M. le président. La parole est à M. Yves Pozzo di Borgo, pour le groupe UDI-UC.

M. Yves Pozzo di Borgo. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, comme vous le savez, le Conseil européen des 28 et 29 juin prochains présente un ordre du jour très chargé, avec des enjeux centraux pour l’Union européenne et pour son avenir à court et moyen termes. Le Sénat a toujours eu une voix qui portait dans ces différents débats. Je souhaite, monsieur le secrétaire d’État, que vous puissiez aujourd’hui encore l’entendre.

Dans le cadre de mon intervention, je me concentrerai sur le Brexit, nos relations avec la Russie et le sommet de l’OTAN.

La semaine à venir est décisive dans l’histoire de la construction européenne. Le référendum sur la sortie de la Grande-Bretagne de l’Union se déroule dans deux jours et, plus que jamais, le risque de victoire pour ceux qui souhaitent le Brexit est important. Il aura malheureusement fallu attendre presque la semaine dernière et l’insoutenable meurtre de notre collègue Jo Cox pour que la France s’intéresse à la question posée aux Britanniques.

Je le regrette, car de ce vote dépend une partie de l’avenir de l’Union européenne. Peut-on laisser les Britanniques décider seuls du destin de l’Europe ? Je ne le crois pas, d’autant que, depuis de nombreuses années, le désamour des peuples vis-à-vis de l’Europe est profond. Chaque fois qu’il faut trouver un bouc émissaire à nos problèmes, c’est Bruxelles qui est dénoncé.

À force, l’envie d’Europe disparaît. L’Union européenne et ses institutions semblent déconnectées des citoyens et ceux qui dénoncent régulièrement le manque de démocratie doivent être entendus.

Enfin, nos politiques en commun doivent être revues. En particulier, il faut réfléchir à une réelle gouvernance économique de l’euro, afin de crédibiliser notre espace de vie. Finalement, j’oserai dire que « l’Union ne fait plus envie », à tel point que la Suisse, la semaine dernière, a décidé d’annuler sa requête d’adhésion, pourtant vieille de 24 ans !

Il est nécessaire, monsieur le secrétaire d’État, que les dirigeants européens reprennent la main, écrivent une nouvelle page de notre histoire en prenant en compte les conclusions des différents « accidents » qui jalonnent notre parcours depuis un peu plus de dix ans.

Il est indispensable de se donner un nouvel avenir commun et d’impulser un nouveau souffle à l’Union. En tant que centristes, vous le savez, nous sommes prêts à mettre toute notre énergie dans cette construction.

Nous comptons sur la France et l’Allemagne. De Gaulle et Adenauer, Giscard et Schmidt, Mitterrand et Kohl, Chirac et Schröder, Sarkozy et Merkel ont montré le chemin. Nous attendons maintenant Hollande et Merkel !

Mais, ai-je envie de dire, peu importe si les Britanniques choisissent de sortir ou non de l’Union. Ce serait un coup dur, mais l’essentiel est que ceux qui en sont membres soient convaincus et enthousiastes pour porter un vrai projet politique et économique en commun, celui d’une Europe intégrée et plus fédéraliste. Le mot fait toujours peur – même les centristes hésitaient à le prononcer. Pourtant, quand certains de nos amis politiques parlent de transferts de souveraineté, il s’agit bien de fédéralisme, n’ayons pas peur de le dire. Ne construisons pas une Europe à la carte qui ne serait que l’addition des demandes de chaque État membre.

Le deuxième point que je souhaite aborder dans ce débat concerne nos relations avec la Russie. Il y va du poids diplomatique et du développement économique de l’Union européenne.

Vous le savez, monsieur le secrétaire d’État, le Sénat a adopté voilà deux semaines une résolution européenne que j’ai eu l’honneur de préparer avec notre collègue Simon Sutour et qui a recueilli l’assentiment de la quasi-unanimité de notre assemblée, avec 301 voix pour et 16 contre.

J’insiste sur ce vote, car il émane d’une chambre du Parlement d’un des États membres les plus importants de l’Union. Je ne souhaite pas, monsieur le secrétaire d’État, qu’il soit banalisé, voire balayé par les infrastructures communautaires. Nous sommes le premier parlement national parmi les États membres à donner un avis sur cette question. Ce n’est donc vraiment pas négligeable. Et je vous rappelle, monsieur le secrétaire d’État, que ces sanctions ont coûté 0,3 % du PIB en 2014 et 0,4 % du PIB en 2015, soit l’équivalent de ce que va rapporter le plan Juncker s’il réussit.

Cette résolution, équilibrée et réaliste, a pour objectif principal de dénouer la crise ukrainienne le plus rapidement possible, de garantir l’intégrité territoriale de ce pays par la défense des accords de Minsk et d’initier une reprise de relations « normales » avec la Russie.

Nous comptons sur vous, monsieur le secrétaire d’État, et sur le Président de la République pour porter la voix du Sénat sur cette question les 28 et 29 juin. Notre résolution doit vous permettre de guider la position française. Or il semblerait que les ambassadeurs, d’un trait de plume, l’aient déjà mise à la poubelle ! Je vous rappelle, monsieur le secrétaire d’État, que nous représentons le peuple. Et lorsqu’on se moque du peuple, on en arrive au Brexit !

La résolution de cette crise est indispensable pour l’Ukraine, pour la Russie, pour l’Union européenne et pour ses États membres. Aussi, je vous rappelle que le dispositif de la résolution consiste juste en une levée progressive et différenciée des sanctions, sous conditions, dans les domaines économique, politique, diplomatique et individuel. Je pense en particulier aux parlementaires : est-il normal que M. Le Roux soit interdit de séjour en Russie parce que nous interdisons à la présidente du Sénat russe de venir en France ?

Le bon sens voudrait qu’au moins, les 28 et 29 juin, malgré tous les ambassadeurs et les fonctionnaires européens, vous ayez le courage de prendre ces décisions ! Si M. Hollande en faisait la demande, ce serait déjà un signe positif !

M. Yves Pozzo di Borgo. Pour terminer, j’aimerais évoquer rapidement la question de la défense européenne.

Le 25e sommet de l’OTAN se déroulera les 8 et 9 juillet. Compte tenu des fortes actualités politiques et économiques de part et d’autre de l’Atlantique, nous devons tous avoir en tête l’un des enjeux essentiels pour l’Europe, celui de la sécurité et de la lutte contre le terrorisme.

Ma collègue Gisèle Jourda rappelait la proposition de résolution européenne que nous avons déposée et qui a été votée à la majorité moins une voix de la commission des affaires européennes et à la majorité absolue de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées, sous l’autorité de nos deux rapporteurs, Jacques Gautier et Daniel Reiner.

Après les attentats dont la France a été victime, le recours à la clause européenne de défense mutuelle a créé une dynamique politique nouvelle et inédite pour relancer, voire refonder le projet d’Europe de la défense.

Il est important que l’Union européenne se forge une stratégie qui identifie les nouvelles menaces et recense les moyens dont elle estime devoir disposer pour y faire face, qu’elle s’assigne des objectifs et des priorités, conjointement avec les États membres, afin de ne pas avoir, dans l’urgence, à rechercher des réponses juridiques, politiques ou capacitaires aux crises qui menacent ses valeurs, ses intérêts vitaux et son existence.

Cette stratégie de politique étrangère et de sécurité devra se concentrer sur la défense des intérêts communs que l’Union et ses États membres auront identifiés.

La nécessité d’une cohérence et d’une impulsion politiques accrues dans le domaine de la sécurité et de la défense à l’échelle de l’Union justifierait, monsieur le secrétaire d’État, d’instituer un dialogue plus fréquent et plus dense au sein du Conseil européen.

Il devrait désormais être convoqué annuellement sur l’enjeu de sécurité et de défense. Ce « Conseil européen de sécurité et de défense », tel qu’il est proposé dans cette résolution, permettrait une actualisation et une meilleure réactivité dans l’analyse et l’évaluation conjointes des menaces et stimulerait la recherche concertée de solutions collectives.

Pour ce faire, il sera nécessaire de lever des contraintes budgétaires naturellement, mais aussi politiques, notamment pour certains États membres, dont nous faisons partie, qui entretiennent un lien fort et ancien avec l’OTAN qu’ils ne souhaitent pas remettre en question.

Il importe de bien différencier la politique de sécurité et de défense européenne de celle de l’OTAN. Ce n’est pas à l’Organisation atlantique d’imposer sa stratégie de défense à l’Union, comme elle le fait depuis de nombreuses années, mais c’est au Conseil européen de définir ses propres objectifs. En étant complémentaires, mais indépendants, nous serons plus efficaces, et l’Europe gagnera en visibilité et en crédibilité.

En conclusion, je rappellerai l’attachement qui est le mien et celui du groupe UDI-UC à la construction européenne. L’Union doit redevenir un projet politique d’avenir. Dans de nombreux domaines, bien au-delà de ceux qui viennent d’être abordés, elle constitue une solution d’envergure aux difficultés soulevées en France. Pour cela, il faut une volonté politique et un engagement sans faille. J’aimerais qu’ils soient plus prégnants dans le débat national. (Applaudissements sur les travées de l'UDI-UC et du groupe Les Républicains.)

M. le président. La parole est à M. le vice-président de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées.

M. Jacques Gautier, vice-président de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, monsieur le rapporteur général, mes chers collègues, je vous prie tout d’abord de bien vouloir excuser le président Jean-Pierre Raffarin, retenu par des engagements auxquels il n’a pu se soustraire.

Notre commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées a adopté ces dernières semaines trois résolutions en vue du prochain Conseil, exprimant deux inquiétudes majeures et deux exigences.

Notre première préoccupation, c’est la menace du Brexit. Notre commission s’est rendue à Londres il y a un mois pour des entretiens de haut niveau : nous mesurons bien le risque.

L’assassinat tragique de la députée Jo Cox vient dramatiser encore un enjeu qui concerne tous les Européens. Un Brexit ouvrirait en effet une crise majeure en Europe et il nous faut, dès à présent, réfléchir au « jour d’après » le vote, et ce quelle que soit son issue.

Si le Royaume-Uni quitte l’Union européenne, il faudra à la fois enclencher la séparation, mais aussi anticiper sur le plan politique d’éventuelles contagions.

Si le Royaume-Uni reste dans l’Union, ce que nous souhaitons, il faudra mettre en œuvre, au niveau européen, le « paquet » négocié en février par David Cameron. Dans les deux cas, la commission des affaires étrangères juge nécessaire de prendre une initiative forte pour relancer l’Europe politique.

Le gouvernement français devrait prendre une telle initiative, qui pourrait à notre avis concerner la sécurité et la défense, conjointement avec l’Allemagne.

Notre commission a d’ailleurs prévu une réunion de travail à l’ambassade britannique dès le 29 juin, et une réunion conjointe ici même le 12 juillet avec nos homologues de la Chambre des communes et de la Chambre des Lords. Le message est clair : quelle que soit l’issue du vote, la coopération de défense avec les Britanniques, très avancée, sera poursuivie, dans l’élan des accords de Lancaster House, qui unissent étroitement nos deux pays.

Notre deuxième inquiétude concerne les migrants. Nous sommes entrés, depuis avril, dans une nouvelle phase, car l’accord passé avec la Turquie le 18 mars, combiné avec la fermeture de la route des Balkans, a ramené le nombre d’arrivées à une cinquantaine par jour, contre 2 000 à l’hiver dernier. Mais plusieurs milliers de migrants attendent dans les hotspots et 50 000 autres, arrivés avant l’accord, sont bloqués en Grèce.

Si la situation est stabilisée, si, pour l’heure, nous constatons une certaine bonne volonté turque dans le contrôle des flux, nous n’en restons pas moins à la merci d’un revirement de la Turquie, qui sait trop bien monnayer sa coopération.

Aussi, tous nos efforts doivent-ils tendre – c’est du ressort de la politique étrangère, monsieur le secrétaire d’État – à un règlement de la crise syrienne, sans oublier, bien entendu, un soutien aux autres pays voisins de la Syrie, qui supportent eux aussi une lourde charge en matière d’accueil des réfugiés – je pense au Liban et à la Jordanie en particulier.

Notre inquiétude, aujourd’hui, est la réactivation probable des arrivées par la Méditerranée centrale. Plusieurs centaines de milliers de migrants subsahariens et de la Corne de l’Afrique seraient candidats au départ vers l’Europe, et plusieurs dizaines de milliers sont d’ores et déjà prêts à embarquer sur les côtes libyennes, alors même que les naufrages reprennent à un rythme soutenu. L’opération européenne Sophia a, paradoxalement, plutôt été une aide qu’un frein pour les passeurs. Je me réjouis donc que l’ONU l’ait autorisée, enfin, à lutter contre le trafic d’armes, en attendant la phase 3, qui, seule, permettra de neutraliser les réseaux de passeurs.

Aujourd’hui, la situation est aussi préoccupante d’un point de vue sécuritaire, car Daech en Libye, attaqué dans la poche de Syrte, pourrait infiltrer ces réseaux de passeurs. Le problème, nous le savons tous, c’est la faiblesse du gouvernement légitime libyen.

La solution, là aussi, est politique : la France et les 28 doivent soutenir les efforts de l’envoyé spécial de l’ONU pour la reconnaissance par tous nos États du gouvernement d’union nationale du président Al-Sarraj, avec comme mesures prioritaires la mise sur pied d’une armée et la formation des garde-côtes.

Mais c’est surtout en amont de ces routes migratoires qu’il faut agir, à la source ! La proposition que vient de faire la Commission européenne d’un nouveau cadre de partenariat avec les pays tiers semble aller dans ce sens, pour peu qu’il ne s’agisse pas simplement de « mobiliser et de concentrer » des moyens existants, ce qui serait évidemment très largement insuffisant.

Sur la Russie, notre position est bien connue, puisque le Sénat en a largement débattu. La résolution de notre commission, évoquée à l’instant, et dont je rappelle qu’elle respecte naturellement le droit international, lie l’allégement des sanctions économiques à l’application des accords de Minsk, ce qui n’empêche pas d’envisager de réévaluer les sanctions diplomatiques et individuelles, lesquelles bloquent des relations indispensables au dialogue politique.

Dialoguer, c’est notre première et permanente exigence. Cela n’empêche pas d’exprimer des désaccords : notre commission a mené en mars, ici même, un dialogue stratégique avec des parlementaires russes du Conseil de la Fédération : nous avons clairement condamné l’annexion de la Crimée et la situation dans l’est de l’Ukraine, tout en cherchant par ailleurs des convergences de vue. À ce titre, on ne peut que se réjouir que le président Juncker se soit rendu à Saint-Pétersbourg.

Dernière exigence : la stratégie globale de l’Union européenne concernant les questions de politique étrangère et de sécurité ne doit pas passer à la trappe ! La sécurité est la première demande des Européens, à égalité avec l’emploi, on l’oublie trop souvent.

M. Jean Bizet, président de la commission des affaires européennes. Exact !

M. Jacques Gautier, vice-président de la commission des affaires étrangères. L’Europe doit répondre à cette demande ! Comment, sinon, la réconcilier avec ses citoyens ?

Sur la méthode, il n’est pas normal de découvrir dans la presse spécialisée un document qui n’a pas été communiqué aux parlements nationaux.

Sur la stratégie globale, notre commission affiche un objectif fort : s’assurer que sa composante défense soit substantielle et déclinée dans un document de type « Livre blanc », qui remplisse deux objectifs essentiels : avoir une analyse partagée des menaces et mettre en face les moyens d’y parer. Sinon, ce sera un nouveau coup d’épée dans l’eau.

Je l’ai déjà dit, cette stratégie prendrait tout son sens avec une relance franco-allemande, moteur de l’Europe, en matière de sécurité et de défense, qui serait ensuite élargie aux gouvernements qui voudraient et pourraient la suivre.

Nous donnons même les grandes orientations qu’une telle initiative pourrait prendre.

Nous proposons un Conseil européen annuel dédié à la défense et un conseil des ministres de la défense, enfin institutionnalisé, pour peser sur les perspectives financières européennes 2021-2027.

Pour favoriser l’émergence d’une base industrielle européenne de défense, indispensable à notre autonomie, nous préconisons un renforcement des moyens de l’Agence européenne de défense et de son pouvoir de définition des normes.

Enfin, le Gouvernement doit contribuer à définir « l’action préparatoire de recherche et développement », ballon d’essai d’un futur « plan défense » de la Commission européenne.

Vous le voyez, mes chers collègues, les défis qui nous attendent sont importants, et nous devons les relever.

Sans la France pour porter l’idée de défense européenne, nous n’avancerons pas. Nous comptons sur votre écoute, monsieur le secrétaire d’État, et je vous remercie par avance. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et de l'UDI-UC.)

M. le président. La parole est à M. le rapporteur général de la commission des finances.

M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général de la commission des finances. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, le Conseil européen des 28 et 29 juin prochains marquera à la fois le début d’une nouvelle période, celle de « l’après-référendum » britannique, et la conclusion de la procédure du semestre européen 2016.

Les résultats de la consultation des citoyens britanniques sur l’appartenance du Royaume-Uni à l’Union européenne et leurs conséquences seront, à n’en pas douter, au cœur des discussions des chefs d’État et de gouvernement. Alors que les prévisions des sondages oscillent entre « Brexit » et « Bremain », les institutions européennes et les autres États membres doivent se préparer à toutes les éventualités.

Au-delà de la rupture qu’elle entraînerait dans l’histoire de la construction européenne, une sortie du Royaume-Uni aurait des conséquences économiques négatives à long terme, à la fois pour le Royaume-Uni et pour les autres États membres.

Comme je l’ai mis en évidence dans un récent rapport d’information présenté à la commission des finances, un Brexit pourrait avoir un impact négatif sur le PIB britannique, compris entre 1,6 point et 4,1 points à long terme. Cela correspondrait à une perte de revenus comprise entre 1 050 euros et 2 600 euros par tête et par an.

Pour ce qui est de la France, la croissance de l’activité pourrait être plus faible, de 0,2 point à 0,4 point chaque année, ce qui aurait notamment pour effet de réduire les recettes fiscales de notre pays de 10 à 20 milliards d’euros en 2020 par rapport à leur niveau prévisionnel. Et encore, ces estimations ne tiennent pas compte des éventuels effets de domino d’un Brexit.

Dans ces conditions, il importe que la France soit en mesure de se préserver du pire, en créant les conditions pour renforcer l’attractivité de notre pays et attirer les entreprises, notamment financières, qui pourraient être susceptibles de vouloir quitter le Royaume-Uni. La France devrait par ailleurs renégocier les effets du « rabais sur le rabais » britannique.

Le maintien des effets de ce mécanisme de correction, alors même que le Royaume-Uni ne serait plus contributeur, entraînerait en effet une hausse substantielle de la contribution de la France au budget de l’Union européenne, de l’ordre d’environ 7 %. Le Président de la République s’étant prononcé à plusieurs reprises contre « tous les chèques, toutes les ristournes, tous les rabais », en cas de Brexit, le Gouvernement entend-il proposer de mettre à l’ordre du jour une réforme de l’ensemble du système de corrections budgétaires ? À défaut, le Gouvernement serait-il prêt à solliciter un plafonnement de la contribution française ?

Ensuite, l’aval du Conseil européen sur les recommandations spécifiques par pays devrait venir conclure le semestre européen 2016. La plupart des recommandations adressées à la France sont très similaires à celles formulées les années précédentes et apparaissent légitimes pour renforcer la cohésion de l’Union économique et monétaire.

En revanche, la Commission européenne a inscrit dans son projet de texte une nouvelle recommandation en matière fiscale : l’adoption de la retenue à la source de l’impôt sur le revenu « d’ici à la fin de l’année 2016 ». Que pensez-vous, monsieur le secrétaire d’État, d’une telle prise de position de la Commission sur un sujet relevant pleinement de la souveraineté nationale ? Une telle recommandation a-t-elle vocation, selon vous, à demeurer dans le texte définitif qui sera adopté par le Conseil de l’Union européenne ?

Enfin, monsieur le secrétaire d’État, je souhaiterais vous interroger sur la proposition de prolonger au-delà de 2018 le Fonds européen pour les investissements stratégiques, mesure phare du plan Juncker, annoncée récemment par la Commission européenne. Le bilan de la première année de mise en œuvre du plan paraît plutôt positif, en particulier pour la France, où 15 projets d’infrastructures et d’innovation ont été approuvés, pour un montant total de 2,2 milliards d’euros, censés entraîner 8,2 milliards d’euros d’investissements. De plus, les PME devraient bénéficier de 518 millions d’euros de financement supplémentaire, sous forme de prêts garantis ou de capital-risque.

Le projet d’ordre du jour du Conseil européen indique que, sur la base de ces premiers résultats, les chefs d’État et de gouvernement devront « tirer des conclusions opérationnelles » au sujet de l’avenir du plan d’investissement. Quelle position la France entend-elle faire valoir au sujet de la poursuite du plan d’investissement ? Quelles seraient les modalités de financement à privilégier ? Enfin, une révision du cadre financier pluriannuel serait-elle indispensable ?

Je vous remercie, monsieur le secrétaire d’État, des réponses que vous voudrez bien apporter à ces quelques questions. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et de l'UDI-UC. – M. André Gattolin applaudit également.)

M. le président. La parole est à M. le président de la commission des affaires européennes.

M. Jean Bizet, président de la commission des affaires européennes. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, le prochain Conseil européen sera dominé par les résultats du référendum britannique et, à nouveau, par la crise des migrants. Ce débat préalable est donc particulièrement bienvenu.

À l’approche du référendum britannique, l’Europe retient son souffle. Nous souhaitons le maintien du Royaume-Uni dans l’Union européenne, mais il appartient au peuple britannique, et à lui seul, d’en décider. Malheureusement, la campagne électorale a été tragiquement endeuillée par le meurtre sauvage de la députée travailliste Jo Cox, soutien du « oui ». Je veux saluer sa mémoire et condamner fermement cet horrible assassinat.

Notre collègue Fabienne Keller, qui suit le dossier depuis plusieurs mois au titre de notre commission, se rendra sur place. Quels que soient les résultats du scrutin, il faudra nécessairement prendre des initiatives. L’Europe ne fonctionne plus, la France ne s’exprime plus. À l’inverse, des forces centrifuges s’exercent.

Pourtant, les grands défis de l’heure appellent plus que jamais des réponses communes. Nous voulons une Europe recentrée sur l’essentiel, soucieuse de subsidiarité et de simplification, une Europe qui affirme sa puissance et son autorité dans un monde aujourd’hui en turbulence. C’est sur ces bases que nous dialoguons avec nos homologues des États fondateurs pour penser et repenser l’Europe de l’après-24 juin.

La crise migratoire demeure d’une tragique actualité. L’Europe doit être à la hauteur de ses valeurs. Le rétablissement durable des frontières intérieures mettrait en cause le principe de libre circulation, qui est l’un des grands acquis de la construction européenne. Il aurait, de surcroît, un coût considérable.

Il faut partager l’exercice de la souveraineté pour assurer le contrôle des frontières extérieures, c’est une évidence. Nous appuyons également la création d’un corps de garde-frontières et de garde-côtes, un projet que nous avions déjà évoqué au Sénat voilà quelques années.

Mais peut-on continuer à admettre que FRONTEX ne puisse accéder au système d’information Schengen ou intervenir dans un pays tiers pourtant candidat à l’adhésion ? Parallèlement, nous voulons un contrôle systématique des entrées et des sorties de l’espace Schengen, un dispositif qui nous paraît incontournable.

L’Union européenne doit mener un combat résolu contre les passeurs. La coopération des pays tiers est aussi indispensable en matière de réadmission et pour agir sur les causes des flux migratoires.

Une mission d’information travaille sur l’accord avec la Turquie. Nous devons être vigilants. A-t-on bien évalué la portée de la libéralisation du régime des visas ? On nous dit que 5 critères resteraient à satisfaire sur les 72 exigés. Or le président turc a d’ores et déjà écarté celui portant sur la révision de la loi de lutte contre le terrorisme. L’Europe doit, je le répète, rester ferme sur ses valeurs. C’est aussi dans la durée que nous attendons des résultats concrets.

Enfin, la Commission européenne a présenté ses recommandations dans le cadre du semestre européen, dont Fabienne Keller et François Marc nous rendent compte régulièrement. Les déficits espagnol et portugais demeurent préoccupants. La Grèce va bénéficier d’une enveloppe de 10,3 milliards d’euros débloquée par le mécanisme européen de stabilité. Il faut y voir le signe d’une reconnaissance de l’engagement grec sur la voie des réformes, un chemin encore long et difficile sur lequel nos amis grecs ne doivent pas s’arrêter. La situation demeure toutefois fragile. La présidente Michèle André, le rapporteur général Albéric de Montgolfier, notre collègue Simon Sutour et moi-même restons particulièrement vigilants sur ce sujet.

Concernant la France, la Commission souligne l’objectif d’une correction durable du déficit excessif en 2017, celui de pérenniser les mesures de réduction du coût de travail, de réduire les impôts sur la production et le taux nominal de l’impôt sur les sociétés, ou encore de promouvoir les accords d’entreprise en concertation avec les partenaires sociaux. Autant de défis que notre pays devra finir par relever ! Au-delà, on voit bien les trop grandes divergences entre nos économies. C’est aussi le manque d’harmonisation fiscale et sociale qui doit être souligné, un sujet particulièrement délicat qui explique aussi que nos amis d’outre-Rhin commencent à douter de la confiance qu’ils peuvent avoir en notre pays.

Pour finir, je veux évoquer trois sujets d’une grande actualité.

L’Union européenne s’apprête à prolonger les sanctions contre la Russie. Le Sénat a pourtant appelé tout récemment à un allégement progressif et partiel de ces sanctions, en particulier des sanctions économiques, en liant cet allégement à des progrès significatifs et ciblés dans la mise en œuvre des accords de Minsk. Nous invitons le Gouvernement à agir dans le sens préconisé par la résolution du Sénat, relativement équilibrée, qui invite à rétablir un contact et un dialogue avec le partenaire russe.

Deuxième sujet : le président Juncker va demander aux États membres de reconfirmer le mandat de la Commission européenne pour la négociation du traité transatlantique.

Ce projet ne peut être bénéfique que s’il est bien négocié, c’est-à-dire s’il est équilibré. L’Union doit rester ferme sur ses intérêts, en particulier l’ouverture des marchés publics et la protection de ses indications géographiques.

Enfin, dernier sujet que je souhaitais évoquer, le Conseil européen devrait débattre de la coopération avec l’OTAN. Nous demandons, au Sénat, un débat stratégique pour définir une vision à long terme de l’avenir de la politique de sécurité et de défense commune.

Les États de l’Union européenne également membres de l’OTAN doivent veiller, lors du prochain sommet de Varsovie, à la cohérence des stratégies respectives de l’Union et de l’Organisation atlantique. C’est aussi l’un des messages qu’avec quelques collègues, nous avons porté à nos homologues polonais la semaine passée. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et de l'UDI-UC.)