compte rendu intégral

Présidence de M. Thierry Foucaud

vice-président

Secrétaires :

M. Christian Cambon,

M. Claude Haut.

M. le président. La séance est ouverte.

(La séance est ouverte à quatorze heures trente.)

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Procès-verbal

M. le président. Le compte rendu analytique de la précédente séance a été distribué.

Il n’y a pas d’observation ?…

Le procès-verbal est adopté sous les réserves d’usage.

2

Dépôt d’un document

M. le président. M. le président du Sénat a reçu de M. le Premier ministre le tableau de programmation des mesures d’application de la loi n° 2016-274 du 7 mars 2016 relative au droit des étrangers en France.

Acte est donné du dépôt de ce document.

Il a été transmis à la commission des lois et à celle de la culture.

3

Communication relative à une commission mixte paritaire

M. le président. J’informe le Sénat que la commission mixte paritaire chargée d’élaborer un texte sur les dispositions restant en discussion du projet de loi pour la reconquête de la biodiversité, de la nature et des paysages n’est pas parvenue à l’adoption d’un texte commun.

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Commissions mixtes paritaires

M. le président. M. le président du Sénat a reçu de M. le Premier ministre les demandes de réunions de commissions mixtes paritaires chargées d’élaborer des textes sur les dispositions restant en discussion, d’une part, du projet de loi organique relatif aux garanties statutaires, aux obligations déontologiques et au recrutement des magistrats, ainsi qu’au Conseil supérieur de la magistrature, et, d’autre part, du projet de loi de modernisation de la justice du XXIe siècle.

Il sera procédé à la nomination des représentants du Sénat à ces commissions mixtes paritaires selon les modalités prévues par l’article 12 du règlement.

5

 
Dossier législatif : projet de loi renforçant la lutte contre le crime organisé, le terrorisme et leur financement, et améliorant l'efficacité et les garanties de la procédure pénale
Discussion générale (suite)

Lutte contre le crime organisé et le terrorisme

Adoption des conclusions modifiées d’une commission mixte paritaire

M. le président. L’ordre du jour appelle l’examen des conclusions de la commission mixte paritaire chargée d’élaborer un texte sur les dispositions restant en discussion du projet de loi renforçant la lutte contre le crime organisé, le terrorisme et leur financement, et améliorant l’efficacité et les garanties de la procédure pénale (texte de la commission n° 606 rectifié, rapport n° 605).

Dans la discussion générale, la parole est à M. le rapporteur.

Discussion générale (début)
Dossier législatif : projet de loi renforçant la lutte contre le crime organisé, le terrorisme et leur financement, et améliorant l'efficacité et les garanties de la procédure pénale
Article 1er

M. Michel Mercier, rapporteur pour le Sénat de la commission mixte paritaire. Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, nous voici parvenus au terme des discussions que nous avons engagées au Sénat en février dernier sur l’amélioration des procédures de droit commun, afin de lutter contre le terrorisme sans avoir à recourir à l’état d’urgence.

Il s’agit par ce texte, qui porte à la fois sur le fond, c’est-à-dire sur le droit pénal, et sur la procédure, de mieux armer la République, afin qu’elle puisse lutter contre la menace terroriste. Pour faire face à cette dernière, qui reste latente et permanente dans notre pays, nous devons disposer de procédures, permanentes elles aussi, que la loi donne à l’État le pouvoir d’appliquer.

La commission mixte paritaire chargée d’élaborer un texte commun sur les dispositions restant en discussion du projet de loi s’est réunie le 11 mai dernier à l’Assemblée nationale. Elle est parvenue à un accord.

M. Jean-Jacques Urvoas, garde des sceaux, ministre de la justice. Très bien !

M. Michel Mercier, rapporteur. Je souligne que la totalité des membres présents de la commission mixte paritaire a voté ce texte, qui a donc su rassembler des parlementaires issus de différentes formations politiques.

M. Michel Mercier, rapporteur. C’était nécessaire : nous n’aurions pu, sans cela, donner à ce texte toute sa force ni aller au-delà de dispositions limitées ou électoralistes.

Ce projet de loi présentait une double particularité. Tout d'abord, il a été adopté à de larges majorités dans les deux chambres : 474 voix pour, 32 voix contre à l’Assemblée nationale ; 299 voix pour, 29 voix contre au Sénat. Ces chiffres mettent en lumière l’existence, dans les deux assemblées, d’un consensus politique autour de la nécessité de mieux armer notre justice pour faire face à la menace terroriste.

Cependant, et très naturellement, les versions votées par chacune des assemblées respectivement n’étaient pas identiques : elles contenaient un certain nombre de différences, qu’il s’agissait de résorber.

Nous y sommes parvenus, au prix d’efforts partagés par tous. Je voudrais à cet égard saluer l’excellent climat dans lequel se sont tenues les discussions que nous avons eues, Philippe Bas et moi-même, avec le président de la commission des lois de l’Assemblée nationale, Dominique Raimbourg, et les rapporteurs du texte, nos collègues Colette Capdevielle et Pascal Popelin. Je remercie ces derniers de leur ouverture d’esprit, de leur sens du dialogue et du compromis, ainsi que de leur volonté d’aboutir à un résultat commun.

Je suis donc aujourd’hui susceptible de vous présenter un texte de compromis, équilibré, qui reprend les dispositions auxquelles chaque assemblée était le plus attachée. J’insiste d'ailleurs sur le fait que, sans compromis, il n’y a pas d’accord politique !

S’agissant du Sénat, nous avions très clairement indiqué quelles étaient les principales dispositions auxquelles nous tenions plus particulièrement, en votant, le 2 février dernier, une proposition de loi tendant à renforcer l’efficacité de la lutte antiterroriste, cosignée par Philippe Bas, président de la commission des lois, Bruno Retailleau et François Zocchetto, respectivement président du groupe Les Républicains et président du groupe de l’UDI-UC, et moi-même.

Notre objectif a été de réintroduire dans le projet de loi que nous soumettait le Gouvernement les principales mesures qui figuraient dans ladite proposition de loi. Je dois reconnaître que la chose a été assez simple : le Gouvernement, par la voix de M. le garde des sceaux, s’y est prêté bien volontiers, en introduisant de lui-même dans le texte un certain nombre de dispositions que nous avions votées. Nos collègues de l’Assemblée nationale n’y ont pas fait obstacle, bien au contraire.

Un point central, auquel nous étions très attachés, était celui de la perpétuité – on parle de « perpétuité réelle », mais dès lors que cette peine est prononcée, elle est réelle ! Il s’agissait de déterminer le régime de relèvement de la période de sûreté attaché à une condamnation à perpétuité pour terrorisme. Nous sommes rapidement convenus, avec nos collègues députés, d’une période de trente ans avant que ce relèvement ne soit possible.

Le Sénat avait ajouté six conditions très précises à la mise en œuvre de cette procédure. J’avais présenté, lors de l’examen du projet de loi au Sénat, un amendement dont l’auteur n’était autre que le président de la commission, Philippe Bas, et qui visait déjà à introduire ces six conditions dans le code de procédure pénale. Je rappelle que le vote de cet amendement avait donné lieu au seul scrutin public demandé pendant la discussion du texte ici même. Il s’agissait à nos yeux d’un point cardinal. La commission mixte paritaire l’a retenu ; je remercie les députés d’avoir fait cet effort.

Une grande partie des dispositions de la proposition de loi tendant à renforcer l’efficacité de la lutte antiterroriste, adoptée par le Sénat le 2 février 2016, figurent dans le texte définitif du projet de loi.

Je citerai, par exemple, l’élargissement des possibilités de recours aux perquisitions nocturnes dans les enquêtes du parquet en matière de lutte contre le terrorisme, ou l’élargissement des facultés de recours à de nouvelles techniques d’enquête par le parquet et le juge d’instruction, avec, en particulier, la création d’un régime autonome de saisie des correspondances électroniques à l’insu de la personne, la possibilité d’utiliser l’IMSI catcher, l’élargissement de la technique dite « de la sonorisation des lieux privés » – cela veut dire qu’il est possible d’écouter chez vous –, l’amélioration de l’efficacité du dispositif de captation à distance des données informatiques.

Au chapitre des dispositions qui se retrouvent d’un texte à l’autre figurent également la meilleure articulation entre les enquêtes antiterroristes conduites par le parquet et les procédures d’instruction placées sous l’autorité des juges d’instruction – cette disposition importante permet d’éviter toute césure et, au contraire, de garantir la continuité entre les deux procédures ; l’amélioration des règles de compétence des juridictions parisiennes d’application des peines ; l’autorisation donnée aux juridictions de recourir à des mesures de prise en charge de la radicalisation ; la possibilité d’appliquer le suivi sociojudiciaire aux personnes condamnées pour terrorisme, ce qui permet de les placer sous surveillance électronique à leur libération ; la création de deux nouveaux délits terroristes, le délit d’entrave au blocage des sites incitant à la commission d’actes de terrorisme et le délit de consultation habituelle de tels sites ; la création d’un fondement légal aux unités dédiées, dans les établissements pénitentiaires, aux personnes détenues radicalisées ; enfin, la création d’un régime procédural spécifique permettant d’empêcher l’accès des personnes condamnées pour terrorisme à la libération conditionnelle.

Une base très forte est donc commune à la proposition de loi adoptée par le Sénat en février dernier et au texte final issu de la commission mixte paritaire, dans lequel nous retrouvons un certain nombre de points très importants auxquels nous étions très attachés.

Bien entendu, pour parvenir à de tels résultats, nous avons dû faire des concessions, sans quoi le compromis eût été impossible.

Nous avons abandonné, notamment, la création d’une circonstance aggravante, afin que l’association de malfaiteurs en relation avec une entreprise terroriste puisse relever de la cour d’assises, l’application de la rétention de sûreté et de la surveillance de sûreté aux personnes condamnées pour terrorisme, ainsi que le caractère automatique de la peine complémentaire d’interdiction de territoire français pour les étrangers condamnés pour terrorisme. Nous avons également renoncé au projet d’allongement de la durée de détention provisoire applicable aux mineurs.

Je veux signaler également que le texte issu de la commission mixte paritaire intègre l’extension de l’obligation de dénonciation d’une infraction terroriste au sein du cercle familial, l’amélioration des dispositions permettant de lutter contre les communications électroniques illicites dans les établissements pénitentiaires, ou encore le renforcement des dispositions permettant de lutter contre le trafic d’armes.

J’insiste brièvement sur un point important : l’article 19 du présent projet de loi prévoit désormais une procédure particulière, qui permet aux policiers, aux gendarmes et aux douaniers de faire usage de leur arme à feu lorsqu’ils ont des raisons « objectives » d’estimer que des personnes venant de perpétrer des assassinats sont en situation d’en perpétrer d’autres.

Il s’agit alors d’une situation objective, et non pas subjective, de légitime défense, dans laquelle ce qu’on peut appeler « l’ordre de la loi » leur permet d’ouvrir le feu. Je pense que les forces de l’ordre, auxquelles je veux ici, de nouveau, rendre hommage, apprécieront cette disposition.

En matière de procédure pénale, nous avons veillé à ce que l’introduction d’une procédure contradictoire dans les enquêtes du parquet ne conduise pas à gêner le travail des tribunaux, voire à provoquer leur embolie, afin de ne pas fragiliser leur efficacité.

Mes chers collègues, la marque du Sénat est donc forte sur l’ensemble du texte qui vous est soumis aujourd’hui. Nous y retrouvons le travail que nous avons accompli depuis le mois de février dernier. Je vous demande par conséquent, et très naturellement, de bien vouloir l’adopter. (Applaudissements sur les travées de l'UDI-UC et du groupe Les Républicains. – M. Jean-Pierre Sueur applaudit également.)

M. le président. La parole est à M. le garde des sceaux.

M. Jean-Jacques Urvoas, garde des sceaux, ministre de la justice. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, votre rapporteur vient de présenter les conclusions de la commission mixte paritaire, ce qui me dispense de le faire. Il n’y a là rien que de très normal, d'ailleurs, puisqu’il s’agit d’une procédure exclusivement parlementaire, dans laquelle le Gouvernement n’est qu’un spectateur – ravi, en l’occurrence – du compromis que vous avez su construire avec vos collègues de l’Assemblée nationale.

J’associe évidemment à mes remerciements le président de votre commission des lois, M. Philippe Bas, ainsi que la délégation des sénateurs qui composait la commission mixte paritaire dont vous venez de nous apprendre, monsieur le rapporteur, qu’elle avait voté à l’unanimité ce compromis.

Une commission mixte paritaire à l’issue heureuse, c’est toujours un moment agréable : cela témoigne d’une volonté de rassemblement et montre que le traitement du sujet contribue à l’unité nationale. Vous l’avez très justement rappelé, monsieur le rapporteur : les débats, dans les deux chambres, avaient montré la voie, par la hauteur des scores par lesquels les parlementaires, députés et sénateurs, avaient approuvé le texte.

Chacune des assemblées a ainsi manifesté sa volonté d’accepter et de consolider la plupart des articles qui étaient portés par trois ministres du gouvernement conduit par Manuel Valls. La commission mixte paritaire a su très sagement dépasser les différences qui existaient entre les deux textes ; l’engagement des présidents des deux commissions des lois n’y est sans doute pas étranger.

Nous pouvons être fiers, me semble-t-il, d’avoir uni nos efforts au service de la sécurité de nos concitoyens, du renforcement des moyens donnés aux magistrats pour combattre le terrorisme, mais aussi de la simplification des procédures.

Les efforts que vous avez consentis en commun se constatent aussi à la lecture d’un autre chiffre, que M. le rapporteur a, par pudeur, passé sous silence : celui du nombre d’articles de ce texte. À l’origine, le Gouvernement avait déposé un texte de 34 articles ; le texte élaboré par la commission mixte paritaire en compte 125.

Évidemment, comme il est d’usage en pareil cas, des observateurs superficiels ou des esprits chagrins pourraient critiquer cette augmentation. Je préfère au contraire y voir la qualité du travail parlementaire, lequel a été réalisé très méticuleusement et dans une parfaite concertation avec le Gouvernement, du moins la plupart du temps – sur certaines dispositions contenues dans le texte élaboré par la CMP, le Gouvernement n’aurait probablement pas, en séance, donné un avis favorable. Toutefois, les deux chambres se sont mises d’accord, et le Gouvernement prend acte de la position que vous avez construite ensemble.

L’important est que vous ayez su, sénateurs et députés, faire prévaloir des dispositions importantes auxquelles vous étiez attachés. Pour sa part, le Gouvernement retrouve dans le présent texte les trois ambitions qu’il avait eu l’honneur de présenter comme les vocations premières de son projet de loi : des moyens pour la lutte contre le terrorisme, des garanties pour le justiciable et une série de simplifications procédurales.

J’ai indiqué, monsieur le rapporteur, mesdames, messieurs les sénateurs, que je n’entrerais pas dans le détail du texte. Permettez-moi simplement de revenir sur une seule question : pourquoi fallait-il une troisième loi antiterroriste, après celles qui ont été votées en décembre 2012 et en novembre 2014 ? Aurions-nous cédé à une forme de fuite en avant, comme certains ont pu le dénoncer ? Je ne le crois pas. Je crois même fermement le contraire.

Ce texte vient consolider un modèle français de lutte contre le terrorisme confiant à l’autorité judiciaire un large spectre d’action, qui s’étend de la prévention à la répression. Il place la modernité technologique au service de la préservation de cette spécificité et du renforcement de la police judiciaire, laquelle, afin de pouvoir continuer à exercer pleinement son office, ne doit pas être moins efficace que la police administrative.

Ce texte, dès lors, s’inscrit dans l’avenir de notre pays, parce qu’il le prépare et parce qu’il le rend possible. C’est pourquoi il trouve parfaitement sa place dans la volonté qui m’anime, depuis que j’ai la responsabilité de la chancellerie, de renforcer une justice dont les citoyens peuvent se dire fiers et à laquelle ils peuvent spontanément accorder leur confiance et le respect qui s’impose. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain et de l'UDI-UC.)

M. le président. La parole est à Mme Cécile Cukierman.

Mme Cécile Cukierman. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous sommes aujourd’hui appelés à nous prononcer sur un texte qui est « un outil […] permet[tant] de se passer de l’état d’urgence », comme l’a résumé le rapporteur Pascal Popelin à l’Assemblée nationale.

Pour le dire clairement, si l’état d’urgence a récemment été prolongé de deux mois, et non de trois, c’est parce que, dans l’intervalle, sera promulgué le présent projet de loi, qui est dit « de réforme pénale », mais qui constitue bien plutôt un énième projet de loi antiterroriste, comme vous venez d’ailleurs de le confirmer, monsieur le garde des sceaux.

Ce texte donne au ministère de l’intérieur des prérogatives tout droit inspirées de l’état d’urgence, telles que la possibilité d’assigner à résidence, pour une durée d’un mois, toute personne revenant d’un théâtre d’opérations où interviennent des groupes terroristes, et ce même si aucun élément constitutif d’un délit n’existe pour saisir la justice.

Dans sa dernière mouture, ce texte a également été agrémenté de dispositions figurant dans la proposition de loi tendant à renforcer l’efficacité de la lutte antiterroriste déposée par MM. Bas, Retailleau, Zocchetto et Mercier, adoptée par le Sénat le 2 février dernier. Il s’agit notamment de l’accroissement des outils d’investigation accordés au parquet et de la création de nouveaux délits terroristes, comme le délit de consultation de sites internet provoquant au terrorisme, désormais passible d’une peine de deux ans d’emprisonnement et 30 000 euros d’amende.

Je ne reviendrai pas sur le caractère ubuesque de cette dernière disposition et sur la quasi-impossibilité de son application, sauf à déployer une surveillance de masse agressive et à nier le droit à l’information de tout un chacun. Cette disposition a d’ailleurs de fortes chances d’être censurée par le Conseil constitutionnel. Nous y serons attentifs.

Présenté comme un texte distinct des précédents, ce projet de loi contient en outre des dispositions similaires à celles qui figuraient dans l’avant-projet de loi d’application de la révision constitutionnelle désormais abandonnée. Il prévoit ainsi d’introduire dans le droit commun des dispositions telles que la possibilité de rétention administrative, pour une durée de quatre heures, et sur simple soupçon, de toute personne faisant l’objet d’un contrôle d’identité dans la rue, même si ses papiers sont en règle.

Cette retenue administrative, dont le procureur de la République est tenu informé, n’offre pas les mêmes garanties qu’une garde à vue. Comme nombre d’avocats et d’associations de défense des droits de l’homme, nous dénonçons vertement cette mesure de police, qui contribuera à aggraver les situations de contrôle discriminatoire et à dégrader la confiance que nos concitoyennes et concitoyens placent au quotidien dans les forces de l’ordre.

À l’issue de la réunion de la commission mixte paritaire, nous nous réjouissons que les parlementaires aient renoncé aux amendements votés au Sénat, et marqués du sceau de la droite, pour détricoter la contrainte pénale et aggraver le dispositif de la rétention de sûreté.

Toutefois, nous déplorons la suppression d’une mesure financière que le groupe CRC avait fait adopter ici même, par voie d’amendement, concernant le « verrou de Bercy ». Il s’agissait de permettre que certaines infractions puissent être poursuivies dans la globalité de leurs implications, notamment quand la fraude fiscale et économique vise au financement d’activités criminelles dangereuses pour la sécurité publique.

Par-delà cette déception, notre inquiétude est grande concernant deux dispositions conservées par la commission mixte paritaire, qui sont particulièrement graves pour notre droit pénal.

Il s’agit, en premier lieu, de la perpétuité « incompressible », soutenue par les sénateurs de droite. Ceux-ci n’ont pas cédé sur cette disposition, qui autorisera les juges à prononcer des peines de sûreté de trente ans, au lieu de vingt-deux ans actuellement. Les aménagements de peine seront impossibles avant ce délai, et au-delà très strictement encadrés, une commission étant notamment chargée de recueillir l’avis des victimes.

En définitive, il s’agit de durcir le régime de la perpétuité incompressible, l’objectif étant d’entériner la certitude que les condamnés ne pourront jamais être libérés. Autrement dit, si l’on requiert la prison à vie, c’est à défaut de demander la peine de mort, sans s’interroger sur les effets de la perpétuité, sans penser que cette peine s’accomplit déjà dans des conditions légales et pratiques si restrictives qu’elle revient à une élimination sociale réelle.

« Cette peine de perpétuité réelle équivaut à une peine de mort », dénonce ainsi Denis Salas, magistrat et chercheur, qui considère qu’« il n’y a pas de différence entre une détention en attendant l’exécution et une détention en attendant la mort. »

Le Comité européen pour la prévention de la torture et des peines ou traitements inhumains ou dégradants, organe du Conseil de l’Europe, a qualifié cette perpétuité réelle relancée par la France de « traitement inhumain », arguant qu’une peine d’emprisonnement qui n’est assortie d’aucune possibilité de libération exclut l’une des justifications essentielles de l’emprisonnement, à savoir la possibilité d’une réinsertion. La peine doit punir, évidemment, mais elle doit être tournée vers le retour progressif de la personne dans la communauté.

Enfin, comme l’explique très justement le Syndicat de la magistrature, « la perpétuité incompressible ne tarira pas la douleur des victimes. Elle ne protégera pas la société du terrorisme. Mais elle signera un renoncement majeur à un droit pénal démocratique et humaniste. »

La seconde mesure que je souhaitais évoquer, qui marque elle aussi un recul notable de notre droit pénal, est le recours aux fouilles à nu, dans les prisons, de façon aléatoire et généralisée. Monsieur le garde des sceaux, vous plaidiez pourtant, en 2009, pour l’interdiction totale des fouilles corporelles, « au nom de la dignité humaine ». Hélas, depuis lors, les sirènes sécuritaires ont sifflé, et ce droit au respect de la dignité humaine, le plus élémentaire qui soit, est bafoué, comme le dénonce également l’Observatoire international des prisons.

Pour notre part, nous protestons, comme le Contrôleur général des lieux de privation de liberté, contre cette régression importante de notre droit au regard du respect des droits fondamentaux.

Déjà condamnée en la matière par la Cour européenne des droits de l’homme, la France pourra échapper à une censure globale, mais elle se verra assurément exposée à des condamnations au cas par cas.

Il est pourtant possible de lutter contre l’insécurité dans les prisons, mais autrement : par exemple, en réorganisant le circuit des parloirs, en augmentant les effectifs de surveillants, ou encore en développant les « portiques à ondes millimétriques », mesure prescrite par la Cour européenne des droits de l’homme et par plusieurs associations. Ces solutions sont certes coûteuses, mais il s’agit du prix de la dignité !

L’ensemble des mesures de ce texte sera non seulement inefficace au regard de l’objectif poursuivi, à savoir la lutte contre Daech, mais surtout inapplicable, étant donné les moyens dérisoires alloués à notre justice. Pis encore, ce projet de loi vient entacher notre droit pénal de mesures sécuritaires qui relèvent de la surenchère populiste et émotionnelle. Il en résulte que la France se dote désormais de la législation antiterroriste la plus sévère pour les justiciables et la plus souple pour l’État.

En définitive, vous l’aurez compris, mes chers collègues, les sénatrices et sénateurs du groupe CRC ne cautionnent pas l’inscription dans notre droit commun de mesures d’exception nous conduisant à une forme d’état d’urgence permanent. De nouveau, nous voterons résolument contre ce texte. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC. – Mme Esther Benbassa et M. Pierre-Yves Collombat applaudissent également.)

M. le président. La parole est à M. Jacques Bigot.

M. Jacques Bigot. Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, nous examinons en un temps exceptionnellement bref, dont le Gouvernement ne peut que se satisfaire, un texte qui a été déposé à l’Assemblée nationale le 3 février dernier et qui, en moins de quatre mois, s’apprête à être adopté, en vertu d’un accord trouvé en commission mixte paritaire.

Cela prouve, mes chers collègues, que lorsque nous sommes convaincus qu’un texte est nécessaire et que nous travaillons à son élaboration, nous sommes capables de mener à bien ce travail dans des délais raisonnables. Cet exemple pourrait servir pour d’autres sujets et pour faire évoluer nos pratiques parlementaires. Celles-ci, me semble-t-il, seraient plus efficaces et plus satisfaisantes pour la population si les délais d’examen des textes étaient plus brefs. (M. Jean-Louis Carrère applaudit.)

Nous étions tous convaincus de la nécessité de répondre à une demande clairement exprimée par les acteurs de terrain, policiers, gendarmes et magistrats, qui souhaitaient disposer, pour lutter contre le terrorisme et le crime organisé, de moyens qui n’étaient pas prévus par la loi.

Il est vrai que, à l’occasion du texte sur l’état d’urgence, après les attentats du Bataclan, ces moyens ont pu être accordés par le Gouvernement. Ils ont été confirmés à deux reprises par le Parlement.

Cependant, les procédures pénales et les services de la police, comme ceux de la justice, doivent faire face à une menace terroriste qui n’est pas terminée. Elle existe depuis quelques années et elle se renforce fortement. Ils doivent également faire face au crime organisé, qui n’est absolument plus territorialisé et auquel il faut bien que nous nous adaptions.

Par ailleurs, nous avons voté le texte sur la République numérique. Or le numérique profite aussi aux criminels, aux délinquants et à tous ceux qui commettent des infractions. Il faut bien que la police et la justice puissent utiliser ces moyens nouveaux. Ils ne doivent pas être freinés dans leurs investigations parce qu’ils ne pourraient pas y avoir accès.

Tous ces paramètres ont été pris en compte dans le texte que vous nous avez présenté, monsieur le garde des sceaux. Ces sujets avaient néanmoins déjà fait l’objet d’une espèce de débat préalable à l’occasion d’une proposition de loi. Finalement, ce débat préliminaire a été utile, d’autant, monsieur la garde des sceaux, que vous avez eu le souci démocratique d’introduire dans votre texte à l’Assemblée nationale une partie du dispositif discuté ici, au Sénat. C’est aussi cela qui a participé à l’accord que nous sommes arrivés à trouver en commission mixte paritaire.

Cet accord, mes chers collègues, ne signifie pas que nous soyons tous parfaitement satisfaits de l’ensemble des articles : un accord suppose un compromis.

Le groupe socialiste et républicain, auquel j’appartiens, avait formulé des observations sur plusieurs points du texte, ainsi que sur un certain nombre de rédactions issues des travaux de l’Assemblée nationale qui ne nous paraissaient pas tout à fait satisfaisantes. Je pense, notamment, à l’article 19, sur la capacité des policiers à réagir avec leurs armes. La commission des lois du Sénat a trouvé une rédaction bien meilleure, et je l’en remercie. Chacun en est convenu. C’est aussi cela, le rôle de ceux qui examinent en seconde position un texte.

Au-delà de ces questions, les uns pensent que des textes plus répressifs sont utiles, d’autres en doutent, y compris au sein du groupe Les Républicains. J’ai entendu ce matin un président intermittent de la commission, François Pillet, s’exprimer en ce sens.