêtons à expérimenter aujourd’hui. Avec le déclenchement automatique prévu par la loi Égalité et citoyenneté, le système visé permettra d’apporter un niveau de sécurité supplémentaire lors des contrôles d’identité et des interventions qui se passeront dans nos quartiers. Dans un premier temps, 2 000 caméras pourvues d’un système de déclenchement automatique vont être déployées dans la police et 600 dans la gendarmerie.

J’y insiste, ce dispositif est, à mon avis, bien plus opérationnel qu’un récépissé, qui entraînerait une forme de lourdeur, et qui, surtout, n’offre pas de réponse à une question essentielle : sommes-nous prêts, demain, à constituer dans notre pays un fichier des personnes contrôlées dans nos quartiers ?

Mme Éliane Assassi. Il ne s’agit pas de cela !

M. Bruno Le Roux, ministre. Pour ma part, je ne m’y résous pas. Madame la sénatrice, vous ne trouverez pas d’utilisation du récépissé véritablement opérationnelle.

M. le président. Il faut conclure, monsieur le ministre !

M. Bruno Le Roux, ministre. C’est à mon sens une chimère ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain.)

avenir de l’union européenne

M. le président. La parole est à M. Richard Yung, pour le groupe socialiste et républicain.

M. Richard Yung. Ma question porte sur l’avenir de l’Union européenne.

Avec le Brexit, l’Union est confrontée à la crise la plus grave qu’elle ait eu à connaître depuis sa fondation.

Un divorce, après quarante ans de vie commune qui ont tissé des liens très forts, est nécessairement difficile, douloureux, complexe. Pour autant, nous devons être fermes et faire en sorte que, après la négociation, s’il y a un accord, les vingt-sept pays restés membres de l’Union européenne soient dans une situation plus favorable que celui qui l’aura quittée. Je pense bien entendu au Royaume-Uni.

L’Union doit aussi faire face à des difficultés du côté transatlantique. Pour le locataire de la Maison-Blanche, « cela n’a aucune importance […] que les Européens soient unis ou non ». « Le Brexit va être une chose merveilleuse » ; « d’autres pays vont quitter l’Union européenne », qui est « un instrument au service de l’Allemagne ». Ces déclarations surprenantes, choquantes, montrent que le président des États-Unis nouvellement élu ne maîtrise pas bien la matière européenne. Elles montrent aussi sa volonté de construire un ordre international basé sur des relations bilatérales et non plus sur le multilatéralisme, lequel prévaut depuis 1945.

Pour relever les nombreux défis qui sont devant eux, les États membres de l’Union doivent faire bloc et réaffirmer les valeurs sur lesquelles repose la construction européenne. C’est ce que l’on appelle le nouveau partenariat à vingt-sept.

Il nous faut donc définir une stratégie commune pour relancer le projet européen après le Brexit. Monsieur le secrétaire d’État, quelles sont les orientations et les propositions que la France souhaite mettre en avant dans la perspective des prochains sommets européens ? (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain.)

M. le président. La parole est à M. le secrétaire d'État chargé des affaires européennes.

M. Harlem Désir, secrétaire d'État auprès du ministre des affaires étrangères et du développement international, chargé des affaires européennes. Monsieur Yung, dans le contexte que vous avez très bien rappelé, la première des déterminations de l’Union européenne doit être son unité, surtout quand l’un de ses membres les plus importants, à savoir l’Allemagne, est mis en cause par le nouveau président américain.

Quand le nouvel ambassadeur désigné par l’administration Trump auprès de l’Union rappelle qu’il a été auparavant en poste auprès de l’Union soviétique et qu’il souhaite que l’Union européenne connaisse le même sort que celle-ci, nous devons d’abord affirmer notre unité.

C’est pourquoi les célébrations du soixantième anniversaire du Traité de Rome qui nous réuniront le 25 mars doivent être plus qu’un temps de célébration : un temps d’affirmation !

Bien sûr, il conviendra de rappeler que nous avons accompli de grandes choses ensemble, après tant de guerres qui avaient déchiré le continent, que les valeurs qui ont fondé le projet européen, c’est-à-dire la paix, la coopération, la démocratie, les droits de l’homme, restent actuelles et indispensables pour le continent. Il faudra surtout réaffirmer que nous avons l’ambition de continuer à agir ensemble, parce que les affaires qui nous concernent, à savoir la sécurité face aux guerres qui nous entourent, en Syrie, en Irak, en Libye, et face au terrorisme, ne seront réglées par personne d’autre que nous.

Nous avons des intérêts et des valeurs à défendre. Lorsque la nouvelle administration américaine veut remettre en cause les accords de commerce, nous avons des intérêts économiques à défendre. Lorsque le Proche-Orient menace de nouveau de s’enflammer à cause du déplacement d’une ambassade, nous devons rappeler les principes des Nations unies qui sont ceux du droit international, et que l’Europe est au service d’un ordre international fondé sur le droit et non pas sur la force.

Lorsque, à l’est de l’Union, un grand pays a annexé la Crimée,…

M. le président. Il faut conclure, monsieur le secrétaire d’État !

M. Harlem Désir, secrétaire d'État. … nous avons rappelé le droit international.

Mesdames, messieurs les sénateurs, nous réaffirmerons nos valeurs, notre détermination, pour nos intérêts et notre sécurité. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain.)

bilan de l’évacuation de la jungle de calais

M. le président. La parole est à M. le rapporteur général de la commission des affaires sociales, Jean-Marie Vanlerenberghe, pour le groupe de l’UDI-UC. (Applaudissements sur les travées de l'UDI-UC.)

M. Jean-Marie Vanlerenberghe. Ma question s'adresse à M. le ministre de l'intérieur.

Monsieur le ministre, le 2 novembre dernier, je me suis réjoui, comme beaucoup d’entre nous, du démantèlement de ce que l’on appelait communément la « jungle » de Calais, dont l’existence entachait gravement l’image de notre pays.

J’ai félicité Mme la préfète du Pas-de-Calais ainsi que les services de police et de sécurité de la qualité de leur intervention. L’évacuation des réfugiés et migrants vers les centres d’accueil s’est en effet déroulée avec dignité et humanité.

Aujourd’hui, la confiance revient à Calais. Eurotunnel bat des records de traversées pour ce qui concerne les camions. Les Britanniques fréquentent de nouveau les commerces de Calais.

Mais – car il y a un « mais » ! – les migrants sont de retour, surtout les mineurs, attirés par la Grande-Bretagne.

Qui plus est, à quelques kilomètres de Calais, à Grande-Synthe, 1 500 migrants vivent dans un camp où les passeurs font la loi, nous dit-on. La violence s’y est installée.

J’ai trois questions à vous poser, monsieur le ministre.

D’abord, on peut craindre, avec le retour du printemps, que les flux migratoires ne s’accroissent. Les effectifs de police sur la côte sont-ils suffisants pour enrayer toute reconstitution de squats ou d’une nouvelle jungle ?

Ensuite, je m’interroge sur la capacité des centres d’accueil : est-elle suffisante pour accueillir des nouveaux arrivants ? Pensez-vous en ouvrir d’autres en France ?

Enfin, dernière question, avec le Brexit, la frontière de la Grande-Bretagne étant plus que jamais à Douvres et pas à Calais, ne pensez-vous pas nécessaire de revoir les accords du Touquet ? (Applaudissements sur les travées de l'UDI-UC.)

M. le président. La parole est à M. le ministre de l’intérieur.

M. Bruno Le Roux, ministre de l'intérieur. Monsieur le sénateur, je vous remercie de vos questions, qui me permettent de dresser un bilan précis sur ce qui s’est passé à Calais après le démantèlement du camp. Elles me donnent aussi l’occasion d’esquisser les moyens aujourd’hui mis en œuvre pour faire en sorte qu’aucun camp nouveau ne puisse être réinstallé à l’endroit où nous avons démantelé l’ancien.

Vous le savez, 7 424 personnes ont été mises à l’abri. Parmi celles-ci je m’intéresserai en particulier aux mineurs, sujet qui pose une véritable difficulté. En effet, après le démantèlement de la jungle, 1 952 ont été orientés vers des centres d’accueil et d’orientation, les CAO, et 485 ont été transférés vers le Royaume-Uni. Il reste aujourd’hui plus de 400 dossiers qui font l’objet de contestations.

Je le rappelle chaque semaine à mon homologue du gouvernement britannique, les critères qui ont été déclinés par l’amendement Dubs, c’est-à-dire le lien de parentalité et la vulnérabilité, doivent faire l’objet d’un examen précis. J’insiste sur le fait qu’il faut respecter les principes et non poursuivre un objectif quantitatif. Sinon, les mineurs continueront à se diriger vers Calais pour y attendre des filières de passeurs qui se réorganiseront, qui se réorganisent déjà ou qui s’y préparent. Si les mineurs ne remplissent pas ces deux critères, il faut leur donner le sentiment que leur cas a été traité en toute justice, ce qui leur permettra de se projeter vers un avenir qui sera ici, dans notre pays.

J’en viens à vos questions : oui, les effectifs de sécurité sont et seront dimensionnés pour éviter la création de nouveaux camps. Des places nouvelles sont offertes : 350 en centre d’accueil pour demandeurs d’asile, ou CADA, 50 en centres d’hébergement provisoire dans la région des Hauts-de-France.

La ministre du logement, Emmanuelle Cosse, et moi-même avons rencontré les associations pour les informer d’un dispositif qui vise à éviter toute recréation de camp et à permettre que chaque situation fasse l’objet d’un traitement individuel. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain.)

M. le président. La parole est à M. Jean-Marie Vanlerenberghe, pour la réplique.

M. Jean-Marie Vanlerenberghe. Monsieur le ministre, je vous suggère juste de rappeler à nos amis britanniques que le mot « solidarité » existe aussi en anglais ! (Applaudissements sur les travées de l'UDI-UC.)

avenir du site alstom de belfort

M. le président. La parole est à M. Cédric Perrin, pour le groupe Les Républicains. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. Cédric Perrin. Ma question s'adressait à M. le secrétaire d’État chargé de l’industrie.

Le 7 septembre dernier, la direction d’Alstom annonçait brutalement la fermeture du site de Belfort. Une mobilisation très forte s’est ensuivie.

Le 4 octobre, le Gouvernement a annoncé un plan de sauvetage que les élus, dans leur immense majorité, soutiennent fermement. Ce plan contient un volet « nouvelles commandes » sur lequel nous attendons encore des garanties, car rien n’est assuré.

Qu’en est-il de la fragilité juridique du dispositif exposé dans une note de Bercy, censée être confidentielle, mais parue lundi dans un grand quotidien national ? Cette note, que M. Sirugue a démentie, a réveillé de mauvais souvenirs chez les salariés d’Alstom et dans la population du Territoire de Belfort.

J’ai la conviction que sur ce sujet, comme sur beaucoup d’autres, certaines officines, qui ne souhaitent pas voir aboutir cet accord, sont à la manœuvre, afin de le discréditer.

Nous serons toujours extrêmement vigilants sur la bonne réalisation de cet accord et sur le respect de la parole de l’État. Il faut désormais des actes.

Les collectivités locales jouent le jeu. Elles avancent et tiennent leurs engagements.

Il faut que le 17 février prochain, lors de la réunion du comité de suivi, des engagements forts soient pris par l’État en direction d’Alstom et de ses salariés.

Les investissements que doit réaliser Alstom sur le site de Belfort dépendent, bien entendu, de nouvelles commandes, lesquelles, pour l’heure, n’arrivent pas.

Je suis d’autant plus inquiet quand je vois que le conseil d’administration de SNCF Mobilités a validé, en 2016, l’achat de trente trains d’équilibre du territoire, les TET, mais qu’Alstom attend toujours cette commande destinée à alimenter le site de Reischoffen jusqu’en 2019.

Pouvez-vous, monsieur le secrétaire d'État, me confirmer que la commande de quinze rames TGV pour la ligne Bordeaux-Marseille, de six rames TGV destinées à la liaison Paris-Milan et de vingt locomotives de secours sera bel et bien validée le 17 février – jour de la réunion du comité de suivi – et approuvée par SNCF Mobilités le 23 février ? (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et de l'UDI-UC.)

M. le président. La parole est à M. le secrétaire d'État chargé du budget et des comptes publics.

M. Christian Eckert, secrétaire d'État auprès du ministre de l’économie et des finances, chargé du budget et des comptes publics. Monsieur le sénateur, je vous prie d’excuser l’absence de Christophe Sirugue, qui est en déplacement en Allemagne cet après-midi. Vous comprendrez que je vous réponde en son nom, en ma qualité de secrétaire d’État de Bercy, puisque telle est la dénomination habituelle.

Et je pourrais me contenter d’un mot : oui. Je vous le confirme, l’État suit bien le scénario que vous avez décrit.

C’est vrai, une note de la direction des affaires juridiques de Bercy a circulé. Elle était consacrée à l’étude d’un scénario qui n’a pas été retenu par le Gouvernement. Lorsqu’une opération de cette envergure se profile, nous demandons – c’est une pratique courante – à la direction des affaires juridiques, entre autres organismes consultés, d’examiner différents scenarii et d’en valider la faisabilité. La note que vous avez mentionnée étudiait un scénario qui n’avait pas la préférence du Gouvernement, lequel l’a, bien sûr, écarté d’emblée.

S’il y avait encore des doutes – je parle au nom du Gouvernement devant la représentation nationale, et Christophe Sirugue a tenu le même discours, hier, devant vos collègues députés –, je peux vous confirmer que la décision du Gouvernement est de demander à la SNCF de passer la commande de ces quinze rames dans le contexte d’un contrat-cadre qui existe déjà, et que le comité de suivi validera ce choix le 17 février prochain. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain.)

mixité sociale au collège

M. le président. La parole est à Mme Françoise Cartron, pour le groupe socialiste et républicain.

Mme Françoise Cartron. Ma question s’adressait à Mme la ministre de l’éducation nationale, de l’enseignement supérieur et de la recherche.

En 2011, je présentais au Sénat un rapport sur les conséquences de l’assouplissement de la carte scolaire, avec comme principales pistes de réflexion : faire de la mixité sociale un objectif essentiel de la politique éducative, réexaminer la sectorisation en introduisant la notion de choix multi-collèges et moduler les dotations financières en fonction de la composition sociale des établissements, en y associant l’enseignement privé.

En 2013, toujours au Sénat, nous avons souhaité, dans le cadre de la loi d’orientation et de programmation pour la refondation de l’école de la République, rappeler les valeurs qui doivent guider le service public de l’éducation en lui assignant explicitement la mission de veiller à la mixité sociale au sein des établissements scolaires.

Dès novembre 2015, Mme la ministre a impulsé la mise en œuvre sur le terrain de cette politique publique essentielle, mais difficile, nous le savons. Cela a été fait de la meilleure façon possible : résolument, mais avec prudence, et sous la forme d’expérimentations, en associant en tout premier lieu les acteurs de terrain.

La dernière enquête PISA nous le rappelle, si la France s’affiche au sein de l’OCDE comme le pays où l’origine sociale pèse le plus lourdement sur la réussite des élèves, la ségrégation scolaire y est pour beaucoup. Or la mixité a des effets positifs sur tous les élèves, tant sur les résultats scolaires qu’en matière de cohésion sociale.

Mais, nous le savons aussi, cette politique publique ambitieuse, si elle n’est pas préparée, expliquée aux parents, accompagnée sur le long terme, provoque des réactions souvent vives.

Aujourd’hui, 46 départements ont défini 82 territoires pilotes.

Madame la secrétaire d'État, pourriez-vous nous en dire plus pour la prochaine rentrée scolaire ? (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain.)

M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d'État chargée de la ville.

Mme Hélène Geoffroy, secrétaire d'État auprès du ministre de la ville, de la jeunesse et des sports, chargée de la ville. Mesdames, messieurs les sénateurs, je vous prie d’excuser Mme la ministre de l’éducation nationale, qui est aujourd'hui en déplacement. (Exclamations sur les travées du groupe Les Républicains.)

Oui, la ségrégation sociale est en France une réalité ! Et je pense que le sujet vaut la peine que l’on s’y attarde parce que nous en connaissons l’ampleur et la cartographie.

Si 10 % des collèges accueillent moins de 15 % d’élèves d’origine sociale défavorisée, 10 % en accueillent plus de 63 %. Cela signifie que des générations d’élèves grandissent dans notre pays et fréquentent la même institution sans jamais véritablement se rencontrer. Et nous voyons mal comment l’école pourrait transmettre une appartenance commune à la République sans lutter contre les processus d’exclusion.

C’est pourquoi Mme Vallaud-Belkacem a soutenu la question de la mixité sociale scolaire comme l’un des enjeux de la mixité dans nos quartiers populaires.

La carte scolaire est l’une des réponses opératoires. Certains voudraient une carte plus rigide, au risque d’entraver la mobilité sociale. D’autres veulent assouplir celle qui existe, alors même que les études ont montré son importance et sa pertinence.

C'est la raison pour laquelle la solution doit venir non de décisions imposées d’en haut, mais des acteurs de terrain. Ce n’est pas la carte qui change le territoire, c’est le territoire qui fait évoluer la carte.

La ministre de l’éducation nationale a lancé, l’année dernière, une démarche sur 25 territoires pilotes dont ont émergé des solutions concrètes. Des solutions adaptées aux territoires ont été élaborées et sont mises en œuvre à travers la resectorisation des élèves, la mise en place de secteurs multicollèges et l’évolution de la carte des formations. Et cela marche, madame la sénatrice !

La ministre a donc souhaité étendre ce dispositif dans 82 territoires, autour de 248 collèges. Dans les 46 départements concernés – n’en déplaise à certains ! –, l’engagement des élus a été transpartisan. Et je souhaite ici m’associer à Mme Najat Vallaud-Belkacem pour saluer l’implication des élus locaux, tant ce sujet est également important pour la secrétaire d’État chargée de la ville que je suis.

À travers la France, quatre projets sont prévus pour la rentrée 2018, notamment en Gironde, à Bordeaux, Cenon et Lormont.

M. le président. Il faut conclure, madame la secrétaire d’État !

Mme Hélène Geoffroy, secrétaire d’État. Et la rentrée 2017 permettra d’approfondir la réflexion. C’est la cohésion nationale qui est en jeu ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain.)

consultation des domaines en matière d’opérations immobilières

M. le président. La parole est à M. Jean-François Longeot, pour le groupe de l’UDI-UC.

M. Jean-François Longeot. À la suite de la publication de l’arrêté du 5 décembre 2016, les seuils réglementaires de consultation obligatoire des domaines en matière d’acquisition et de prise de bail ont été relevés. Ainsi, depuis le 1er janvier dernier, pour tenir compte de l’évolution du marché immobilier, comme le souligne la direction générale des finances publiques, les seuils réglementaires s’élèvent à 180 000 euros pour les acquisitions hors expropriations contre 175 000 euros auparavant et à 24 000 euros de loyer annuel pour les prises de bail contre 12 000 euros auparavant.

Le seuil au premier euro demeure pour les cessions concernant les communes de plus de 2 000 habitants et les autres collectivités locales tenues à consultation des domaines dans ce cadre.

S’agissant des communes de moins de 2 000 habitants, elles sont dispensées de consulter le service France Domaine en matière de cession.

Je souhaite donc que vous puissiez, monsieur le secrétaire d'État, apporter des précisions aux maires des communes rurales qui viennent d’être informés de ce changement par vos services et qui s’inquiètent des conséquences de cet arrêté. Ils étaient en effet nombreux à faire appel aux domaines et à leurs agents pour obtenir des conseils gratuits et des évaluations incontestables lors d’échanges de terrains, de cessions ou de ventes, même sur des montants de transactions peu élevés. Ce service leur sera-t-il définitivement supprimé ? (Applaudissements sur les travées de l'UDI-UC.)

M. le président. La parole est à M. le secrétaire d’État chargé du budget et des comptes publics.

M. Christian Eckert, secrétaire d'État auprès du ministre de l'économie et des finances, chargé du budget et des comptes publics. Monsieur le sénateur, vous connaissez le principe de libre administration des collectivités territoriales. Ce principe a été néanmoins quelque peu égratigné par le processus de validation d’un certain nombre de transactions, variable en fonction de la taille des communes et de la nature de l’opération.

Il s’agit de vérifier la bonne utilisation des deniers publics et d’éviter des dérives parfois constatées à l’échelon local, voire national. Nous avons été confrontés à une inflation des demandes. De plus, les seuils que vous avez rappelés n’avaient pas été réévalués depuis des lustres – si j’ose m’exprimer ainsi – et nécessitaient d’être toilettés.

Dans l’arrêté que vous avez mentionné, il était, d’abord, prévu de relever les seuils concernant les prises à bail ou les acquisitions amiables. Il s’agissait, ensuite, de faire en sorte que les collectivités qui demandent des évaluations en dessous de ces seuils confirment l’existence d’un véritable projet. Cette disposition visait à éviter une inflation de demandes, source d’un allongement des délais et, parfois, d’une dégradation de la qualité des avis.

Pour les communes les plus petites ou les opérations les plus légères, il reste toujours la possibilité d’utiliser le portail « Demandes de valeurs foncières », qui permet d’obtenir des termes de comparaison. Et les communes de moins de 2 000 habitants peuvent également demander, deux fois par an, des évaluations.

J’ajoute – s’il était besoin de vous convaincre ! – que ce projet a été travaillé de concert avec l’Association des maires de France, dont je salue en cet instant le président, et la direction générale des finances publiques. Ces instances ont élaboré conjointement un document d’information qui décrit entièrement le processus et a fait l’objet d’un dialogue constructif. Une fois n’est pas coutume ! (Applaudissements sur les travées de l'UDI-UC, ainsi que sur certaines travées du groupe socialiste et républicain.)

M. le président. La parole est à M. Jean-François Longeot, pour la réplique.

M. Jean-François Longeot. Monsieur le secrétaire d'État, je suis, comme vous, pleinement conscient de l’importance d’une bonne utilisation des deniers publics. Je suis aussi en parfaite harmonie avec vous quant au relèvement des seuils. Ce que je veux souligner, c’est que les petites communes se sentent pointées du doigt parce qu’elles ne bénéficient plus d’un service toujours offert aux communes de plus de 2 000 habitants ! (Applaudissements sur les travées de l'UDI-UC.)

olympisme et langue française

M. le président. La parole est à M. Jacques Legendre, pour le groupe Les Républicains.

M. Jacques Legendre. Ma question s’adresse à M. le ministre de la ville, de la jeunesse et des sports.

Paris est candidat à l’accueil des jeux Olympiques en 2024. Nous souhaitons ardemment le succès de sa candidature, mais est-ce une raison pour que la signature officielle du Comité Paris 2024 affichée sur la tour Eiffel soit « Made for sharing » ? Renseignement pris, cela signifierait « fait pour partager ». Ce slogan aurait été suggéré par des publicitaires. Après le confiseur Quality Street qui l’a utilisé en 1979, Cadbury l’a repris en 2006. Il a même servi aux États-Unis, en 2010, pour le lancement d’une grosse « pizza burger » à découper ! (Sourires.)

N’aurions-nous pas pu trouver autre chose, en français, pour résumer l’esprit de notre candidature, dans le pays de Pierre de Coubertin, restaurateur des jeux Olympiques, qui avait tenu à ce que le français en soit la langue officielle ?

On nous dit que la majorité des membres du Comité international olympique, le CIO, ne parlent pas le français. Argument dérisoire ! On peut toujours traduire !

Et puis, si vous voulez prendre modèle aux États-Unis, dites donc en français que « Paris est une fête », comme l’a jadis écrit – c’est le titre célèbre de l’un de ses livres – Ernest Hemingway. Vous verrez alors que chacun comprendra !

En renonçant à signer notre candidature dans notre langue, vous proclamez que la France renonce au rôle international du français. Une fois de plus, vous désespérez nos amis québécois et africains qui ont, avec nous, le français en partage et qui en sont fiers, eux !

Monsieur le secrétaire d’État, qu’allez-vous faire pour corriger cette erreur, qui est même plus qu’une erreur, une faute ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. le président. La parole est à M. le secrétaire d’État chargé des sports.

M. Thierry Braillard, secrétaire d'État auprès du ministre de la ville, de la jeunesse et des sports, chargé des sports. Monsieur le sénateur, ce que je vais faire pour réparer cette faute, c’est vous dire que si des sites internet vous donnent des informations, mieux vaut avoir la bonne information en direct et, donc, me poser la question !

Le Comité international olympique a créé des conditions pour une candidature. Il faut le savoir, la candidature officielle a été déposée voilà plus d’une année. Au cours d’un stade intermédiaire, nous devions déposer un deuxième dossier. Et le 3 février, nous devions remettre le troisième et dernier dossier, lequel concerne notamment tous les aspects techniques de la candidature. À cette même date du 3 février, le CIO autorisait la promotion de la candidature à l’étranger.

C’est la raison pour laquelle nous avons déposé ce jour-là un dossier qui comportait un slogan français « Venez partager ». Et nous avons, dans le même temps, entamé la promotion internationale de la candidature avec le slogan que vous avez cité « Made for sharing ». Donc, il y a non pas un seul slogan – c’est l’erreur que vous avez faite, peut-être à partir de renseignements erronés que vous avez obtenus –, mais bien deux slogans, l’un en français, l’autre en anglais, à vocation internationale.

Pourquoi ce slogan anglais est-il apparu sur la tour Eiffel ? Encore une fois, posez la question et vous aurez la réponse ! Le jour où il y a été inscrit se tenait une conférence de presse qui réunissait plus de 600 journalistes de la presse internationale. Ce slogan correspond à l’ouverture de la campagne internationale, laquelle nous permet de mettre à disposition dans toutes nos ambassades et consulats des documents rédigés en français qui décrivent la candidature de Paris pour les jeux Olympiques de 2024.

M. le président. Veuillez conclure, monsieur le secrétaire d'État !

M. Thierry Braillard, secrétaire d'État. Monsieur le sénateur, si vous voulez des renseignements plus étoffés sur cette candidature, je vous convie à suivre l’initiative de votre collègue Michel Savin, qui préside le groupe d’études sur les pratiques sportives et les grands événements sportifs.

M. le président. Il faut conclure !

M. Thierry Braillard, secrétaire d'État. Je conclus, monsieur le président ! J’étais en train d’inviter les membres de la Haute Assemblée à participer mardi prochain à une réunion organisée au Sénat par le groupe d’études précité. Au cours de cette réunion, toutes les indications sur cette candidature seront données. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain. – Mme Hermine Malherbe applaudit également.)

situation des aides à domicile

M. le président. La parole est à M. Christian Manable, pour le groupe socialiste et républicain.

M. Christian Manable. Ma question s’adresse à Pascale Boistard, secrétaire d’État chargée des personnes âgées et de l’autonomie, et porte sur le cadre professionnel et les perspectives des métiers d’aide à domicile.

Récemment, au mois de décembre 2016, le Défenseur des droits, M. Jacques Toubon, s’inquiétait des conditions d’intervention des aides à domicile dans mon département, la Somme. Dans un courrier adressé au président du conseil départemental, il s’interrogeait en effet sur les conséquences des décisions du département dans ses modalités de déploiement des aides à domicile en direction des bénéficiaires de l’allocation personnalisée d’autonomie, l’APA.

En privilégiant le mode mandataire et en réduisant les heures prises en charge dans les plans d’aide, le département de la Somme menace, selon le Défenseur des droits, les « intérêts des personnes âgées ». De plus, un élément nouveau et tout récent est à verser au dossier. En effet, le tribunal d’Amiens, en statuant sur plusieurs dossiers et recours faits par des personnes âgées, vient d’ordonner, ce matin même, au conseil départemental de la Somme de respecter la loi et de redonner le libre choix aux personnes âgées. Dont acte !

Face à de telles décisions, il faut également évoquer la situation des professionnels – 90 % sont des femmes, qui exercent ces métiers d’aide à domicile. En affaiblissant le mode prestataire qui permet de salarier ces intervenants dans des associations ou des services, on précarise fortement une profession déjà très difficile : multiplication des employeurs, diversité des contrats de travail, convention collective différente, organisation du temps de travail morcelée, indemnités de transport ou droit à la formation diminués… Ces auxiliaires de vie, qui gagnent en moyenne de 800 à 1 000 euros par mois, ont besoin, au contraire, d’accompagnement et de cadre professionnel stable.

Nous le savons, dans les années futures, le nombre de personnes âgées va fortement augmenter. Le soutien professionnel aux aînés constitue donc un enjeu social et économique de taille.

Les métiers du secteur de l’aide à domicile doivent bénéficier d’une attention particulière. Voici ma question : pouvez-vous, madame la secrétaire d'État, nous éclairer sur la situation et les perspectives de ces métiers de l’aide à domicile ? (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain.)

M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d’État chargée des personnes âgées et de l’autonomie.

Mme Pascale Boistard, secrétaire d'État auprès de la ministre des affaires sociales et de la santé, chargée des personnes âgées et de l'autonomie. Monsieur le sénateur, permettez-moi de saluer l’action que vous avez menée lorsque vous étiez président du conseil départemental de la Somme jusqu’en 2014. Vous aviez alors à cœur les politiques de solidarité en direction des personnes âgées. C’est bien différent depuis le changement de majorité ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain – Vives protestations sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. Jean-Claude Lenoir. Ce n’est pas à la hauteur d’un membre du Gouvernement !

Mme Pascale Boistard, secrétaire d'État. Ce n’est pas moi qui le dis, c’est le tribunal d’Amiens ! Un préfet a dû se substituer à des personnes âgées pour faire respecter la loi, respecter les personnes âgées et leur libre choix, sans oublier celles et ceux qui travaillent à leur service, c’est-à-dire les aides à domicile. (Mêmes mouvements.)

La loi est passée. Le droit a été dit. Il s’agit maintenant de rendre leur dignité à ces personnes âgées.

Monsieur le sénateur, vous avez raison : ce métier d’aide à domicile est un véritable enjeu pour notre pays, car, dans dix ans, un tiers de notre population aura plus de 65 ans. Pour occuper ces postes d’aide à domicile, nous devons recruter au minimum 300 000 personnes, qui doivent être des professionnels qualifiés, des personnes de confiance, car on ne confie pas nos aînés à n’importe qui !

Clotilde Valter et moi-même lançons donc une grande campagne avec les professionnels et les collectivités, pour donner aux plus jeunes, mais aussi à ceux qui veulent se reconvertir, envie de s’investir dans ces métiers non délocalisables et qui offrent des perspectives de carrière intéressantes à partir du moment où, bien évidemment, les territoires jouent le jeu.

Nous fournissons aussi des moyens financiers à l’appui de cette ambition. Vous le savez, la loi relative à l’adaptation de la société au vieillissement, ou loi ASV, permet ces évolutions.

Si nous voulons être à la hauteur de nos responsabilités politiques, c’est maintenant que cela commence ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain. – Mme Hermine Malherbe applaudit également. )

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M. le président. La parole est à Mme Marie-Hélène Des Esgaulx, pour le groupe Les Républicains. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx. Ma question s’adressait à Mme la ministre de l’environnement, de l'énergie et de la mer, chargée des relations internationales sur le climat. Elle n’est pas là, je le sais, elle ne vient pas souvent au Sénat ! (Exclamations sur les travées du groupe Les Républicains.)

Nous étions nombreux dans cet hémicycle ce matin, mes chers collègues, pour écouter le Premier président de la Cour des comptes présenter son rapport annuel.

La Cour a consacré plus de trente-deux pages de son rapport au dossier calamiteux de l’abandon de l’écotaxe.

Elle note que cette décision coûte au contribuable 1 milliard d’euros et nous prive d’une recette de 10 milliards d'euros sur la durée du contrat de partenariat.

Elle dresse un bilan très sévère, relevant que la décision de Mme Royal, d’abord de suspendre sine die l’écotaxe, puis de résilier le contrat de partenariat, a été prise – je cite M. Migaud – « dans la précipitation », sans « aucune analyse préalable de [sa] portée » et en « absence de fondement juridique ». Je vous rappelle que nous avions voté une loi. La Cour écrit également : « La résiliation du contrat de partenariat n’a pas été conduite en protégeant suffisamment les intérêts de l’État. » Elle poursuit : c’est un « gâchis patrimonial important pour l’État […] Un échec industriel et social ».

Franchement, mes chers collègues, il est difficile pour les juges de la rue Cambon d’être plus sévères !

Ma question à Mme Royal est la suivante : reconnaît-elle devant la représentation nationale le grand gaspillage budgétaire dont elle est responsable dans cette affaire ? Quelles suites entend-elle donner au rapport accablant de la Cour des comptes ? (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et de l'UDI-UC.)

M. le président. La parole est à M. le secrétaire d’État chargé du budget et des comptes publics.

M. Bruno Sido. C’est l’homme à tout faire !

M. Christian Eckert, secrétaire d’État auprès du ministre de l’économie et des finances, chargé du budget et des comptes publics. Madame la sénatrice, je suis très surpris que vous ayez appris quoi que ce soit à ce sujet de l’audition de M. Didier Migaud et de la lecture du rapport de la Cour des comptes. En effet, vous avez présidé la commission d’enquête du Sénat sur ce contrat ; vous m’aviez d’ailleurs alors auditionné, ainsi que Mme Royal.

M. François Grosdidier. Elle avait dit que ça coûterait moins cher : elle était dans le déni !

M. Christian Eckert, secrétaire d'État. Vous auriez pu auditionner aussi M. Le Fur – peut-être serait-il venu coiffé d’un bonnet rouge ; mais vous n’avez rien appris, madame la sénatrice !

Savez-vous à quelle date – ce point est très important – le contrat en question a été signé ? Le 4 mai 2012 !

M. Christian Eckert, secrétaire d'État. Or que prévoyait ce contrat ?

M. Gérard Cornu. Il ne fallait pas le résilier !

M. Christian Eckert, secrétaire d'État. Selon ses termes, pour recouvrer 100 euros de produit de la taxe, il fallait dépenser 38 euros de frais de gestion.

M. François Grosdidier. C’est moins cher que le recrutement de fonctionnaires !

M. Christian Eckert, secrétaire d'État. C’était du jamais vu !

Autre première, ce recouvrement avait été délégué à une société privée, qui n’était même pas française.

Alors, quand vous parlez de calamité, il faut toujours savoir quelle en est l’origine !

Enfin, madame la sénatrice, puisque votre lecture du rapport de la Cour des comptes a été attentive, vous avez dû voir le tableau qui y figure à la page 214. Le produit de l’écotaxe a été remplacé par une augmentation du prix du gazole, de 2 centimes par litre et de 4 centimes pour le transport routier de marchandises.

M. François Grosdidier. Payée par les automobilistes français !

M. Christian Eckert, secrétaire d'État. En conséquence, l’État a encaissé plus d’un milliard d’euros, alors que le produit de l’écotaxe était quatre ou cinq fois inférieur.

Certes, on peut imaginer tous les scénarios, faire tous les effets de manche que l’on veut,…

M. François Grosdidier. Alors vous avez bien fait ! Pas de regrets !

M. Christian Eckert, secrétaire d'État. … mais je crois que la responsabilité de la très mauvaise conduite de ce dossier est largement partagée ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain. – Mme Hermeline Malherbe applaudit également.)

M. le président. La parole est à Mme Marie-Hélène Des Esgaulx, pour la réplique.

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx. Monsieur le secrétaire d’État, je suis très sensible à ce que vous avez dit. Il est vrai que je n’ai rien appris, mais quand il n’y avait que moi pour vous le dire, vous ne me croyiez pas ! À présent, c’est la Cour des comptes qui le dit ! Cela a tout de même une valeur beaucoup plus importante. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, ainsi que sur quelques travées de l'UDI-UC.)

Je veux en outre vous faire remarquer que la Cour des comptes ne critique ni l’écotaxe ni le contrat de partenariat ; elle critique l’abandon de l’écotaxe. Cela n’a rien à voir ! (Applaudissements sur les mêmes travées. – Protestations sur les travées du groupe CRC.)

Certes, vous avez remplacé cette taxe par une recette supplémentaire, mais ce sont les automobilistes, ce sont les camions français qui payent ! C’est un gâchis et un désastre financier, dont vous serez responsables devant les Français ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et de l'UDI-UC. – M. Gilbert Barbier applaudit également.)

M. le président. Nous en avons terminé avec les questions d’actualité au Gouvernement.

Les prochaines questions d’actualité au Gouvernement auront lieu le mardi 14 février, à seize heures quarante-cinq. Elles seront retransmises sur Public Sénat, ainsi que sur le site internet et la page Facebook du Sénat.

Mes chers collègues, nous allons maintenant interrompre nos travaux quelques instants.

La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à seize heures, est reprise à seize heures quinze, sous la présidence de Mme Isabelle Debré.)

PRÉSIDENCE DE Mme Isabelle Debré

vice-présidente

Mme la présidente. La séance est reprise.

4

Communication relative à une commission mixte paritaire

Mme la présidente. J’informe le Sénat que la commission mixte paritaire chargée d’élaborer un texte sur les dispositions restant en discussion de la proposition de loi relative à la lutte contre l’accaparement des terres agricoles et au développement du biocontrôle est parvenue à un texte commun.

5

Prise d’effet de nominations à une commission mixte paritaire

Mme la présidente. M. le président du Sénat a reçu de M. le Premier ministre la demande de réunion d’une commission mixte paritaire chargée d’élaborer un texte sur les dispositions restant en discussion de la proposition de loi portant réforme de la prescription en matière pénale.

En conséquence, les nominations intervenues lors de notre séance du mercredi 8 février prennent effet.

6

 
Dossier législatif : projet de loi ratifiant l'ordonnance n° 2016-1519 du 10 novembre 2016 portant création au sein du service public de l'emploi de l'établissement public chargé de la formation professionnelle des adultes
Discussion générale (suite)

Établissement public chargé de la formation professionnelle des adultes

Adoption définitive en procédure accélérée d’un projet de loi dans le texte de la commission

Mme la présidente. L’ordre du jour appelle la discussion du projet de loi, adopté par l’Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, ratifiant l’ordonnance n° 2016-1519 du 10 novembre 2016 portant création au sein du service public de l’emploi de l’établissement public chargé de la formation professionnelle des adultes (projet n° 318, texte de la commission n° 357, rapport n° 356).

Dans la discussion générale, la parole est à Mme la secrétaire d’État.

Discussion générale (début)
Dossier législatif : projet de loi ratifiant l'ordonnance n° 2016-1519 du 10 novembre 2016 portant création au sein du service public de l'emploi de l'établissement public chargé de la formation professionnelle des adultes
Article unique (Texte non modifié par la commission) (début)

Mme Clotilde Valter, secrétaire d’État auprès de la ministre du travail, de l’emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social, chargée de la formation professionnelle et de l’apprentissage. Madame la présidente, monsieur le rapporteur, mesdames, messieurs les sénateurs, l’année 2017 constitue un tournant très important pour l’AFPA, l’Association nationale pour la formation professionnelle des adultes.

Depuis 1946, l’AFPA n’a cessé d’agir au service des politiques de l’emploi et de la formation, en particulier dans les moments difficiles, comme l’époque de la reconstruction de notre pays ou, plus récemment, celle de la montée du chômage. Elle est reconnue pour ses compétences, pour son expertise, mais aussi pour son rôle fondamental de garant de l’égalité d’accès aux qualifications, y compris pour les personnes les plus éloignées de l’emploi et de la formation, quel que soit leur territoire.

Fragilisée par la décentralisation et par l’ouverture à la concurrence de la formation professionnelle, l’AFPA s’est trouvée confrontée à des difficultés majeures à la fin des années 2000 et, notamment, en 2010.

Dès 2012, le Gouvernement a été convaincu de la nécessité d’accompagner l’AFPA afin qu’elle puisse répondre aux enjeux actuels en s’appuyant sur ses points forts tout en continuant d’assurer un service public au bénéfice de la collectivité nationale. C’est cette transformation qu’opère l’ordonnance du 10 novembre 2016, que le Gouvernement vous propose de ratifier en adoptant le présent projet de loi.

Le projet du Gouvernement s’appuie sur un constat : pour des raisons tant économiques que juridiques, il est indispensable de faire évoluer en profondeur le statut de l’AFPA qui est, depuis l’origine, une association.

Il s’agit tout d’abord de répondre à la déstabilisation du modèle économique de l’AFPA. La compétence des conseils régionaux en matière de formation professionnelle a été progressivement renforcée, avant de devenir exclusive. Ce transfert de compétence a rendu difficile, dans un premier temps, voire impossible, à présent, la poursuite du mode de financement antérieur de l’AFPA. En effet, ses recettes étaient presque exclusivement constituées de crédits budgétaires de l’État. De même, la nécessité de respecter le droit de la concurrence, évolution à laquelle l’AFPA n’était pas préparée, l’a fortement affectée.

L’AFPA a donc subi des pertes de parts de marché importantes et une réduction significative de son chiffre d’affaires. À partir de 2009, elle a connu une période très difficile de déséquilibre financier croissant, qui a fini par menacer son existence même. À la fin de la précédente législature, l’AFPA était au bord du défaut de paiement, sans vision stratégique ni espoir de redressement.

Il s’agit également de répondre à des impératifs de nature juridique. Il ne faut pas les négliger, car ils ont une place très importante, comme M. le rapporteur l’a souligné dans son rapport. En effet, au sein de cette structure se conjuguent des activités relevant du domaine concurrentiel et des missions de service public que l’État doit financer et auxquelles le Gouvernement, comme vous-mêmes, attache une importance considérable. Il importe donc de distinguer entre ces deux types d’activités.

La transformation de l’association en établissement public industriel et commercial, ou EPIC, permet précisément de résoudre cette difficulté en distinguant clairement les missions de service public des activités soumises à la concurrence, qui relèvent des filiales.

Une fois posé le constat de l’impossibilité du statu quo, le Gouvernement a décidé, pour ne pas laisser péricliter l’AFPA, de s’engager de façon extrêmement ferme, forte et déterminée dans un processus de transformation. Il a accompagné ce processus, depuis 2012, en plusieurs étapes, en ayant toujours le souci de maintenir le potentiel humain et technique, le savoir-faire et les valeurs de l’AFPA, et de les mettre au service des politiques de formation dans notre pays.

En 2012, le gouvernement de Jean-Marc Ayrault, sur la proposition de Michel Sapin, alors ministre du travail, de l’emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social, s’est engagé, pour les raisons stratégiques que je viens d’évoquer, dans ce processus de transformation. Il a affirmé sa volonté de développer un projet pérenne permettant la refondation de l’AFPA.

Cette démarche a été confortée par la loi du 17 août 2015, défendue par François Rebsamen, qui a inscrit l’AFPA dans le périmètre du service public de l’emploi, en pleine cohérence avec les objectifs politiques du Gouvernement. Cette loi lui confie des missions de service public et autorise le Gouvernement à engager le processus de transformation de l’association en EPIC.

L’ordonnance du 10 novembre 2016, vecteur de cette transformation, constitue l’aboutissement du processus d’accompagnement de l’État. Elle est le fruit d’un long travail d’expertise juridique, économique et immobilière, mais aussi d’un dialogue social interne à l’AFPA, et d’échanges avec les acteurs de la formation.

D’intenses échanges ont également été menés avec la Commission européenne afin que le projet construit soit en conformité avec le droit européen. Vous avez été très vigilant sur ce point, monsieur le rapporteur, mais il s’agissait pour nous aussi d’une priorité.

Le positionnement de l’établissement public au sein du service public de l’emploi repose sur une définition extrêmement claire des missions de service public, financées par l’État à hauteur de 110 millions d’euros en loi de finances initiale pour 2017.

Ces missions sont décrites dans deux articles complémentaires de l’ordonnance. Le premier réaffirme la compétence historique de l’AFPA comme acteur de la politique de certification, ainsi que le sens même de son utilité sociale dans la lutte contre les inégalités d’accès à la formation, qu’elles soient sociales, territoriales ou encore liées au genre.

Le second article identifie, parmi les missions de service public déjà présentes dans le programme d’activité de service public de l’association, celles dont le développement revêt une importance clé, dans le monde d’aujourd’hui, pour la compétitivité de notre économie et la réponse aux besoins de formation des personnes. Ces besoins s’inscrivent dans la logique du développement économique de nos territoires.

Trois missions ont pu être ainsi identifiées : une mission d’incubateur des formations aux nouveaux métiers et nouvelles compétences ; une mission de veille et d’expertise pour anticiper l’évolution des besoins en compétences ; enfin, une mission d’appui au conseil en évolution professionnelle, dont vous connaissez l’importance, afin d’accompagner les personnes qui en ont le plus besoin.

Les autres activités de l’établissement ne bénéficieront pas de dotations de l’État et s’exerceront dans le cadre de deux filiales : l’une consacrée à la mission de service public concurrentiel de formation des demandeurs d’emploi ; l’autre, à la mission de formation des salariés. Ces filiales relèveront pleinement du droit des sociétés.

Les conventions et accords collectifs applicables avant la date d’entrée en vigueur de l’ordonnance s’appliqueront à l’ensemble des personnels de l’établissement. Il est en outre prévu de négocier une convention collective permettant la constitution d’une unité économique et sociale dotée d’un comité central d’entreprise commun à l’établissement public et à ses filiales.

Outre la définition des missions de l’établissement, l’ordonnance fixe les modalités de gouvernance. Celles-ci respectent le quadripartisme : sont représentés au conseil d’administration l’État, les conseils régionaux, les partenaires sociaux et les salariés de l’EPIC, ainsi que des personnalités qualifiées. L’établissement est dirigé par un directeur général, ou plutôt une directrice générale, qui a été nommée en conseil des ministres le 7 décembre dernier et a pris ses fonctions le 1er janvier 2017, date d’entrée en vigueur du statut d’établissement public.

Enfin, l’ordonnance règle la question du patrimoine immobilier de l’AFPA, qui était posée de longue date, en organisant les conditions du transfert vers l’EPIC, lors de sa création, de biens de l’État utilisés, jusqu’à présent par l’AFPA. Ces dispositifs se sont concrétisés par la dévolution, au 1er janvier 2017, de 116 sites de l’État vers l’EPIC, en conformité avec les exigences posées par la Commission européenne. Cette dévolution permettra à l’EPIC d’assurer une présence sur tout le territoire, comme le nécessite l’exercice de ses missions de service public.

L’EPIC continuera également à exercer son activité dans des sites placés sous un statut juridique différent, de manière à mieux s’inscrire dans les projets de territoire. Cela doit permettre de mieux répondre aux besoins des demandeurs d’emploi, mais aussi à ceux des entreprises, dans le cadre de projets stratégiques définis au cas par cas.

L’ordonnance soumise à la ratification du Parlement est donc un texte équilibré, solide et respectueux des compétences des conseils régionaux et des partenaires sociaux. Il s’inscrit pleinement dans le cadre quadripartite fixé par la loi du 5 mars 2014, et est conforme au droit européen.

Le conseil d’administration de l’AFPA a approuvé la dissolution de l’association lors de sa réunion du 22 décembre 2016. L’EPIC a été officiellement créé le 1er janvier 2017. Pour autant, comme vous l’avez souligné, monsieur le rapporteur, beaucoup reste à faire pour le nouvel établissement, notamment la mise en œuvre réussie du processus de transformation, afin que le dispositif entre pleinement en vigueur et soit adapté aux exigences d’aujourd’hui.

Dans ce cadre ainsi rénové et clarifié, il appartient désormais à la direction de l’établissement et à sa communauté de travail de bâtir un projet de développement régional, site par site, région par région, et à l’échelle nationale. Dans la continuité de l’action engagée depuis 2012, le Gouvernement et l’État seront aux côtés de l’établissement, de ses salariés et de ses dirigeants pendant cette phase de démarrage et de consolidation à venir.

Le Gouvernement a choisi non pas la voie de la facilité, mais celle d’une ambition stratégique forte, avec des objectifs politiques clairs.

Mme Clotilde Valter, secrétaire d’État. Les missions de service public du nouvel établissement ont été volontairement et précisément définies, en prenant en compte à la fois les valeurs et les acquis de cet acteur historique, qui fonctionne depuis 1946, a pris une place importante dans l’histoire de la formation professionnelle et a permis à des personnes éloignées de la formation et de l’emploi de retrouver un parcours professionnel.

Nous avons confiance dans la solidité de ce modèle, dans l’expertise et dans l’expérience des salariés de cet établissement, qui entrent à présent dans une nouvelle période et voient s’ouvrir de nouvelles perspectives, mieux adaptées à notre temps et permettant de répondre aux enjeux économiques, sociaux et territoriaux auxquels notre pays et ses territoires sont confrontés.

Cette transformation représente une opportunité considérable pour conforter la cohésion sociale et territoriale en matière de formation, réaffirmer notre volonté de porter attention à tous les publics sur tous les territoires – là encore, monsieur le rapporteur, vous avez beaucoup insisté sur ce point – et marquer la confiance de l’État dans ce nouvel opérateur, contribuant au service public, ainsi qu’à ses salariés, qui peuvent désormais se tourner vers l’avenir et la réussite de l’ambition qui est désormais la leur.

Je tiens en conclusion à saluer le travail de M. le rapporteur Michel Forissier, toujours exigeant et sans concession sur un sujet qu’il connaît bien et depuis longtemps. Je veux souligner ici la qualité de son rapport. Je voudrais aussi remercier les membres de la commission des affaires sociales du Sénat d’avoir largement approuvé ce projet de loi, qui avait été adopté à l’unanimité par l’Assemblée nationale le 19 janvier dernier. Je me tiens naturellement à votre disposition pour répondre à toutes vos questions à l’occasion de ce débat. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain. Mme Hermeline Malherbe applaudit également.)

M. Yves Daudigny. Très bien !

Mme la présidente. La parole est à M. le rapporteur.

M. Michel Forissier, rapporteur de la commission des affaires sociales. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, monsieur le président de la commission des affaires sociales, mes chers collègues, le texte que nous examinons aujourd’hui devrait clore une longue période d’incertitude sur l’avenir de l’AFPA, principal opérateur de la formation professionnelle en France, qui accompagne les mutations de l’économie de notre pays depuis la Libération.

Le présent projet de loi ratifie l’ordonnance du 10 novembre 2016 qui a transformé l’AFPA, au 1er janvier dernier, en établissement public à caractère industriel et commercial. Cette ordonnance est conforme à l’habilitation que le législateur a conférée au Gouvernement à ce sujet dans la loi Rebsamen du 17 août 2015. Pour autant, cette nouvelle agence reste confrontée aux mêmes difficultés que celles qui avaient conduit l’association au bord de la faillite en 2012. Il est donc urgent de saisir l’opportunité offerte par ce changement statutaire pour réinventer un organisme de formation compétitif sans renier l’utilité sociale qui a fait sa force.

Au cours de mes travaux, j’ai eu l’occasion de rencontrer l’ensemble des acteurs clés de ce dossier. J’en ai acquis une conviction unanimement partagée : l’inaction aurait à court terme condamné l’AFPA. Au vu du déclin de son activité et de sa situation financière très dégradée, elle n’aurait bientôt plus été en mesure de faire face à ses obligations.

Depuis plus de dix ans, l’AFPA est en effet victime d’un double phénomène qui a bouleversé son modèle économique : d’une part, l’entrée dès 2008 des activités de formation dans un champ purement concurrentiel, d’autre part, la décentralisation aux régions des subventions de l’État qui finançaient des formations en faveur des demandeurs d’emploi. Malgré le délai dont elle bénéficiait, l’association n’a pas été en mesure de s’adapter à ce nouvel environnement juridique.

En conséquence, l’AFPA a connu un déclin marqué de son activité : entre 2007 et 2015, son chiffre d’affaires est passé d’un milliard d’euros à 710 millions d’euros, tandis que le nombre de stagiaires a chuté de 25 %. Cette baisse est encore plus prononcée s’agissant des seuls demandeurs d’emploi : elle est de l’ordre de 35 % sur cette même période. Quant à la part de marché de l’AFPA dans les commandes de formation des conseils régionaux, elle est passée de 42 % en 2010 à 25 % l’an dernier.

Le plan de refondation engagé en 2012 a eu des résultats mitigés et n’a pas permis de redresser la situation. S’il témoigne d’une réelle prise de conscience des difficultés structurelles de l’association, il ne les a pas résolues. Ainsi, les pertes de l’AFPA ont continué à se creuser, passant de 91 millions d’euros en 2012 à 152 millions d’euros en 2015.

Le caractère hybride de l’association, à la fois opérateur du service public et organisme de formation évoluant dans un marché concurrentiel, la desservait et son organisation était source d’inefficience. La transformation de l’AFPA en EPIC s’est alors imposée comme la seule solution envisageable compte tenu des contraintes juridiques pesant sur elle.

Respecter la réglementation communautaire en matière d’aides d’État et de services d’intérêt économique général, ou SIEG, tout en assurant le transfert à l’Agence des biens jusqu’à présent mis à la disposition de l’AFPA par l’État : tel était l’objectif de l’ordonnance du 10 novembre 2016. Force est de constater qu’elle offre de solides garanties en la matière. La ligne de crête était très étroite, mais le Gouvernement, dans le cadre d’un dialogue approfondi avec la Commission européenne et le Conseil d’État, a su trouver un équilibre satisfaisant entre des attentes parfois divergentes.

Les tutelles et la nouvelle direction de l’Agence devront rapidement définir des critères pour calculer les compensations qui lui sont attribuées pour l’exercice de ses missions de service public. Ces dernières ont d’ailleurs été étoffées, dans le prolongement de celles qui sont historiquement attribuées à l’AFPA. Il est essentiel que l’État ne se désengage pas financièrement de son nouvel opérateur : le risque serait qu’il ne puisse plus alors assumer l’intégralité de ses missions. À l’inverse, un niveau de subvention trop élevé pourrait être qualifié de surcompensation par la Commission européenne et contraindre l’Agence à rembourser le surplus en raison des distorsions de concurrence que cette dotation entraînerait.

C’est en effet au nom du droit européen de la concurrence que l’ordonnance met en place une organisation originale de l’activité de l’EPIC, avec l’obligation de créer des filiales consacrées à la formation des demandeurs d’emploi et des salariés. Il a en effet été estimé que seule la filialisation permettrait d’éviter que ces activités concurrentielles bénéficient en partie de la subvention pour charge de service public que l’État versera à l’EPIC.

Plusieurs conditions doivent maintenant être remplies pour assurer la pérennité de ces filiales. Un dialogue social fructueux et serein doit être mené à son terme pour rassurer les salariés sur cette nouvelle architecture.

Un choix semble avoir d’ores et déjà été fait : seuls les personnels commerciaux seront employés par les filiales, tandis que les formateurs resteront employés par l’EPIC. Il sera donc essentiel de définir une méthodologie de calcul incontestable des coûts que l’Agence devra facturer aux filiales pour la mise à disposition des formateurs et des locaux, faute de quoi la concurrence sur le marché de la formation sera faussée au détriment des organismes privés.

Il faudra également que les filiales définissent une nouvelle offre pédagogique, adaptée aux demandes des prescripteurs, qu’il s’agisse de la région, de Pôle emploi ou des entreprises, et aux besoins des stagiaires. Elles devront résolument privilégier les outils numériques, accentuer la modularisation de leurs formations sans négliger les attentes des TPE-PME, trop rarement prises en compte aujourd’hui. Elles devront enfin adopter un pilotage de leur activité par le résultat et non par le chiffre d’affaires, comme c’était encore trop souvent le cas à l’AFPA, ce qui a pu parfois conduire dans le passé à des pratiques commerciales très contestables.

Enfin, l’ordonnance règle l’imbroglio juridique relatif au patrimoine immobilier utilisé par l’AFPA qui empêchait l’assainissement de sa situation financière et obérait son développement depuis 2009, car la très grande majorité des sites de l’AFPA étaient mis à sa disposition par l’État, dans des conditions financières très avantageuses.

Le Gouvernement a tout d’abord cherché, dans la loi du 24 novembre 2009, à lui transférer à titre gratuit et sans contrepartie l’intégralité de ce patrimoine. Cette disposition a été censurée l’année suivante par le Conseil constitutionnel en raison de l’absence de garanties quant au maintien de l’affectation des biens concernés à des missions de service public. La loi du 5 mars 2014 permettait quant à elle aux régions volontaires de devenir propriétaires des sites mis à la disposition de l’AFPA, sans que cette mesure rencontre néanmoins un franc succès, une seule région ayant fait ce choix.

Dès lors, parmi les nombreux scénarios alternatifs élaborés, la création d’un EPIC est apparue comme la solution la plus adaptée pour tenir compte des contraintes constitutionnelles mises en lumière en 2010. De fait, le transfert des biens de l’État à une personne publique n’est pas soumis aux mêmes contraintes juridiques qu’un tel transfert à une personne privée.

Ce patrimoine a toutefois été trop longtemps délaissé et mal entretenu, le propriétaire et l’occupant se renvoyant les responsabilités à ce sujet. Il convient maintenant d’évaluer précisément les besoins de rénovation et de mise aux normes et de planifier les travaux en fonction de l’activité économique de l’EPIC, ce qui n’entraînera pas des dépenses d’un montant aussi élevé que celui qui a été parfois évoqué et qui a été établi selon une méthodologie contestable. Surtout, il est maintenant impératif d’opérer la rationalisation des implantations immobilières de l’Agence, afin que celles-ci correspondent aux besoins de formation dans les territoires.

L’ordonnance met également en place un mécanisme qui m’est apparu très intéressant : la mutualisation des plateaux techniques de l’EPIC au profit des acteurs du service public régional de la formation professionnelle. C’est un premier pas dans une démarche qui devra être poursuivie à l’avenir, afin de mettre un terme à la sous-utilisation chronique des outils de formation financés par l’argent public.

En revanche, l’ordonnance ne règle ni la question de la dette sociale et fiscale de l’AFPA ni celle du contentieux qui l’opposait à France Domaine. Les 80 millions d’euros dus aux URSSAF et au fisc, ainsi que les 140 millions d’euros réclamés au titre de l’occupation sans titre du domaine public depuis 2010 hypothèquent ses capacités de développement et seront autant d’épées de Damoclès à l’avenir.

En conclusion, comme je l’ai souligné devant la commission, le changement de statut de l’AFPA constitue une condition nécessaire, mais non suffisante pour assurer la pérennité de l’activité de formation de l’Agence. (Mme Hermeline Malherbe acquiesce.)

M. Jean Desessard. Nous sommes d’accord !

M. Michel Forissier, rapporteur. La direction doit en effet mettre en place très rapidement une stratégie de développement ambitieuse.

Nous faisons confiance aux autorités de tutelle, à la direction et aux salariés de l’établissement public pour écrire un nouveau chapitre de l’histoire de l’AFPA. Ils ont désormais en main tous les éléments pour bâtir un outil de formation résolument tourné vers le service public et capable, à travers ses filiales, de se montrer compétitif sur le marché concurrentiel de la formation.

Pour toutes ces raisons, la commission des affaires sociales vous demande d’adopter ce projet de loi sans aucune modification. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, de l’UDI-UC, du groupe socialiste et républicain, du groupe écologiste et du RDSE.)

Mme Nicole Bricq. Très bien !

M. Yves Daudigny. Très bon rapport !

Mme la présidente. La parole est à M. Dominique Watrin.

M. Dominique Watrin. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, nous devons aujourd’hui nous prononcer sur la ratification de l’ordonnance prise le 10 novembre dernier, qui a pour objet de refonder l’AFPA. Il est difficile en réalité d’exprimer dans les sept minutes qui me sont imparties tout ce que nous voudrions dire sur la formation professionnelle, sujet particulièrement complexe et évolutif.

Dans ce cadre, je souhaite rappeler que le groupe CRC s’était abstenu sur l’article 39 de la loi Rebsamen, qui prévoyait l’habilitation du Gouvernement à prendre cette ordonnance. Nous confirmerons ce vote à l’issue de l’examen de ce projet de loi de ratification.

Avant tout, je rappelle que l’AFPA est une institution historique issue de la Libération, dont l’ambition initiale – permettre à chaque salarié, à chaque demandeur d’emploi d’accéder à une qualification diplômante partout sur le territoire national – demeure d’actualité. Ses formations de qualité, les services spécifiques qu’elle peut mobiliser au profit des publics éloignés de l’emploi, son haut niveau d’expertise et sa capacité de projection dans l’avenir devraient être reconnus et défendus par tous.

Quand nous réclamons la mise en place d’une sécurité d’emploi et de formation, ce n’est pas autre chose que nous demandons : permettre aux salariés d’évoluer, de se former, de monter en qualification ou de se réorienter professionnellement. Les transformations de cette institution nous intéressent donc au premier chef, parce que, derrière l’organisation choisie – la marchandisation ou non du secteur –, c’est tout un modèle de société qui se dessine. La formation professionnelle interroge notre rapport au travail et notre modèle social ; d’ailleurs, les tensions, notamment financières, qui traversent l’AFPA, ne sont pas étrangères à ces évolutions.

Avant toute chose, nous tenons à remercier le rapporteur, Michel Forissier, qui a mené un travail d’audition approfondi de tous les acteurs du secteur, notamment des syndicats, et clarifié plusieurs points juridiques complexes.

Sur le fond, nous saluons les quelques avancées permises par cette ordonnance, ce qui contraste avec l’attentisme de la majorité précédente qui a failli couler l’AFPA. La crise structurelle que traverse l’AFPA ne date pas d’hier et 2012 aurait pu être la dernière année d’activité de la structure, il est bon de le rappeler !

Parmi ces avancées, on trouve la dévolution du patrimoine immobilier à l’AFPA, qui est désormais sécurisée juridiquement, même si de sérieuses interrogations subsistent sur les capacités financières du nouvel EPIC à en assumer l’entretien et la mise à niveau. Des aides financières ponctuelles ont permis de maintenir à flot la structure et d’éviter ainsi sa liquidation.

Toutefois, la pérennité de l’AFPA est encore loin d’être assurée !

Son modèle économique a été bousculé par deux facteurs rappelés par le rapporteur : la décentralisation de la commande publique de formation aux régions, l’ouverture à la concurrence du champ de la formation sur le « marché » de la formation. Sur ce point, mes chers collègues, nous n’oublions pas les critiques initiales de la droite, qui souhaitait en réalité libéraliser plus encore la formation professionnelle, accentuer davantage la régionalisation et la filialisation.

Le projet de loi et l’ordonnance qui a été prise cet automne s’efforcent de refonder le modèle économique de l’AFPA, mais la volonté de défendre l’outil historique reste pour nous trop timide. Le Gouvernement a ainsi dû reculer face aux demandes de Bruxelles qui voyait d’un mauvais œil les « distorsions de concurrence » qu’allait créer ce nouveau service public sur le « marché » de la formation.

Résultat, on nous propose aujourd’hui une structure bipolaire avec, d’un côté, des missions de service public et, de l’autre, des filiales soumises à la « concurrence libre et non faussée », étant entendu que l’EPIC n’aurait aucune activité propre de formation. D’ailleurs, les dotations prévues dans le projet de loi de finances pour 2017 ne prévoient de financer les missions de service public qu’à hauteur de 110 millions d’euros sur un budget de 750 millions d’euros.

Plus important encore, la frontière entre activités de formation publique ou privée est renvoyée à une interprétation très aléatoire de la notion de « publics éloignés de l’emploi ». Le projet de loi consacre une interprétation très restrictive de cette notion, les chômeurs de longue durée continuant à relever du marché concurrentiel, alors que leurs besoins ne sont pas fondamentalement différents de ceux des publics très éloignés de l’emploi. Ce périmètre trop étroit risque de compromettre le devenir de l’AFPA. Au final, ce seront donc les régions qui, en passant commande des formations, définiront le type de contractualisation, ce qui n’est pas pour nous rassurer !

En somme, le Conseil de la concurrence et le Conseil d’État ont imposé une interprétation libérale de la directive Services que le groupe CRC ne peut approuver, quand nombre de questions n’ont pas été réglées.

En réalité, le Gouvernement et l’État ne sont pas allés au bout de la transformation consacrée par la loi du 17 août 2015. L’appartenance reconnue au service public de l’emploi, aux côtés de Pôle emploi, et le nouveau statut d’EPIC auraient dû justifier la légalisation d’un autre mode de contractualisation entre l’AFPA et les régions ou Pôle emploi, plutôt que l’espèce de mise en concurrence abrupte qui a été retenue.

À l’inverse, alors même que le plan « 500 000 formations supplémentaires », a été lancé, l’AFPA n’a bénéficié que de 18 000 entrées de stagiaires en plus en 2016, essentiellement grâce à Pôle emploi d’ailleurs, puisque les régions n’ont augmenté leurs commandes de formation que de mille places. Il est à noter que, sans ce plan, le solde net des formations financées par les régions aurait été négatif.

De même, les problèmes financiers ne sont pas réglés. Quid de la dette fiscale, sociale, des arriérés de loyers réclamés par France Domaine ? Comment l’AFPA pourra-t-elle moderniser et remettre aux normes les bâtiments que l’État lui transmet en l’état ?

Ces problèmes ne sont pas résolus par cette ordonnance et pèseront sur l’avenir de la structure. Depuis deux ans, les suppressions de postes pour cause d’économies s’accélèrent, d’autres sont encore annoncées pour les années à venir. Dans ces conditions, la pérennité de la structure elle-même n’est pas complètement assurée. Voilà la vraie question !

Je sais que certains nous reprocheront d’être attachés à un modèle dépassé, mais, s’il s’agit de faire prévaloir le droit à la formation de qualité sur le droit à la concurrence, synonyme trop souvent de formations au rabais, mais combien fructueuses pour certains organismes privés, nous assumons.

Nous divergeons fortement avec vous sur un point, monsieur le rapporteur. Vous avez affirmé en commission que cette ordonnance était une étape nécessaire, mais que le résultat dépendrait de la gestion de la structure ! Notre position est autre : nous pensons qu’il s’agit d’abord de savoir si la structure mise en place par cette ordonnance est gérable ou non ! N’ayant pas obtenu de réponses suffisantes, nous ne voterons pas ce texte. Notre abstention sera un encouragement pour le Gouvernement à consulter les représentants du personnel qui ont voté de manière constante contre cette restructuration et continuent à poser des questions vitales restées malheureusement sans réponses.

Mme la présidente. La parole est à Mme Hermeline Malherbe.

Mme Hermeline Malherbe. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, nous sommes réunis pour nous prononcer sur l’article unique du projet de loi qui ratifie l’ordonnance du 10 novembre 2016 portant création au sein du service public de l’emploi de l’établissement public chargé de la formation professionnelle des adultes, ordonnance prise sur le fondement de l’article 39 de la loi du 17 août 2015 relative au dialogue social et à l’emploi, dite loi Rebsamen. Il s’agit donc de la transformation de l’association AFPA en agence dotée du statut d’EPIC.

Depuis sa création au lendemain de la Libération, l’Association nationale pour la formation professionnelle des adultes a connu une longue et riche histoire, bien que parfois tumultueuse. Cette histoire, mes chers collègues, a bien failli s’achever au début des années 2010 pour différentes raisons.

Certains évoquent la décentralisation de 2004, qui confie de façon exclusive aux régions les compétences en matière de formation professionnelle, plus particulièrement le transfert des financements des formations assurées par l’AFPA, devenu effectif en 2009. Cette décentralisation aurait à la fois pu être mieux accompagnée par le gouvernement de l’époque et mieux anticipée par l’AFPA.

D’autres évoquent la décision du Conseil de la concurrence de 2008 qui positionne l’AFPA, comme tout opérateur de la formation professionnelle, dans le champ concurrentiel.

Depuis, l’AFPA a perdu de nombreuses parts de marché, dégradant ses fondamentaux budgétaires et financiers.

Ainsi, en laissant filer la situation, en laissant grossir les déficits, on peut se poser légitimement la question de la réelle volonté du gouvernement de l’époque de conserver l’AFPA.

Mme Hermeline Malherbe. Face à cette situation insoutenable, il existait aussi – et c’est heureux ! – une autre voie. Il a donc fallu un acte politique fort de la part du nouveau gouvernement en 2012, d’abord pour inverser la spirale négative, ensuite pour créer les conditions d’une nouvelle ambition pour l’AFPA. Ce premier pas fut déterminant.

Aujourd’hui, avec la ratification de cette ordonnance, nous concrétisons ce processus de refondation de l’AFPA, il est vrai au prix de certains sacrifices, qui permettent toutefois de conserver une expertise reconnue au service de la formation, de la qualification et de l’emploi.

L’AFPA devient ainsi un établissement public de l’État à caractère industriel et commercial prenant le nom d’Agence pour la formation professionnelle des adultes – le sigle est maintenu.

Nous pouvons tous souscrire au constat de M. le rapporteur : « La complexité de la tâche avait sans doute été sous-estimée et l’élaboration de ce texte a buté sur des questions juridiques d’une grande complexité, au regard notamment du droit communautaire de la concurrence. Elles ont été résolues de manière satisfaisante. »

En effet, les missions traditionnelles de l’AFPA sont conservées : la qualification des personnes éloignées de l’emploi, l’élaboration des titres professionnels – les certificats de formation professionnelle –, l’égal accès à la formation professionnelle pour les femmes et les hommes sur l’ensemble du territoire. Pour ce faire, l’Agence crée deux filiales visant à assurer la formation, d’une part, des demandeurs d’emploi, d’autre part, des salariés, pour respecter le cadre réglementaire.

Concernant les nouvelles missions, l’AFPA doit analyser les besoins en compétences des bassins d’emploi, travailler à l’émergence de titres professionnels correspondant aux nouveaux métiers et assurer un appui aux opérateurs de conseil en évolution professionnelle. De manière plus spécifique, elle doit déployer des formations en développement durable et en transition énergétique.

La gouvernance de l’Agence est améliorée en faisant de l’État et des régions les principaux acteurs du conseil d’administration, avec les partenaires sociaux, les représentants des salariés et les personnalités qualifiées. L’ordonnance clarifie enfin les questions patrimoniales liées aux transferts des propriétés, même si, nous le savons, tout n’est pas réglé.

Ainsi, le groupe du RDSE votera très majoritairement ce texte. Reste que ce premier pas, aussi fondamental soit-il, n’est pas suffisant.

Ce qui doit nous animer maintenant, c’est l’élaboration d’une stratégie de développement qui prenne en compte le contrat d’objectifs et de performance conclu avec l’AFPA. Cela nous permettra d’aborder plus globalement la formation professionnelle dans son ensemble, qui doit s’organiser au plus près des bassins d’emploi et des entreprises, pour adapter l’offre de formation à la demande locale.

La formation doit d’abord bénéficier à celles et ceux qui en ont le plus besoin, et surtout au moment où ils en ont besoin. La formation professionnelle doit aussi trouver des solutions innovantes, spécifiques pour tous ces publics. Enfin, elle doit mieux intégrer les TPE-PME ainsi que les métiers émergents.

Je vois dans tout cela un puissant levier de développement piloté dans les territoires par les régions avec l’ensemble des acteurs de la formation, de l’insertion et de l’emploi. Restons confiants en l’avenir. Regardons les chiffres encourageants du second semestre 2016. L’activation du plan « 500 000 formations supplémentaires » décidé par le Gouvernement en 2016 et prolongé en 2017 porte ses fruits. C’est fondamental lorsque l’on sait que deux tiers des stagiaires retrouvent un emploi dans les six mois qui suivent leur formation.

Pour conclure, je rappelle que la mise en œuvre du compte personnel de formation, issue de la loi Travail, devrait permettre une meilleure efficience de la formation professionnelle dans les prochaines années, pour les demandeurs d’emploi comme pour les salariés, mais aussi pour tous les professionnels indépendants. Toutes ces mesures contribuent au développement de l’emploi, donc à notre développement économique. (Applaudissements sur les travées du RDSE, du groupe écologiste et du groupe socialiste et républicain.)

Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Marc Gabouty.

M. Jean-Marc Gabouty. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, je tiens à saluer le rapport très documenté qui nous a été présenté par Michel Forissier, même si, sur cette ordonnance, mon appréciation est plus sévère que la sienne. Je fais également remarquer que le Gouvernement nous demande de ratifier une ordonnance avec effet rétroactif au 1er janvier 2017. Certes, c’est monnaie courante, mais ce n’est pas forcément de bonne pratique.

Trouvant leurs origines dans les années 1930, diverses structures de formation professionnelle sont mises en place en 1946 pour répondre au défi de la reconstruction, principalement dans le secteur productif – industrie, BTP, en particulier. Prenant le relais de celles-ci, c’est en 1966 que naîtra l’Association pour la formation professionnelle des adultes. Présente sur l’ensemble du territoire, l’AFPA concentra son activité sur l’accès à la qualification des demandeurs d’emploi, puis sur la reconversion des personnes privées d’emploi.

Cet opérateur parapublic était un outil de l’État dans le pilotage des politiques de formation professionnelle et de l’emploi. Ces missions étaient très largement couvertes et leur financement était principalement assuré par une subvention de l’État qui a pu atteindre 1,2 milliard d’euros en 1998.

Deux événements sont venus progressivement affecter cette organisation : d’une part, la décentralisation de la formation professionnelle à l’échelle des régions en termes de commandes, d’autre part, l’ouverture du secteur de la formation professionnelle à la concurrence en application de la directive Services.

Après quelques années de graves difficultés et quelques tentatives d’évolution, il s’est révélé indispensable d’engager un processus de refondation dont la transformation de l’association en EPIC peut être considérée comme une première démarche de mise en conformité.

Ce changement de statut et la nette séparation entre les activités relevant de la mission de service public et celles de formation entrant dans le champ concurrentiel constituent une première étape essentielle de cette transformation.

Cependant, si l’ordonnance permet de valider un nouveau cadre mieux adapté aux contraintes de l’époque, elle n’aborde pas les réformes nécessaires à la pérennisation de l’AFPA dans ses activités concurrentielles. Le changement de statut n’entraîne pas automatiquement une amélioration de la gestion.

En effet, de nombreuses incertitudes demeurent sur l’organisation de l’EPIC et sur son aptitude à dégager des résultats équilibrés en termes d’exploitation. Les deux filiales créées à la fin de 2016, sans fonds propres, sous forme de sociétés par actions simplifiées, pourront-elles supporter les charges propres à l’activité, ainsi que celles qui sont liées à un parc immobilier vétuste nécessitant d’importants investissements de rénovation et de maintenance ?

Je m’étonne également que, avant la mise en place de ces nouvelles structures au 1er janvier 2017, le sort des dettes fiscales et sociales, lesquelles s’élèveraient à 80 millions d’euros, n’ait été réglé que par un moratoire laissant planer des incertitudes sur leur avenir. La solution définitive sera-t-elle un effacement ou un échelonnement de la dette ?

Comment peut-on imaginer que l’AFPA, qui repose sur un modèle d’organisation à bout de souffle, cause de déficit, qui est handicapée par des charges d’arriérés, par un parc immobilier vétuste et par des charges de structure trop lourdes, comme le reconnaît la Cour des comptes, puisse connaître un redressement spectaculaire à même de garantir à lui seul la pérennité de cet outil qui capte encore environ 5 % du marché de la formation professionnelle ?

Son organisation territoriale, qui a longtemps été sa force, peut être aujourd’hui un handicap si un effort d’autonomisation des structures régionales n’est pas effectué. Le maintien d’une organisation déconcentrée en termes d’activités, mais centralisée en termes de moyens, de ressources et de pouvoir de décision, ne favorise pas la responsabilisation, la réactivité ni l’adaptation rapide aux besoins de marchés qui sont souvent devenus régionaux.

M. Jean-Baptiste Lemoyne. C’est le problème français en général !

M. Jean-Marc Gabouty. L’emploi du terme « marché » peut paraître choquant pour un outil parapublic, mais il correspond aujourd’hui à une réalité puisque, par exemple, les régions sont tenues de procéder par appels d’offres pour choisir leurs prestataires. L’AFPA est-elle aujourd’hui en mesure d’affronter la concurrence du secteur privé ? La question reste posée et c’est l’avenir qui nous donnera la réponse.

D’autres scénarios auraient pu être imaginés, plus décentralisés, permettant d’éviter la privatisation complète. On aurait ainsi pu choisir de créer un EPIC par région ou un EPIC central et une filiale par région.

Reconnaissant le caractère indispensable de la transformation de l’association en EPIC, mais mesurant la très grande fragilité de cette évolution en raison des incertitudes et des inquiétudes évoquées précédemment, le groupe de l’UDI-UC ne s’opposera pas à la ratification de cette ordonnance. (Applaudissements sur les travées de l’UDI-UC.)

Mme la présidente. La parole est à M. Jean Desessard.

M. Jean Desessard. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, le Gouvernement nous demande aujourd’hui de ratifier l’ordonnance portant création au sein du service public de l’emploi de l’établissement public chargé de la formation professionnelle des adultes.

Comme cela a été rappelé, le Gouvernement avait été habilité à prendre cette ordonnance par la loi Rebsamen du 17 août 2015. Comme notre rapporteur, je fais le constat que le Gouvernement a respecté l’objet et les délais fixés par l’habilitation.

Il s’agissait de transformer l’AFPA en EPIC tout en précisant ses missions, de définir les conditions de dévolution d’actifs immobiliers de l’État à l’EPIC et de préciser les conditions du transfert des biens, droits et obligations de l’association à cet établissement.

Ainsi, l’association a été dissoute le 22 décembre dernier et l’EPIC a vu le jour le 1er janvier 2017. Cet établissement se nomme désormais Agence pour la formation professionnelle des adultes, ce qui a permis de préserver le sigle AFPA. Sa mission de service public a été précisée et deux filiales ont été créées pour accueillir les activités de formation professionnelle des demandeurs d’emploi soumises au droit européen de la concurrence. Par ailleurs, 116 sites d’une valeur estimée à 410 millions d’euros ont été transférés gratuitement à l’EPIC.

Le Gouvernement nous dit avoir tout mis en œuvre, tant financièrement que juridiquement, pour sauvegarder et renforcer l’AFPA. Nous saluons cet effort et nous reconnaissons qu’une réforme s’imposait.

Depuis que le Conseil de la concurrence, dans une décision de 2008, a estimé que l’organisation de l’AFPA ne respectait pas les règles communautaires applicables en la matière, la situation de l’association n’avait cessé de se dégrader, jusqu’à frôler la cessation de paiement en 2012. Les efforts du Gouvernement ont permis, pour l’instant, de sauvegarder un opérateur public de formation professionnelle.

Néanmoins, si cette réforme a préservé l’AFPA d’une mort annoncée, elle est loin de permettre à la nouvelle agence de relever tous les défis qui se présentent à elle.

Tout d’abord, le patrimoine alloué à l’Agence nécessite d’importants travaux de désamiantage, de rénovation thermique et de mise aux normes en matière d’accessibilité aux personnes handicapées. Si le Gouvernement conteste le chiffre de 1,2 milliard d’euros avancé par la direction de l’AFPA et par les syndicats, il ne fait aucun doute que les travaux devant être engagés coûteront des dizaines, voire des centaines de millions d’euros. Et je ne parle pas du contentieux locatif, pour lequel France Domaine réclame 130 millions d’euros à l’AFPA.

Ensuite, la réforme ne permet en rien de résorber le déficit budgétaire structurel de l’association, dont le chiffre d’affaires ne fait que décroître, ce qui entraîne la suppression de personnels et donc un déficit d’activité, lequel fait baisser le chiffre d’affaires, sans que l’on voie comment enrayer ce cercle vicieux.

Enfin, les règles européennes en matière de concurrence et l’ambiguïté de la définition du service public de l’emploi dans le texte même de l’ordonnance interdisent à l’État de financer l’Agence au-delà des 110 millions d’euros qu’il lui verse annuellement, ce montant étant sans doute appelé à diminuer.

Au passage, le groupe écologiste regrette profondément que les actions de formation en matière de développement durable et de transition énergétique ne soient pas considérées comme relevant d’une mission de service public et qu’elles ne fassent donc pas l’objet d’une dotation de l’État. Cela nous semble contradictoire avec l’article 2 de la loi relative à la transition énergétique pour la croissance verte.

Face à ce triple constat, le doute s’installe. Comment, dans ces conditions, préserver le service public de la formation professionnelle ?

Pour aider le futur gouvernement à faire face à ce défi, nous vous proposons quelques pistes.

Il faut lancer sans attendre l’appel d’offres national sur les formations rares et émergentes rendu possible par la loi Sapin II, harmoniser les appels d’offres de formation professionnelle d’une région à l’autre afin de diminuer le volume de tâches administratives de l’Agence et de ses concurrents du secteur privé, envisager d’accorder à l’AFPA une délégation de service public pour pérenniser un certain nombre d’activités, sans entraver le droit à la concurrence.

Il reviendra également à l’Agence de rationaliser son nouveau patrimoine immobilier, de renforcer ses relations avec les régions, via les CREFOP, les comités régionaux de l’emploi, de la formation et de l’orientation professionnelle, de réintégrer en son sein des activités formatrices plus rémunératrices, lesquelles sont aujourd’hui souvent entièrement dévolues au secteur privé.

Telles sont les quelques pistes que nous vous soumettons, madame la secrétaire d’État. Le défi est immense. Si je reconnais que le Gouvernement, dans cette ordonnance, respecte la mission fixée dans le cadre de l’habilitation, je suis loin de penser que le montage envisagé permettra de garantir de façon pérenne un service public de formation professionnelle de qualité. Comme d’autres l’ont dit, cette réforme était nécessaire, mais sera-t-elle suffisante ? (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain, du RDSE, ainsi que sur celles de l’UDI-UC.)

Mme la présidente. La parole est à Mme Nicole Bricq.

Mme Nicole Bricq. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, je tiens à saluer, comme d’autres avant moi, notre rapporteur, qui a rappelé l’histoire tourmentée de l’AFPA, notamment ces dix dernières années. Tout le monde a évoqué le double choc qu’elle a subi. Pour ma part, sans chercher à polémiquer, j’en ajouterai un troisième : dans le même temps où l’AFPA vivait ce double choc, les dotations de l’État sont passées de 575 millions d’euros en 2007 à 74 millions d’euros en 2011. On peut donc parler d’un triple choc, lequel a conduit cet organisme quasiment à la cessation de paiement en 2011.

Monsieur Forissier, vous avez très bien situé, comme les orateurs qui m’ont précédée du reste, les enjeux de cette ordonnance. Il s’agit ni plus ni moins pour l’AFPA de trouver sa place d’opérateur public dans le grand chantier de la « refondation » de la formation professionnelle, terme employé par notre collègue Dominique Watrin en commission, refondation à laquelle il faudra bien procéder au cours du prochain quinquennat, quelle que soit la majorité au pouvoir. J’y reviendrai.

Au cours des dix dernières années, l’AFPA a subi le choc de la décentralisation vers les régions et celui de la mise en concurrence, sans être accompagnée d’un puissant projet stratégique. Son modèle économique s’en est trouvé déstabilisé, et sa mission historique, qui était de s’occuper des personnes les plus éloignées de l’emploi, en a été bousculée. Ses financements sont devenus aléatoires, dépendants des appels à projets des régions, lesquels se substituaient aux dotations de l’État, plus lisibles et prévisibles. De plus, les commandes publiques se trouvaient soumises à la concurrence du fait d’une lecture stricte de la directive Services. C’est aussi cela le sujet !

Qui plus est, de manière seconde, mais non secondaire, cela a déjà été dit, une incertitude planait sur le patrimoine immobilier de l’AFPA après la censure du Conseil constitutionnel. Enfin, pour ne rien arranger – et j’arrêterai là ce sombre tableau –, le transfert des personnels chargés de l’orientation des demandeurs d’emploi à Pôle emploi, consécutif à la loi de 2009 défendue par Mme Morano, a affaibli l’AFPA sans que Pôle emploi en soit significativement renforcé.

Dès le début de ce quinquennat, l’apport de fonds propres à hauteur de 220 millions d’euros et la mise en place d’une nouvelle direction ont apporté un bol d’air à l’AFPA, mais il fallait lui donner une nouvelle assise juridique, clarifier ses missions, lesquelles doivent être en phase avec les mutations en cours dans notre économie. Tel est l’objet de l’ordonnance.

L’urgence est double : elle est à la fois conjoncturelle et structurelle.

D’un point de vue conjoncturel, l’AFPA doit en effet jouer tout son rôle dans le plan de formation de 500 000 chômeurs lancé en 2016. À ce jour, on recense 1,1 million d’actions de formation, dont 300 000 pour les publics prioritaires. Ce plan a permis une très nette accélération de l’activité de l’AFPA à partir du mois de septembre 2016 : en novembre de cette même année, l’Agence a ainsi enregistré une augmentation de 58 % du nombre de ses stagiaires demandeurs d’emploi.

D’un point de vue structurel, dans la mutation profonde que connaît la société du travail, nous devons disposer d’outils de formation adaptés à la révolution numérique, à l’écrasement des chaînes hiérarchiques dans la production industrielle comme dans les services, à la montée du travail en dehors des murs de l’entreprise, à la mobilité des travailleurs quel que soit leur statut – salarié, indépendant, parfois les deux à la fois –, au développement des plateformes de services, à la robotisation, à la disparition de certains emplois et à l’apparition d’autres, plus qualifiés ou répondant à des besoins non encore quantifiés, situés dans des secteurs exposés ou non à la concurrence.

Bref, cette révolution ne cesse d’inquiéter, tout un chacun se sentant menacé. Il faut entendre cette inquiétude, ce qui ne me semble pas être le cas à ce stade de la campagne pour l’élection présidentielle. Il faut y apporter des réponses et engager un effort exceptionnel en matière de formation, celle-ci devant être ouverte à tous et être valable tout au long de la vie. Pour cela, nous devons disposer d’outils prospectifs, réactifs et efficaces.

C’est dans ce paysage mouvementé que s’inscrit la réforme du statut de l’AFPA. L’ordonnance clarifie la situation juridique, les missions et la gouvernance de l’Agence. Elle règle le transfert du parc immobilier. Cela suffira-t-il à répondre à une situation critique ? Bien sûr que non. L’AFPA devra augmenter son activité, optimiser son patrimoine et adapter ses compétences. Elle aura pour cela besoin de l’appui vigilant de l’État.

L’avenir de l’AFPA est également conditionné à celui de la formation professionnelle. Les choix qui seront faits lors du printemps électoral seront déterminants. La formation devra être une priorité forte, principielle, du prochain quinquennat. Des jalons ont été posés au cours du quinquennat qui s’achève. Nous ne voudrions pas – je représente le groupe socialiste et républicain – les voir remis en cause. J’en citerai deux.

La loi du 5 mars 2014 relative à la formation professionnelle, à l’emploi et à la démocratie sociale a mis en place le compte personnel de formation et permet à toute personne active, dès son entrée sur le marché du travail et jusqu’à sa retraite, d’acquérir des droits à la formation, mobilisables tout au long de la vie professionnelle. Aujourd’hui, 720 000 dossiers utilisant le compte personnel de formation ont été validés. Le nombre de comptes ouverts a augmenté de 53 % : 12,3 millions d’heures ont été mobilisées.

La loi relative au travail, à la modernisation du dialogue social et à la sécurisation des parcours professionnels a permis de doubler, à partir du 1er janvier 2017, les droits à la formation inscrits dans le compte personnel d’activité des personnes peu qualifiées et a institué un mécanisme d’abondement des droits à la formation pour les jeunes sans qualification. Ces efforts doivent s’intensifier, notamment en direction des publics prioritaires, au premier rang desquels figurent les chômeurs, car le système actuel, je le dis très clairement, n’est pas fait d’abord pour eux.

Les chiffres sont sans appel : en France – et c’est une piètre performance comparée à celle de pays voisins –, moins d’un chômeur sur cinq est en formation. Le plan « 500 000 formations supplémentaires » que j’ai évoqué était donc urgent. Son financement n’est prévu que jusqu’en juin. Pour ma part, je considère qu’il doit être pérennisé et qu’il faut consentir à un tel effort budgétaire.

J’évoquerai maintenant l’efficience des sommes consacrées à la formation professionnelle, lesquelles s’élèvent à plus de 30 milliards d’euros, ce qui n’est pas neutre.

M. Michel Canevet. On est d’accord !

Mme Nicole Bricq. Le sujet est peut-être connu, mais il n’a jamais été traité ! Je n’ignore pas que l’on touche là à des questions sensibles, notamment celle du paritarisme dans la gestion de la formation professionnelle – je le dis pour que ce soit bien clair pour tout le monde. Pour ma part, j’en appelle à une révolution dans ce secteur.

En mars 2011, Pierre Méhaignerie, alors président de la commission des affaires sociales de l’Assemblée nationale, a dressé un bilan mitigé du quinquennat Sarkozy-Fillon. Loin de moi l’idée de polémiquer sur ce sujet. (Exclamations amusées sur les travées du groupe Les Républicains.) L’enjeu nous dépasse les uns et les autres.

Pierre Méhaignerie, qui, à ma connaissance, n’est pas un révolutionnaire, s’exprimait ainsi sur la bonne utilisation des 30 milliards d’euros consacrés à la formation professionnelle : « Il y aurait beaucoup à faire pour rendre leur emploi efficace. » Il ajoutait : « La gouvernance n’est pas assurée, il y a plusieurs pilotes dans l’avion. » C’est un constat que vous pouvez peut-être partager, mes chers collègues.

Ce matin même, le Sénat a reçu le rapport annuel de la Cour des comptes. Nous avons écouté sagement le président de la Cour, M. Migaud. Je vous invite à lire le chapitre du rapport relatif au contrôle des sommes consacrées à la formation professionnelle. Un schéma illustre parfaitement l’ampleur de la tâche : 192 organismes collecteurs, 77 000 prestataires de formation. Comment voulez-vous que le système soit efficace ?

M. Jean Desessard. Il y a eu une réforme !

Mme Nicole Bricq. Oui, cher collègue, il y a eu une réforme, en 2014. La Cour des comptes en signale d’ailleurs les avancées tout en indiquant qu’elles ne sont pas suffisantes.

La refondation du système doit reposer sur trois principes directeurs : un accès universel à la formation avec accompagnement personnalisé, assorti pour le bénéficiaire d’une obligation d’assiduité vérifiable – à cet égard, lisez la synthèse du rapport de la Cour – ; un accès diversifié allant des formations courtes, permettant de maîtriser une technique indispensable, à des formations longues en vue d’une reconversion professionnelle ; un système transparent faisant l’objet d’évaluations et d’une publication des résultats en termes d’objectifs, comme le retour à l’emploi pour les chômeurs ou la progression en termes de salaire et de qualifications pour les salariés.

J’ai conscience que beaucoup reste à faire, mais nous commettrions une faute politique très lourde en ne procédant pas à une refondation de la formation professionnelle. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain et du RDSE.)

M. Yves Daudigny. Excellente réflexion !

Mme la présidente. La parole est à Mme Catherine Procaccia.

Mme Catherine Procaccia. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, ce projet de loi s’inscrit dans le prolongement de plusieurs réformes engagées par la majorité précédente, dans une logique de décentralisation et de rationalisation de la formation professionnelle.

Ainsi, en 2004, l’État transférait aux régions une compétence générale en matière de formation professionnelle, ce qui impacta le fonctionnement de l’AFPA, désormais soumise au droit de la concurrence et aux exigences des conseils régionaux, via des appels d’offres.

Ce nouveau cadre allait provoquer un enchaînement d’aménagements juridiques, dont j’ai pu constater la complexité.

S’est tout d’abord posée la question du partage des missions de l’AFPA. En 2008, j’étais rapporteur de la loi relative à la réforme de l’organisation du service public de l’emploi, qui a prévu la fusion de l’ANPE et de l’UNEDIC et conduit à la création de Pôle emploi. J’ai alors demandé un rapport au Gouvernement sur un éventuel transfert des activités d’orientation de l’AFPA à Pôle emploi, transfert que la loi relative à la formation professionnelle, à l’emploi et à la démocratie sociale allait finalement réaliser l’année suivante.

Il devenait en effet nécessaire de rationaliser les services et donc de regrouper au sein de Pôle emploi les fonctions d’orientation proposées aux demandeurs d’emploi afin de leur éviter le parcours du combattant que représente la dispersion des structures administratives. J’en profite pour rappeler que, à l’origine, Pôle emploi a été créé pour faciliter le parcours des chômeurs et des personnes à la recherche d’un emploi.

Le transfert des personnels d’orientation de l’AFPA répondait également à un impératif juridique, car le Conseil de la concurrence craignait une atteinte à la concurrence si l’AFPA orientait les demandeurs d’emploi vers ses propres centres de formation.

Une autre question d’ordre juridique allait se poser à l’AFPA et nous espérons tous, madame la secrétaire d’État, monsieur le rapporteur, lui apporter une solution définitive aujourd’hui : celle du transfert des biens immobiliers qu’elle occupe. Comme l’a expliqué notre rapporteur, l’État a en effet souhaité transférer à titre gratuit à l’AFPA les biens immobiliers qu’elle louait, soit 158 centres de formation, afin de la doter des moyens de son autonomie et de lui permettre de faire face à ses mutations.

Prévue dans la loi relative à la formation professionnelle, cette dévolution s’est heurtée à la censure du Conseil constitutionnel, qui a considéré qu’il s’agissait de biens publics protégés et que rien ne garantissait que ces biens demeurent affectés au service public.

Au regard du droit communautaire, l’opération risquait également d’apparaître comme une aide d’État.

En 2014, le Gouvernement a cherché à tenir compte de la décision du Conseil constitutionnel en mettant en place un mécanisme de transfert à titre gratuit aux régions, mais l’arrêté devant fixer la liste des immeubles concernés n’a jamais été publié. Quant aux régions, elles n’ont pas, semble-t-il, fait preuve d’un grand empressement pour récupérer ces biens.

Ces incertitudes ont eu des conséquences défavorables sur la gestion de l’AFPA, l’exposant notamment à devoir verser des arriérés de paiement sur ses redevances.

Il était donc plus que temps de proposer une solution satisfaisante au regard du droit constitutionnel et du droit communautaire.

J’ai aussi été rapporteur de la loi relative au dialogue social et à l’emploi, dite loi Rebsamen, qui comportait l’habilitation à légiférer par la présente ordonnance afin de transformer l’AFPA en un établissement public à caractère industriel et commercial doté d’une mission de service public. Des assurances nous avaient alors été données sur la solidité de ce dispositif, qui doit être, nous l’espérons, l’ultime épisode du feuilleton législatif que nous avons tous retracé.

Je tiens d’ailleurs à faire part des informations que j’ai pu recueillir lors de l’examen de ce projet de loi, car certaines prises de paroles en commission ont pu laisser penser que notre majorité, en mettant en place la décentralisation de la formation professionnelle et en soumettant l’AFPA à un régime concurrentiel, était à l’origine de ses difficultés financières, ou tout au moins qu’elle ne les avait pas anticipées. Je m’élève contre de telles affirmations. Tous les gouvernements ont tenté de sauver l’AFPA et de la mettre sur les bons rails.

Dans son enquête sur l’AFPA effectuée au premier semestre de l’année 2013, enquête demandée conjointement par la commission des affaires sociales et la commission des finances du Sénat, la Cour des comptes indique que l’AFPA a fait des choix de gestion et d’organisation inadaptés.

Ainsi, elle a relevé que la loi de 2004 « donnait la possibilité d’anticiper l’échéance prévue pour le 1er janvier 2009 pour le transfert progressif aux régions de l’organisation et du financement des stages de l’AFPA », mais que « le système de subvention prolongée conclu avec les régions n’avait pas été mis à profit pour engager une réforme progressive du financement des stages de l’AFPA avant sa confrontation à une mise en concurrence effective ».

Pour expliquer ces difficultés strictement internes à l’AFPA, la Cour a évoqué un problème de prise de décision, en particulier à partir de 2008, des « orientations non partagées par tous les membres de l’assemblée délibérante », du fait de la présence de concurrents de l’AFPA dans cette assemblée – notamment des organisations professionnelles finançant par ailleurs leurs propres systèmes de formation –, ainsi que « des conflits récurrents avec les représentants syndicaux sur les plans sociaux successifs, puis entre le président de l’association et le directeur général ».

Outre ces problèmes de gouvernance, l’AFPA a tardé à intégrer le rôle de la région dans la formation professionnelle, et son organisation territoriale n’a pas évolué, alors que la nouvelle logique de marché public reposait non sur une stratégie unique pour l’ensemble du territoire, mais sur des modalités propres à chaque région.

Une absence systématique d’analyse du marché l’a également empêchée de gérer ses problèmes de transition d’une structure subventionnée par l’État à un organisme essentiellement commercial.

La Cour des comptes a également souligné une diminution trop lente des effectifs, une politique de gestion des ressources humaines insuffisamment rigoureuse, un manque de mobilité des personnels, des problèmes de facturation, ainsi que la réduction tardive des charges de fonctionnement, contribuant à dégrader les comptes de l’AFPA.

Je tenais à rappeler ces faits qui, vous le constatez, ont peu à voir avec une supposée inaction de l’État.

Toujours est-il que l’AFPA dispose, selon moi, d’atouts importants, en particulier pour faciliter un retour durable des demandeurs d’emploi sur le marché du travail – ce qui est l’objectif principal –, grâce à son outil de formation et à son savoir-faire dans le domaine de l’accompagnement des stagiaires. Il ne faut pas oublier que la moitié des stagiaires demandeurs d’emploi ayant obtenu un titre professionnel sont en situation d’emploi six mois après la fin de leur formation.

Aujourd’hui, en rendant l’AFPA maître de ses principaux outils et en lui octroyant un statut plus conforme au cadre concurrentiel, nous espérons la replacer sur une trajectoire viable et préserver ses compétences et son savoir-faire.

Le groupe Les Républicains joindra donc ces voix à celle du rapporteur et à celles de la plupart des groupes en faveur d’une adoption conforme du présent texte, souhaitant sa mise en œuvre rapide. Pour ma part, j’espère que ce sera la dernière fois qu’une loi sera nécessaire pour régler les problèmes de l’AFPA. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – Mme Évelyne Yonnet et M. Jean-Claude Requier applaudissent également.)

Mme la présidente. La parole est à M. le rapporteur.

M. Michel Forissier, rapporteur. Je souhaite apporter quelques précisions sur ce projet de loi de ratification, même s’il fait consensus.

Au préalable, je remercie les différents orateurs de l’appréciation sympathique qu’ils ont portée sur le travail de la commission.

Quand le Gouvernement propose quelque chose, je ne m’y oppose pas nécessairement. Je m’interroge alors sur ce que j’aurais fait à sa place. Dans le cas présent, je vous le dis franchement, j’aurais fait la même chose tant le chemin, unique de surcroît, était étroit.

Monsieur Watrin, vous avez tenu des propos forts en évoquant le Conseil national de la Résistance. À l’époque, communistes et gaullistes marchaient main dans la main, avec l’ensemble du pays, dans le but de redresser la France. Aujourd’hui, il en va de même pour la formation professionnelle : il faut oser faire ce qui doit être fait, en laissant de côté tout dogmatisme et en s’en tenant à des considérations strictement pratiques. Sans doute, la solution proposée par l’ordonnance heurte, ou plutôt écorne, les fondamentaux idéologiques des uns et des autres, mais il faut parfois se faire violence si l’on veut résoudre un problème.

Nous ne demandons pas à l’AFPA, qui n’est qu’un outil parmi d’autres, de régler tous les problèmes liés à la formation professionnelle. Au contraire, dans les nouveaux métiers, notamment ceux qui sont liés à l’environnement, il faudra mettre en place des formations, créer des filières, des diplômes qui ne relèveront pas du secteur concurrentiel. Pour ce faire, une mise de fonds de l’État sera nécessaire. L’ordonnance qui nous est soumise pour ratification pourra être modifiée à cette fin et l’action de l’AFPA adaptée en fonction des besoins des régions. Je le rappelle, l’AFPA est un outil à compétence nationale – le seul qui couvre l’ensemble du territoire –, avec des déclinaisons régionales. C’est là son intérêt premier.

Par ailleurs, certains affirment qu’il est honteux de lui fixer des objectifs de performance. Je leur dis non : si le service public doit être crédible, alors il doit être performant !

À ce propos, permettez-moi de citer un exemple. Mes prédécesseurs à la mairie de Meyzieu voulaient privatiser la cuisine centrale. Lorsque j’ai pris mes fonctions, j’ai demandé aux personnels de prendre part à cette mise en concurrence, et il se trouve que c’est leur projet qui a gagné ! Aujourd’hui, ce service municipal représente une masse salariale très importante, mais, par comparaison avec les communes de même importance, son coût est inférieur de 30 %. La production en interne n’est pas nécessairement moins performante. Il faut se départir de ces clichés.

Très clairement, grâce à ce projet de loi, l’AFPA va pouvoir sortir la tête de l’eau. Nous avons auditionné sa nouvelle directrice générale, avec son prédécesseur, et il apparaît évident que continuer, en quelque sorte par nostalgie, avec le même outil serait tourner le dos à l’avenir. C’est la raison pour laquelle j’ai insisté sur le numérique, dans mon intervention. Ce nouvel outil nous ouvre la voie vers l’avenir et je suis persuadé – car je suis optimiste – qu’il fonctionnera bien. (Applaudissements.)

Mme la présidente. La parole est à Mme la secrétaire d’État.

Mme Clotilde Valter, secrétaire d’État. Mesdames, messieurs les sénateurs, je vous remercie de vos interventions, qui ont été d’une grande qualité. Les uns et les autres, vous avez soulevé des questions importantes et je souhaite vous apporter quelques précisions.

Monsieur le rapporteur, nous avons veillé à créer les conditions d’une transformation de l’AFPA en tant qu’outil ; il appartient désormais à l’ensemble des acteurs de réinventer quelque chose. À cet égard, j’ai beaucoup apprécié les termes que vous avez employés. Plusieurs d’entre vous l’ont souligné, tant l’environnement juridique de l’AFPA que son modèle économique ont subi de profondes transformations, au même titre que les métiers partout dans les territoires. Aussi, nous avons essayé de créer les conditions de cette adaptation et il appartient maintenant aux acteurs de réinventer les choses pour réussir.

Vous l’avez dit, une nouvelle directrice a été nommée lors du Conseil des ministres du 7 décembre. Le conseil d’administration de l’AFPA se réunira bientôt dans sa nouvelle composition quadripartite : représentants de l’État, des régions métropolitaines, des organisations syndicales de salariés et d’employeurs représentatives sur les plans national et interprofessionnel, ainsi que des personnalités qualifiées. Chacun aura à cœur de s’emparer de ces nouveaux enjeux pour réussir cette transformation et mener à bien ce beau projet.

Monsieur Watrin, à la fin de votre intervention, vous avez affirmé que les personnels n’auraient pas été consultés. Sans doute aura-t-on omis de vous indiquer que deux consultations ont été lancées successivement : la première, le 26 juin dernier, à la suite d’un conseil d’orientation devant lequel j’ai expliqué la nature du projet que nous voulions engager, consultation qui a pris fin le 26 octobre ; la seconde, le 18 novembre, pour une pleine information des salariés, après l’avis du Conseil d’État sur le projet d’ordonnance et la modification de celui-ci.

Certes, les salariés connaissent de l’intérieur – et donc mieux que nous, d’une certaine façon – les difficultés que rencontre l’AFPA pour s’adapter aux nouveaux enjeux, et leur inquiétude est donc légitime. Toujours est-il que nous les avons rencontrés, que nous avons rencontré les partenaires sociaux à l’échelle nationale, lesquels ont été fortement impliqués. Ayant accompagné la préparation du projet, ils sont, comme vous, attachés à l’AFPA et sont conscients de la nécessité de réussir sa transformation. Pour reprendre peu ou prou les termes employés par l’un des représentants syndicaux de l’AFPA, « cette transformation doit être vécue comme une chance, comme une opportunité, et il nous faut la réussir ».

Je le répète, les salariés ont été pleinement associés à la transformation de l’AFPA. Ils savent bien que, à défaut, les difficultés auraient été telles que la pérennité de celle-ci aurait été en jeu.

Madame Malherbe, vous avez expliqué que la transformation de l’AFPA était faite, mais qu’il fallait maintenant bâtir une stratégie de développement non seulement pour l’Agence, mais également pour ses sites. Vous avez insisté sur le fait qu’il fallait agir au plus près des bassins d’emploi, au plus près de ceux qui en ont le plus besoin, qu’il fallait apporter des solutions spécifiques et innovantes. Je ne peux qu’être d’accord avec vous et je ne doute pas que chacun ici partage votre point de vue. C’est un des aspects de cette transformation que le nouvel établissement public va devoir intégrer.

Monsieur Gabouty, vous avez insisté sur un point très important. Vous estimez que le transfert de compétences en matière de formation professionnelle aux régions aurait fortement impacté l’AFPA, tout en regrettant que nous ne nous soyons pas engagés dans la voie d’une plus grande décentralisation. M. le rapporteur vous a répondu sur ce point – et je partage totalement son opinion – : nous avons besoin d’un outil national pour traiter des enjeux et assurer des missions de service public au niveau national. Permettez-moi de vous dire que les treize régions que comptent notre pays ne sont pas, chacune, représentatives de l’ensemble du territoire national, et il importe donc, pour préparer l’avenir, de tenir compte des enjeux de cohésion territoriale et sociale, notamment. M. Desessard évoquait la question des formations rares ou innovantes : une région seule ne peut les assurer, d’où la nécessité d’une structure nationale.

Pour être très honnête, je dois vous dire que notre projet initial ménageait une place pour les régions dans ce nouveau dispositif. En 2016, nous avons conduit un important travail pour définir très précisément les missions de service public en matière de formation – telles que je les ai décrites tout à l’heure –, pour lesquelles l’État apportera une compensation financière de 110 millions d’euros pour 2017.

À cet égard, monsieur Desessard, si cela peut vous rassurer, sachez qu’il reviendra au Parlement, chaque année, de fixer le montant de cette compensation et que celle-ci n’a donc pas forcément vocation à diminuer. Elle a même vocation à augmenter, dans certaines conditions, si l’on élargit le champ des missions de service public – et je considère que c’est possible –, par exemple en prenant en compte les mutations économiques et celles des métiers, comme l’ont souligné Mme Bricq et Mme Procaccia.

Les régions, parce que c’est leur compétence, avaient vocation à définir les missions de service public relevant de l’échelon régional et qu’elles auraient pu confier à l’AFPA, en apportant les financements correspondants, conformément au droit européen. Or, à ma grande déception, elles ne l’ont pas fait et n’ont pas donné suite à notre proposition. Dont acte ! Le Gouvernement n’avait pas à décider à leur place.

Par ailleurs, la loi offrait la possibilité aux régions de reprendre certains sites dans le but de construire des projets stratégiques s’inscrivant dans les objectifs de développement économique de leur territoire, mais également pour répondre à la situation particulière des demandeurs d’emploi ou des salariés locaux. Or, je le regrette, en 2015, seule une région avait pris une délibération en ce sens – la région Basse-Normandie –, délibération sur laquelle est revenu le nouveau président. En 2016, seule une nouvelle région – la région Bourgogne-Franche-Comté – a saisi cette opportunité.

Il aurait donc été possible aux régions d’aller plus loin dans leur adhésion à cette transformation, d’y prendre leur part en y adjoignant des éléments propres à leur mission. Elles ne l’ont pas fait. Cela étant, il n’est jamais trop tard pour bien faire et on peut tout à fait imaginer qu’il en aille différemment à l’avenir.

Monsieur Desessard, je pense vous avoir rassuré sur les aspects financiers de cette réforme. Comme Mme Bricq et Mme Procaccia, vous avez parlé de la transformation des métiers. Ce qui relève de la mission de service public, c’est la réflexion sur les transformations des métiers et l’anticipation des nouveaux métiers. L’incubateur des formations aux métiers émergents devra mener un travail d’analyse et de prospective pour définir ce que seront ces nouveaux métiers, en fixer le cahier des charges. Ensuite, les formations relèveront du droit commun de la concurrence.

En tout état de cause, les actions de formation dans le domaine de la transition énergétique ou de la transformation numérique, que vous avez évoquées, relèveront d’une mission de service public. À cet égard, vous avez rappelé que la loi Sapin II rend possible le lancement d’un appel d’offres national sur les formations rares et émergentes. C’est précisément parce qu’aucune de nos treize régions n’est représentative de l’ensemble du territoire national que celles-ci ne peuvent seules anticiper ce que seront les métiers dans dix ans ou vingt ans, faire de la prospective et offrir des formations dans tous les domaines de compétence. L’objectif, c’est de répondre aux besoins des territoires à un moment donné.

Madame Bricq, vous avez soulevé beaucoup de points…

M. Jean Desessard. Vous n’avez pas dit qu’elle était bavarde ! (Sourires.)

Mme Clotilde Valter, secrétaire d’État. Votre collègue a pleinement utilisé son temps de parole !

Effectivement, nous avons eu pour préoccupation de faire en sorte que l’AFPA soit en phase avec les mutations économiques que nous connaissons.

Vous avez aussi déclaré qu’il était nécessaire d’apporter une réponse aux besoins de formation des chômeurs qui soit à la hauteur des exigences. Nous partageons ce souci. Vous avez justement souligné qu’en 2015, seul un chômeur sur dix avait bénéficié d’une formation pendant sa période de chômage. Vous avez raison, c’est parfaitement inacceptable.

Grâce à l’expérience des différents plans que Michel Sapin a lancés en faveur de la formation – 30 000 formations supplémentaires, 40 000 formations supplémentaires, 100 000 formations supplémentaires –, nous avons pu vérifier qu’un demandeur d’emploi ayant bénéficié d’une formation retrouvait plus rapidement un emploi que celui qui n’en a pas bénéficié. La raison en est simple : quelqu’un qui dispose d’une formation de base dans un domaine, un métier du bâtiment par exemple, ne répond pas forcément aux besoins des entreprises évoluant sur des marchés ou des activités nécessitant des compétences plus précises, du fait de la transition énergétique ou de la transformation numérique. Il est donc nécessaire de pourvoir à ces besoins de formation, et c’est l’objet du plan « 500 000 formations supplémentaires ».

Je veux vous rassurer sur deux points, madame la sénatrice.

D’une part, ce plan, lancé pour 2016 par le Président de la République, va se prolonger. Nous avons souhaité qu’il se poursuive jusqu’au mois de juin de cette année. Pourquoi ? Parce que les présidents de région et les partenaires sociaux ont souhaité évaluer ce plan, à l’efficacité duquel tous sont attachés, grâce aux indicateurs de qualité, concernant notamment sa capacité à répondre aux besoins des publics prioritaires. Durant ces six mois, cette évaluation, menée avec l’appui de la direction de l’animation de la recherche, des études et des statistiques, sera menée en s’appuyant sur des données objectives, à la fois quantitatives et qualitatives. À l’issue de cette phase, nous devrions pouvoir pérenniser ce plan, conformément au souhait de l’ensemble des partenaires, en nous appuyant sur l’expérience menée en 2016 et en en tirant les conséquences, quitte à modifier certains de ses paramètres.

Nous aurons certainement l’occasion de reparler du rapport de la Cour des comptes, qui aborde effectivement un sujet de fond, à savoir les faibles contrôles dont font l’objet les 75 000 organismes de formation, faute d’effectifs. Le décret du 30 juin 2015 relatif à la qualité des actions de la formation professionnelle continue, pris en application de la loi du 5 mars 2014 et applicable depuis le 1er janvier, permettra d’améliorer encore les choses. Mais, comme vous, je crois que c’est une étape et qu’il faudra aller plus loin.

On parle souvent des 30 milliards d’euros de la formation professionnelle, mais dans cette enveloppe, les actions de formation au sens strict représentent 13 milliards d’euros, la rémunération des personnels et les frais annexes des actions de formation représentant une part importante de cette somme.

En tout cas, voilà un beau sujet de réflexion pour les mois à venir. Nous aurons intérêt à poursuivre dans les différentes pistes de réflexion que vous avez ouvertes les uns et les autres. (Applaudissements.)

Mme la présidente. La discussion générale est close.

Nous passons à la discussion du texte de la commission.

projet de loi ratifiant l’ordonnance n° 2016-1519 du 10 novembre 2016 portant création au sein du service public de l’emploi de l’établissement public chargé de la formation professionnelle des adultes

Discussion générale (suite)
Dossier législatif : projet de loi ratifiant l'ordonnance n° 2016-1519 du 10 novembre 2016 portant création au sein du service public de l'emploi de l'établissement public chargé de la formation professionnelle des adultes
Article unique (Texte non modifié par la commission) (fin)

Article unique

(Non modifié)

L’ordonnance n° 2016-1519 du 10 novembre 2016 portant création au sein du service public de l’emploi de l’établissement public chargé de la formation professionnelle des adultes est ratifiée.

Mme la présidente. Personne ne demande la parole ?…

Je mets aux voix, dans le texte de la commission, l’article unique constituant l’ensemble du projet de loi ratifiant l’ordonnance n° 2016-1519 du 10 novembre 2016 portant création au sein du service public de l’emploi de l’établissement public chargé de la formation professionnelle des adultes.

Je rappelle que le vote sur l’article unique a valeur de vote sur l’ensemble du projet de loi.

J’ai été saisie d’une demande de scrutin public émanant du groupe CRC.

Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l’article 56 du règlement.

Le scrutin est ouvert.

(Le scrutin a lieu.)

Mme la présidente. Personne ne demande plus à voter ?…

Le scrutin est clos.

J’invite Mmes et MM. les secrétaires à procéder au dépouillement du scrutin.

(Il est procédé au dépouillement du scrutin.)

Mme la présidente. Voici, compte tenu de l’ensemble des délégations de vote accordées par les sénateurs aux groupes politiques et notifiées à la présidence, le résultat du scrutin n° 97 :

Nombre de votants 342
Nombre de suffrages exprimés 279
Pour l’adoption 279

Le Sénat a adopté définitivement.

Article unique (Texte non modifié par la commission) (début)
Dossier législatif : projet de loi ratifiant l'ordonnance n° 2016-1519 du 10 novembre 2016 portant création au sein du service public de l'emploi de l'établissement public chargé de la formation professionnelle des adultes
 

7

Communications du Conseil constitutionnel

Mme la présidente. Le Conseil constitutionnel a informé le Sénat, le 9 février 2017, qu’en application de l’article 61-1 de la Constitution le Conseil d’État lui a adressé une décision de renvoi d’une question prioritaire de constitutionnalité portant sur le II de l’article L. 137-13 du code de la sécurité sociale, dans sa rédaction issue de la loi du 19 décembre 2007 de financement de la sécurité sociale pour 2008 (Contribution patronale sur les attributions d’actions gratuites) (2017-627 QPC).

Le texte de cette décision de renvoi est disponible à la direction de la séance.

Acte est donné de cette communication.

Le Conseil constitutionnel a informé le Sénat, le 9 février 2017, qu’en application de l’article 61-1 de la Constitution la Cour de cassation lui a adressé un arrêt de renvoi d’une question prioritaire de constitutionnalité portant sur le II de l’article L. 137-13 du code de la sécurité sociale, dans sa rédaction issue de la loi n° 2007-1786 du 19 décembre 2007 de financement de la sécurité sociale pour 2008 (Contribution patronale sur les attributions d’actions gratuites) (2017-628 QPC).

Le texte de cet arrêt de renvoi est disponible à la direction de la séance.

Acte est donné de cette communication.

8

Prise d’effet de nominations à une commission mixte paritaire

Mme la présidente. M. le Président du Sénat a reçu de M. le Premier ministre la demande de réunion d’une commission mixte paritaire chargée d’élaborer un texte sur les dispositions restant en discussion du projet de loi relatif à la sécurité publique.

En conséquence, les nominations intervenues lors de notre séance du mercredi 8 février prennent effet.

9

Ordre du jour

Mme la présidente. Voici quel sera l’ordre du jour de la prochaine séance publique, précédemment fixée au mardi 14 février 2017 :

À quatorze heures trente :

Nouvelle lecture de la proposition de loi relative à l’extension du délit d’entrave à l’interruption volontaire de grossesse (n° 340, 2016-2017).

Rapport de Mme Stéphanie Riocreux, fait au nom de la commission des affaires sociales (n° 374, 2016-2017).

À seize heures quarante-cinq : questions d’actualité au Gouvernement.

À dix-sept heures quarante-cinq et le soir :

Conclusions des commissions mixtes paritaires sur le projet de loi ratifiant l’ordonnance n° 2016-966 du 15 juillet 2016 portant simplification des procédures mises en œuvre par l’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé et comportant diverses dispositions sur les produits de santé (n° 305, 2016-2017) et sur le projet de loi ratifiant l’ordonnance n° 2016-462 du 14 avril 2016 portant création de l’Agence nationale de santé publique et modifiant l’article 166 de la loi n° 2016-41 du 26 janvier 2016 de modernisation de notre système de santé (n° 303, 2016-2017) ;

Rapport de MM. Gilbert Barbier, sénateur, et Alain Ballay, député, fait au nom de la commission mixte paritaire (n° 302, 2016-2017) ;

Rapport de MM. Gilbert Barbier, sénateur, et Jean-Louis Touraine, député, fait au nom de la commission mixte paritaire (n° 304, 2016-2017).

Conclusions de la commission mixte paritaire sur le projet de loi de programmation relatif à l’égalité réelle outre-mer et portant autres dispositions en matière sociale et économique (n° 372, 2016-2017) ;

Rapport de MM. Mathieu Darnaud, sénateur, et Victorin Lurel, député, fait au nom de la commission mixte paritaire (n° 371, 2016-2017).

Personne ne demande la parole ?…

La séance est levée.

(La séance est levée à dix-huit heures.)

Direction des comptes rendus

GISÈLE GODARD