M. Christian Cambon. Très bien !

M. Vincent Delahaye. Or, quand le taux de logements sociaux atteint plus de 80 % dans certains quartiers, on ne peut pas parler de mixité sociale. Tout le monde est d’accord. Ce constat étant fait, je regrette que le terme même de promoteur déplaise à certains, notamment aux auteurs de la proposition de loi.

Mme Brigitte Gonthier-Maurin. C’est la spéculation qui nous déplaît !

M. Vincent Delahaye. Pourquoi les promoteurs ne devraient-ils pas être respectés ? Il faut bien avoir à l’esprit qu’ils ne construisent pas que des logements de haut standing, contrairement à ce que j’entends toujours : ils construisent également des logements accessibles aux catégories moyennes, qui sont, elles aussi, dignes d’intérêt. Comme tout le monde n’a pas vocation à aller en logement social, toute commune doit avoir pour objectif d’organiser un parcours résidentiel pour certaines catégories d’habitants. Or je ne pense pas que les dispositions prévues dans ce texte en faveur d’une mixité sociale à l’aveugle, c’est-à-dire imposée de façon indifférenciée, avec des contraintes supplémentaires pour les élus locaux, soient bienvenues.

Pour moi, la mixité sociale est à la fois un état et un processus. Il s’agit, sur un même territoire, de la cohabitation de groupes sociaux aux caractéristiques diverses, d’une part, d’un processus dynamique et évolutif destiné à faciliter la cohabitation de groupes différents par l’âge, la nationalité, le statut professionnel, les revenus, d’autre part, afin d’avoir une répartition plus équilibrée des populations.

Face à cet état et à ce processus, faire de la construction de logements sociaux le seul moyen de favoriser la mixité sociale est finalement très réducteur et, somme toute, assez vain. À la construction sans discernement de logements sociaux, je préfère, comme je l’ai déjà indiqué, la solution du « parcours résidentiel », plus dynamique, qui doit permettre aux habitants d’évoluer tout en restant dans leur quartier, celui qu’ils aiment. À cet égard, l’accession sociale à la propriété est un levier important dans un parcours résidentiel.

La taille des appartements est également primordiale : il faut en prévoir d’assez grands pour accueillir des familles de plusieurs enfants.

Le taux de logements sociaux ne doit pas être non plus trop élevé, car il faut pouvoir attirer tous les types de population. Favoriser l’émergence et le dynamisme de la vie associative est également important.

En outre, il faut bien sûr des équipements publics : écoles, collèges et lycées, équipements sportifs et culturels, mais aussi des transports. C’est en cela que le Grand Paris Express sera utile pour favoriser la mixité sociale.

Cependant, il ne faut pas demander tout et n’importe quoi au Grand Paris Express. C’est un projet ambitieux pour l’Île-de-France du XXIe siècle, qui doit permettre de dynamiser le développement économique et la création d’emplois. À ce titre, il est utile aux populations. Certes, il ne faut pas croire qu’il apportera à lui seul mixité sociale et bien-être à tous les habitants de la région : pour autant, il doit être réalisé rapidement, car il s’agit d’un beau projet.

Madame la ministre, mes chers collègues, je profite de ce débat pour rappeler la proposition que j’ai faite, non seulement à ce gouvernement, mais aussi au gouvernement précédent, de financer la réalisation du Grand Paris Express par une taxe sur les plus-values foncières. En effet, un investissement public de cette ampleur apporte une valeur ajoutée à un territoire. Aussi, que la puissance publique puisse en récupérer une partie pour financer son investissement me paraît économiquement intelligent. À mon sens, c’est ce qu’il nous faut rechercher aujourd’hui. Il s’agirait non pas d’une taxe supplémentaire, mais d’une taxe économiquement intelligente, qui permettrait de financer rapidement l’ensemble du Grand Paris Express, dont le montant est évalué entre 25 milliards d'euros et 30 milliards d’euros. Ce projet, je le répète, est très utile pour notre territoire, car il dynamisera l’emploi, la croissance économique et permettra à nos populations de vivre mieux.

En conclusion, je le répète, je suis d’accord pour avoir un débat sur la mixité sociale. Il faut la rechercher dans toutes les villes, pas seulement dans celles qui ont été montrées du doigt tout à l’heure. À cette condition, la mixité sociale ne peut qu’être positive pour l’ensemble de nos concitoyens. (Mme la rapporteur applaudit.)

M. le président. La parole est à Mme Aline Archimbaud.

Mme Aline Archimbaud. Monsieur le président, madame la ministre, madame la rapporteur, mes chers collègues, les membres du groupe CRC nous soumettent aujourd’hui un texte qui s’inscrit dans la lignée des préoccupations à l’origine du projet de loi relatif à l’égalité et à la citoyenneté, dont nous avons débattu assez longuement ces dernières semaines. Il vise à faire du Grand Paris Express un outil d’intégration spatiale de populations modestes, pour l’instant très souvent reléguées dans des banlieues lointaines, surtout lorsque l’on raisonne en temps passé dans les transports publics, quand ceux-ci existent.

La création du Grand Paris Express doublera le réseau de transport en région parisienne dans la décennie 2020, en créant quatre nouvelles lignes et soixante-huit gares. C’est l’occasion de désenclaver des villes et des quartiers qui sont pour l’instant dépourvus d’infrastructures satisfaisantes en matière de transports. Pour autant, ce désenclavement ne doit pas se faire au détriment de ceux qui habitent déjà sur ces territoires, en renforçant les ghettos, en créant un système de millefeuille, avec une succession de quartiers favorisés et de quartiers moins favorisés. C’est là une vive préoccupation.

Le groupe écologiste partage totalement les inquiétudes exprimées par Christian Favier sur le très fort risque d’éviction des populations les plus modestes, en particulier les familles, qui vivent pour l’instant près des lieux d’implantation des futures gares, mais qui, lorsque les lignes seront en fonctionnement et que le prix du foncier aura augmenté, voire flambé, seront progressivement poussées à partir. Certes, l’augmentation n’est pas encore visible malgré le lancement du projet de nouvelles lignes, ces dernières n’étant en marche que dans six ans au plus tôt. Nous verrons ce qu’il en sera dans quelques années, mais je ne vois pas pourquoi le résultat différerait de celui que nous avons toujours constaté en cas de création ou d’extension de lignes de transports : les infrastructures s’améliorant et les temps de transport se réduisant, les prix augmentent. De nombreux exemples pourraient être pris. Ainsi, à Saint-Ouen, ville concernée par le prolongement de la ligne 14, les prix de l’immobilier ont augmenté de 10 % ces dernières années, selon les estimations de plusieurs agences immobilières. Lorsque l’immobilier augmente, les catégories de population aux plus faibles revenus doivent progressivement déménager pour trouver des endroits où elles peuvent payer un loyer – et c’est toujours plus loin.

Cette proposition de loi permet de prévenir cette situation en établissant un pourcentage de 30 % de logement social dans toutes les constructions, publiques et privées, de plus de douze logements ou de plus de 800 mètres carrés de surface, situées dans un rayon de quatre cents mètres autour des futures gares du Grand Paris Express. Cela favoriserait la mixité sociale en permettant à des populations, qui sont pour l’instant loin de tout, de pouvoir se loger près des transports, une fois qu’ils auront été construits, de profiter de tous les commerces et de tous les services qui les accompagneront.

Même si le Sénat l’a vidée de son sens, la loi SRU prévoit encore – pour l’instant – que les communes doivent se doter de 25 % de logements sociaux minimum. Cependant, avec la montée de la spéculation, on peut raisonnablement penser que ces logements se trouveront dans les endroits où le foncier est moins cher, c’est-à-dire plus loin des transports.

L’objectif de ce texte est donc bien de favoriser aussi la mixité sociale près des nœuds de transport public. Avec le dispositif proposé, on pourrait imaginer que 30 % de logements sociaux y seraient situés prioritairement, tandis que les autres quartiers de la ville, plus éloignés des transports, pourraient avoir moins de logements sociaux pour arriver à une moyenne de 25 %. Cela nous paraît aller dans le bon sens.

Des critiques ont été émises sur le fait que, dans cette proposition de loi, les logements financés en prêts locatifs sociaux ne sont pas inclus dans les 30 %. Or, mes chers collègues, 75 % des 1,8 million de demandes de logements sociaux correspondent aux plafonds de ressources des logements financés en prêts locatifs aidés d’intégration, PLAI, et 5 % aux plafonds de ressources financés en prêts locatifs sociaux, PLS. Ce texte répond donc non seulement au besoin de mixité sociale, mais aussi à celui de logements financés en PLS.

Je formulerai deux remarques au nom du groupe écologiste.

D’une part, nous comprenons l’argument de Mme la rapporteur, qu’a repris pour partie Mme le ministre, selon lequel certaines villes concernées par la mesure ont déjà beaucoup de logements sociaux, jusqu’à plus de 80 % pour certaines d’entre elles, ces logements étant situés près des sites où seront implantées les gares, ce qui est à vérifier. Nous souhaitons donc que la navette parlementaire contribue à enrichir la proposition de loi.

Un amendement, que nous n’avons malheureusement pas eu le temps de déposer, pourrait être présenté à l’Assemblée nationale, visant à préciser que les communes qui comptent déjà plus de 50 % de logements sociaux ne seront pas concernées par cette mesure ; une dizaine de villes seraient ainsi exclues du dispositif. D’autre part, nous souhaitons – ce sera l’objet d’un second amendement – étendre le périmètre en le portant de 400 à 800 mètres, de sorte que le mécanisme soit plus souple.

Je souligne qu’un système de ce type est déjà en place dans certaines communes, notamment en Seine-Saint-Denis, et qu’il fonctionne. C’est le cas à Pantin, ville que je connais bien : le PLU prévoit que, dans tout programme de logements, public ou privé, de plus de 1 800 mètres carrés, hors accession sociale à la propriété, 33 % de ces logements soient affectés au logement social. Cette solution n’a donc rien d’utopique. Cela marche et favorise la fluidité, la mixité et, partant, le « vivre ensemble ».

Madame la ministre, mes chers collègues, vous l’aurez compris, le groupe écologiste votera ce texte, en formant le vœu que nos deux amendements seront examinés dans le cadre de la navette parlementaire. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC. – Mmes Delphine Bataille et Evelyne Yonnet applaudissent également.)

M. le président. La discussion générale est close.

La commission n’ayant pas élaboré de texte, nous passons à la discussion de l’article unique de la proposition de loi initiale.

proposition de loi visant à garantir la mixité sociale aux abords des gares du grand paris express

Discussion générale (suite)
Dossier législatif : proposition de loi visant à garantir la mixité sociale aux abords des gares du Grand Paris Express
Article unique (fin)

Article unique

L’article premier de la loi n° 2010-597 du 3 juin 2010 relative au Grand Paris est ainsi modifié :

1° Le troisième alinéa est complété par les mots :

« et à la mixité sociale, y compris en cœur urbain » ;

2° Après le troisième alinéa, il est inséré un alinéa ainsi rédigé :

« Dans un périmètre de 400 mètres autour des gares nouvelles du grand Paris, toute opération nouvelle de construction d'immeubles collectifs, de plus de douze logements ou de plus de 800 mètres carrés de surface plancher doit comprendre au moins 30 % de logements locatifs sociaux, hors logement financé dans le cadre d'un prêt locatif social. »

Vote sur l'ensemble

M. le président. Avant de mettre aux voix l'ensemble de la proposition de loi, je donne la parole à M. Christian Cambon, pour explication de vote.

M. Christian Cambon. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, si je ne doute pas des bonnes intentions de M. Christian Favier, qui préside par ailleurs le conseil général où je siège, je suis assez étonné que cette initiative vienne d’un élu de l’est parisien. En effet, pour avoir du sens, cette proposition de loi aurait dû obliger les concepteurs du réseau de gares du Grand Paris Express à développer non pas les logements sociaux, mais plutôt les activités commerciales et de services, ainsi que les emplois à proximité des gares !

Va-t-on enfin s’attaquer au déséquilibre est-ouest en région parisienne et faire en sorte que cesse cette gigantesque migration qui voit, tous les matins, des centaines de milliers de Franciliens rejoindre leurs emplois à l’ouest ?

S’il y a un combat à mener, c’est bien celui du rééquilibrage entre les différentes sous-régions de la région d’Île-de-France, en brisant littéralement cette contrainte que des centaines de milliers de Franciliens doivent supporter chaque jour en prenant des transports en commun qui sont plus qu’incommodes, insécurisés et sujets à des pannes multiples. Vous le savez, la ligne A du RER transporte un million de voyageurs chaque jour. J’y insiste pour que nos collègues de province se rendent compte de la problématique propre à cette région.

En tant qu’élu, lui aussi, de l’est parisien, M. Favier partage sans doute avec nous la préoccupation de mieux équilibrer les différents secteurs de la région parisienne et d’éviter que le réseau du Grand Paris Express n’intensifie les migrations. Il ne faudrait pas que les Franciliens soient encouragés à passer encore plus de temps dans les transports pour se rendre à leur travail, sous prétexte que le réseau se sera amélioré.

Une proposition intelligente aurait consisté à imposer 30 % ou 40 % d’emplois, de commerces, de services, d’entreprises, d’immeubles intelligents, de laboratoires autour des gares. Ainsi, nous irions dans le bon sens.

Mme Annie David. Les deux ne sont pas incompatibles !

M. Christian Cambon. Les logements sociaux, c’est un autre débat. Je le répète, dans les départements de l’est de Paris, la difficulté réside dans l’éloignement de l’emploi par rapport au domicile.

Notre groupe aurait pu soutenir un texte un peu plus ajusté visant à multiplier les activités et les créations d’emplois, et non pas généraliste comme celui-ci. Il ne peut donc voter cette proposition de loi en l’état.

M. le président. La parole est à M. Christian Favier, pour explication de vote.

M. Christian Favier. Je souhaite répondre à certaines des critiques et réserves qui ont été formulées.

On me dit qu’un certain nombre de communes concernées par les gares du Grand Paris Express auraient d’ores et déjà très largement dépassé le seuil des 25 %, voire des 30 % de logements sociaux. J’en conviens, mais l’important est de savoir où se situent précisément ces logements dans ces communes. Sont-ils à proximité des gares du Grand Paris Express ? Malheureusement, tel n’est pas souvent le cas. Par exemple, à Champigny-sur-Marne, où j’habite, les logements sociaux sont pour l’essentiel très excentrés – ils se trouvent même à la périphérie de la ville –, donc très éloignés des deux futures gares.

La question fondamentale qui se pose est de savoir si les habitants de condition modeste auront la possibilité de vivre à proximité des gares du Grand Paris Express. C’est au demeurant la raison pour laquelle nous avons retenu un rayon de 400 mètres. Ces habitants devront pouvoir accéder à pied à ce réseau, sans avoir à prendre un bus supplémentaire ou à utiliser leur véhicule particulier. À Paris, il y a une station de métro tous les cinq cents mètres. Pourquoi les populations de banlieue seraient-elles privées d’un accès facilité à ce grand réseau de transport ?

Par ailleurs, Mme la ministre a souligné qu’un certain nombre de gares ne seraient pas localisées dans des zones d’habitation. Ainsi, à proximité des aéroports, notamment à Orly, il n’est pas envisagé de faire du logement social. Bien évidemment, dans ces territoires, où le taux est parfois de 0 % actuellement, la situation ne bougera pas. La proposition de loi tend à fixer un objectif, non de construction, mais d’équilibre et de proportion dans les constructions nouvelles, et uniquement dans ce cadre. Par exemple, s’il y a déjà 83 % de logements sociaux dans une commune, les constructions nouvelles comprendront 30 % de logements sociaux et donc 70 % de logements non sociaux. Dans ces villes-là, la proportion de logements sociaux diminuera donc mécaniquement. C’est assez simple à comprendre.

Par ailleurs, je partage les propos de M. Cambon concernant le rééquilibrage est-ouest. C’est vrai, l’est parisien devait bénéficier de plus de créations d’emplois et de l’implantation de bureaux et d’entreprises, mais le projet que nous défendons n’est absolument pas contradictoire avec ce souhait.

M. le président. Veuillez conclure, mon cher collègue !

M. Christian Favier. En l’occurrence, nous nous attaquons à un problème particulier, celui du logement, ce qui n’exclut pas que les maires profitent de la création de ces gares pour répondre à des besoins en termes d’emplois. Encore faudrait-il qu’un certain nombre de mesures soient prises pour augmenter les ressources des collectivités locales et non pas les réduire, comme c’est le cas aujourd’hui.

M. le président. Personne ne demande plus la parole ?…

Je mets aux voix l'article unique constituant l’ensemble de la proposition de loi.

J'ai été saisi d'une demande de scrutin public émanant du groupe CRC.

Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l'article 56 du règlement.

Le scrutin est ouvert.

(Le scrutin a lieu.)

M. le président. Personne ne demande plus à voter ?…

Le scrutin est clos.

J'invite Mmes et MM. les secrétaires à procéder au dépouillement du scrutin.

(Il est procédé au dépouillement du scrutin.)

M. le président. Voici, compte tenu de l’ensemble des délégations de vote accordées par les sénateurs aux groupes politiques et notifiées à la présidence, le résultat du scrutin n° 39 :

Nombre de votants 343
Nombre de suffrages exprimés 343
Pour l’adoption 30
Contre 313

Le Sénat n'a pas adopté.

Mes chers collègues, nous allons interrompre nos travaux pour quelques instants.

La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à dix-sept heures quarante, est reprise à dix-sept heures cinquante.)

M. le président. La séance est reprise.

Article unique (début)
Dossier législatif : proposition de loi visant à garantir la mixité sociale aux abords des gares du Grand Paris Express
 

7

Demande de création d’une commission d’enquête

M. le président. Par lettre en date du 26 octobre 2016, M. Jean Desessard, président du groupe écologiste, a fait connaître à M. le président du Sénat que son groupe exerçait son droit de tirage, en application de l’article 6 bis du règlement, pour la création d’une commission d’enquête sur la réalité des mesures de compensation engagées sur des grands projets d’infrastructures, intégrant les mesures d’anticipation, les études préalables, les conditions de réalisations et leur suivi dans la durée.

La conférence des présidents sera saisie de cette demande de création lors de sa prochaine réunion.

8

Communication du Conseil constitutionnel

M. le président. Le Conseil constitutionnel a informé le Sénat, le 27 octobre 2016, qu’en application de l’article 61-1 de la Constitution le Conseil d’État lui avait adressé une décision de renvoi d’une question prioritaire de constitutionnalité portant sur les dispositions du h du II de l'article 244 quater B du code général des impôts (Exclusion du crédit impôt recherche pour les entreprises non industrielles du secteur textile) (2016-609 QPC).

Le texte de cette décision de renvoi est disponible à la direction de la séance.

Acte est donné de cette communication.

9

Conférence internationale sur l’évasion fiscale

Débat organisé à la demande du groupe communiste républicain et citoyen

M. le président. L’ordre du jour appelle le débat relatif à l'organisation d'une conférence internationale sur l'évasion fiscale, organisé à la demande du groupe communiste républicain et citoyen.

La parole est à M. Éric Bocquet, orateur du groupe auteur de la demande.

M. Éric Bocquet, au nom du groupe communiste républicain et citoyen. Monsieur le président, madame la secrétaire d'État, mes chers collègues, nous voulons profiter de cette niche consacrée aux débats parlementaires pour parler de nouveau et inlassablement de ce magnifique sujet qu’est l’évasion fiscale internationale. Certains objecteront peut-être que le groupe communiste républicain et citoyen va encore une fois dérouler son couplet habituel sur la question.

Mme Nathalie Goulet. Ce n’est pas grave !

M. Éric Bocquet. Madame la secrétaire d'État, vous me permettrez d’aborder un sujet peu habituel dans notre Haute Assemblée, à savoir le championnat de football national. (Sourires. – Mme Nathalie Goulet et M. Jacques Chiron s’exclament.) Cela peut en effet surprendre, mais je souhaite évoquer la situation d’un grand club français, l’Olympique de Marseille. Mon propos concernera non ses résultats sportifs, mais bien plutôt sa nouvelle situation administrative.

Vous le savez sans doute, ce club légendaire vient d’être acheté par un milliardaire américain, M. Frank McCourt, promoteur immobilier de son état, ancien propriétaire du club de baseball des Dodgers de Los Angeles. Si j’en parle, c’est parce que la holding qui assurera la gestion de l’Olympique de Marseille va s’installer dans l’État américain du Delaware,… (Exclamations sur les travées du groupe CRC. – M. André Gattolin s’exclame également.)

Mme Nathalie Goulet. Ah, nos chers amis du Delaware ! (Sourires.)

M. Éric Bocquet. … qui, comme chacun le sait, héberge 50 % des entreprises cotées à la bourse de New York ! Ces pratiques se nichent partout.

Ce choix n’a rien de touristique.

Mme Annie David. Il s’agit d’évasion fiscale !

M. Éric Bocquet. Il tient évidemment aux facilités juridiques offertes par l’État en question, ainsi qu’à ses vertus fiscales bien connues de toutes les femmes et tous les hommes d’affaires aux États-Unis, y compris de M. Trump et de Mme Clinton, d’ailleurs ! (Sourires.)

Le sujet a resurgi la semaine dernière, lorsque nous avons appris que les neuf sages du Conseil constitutionnel avaient décidé de rejeter le registre public des trusts, estimant que ce registre portait « une atteinte manifestement disproportionnée » au respect de la vie privée.

M. Éric Bocquet. Les sages de la rue de Montpensier ont considéré que la mention de ces noms dans un registre accessible au public fournissait « des informations sur la manière dont une personne entend disposer de son patrimoine » et qu’il en résultait « une atteinte au droit au respect de la vie privée ». Voilà qui nous laisse cois !

Chacun le sait, les trusts sont des entités juridiques qui permettent à des personnes physiques ou à des sociétés de transférer des actifs à une personne de confiance qui les gère selon les consignes qui lui sont données. Ces montages permettent également de dissimuler l’identité des véritables ayants droit. Notre pays avait décidé de créer un registre listant ces structures controversées après que le scandale des Panama papers a éclaté au mois d’avril dernier. Selon nous, la décision du Conseil constitutionnel est tout à fait contraire à l’intérêt général, à l’intérêt de la République et de l’ensemble de nos concitoyens. Ces trusts sont en effet l’un des outils favorisant l’opacité.

La décision du Conseil constitutionnel met en balance la protection de la vie privée et la défense de l’intérêt général. Qui parle encore aujourd’hui des révélations fracassantes des Panama papers voilà quelques mois ? Le consortium international des journalistes d’investigation avait livré des informations hallucinantes dans la presse et révélé le scandale lié à la création de sociétés offshore au Panama, entraînant la démission du Premier ministre islandais et de celle de l’un des membres du gouvernement de Mariano Rajoy en Espagne, ébranlant légèrement le Premier ministre du Royaume-Uni, David Cameron, dont le nom fut cité.

Ces révélations eurent également pour conséquence de pousser la commission des finances du Sénat à auditionner une nouvelle fois M. Oudéa, directeur général de la Société Générale, audition qui – nous le déplorons toujours – n’eut aucune suite judiciaire.

Mme Nathalie Goulet. Absolument !

M. Éric Bocquet. Il faut donc sans cesse remettre l’ouvrage sur le métier.

Mes chers collègues, souvenez-vous des déclarations très volontaristes de l’ancien Président de la République au lendemain du G20 de Londres au mois avril 2009. Il déclarait alors, sur le ton très péremptoire que chacun lui connaît : « Les paradis fiscaux […], c’est terminé ! »

M. Éric Bocquet. Depuis, beaucoup d’eau a coulé sous les ponts et beaucoup de milliards se sont réfugiés sous les climats fiscaux tempérés de territoires exotiques, tels que les Bahamas, les Îles Vierges britanniques ou Singapour.

M. Jean-Claude Requier. Ça fait rêver ! (Sourires.)

M. Éric Bocquet. En effet, après cette condamnation à mort de l’évasion fiscale, nous avons eu droit à une cascade de révélations plus scandaleuses les unes que les autres.

Rafraîchissons-nous un peu la mémoire : OffshoreLeaks, UBS, HSBC, Cahuzac, Luxleaks, Panama papers ou encore, au mois de septembre dernier, les BahamasLeaks avec la découverte de l’existence d’une société offshore aux Bahamas, dont la directrice n’était autre que Neelie Kroes, ancienne commissaire européenne chargée de l’économie numérique, aujourd’hui salariée du groupe Uber.

M. Éric Bocquet. Trop, c’est trop ! Il est temps de passer des paroles aux actes à l’échelle internationale !

À ce stade, il n’est pas inutile de rappeler les effets de l’évasion fiscale sur les peuples et les États.

Les commissions d’enquête du Sénat et de l’Assemblée nationale sur cette question ont montré que les pertes fiscales pour le budget de la République étaient comprises entre 60 milliards d'euros et 80 milliards d’euros chaque année. Rappelons que le déficit pour 2016 est estimé à 74 milliards d’euros !

Pour l’ensemble de l’Union européenne, les pertes s’élèvent à 1 000 milliards d’euros chaque année, soit l’équivalent de six fois le budget de l’Union européenne. Tous les États membres sont donc concernés.

Enfin, selon une étude sérieuse conduite par l’économiste Gabriel Zucman, 8 % de la richesse mondiale serait gérée dans les paradis fiscaux, soit environ 5 800 milliards de dollars.

Mme Annie David. C’est monumental !

M. Éric Bocquet. Les conséquences pour les peuples sont connues : ces pertes fiscales considérables se traduisent par la mise en œuvre de politiques d’austérité et de réduction de la dépense publique qui aggravent les conditions de vie d’une part croissante de nos concitoyens. Afin d’illustrer mon propos, madame la secrétaire d'État, je prendrai l’exemple récent de la multinationale américaine Apple qui, au-delà de sa production de téléphones dits « intelligents », a fait la démonstration de sa capacité à mettre en œuvre une fiscalité très intelligente en Irlande. Rappelons les chiffres : ce ne sont pas moins de 13 milliards d’euros qui ont manqué au budget de la République d’Irlande en quelques années ; 13 milliards d’euros, cela représente 20 % des recettes fiscales de ce pays.

Pourtant, l’Irlande dispose déjà d’un taux d’impôt sur les sociétés très faible en Europe, de l’ordre de 12,5 %. Or nous apprenons que le groupe Apple a bénéficié d’un taux d’imposition effectif de 0,005 % ! (Exclamations ironiques sur les travées du groupe CRC.) Pendant ce temps-là, le peuple irlandais s’est vu imposer une austérité draconienne !

À l’époque, je lisais des articles dans la presse irlandaise qui posaient la question de ce qu’aurait pu faire l’Irlande avec ces 13 milliards d’euros. Première suggestion : cette somme aurait pu servir à construire vingt hôpitaux représentant un coût de 650 millions d’euros chacun. Autre suggestion : cette somme aurait permis de tripler les crédits consacrés à la construction de logements sociaux. Avec cet exemple, le lien entre les conséquences de l’évasion fiscale et les conditions de vie de nos concitoyens est clairement établi.

Ces pratiques intolérables indignent l’opinion à juste titre et semblent avoir déclenché une prise de conscience du problème. L’impôt, c’est la loi. L’impôt, c’est aussi le prix à payer pour vivre dans une société civilisée, comme le déclarait Henry Morgenthau, secrétaire américain au Trésor du président Roosevelt dans les années trente, au plus fort de la crise.

Oui, il est temps de donner à ce combat indispensable pour l’avenir du monde une dimension planétaire !

L’an dernier, la France a accueilli une Conférence des parties climatique, la COP 21, qui a rassemblé tous les pays du monde. L’évasion fiscale et la finance dérégulée depuis plusieurs décennies créent, elles aussi, des trous, non dans la couche d’ozone, mais dans les budgets des États, ceux dits « développés » comme ceux du sud de la planète !

Aussi proposons-nous de mettre en place au plus vite une COP 21 de la grande finance internationale et de la fiscalité. Cet événement rassemblerait tous les États du monde, bien au-delà des pays du G20, les ONG, les élus, les lanceurs d’alerte, les journalistes, les représentants syndicaux, toutes celles et tous ceux qui combattent ce fléau planétaire depuis des années et formulent des propositions concrètes.

Cette COP 21 financière et fiscale fixerait alors une feuille de route dont les principaux objectifs consisteraient à ouvrir d’abord le chantier de l’harmonisation fiscale,…