M. Roger Karoutchi. C’est normal que les trafiquants aient du liquide ! (Sourires.)

M. Albéric de Montgolfier, rapporteur pour avis. En matière d’assurances, nous pensons souhaitable de mieux encadrer les nouveaux pouvoirs du Haut Conseil de stabilité financière et de rendre ses décisions publiques.

Pour renforcer les droits des assurés, nous proposons d’instituer une obligation d’information à l’égard des titulaires de contrats de retraite supplémentaires lorsqu’ils ont atteint l’âge de départ à la retraite, et donc de combler l’une des lacunes de la loi Eckert. L’ACPR a en effet relevé que l’encours des contrats dont le capital ou la rente n’a pas été liquidé alors même que le souscripteur a atteint l’âge légal de départ à la retraite s’élevait à 6,7 milliards d’euros en 2015.

Par ailleurs, l’Assemblée nationale a introduit des dispositions nouvelles concernant le reporting public d’activités « pays par pays ». La commission des finances souhaite en rester aux dispositions présentées par la Commission européenne, avec entrée en vigueur au 1er janvier 2018, sous réserve de leur adoption. En outre, nous savons tous que le Conseil constitutionnel sera particulièrement attentif au respect de la liberté d’entreprendre, comme il l’a fait savoir par sa décision du 29 décembre 2015.

Enfin, certaines mesures du texte visent à lutter contre la fraude fiscale, notamment en matière d’autoliquidation de la TVA, de prix de transfert ou de registre des bénéficiaires effectifs des personnes morales. La commission des finances sera évidemment très attentive à ne pas faire supporter des charges excessives par les entreprises, tout en renouvelant son engagement en faveur de la lutte contre la fraude fiscale, dont témoignent les travaux que nous avons conduits ces derniers mois. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. –M. Vincent Capo-Canellas applaudit également.)

M. le président. La parole est à M. André Gattolin.

M. André Gattolin. Monsieur le président, messieurs les ministres, mes chers collègues, même l’intitulé de ce projet de loi, relatif à la « lutte contre la corruption et la modernisation de la vie économique », semble rendre hommage à Michel Rocard, qui se distingua à la fois par son intégrité intransigeante et par son réformisme économique.

Pour avoir eu le privilège de l’accompagner ces dernières années dans son combat pour la préservation des pôles et, au-delà de cette question éminemment écologique, d’échanger très régulièrement avec lui sur les grands enjeux de la planète, mais aussi de l’Europe et de la société française, je peux témoigner qu’il fut jusqu’au bout un homme de pensée et d’engagement, toujours en mouvement et tourné vers le futur, soucieux de l’avènement d’une société plus juste et, partant, véritablement humaine.

La célébration unanime consécutive à sa disparition voit chacun réclamer sa part d’héritage : il faut veiller à ce que le réformisme de Michel Rocard ne soit pas dévoyé, comme avait pu l’être sa fameuse sentence sur la « misère du monde », dont on avait sciemment omis la chute. À propos de la crise des réfugiés, il avait d’ailleurs récemment estimé que c’était la chancelière allemande qui avait « sauvé l’honneur » de l’Europe.

N’oublions pas que c’est à l’époque du programme commun que Michel Rocard fut qualifié de « réformiste », et que le contexte politique a depuis considérablement changé.

Dans son dernier ouvrage intitulé Suicide de l'Occident, suicide de l'humanité ?, il a eu des mots extrêmement durs contre les dérives du système bancaire, contre le capitalisme financier et contre le souverainisme, leur préférant un développement plus écologique, une réduction du temps de travail et une nouvelle coopération internationale.

Même si je ne discerne pas encore la manifestation de ce réformisme, à l’évidence audacieux, dans la politique du Gouvernement, le fait est, messieurs les ministres, que votre texte vise au moins à s’attaquer à l’hybris et à l’inacceptable que nous avons trop longtemps tolérés. Je veux parler du fait que l’économie prime aujourd’hui à ce point sur le politique, et que le profit semble s’imposer aux valeurs constitutives de la démocratie sociale.

La corruption est devenue une stratégie commerciale comme une autre. Les lobbys économiques s’immiscent partout, dans la plus grande opacité, entachant l’élaboration des normes et des lois de conflits d’intérêts persistants.

Ce ne sont pas les auteurs des scandales financiers qui sont condamnés, mais les lanceurs d’alerte qui révèlent ceux-ci. Ce ne sont pas les gouvernements élus qui imposent les règles fiscales aux multinationales, ce sont ces dernières qui mettent les États en concurrence. Devant un tel constat, l’ambition de changement dont témoigne ce projet de loi est – je dois le dire – salutaire.

Malheureusement, la puissance publique accuse toujours un très long temps de retard sur les abus et les détournements.

Cela tient d’abord à la temporalité. De la même manière que nous attendons de percevoir les symptômes de la crise écologique avant d’agir, nous attendons de voir s’épanouir les fraudeurs qui se soustraient à la fiscalité ou de s’accomplir les disruptions technologiques qui court-circuitent notre modèle économique et social avant de réformer. La régulation n’est mise en œuvre qu’à la suite de scandales ou d’accidents, jamais par anticipation, hélas !

Ensuite se pose la question de la territorialité. Lorsque nous disposons enfin des outils permettant de rendre la décision à la sphère politique, nous sommes confrontés à la question de la mondialisation. Demander à nos entreprises d’être transparentes ou de ne pas tricher, ce serait nuire à leur compétitivité, les autres n’étant pas aussi vertueuses.

Si l’on ne veut pas que notre économie se modernise ainsi, à rebours, il nous incombe d’appréhender la terrifiante évolution du monde sans faux-semblants, d’une part, et de refuser de faire abstraction de nos principes fondamentaux, d’autre part.

Ainsi, pour lutter contre le fléau que constitue l’évasion fiscale, nous devons appliquer, sans plus tergiverser, le reporting public pays par pays. Sauf cas très spécifiques, nous ne pouvons pas considérer que les montages fiscaux abscons participent d’une compétitivité qui concourrait au bien commun.

En matière de répression de la corruption, il faut prendre acte du manque d’efficacité de notre système. Pour autant, il semble difficile de se féliciter du fait qu’une transaction judiciaire permette de préserver les intérêts économiques d’une personne morale accusée de corruption.

En ce qui concerne la protection des lanceurs d’alerte, même les ressources de notre droit positif ne sont pas toutes utilisées. Ainsi, la Commission nationale de la déontologie et des alertes en matière de santé publique et d'environnement, créée il y a déjà trois ans par la loi Blandin, n’a toujours pas été mise en place. À propos des groupes d’intérêts et de pression, tout reste encore à faire pour nous doter d’un mécanisme de traçabilité des informations qui permette aux décideurs publics d’écrire la loi.

En matière de financiarisation, enfin, nous devons porter une attention particulière à la prédation qui touche aujourd’hui le foncier agricole.

Avec mes collègues du groupe écologiste, j’aurai l’occasion de revenir plus en détail, au cours du débat, sur ces sujets et sur d’autres. Globalement, et même s’il pouvait nous paraître un peu tiède à certains égards, le texte issu des travaux de l’Assemblée nationale constituait, selon nous, une avancée, tandis que le texte élaboré en commission par le Sénat semble marquer un recul. Par conséquent, l’issue des débats déterminera notre vote. (Applaudissements sur les travées du groupe écologiste. – M. François Marc applaudit également.)

M. le président. La parole est à M. Pierre-Yves Collombat.

M. Pierre-Yves Collombat. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, la mise en place d’un dispositif de lutte efficace non pas contre la seule corruption, mais contre la délinquance financière en général, est une urgence, non parce que la France occupe la vingt-troisième place de l’étrange classement de Transparency International, loin derrière Singapour, le Luxembourg et Hong-Kong, hauts lieux bien connus de la morale financière, et juste devant les Émirats arabes unis, mais pour les trois raisons essentielles suivantes.

La première raison tient à l’impression qu’a l’opinion publique que la délinquance financière serait l’objet d’un traitement de faveur dans notre pays, comme si ses effets étaient moins graves que ceux du reste de la délinquance, comme si elle était le produit d’un manque de jugement ou de vigilance, sinon le prix à payer de la liberté d’entreprendre, plutôt que de la délinquance tout court !

La faiblesse des sanctions encourues pour la plupart des délits relevant de cette catégorie, l’existence de procédures de règlement parallèles, la primauté accordée à la négociation sur la répression, l’euphémisation progressive du vocabulaire – le peu reluisant « trafic d’influence », par exemple, devenant un respectable « conflit d’intérêts » relevant d’une haute autorité spécifique – montrent qu’il ne s’agit pas d’une simple impression, mais d’une réalité !

En France, en 2013, soixante-douze personnes ont été sanctionnées pour faits de corruption, et deux seulement ont été condamnées à de la prison ferme. En outre, vous avez rappelé, monsieur le ministre, qu’aucune société n’avait été sanctionnée à ce titre jusqu’à présent.

S’agissant de corruption d’agents publics dans le cadre de transactions internationales, les deux tiers des 298 personnes physiques ou morales condamnées depuis la convention internationale de 1999 l’ont été dans trois pays : les États-Unis, l’Allemagne et l’Italie. Deux seulement l’ont été en France. Quand le montant annuel moyen des amendes pour abus de marché est de 25 millions d’euros en France, il est de l’ordre de 20 milliards de dollars aux États-Unis ! Même en tenant compte du taux de change, ce n’est pas la même chose !

Deuxième raison : contrairement à ce que l’on pense trop souvent, la délinquance financière ne pose pas qu’un problème de morale politique. Loin d’être un « lubrifiant » des affaires, c’est un danger mortel pour une économie aussi financiarisée et peu régulée que la nôtre.

Comme le plaide Jean-François Gayraud, « le problème ne doit donc pas être posé sur le terrain de la morale, mais sur le terrain de l’analyse rationnelle et systémique […].

« Le droit pénal n’est pas simplement un outil punitif, il permet aussi de réguler les marchés. Le droit pénal est une masse critique de droits que l’on place dans les mécanismes des marchés, ce qui permet aux acteurs sains d’avoir les mêmes avantages concurrentiels que ceux des acteurs malsains.

« Le droit pénal doit jouer son rôle, c’est fondamental car s’il n’y a pas d’actions au niveau national, d’autres le feront à notre place et dans un contexte de guerre économique. La lutte anti-corruption au niveau international, c’est l’arme des forts, donc des puissances impériales […].

« Par conséquent, quand la France ne sanctionne pas ses entreprises, des puissances étrangères le font. »

Troisième et dernière raison : les comportements délictueux étant toujours l’un des ingrédients des crises, une répression efficace de la délinquance financière nous donnerait plus de chances d’éviter le prochain krach financier.

Le présent projet de loi est-il à la hauteur des risques et des attentes ? Ma réponse est clairement négative, parce que, comme d’habitude, au lieu de donner les moyens d’exercer la mission de répression à l’institution et aux services qui en sont chargés, en l’occurrence la police et la justice, on bâtit à côté de ceux-ci une annexe censée régler le problème à coup de procédures, de déclarations, de conseils et de règlements à l’amiable. En quelque sorte, on harcèle le maximum de personnes pour s’éviter de sanctionner durement ceux qui le mériteraient.

Les amendements déposés par le groupe du RDSE ne visent pas seulement à apporter des corrections au présent texte. Cohérents, ils dessinent en creux ce qu’aurait pu être une politique de lutte non seulement contre la corruption, mais contre la délinquance financière en général, une politique dont les armes seraient le code pénal et des moyens d’investigation.

Si nous approuvons complètement le choix fait par notre rapporteur de placer le juge au cœur du dispositif, nous souhaitons que celui-ci soit muni d’un outil nouveau : une agence de prévention des crimes et délits financiers, dotée de réels pouvoirs d’investigation.

Nous défendons la même position s’agissant des lanceurs d’alerte. Ceux-ci ne sont pas là pour faire le travail de la justice à sa place, mais ils doivent être protégés, parce qu’ils prennent des risques pour lui permettre de mieux fonctionner. Le lanceur d’alerte n’est pas à côté du droit, encore moins au-delà : il est celui qui, dans certaines circonstances, lui permet d’advenir.

Faute de temps, j’en resterai là. Je conclurai mon propos par une question : quel est le rapport, mes chers collègues, entre la prévention de la corruption et les conditions d’exercice de la profession de courtier en vins et spiritueux ?

M. Albéric de Montgolfier, rapporteur pour avis. Il n’y en a aucun !

M. Pierre-Yves Collombat. Si : ce sont deux des sujets abordés par le présent projet de loi ! (Rires sur les travées du groupe Les Républicains.) Comme vous le voyez, ce texte embrasse large ; je crains qu’il n’étreigne peu ! (Applaudissements sur les travées du groupe CRC. – M. le rapporteur pour avis de la commission des affaires économiques et M. François Marc applaudissent également.)

M. le président. La parole est à Mme Jacqueline Gourault. (M. Vincent Capo-Canellas applaudit.)

Mme Jacqueline Gourault. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, la promotion d’une plus grande transparence de notre vie publique et la lutte contre la corruption sont des préoccupations importantes et constantes du Parlement en général, et du Sénat en particulier. Cette question n’est pas nouvelle, tant s’en faut, puisque la première loi dite Sapin date du 29 janvier 1993. Nous ne pouvons que rappeler votre action passée dans ce domaine, monsieur le ministre.

Le présent projet de loi aborde notamment deux thèmes très importants, sur lesquels je concentrerai mon intervention : le statut des lanceurs d’alerte et le répertoire national des lobbyistes.

Les scandales du Mediator ou de la banque HSBC, sans oublier, de manière plus globale, l’affaire des écoutes de la NSA ou, moins récemment, la création du site WikiLeaks, ont rendu cette question incontournable. Il ne se passe désormais plus une année sans qu’un individu ne dévoile publiquement des agissements contraires à notre entendement ou à notre législation.

Ces personnes jouent ainsi un rôle important. Au regard des menaces qui pèsent sur elles et de la fragilité de leur situation, il est nécessaire de leur conférer une protection, et donc de légiférer à cette fin. Les dispositions introduites à l’Assemblée nationale vont dans le bon sens. Cependant, nous nous sommes efforcés, au Sénat, de trouver un équilibre sur ce sujet, l’idée étant d’éviter de bâtir un statut qui soit trop propice aux effets d’aubaine et aux démarches opportunistes de quelques-uns.

Gardons-nous, au motif de renforcer la transparence, de construire une société de la délation. C’est dans cette perspective que notre rapporteur a conduit les travaux de la commission des lois : il s’agissait de veiller à ce que les fraudeurs puissent être démasqués et les lanceurs d’alerte protégés dans le seul sens de la préservation de l’intérêt général et public, en évitant de fixer des critères trop larges, ce qui pourrait déboucher sur des excès.

Concernant le répertoire des groupes d’influence, nous devons avant tout dissiper quelques mythes. Le mot lobbying conserve une connotation extrêmement péjorative dans notre pays, ce qui alimente le soupçon de nos concitoyens.

Or, dans le cadre d’un travail parlementaire bien mené, il est important de pouvoir entendre les demandes émanant des différents secteurs qui composent notre société civile. Le lobbying est, à ce titre, un outil de démocratie. Dès lors, rien ne justifie que l’on remette en cause d’importants principes constitutionnels, tels que la séparation des pouvoirs ou l’indépendance des membres du Parlement. Un répertoire unique géré par une autorité indépendante constituerait un empiètement de l’administration, de l’exécutif donc, sur le législatif. Les parlementaires doivent rester libres de recevoir qui ils souhaitent, dans les conditions qu’ils souhaitent. L’administration de l’État n’a pas à s’ingérer dans le régime d’accès aux assemblées parlementaires.

Dans cette perspective, le travail du rapporteur me semble équilibré et respectueux tant de la demande citoyenne de transparence que des conditions réelles du travail parlementaire.

Mon temps de parole étant épuisé, je vais conclure mon propos…

M. Jean-Claude Lenoir. Quel dommage !

Mme Jacqueline Gourault. … en citant une formule de Guy Carcassonne qu’a récemment rappelée Jean-Louis Nadal devant la commission des lois et qui, je le crois, résume bien l’opinion de nombre d’entre nous : « Ne pas passer d’un secret maladif à la transparence névrotique. » (Applaudissements sur les travées de l'UDI-UC et du groupe Les Républicains.)

M. le président. La parole est à Mme Éliane Assassi.

Mme Éliane Assassi. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, pour ma part, je citerai non pas Guy Carcassonne, mais Honoré de Balzac, qui écrivait, dans Le Père Goriot : « La corruption est l’arme de la médiocrité qui abonde, et vous en sentirez partout la pointe. »

Si la corruption est un fléau universel, elle affecte différemment chaque région du monde. Notre pays n’en est pas exempt. Figurant en piètre position dans le classement européen, la France fait l’objet de critiques récurrentes de la part d’organisations internationales telles que l’OCDE ou le groupe d’États contre la corruption.

Dans ce contexte, nous approuvons a priori l’initiative du Gouvernement et partageons les objectifs qu’il se fixe en présentant un projet de loi qui pourrait permettre à la France de rattraper enfin son retard en la matière.

Sur la forme, nous regrettons cependant que, une fois de plus, le débat au Sénat soit biaisé. Le texte issu des travaux de l’Assemblée nationale, largement modifié par la droite sénatoriale, sera rétabli par les députés, compte tenu de l’importance des divergences.

Alors que le projet de loi se composait initialement de cinquante-sept articles, le texte transmis au Sénat en comportait cent soixante-douze.

M. Philippe Bas, président de la commission des lois. C’est lamentable !

Mme Éliane Assassi. Même si la commission des lois a supprimé de nombreux cavaliers législatifs, il nous reste à discuter de plus de cent cinquante articles !

Force est de constater que ce texte, dont les dispositions disparates s’éloignent des objectifs initialement annoncés, manque souvent d’un fil conducteur. On y trouve des mesures relatives au secteur de la coiffure, à celui des pneumatiques, à la boulangerie ou encore à l’étiquetage des produits laitiers… Ce sont là des mesures certes importantes, mais elles auraient dû figurer dans un autre texte,…

Mme Éliane Assassi. … pour éviter qu’à la loi « Sapin II » ne se substitue une loi « Macron II » ! Je note d’ailleurs la présence du ministre de l’économie et l’absence, regrettable, du garde des sceaux.

Certaines dispositions visant à moderniser la vie économique de notre pays vont dans le bon sens, y compris après leur examen en commission au Sénat ; nous les voterons. D’autres appellent un jugement négatif de notre part, à l’instar des mesures sur l’entrepreneuriat individuel. Dans la droite ligne de la loi Macron, elles visent à s’attaquer aux secteurs des services et de l’artisanat, en facilitant les infractions à la législation, la dérégulation et la baisse des exigences en matière de qualification professionnelle.

S’agissant des dispositions financières, en matière de lutte contre l’évasion fiscale, l’introduction à l’Assemblée nationale de deux nouveaux articles visant à renforcer les obligations de communication publique des données, pays par pays, auxquelles sont soumises les grandes entreprises va dans le bon sens. Cela étant, nous vous proposerons d’aller encore plus loin au travers d’amendements tendant à assurer la transparence financière et fiscale des entreprises à vocation internationale.

La commission des lois du Sénat est revenue sur le dispositif d’encadrement des rémunérations des dirigeants des grandes entreprises par l’assemblée générale des actionnaires. Il s’agit pourtant là d’une source majeure de corruption. Bien que très frileuse, cette mesure allait dans le bon sens. Nous vous proposerons, là encore, d’aller plus loin.

Sur ce qui aurait dû, à mon sens, constituer le cœur du projet de loi, mais se trouve noyé parmi toutes ces mesures d’ordre économique, à savoir la lutte contre la corruption et le renforcement de la transparence, nous sommes pleinement convaincus de la pertinence des objectifs fixés par le Gouvernement, mais beaucoup moins de celle des outils choisis pour les atteindre.

Ainsi, la création d’une agence de prévention de la corruption nous laisse dubitatifs. J’y reviendrai au cours du débat, mais il n’est pas souhaitable de pallier les lacunes de l’État en matière de corruption en créant une nouvelle agence indépendante, dont le statut reste par ailleurs assez flou. Il importe de faire confiance à notre justice. En ce sens, nous approuvons les modifications apportées au texte par la commission des lois.

M. Philippe Bas, président de la commission des lois. Merci !

Mme Éliane Assassi. Renforçons le pouvoir de notre parquet national financier et, au sein même des entreprises, associons davantage les instances représentatives du personnel. Un contrôle citoyen doit être mis en place.

M. Philippe Bas, président de la commission des lois. Je suis pour !

Mme Éliane Assassi. C’est ce que nous vous proposerons par voie d’amendements.

En matière de transparence, je ne reviendrai pas sur les scandales qui ont marqué ce quinquennat, mais force est de constater que, même s’il s’agit d’une minorité, certaines personnalités politiques sont loin d’être exemplaires. Si nous voulons éviter la suspicion généralisée, il nous faut tout mettre en œuvre pour accroître la transparence.

Les détenteurs d’un mandat électif, ceux qui animent la vie politique, se doivent d’être exemplaires, tout comme les principaux décisionnaires de l’appareil étatique, tels que les hauts fonctionnaires.

M. Philippe Bas, président de la commission des lois. Incontestable !

M. François Pillet, rapporteur. Nous sommes d’accord !

Mme Éliane Assassi. Il est scandaleux de constater que de plus en plus d’énarques ou de polytechniciens partent « pantoufler » dans les entreprises, sans même avoir respecté leur engagement de servir l’État durant dix ans.

M. Philippe Bas, président de la commission des lois. Votez Le Maire !

Mme Éliane Assassi. Nous nous devons aussi de lutter contre cette forme « blanche » de corruption : nous présenterons un amendement à cette fin. Redonner le sens de l’État et de l’intérêt général dans cette époque où l’argent est roi est une urgence démocratique.

En parallèle, nous sommes favorables à la création du répertoire numérique des représentants d’intérêts. Le registre proposé doit être le plus large possible et imposer le plus haut niveau de transparence possible aux représentants d’intérêts, quel que soit l’échelon décisionnel.

Enfin, les lanceurs d’alerte sont des acteurs majeurs de la lutte contre la corruption. On connaît les nombreuses révélations qu’a permises leur action courageuse, parfois conduite au péril de leur vie. Elles ont fait la lumière sur des pratiques économiques ou stratégiques scandaleuses.

Notre droit actuel ne permet pas de protéger les lanceurs d’alerte. Or, compte tenu de l’organisation actuelle de notre société, l’intervention directe des citoyens dans la conduite des affaires publiques est malheureusement indispensable. En ce sens, nous veillerons à ce que la définition des lanceurs d’alerte issue des travaux de l’Assemblée nationale soit rétablie, même si l’on peut regretter que la loi continue à distinguer deux types de lanceurs d’alerte : les « bons », qui permettent à l’État de récupérer de l’argent qui lui revient, et les « mauvais », qui se mêlent de ce qui ne les regarde pas en dévoilant des secrets d’État…

En définitive, comment ne pas partager les objectifs du Gouvernement en matière de transparence et de lutte contre la corruption ? Cependant, nous regrettons qu’un certain nombre des mesures proposées restent superficielles : il semble parfois que nous ayons plutôt à faire à un texte d’affichage, visant à la fois à répondre aux critiques récurrentes adressées à la France et à renouer le lien défait entre le Gouvernement et la « gauche ».

En outre, en se dotant de nouveaux outils juridiques dont l’efficacité reste entièrement à prouver, le Gouvernement avoue son échec en la matière et se défausse en créant une machinerie de « régulation », plutôt que d’assumer ses responsabilités.

Parce que « la corruption c’est aussi le manque de dignité, c’est l’absence de scrupule, c’est l’exploitation des gens sans défense », pour reprendre les mots de l’écrivain Tahar Ben Jelloun, la lutte contre la corruption est intimement liée à la nature de notre projet pour la société et pour la démocratie.

Si la rédaction issue de l’Assemblée nationale avait été conservée, nous aurions pu nous abstenir. Sur le texte tel qu’il a été récrit par la droite sénatoriale, nous réservons notre vote ! (Applaudissements sur les travées du groupe CRC. – M. le président de la commission des lois et Mme Marie-Christine Blandin applaudissent également.)

M. le président. La parole est à M. Alain Anziani.

M. Alain Anziani. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je voudrais tout d’abord saluer le travail de nos rapporteurs, en particulier celui de M. le rapporteur de la commission des lois.

M. Philippe Bas, président de la commission des lois. C’est justice de le faire !

M. Alain Anziani. Je constate que ce projet de loi effraie, tant dans cet hémicycle, où certains d’entre nous s’interrogent sur l’utilité des lanceurs d’alerte et la volonté de transparence, employant les mots de « délation », de « transparence névrotique » ou d’« excès », que dans les entreprises, qui s’inquiètent de la création de nouveaux freins susceptibles de rendre encore plus difficile la conduite de leurs activités. Il effraie donc, mais il effraie à tort !

En matière de lutte contre la corruption, ne réformons pas à regret. Nous débattons aujourd’hui de mesures qui sont déjà en œuvre au Royaume-Uni depuis 1998, en Afrique du Sud depuis 2000, en Norvège depuis 2007, en Slovaquie, aux Pays-Bas, au Canada, en Australie, aux États-Unis…

Nous débattons de ces mesures non parce que les autres pays les appliquent, mais parce que la France a besoin de davantage de transparence.

Qui peut en douter ? En 2013, le Service central de prévention de la corruption n’a constaté que 299 poursuites pour corruption.

Face à un tel constat, nous avons le choix entre fermer les yeux en considérant que tout va bien dans le meilleur des mondes possibles et affronter la réalité. La réalité, nous la connaissons ; je vous renvoie à nos propres travaux parlementaires.

Le rapport de la mission commune d’information sur le Mediator évoque un système de sécurité sanitaire fonctionnant « en vase clos » et « nourri d’informations scientifiques circulant en circuit fermé ». Le résultat d’une telle opacité est effroyable. Nous ne connaissons pas précisément le nombre de victimes – le journal Le Monde en a évoqué 1 800, mais il y en a peut-être plus –, et la vie de plusieurs milliers d’autres personnes a été bouleversée.

L’affaire de l’amiante a représenté un véritable séisme. Or les premières personnes à avoir révélé la dangerosité de ce matériau ont subi les foudres de leur hiérarchie.

Ce projet de loi « Sapin II », qui vient quelques années après la loi « Sapin I », améliore plusieurs dispositifs : celui des lanceurs d’alerte, la prévention de la corruption via la création d’une agence nationale, la réglementation des représentants d’intérêts. À cela s’ajoutent de multiples mesures de modernisation de l’économie. Richard Yung et Frédérique Espagnac interviendront, dans le cours du débat, sur ces questions très précises.

Notre pays en avait-il besoin ? Certes, il dispose déjà d’une réglementation concernant la transparence et les lanceurs d’alerte. Mais tout l’intérêt de ce texte est de clarifier et d’harmoniser l’existant, pour instaurer un véritable statut du lanceur d’alerte, comme l’a préconisé le Conseil d’État dans son remarquable rapport du mois de février 2016.

L’alerte est-elle un droit ou une obligation ? Dans quelle condition le lanceur d’alerte est-il protégé ? Comment doit-il procéder ? Quelle est sa responsabilité en cas de fausse information ? Le projet de loi traite l’ensemble de ces questions.

On m’objectera que notre pays applique déjà l’article 40 du code de procédure pénale. C’est exact. Mais nous savons que le champ d’application en est limité ; cela concerne les seuls services et agents publics.

En outre, selon le Service central de prévention de la corruption, l’utilisation de cet article 40 apparaît « très faible, voire inexistante dans certains secteurs », précisément ceux qui concernent la corruption ! Ce constat a été confirmé par le président de la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique lorsque nous l’avons entendu.

Des dispositifs préventifs existent aussi dans les entreprises, avec un droit d’alerte et de retrait face à un danger grave et imminent pour la vie ou la santé, voire en cas de défectuosité d’un produit. Sont aussi concernés, dans d’autres codes, les cas de maltraitance d’enfants ou d’adultes vulnérables.

Le monde de l’entreprise est demeuré dans un nuage de secrets plus ou moins bien gardés, que seules quelques affaires parviennent à dissiper.

Toutefois, la plupart des grandes entreprises s’inspirent désormais des pratiques de leurs homologues américaines. Les États-Unis ont effectivement donné l’exemple dès 2002, avec la loi Sarbanes-Oxley, dite SOX, qui a vu le jour après quelques scandales concernant des manipulations comptables. Le Congrès des États-Unis a adopté à la quasi-unanimité des mesures de transparence comportant des mécanismes d’alerte, avec interdiction de représailles à l’égard des salariés lanceurs d’alerte.

Si nos grandes entreprises appliquent déjà un certain nombre de ces dispositions, la plupart de nos PME y sont étrangères.

Une nouvelle loi était donc nécessaire. Le texte que nous examinons a le grand mérite de mieux définir le lanceur d’alerte. Si vous me le permettez, et sans vouloir faire de provocation à l’égard de notre rapporteur, je devrais plutôt dire qu’il « avait » ce mérite. Force est de le constater, la définition ne cesse de se réduire comme peau de chagrin au fil des discussions, en particulier après le passage en commission des lois ! Celle-ci n’a pas souhaité que les lanceurs d’alerte puissent être des personnes morales. Je connais les motifs du rapporteur, qu’il exposera probablement ; je ne les partage pas.

La commission a également supprimé – je n’ai toujours pas compris pourquoi – le droit d’alerte concernant les préjudices graves causés à l’environnement, à la santé et à la sécurité. Elle tend à circonscrire le droit d’alerte aux seules relations internes à l’entreprise, c’est-à-dire entre le salarié et ses supérieurs hiérarchiques. Pour moi, c’est totalement contraire à l’esprit de l’article concerné, qui ne se restreint pas uniquement à ces relations.

Il me semble également que nous aurions pu aller plus loin, par exemple en visant toutes les violations des engagements internationaux pris par la France, que ce soit dans le cadre d’accords approuvés ou d’accords ratifiés. Le Gouvernement et le groupe socialiste ont présenté un amendement en ce sens. Une telle évolution serait tout à fait utile, comme l’illustrent un certain nombre d’exemples actuels.

Quoi qu’il en soit, nous posons une définition. Elle vaut ce qu’elle vaut, mais c’est déjà un progrès ! Et nous allons plus loin, en essayant de dresser un statut, encore insuffisant à mes yeux.

Quitte à faire grincer des dents, je rappellerai que les lanceurs d’alerte sont rétribués aux États-Unis. Certes, je ne souhaite pas forcément qu’ils le soient en France.

Comme M. le ministre l’a rappelé, au Luxembourg, le pauvre Antoine Deltour, qui a tout de même révélé les optimisations fiscales des LuxLeaks, vient d’être condamné à une amende et à dix-huit mois de prison avec sursis pour vol de documents et violation du secret professionnel.

Entre les États-Unis, qui rémunèrent les lanceurs d’alerte, et le Luxembourg, qui les condamne à des peines de prison, même avec sursis, il existe peut-être une solution médiane, celle sur laquelle nous pourrions travailler.

Dans notre pays, le lanceur d’alerte est un héros maudit. Stéphanie Gibaud a été licenciée pour avoir dénoncé les pratiques fiscales de la banque suisse UBS ; elle vit depuis dans la plus grande précarité. Nicolas Forissier, également cité par M. le ministre, a gagné son procès prud’homal et obtenu un dédommagement appréciable, mais il croule sous le poids des frais de procédure.

Peut-être faudrait-il essayer de voir comment alléger les frais de procédure d’une personne ayant tout de même rendu service à la société. La banque UBS a effectivement été mise en examen pour fraude fiscale, blanchiment et, récemment, subornation de témoin. Ce sont des millions d’euros que l’administration fiscale va recouvrer grâce à ce lancement d’alerte.

Trouvons donc des solutions, non pas pour enrichir les lanceurs d’alerte, mais au moins pour les indemniser et, bien entendu, les protéger dans leur travail.

Le code du travail prévoit déjà la nullité de toute sanction motivée par le fait d’avoir porté des faits de corruption à la connaissance de l’employeur ou de l’autorité administrative ou judiciaire. La Cour de cassation vient d’ailleurs de confirmer, dans un arrêt récent, le caractère illicite du licenciement d’un salarié pour ce motif. Nous devons renforcer ces dispositions.

En revanche, je défends un principe de responsabilité. Le lanceur d’alerte qui serait de mauvaise foi ou aurait agi de manière précipitée doit aussi en assumer les responsabilités. Mais le droit actuel offre également des dispositions en la matière, avec le délit de dénonciation calomnieuse et de diffamation, sans oublier les procédures civiles permettant à une victime d’obtenir réparation des dommages causés par un abus de droit.

Faut-il aller plus loin ? La commission a opté pour un système de gradation. J’ai bien examiné la question. La Cour européenne des droits de l’homme a rappelé, avec justesse, que les salariés ont un devoir de loyauté, de réserve et de discrétion envers leur employeur. Ils doivent donc d’abord l’informer et ne recourir à la divulgation publique qu’en dernier ressort.

La gradation s’impose. Mais, chers collègues de la commission des lois, je pense que nous avons été trop loin. La gradation ne doit pas être un parcours du combattant pratiquement impossible à effectuer. Il faut un équilibre, ainsi que des points d’appui permettant au lanceur d’alerte – c’est forcément une personne courageuse – de pousser la démarche à son terme s’il est de bonne foi.

Il est donc absolument nécessaire de lutter contre la corruption.

Mais les appréciations divergent aussi sur d’autres points. Par exemple, nous sommes favorables au maintien d’une commission des sanctions à l’intérieur de l’Agence de prévention et de détection de la corruption.

En effet, il s’agit de mesures administratives, et non pénales. Nous n’empiétons donc pas sur le pouvoir judiciaire. En revanche, le recours à cette commission des sanctions offrira plus de rapidité, donc d’efficacité, que la saisine d’un juge judiciaire. Nous le savons, dans ce cas, les délais peuvent être tout à fait considérables.

Le lobbying est une activité honorable, qui peut être utile, à condition que le représentant d’intérêts reste dans son rôle, que je qualifierai de « pédagogique ». La création d’un répertoire unique et numérique auprès de la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique pourra l’y aider. Je crois que cela fait consensus.

Notre rapporteur a eu raison de clarifier la définition des représentants d’intérêts et de leurs obligations. Nous partageons aussi sa proposition, d’ailleurs conforme à celle du président de la Haute Autorité, de revenir à une liste des personnes concernées proche de celle qui avait été proposée par le Gouvernement et, donc, d’écarter les élus locaux et les élus déjà tenus à une obligation de déclaration de patrimoine.

Ce projet de loi comporte beaucoup d’autres propositions. Il m’était impossible de toutes les évoquer, mais nous aurons évidemment l’occasion de discuter de tous les points relatifs à la modernisation de l’économie au cours du débat.

L’inspiration essentielle du texte était bien la transparence. La question qui nous est posée est de savoir si nous voulons, ou non, faire tomber cette sorte de « ligne Maginot de l’opacité », qui n’a pas forcément beaucoup d’utilité, mais nous sépare beaucoup de nos populations. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain, du groupe CRC, et sur certaines travées du groupe écologiste.)

(Mme Jacqueline Gourault remplace M. Thierry Foucaud au fauteuil de la présidence.)