Mme la présidente. La parole est à M. Philippe Madrelle, pour le groupe socialiste et républicain.

M. Philippe Madrelle. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, les assises du ferroviaire, organisées en fin de mandature, en 2011, par Mme Kosciusko-Morizet, alors ministre des transports en titre, avaient dressé un constat alarmiste de la situation de notre système ferroviaire. Il affichait, à l’époque, un endettement de l’ordre de 27,5 milliards d'euros, dont 5,1 milliards d'euros pour l’opérateur et une dérive financière annuelle de l’ordre de 1 à 1,5 milliard d’euros.

Curieusement, ces assises étaient infiniment plus discrètes sur l’état catastrophique du réseau malgré deux audits successifs très préoccupants de l’École polytechnique fédérale de Lausanne.

Au-delà des bonnes résolutions prises pendant ces assises, il ne se passa rien. Surtout, le gouvernement sortant de François Fillon transmit à celui de Jean-Marc Ayrault l’héritage empoisonné de quatre chantiers TGV simultanés, lesquels ont porté mécaniquement la dérive de la dette à 3,5 milliards d'euros par an.

La politique du tout-TGV des gouvernements du quinquennat de Nicolas Sarkozy continue à creuser mécaniquement cette dette, établie désormais à 50,1 milliards d'euros au total.

M. Philippe Dallier. Elle continue à se creuser cinq ans après !

M. Ladislas Poniatowski. On est reparti dans la primaire !

M. Alain Gournac. En tout cas, la parenthèse est bientôt fermée !

M. Philippe Madrelle. Je sais que cela vous gêne !

Depuis lors, les gouvernements de Jean-Marc Ayrault et de Manuel Valls ont agi… (Protestations sur les travées du groupe Les Républicains.)

Mme la présidente. Mes chers collègues, s’il vous plaît, un peu de silence ! Laissez l’orateur parler !

M. Philippe Madrelle. Je sais qu’il y a des vérités qui gênent, mais il faut les écouter !

Mme la présidente. Monsieur Madrelle, s’il vous plaît, ne répondez pas !

M. Didier Guillaume. Laissez-les s’exciter et continuez à parler !

M. Philippe Madrelle. Depuis lors, disais-je, les gouvernements de Jean-Marc Ayrault et de Manuel Valls ont réagi face à cette situation.

Le premier nous a proposé une réforme ferroviaire ambitieuse qui poursuivait deux objectifs : stabiliser les finances de la SNCF en réduisant sa dette et mettre en place une gouvernance moderne en réunifiant enfin tous les métiers de l’infrastructure dans l’EPIC SNCF Réseau. Cette réforme a été promulguée le 4 août 2014.

Le gouvernement de Manuel Valls a lui aussi réagi, sous votre impulsion, monsieur le secrétaire d'État, et il a pris la mesure, à partir des préconisations de la commission Mobilité 21, présidée par Philippe Duron, de la nécessité d’engager un immense effort de régénération du réseau, de maintenance des infrastructures et de mise en sécurité des circulations. Cet effort a plus que doublé le concours de l’État pour la seule réhabilitation du réseau.

Pour autant, et malgré ce changement de politique, qui survient à un niveau avancé de dégradation du réseau et suppose un effort long et continu, nous sommes fondés à nourrir sinon des inquiétudes, du moins de fortes interrogations sur l’avenir du rail, même s’il incarne en principe le mode de transport le plus compatible avec nos engagements climatiques et énergétiques de la COP 21.

Non seulement la situation financière de notre système ferroviaire reste gravement hypothéquée par l’inertie de la politique du tout-TGV, mais le chemin de fer, mode de transport lourd et très exigeant en capital, subit lui aussi les bouleversements qui affectent nos sociétés. Je pense aux nouveaux comportements et aspirations des usagers s’agissant de mobilité.

Sur la longue distance grande vitesse, le low cost aérien profite des infrastructures légères existantes et menace sérieusement la compétitivité du modèle TGV, que la France est tentée d’utiliser en train de cabotage d’aménagement du territoire, mais à contre-emploi, avec un coût d’exploitation exorbitant, dénoncé par la Cour des comptes.

Par ailleurs, le développement fulgurant du covoiturage interurbain, dont le trajet moyen est de plus de 300 kilomètres, montre une « préférence pour le tarif sur la vitesse » qui interroge sur le choix de prestige trop exclusif de la très grande vitesse à la française, techniquement gratifiant, mais que l’on ne parvient pas à exporter.

Concernant les trains de grandes lignes, vous avez, monsieur le secrétaire d'État, courageusement pris la mesure du gouffre financier dans lequel ils s’enfonçaient, avec un déficit de l’ordre de 330 millions d’euros par an pour très peu de passagers transportés – moins 20 % depuis 2011 – en restructurant les lignes d’aménagement du territoire et en modernisant leurs matériels et leurs prestations.

En matière de TER et de RER, figures de proue des trafics, absolument essentiels aux déplacements domicile-travail de six millions de Français par jour, un effort gigantesque de mise à niveau de l’Île-de-France est engagé. L’on observe toutefois une dégradation préoccupante du climat avec les autorités organisatrices régionales, qui en appellent à la mise en concurrence de la SNCF pour un modèle économique dont l’usager couvre moins de 30 % du coût d’exploitation !

Enfin, le fret ferroviaire est soumis à de telles conditions de concurrence par le transport routier de marchandises que, malgré quatre plans successifs de relance, son trafic est tombé de près de 50 milliards de tonnes par kilomètre en 2000 à environ 34 milliards de tonnes par kilomètre seize ans plus tard !

Finalement, malgré le changement de politique et l’effort budgétaire opérés, ce sont désormais 4 000 kilomètres du réseau historique, souvent laissés sans travaux depuis plus de trente ans, où la circulation est ralentie pour des raisons de sécurité.

En d’autres termes, si le train reste théoriquement un mode de transport prometteur, tous les clignotants semblent paradoxalement y être au rouge !

On ne peut donc manquer de s’interroger sur l’avenir de ce mode lourd à une époque où les usagers ont manifestement pris le pouvoir sur les ingénieurs et sur nos propres décisions politiques avec l’appui de l’internet, de l’open data et d’une mobilité en mutation profonde. Nos concitoyens préfèrent manifestement, comme le montrent les « cars Macron », « voyager plus, et moins cher » que « voyager moins, et plus vite » !

Ce constat préoccupant m’amène, monsieur le secrétaire d'État, à vous poser quelques questions.

La première porte sur votre appréciation et votre évaluation de la réforme ferroviaire mise en œuvre par votre prédécesseur, Frédéric Cuvillier.

Dans leur récent rapport d’information, nos collègues députés se félicitent de la mise en œuvre de la réforme, « la plus ambitieuse depuis la loi de nationalisation de 1937 », mais regrettent que l’État n’ait pas fait le même effort que l’Allemagne, en reprenant au moins la composante maastrichtienne de la dette, et préconisent de « réformer la réforme » sur quelques points laissés en suspens, comme le positionnement de Gares & Connexions dans le groupe. Ils mettent en garde, en revanche, contre la tentation invoquée par certains membres de l’opposition d’en revenir au système précédent d’une séparation totale entre le réseau et l’exploitation.

La deuxième question porte sur la mise en œuvre effective de la règle d’or et des contrats de performance entre l’État et les trois EPIC du groupe SNCF, qui constituent les garde-fous et les garants d’un progressif assainissement financier du groupe SNCF ! Le fait qu’avant même la publication du décret sur la règle d’or il nous ait été demandé d’y faire exception pour le CDG Express suscite évidemment une interrogation forte sur la trajectoire de stabilisation financière de SNCF Réseau, alors que l’État a par ailleurs confirmé des chantiers colossaux, comme celui du tunnel Lyon-Turin et de ses accès, ou celui de la LGV GPSO, le grand projet ferroviaire du Sud-Ouest, que nous connaissons bien tous les deux, monsieur le secrétaire d'État, projet préféré à une régénération plus ambitieuse et plus polyvalente du réseau existant.

Enfin, alors que vous venez de vous engager, en cohérence avec les décisions prises avant vous, à effacer les bases législatives et réglementaires de l’écotaxe, je me pose la question de savoir si nos investissements ferroviaires, alors que nous sommes désormais les seuls en Europe à devoir faire face à la régénération d’un réseau historique considérable et très dégradé, ainsi qu’au développement simultané d’un second réseau dédié à la grande vitesse à des coûts exponentiels, sont raisonnablement soutenables sans opérer des choix stratégiques plus nets et inscrits dans la durée à partir d’un minimum de consensus politique national.

Mme la présidente. Il faut conclure, mon cher collègue !

M. Alain Gournac. Oui, c’est un peu long !

M. Philippe Madrelle. Je vous remercie, monsieur le secrétaire d'État, des réponses que vous voudrez bien apporter à ces réelles interrogations sur l’avenir du ferroviaire français dans la société contemporaine et dans l’Europe de demain. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain et du groupe CRC.)

Mme la présidente. La parole est à M. Louis Nègre, pour le groupe Les Républicains. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. Louis Nègre. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, nous le savons tous, depuis plusieurs années, le secteur ferroviaire s’enfonce chaque jour un peu plus dans la crise. Je remercie donc le groupe du RDSE de nous permettre de parler de ce sujet important.

Trois exemples caractérisent cette dégringolade de l’un de nos plus beaux fleurons nationaux.

Premier exemple, la dette atteint désormais plus de 50 milliards d’euros, selon le rapport de l’Agence des participations de l’État, avec une projection à 60 milliards d’euros à l’horizon 2025.

Cette course vers l’abîme obère très directement l’avenir du système ferroviaire.

Deuxième exemple, la règle d’or – ô combien nécessaire, monsieur le secrétaire d'État ! – que le Parlement a votée dans la loi de 2014 est balayée à la première occasion. Même sur les travées du groupe socialiste on en convient, M. Madrelle venant de reconnaître que cela pouvait, en effet, poser problème.

Ainsi, le projet de loi relatif à une liaison ferroviaire entre Paris et l’aéroport Paris-Charles de Gaulle aggravera la dette de SNCF Réseau de 300 millions d’euros environ. Ce texte, dans lequel il est écrit, noir sur blanc, de faire l’inverse d’un article essentiel de la loi portant réforme ferroviaire, porte une atteinte grave à la crédibilité du Parlement. Nous ne pouvons pas vous suivre, monsieur le secrétaire d'État, dans cette démarche contraire à nos valeurs ! (M. Jacques Legendre applaudit.)

Troisième exemple : où est l’État stratège, que nous appelons tous de nos vœux ?

Sur les investissements indispensables pour l’avenir du ferroviaire, malgré des efforts récents que je reconnais, cinq ans après votre arrivée aux responsabilités l’âge moyen de notre réseau ferroviaire est de trente-trois ans contre dix-sept ans en Allemagne. Plus inquiétant, cet âge moyen continue à augmenter et, pour la première fois depuis vingt ans, nous déplorons, malheureusement, des accidents mortels.

Dans le même temps, monsieur le secrétaire d'État, Bercy ponctionne sans vergogne le prélèvement de 2 centimes voté en 2015 et destiné à l’AFITF. C’est bien une politique de gribouille, monsieur Madrelle !

Votre gestion du dossier Alstom en est l’illustration, monsieur le secrétaire d'État. Alors que nous vous alertions depuis des années sur les risques de fermeture de sites industriels, c’est sous la pression des événements et en catastrophe que vous avez décidé d’acheter des rames de TGV, qui coûtent le double des rames des Intercités, pour faire de l’Intercité ! Ce matériel conçu pour aller à près de 320 kilomètres par heure roulera à 160 kilomètres par heure. Qui peut comprendre cette logique ?

M. Alain Gournac. Personne !

M. Louis Nègre. Au-delà de l’insuffisance des moyens financiers pour nos infrastructures, que tout le monde a évoquée, il manque d’abord une vision, monsieur le secrétaire d'État, une vision à moyen et à long terme digne d’un État qui se veut stratège.

Sans une telle vision, vous ne pouvez pas définir une politique avec des objectifs clairs, une politique qui se décline à travers un programme d’action cohérent, étalé dans le temps et favorable au développement de notre industrie, la troisième dans le monde.

Notre vision de l’avenir du transport ferroviaire est optimiste, mais elle passe par un assainissement financier de SNCF Réseau, par un système de financement stabilisé après la disparition de l’écotaxe, par l’ouverture à la concurrence pour stimuler la SNCF, améliorer sensiblement sa compétitivité et rendre un meilleur service aux usagers.

Ces derniers sont les naufragés d’une situation dégradée, qui n’est pas digne d’une nation au passé ferroviaire prestigieux !

Bien évidemment, tout cela ne pourra se faire que dans le cadre d’une réforme structurelle du fonctionnement d’un système obsolète sur de nombreux points, son cadre social notamment.

Mme Évelyne Didier. Avec vous, c’est toujours la faute des salariés !

M. Louis Nègre. Je le répète depuis des années : le système ferroviaire est le mieux à même de nous permettre de faire face au changement climatique et de lutter contre une pollution qui affecte la santé publique.

En conclusion, nous croyons plus que jamais à l’avenir du ferroviaire, en France et dans le monde. Sous réserve d’une vision à moyen et à long terme, c’est le système ferroviaire qui est le plus en mesure de répondre à la demande exponentielle des déplacements dans les zones urbanisées, où vivra demain plus de 60 % de la population du globe ! C’est un acte de foi, mais il est réaliste ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et de l'UDI-UC.)

M. Alain Néri. Un vrai chant grégorien !

Mme la présidente. La parole est à Mme Brigitte Micouleau, pour le groupe Les Républicains.

Mme Brigitte Micouleau. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, comment imaginer, en 2016, une France sans TGV entre Paris et Lyon ?

Quelle serait la réaction des Marseillais, des Lillois, des Strasbourgeois ou encore des Bordelais si on leur disait : « Désolé, le TGV pour Paris, c’est fini ! Faudra faire sans maintenant ! » ?

Et je ne pose même pas la question pour les millions de voyageurs qui empruntent chaque année les lignes à grande vitesse Paris-Londres et Paris-Bruxelles !

Monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, vous ne m’en voudrez pas si ce débat sur l’avenir du transport ferroviaire en France est donc pour moi l’occasion de poser la question de la desserte par une ligne à grande vitesse de ma très chère grande ville, Toulouse.

En effet, comment accepter et comprendre que Toulouse, quatrième ville de France, et sa grande agglomération, qui accueillent en moyenne plus de 17 000 nouveaux habitants par an et qui est, en termes de croissance économique, loin devant toutes les autres métropoles françaises – y compris Paris – ces dernières années, devraient être les seules de cette importance à être exclues du réseau ferré français à grande vitesse ?

En termes d’équité sur le plan de l’aménagement du territoire, en termes de fair play dans la compétition que se livrent les grandes métropoles françaises et européennes, cette hypothèse est tout simplement inacceptable, monsieur le secrétaire d'État !

C’est une évidence, la réalisation de la LGV Bordeaux-Toulouse, qui permettrait, je vous le rappelle, de mettre Toulouse à 3 heures 10 de la gare Montparnasse, contre, au mieux, 5 heures 15, actuellement, est un enjeu national prioritaire. C’est d’ailleurs ce qu’avait conclu la commission Mobilité 21 en juin 2013.

En vérité, la seule et unique question qui doit retenir notre attention quant à la réalisation de nouvelles LGV en France, et en particulier celle de la LGV Bordeaux-Toulouse, c’est bien la question du financement.

Mme Françoise Laborde. Tout à fait !

Mme Brigitte Micouleau. Quel est aujourd’hui le bon modèle économique ? Celui qui a été retenu pour la réalisation de la LGV Tours-Bordeaux a montré ses limites – personne ne dira le contraire, monsieur le secrétaire d'État.

Dans le contexte économique actuel, imaginer un plan de financement réaliste et soutenable par les collectivités locales n’est pas un mince défi.

Et pourtant, parce que cette LGV Bordeaux-Toulouse correspond à une véritable attente de tout le grand Sud-Ouest et qu’elle est portée par une vraie dynamique politique et économique, les quatre grandes collectivités du territoire – les métropoles de Toulouse et Bordeaux, les régions Occitanie et Nouvelle-Aquitaine – ont décidé de relever ce défi et de travailler ensemble, de manière très forte, en faisant fi des clivages politiques.

Cette réflexion, qui s’effectue dans le cadre d’une commission ministérielle que vous avez souhaité créer l’an dernier, monsieur le secrétaire d'État, et je vous en remercie, devrait rendre ses propositions d’ici à l’été prochain.

On sait déjà que ces quatre collectivités locales n’ont pas souhaité limiter leur réflexion aux modèles classiques de financement comme le partenariat public-privé, la concession et la délégation de service public. Elles souhaitent en effet étudier toutes les approches possibles et sont même disposées à aller voir ce qui se fait hors de nos frontières.

Je suis prête à prendre le pari que cette démarche originale portera ses fruits et qu’elle fera émerger un nouveau modèle de financement, plus pertinent et mieux adapté aux réalités économiques actuelles, un modèle qui permettra de maintenir le caractère prioritaire de la desserte de Toulouse par une ligne à grande vitesse et également de respecter le calendrier initial prévoyant une mise en service de cette ligne en 2024. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, de l'UDI-UC et du RDSE.)

Mme la présidente. La parole est à M. Michel Raison, pour le groupe Les Républicains. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. Michel Raison. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, je veux d’abord remercier nos collègues du RDSE d’avoir pris l’initiative d’organiser un débat aussi important et qui concerne si directement l’aménagement du territoire. En effet, s’il est un bel outil d’aménagement du territoire, c’est bien le transport ferroviaire ! À une époque où l’on nous répète à l’envi que les échanges mondiaux sont pourvoyeurs de croissance, on ne va pas nous dire que l’on pourrait se passer des échanges à l’intérieur même de notre pays !

M. Alain Gournac. C’est vrai !

M. Michel Raison. Vous ne me verrez jamais défendre le monde rural sur un mode corporatiste. Ce que je défends, c’est la France, et il n’y a pas, d’un côté, le monde rural et, de l’autre, le monde urbain. L’ensemble des territoires doivent être reliés, d’abord, parce qu’il n’y a pas une sorte de monde urbain et une sorte de monde rural. Il y en a de toutes sortes !

Mme Évelyne Didier. Très bien !

M. Michel Raison. Il faut que nous soyons reliés entre nous pour que la France reste puissante tant sur le plan économique que sur celui du bien-être.

Je suis plutôt optimiste de nature, mais j’exprimerai trois inquiétudes à cette tribune.

Première inquiétude, non seulement on n’a plus les moyens de payer le service de dettes comme celle – entre 40 milliards et 60 milliards d’euros ! – qui pèse sur nos infrastructures ferroviaires, mais l’Agence de financement des infrastructures de transport de France s’est vue privée de plus de 10 millions d'euros à cause de la décision désastreuse de Mme Royal sur l’écotaxe. Il sera maintenant difficile de revenir en arrière ! Et si les régions les plus riches décidaient de rétablir l’écotaxe, cela irait à rebours de la logique de l’aménagement du territoire puisque n’en profiteraient que les infrastructures, tant routières que ferroviaires d’ailleurs, de ces régions.

Deuxième inquiétude, faute d’argent, on va faire, comme on peut le lire dans tous les rapports, une « sélection plus rigoureuse », mais qu’est-ce que cela signifie sinon que l’on va privilégier les routes et les trains à forte fréquentation ? Ainsi, l’écart entre les régions sera encore accentué !

J’en arrive à ma troisième inquiétude. L’État est garant de l’aménagement du territoire, dont les trains d’équilibre du territoire étaient un élément. Un TET, ce n’est pas un TER ! Les TET permettent de remplir une mission régalienne en assurant une liaison ferroviaire entre les villes de province et Paris. Même s’ils se sont parfois transformés en TET, les TGV ont une autre fonction, qui était, à l’origine, de traverser l’Europe. Or, monsieur le secrétaire d'État, l’État vient de décider d’abandonner en rase campagne un certain nombre de TET.

Certes, comme ma collègue Brigitte Micouleau vient de le dire, les régions prennent le dossier à bras-le-corps, mais elles ne font pas de gaieté de cœur ! Elles n’ont tout simplement pas le choix, sauf à voir les TET disparaître. Je citerai l’exemple de la ligne Paris-Belfort-Mulhouse, qui concerne l’Île-de-France, le Grand Est et la Bourgogne-Franche-Comté. Le déficit est de 30 millions d'euros, paraît-il – je le crois un plus élevé. Or la dotation de l’État est de 13 millions d'euros…

Contrairement à ce que prévoit la Constitution, on ne cesse de diminuer les dotations des régions et de procéder à des transferts de compétences sans les assortir du financement correspondant complet. Je vous renvoie à mon exemple : comment voulez-vous que les régions arrivent à compenser un déficit de 30 millions d'euros avec une dotation de 13 millions d'euros ? Peut-être les régions les plus riches pourront-elles faire payer un peu plus leurs contribuables pour compenser le manque, mais cela ne durera pas longtemps !

Je m’inquiète donc de la pérennité des TET. Pour le moment, les régions se battent pour essayer de les maintenir. Le risque, c’est de les voir petit à petit se transformer en TER. Nos territoires seront à nouveau complètement séparés les uns des autres !

Voilà les quelques inquiétudes que je souhaitais soumettre à notre noble assemblée. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, de l'UDI-UC et du RDSE. – M. Ronan Dantec applaudit également. )

Mme la présidente. La parole est à M. le secrétaire d'État.

M. Alain Vidalies, secrétaire d'État auprès de la ministre de l'environnement, de l'énergie et de la mer, chargée des relations internationales sur le climat, chargé des transports, de la mer et de la pêche. Madame la présidente, mesdames, messieurs les sénateurs, je veux d’abord remercier le groupe du RDSE d’avoir suscité l’organisation de ce débat non seulement parce qu’il porte sur un sujet passionnant, mais aussi parce qu’il est politique. Chacun d’entre vous a souligné, à juste raison, l’importance majeure de la mobilité dans la vie quotidienne de nos concitoyens. Je le rappelle, nous parlons, tous chiffres confondus, de 15 000 trains qui transportent six millions de personnes par jour ! J’espère donc que le thème de la mobilité trouvera la place qui lui revient dans les débats à venir.

Les propositions sont attendues et bienvenues ! À cet égard, je tiens à remercier notamment MM. Maurey et Nègre, qui ont commencé à évoquer des solutions de gestion alternative. Je n’ai pas été surpris par la réponse, qui mérite cependant d’alimenter le débat public. De ce point de vue, l’initiative d’aujourd'hui me paraît tout à fait pertinente.

Deux ans après le vote de la loi portant réforme ferroviaire et alors que les échéances de l’ouverture à la concurrence sont désormais connues, notre système ferroviaire est, vous l’avez dit, à la croisée des chemins.

Dans ce contexte, il me paraît important et sain que la représentation nationale puisse avoir ce débat, sur des bases justes et des chiffres partagés. À ce propos, je me dois de revenir sur certains chiffres qui ne sont jamais cités parce qu’ils figurent dans le budget de l’État et que l’on n’en parle plus.

Je pense notamment à la dotation d’équipement des territoires ruraux, ainsi qu’aux droits de passage des TER, qui sont payés par le budget de l’État. Il ne s’agit pas d’une petite somme : 1,4 milliard d’euros sont inscrits à cet effet dans la loi de finances. J’ajoute que cela ne concerne pas la région parisienne. Je le dis à l’intention de M. Bertrand : dans une approche qui englobe la ruralité – approche qui est juste et que je partage, moi qui suis aussi originaire d’un département rural –, les sommes extrêmement importantes qui lui sont allouées dans le budget de l’État ne doivent pas être oubliées. La solidarité nationale est bien au rendez-vous !

Il faut aussi être attentif aux exemples que l’on donne. Je veux m’adresser ici à M. Maurey et dissiper une confusion au sujet de la commande de six rames à Alstom. Elle est destinée non au Lyon-Turin, mais à la ligne Paris-Milan-Turin, qui existe depuis un bon moment – elle ne sera pas mise en service en 2030 ! S’il faut changer le matériel, c’est parce que – quoi qu’on puisse penser de cette décision – les Italiens ont décidé de modifier leur mode de signalétique.

Au-delà de ces questions, vous avez cependant bien posé le problème. Nous avons en effet besoin de réfléchir aux enjeux dans le cadre de la transition énergétique. Le transport ferroviaire a évidemment, à l’heure où l’accord de Paris sur le climat entre en vigueur, toute sa place dans la réponse que nous devons apporter à ce défi.

Là aussi, regardons les faits. Peut-être faut-il dépasser les deux simples formules que sont « l’État stratège » et « l’ouverture à la concurrence », et aller un peu plus dans le détail pour examiner les réalisations. Je suis d’autant plus à l’aise pour en parler qu’elles n’ont pas été le fait de ce seul gouvernement.

Je tiens à le redire, quoi qu’en pense la Cour des comptes, on devrait à mon sens mettre en exergue l’existence de l’AFITF. En effet, elle dispose de 2,1 milliards d'euros de ressources qui toutes proviennent de la route, mais qui sont destinées pour l’essentiel – à hauteur de 80 % – à financer des dépenses pour le rail et le fluvial.

Quand on parle de transition énergétique et de report modal, il faut donc avoir ces chiffres à l’esprit. La mécanique est extrêmement importante. Sur le principe, souvenons-nous que nous avons l’outil et la politique, politique qui s’inscrit bien sûr dans une stratégie de long terme et que pratiquement tous les gouvernements ont d’ailleurs appliquée.

Je tiens à évoquer – vous ne l’avez pas fait aujourd’hui – la révolution numérique, qui est à l’origine du développement de nouvelles formes de mobilité et de nouveaux services, comme le covoiturage et le transport aérien low cost. Que l’on parle de clients ou d’usagers, selon ses choix ou la sémantique retenue, de toute façon, le résultat est le même : des choix sont faits par ceux qui accèdent à ces nouvelles formes de mobilité.

Cette révolution numérique est à la fois un problème et une solution : on voit bien qu’elle ouvre, aujourd’hui, des marges de progression considérables, notamment en termes d’efficacité et de compétitivité, pour tous les modes de transport, y compris le chemin de fer.

Enfin, s’agissant de l’ouverture à la concurrence, le quatrième « paquet ferroviaire » et les échéances retenues –2020 pour le réseau commercial, 2023 pour le réseau concédé – ne relèvent pas de décisions de la France. La situation en Europe est assez diverse, mais on trouve aussi, dans les principaux pays voisins du nôtre, un grand opérateur historique.

Je rappelle que l’ouverture à la concurrence du réseau concédé, en 2023, relèvera d’une décision des autorités concédantes. En effet, le texte sur lequel l’ensemble des pays européens se sont mis d’accord laisse à ces autorités la possibilité de maintenir une relation avec l’opérateur historique : cela s’appelle la responsabilité politique. Gardons bien à l’esprit que cette alternative existe et qu’il faut se préparer à cette échéance.

Dans cette perspective, quelle a été la démarche de l’État ? Comme la question de l’ouverture à la concurrence sur les lignes concédées se pose, essentiellement, aux responsables des régions, j’ai proposé à M. Richert, président de l’Association des régions de France, d’engager un travail en commun préalablement à l’expérimentation. Cette expérimentation, sur laquelle nous sommes d’accord, pourrait se dérouler en 2018-2019, mais il faut absolument accomplir ce travail préalable, pour répondre aux deux questions suivantes.

En premier lieu, sur quelles lignes faire l’expérimentation ? Elle ne peut être menée uniquement sur des lignes a priori rentables : en vue de l’ouverture à la concurrence, il faudra faire des lots, pour éviter que celle-ci ne concerne que les lignes rentables, les autres continuant à relever d’une gestion publique. À ceux qui nous reprochent de ne pas aller assez vite, j’indique que M. Richert et moi-même sommes d’accord quant à la démarche et à la nécessité de travailler ensemble : un échange de courriers entre nous en atteste.

En second lieu, quel sera le statut des personnels lorsqu’un lot aura été attribué à une entreprise autre que l’opérateur historique ? M. Maurey a déclaré que ce ne pourrait être le statut actuel des cheminots. C’est intéressant, car cela n’avait jamais été dit de façon aussi précise dans le débat public. Je pense pour ma part qu’il faudra préalablement régler certaines questions juridiques. Nous sommes convenus de le faire dans les prochains mois, afin de clarifier les choses avant que commence la phase d’expérimentation.

La perspective de l’ouverture à la concurrence imposera également de clarifier l’organisation de la gestion des gares de voyageurs. Le Gouvernement remettra bientôt au Parlement un rapport qui écartera un certain nombre de pistes et laissera ouverte l’alternative entre la création d’un nouvel EPIC et la mise en place d’une nouvelle filiale de SNCF Réseau.

Dans ce contexte, la réforme ferroviaire, qui ne remonte qu’à 2014 et s’est avérée extrêmement complexe à définir, notamment en matière de transfert de personnel, avait pour ambition de remettre l’opérateur historique sur une trajectoire vertueuse. Il s’agissait, en particulier, d’assurer un transport ferroviaire performant et le retour à l’équilibre économique.

La naissance d’un nouveau groupe public profondément réorganisé, à l’été 2015, est le signe que nous sommes capables de relever les défis, ce dont certains doutaient.

Nous avons constaté l’adoption, prévue par la réforme, d’un nouveau cadre social harmonisé de haut niveau. Le point le plus important, dans ce processus, est le passage d’un système réglementaire, où le statut du personnel et les conditions de travail étaient fixés par décret, à un système conventionnel. Il ne faut pas oublier que cela constitue l’acquis principal de la réforme et que les organisations syndicales ont participé à cette démarche. Demain, c’est donc via un accord que l’on pourra modifier ou adapter ce cadre.

Concernant le fret, la différence de compétitivité entre les acteurs privés et l’opérateur historique – ce secteur est ouvert à la concurrence depuis 2006 –, évaluée initialement entre 20 % et 25 %, a été réduite à peu près de moitié parce que l’accord de branche a permis de rapprocher les situations. Les entreprises privées, dont l’accord était nécessaire, ont permis, avec l’opérateur historique, la signature de cet accord de branche. Je les en remercie : ce n’est pas rien que d’être parvenus à établir un système conventionnel, avec un accord de branche et un accord d’entreprise qui a lui-même retenu le principe d’adaptation par accord majoritaire au niveau local. Cela peut constituer un instrument important pour les opérateurs régionaux de demain.

La modernisation du service public ferroviaire se traduira par la conclusion de contrats de performance entre l’État et le groupe public ferroviaire. Ces contrats seront d’une durée de dix ans, avec actualisation tous les trois ans. Je concède que le calendrier n’est pas forcément respecté – les sujets sont complexes –, mais ils sont en cours de finalisation ; ils sont précis et intègrent des engagements de progrès, de performance économique et opérationnelle, en vue de la modernisation du service public ferroviaire.

La loi de 2014 prévoyait aussi la remise, par le Gouvernement, d’un rapport stratégique d’orientation. Il a été soumis pour avis au Haut Comité du système de transport ferroviaire le 14 septembre dernier. Nous sommes convenus, avec l’ensemble des acteurs représentés au sein du Haut Comité du système de transport ferroviaire, qu’il serait remis au Parlement avec leurs avis.

Quelles doivent être, aujourd’hui, nos priorités ?

La première d’entre elles n’a pas encore été évoquée dans ce débat : c’est la sécurité. Les accidents survenus ces dernières années nous ont rappelé que la sécurité n’est pas un acquis et doit faire l’objet d’une mobilisation sans relâche de tous les acteurs. Je le redis, il doit y avoir un avant et un après Brétigny ! C’est la raison pour laquelle, dès mon entrée en fonctions, j’ai créé un comité de suivi de la sécurité ferroviaire, qui se réunit deux fois par an. Sa mission est de s’assurer de la mobilisation totale des acteurs pour mettre en œuvre les recommandations du Bureau d’enquêtes sur les accidents de transport terrestre, le BEATT, et de faire toute la transparence à l’égard des associations de voyageurs ou de victimes d’accidents collectifs et des organisations syndicales, qui participent à ce comité.

La sécurité, c’est aussi et d’abord la maintenance du réseau, dont certains d’entre vous ont évoqué le vieillissement. Les choix qui ont été faits à un moment donné ont mené à des arbitrages, compte tenu de la contrainte financière. En particulier, la décision majeure a été prise de réaliser quatre lignes à grande vitesse, pour un montant de 5 milliards d’euros. Or un lien presque automatique s’établit, dans les budgets successifs, entre la diminution des crédits de maintenance et de tels choix.

La maintenance, c’est d’une part l’entretien quotidien, d’autre part la régénération des lignes. Les collectivités connaissent bien ce dilemme : quand on ne peut pas refaire la route, on bouche les trous ! C’est exactement ce qui s’est passé dans le domaine ferroviaire. Le montant des crédits était tombé, à un moment donné, à 3 milliards d’euros, presque exclusivement consacrés au traitement des urgences, alors que les travaux de régénération étaient abandonnés. Il est logique de constater ensuite un vieillissement du réseau ! On nous parle d’État stratège, mais cette stratégie-là nous a menés dans le mur…

Nous avons donc rompu avec elle. Pour la première fois depuis des années, le projet de loi de finances prévoit de consacrer davantage de crédits à la régénération qu’à la maintenance ordinaire. Cela ne suffira pas : il faudra probablement maintenir cet effort pendant huit à dix ans pour remettre à niveau notre réseau ; sinon, des lignes devront être fermées.