M. André Gattolin. Ni la Russie !

M. Christian Eckert, secrétaire d'État. … mais ils ont déjà mis en place une réglementation exigeant le dépôt d’une déclaration pays par pays – avec, il est vrai, une entrée en vigueur décalée de six mois. On ne peut qu’espérer que, malgré l’évolution du contexte international, les engagements pris par chacun seront respectés. Je souhaite cependant rappeler que le mécanisme subsidiaire nous autorise à demander les informations aux filiales présentes sur notre territoire si le pays où est implantée la maison mère ne nous les transmet pas.

Une deuxième interrogation concerne l’utilisation que pourraient faire les autres pays de ces informations. Sur ce point, l’accord prévoit des conditions strictes de réciprocité et de confidentialité. Bien entendu, nous veillerons particulièrement, avec l’ensemble de nos partenaires et avec l’OCDE, à ce que ces conditions soient respectées. Dans le cas contraire, nous suspendrions les échanges.

Enfin, une troisième interrogation concerne la demande, légitime, d’une transparence plus large, au-delà de la seule administration fiscale. Nous avons eu ce débat à plusieurs reprises, et le Conseil constitutionnel a finalement tranché comme je l’ai indiqué.

Doit-on s’arrêter là ? Bien sûr que non ! Un projet de directive est en cours de discussion à Bruxelles. La France souhaite qu’il soit adopté.

Au passage, je préciserai le point de vue du Gouvernement sur l’amendement déposé par le groupe CRC, visant à demander la remise d’un rapport sur l’application de ces échanges. Si le secret fiscal et la liberté d’entreprendre nous interdisent une transparence totale - une transparence qui, du reste, ne serait pas forcément souhaitable -, il est important que chacun puisse avoir confiance dans l’action de notre administration. Nous devons rendre des comptes. Je comprends donc la démarche des auteurs de cet amendement.

Au reste, je rappelle que, aux termes du paragraphe 3 de l’article 23 de la directive de 2011 sur l’assistance mutuelle, telle qu’elle a été modifiée par celle de 2016 sur l’échange automatique des déclarations pays par pays, nous allons devoir transmettre annuellement à la Commission européenne un questionnaire évaluant l’efficacité du dispositif. Je m’engage à ce que ces informations soient transmises à votre assemblée. Pour éviter de multiplier les rapports, je propose que ces informations soient présentées dans le rapport prévu à l’article 136 de la loi de finances pour 2011, qui porte sur les redressements internationaux, notamment sur les prix de transfert.

Je vous invite donc, mesdames, messieurs les sénateurs, à autoriser l’approbation de cet accord, comme l’a fait, avant vous, l’Assemblée nationale. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain. – M. André Gattolin applaudit également.)

M. le président. La parole est à M. le rapporteur.

M. Éric Doligé, rapporteur de la commission des finances. Monsieur le secrétaire d'État, je veux d'abord vous féliciter d’avoir eu le courage de vous plonger, dès le matin, dans la relecture des décisions du Conseil constitutionnel ! (Sourires.)

En toute indépendance, je tiendrai des propos assez proches des vôtres.

Au préalable, compte tenu des nombreux mécanismes de déclaration pays par pays proposés, je tiens à préciser le sujet dont nous traitons ce matin : il s’agit des déclarations pays par pays auxquelles sont soumises les entreprises dont le chiffre d’affaires annuel est supérieur à 750 millions d’euros et qui sont transmises à l’administration fiscale. Ce dispositif a été introduit en France par anticipation au travers de la loi de finances pour 2016. L’objectif est de connaître les différentes filiales des groupes d’entreprises multinationales et de révéler d’éventuelles discordances de localisation entre les activités et leur imposition. La lecture des déclarations pays par pays à destination des administrations fiscales intervient donc en amont d’une éventuelle enquête approfondie, afin de déterminer les dossiers prioritaires.

La déclaration pays par pays transmise à l’administration fiscale s’inscrit dans le cadre de l’action 13 du projet BEPS de l’OCDE, portant sur la documentation des prix de transfert. Afin de réduire les contraintes déclaratives pesant sur les entreprises, les États parties à la négociation sont convenus d’une déclaration unique auprès de l’administration fiscale du pays du siège pour un groupe d’entreprises, cette déclaration faisant ensuite l’objet d’un échange automatique entre autorités compétentes. Un accord international entre États parties est nécessaire pour parachever le fonctionnement du mécanisme et permettre aux services fiscaux français de récupérer les déclarations des entités ayant leur siège à l’étranger.

Tel est précisément l’objet de l’accord multilatéral signé à Paris le 27 janvier 2016. À l’instar de l’accord multilatéral entre autorités compétentes concernant l’échange automatique de renseignements relatifs aux comptes financiers du 29 octobre 2014, cet accord a été conclu sur le fondement de la convention concernant l’assistance administrative mutuelle en matière fiscale de 1988. Les principes que celle-ci garantit en matière de protection des données et de confidentialité lui sont donc pleinement applicables.

L’accord avait été signé, à la fin de l’année 2016, par quarante-neuf États, parmi lesquels neuf des dix pays hébergeant le plus grand nombre de sièges sociaux des 500 plus grandes entreprises mondiales. Préférant conclure des accords bilatéraux, les États-Unis n’ont pas signé cet accord multilatéral.

Cet accord organise les modalités de l’échange automatique des déclarations pays par pays sous condition de réciprocité, sous l’égide du secrétariat général de l’OCDE. Il précise également les conditions d’utilisation des données contenues dans la déclaration. En particulier, si elle permet une évaluation générale des risques liés aux prix de transfert, la déclaration ne peut servir de base à des ajustements. Elle permet une analyse de risque préalable, afin de définir des priorités. Une enquête approfondie, conduisant notamment à analyser la documentation exhaustive des prix de transfert, doit ensuite être effectuée pour procéder à un éventuel ajustement.

Par ailleurs, l’accord définit des procédures de consultation en cas de difficultés de mise en œuvre, comme la non-transmission des déclarations par un État partie ou une utilisation inappropriée des données. Une suspension temporaire ou définitive de l’échange automatique peut également être décidée par un État partie soit à l’égard d’un autre État partie, soit à l’égard de tous.

Au-delà de ces précisions, j’approuve la conclusion rapide d’un accord équilibré qui permettra une application complète du mécanisme de déclaration pays par pays dès les premières déclarations sur l’exercice 2016, dix-huit mois après leur date de dépôt, soit à compter du second semestre de 2018.

Plus largement, concernant la portée du mécanisme et du projet BEPS, je tiens à formuler à votre suite, monsieur le secrétaire d'État, trois observations.

Premièrement, il ne constitue qu’un des trois accords internationaux pouvant prévoir l’échange automatique des déclarations, avec les conventions fiscales bilatérales et les accords bilatéraux d’échange de renseignements fiscaux. Je souligne également que l’échange automatique des déclarations entre administrations fiscales des États membres de l’Union européenne est déjà prévu. Le Conseil de l’Union européenne a adopté, le 25 mai 2016, la directive modifiant la directive de 2011 et prévoyant l’échange automatique des déclarations pays par pays entre administrations fiscales, la transposition des dispositions en droit national devant intervenir avant le 4 juin 2017. Chaque année, les États membres devront transmettre à la Commission européenne une évaluation de l’efficacité de l’échange automatique des déclarations pays par pays, ainsi que les résultats pratiques obtenus.

Ce matin, lors de l’examen en commission de l’amendement déposé par nos collègues du groupe communiste républicain et citoyen, j’ai déclaré vouloir demander en séance à M. le secrétaire d'État qu’il s’engage à transmettre cette évaluation, en prenant pour base juridique l’article 136 de la loi de finances pour 2011, issu, d'ailleurs, de l’adoption d’un amendement dont MM. Sapin et Eckert étaient cosignataires. Je prends donc bonne note, monsieur le secrétaire d'État, de l’engagement à communiquer cette évaluation au Parlement que vous venez de prendre.

Deuxièmement, un enjeu particulier réside dans la conclusion rapide d’accords bilatéraux avec les États qui n’ont pas signé le présent accord multilatéral et qui hébergent le siège de nombreux grands groupes d’entreprises internationales.

Alors que le consensus né des négociations du projet BEPS, cristallisé dans les recommandations des rapports finaux d’octobre 2015, doit être transposé dans le droit, il convient que tous les États s’engagent. Je pense particulièrement aux États-Unis, qui ont introduit la déclaration pays par pays dans leur droit interne pour les exercices ouverts à compter du 30 juin 2016. Selon les informations qui m’ont été transmises, les États-Unis ont proposé à la France d’engager les négociations préalables à la conclusion d’un accord bilatéral d’échange. Mais cette matière relève des prérogatives du pouvoir exécutif : le renouvellement de l’administration américaine ne peut qu’accentuer nos incertitudes sur la position réelle des États-Unis sur ce dossier. Or leur implication est indispensable à deux titres : pour récupérer les données des groupes américains, mais aussi pour ne pas menacer le consensus né des négociations sur le projet BEPS.

Troisièmement, le projet BEPS prévoit une clause de réexamen en 2020. Grâce à une mise en œuvre rapide, un premier retour d’expérience sera possible. Pour autant, le clivage qui existait, notamment, entre les pays hébergeant le siège de nombreux groupes et les autres, concernant les données à inclure dans la déclaration ou le seuil de chiffre d’affaires à partir duquel les entreprises y seront assujetties pourrait à nouveau apparaître. Surtout, la volonté des États-Unis de privilégier la conclusion d’accords bilatéraux négociés au cas par cas par rapport à celle d’un accord multilatéral souligne la nécessité de faire preuve de vigilance dans la mise en œuvre de l’échange automatique. Cet aspect est d’autant plus important que le multilatéralisme, s’il symbolise une volonté commune, conduit à inclure des États pour lesquels l’étanchéité des barrières entre services fiscaux et entreprises publiques doit être encore éprouvée.

Sous le bénéfice des observations qui précèdent, je vous propose, mes chers collègues, d’adopter le présent projet de loi de ratification sans modification, afin d’éviter une navette qui nous ferait inutilement perdre du temps en l’occurrence. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain. –M. André Gattolin applaudit également.)

Mme Michèle André, présidente de la commission des finances. Très bien !

M. le président. J’appelle chacun des orateurs à respecter son temps de parole, dans la mesure où je devrai suspendre la séance à treize heures trente précises, les questions d’actualité débutant à quinze heures.

La parole est à M. Yvon Collin, pour le groupe du RDSE.

M. Yvon Collin. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, nous examinons à notre tour le projet de loi autorisant l’approbation de l’accord multilatéral sur le reporting pays par pays.

Signé à Paris il y a tout juste un an, sous l’égide de l’OCDE – saluons au passage le dynamisme de cette organisation internationale –, cet accord rassemble une cinquantaine de pays unis par la volonté de lutter plus efficacement contre l’érosion des bases fiscales et les transferts de bénéfices vers les paradis fiscaux.

Ce dispositif, déjà introduit dans le droit français par l’article 121 de la loi de finances pour 2016, oblige les entreprises réalisant plus de 750 millions d’euros de chiffre d’affaires dont le siège social est situé dans un pays donné à fournir à l’administration fiscale de ce pays une déclaration unique indiquant la répartition, pays par pays, de leurs bénéfices, mais aussi des principaux agrégats économiques, comptables et fiscaux. Il prévoit également l’échange automatique de ces déclarations avec les administrations fiscales étrangères ayant adopté un dispositif équivalent.

Une fois ratifié, l’accord permettra de mieux connaître les filiales des multinationales, en particulier de révéler les éventuelles discordances entre la localisation de leurs activités et celle de leur imposition. Je pense notamment aux firmes Google et Apple, dont les bénéfices réalisés en France sont imposés – faiblement - en Irlande.

L’accord respecte les principes de protection des données et de confidentialité, conformément à la convention internationale de 1988 relative à l’assistance administrative mutuelle en matière fiscale, ce qui exclut notamment le reporting public.

Fruit d’un remarquable travail de négociation engagé en 2012 lors de la réunion du G20 de Los Cabos, cet accord va dans le bon sens. Il complète et généralise les accords bilatéraux conclus ces dernières années par la France avec certains pays, notamment les nouvelles conventions fiscales avec le Luxembourg, l’Allemagne, la Suisse, Singapour et, dernièrement, la Colombie. Le RDSE ne peut donc qu’approuver sa ratification, la mise en application étant prévue au deuxième semestre de 2018.

J’émettrai une réserve, de taille : les États-Unis préfèrent – il s’agit d’une tradition diplomatique bien ancrée chez eux – recourir à des accords bilatéraux. Ainsi, malgré le poids non négligeable des autres pays, notamment européens, l’absence de la première puissance mondiale réduit nécessairement la portée de l’accord, d’autant qu’il est permis de douter que la nouvelle administration américaine se montre particulièrement ouverte sur ce sujet…

Par ailleurs, rappelons que le reporting ne permet, en principe, à l’administration fiscale que de procéder à une « analyse de risque », et non à des redressements fiscaux, pour lesquels une enquête approfondie reste nécessaire.

Malgré ces réserves, le groupe du RDSE approuvera à l’unanimité cet accord, qui constitue un progrès. (M. André Gattolin applaudit.)

M. le président. La parole est à M. Vincent Capo-Canellas, pour le groupe de l'UDI-UC.

M. Vincent Capo-Canellas. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, madame la présidente de la commission, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, ce projet de loi a trait à un sujet de préoccupation partagé sur toutes les travées de la Haute Assemblée, puisqu’il tend à autoriser l’approbation d’un accord multilatéral visant à permettre l’échange automatique des déclarations des sociétés mères auprès des autorités fiscales de l’État de résidence.

À ce jour, cinquante États et territoires ont signé cet accord, dont l’objet est de doter les parties d’un nouvel instrument leur permettant de disposer d’informations sur les plus grandes entités multinationales et de fixer des priorités en matière de contrôles fiscaux à réaliser.

Cette étape significative – qui n’est sans doute pas la dernière – mérite d’être franchie. Il s’agit de la concrétisation juridique des engagements pris par les pays du G20 dans le cadre des travaux conduits par l’OCDE en vue d’apporter des solutions concrètes pour éliminer les failles permettant aujourd’hui à des sociétés d’organiser, par le biais de mécanismes d’optimisation permis par la combinaison de différentes législations fiscales, la « disparition » de leurs bénéfices ou le transfert artificiel de ces derniers vers des juridictions à faible fiscalité. Il s’agit d’une lutte perpétuelle qui devra être encore confortée.

Les prix de transfert, qui permettent d’ajuster la répartition de l’assiette taxable des bénéfices des entreprises multinationales, constituent une pratique d’optimisation fiscale particulièrement préjudiciable aux intérêts des États.

La France a déjà inscrit dans son droit interne, via la loi de finances pour 2016, l’obligation, pour les entreprises multinationales dont le chiffre d’affaires est supérieur à 750 millions d’euros, de déclarer à l’administration fiscale la répartition, pays par pays, des bénéfices et principaux agrégats économiques, comptables et fiscaux, ainsi que de communiquer des informations sur la localisation et l’activité des entités les constituant. L’article 223 quinquies C du code général des impôts prévoit également l’échange automatique de ces déclarations avec les administrations fiscales étrangères dotées d’un dispositif équivalent.

En effet, une fois la capacité de collecte d’informations organisée, il faut mettre en place les conditions de l’échange entre les pays s’étant conformés à la recommandation n°13 de l’OCDE. Tel est l’objet de cet accord.

Avec ce dispositif, l’efficacité du contrôle fiscal des grands groupes peut être renforcée par la mise à disposition d’une information pays par pays, couvrant une grande variété d’agrégats économiques. Le seuil retenu permettra de couvrir les 10 % d’entreprises multinationales réalisant environ 90 % du chiffre d’affaires mondial.

L’optimisation fiscale internationale cause un préjudice de grande ampleur aux finances publiques des États : les pertes de recettes au titre de l’impôt sur les bénéfices sont de l’ordre de 100 milliards à 240 milliards de dollars par an. Elle crée également des distorsions de concurrence entre opérateurs économiques.

Avec la crise financière de 2008, les États membres du G20 ont pris conscience des coûts de l’évasion fiscale et ont érigé en priorité la lutte contre la fraude et l’évasion fiscales, afin d’améliorer la transparence du système financier international.

Il s’agit d’un enjeu majeur pour notre pays, qui a toujours soutenu cette démarche. Cet accord constitue le début d’une concrétisation que d’aucuns pourront juger tardive, voire timorée. Nous l’approuverons, en ayant conscience que, comme l’a dit monsieur le secrétaire d’État voilà quelques instants, nous ne sommes pas au bout du chemin. (M. François Marc applaudit.)

M. le président. La parole est à M. André Gattolin, pour le groupe écologiste.

M. André Gattolin. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, « les paradis fiscaux […], c’est terminé », nous avait assuré, sans vraiment nous rassurer, le président Sarkozy le 23 septembre 2009. Depuis, nous avons connu, entre autres « Leaks », le SwissLeaks, le LuxLeaks, les Panama papers, le FootLeaks… La liste ne cesse de s’allonger.

L’accord du 27 janvier 2016, que nous sommes appelés à approuver, concrétise une avancée majeure dans la lutte contre l’évasion fiscale et le secret bancaire.

Mis en œuvre à l’échelle de cinquante États, la déclaration standardisée, pays par pays, et l’échange automatique des données entre administrations fiscales sont clairement de nature à entraver les transferts abusifs de bénéfices opérés par les grands groupes multinationaux à des fins d’optimisation fiscale dite « agressive ».

Pour autant, cet accord ne marquera pas la fin du dévoiement des règles fiscales par certaines entreprises ou par certains États.

En effet, au-delà des limites du dispositif de l’accord, que notre rapporteur a parfaitement exposées, force est de constater que toutes les difficultés auxquelles nous faisons face aujourd’hui, y compris au cœur de l’Union européenne, ne sont pas abordées.

Premièrement, si je me félicite, bien évidemment, de l’enquête lancée, vendredi dernier, par la médiatrice européenne sur les liens de M. Draghi avec l’industrie financière, je reste profondément atterré par notre tolérance collective aux conflits d’intérêts.

Comment peut-on espérer lutter sérieusement contre l’évasion fiscale quand on porte à la présidence de la Commission européenne M. Jean-Claude Juncker, principal artisan du LuxLeaks, ou quand on autorise son prédécesseur, M. Barroso, à partir faire fructifier son carnet d’adresses chez Goldman Sachs ?

M. Éric Bocquet. Très bien !

M. André Gattolin. Deuxièmement, malgré quelques avancées en France au travers de la loi Sapin II, la protection des lanceurs d’alerte reste, selon moi, très insuffisante. Ceux de l’affaire LuxLeaks, par exemple, sont jugés sans recevoir le moindre soutien politique des gouvernements européens, alors même qu’ils ont grandement contribué, en dénonçant des pratiques désormais considérées illégales, à faire évoluer la législation.

Troisièmement, la lutte contre l’évasion fiscale ne sera pleinement assumée et comprise que lorsque nous obtiendrons enfin la publicité intégrale des données des grands groupes, à l’échelon européen pour vaincre les réticences, discutables à mon sens, de notre Conseil constitutionnel.

Enfin, nous devons être très lucides sur la translation qui s’opère depuis quelques années : entre 2000 et 2015, parallèlement à la lutte contre les paradis fiscaux, le taux moyen d’imposition sur les sociétés au sein de l’OCDE est passé de 32 % à 25 %. Ainsi, en l’absence d’une véritable harmonisation à l’échelle européenne, c’est toujours le moins-disant fiscal qui est la norme.

Néanmoins, parce que cet accord constitue bien évidemment une étape utile et nécessaire, le groupe écologiste votera en faveur de son approbation. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC.)

M. le président. La parole est à M. François Marc, pour le groupe socialiste et républicain.

M. François Marc. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, je me félicite que ce projet de loi soit débattu aujourd’hui dans notre hémicycle, après avoir été adopté à l’unanimité par nos collègues députés.

Un chiffre doit d’emblée nous interpeller : on évalue entre 100 milliards et 240 milliards de dollars la perte de recettes causée, à l’échelle mondiale, par les diverses stratégies d’évitement de l’impôt sur les sociétés mises en œuvre par les grands groupes multinationaux…

En réponse à cette situation, et en application de l’accord BEPS, la loi de finances pour 2016 a institué une obligation, pour les plus grandes entreprises, de déclarer à l’administration fiscale la répartition, pays par pays, des bénéfices et des principaux agrégats économiques comptables et fiscaux.

Un accord multilatéral a ensuite été signé, le 27 janvier 2016 à Paris, afin de permettre l’échange automatique des données collectées. Comme vous l’avez rappelé, monsieur le secrétaire d’État, cinquante États l’ont déjà signé, ce dont nous ne pouvons que nous féliciter.

Sans revenir sur le fond de l’accord, je soulignerai que l’ensemble de ces mesures s’inscrit dans la droite ligne de l’action résolue menée par le Gouvernement depuis 2012 afin de lutter contre l’optimisation et l’évasion fiscales. Cette action ne cesse de faire la preuve de son efficacité : ainsi, en 2015, plus de 20 milliards d’euros ont été redressés, soit 5 milliards de plus qu’en 2012.

Le volontarisme du Gouvernement en la matière s’illustre donc tout d’abord au niveau national : depuis le début du quinquennat, plus de soixante-dix mesures de lutte contre la fraude fiscale ont été adoptées. Certaines d’entre elles visent tout particulièrement les fraudes reposant sur la dissimulation d’avoirs à l’étranger : je pense à la création du parquet national financier, à la taxation à hauteur de 60 % des avoirs détenus à l’étranger non déclarés dont la provenance n’est pas justifiée, ou encore à l’extension de six à dix ans des délais de reprise en matière d’impôt sur la fortune et de droits de succession au titre des biens ou droits non déclarés à l’étranger… La liste est longue, monsieur le secrétaire d’État, et nous devons saluer la détermination dont vous avez su faire preuve sur ces sujets.

Au-delà de ces mesures nationales, la France est également à la pointe de la lutte contre la fraude fiscale au niveau européen et international.

Il en est tout d’abord ainsi en matière d’échange automatique d’informations, que l’Union européenne et près de cent pays se sont engagés à mettre en œuvre – pour la plupart, dès 2017 –, après un long travail de conviction dans lequel la France a joué un rôle moteur.

La France s’est également investie dans la lutte contre l’érosion des bases fiscales. Elle travaille actuellement, avec près de quatre-vingt-dix autres pays, à la rédaction d’un instrument multilatéral qui puisse être adopté prochainement.

Notre pays tente, en outre, de faire la transparence sur les fameux tax rulings, ces accords secrets négociés de gré à gré entre une entreprise et le fisc.

Grâce à l’ensemble de ces mesures, notre politique en matière de lutte contre la fraude fiscale a été saluée par de nombreux acteurs : non seulement par des associations luttant de longue date contre ce fléau, telles que CCFD-Terre solidaire ou Oxfam, mais aussi par la Cour des comptes, qui a attesté d’une « impulsion politique nouvelle » faisant de la lutte contre la fraude fiscale « une priorité ». En outre, Pascal Saint-Amans, chargé de la lutte contre les paradis fiscaux à l’OCDE, confirme que la France est le pays le plus ferme au plan mondial sur ce sujet, avec l’Inde et le Brésil notamment.

Enfin, preuve que la politique mise en place par le Gouvernement fonctionne, les recettes liées aux redressements fiscaux ont progressé de 20 % en deux ans. Sur les plus de 20 milliards d’euros de redressements notifiés en 2015, les 12 milliards d'ores et déjà perçus représentent davantage que les budgets de la justice, de la culture et de l’aide au développement réunis, et autant que celui du ministère de l’intérieur ! Ces recettes supplémentaires liées à la lutte contre la fraude ont permis d’instaurer une baisse des impôts pour les classes moyennes et populaires.

Ce sont là, mes chers collègues, autant de motifs de satisfaction en matière de lutte contre l’évasion et l’optimisation fiscales, que l’adoption – à l’unanimité, je l’espère – de ce projet de loi viendra renforcer efficacement. (Mme la présidente de la commission et M. le rapporteur applaudissent.)

M. le président. La parole est à M. Éric Bocquet, pour le groupe CRC.

M. Éric Bocquet. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, voilà seulement quelques semaines, plusieurs membres de la Haute Assemblée saisissaient le Conseil constitutionnel sur le contenu de la loi relative à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique, dite loi « Sapin 2 », notamment sur les articles concernant la publicité relative accordée au report des états comptables par pays d’implantation des entreprises dont le chiffre d’affaires dépasse 750 millions d’euros.

Cette mesure, déjà applicable au secteur bancaire et financier depuis la loi de séparation et de régulation des activités bancaires, était notamment contestée au motif que, selon les députés et sénateurs requérants, « les dispositions de l’article L. 225-102-4 du code de commerce méconnaissent la liberté d’entreprendre dès lors qu’elles contraignent les sociétés françaises à divulguer au public des informations de nature à révéler leur stratégie commerciale ».

Par ailleurs, pour faire bonne mesure, les sénateurs requérants soutenaient également que « l’obligation ainsi instituée fait peser sur les sociétés qui y sont soumises une charge excessive contraire au principe d’égalité devant les charges publiques ».

Rappelons tout de même qu’il s’agit d’entreprises réalisant un chiffre d’affaires d’au moins 750 millions d’euros : on est très loin de la PME locale.

Les sages de la rue de Montpensier n’ont pas remis en question la volonté de lutter contre la fraude fiscale, objectif de valeur constitutionnelle, mais ils se sont tout de même permis une petite entorse au principe en indiquant, pour justifier la censure de l’article, que « l’obligation faite à certaines sociétés de rendre publics des indicateurs économiques et fiscaux correspondant à leur activité pays par pays est de nature à permettre à l’ensemble des opérateurs qui interviennent sur les marchés où s’exercent ces activités, et en particulier à leurs concurrents, d’identifier des éléments essentiels de leur stratégie industrielle et commerciale. Une telle obligation porte dès lors à la liberté d’entreprendre une atteinte manifestement disproportionnée au regard de l’objectif poursuivi. »

Au regard des arguments invoqués et du texte dont nous débattons aujourd’hui, on constate que 200 sociétés mères et 1 200 filiales, constituant l’essentiel de l’économie de notre pays, de sa valeur ajoutée, de son produit intérieur brut et de son commerce extérieur, seront directement concernées. Le régime fiscal des groupes est une « dépense fiscale » essentielle du droit français.

Il nous semble donc logique d’y regarder d’un peu plus près. Le jugement rendu la semaine dernière dans l’affaire Wildenstein rappelle combien il est nécessaire de mieux armer le Parlement sur ces questions. Le tribunal a en effet précisé qu’il n’avait pas à se substituer au législateur et à pallier les silences de la loi. Mes chers collègues, nous sommes le législateur. Il nous reste encore de grands progrès à accomplir, mais nous voterons ce texte. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC.)