Présidence de Mme Françoise Cartron

vice-présidente

Secrétaires :

M. Claude Haut,

M. Jean-Pierre Leleux.

Mme la présidente. La séance est ouverte.

(La séance est ouverte à quatorze heures trente.)

1

Procès-verbal

Mme la présidente. Le compte rendu analytique de la précédente séance a été distribué.

Il n’y a pas d’observation ?…

Le procès-verbal est adopté sous les réserves d’usage.

2

Mise au point au sujet d’un vote

Mme la présidente. La parole est à M. Daniel Gremillet.

M. Daniel Gremillet. Madame la présidente, lors du scrutin public n° 429, M. Rémy Pointereau a été comptabilisé comme ayant voté pour, alors qu’il souhaitait voter contre. Aussi, je vous remercie de bien vouloir prendre en considération cette demande de rectification de vote.

Mme la présidente. Acte est donné de cette mise au point, mon cher collègue. Elle sera publiée au Journal officiel et figurera ainsi l’analyse politique du scrutin.

3

Modification de l’ordre du jour

Mme la présidente. Mes chers collègues, par lettre en date de ce jour, le Gouvernement a modifié l’ordre du jour de la semaine du 18 juillet, qui s’établit comme suit :

Mardi 19 juillet, à neuf heures trente :

Questions orales ;

À quatorze heures trente :

Nouvelle lecture du projet de loi relatif au travail, à la modernisation du dialogue social et à la sécurisation des parcours professionnels ;

Conclusions des commissions mixtes paritaires sur les propositions de loi et de loi organique rénovant les modalités d’inscription sur les listes électorales.

Le Sénat ne tiendra pas séance le lundi 18 ni le mercredi 20 juillet.

Par ailleurs, lors de sa réunion du 12 juillet, la conférence des présidents a procédé à la répartition des semaines de séance et des espaces réservés aux groupes politiques pour la session ordinaire 2016-2017 et déterminé les dates des questions d’actualité au Gouvernement et des questions orales.

Elle a également, sous réserve de la publication du décret du Président de la République portant convocation du Parlement en session extraordinaire, envisagé un ordre du jour prévisionnel pour le mois de septembre et le début du mois d’octobre 2016 et fixé les modalités d’examen des textes susceptibles d’y être inscrits. Dans l’attente de ce décret et de la lettre d’ordre du jour du Gouvernement, cet ordre du jour conditionnel et prévisionnel a été publié sur le site internet du Sénat, à titre informatif.

4

Organisme extraparlementaire

Mme la présidente. M. le Premier ministre a demandé au Sénat de procéder à la désignation de deux sénateurs appelés à siéger au sein du conseil d’administration de l’Agence nationale de l’habitat.

La commission des affaires économiques a été invitée à présenter des candidatures.

Les nominations au sein de cet organisme extraparlementaire auront lieu ultérieurement, conformément à l’article 9 du règlement.

5

Candidatures à deux commissions mixtes paritaires

Mme la présidente. J’informe le Sénat que la commission des lois a procédé à la désignation des candidats qu’elle présente aux commissions mixtes paritaires chargées d’élaborer un texte sur les dispositions restant en discussion du projet de loi relatif à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique ainsi que de la proposition de loi organique relative à la compétence du Défenseur des droits pour l’orientation et la protection des lanceurs d’alerte.

La liste établie par la commission a été publiée et la nomination des membres de ces commissions mixtes paritaires aura lieu conformément à l’article 12 du règlement.

6

Communication d’un avis sur un projet de nomination

Mme la présidente. En application du cinquième alinéa de l’article 13 de la Constitution ainsi que de la loi organique n° 2010-837 et de la loi n° 2010-838 du 23 juillet 2010 prises pour son application, la commission des affaires économiques s’est prononcée par dix voix pour et dix voix contre sur le projet de nomination de M. Philippe Mauguin aux fonctions de président de l’Institut national de la recherche agronomique.

7

Demande par une commission des prérogatives d'une commission d'enquête

Mme la présidente. L’ordre du jour appelle l’examen d’une demande de la commission des lois tendant à obtenir du Sénat, en application de l’article 5 ter de l’ordonnance n° 58-1100 du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires, qu’il lui confère, pour une durée de six mois, les prérogatives attribuées aux commissions d’enquête pour mener à bien une mission d’information sur la rénovation de la justice.

Il a été donné connaissance de cette demande au Sénat lors de sa séance du mercredi 29 juin 2016.

Personne ne demande la parole ?…

Je mets aux voix la demande de la commission des lois.

(Cette demande est adoptée.)

Mme la présidente. En conséquence, la commission des lois se voit conférer les prérogatives attribuées aux commissions d’enquête, pour une durée de six mois, c’est-à-dire jusqu’au 13 janvier 2017, pour mener à bien une mission d’information sur la rénovation de la justice.

8

 
Dossier législatif : projet de loi de règlement du budget et d'approbation des comptes de l'année 2015
Discussion générale (suite)

Règlement du budget de l'année 2015

Rejet d'un projet de loi en nouvelle lecture

Discussion générale (début)
Dossier législatif : projet de loi de règlement du budget et d'approbation des comptes de l'année 2015
Article liminaire

Mme la présidente. L’ordre du jour appelle la discussion en nouvelle lecture du projet de loi, adopté par l’Assemblée nationale en nouvelle lecture, de règlement du budget et d’approbation des comptes de l’année 2015 (projet n° 785, rapport n° 786).

Dans la discussion générale, la parole est à M. le secrétaire d'État.

M. Christian Eckert, secrétaire d'État auprès du ministre des finances et des comptes publics, chargé du budget. Madame la présidente, mesdames, messieurs les sénateurs, ce projet de loi de règlement vous revient en nouvelle lecture, car vous avez fait le choix, pour la quatrième année consécutive, de le rejeter.

Le rejet du projet de loi de règlement est devenu une option courante depuis quelques années, alors qu’il était exceptionnel avant 2013. Il faut en effet remonter au projet de loi de règlement pour 1998 pour trouver un rejet par votre chambre de ce texte très particulier.

M. Didier Guillaume. Incroyable !

M. Christian Eckert, secrétaire d'État. L’idée de rejeter le projet de loi de règlement a même gagné l’Assemblée nationale puisque, cette année, une grande majorité des députés de l’opposition ont voté contre le texte.

Je voudrais rappeler le contenu de ce projet de loi.

Les quatre premiers articles se contentent de constater des données de l’exécution de l’année 2015. Ils relèvent du domaine obligatoire de la loi de règlement, prévu par l’article 37 de la LOLF, la loi organique du 1er août 2001 relative aux lois de finances, et par l’article 8 de la loi organique du 17 décembre 2012.

L’article liminaire constate le niveau du déficit public nominal qui a été mesuré par l’INSEE et le niveau du déficit structurel dont le calcul a été vérifié par le Haut Conseil des finances publiques.

L’article 1er constate le montant des dépenses et des recettes du budget de l’État en comptabilité budgétaire, ainsi que le solde qui en résulte.

L’article 2 fait état des modalités de financement de l’État, en distinguant les ressources et les charges de trésorerie. C’est le tableau de financement.

L’article 3 établit les comptes de l’État en comptabilité générale, dont je rappelle qu’ils ont été certifiés par la Cour des comptes.

Les articles suivants opèrent, comme il est d’usage, diverses régularisations postérieures à la clôture de l’exercice.

L’article 4 opère, pour chaque programme du budget général, des ajustements mineurs sur les autorisations d’engagement et les crédits de paiement.

L’article 5 procède à des opérations de même nature sur les budgets annexes, de même que l’article 6 sur les comptes spéciaux.

L’article 8 arrête le solde définitif du compte spécial « Liquidation d’établissements publics de l’État et liquidations diverses ».

Enfin, l’article 9 reconnaît d’utilité publique des dépenses engagées dans le cadre d’une gestion de fait.

Ce texte se contente donc de constater l’exécution et de passer des opérations de régularisation comptable. Dès lors, quel sens donner à un vote de rejet de ce projet de loi ?

Je ne pense pas qu’un tel vote s’explique par le contenu du texte. À aucun moment, dans nos débats, je n’ai entendu de mise en cause de la qualité des comptes nationaux établis par l’INSEE ou des comptes de l’État certifiés par la Cour des comptes. Ces comptes sont incontestables et doivent être reconnus comme tels sur l’ensemble des travées.

Alors, quel sens donner à ce vote ? C’est peut-être l’illustration d’un travers de notre époque : la volonté de faire de tout, même du projet de loi le moins contestable, un objet de conflit et de clivage politique.

M. Christian Eckert, secrétaire d'État. Ce travers est vraiment regrettable. Il montre à nos concitoyens que, même sur des sujets qui devraient être consensuels, nous sommes incapables de nous mettre d’accord. L’objet du projet de loi de règlement est, encore une fois, le simple constat factuel de l’exécution, et il n’y a aucune raison objective de le rejeter.

Les comptes de l’État ne sont ni de gauche ni de droite, ils sont sincères ou insincères.

Pour 2015, la Cour des comptes a confirmé la sincérité des comptes de l’État en comptabilité générale et les comptes nationaux établis par l’INSEE ne le sont pas moins. Dans ces conditions, il n’existe aucune raison de rejeter ce texte. C’est pourquoi, mesdames, messieurs les sénateurs, je vous invite à l’adopter. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain.)

Mme la présidente. La parole est à M. le rapporteur général.

M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général de la commission des finances. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, le projet de loi de règlement qui nous revient en nouvelle lecture est identique à celui que notre assemblée a rejeté le 7 juillet dernier. En effet, l’Assemblée nationale est revenue à son texte initial après l’échec de la commission mixte paritaire qui s’est réunie au Sénat. M. le secrétaire d’État ne s’en étonnera donc pas : mon propos ne sera guère différent de celui que j’avais tenu lors de la première lecture.

Pourquoi la majorité sénatoriale sera-t-elle conduite à exprimer un nouveau vote de rejet ?

Si le projet de loi de règlement est une « photographie » de l’exécution budgétaire, comme vient de l’indiquer M. le secrétaire d’État, il ne se résume pas à cela : c’est aussi un document, de nature essentiellement politique, qui reflète des choix budgétaires et fiscaux. Or, ces choix, nous ne les approuvons pas !

La majorité sénatoriale est en profond désaccord avec la politique menée par le Gouvernement, pour les raisons que j’ai eu l’occasion d’exposer, ce matin même, devant mes collègues de la commission des finances, et en séance, lors de la première lecture de ce texte. Le temps qui m’est imparti ne me permettra pas de revenir en détail sur ces éléments, mais je citerai quelques chiffres.

Vous le savez, mes chers collègues, la France enregistre un déficit élevé. Elle figure parmi les quatre derniers pays de la zone euro dont le déficit excède 3 % du PIB. Certes, l’exercice 2015 a été marqué par un recul du déficit, mais ce recul est inférieur à celui relevé en moyenne dans la zone euro.

Quant au déficit de l’État, il doit évidemment être retraité du programme d’investissements d’avenir et de la contribution française au mécanisme européen de solidarité.

M. le secrétaire d’État indiquait que les comptes avaient été certifiés par la Cour des comptes… Certes, ils l’ont été, mais, selon la Cour des comptes – cela figure dans le rapport sur l’exécution du budget de l’État et le Premier président, que nous avons reçu à deux reprises, nous l’a confirmé –, le déficit recule de seulement 300 millions d'euros. Ce chiffre n’a rien à voir avec la diminution de 15 milliards d'euros annoncée par le Gouvernement, si j’en crois une très belle communication que j’avais à l’instant sous les yeux.

On ne peut pas arguer que les comptes sont certifiés et, dans le même temps, ne pas prendre en considération l’intégralité de l’analyse de la Cour des comptes, laquelle, j’y insiste, estime que le recul du déficit ne dépasse pas 300 millions d'euros.

M. Christian Eckert, secrétaire d'État. Je ne conteste pas les chiffres !

M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général de la commission des finances. Autre point, largement souligné sur ces travées, la réduction du déficit public a essentiellement découlé de l’affaissement de l’investissement public local, qui a chuté de 4,6 milliards d’euros en 2015.

Le taux des prélèvements obligatoires a certes légèrement baissé – de 0,1 point –, mais il s’est établi à 44,7 % du PIB en 2015, traduisant une pression fiscale qui, nous le savons, continue d’être considérable dans notre pays. La pression fiscale sur les ménages, quant à elle, continue de croître.

Par ailleurs, la décélération de la dépense, en 2015, a pour l’essentiel découlé, d’une part, de la baisse de l’investissement des collectivités territoriales et de la charge de la dette et, d’autre part, du recours à des mesures de régulation, les fameux « coups de rabot » sur les dépenses.

Tout cela a entraîné une augmentation de la dette publique, qui a atteint le record de 2 096,9 milliards d’euros, soit 96,1 % du PIB.

L’examen du projet de loi de règlement offre aussi l’occasion de s’interroger sur l’avenir. Sous cet angle, la gestion passée ne nous rassure pas beaucoup sur la gestion future.

Si l’année 2016 ne connaît pas encore de dérapage budgétaire – grâce à une relativement bonne tenue de la croissance –, un certain nombre d’annonces de dépenses nouvelles ou de réductions de recettes, se chiffrant à plusieurs milliards d'euros en 2017, ne laissent pas d’inquiéter sur l’avenir de nos finances publiques et le respect de nos engagements communautaires en fin d’année prochaine, et ce d’autant que le FMI vient de réviser l’hypothèse de croissance pour la France à 1,25 % du PIB en 2017. Cette révision, par laquelle, me semble-t-il, l’organisme intègre les effets du Brexit, devrait nous inciter à la prudence, et non à des engagements à crédit sur l’avenir.

M. Didier Guillaume. Le pire n’est jamais certain !

M. Éric Doligé. Le meilleur non plus !

M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général de la commission des finances. Effectivement, le pire n’est jamais certain, mais, malheureusement, les annonces faites se traduiront, de manière certaine, par des dépenses supplémentaires. Le Président de la République, par exemple, a annoncé pour 2017 un troisième volet du programme d’investissements d’avenir, à hauteur de 10 milliards d’euros,…

M. Claude Raynal. Très bonne idée !

M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général de la commission des finances. … mais nous ne savons pas encore selon quelles modalités budgétaires celui-ci sera financé. Ce sujet, figurant parmi ceux que nous devrons examiner dans le cadre des discussions sur le projet de loi de finances pour 2017, provoquera sans aucun doute un débat animé.

Considérant ces différents éléments, la commission des finances propose au Sénat de ne pas adopter l’ensemble du projet de loi de règlement et, par cohérence avec cette position de principe, de rejeter les différents articles du texte. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

Mme la présidente. La parole est M. Vincent Delahaye.

M. Vincent Delahaye. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, nous procédons à la nouvelle lecture du projet de loi de règlement à la veille du 14 juillet, dans un hémicycle loin d’être comble…

M. Claude Raynal. Les meilleurs sont là !

M. Vincent Delahaye. Certes, mais si l’on ajoute à cela les propos de M. le secrétaire d’État, on peut le comprendre : il faudrait voter ce texte de manière automatique – presque obligatoire –, sans se poser aucune question. Dans ces conditions, pourquoi devrions-nous siéger ? Pour ma part, je n’ai absolument pas été convaincu par l’argument qui consiste à dire qu’il n’est pas nécessaire de discuter d’un projet de loi retraçant une exécution budgétaire. Des fonctionnaires ont tenu des comptes, contentons-nous de constater ce qui est survenu au cours de l’exercice…

En tant qu’élu local – j’ai siégé dans l’opposition et dans la majorité –, je n’ai jamais voté l’exécution d’un budget que je n’approuvais pas. Il en va autrement du compte de gestion du comptable : je peux accepter de constater qu’il est en phase avec le compte administratif, mais je ne vote pas ce dernier s’il retrace l’exécution d’un budget que je n’ai pas approuvé. Or nous n’avons pas approuvé la loi de finances initiale. Je considère donc parfaitement normal de ne pas voter le projet de loi de règlement.

Vous indiquez, monsieur le secrétaire d’État, que les comptes ont été certifiés par la Cour des comptes. Mais ils l’ont été avec beaucoup de réserves.

M. Christian Eckert, secrétaire d'État. Ce n’est pas vrai !

M. Vincent Delahaye. Moins qu’auparavant, je le reconnais, mais ces réserves demeurent encore très nombreuses. Un commissaire aux comptes du secteur privé n’aurait jamais certifié des comptes d’entreprises présentant autant de réserves ! Je n’ai aucun doute sur cette affirmation, que j’avance en m’appuyant sur une expérience professionnelle passée.

Pour ceux qui s’intéressent aux comptes de l’État – je répète ce que j’ai déjà eu l’occasion de dire en première lecture –, la Cour des comptes a réalisé un travail très intéressant, retracé dans une synthèse assez facile à lire. Je vais d’ailleurs citer quelques titres, très instructifs, tirés de son sommaire.

Vous qui êtes toujours assez content de vous-même, monsieur le secrétaire d’État, et qui nous avez donné des leçons de modestie en première lecture, écoutez bien ce premier titre : « Le déficit budgétaire ne s’améliore que faiblement en 2015, et son niveau reste élevé. »

Les personnes qui nous écoutent ou nous regardent doivent savoir que, pour retrouver un équilibre des comptes, il faudrait doubler l’impôt sur le revenu de tous ceux de nos concitoyens qui paient cet impôt. Or cet équilibre des comptes avait été promis par le candidat François Hollande en 2012.

M. Claude Raynal. Par Sarkozy aussi !

M. Vincent Delahaye. François Hollande s’était engagé à l’atteindre en 2017 ; nous n’y sommes pas du tout !

Deuxième titre tiré du sommaire de la synthèse de la Cour des comptes : « Le ralentissement de la croissance de la dette » – on ne parle pas d’inversion de la courbe – « est lié principalement à la politique d’émission. »

Nous avons, c’est exact, touché des primes d’émission sur des souches anciennes, une démarche qui appelle une explication un peu technique, mais qui, en définitive, revient à alléger la charge de la dette à court terme pour reporter celle-ci sur le moyen et long terme.

M. Christian Eckert, secrétaire d'État. C’est faux !

M. Vincent Delahaye. Le procédé est habile et légal, mais, malgré tout son intérêt, c’est bien un tour de passe-passe, portant sur 22 milliards d'euros, qui est opéré en vue d’alléger un peu cette charge de la dette.

J’en viens à la question des économies. J’ai toujours indiqué ici que nous étions intéressés, non pas par la maîtrise de la dépense publique, mais par sa réduction. Si nous voulons atteindre un équilibre de nos comptes publics, il serait en effet normal de réduire la dépense publique, et non d’augmenter les impôts. Le Gouvernement ne l’a pas fait et, au contraire, a fait croître les impôts des ménages de plus de 50 milliards d'euros en quatre ans, d’où ce titre, le troisième : « La maîtrise des dépenses est partielle et ses résultats restent fragiles. »

Voyez donc, mes chers collègues, à quel point la Cour des comptes, organisme totalement neutre, juge sévèrement l’évolution de nos finances publiques ! Je pense qu’elle a raison de le faire.

Je souhaiterais, sur un point précis, appeler l’attention de Mme la présidente de la commission des finances, en sa qualité de membre du bureau du Sénat.

Chaque année, nous dénonçons un examen bâclé du projet de loi de règlement, dont nous discutons pendant une demi-journée à peine, alors que nous consacrons trois semaines au projet de loi de finances initiale. Malgré ce constat, partagé par tous, les années passent et rien ne change ! Je souhaite donc vraiment que le bureau du Sénat s’interroge…

Mme Michèle André, présidente de la commission des finances. La conférence des présidents, mon cher collègue, pas le Bureau !

M. Vincent Delahaye. … la conférence des présidents, effectivement, sur la mise en place d’une organisation permettant de passer plus de temps sur ce texte.

Cette année, et je tiens à en remercier la commission des finances, nous avons pris un peu de temps pour étudier le budget de la justice. Ce budget est largement sous-évalué à chaque exercice. Ce n’est d’ailleurs pas le seul, puisque les comptes de fin d’année font apparaître plus de 10 milliards d'euros de « factures non parvenues », un terme comptable désignant des dépenses engagées, mais non constatées dans les comptes de l’année. Aussi faut-il ajouter 10 milliards d'euros supplémentaires au déficit de 74 milliards d'euros, au motif que les comptables publics ne peuvent pas payer des factures si les budgets correspondants n’ont pas été votés par les élus.

Monsieur le secrétaire d’État, il me semble que nous avons encore beaucoup de progrès à faire en termes de sincérité des comptes. Nous devons, en particulier, nous interroger collectivement sur la façon de réduire ces factures non parvenues en fin d’année, qui ont, certes, légèrement diminué cette année, mais après avoir atteint un sommet historique l’an dernier.

En parlant de sommet historique, il est atteint, cette année, pour les restes à payer sur les autorisations d’engagement : ce sont 92 milliards d'euros qui ont été réalisés en 2015 et qui seront payés sur les exercices suivants. On ne peut pas parler de bonne gestion au regard de l’ampleur de toutes ces sommes !

Dans le peu de temps qu’il me reste, je souhaiterais évoquer un petit avatar de cette loi de règlement, dont j’aimerais d’ailleurs voir le nom changer. Au demeurant, de très nombreux projets de loi se voient affublés de titres ronflants, parfois beaucoup plus ronflants que leur contenu réel… Lorsqu’on évoque la loi de règlement auprès de citoyens lambda, voire d’un certain nombre d’élus, ceux-ci ne savent même pas de quoi il s’agit. Il faudrait donc changer ce titre, en « loi d’approbation des comptes de l’État » ou tout autre titre, car il n’est pas conforme à la réalité et, en tout cas, se révèle difficilement compréhensible.

Cette remarque étant faite, j’observe que l’examen du projet de loi de règlement a été couplé avec le débat d’orientation budgétaire, alors qu’il ne devrait pas l’être.

Votre collègue Michel Sapin, monsieur le secrétaire d’État, nous expliquait l’autre jour qu’il n’avait entendu personne critiquer l’évolution prévue pour 2017… Mais discuter du projet de loi de règlement ne nous laisse pas le temps de parler des orientations budgétaires ; celles-ci exigent un débat à elles seules ! Or les prévisions qui nous sont présentées sont, bien sûr, totalement irréalisables !

Sans doute ne serez-vous pas présent l’année prochaine pour défendre le projet de loi de règlement 2016 – c’est en tout cas mon pronostic –,…

M. Claude Raynal. Quelle élégance !

M. Vincent Delahaye. … mais, ce qui est certain, c’est que l’effort de réduction du déficit budgétaire que vous prétendez accomplir pour l’année 2017, le plus important des quatre dernières années, ne sera jamais réalisé. Vous ne réduirez jamais le déficit de 2017 à hauteur de ce que vous annoncez aujourd'hui ! Or ce déficit demeure nettement trop élevé pour nos finances publiques.

Pour toutes ces raisons, nous réitérerons, en nouvelle lecture, le vote négatif que nous avions exprimé en première lecture. (Applaudissements sur les travées de l'UDI-UC et du groupe Les Républicains.)

Mme la présidente. La parole est à Mme la présidente de la commission.

Mme Michèle André, présidente de la commission des finances. J’indique à nouveau, à l’intention de mon collègue Delahaye, que c’est bien en conférence des présidents que nous débattons des problématiques d’organisation du calendrier.

Je rappelle également à mon collègue l’intitulé complet du texte que nous examinons : loi de règlement du budget et d’approbation des comptes de l’année 2015.

Mme la présidente. Dans la suite de la discussion générale, la parole est à M. Éric Bocquet.

M. Éric Bocquet. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, chers collègues, c’est sans trop de surprise que nous sommes réunis cet après-midi pour constater, une fois encore, que, au-delà d’une certaine forme de consensus – pas tout à fait général, puisque nous ne le partageons pas – sur la nature des politiques budgétaires à mener dans notre pays, l’exécution budgétaire 2015 est marquée par un déficit dont le niveau est en réduction. Je me contenterai donc de rappeler, dans ce débat, deux aspects essentiels.

Les déficits constatés lors de la législature précédente étaient autrement plus importants – crise ou pas – et la dette publique, sous les auspices d’un certain laisser-aller fiscal, d’une détermination toute relative à lutter contre la fraude fiscale et de multiples cadeaux budgétaires aux grandes entreprises et aux groupes, comme aux ménages les plus aisés, s’est lestée de plusieurs centaines de milliards d’euros supplémentaires. C’est donc bien le constat d’une responsabilité partagée qu’il nous faut faire ici. Le débat de fond, selon nous, ne saurait se résumer à de courtois échanges sur l’ampleur de la réduction de la dépense publique qu’il conviendrait de décider.

Seulement voilà, depuis quatre ans, que d’espoirs déçus, que d’engagements oubliés !

On devait lutter contre la finance ; on s’est contenté d’une séparation minimale des activités de détail et des activités bancaires spéculatives. Or la crise qui pointe dans le secteur bancaire italien semble nous montrer que l’Union bancaire est l’instrument qui risque fort de mettre à contribution les déposants pour redresser les établissements en faillite, comme cela fut déjà le cas lors de la crise chypriote, dont chacun se souvient.

On devait lancer une grande banque publique d’investissement ; nous avons en fait un établissement financier, dont l’une des principales activités est de préfinancer le crédit d'impôt pour la compétitivité et l'emploi, mesure constituant l’un des plus étonnants gaspillages de fonds publics de ces dernières années.

A-t-on résolu les problèmes récurrents de logement dans notre pays ? Il ne nous semble pas, sauf à considérer la consolidation de la Société nationale immobilière comme la quintessence d’une politique publique du logement, tandis que l’on a réduit la rémunération du livret A, avec le risque de décollecte associé.

Et je ne parle pas du problème de l’emploi, pour le moment géré essentiellement à grand renfort de radiations administratives, de stages et autres formations d’attente !

Illustrant spectaculairement la conversion de ce gouvernement aux choix libéraux, la loi El Khomri a laissé accroire que code du travail, conventions collectives et accords de branche constituaient des freins à l’embauche et étaient la cause principale du chômage dans notre pays. Après avoir suivi aveuglément les recommandations de la Commission européenne en matière de flexibilisation et de précarisation de l’emploi, l’Espagne de Mariano Rajoy va subir des sanctions pour déficit public excessif…

La voie de la croissance, et donc de l’amélioration des comptes publics, ne se trace pas avec la baisse des salaires programmée dans la loi dite « loi travail », pas plus qu’avec la précarité qu’elle va engendrer, sans parler de la plus grande facilité à licencier.

Il est évident que les recettes économiques, juridiques et budgétaires mises en œuvre depuis 2012 n’ont pas atteint leur but. Soustraction faite du service de la dette et des faibles dépenses d’investissement de l’État, les comptes publics présentent encore un solde primaire déficitaire.

Cela fait trop longtemps que nous consacrons trop de nos ressources à « aider » les entreprises, sans que des contreparties concrètes soient au rendez-vous. Le CICE, dont nous avons débattu ce matin en commission des finances – 17 milliards d’euros –, le crédit d’impôt recherche – plus ou moins 6 milliards d’euros –, les allégements de cotisations sociales – plus ou moins 30 milliards d’euros –, le report en arrière des déficits – entre 10 et 12 milliards d’euros –, les « ajustements » liés au régime des groupes – plus de 42 milliards d’euros –, le remboursement de la TVA – près de 50 milliards d’euros –, voilà quelques-unes des pistes de redressement de nos comptes publics ! Quand nous en arrivons à 28 milliards d’euros de produit net de l’impôt sur les sociétés et à 70 milliards d’euros pour l’impôt sur le revenu, c’est qu’il y a quelque chose qui ne tient plus tout à fait debout dans notre système fiscal !

Et que dire de la lutte contre la fraude fiscale, sujet qui, comme vous le savez, retient notre attention depuis plusieurs années et éveille singulièrement celle de l’opinion publique, ce dont il faut se féliciter ? Si la loi de règlement consacre la relative efficacité de la lutte contre la fraude fiscale en retraçant les recettes nouvelles issues de la « confession des repentis », nous sommes encore très loin du compte, notamment pour ce qui concerne essentiellement la fiscalité des entreprises multinationales.

Le renforcement des moyens de lutte contre la fraude sociale et fiscale demeure à l’ordre du jour. Cependant, ce n’est pas le projet de budget pour 2017, dont les premières lignes se dessinent avec plus de 1 500 suppressions d’emplois supplémentaires dans les services du ministère des finances, qui va nous rassurer. Cette situation est d’autant plus regrettable que l’action peut payer en matière de récupération de droits non perçus.

La fraude fiscale demeure un obstacle majeur à toute réforme fiscale d’une certaine ampleur. Or ce n’est sans doute pas l’application éventuelle de la retenue à la source qui fera l’affaire, ne faisant que confirmer que les salariés et les retraités paient mieux leurs impôts que d’autres contribuables.

Nous avons aussi devant nous le chantier ouvert de la lutte contre une optimisation fiscale très largement encouragée, y compris au plus haut niveau européen, et contre laquelle nous semblons parfois fâcheusement timorés. La discussion de la loi Sapin II l’a d’ailleurs montré malheureusement : c’est contre l’avis du Gouvernement que le « verrou de Bercy » a été décadenassé, alors même que je ne saurais que conseiller qu’il en soit désormais ainsi, et ce définitivement.

C’est avec l’accord de M. Emmanuel Macron que le Sénat a voté une version croupion du reporting comptable pays par pays des grands groupes, dont la qualité d’information est inférieure à celle des documents de référence publiés par ceux-ci.

Enfin, le Gouvernement, de manière contradictoire et alors même que les suppressions d’emploi sont programmées, appelle à la coopération les différentes administrations fiscales et financières et semble aussi les inviter à travailler plus en convergence avec le Parquet national financier, dont la création a été une véritable avancée. Mais cela ne fait pas le compte, là encore…

Nous avons comme mission à venir de revoir notre fiscalité de fond en comble, non pas parce qu’il le faudrait, en raison de je ne sais quel effet de mode, mais parce qu’elle demeure par trop lourde pour ceux qui travaillent et ne vivent que du produit de leur travail et trop légère pour le capital, la rente et la mauvaise allocation des ressources tirées du travail des autres.

Ce débat sur le projet de loi de règlement ne vaut, selon nous, ni approbation ni rejet ; il doit être une nouvelle occasion de réfléchir à une réorientation complète des choix budgétaires opérés depuis le début du quinquennat. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC.)