Sommaire

Présidence de M. Gérard Larcher

Secrétaires :

Mmes Colette Mélot, Catherine Tasca.

1. Procès-verbal

2. Mise au point au sujet d’un vote

3. Candidatures à une commission mixte paritaire

4. Candidatures à une commission d’enquête

5. Candidatures à une mission d’information

6. Salut en séance aux auditeurs de l’Institut du Sénat

7. Projet de programme de stabilité

M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général de la commission des finances

Mme Michèle André, présidente de la commission des finances

M. Jean-Marie Vanlerenberghe, rapporteur général de la commission des affaires sociales

M. Éric Bocquet

M. Richard Yung

M. Jean Desessard

M. Jean-Claude Requier

Mme Fabienne Keller

M. Vincent Capo-Canellas

M. Yves Daudigny

M. Michel Bouvard

8. Nomination des membres d’une commission d’enquête

9. Nomination des membres d’une mission d’information

10. Projet de programme de stabilité (suite)

M. Michel Sapin, ministre des finances et des comptes publics

M. Christian Eckert, secrétaire d’État auprès du ministre des finances et des comptes publics, chargé du budget

11. Dépôt d’un rapport

12. Renvoi pour avis unique

Suspension et reprise de la séance

PRÉSIDENCE DE M. Claude Bérit-Débat

13. Nomination de membres d’une commission mixte paritaire

14. République numérique. – Suite de la discussion en procédure accélérée d’un projet de loi dans le texte de la commission

Article 9 (suite)

Amendements identiques nos 8 rectifié de M. Jacques Genest et 525 rectifié de M. Jean-Claude Requier. – Retrait des deux amendements.

Demande de priorité

Demande de priorité des articles 43 à 45 ainsi que des amendements portant articles additionnels après ces articles. – Mme Axelle Lemaire, secrétaire d'État ; M. Philippe Bas, président de la commission des lois. – La priorité est ordonnée.

Article 9 (suite)

Amendement n° 538 rectifié de M. Jean-Claude Requier. – Retrait.

Amendement n° 570 rectifié de M. Daniel Gremillet. – Retrait.

Adoption de l’article modifié.

Article additionnel après l'article 9

Amendement n° 374 rectifié bis de M. Patrick Chaize. – Retrait.

Article 9 bis

Amendement n° 450 de Mme Éliane Assassi. – Rejet.

Adoption de l’article.

Article 9 ter (supprimé)

Amendement n° 106 rectifié ter de Mme Catherine Morin-Desailly

Amendement n° 449 de Mme Éliane Assassi

Amendement n° 183 de Mme Corinne Bouchoux et sous-amendement n° 629 de M. Gaëtan Gorce. – Le sous-amendement n’est pas soutenu.

Amendement n° 393 rectifié de Mme Joëlle Garriaud-Maylam

Amendement n° 184 de Mme Corinne Bouchoux

Amendement n° 223 rectifié de M. Jean-Pierre Sueur

Suspension et reprise de la séance

Sous-amendement n° 666 de M. Jean-Pierre Sueur à l’amendement n° 106 rectifié ter de Mme Catherine Morin-Desailly. – Retrait.

Sous-amendement n° 667 de Mme Joëlle Garriaud-Maylam. – Rejet.

Amendement n° 223 rectifié de M. Jean-Pierre Sueur. – Après une demande de priorité de la commission, adoption de l’amendement rétablissant l’article.

Amendement n° 106 rectifié ter de Mme Catherine Morin-Desailly. – Devenu sans objet.

Amendement n° 449 de Mme Éliane Assassi. – Retrait.

Amendement n° 183 de Mme Corinne Bouchoux. – Retrait.

Amendement n° 393 rectifié de Mme Joëlle Garriaud-Maylam. – Devenu sans objet.

Amendement n° 184 de Mme Corinne Bouchoux. – Retrait.

Article 10

M. Jean-Pierre Bosino

Amendements identiques nos 364 de M. Philippe Bonnecarrère et 556 rectifié de M. Jean-François Husson. – Retrait des deux amendements.

Amendement n° 87 rectifié de M. Patrick Chaize. – Adoption de l’amendement rédigeant l’article.

Amendement n° 224 de M. Jean-Pierre Sueur. – Devenu sans objet.

Amendements identiques nos 10 de M. Jacques Genest et 530 rectifié de M. Jean-Claude Requier. – Devenus sans objet.

Amendements identiques nos 166 rectifié bis de M. François Commeinhes et 286 rectifié de M. Éric Doligé. –Devenus sans objet.

Amendement n° 496 rectifié bis de M. Alain Vasselle. – Devenu sans objet.

Amendement n° 451 de Mme Éliane Assassi. – Devenu sans objet.

Amendements identiques nos 366 de M. Philippe Bonnecarrère et 558 rectifié de M. Jean-François Husson. – Devenus sans objet.

Amendement n° 484 de Mme Evelyne Yonnet. – Devenu sans objet.

Amendement n° 495 rectifié de M. Alain Vasselle. – Devenu sans objet.

Amendements identiques nos 365 de M. Philippe Bonnecarrère et 557 rectifié de M. Jean-François Husson. – Devenus sans objet.

Amendements identiques nos 9 de M. Jacques Genest et 527 rectifié de M. Jean-Claude Requier. – Devenus sans objet.

Amendement n° 285 rectifié de M. Éric Doligé. – Devenu sans objet.

Amendement n° 532 rectifié de M. Jean-Claude Requier. – Devenu sans objet.

Amendements identiques nos 168 rectifié de M. François Commeinhes et 287 rectifié de M. Éric Doligé. – Devenus sans objet.

Amendement n° 347 rectifié de M. Loïc Hervé. – Devenu sans objet.

Articles additionnels après l'article 10

Amendement n° 187 de Mme Corinne Bouchoux. – Non soutenu.

Amendement n° 452 rectifié de Mme Éliane Assassi. – Retrait.

Article 11

Amendement n° 171 rectifié de M. François Commeinhes. – Retrait.

Amendement n° 225 de M. Jean-Pierre Sueur. – Rejet.

Amendement n° 226 de M. Jean-Pierre Sueur. – Rejet.

Amendement n° 624 de la commission. – Adoption.

Adoption de l’article modifié.

Article 12

Amendement n° 169 rectifié bis de M. François Commeinhes. – Retrait.

Amendement n° 320 de M. Robert Navarro. – Non soutenu.

Amendement n° 453 de Mme Éliane Assassi. – Rejet.

Amendement n° 17 rectifié bis de M. Jean-Pierre Grand. – Retrait.

Adoption de l’article.

Articles additionnels après l'article 12

Amendement n° 448 rectifié de Mme Éliane Assassi. – Rejet.

Amendement n° 447 rectifié de Mme Éliane Assassi. – Rejet.

Amendements identiques nos 581 du Gouvernement et 604 de Mme Corinne Bouchoux ; sous-amendement n° 659 du Gouvernement. – Adoption du sous-amendement et de l’amendement n° 581 modifié insérant un article additionnel, l’amendement n° 604 étant considéré comme adopté, modifié.

Amendements identiques nos 577 de Mme Corinne Bouchoux et 582 du Gouvernement ; sous-amendement n° 660 du Gouvernement. – Adoption du sous-amendement et de l’amendement n° 582 modifié insérant un article additionnel, l’amendement n° 577 étant considéré comme adopté, modifié.

Amendement n° 345 rectifié de Mme Corinne Bouchoux. – Rejet.

Amendement n° 344 de Mme Corinne Bouchoux. – Retrait.

Amendement n° 633 du Gouvernement. – Adoption de l’amendement insérant un article additionnel.

Article 12 bis (nouveau)

Amendement n° 454 de Mme Éliane Assassi. – Rejet.

15. Demande d'avis sur un projet de nomination

16. Dépôt d’un document

Suspension et reprise de la séance

PRÉSIDENCE DE Mme Jacqueline Gourault

17. République numérique. – Suite de la discussion en procédure accélérée d’un projet de loi dans le texte de la commission

Article 12 bis (nouveau) (suite)

Amendement n° 63 rectifié bis de M. Xavier Pintat. – Adoption.

Amendement n° 227 rectifié de M. Jean-Pierre Sueur. – Adoption.

Adoption de l’article modifié.

Articles additionnels après l'article 12 bis

Amendement n° 304 rectifié de M. Jean Bizet. – Retrait.

Amendements identiques nos 173 rectifié de M. Jean Bizet, 308 de M. Roland Courteau et 550 rectifié bis de M. Jean-François Husson. – Retrait des trois amendements.

Article 12 ter (nouveau)

Amendement n° 228 de M. Jean-Pierre Sueur. – Adoption.

Amendement n° 625 de la commission. – Adoption.

Adoption de l’article modifié.

Article 13

Amendement n° 102 de M. Jean-Yves Leconte. – Retrait.

Adoption de l’article.

Article 14

Amendement n° 103 de M. Jean-Yves Leconte. – Retrait.

Adoption de l’article.

Article 15

Amendement n° 104 de M. Jean-Yves Leconte. – Retrait.

Adoption de l’article.

Article 16

Amendement n° 105 de M. Jean-Yves Leconte. – Retrait.

Adoption de l’article.

Article 16 bis (supprimé)

Article 16 ter

Amendement n° 65 de M. Jean-Yves Leconte. – Retrait.

Amendement n° 108 rectifié bis de Mme Catherine Morin-Desailly. – Rejet.

Amendement n° 107 rectifié bis de Mme Catherine Morin-Desailly. – Rejet.

Amendement n° 229 de M. Jean-Pierre Sueur. – Rejet.

Amendement n° 295 rectifié de M. Bruno Retailleau. – Adoption.

Amendement n° 230 de M. Gaëtan Gorce. – Rejet.

Adoption de l’article modifié.

Article 17 A (supprimé)

Amendement n° 455 de Mme Éliane Assassi. – Rejet.

L’article demeure supprimé.

Article 17

M. Patrick Abate

Amendement n° 456 de Mme Éliane Assassi. – Rejet.

Amendement n° 264 de Mme Dominique Gillot. – Rejet.

Amendements identiques nos 188 de Mme Corinne Bouchoux et 268 de Mme Dominique Gillot. – Adoption des deux amendements.

Amendements identiques nos 95 rectifié de M. Jean-Pierre Leleux et 170 rectifié de M. François Commeinhes. – Rejet de l’amendement n° 95 rectifié, l’amendement n° 170 rectifié n'étant pas soutenu.

Amendement n° 500 rectifié de M. Jean-Claude Requier. – Retrait.

Amendement n° 262 de Mme Dominique Gillot. – Rejet.

Adoption de l’article modifié.

Article 17 bis

M. Michel Savin

M. Patrick Abate

Amendement n° 265 de Mme Dominique Gillot. – Rejet.

Amendement n° 263 de Mme Dominique Gillot. – Adoption.

Adoption de l’article modifié.

Articles additionnels après l'article 17 bis

Amendement n° 269 de Mme Dominique Gillot. – Retrait.

Amendement n° 266 de Mme Dominique Gillot. – Retrait.

Amendement n° 267 de Mme Dominique Gillot. – Adoption de l’amendement insérant un article additionnel.

Amendement n° 622 rectifié du Gouvernement. – Adoption de l'amendement insérant un article additionnel.

Article 17 ter – Adoption.

Article 18 – Adoption.

Articles additionnels après l'article 18

Amendement n° 627 de la commission. – Adoption de l’amendement insérant un article additionnel.

Amendements identiques nos 231 de M. Jean-Pierre Sueur et 615 du Gouvernement. – Adoption des deux amendements insérant un article additionnel.

Article 18 bis A (nouveau) – Adoption.

Article 18 bis

M. Patrick Abate

Amendement n° 585 du Gouvernement. – Rejet.

Renvoi de la suite de la discussion.

18. Ordre du jour

compte rendu intégral

Présidence de M. Gérard Larcher

Secrétaires :

Mme Colette Mélot,

Mme Catherine Tasca.

M. le président. La séance est ouverte.

(La séance est ouverte à quatorze heures trente.)

1

Procès-verbal

M. le président. Le compte rendu analytique de la précédente séance a été distribué.

Il n’y a pas d’observation ?…

Le procès-verbal est adopté sous les réserves d’usage.

2

Mise au point au sujet d’un vote

M. le président. La parole est à M. Cédric Perrin.

M. Cédric Perrin. Monsieur le président, lors du scrutin n° 201, sur l’amendement n° 210 rectifié, à l’article 4 du projet de loi pour une République numérique, j’ai été inscrit comme ayant voté contre, alors que je souhaitais voter pour.

M. le président. Acte est donné de cette mise au point, mon cher collègue. Elle sera publiée au Journal officiel et figurera dans l’analyse politique du scrutin.

3

Candidatures à une commission mixte paritaire

M. le président. J’informe le Sénat que la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d’administration générale a procédé à la désignation des candidats qu’elle présente à la commission mixte paritaire chargée de proposer un texte sur les dispositions restant en discussion du projet de loi renforçant la lutte contre le crime organisé, le terrorisme et leur financement, et améliorant l’efficacité et les garanties de la procédure pénale.

Cette liste a été publiée et la nomination des membres de cette commission mixte paritaire aura lieu conformément à l’article 12 du règlement.

4

Candidatures à une commission d’enquête

M. le président. L’ordre du jour appelle la désignation des vingt et un membres de la commission d’enquête sur les chiffres du chômage en France et dans les pays de l’Union européenne, ainsi que sur l’impact des réformes mises en place par ces pays pour faire baisser le chômage, créée sur l’initiative du groupe Les Républicains, en application du droit de tirage prévu par l’article 6 bis du règlement.

En application de l’article 8, alinéas 3 à 11, et de l’article 11 de notre règlement, la liste des candidats établie par les groupes a été publiée.

Elle sera ratifiée si la présidence ne reçoit pas d’opposition dans le délai d’une heure.

5

Candidatures à une mission d’information

M. le président. L’ordre du jour appelle la désignation des vingt-sept membres de la mission d’information sur la position de la France à l’égard de l’accord de mars 2016 entre l’Union européenne et la Turquie relatif à la crise des réfugiés et sur les conditions de mise en œuvre de cet accord, créée sur l’initiative du groupe communiste républicain et citoyen, en application du droit de tirage prévu par l’article 6 bis du règlement.

En application de l’article 8, alinéas 3 à 11, et de l’article 110 de notre règlement, la liste des candidats établie par les groupes a été publiée.

Elle sera ratifiée si la présidence ne reçoit pas d’opposition dans le délai d’une heure.

6

Salut en séance aux auditeurs de l’Institut du Sénat

M. le président. Monsieur le ministre, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, je suis heureux de saluer la présence dans nos tribunes des auditeurs et auditrices de la première promotion de l’Institut du Sénat.

Je vous rappelle, mes chers collègues, que, à la suite du remarquable travail et du rapport du questeur Jean-Léonce Dupont, le bureau du Sénat a décidé de mettre en œuvre un programme de formation inspiré de celui de l’IHEDN, l’Institut des hautes études de Défense nationale, en vue de plonger des personnalités représentatives de différents secteurs d’activité au cœur de la vie parlementaire pendant une session.

Ces auditeurs ont été sélectionnés par l’intermédiaire, notamment, des associations départementales des maires et sont issus de vingt départements pour cette première promotion.

Ils représentent l’ensemble de la sphère publique : monde économique, social, syndical et associatif, monde de l’éducation, fonctionnaires, professions libérales… Et beaucoup d’entre eux sont aussi élus locaux.

Certains d’entre vous, que je remercie, les ont déjà rencontrés au cours des différents ateliers organisés à leur intention.

Je leur souhaite à tous, en votre nom, mes chers collègues, une excellente poursuite de cette session, sous la houlette attentive du questeur Jean-Léonce Dupont. Je forme le vœu qu’ils fassent mieux connaître le rôle essentiel du bicamérisme dans l’équilibre des institutions de la VRépublique et mieux comprendre la vie parlementaire, à un moment où l’on a tendance à beaucoup trop simplifier les choses. (Applaudissements.)

7

Projet de programme de stabilité

M. le président. L’ordre du jour appelle le débat sur le projet de programme de stabilité, organisé à ma demande et à celle de la commission des finances.

Dans le débat, la parole est à M. le rapporteur général de la commission des finances.

M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général de la commission des finances. Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, le projet de programme de stabilité pour les années 2016 à 2019 dont nous débattons aujourd’hui présente les hypothèses macroéconomiques retenues par le Gouvernement pour cette période ainsi que la trajectoire des finances publiques.

Il s’accompagne d’un programme national de réforme qui expose les réformes structurelles engagées ou projetées par le Gouvernement, en particulier à l’aune des objectifs retenus par la stratégie de coordination des politiques économiques, dite « Europe 2020 ».

Ce programme de stabilité ne comprend pas de surprise majeure. Le Gouvernement a en effet choisi de maintenir inchangées les hypothèses de croissance qui avaient été présentées lors du projet de loi de finances et du dernier programme de stabilité. La croissance serait ainsi de 1,5 % en volume en 2016 et en 2017, puis de 1,75 % en 2018, et de 1,9 % en 2019.

La prévision d’inflation pour 2016 a en revanche été ramenée à 0,1 %, contre 1 % dans le projet de loi de finances pour 2016.

Il aurait pu en être autrement, car, au cours des derniers mois, les prévisions de croissance pour l’année 2016 ont été revues à la baisse par tous les organismes. Ainsi, l’activité progresserait seulement de 1,3 % selon la Commission européenne, de 1,1 % selon le FMI, le Fonds monétaire international, et de 1,2 % selon l’OCDE, l’Organisation de coopération et de développement économique.

Dans son avis, le Haut Conseil des finances publiques a considéré que « la prévision de croissance du Gouvernement, tout en se situant en haut de la fourchette des prévisions économiques, est encore atteignable ». Aussi, cette prévision ne peut pas être qualifiée de prudente, d’autant que nombre d’incertitudes demeurent.

En effet, la reprise de la croissance économique reste fragile en raison de la persistance de risques nombreux : les économies émergentes ont montré des signes de ralentissement au cours de l’année 2015, en particulier parmi le groupe des BRICS – le Brésil, la Russie, l’Inde, la Chine et l’Afrique du Sud –, phénomène qui devrait se prolonger en 2016 ; les pays émergents présentent également une grande fragilité financière, avec une évolution heurtée de leurs marchés financiers et un fort accroissement de l’endettement privé ; enfin, la baisse du prix du pétrole fait apparaître des déséquilibres budgétaires dans les pays pétroliers et des risques politiques et sociaux.

Plus près de nous, la situation grecque n’est pas encore stabilisée et la perspective d’un Brexit en juin prochain pourrait provoquer des dommages sévères à l’économie européenne.

Le Gouvernement s’est félicité de la bonne tenue des finances publiques en 2015. Il est vrai que les comptes provisoires publiés par l’INSEE le 25 mars dernier font apparaître un déficit public s’établissant à 77,4 milliards d’euros en 2015, soit 3,5 % du produit intérieur brut, en recul de 0,5 point par rapport à 2014. Le déficit serait donc moins élevé de 0,3 point de produit intérieur brut que la prévision du dernier projet de loi de finances.

Les résultats de l’exercice 2015 doivent toutefois être relativisés, et ce à plusieurs titres.

Tout d’abord, la réduction plus importante qu’il n’était envisagé du déficit public en 2015 est en partie due à des facteurs sur lesquels le Gouvernement n’a pas ou peu de maîtrise : près du quart de l’amélioration du déficit par rapport à la prévision est à attribuer à la situation financière des collectivités territoriales.

Plus généralement, le recul du déficit des administrations publiques entre 2014 et 2015, d’un montant de 7,4 milliards d’euros, s’explique principalement par la baisse de la charge de la dette de 2,3 milliards d’euros, en lien avec le recul des taux d’intérêt, et par la baisse des dépenses d’investissement de 4,1 milliards d’euros, notamment dans les collectivités territoriales.

Notre pays ne saurait donc faire preuve de triomphalisme quand il continue d’afficher, en 2015, avec 3,5 % du produit intérieur brut, l’un des soldes publics les plus dégradés de la zone euro,…

M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général de la commission des finances. … où celui-ci s’est élevé, en moyenne, à 2,1 % du produit intérieur brut.

Par ailleurs, en dépit de l’amélioration du déficit effectif en 2015, la réduction de notre solde structurel demeure en deçà des cibles arrêtées par le Conseil de l’Union européenne dans sa recommandation du 10 mars 2015.

Le Gouvernement annonce un ajustement structurel de 0,4 point de produit intérieur brut en 2016 et de 0,5 point en 2017, contre des objectifs initiaux de 0,8 et 0,9 point de produit intérieur brut.

Ainsi, alors que l’ajustement structurel a été « artificiellement » accru par le relèvement des hypothèses de croissance potentielle, le Gouvernement ne sera pas même en mesure de présenter l’ajustement structurel minimal en application du pacte de stabilité et de croissance, soit 0,5 point de produit intérieur brut.

La France occupe une position médiane parmi les États membres soumis à la procédure de déficit excessif en termes d’ajustement structurel consenti au cours de la période 2011-2015, mais elle est le seul pays en déficit excessif à faire apparaître, au cours de cette même période, une progression de la part de ses dépenses publiques dans le produit intérieur brut – une hausse de 1,2 point – et elle affiche la plus forte augmentation de la part des recettes publiques dans la richesse nationale, à savoir 2,7 points.

M. Christian Eckert, secrétaire d'État auprès du ministre des finances et des comptes publics, chargé du budget. Ils s’y connaissent, à droite !

M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général de la commission des finances. Notre pays a réalisé une part très importante de ses efforts par l’augmentation de ses prélèvements obligatoires et éprouve sans doute aujourd’hui de grandes difficultés à engager les réformes qui permettraient un réel ralentissement de la dépense publique : l’essentiel des économies consenties jusqu’à présent a concerné les dépenses les plus aisées à réduire sans réforme de fond.

M. Didier Guillaume. Ce n’est déjà pas mal !

M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général de la commission des finances. Le rabot a ainsi été passé sur les investissements, les achats courants, tandis qu’a été gelé le point d’indice des fonctionnaires.

Le programme de stabilité montre que le Gouvernement ne paraît pas vouloir se départir de cette logique pour les années à venir, alors qu’elle est bien insuffisante.

La réalisation du programme d’économies d’un montant de 50 milliards d’euros au cours de la période 2015-2017 ne repose pas sur une sélectivité accrue de la dépense publique.

Par ailleurs, les mesures en dépenses annoncées après l’adoption de la loi de finances représentent déjà 3,3 milliards d’euros au titre de l’exercice 2016 : plan d’urgence pour l’emploi, plan en faveur de l’élevage, revalorisation du point d’indice de la fonction publique, etc.

Pour l’année 2017, le coût de ces dépenses devrait être de 4 milliards d’euros au moins. À cela s’ajoute la nécessité de corriger les incidences budgétaires d’une inflation plus faible que celle qui était anticipée, pour un montant de 3,8 milliards d’euros en 2016 et de 5 milliards d’euros en 2017. Cela fait donc au total au moins 7 milliards d’euros d’économies supplémentaires à trouver en 2016 et 9 milliards d’euros en 2017.

Pour faire face à ces contraintes, le Gouvernement annonce des annulations de crédits au sein du budget de l’État, de moindres dépenses liées aux « gains d’efficacité constatés sur les moyens informatiques et sur les achats » ou encore à la rationalisation des implantations territoriales, de moindres décaissements sur le programme d’investissements d’avenir – nous en parlions ce matin en commission avec le commissaire général à l’investissement –, ainsi qu’une amélioration du solde des administrations de sécurité sociale et des collectivités territoriales.

En bref, les mesures annoncées restent très imprécises, d’autant que pour la période 2018-2019, le programme de stabilité ne dit rien de la répartition des efforts en dépenses qui devront être consentis par les différentes catégories d’administrations publiques – en particulier par les collectivités territoriales –, alors qu’ils doivent rester soutenus dans le scénario proposé par le Gouvernement.

Les mesures nouvelles en prélèvements obligatoires représenteraient moins 5,5 milliards d’euros en 2016. À la montée en charge du pacte de responsabilité et de solidarité s’ajouteraient la prolongation du suramortissement des investissements industriels et un allégement de cotisations pour les agriculteurs.

À l’inverse, les allégements de cotisations et de contribution sociale de solidarité des sociétés, la C3S, se traduiraient par une hausse mécanique des recettes de l’impôt sur le revenu et de l’impôt sur les sociétés. En outre, l’introduction d’une composante carbone dans la fiscalité énergétique alourdirait les prélèvements obligatoires, de même que la hausse de la contribution au service public de l’électricité, la CSPE, l’augmentation des taux d’impôts locaux et des cotisations prévue dans le cadre de la dernière réforme des retraites.

En 2017, les mesures nouvelles en prélèvements obligatoires seraient de l’ordre de moins 5,7 milliards d’euros, toujours en lien avec le déploiement du pacte de responsabilité et de solidarité.

Si ces engagements étaient respectés, le taux des prélèvements obligatoires engagerait un déclin progressif, après avoir il est vrai fortement progressé au début de l’actuelle législature. Ainsi, en 2017, celui-ci s’élèverait à 44 % du produit intérieur brut, soit 1,4 point de plus qu’en 2011, et resterait toujours supérieur à son niveau de 2012.

Enfin, après que le Gouvernement a reporté à de nombreuses reprises le moment où le poids de la dette publique dans le produit intérieur brut devait commencer à se réduire, le programme de stabilité marque très nettement le renoncement à l’idée qu’une réduction, voire une stabilisation de celui-ci intervienne avant 2017.

La dette publique n’a cessé de progresser pour s’élever à 95,7 % du produit intérieur brut en 2015, contre 89,6 % en 2012.

En conclusion, il apparaît bien que le programme de stabilité qui nous est présenté aujourd’hui n’est pas à la hauteur des défis auxquels la France est confrontée en matière de redressement de ses finances publiques. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et de l'UDI-UC.)

M. le président. La parole est à Mme la présidente de la commission des finances.

Mme Michèle André, présidente de la commission des finances. Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, la France est l’un des sept pays qui font encore l’objet d’une procédure de correction des déficits excessifs, mais la trajectoire proposée par ce programme de stabilité, confortée par les résultats de 2015, meilleurs que prévu, devrait nous permettre, lorsqu’elle sera déclinée dans les lois financières pour 2017, de sortir du cadre de cette procédure l’année prochaine.

Pour autant, il ne faut pas céder au « fétichisme » des chiffres ou des ratios ; l’important est que notre pays parvienne à respecter ses engagements européens, en conciliant la consolidation des finances publiques et la préservation de la croissance.

La trajectoire budgétaire n’est que l’un des volets de la politique économique, et le programme de stabilité doit se lire avec le programme national de réforme, qui décline de manière détaillée les réformes déjà engagées ou à venir pour assurer la soutenabilité de nos finances publiques, redresser la compétitivité et la productivité, améliorer le fonctionnement du marché du travail et promouvoir l’inclusion sociale et l’égalité des chances.

J’évoquerai d’abord la croissance.

D’aucuns déplorent la faiblesse de l’activité française, et il est vrai que nous ne pouvons que la regretter. Mais il convient dans le même temps de relever que la progression du produit intérieur brut a été de 0,6 % en moyenne au cours de la période 2012-2015, soit le double de celle qui a été observée dans la zone euro.

Cela semble indiquer que le rythme ainsi que la composition de l’ajustement budgétaire ont tout à la fois « épargné » une croissance économique fragile et permis une réduction du déficit public de plus de 1,5 point de produit intérieur brut depuis le début de la législature, soit une amélioration quasi identique à celle qui est affichée par l’Allemagne.

Certains esprits chagrins pourraient reprocher au Gouvernement d’avoir fait reposer une grande partie de l’ajustement structurel sur la fiscalité. Certes, le taux des prélèvements obligatoires a augmenté de près d’un point de produit intérieur brut entre 2012 et 2014, mais c’est un ralentissement notable par rapport aux années 2009 à 2011, au cours desquelles il avait progressé de 1,6 point.

Je retiens surtout que les gouvernements successifs depuis 2012 disent ce qu’ils font et font ce qu’ils disent, avec constance.

M. Roger Karoutchi. Alors ça !…

Mme Michèle André, présidente de la commission des finances. Dès 2012, le Président de la République a clairement exprimé sa volonté de redresser les comptes publics en deux phases : dans un premier temps, en accroissant les prélèvements obligatoires,…

M. Roger Karoutchi. Ça, c’est sûr !

Mme Michèle André, présidente de la commission des finances. … conformément aux constats du Fonds monétaire international sur le moindre effet récessif à court terme des hausses de prélèvements et parce qu’il y avait urgence à endiguer la spirale du déficit – mes chers collègues, vous vous souvenez du niveau qu’il atteignait à cette époque –…

M. Didier Guillaume. Certains l’ont oublié !

Mme Michèle André, présidente de la commission des finances. … puis, dans un second temps, en réduisant la dépense publique. (M. Vincent Delahaye s’exclame.)

L’avenir nous dira si la stratégie budgétaire retenue par le Gouvernement était la bonne. Quoi qu’il en soit, ce dernier a tenu ses engagements et, depuis 2015, l’amélioration de la situation des finances publiques repose exclusivement – je dis bien : exclusivement – sur les dépenses.

À cet égard, le taux de croissance de la dépense publique en volume a été ramené, en moyenne, à 1,2 % entre 2013 et 2015, contre 3,6 % entre 2002 et 2012. Cette dynamique devrait perdurer avec la mise en œuvre du programme de 50 milliards d’euros d’économies au cours de la période 2015-2017, sans cesse consolidé afin de tenir compte, notamment, des effets de la faible inflation.

Il s’agit d’un effort sans précédent sur la dépense, qui concerne toutes les catégories d’administrations publiques et d’abord l’État, comme le montrera l’analyse des rapports annuels de performance de 2015, que nous recevrons bientôt.

Cet effort permet de continuer l’assainissement des finances publiques tout en finançant les priorités du Gouvernement, comme le plan d’urgence pour l’emploi ou encore le plan en faveur de l’élevage, et en réduisant le poids de la fiscalité.

Ainsi, pour la première fois depuis 2009, le taux des prélèvements obligatoires a diminué en 2015, en raison du déploiement du CICE, le crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi, et du pacte de responsabilité et de solidarité. Ce dernier intègre aussi bien des baisses d’impôt sur le revenu que des réductions de prélèvements sur les entreprises, en particulier afin de diminuer le coût du travail.

Par ailleurs, du fait de son succès, il a été décidé de prolonger d’un an le dispositif de suramortissement des investissements industriels, qui a fait des émules, nous dit-on, en Italie.

Au total, le Gouvernement s’attache à renforcer le pouvoir d’achat des ménages, en particulier des plus modestes, et à consolider la situation financière des entreprises, afin de permettre à notre économie de repartir sur ses deux jambes : la demande et l’offre.

À ce titre, le programme national de réforme évalue l’impact des réformes engagées par le Gouvernement à l’horizon 2020 à 4,8 points de produit intérieur brut et à plus d’un million d’emplois.

Nous aurons l’appréciation de la Commission européenne sur les programmes de stabilité et de réforme à la fin de mai, lorsqu’elle publiera les recommandations par pays qu’elle propose au Conseil d’adopter. Le commissaire Pierre Moscovici viendra nous les détailler très prochainement.

Pour ma part, je considère que les documents dont nous débattons aujourd’hui démontrent que le Gouvernement s’inscrit dans une démarche globale de long terme et a su faire de la consolidation des finances publiques une priorité sans que celle-ci devienne un handicap pour l’activité économique et le rebond de l’emploi. (Très bien ! et applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain.)

M. le président. La parole est à M. le rapporteur général de la commission des affaires sociales.

M. Jean-Marie Vanlerenberghe, rapporteur général de la commission des affaires sociales. Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, à la suite de l’intervention du rapporteur général de la commission des finances, je formulerai simplement trois remarques sur la trajectoire proposée pour les finances sociales.

La première remarque, c’est que le retour à l’équilibre, annoncé pour 2016 pour les administrations de sécurité sociale, résulte largement d’une augmentation des prélèvements obligatoires qu’entame à peine le pacte de responsabilité.

En effet, l’impact des mesures antérieures se fait encore sentir, singulièrement dans le domaine des retraites : 1,7 milliard d’euros supplémentaires au total pour le dispositif carrières longues décidé en 2012, pour la réforme des retraites de 2014 et pour les retraites complémentaires.

Ces prélèvements, qui représentent 23,8 % du produit intérieur brut, soit près du quart de la richesse nationale, pèsent pour l’essentiel sur le travail et handicapent l’activité.

Plus encore que le marché du travail, sur lequel insistent le programme de stabilité et le programme national de réformes, c’est bien le financement de la protection sociale qui appelle une réforme fondamentale, laquelle n’est encore qu’esquissée.

Ma deuxième remarque porte justement sur la question des retraites.

Selon le programme de stabilité, « l’équilibre financier du système de retraite ne constitue plus en France un enjeu majeur pour la soutenabilité de long terme des finances publiques ».

Le programme de stabilité détaille par ailleurs l’accord du 30 octobre 2015 sur les retraites complémentaires, soulignant que cet accord améliore l’indicateur de soutenabilité de 0,3 point de produit intérieur brut. La commission des affaires sociales a déjà eu l’occasion de souligner le paradoxe qui consiste à se féliciter de l’accord AGIRC-ARCCO, tant sur la méthode – une vraie prise de responsabilité des partenaires sociaux – que sur le fond – une réforme astucieuse qui combine plusieurs leviers –, tout en considérant que la question est réglée pour les régimes de base.

Or de nombreuses questions restent ouvertes : celle de l’équité entre générations, qui n’est pas la moindre alors que s’allonge l’espérance de vie, mais aussi celle de l’équité entre public et privé, même si je ne nie pas les convergences qui apparaissent.

Je n’oublie pas non plus le financement du Fonds de solidarité vieillesse, le FSV.

On le voit, la question des retraites reste posée et ne peut être évacuée aussi rapidement.

Ma troisième et dernière remarque porte sur « l’autre » régime à gestion paritaire qu’est l’assurance chômage. La dette de l’UNEDIC atteint des niveaux sans précédent. Supérieure à 25 milliards d’euros, elle est largement responsable de l’augmentation de la dette sociale en 2015. Dans le projet de programme de stabilité, 1,6 milliard d’euros de moindres dépenses sont attendus de la négociation en cours. Même si l’on met de côté la dramatisation, devenue habituelle, de ces séquences de négociation, l’équation est très différente de celles des retraites complémentaires : le recours à l’endettement et l’implication de l’État ont réduit la portée réelle de la gestion paritaire et rendu les réformes plus difficiles.

Pour les administrations de sécurité sociale, le bouclage du programme de stabilité dépend très fortement de cette négociation, plus encore que du milliard supplémentaire d’économies à trouver en 2016, dont le contenu reste à préciser.

Telles sont les remarques que je souhaitais formuler, au nom de la commission des affaires sociales, sur une trajectoire des finances sociales sans doute un peu moins favorable que celle qui nous est présentée dans ce programme de stabilité, même si celui-ci ne nie pas les incertitudes qui s’attachent à sa réalisation, incertitudes renforcées, chacun en conviendra, dans la séquence électorale présidentielle qui s’ouvre, séquence dont on sait qu’elle est propice aux mesures dépensières.

M. Jean-Louis Carrère. Vous parlez d’expérience !

M. Jean-Marie Vanlerenberghe, rapporteur général de la commission des affaires sociales. Monsieur le ministre, monsieur le secrétaire d'État, ne relâchons donc pas nos efforts en faveur des économies et de la stabilité. (Très bien ! et applaudissements sur les travées de l'UDI-UC et du groupe Les Républicains.)

M. le président. La parole est à M. Éric Bocquet, pour le groupe CRC.

M. Éric Bocquet. Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, la question vaut d’être posée en préambule : que reste-t-il du rêve européen ?

Quatre ans ou presque après l’adoption du TSCG, le traité sur la stabilité, la coordination et la gouvernance au sein de l’Union économique et monétaire, c’est bien la question qui se pose.

Les règles posées par le TSCG, dont l’adoption ne fut assurée, rappelons-le, que par la voie parlementaire, pour éviter sans doute la sanction du suffrage populaire dans le moindre référendum, ont conduit l’ensemble de la zone euro à la faiblesse de la croissance, à la persistance d’un chômage de masse, au développement des inégalités sociales et au maintien, à un niveau encore élevé, de l’encours des dettes publiques.

Les réformes menées dans nombre de pays ont rencontré et continuent de rencontrer, comme l’illustre le mouvement suscité par le projet de loi El Khomri dans notre propre pays, une profonde aversion populaire, se traduisant notamment par une forme nouvelle d’instabilité politique touchant des pays comme l’Espagne ou l’Irlande, où les majorités politiques en place ont été largement battues lors des dernières consultations électorales. Le même phénomène a été observé aux Pays-Bas lors d’un récent référendum. Enfin, le très inquiétant résultat de la présidentielle autrichienne ne peut masquer le véritable effondrement des deux partis historiquement influents et liés l’un à la social-démocratie européenne, l’autre à la démocratie chrétienne.

Certains se félicitent de la montée en puissance de forces centrifuges, matérialisées dans la campagne référendaire britannique, souvent animées par la xénophobie, le racisme et, de manière plus générale, le refus de toute altérité, mais telle n’est pas notre position.

Nous pensons au contraire qu’il est grand temps de réenchanter le rêve européen.

M. Éric Bocquet. Même si la France ne connaît plus, pour le moment, la stagnation économique qu’elle a connue des années 2008 à 2012, son taux de croissance ne s’est élevé qu’à 1,2 % en 2015. Ce taux est largement insuffisant pour améliorer durablement et profondément une situation de l’emploi dégradée de longue date par la recherche épuisante de l’allégement du coût du travail et l’extension de la précarité.

À la fin de l’année 2015, la dette des pays de la zone euro atteignait 93,7 % du produit intérieur brut. Quoi qu’on puisse dire de la comparaison toujours hasardeuse entre un stock – la dette – et un flux – la production mesurée par le PIB –, ce n’est pas là la meilleure preuve de l’efficacité des choix budgétaires d’austérité imposés aux États et aux peuples européens.

Quant aux réformes structurelles prétendument inévitables, elles ne font que remettre en cause les droits sociaux collectifs et développer plus encore la précarité.

Le Royaume-Uni compterait-il moins de chômeurs que la France ? Regardons-y de plus près. Avec des contrats de travail de zéro heure, c’est somme toute assez facile ! Nous ne voulons pas importer en France le modèle néolibéral ainsi imposé aux salariés de ce pays.

Je dispose de peu de temps dans ce débat, mais comment ne pas relever que l’atonie de l’activité économique en Europe se produit alors même que plusieurs conditions sont réunies pour qu’il en soit tout autrement ?

La parité de l’euro vis-à-vis du dollar se dégrade, rendant a priori moins coûteuses les exportations de l’Union européenne et plus cher l’achat des produits des États-Unis.

Le niveau des prix du pétrole et de la plupart des matières premières a connu une baisse assez spectaculaire. Ce mouvement met d’ailleurs directement en cause certains pays émergents disposant d’une importante production de ces biens, comme en attestent aujourd’hui les tensions au sein du groupe des BRICS ou des pays de l’OPEP, l’Organisation des pays exportateurs de pétrole.

Enfin, les taux d’intérêt sont très bas en valeur nominale. Il est même probable qu’une entreprise en développement ou un État connaissant un minimum de croissance puisse se retrouver avec un taux réel négatif.

La Banque centrale européenne, qui poursuit sa démarche de création monétaire avec le quantitative easing, ou assouplissement quantitatif, a fixé son taux directeur à zéro.

Malgré ces éléments favorables a priori – je vous renvoie au contexte des années soixante-dix ou quatre-vingt pour mesurer la différence –, les économies européennes demeurent relativement peu actives, et seuls les pays ayant connu les « plongeons » les plus spectaculaires entre 2008 et 2010 ont des taux de croissance élevés.

Pour le groupe CRC, il ne fait aucun doute que ce sont les politiques d’austérité systématiquement déclinées dans tous les États de l’Union qui sont essentiellement à l’origine de ces difficultés, l’austérité bridant la demande qui fait tant défaut aujourd’hui. Les économistes s’accordent sur ce point.

L’amélioration apparente des comptes publics observée en France en 2015 s’explique par la chute de l’investissement public, notamment des collectivités locales, comme cela est régulièrement rappelé lors de nos débats dans cette assemblée.

Alors même qu’il nous faut relever les défis de la transition énergétique, de la mise à niveau de nos infrastructures et de nos équipements, de la réalisation de projets structurants, les élus locaux ont passé l’année à rechercher des économies de fonctionnement, à repousser le lancement de certains investissements pourtant nécessaires et à envisager de se regrouper en communes nouvelles pour « limiter la casse », au moins temporairement.

Redonner aux collectivités locales les moyens dont elles ont été privées par le pacte de stabilité et de croissance est selon nous l’une des priorités du temps, ne serait-ce que pour réenclencher un cycle vertueux de dépenses publiques, créatrices d’emplois elles aussi.

Il convient également de s’interroger sur la pertinence des choix opérés.

Quand on constate que 17 milliards d’euros annuels de CICE, le crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi, ont abouti in fine à la création de 82 500 emplois,…

M. Jean Desessard. C’est faible !

M. Éric Bocquet. … dont 30 % d’emplois précaires, soit une quasi-subvention de plus de 200 000 euros par emploi, il n’y a qu’une seule conclusion à tirer.

Soit on conditionne l’attribution du crédit d’impôt au constat effectif de la bonne allocation des ressources accordées aux entreprises, soit on crée des emplois de fonctionnaires dans l’ensemble des secteurs – police, justice, éducation, hôpitaux publics – …

M. Éric Bocquet. … où ils manquent cruellement aujourd’hui ! Et l’on cesse de croire aux vagues engagements gravés sur les pin’s de M. Gattaz dont on attend encore qu’ils soient tenus.

En conclusion, il apparaît évident que tant que l’orientation globale des politiques budgétaires des États membres demeurera marquée par les logiques de restriction des dépenses et d’austérité, le rêve européen ne reprendra pas corps et plus les peuples se défieront de l’Europe.

La communauté de destin qui rassemble aujourd’hui les peuples européens et qui nous appelle, entre autres choses, à savoir accueillir comme il se devrait ceux qui fuient la guerre et l’oppression, nécessiterait une sorte de New Deal du XXIe siècle : partant de la réalité des inégalités de développement et de situation des pays de l’Union, l’accent serait enfin mis sur la satisfaction des attentes populaires, la structuration et l’aménagement égalitaire du territoire dans chaque pays, le développement de la solidarité entre les peuples et les États.

Nous croyons pour notre part qu’il est plus que temps d’ouvrir un processus de renégociation des dettes souveraines, à commencer par celle de la Grèce. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC. – M. Jean Desessard applaudit également.)

M. le président. La parole est à M. Richard Yung, pour le groupe socialiste et républicain.

M. Richard Yung. Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, ce débat porte sur le dialogue entre la Commission européenne et la France – et chaque État membre de l’Union, bien sûr – dans le cadre de ce qu’on appelle le semestre budgétaire. C’est véritablement le début de la coordination et, espérons-nous, de l’harmonisation de nos politiques budgétaires et fiscales. C’est au fond l’embryon de ce qu’on voudrait faire plus tard pour la zone euro.

Ce débat est donc important, même s’il est parfois rude. La Commission européenne n’étant pas tendre, Michèle André l’a rappelé, elle a attiré l’attention de la France sur le fait qu’elle était en situation de déficit excessif, pour reprendre sa phraséologie. Le projet de programme de stabilité pour les années 2016 à 2019 dont nous débattons est la réponse du Gouvernement à la fois pour 2015 et 2016. Il présente en outre les perspectives pour l’an prochain.

Je vous ai bien écouté, monsieur le rapporteur général de la commission des finances, mais je n’ai pas eu l’impression que vous parliez de la France. (Exclamations sur les travées du groupe Les Républicains.) J’ai pensé au pays des Hurons de Voltaire…

Vous n’avez parlé que de déficit. Mais, pas de chance, la réduction du déficit s’améliore justement ! L’exemple n’est donc pas très bon ! (Vives protestations sur les mêmes travées.)

Est-ce à dire que vous vous réjouissez des malheurs de la France ? Non, ce ne peut être cela !

M. François Patriat. Si, si, ils s’en réjouissent !

M. Richard Yung. La réduction du déficit s’est améliorée : cela ne vous écorcherait pas la bouche de le dire !

Au fond, la politique économique et la politique générale se résument-elles à cela ? Le fait que la croissance s’améliore, même si elle est encore un peu faible, et que s’améliorent aussi les exportations et la compétitivité des entreprises, est-ce une mauvaise chose ? Cela vous ennuie, mais c’est la vérité !

Je ne parle pas de l’emploi, car il faut être modeste en la matière…

M. Philippe Dallier. Soyez prudent !

M. Richard Yung. … et que l’on ne sait pas. (Rires sur les mêmes travées.)

J’ai également remarqué que vous n’aviez pas dit un mot de l’avis du Haut Conseil des finances publiques.

M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général de la commission des finances. Si !

M. Richard Yung. Alors, cela m’a échappé ! Je souligne que le Haut Conseil, dont le rôle est de donner un avis neutre et objectif, a qualifié les prévisions du Gouvernement de « réalistes », « plausibles », « atteignables ».

M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général de la commission des finances. Atteignables… (Mêmes mouvements.)

M. Richard Yung. Il ne fait certes pas preuve d’un enthousiasme délirant, mais son avis est positif. Il fallait donc le dire.

En 2016, les entreprises bénéficieront de 9 milliards d’euros d’allégements fiscaux, auxquels viendront s’ajouter 7 milliards d’euros en 2017, avec la suppression complète de la C3S, la réduction du taux de l’impôt sur les sociétés de 33 % à 28 % – mesure importante qui était réclamée par tous –, la montée en charge du CICE et des exonérations de cotisations patronales d’allocations familiales.

Il en va de même concernant les dépenses. Mme la présidente de la commission des finances étant intervenue sur ce sujet, je n’y reviens pas.

Ce qui est important, c’est que le taux de croissance pour 2016 soit réévalué à 1,5 %. Certes, un tel taux n’est pas extraordinaire, mais il est meilleur que par le passé. Nous sommes sur la bonne voie.

Je reconnais que des nuages subsistent. (Exclamations sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. Alain Gournac. Dites plutôt un mur !

M. Richard Yung. Ainsi le fait que la Banque centrale européenne ne parvienne pas à atteindre l’objectif affiché de faire remonter l’inflation à 2 % est-il un problème majeur. La Réserve fédérale des États-Unis, la FED, atteint, elle, cet objectif. Pour notre part, nous sommes à 0,01 %. La Banque centrale menant une politique monétaire extrêmement active – c’est le moins qu’on puisse dire, avec ses rachats mensuels de près de 70 milliards d’euros –, on s’inquiète de savoir où vont ces liquidités.

Je ne m’attarderai pas sur ce sujet, mais je pense que nous avons là un problème majeur dont il nous faudra parler, car, s’il n’est pas uniquement français, il n’en aura pas moins des effets durables sur notre pays.

Enfin, je dirai un mot de l’investissement et des réformes structurelles.

Pour améliorer sa compétitivité, la France doit soutenir l’investissement. C’est l’une des demandes de la Commission européenne. À cet égard, de nombreuses mesures ont été prises pour encourager l’investissement des entreprises : la loi Macron, la stabilité du crédit d’impôt recherche – il atteint près de 6 milliards d’euros par an –, le programme d’investissement d’avenir, dont nous avons discuté ce matin en commission, le suramortissement de l’investissement productif, etc.

M. Richard Yung. Ces dispositifs assez forts portent leurs fruits puisque les entreprises ont reconstitué leurs marges, à hauteur de 34 milliards d’euros à ce stade, ce qui est tout de même assez significatif. Quant aux investissements, ne vous en déplaise, chers collègues de la majorité sénatoriale, ils ont repris et augmenté de plus de 3 % en glissement annuel. Nous allons donc dans le bon sens.

Enfin, je conclurai en évoquant l’amélioration de la compétitivité des entreprises françaises et la diminution du coût salarial horaire de la main-d’œuvre. Alors que la hausse des salaires bruts en Allemagne a été de 2,6 % entre 2009 et 2015, contre 1,2 % au cours de la décennie précédente, elle a été de 1,5 % en France au cours de la même période, contre 2,8 % au cours de la décennie précédente.

M. le président. Il faut conclure !

M. Richard Yung. Nous venons donc d’inverser la tendance. Nous tenons là, nous l’espérons, les éléments d’une reprise forte, dont nous espérons qu’ils porteront leurs fruits en matière d’emploi. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain. - M. Alain Bertrand applaudit également.)

M. le président. La parole est à M. Jean Desessard, pour le groupe écologiste.

M. Jean Desessard. Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, nous ne pouvons que nous féliciter d’être autorisés cette année à débattre du projet de programme de stabilité. Nous regrettons cependant que le Gouvernement n’ait pas poussé la curiosité jusqu’à s’enquérir du vote du Parlement… C’est dommage !

Mme Fabienne Keller. Absolument !

M. Philippe Dallier. C’est un risque !

M. Jean Desessard. Puisqu’il est question de stabilité, je souligne que ce n’est pas la stabilité qui a caractérisé ces dernières semaines la politique sociale, que le présent programme a également vocation à présenter dans son annexe relative aux réformes.

Au-delà du fond du sujet, sur lequel le Sénat aura l’occasion de revenir, c’est la méthode qui présente une curieuse rupture. En 2013, l’assouplissement des conditions de licenciement avait été longuement négocié par les partenaires sociaux dans un cadre global, et en deux phases : d’abord l’accord national interprofessionnel, l’ANI, puis sa transposition législative.

François Hollande avait alors théorisé l’avènement d’une nouvelle démocratie sociale. Pourquoi, monsieur le ministre, avoir abandonné cette méthode, qui semblait devoir s’inscrire dans la durée ? Force est de constater que notre société n’y a gagné ni en sérénité ni en efficacité.

À l’inverse, en matière budgétaire, on ne peut pas dénier au Gouvernement une véritable constance. Ce programme en confirme les deux axes principaux : réduction des dépenses publiques et transfert de fiscalité entre les ménages et les entreprises. Le bilan, mes chers collègues, ne semble toutefois pas aussi radieux que le suggère ce projet de programme…

L’effet récessif des restrictions budgétaires, couplé à une faible inflation, appelle en permanence de nouvelles économies de dépenses, bien au-delà des 50 milliards d’euros affichés, et l’on peine à en tenir le compte. L’investissement public a chuté de 10 % en deux ans. Les services publics sont aux abois. Pour ne prendre qu’un exemple, la mission « Écologie, développement et mobilité durables » a perdu en trois ans 7 476 emplois, soit une baisse d’effectifs de l’ordre de 20 % ! Évidemment, aucun indicateur ne vient en mesurer les conséquences. Et je ne parle pas d’autres ministères, par exemple celui de la justice…

On entend souvent dire que ces efforts demandés à nos concitoyens doivent être consentis au nom du nécessaire rétablissement de l’équilibre des comptes. Mais réduire le déficit public de 4,8 %, son niveau en 2012, à moins de 3 % en 2017 correspond à terme à un effort d’environ 40 milliards d’euros par an, soit quasi la même somme, avec la même montée en puissance, que celle que le Gouvernement concède gracieusement aux entreprises.

Cette politique onéreuse, dont l’impact sur l’emploi est dérisoire, sert trop souvent d’alibi à la baisse d’autres dépenses plus utiles. D’après une récente étude de l’Observatoire français des conjonctures économiques, l’OFCE, le taux de marge des entreprises s’élèverait désormais à 39 %, soit le taux le plus haut depuis 1980.

Mme Nicole Bricq. Ça n’a rien à voir !

M. Jean Desessard. Cela a d’ailleurs été signalé, même si l’analyse qui en est faite diffère de la mienne. La France, qui a versé 47 milliards de dollars de dividendes en 2015, est le pays de la zone euro dont les entreprises rémunèrent le plus leurs actionnaires.

M. Éric Bocquet. Très juste !

M. Jean Desessard. Selon les premières estimations, seuls 100 000 emplois environ ont été créés. « Ce n’est pas satisfaisant, les entreprises n’ont pas respecté leurs engagements. »

M. Éric Bocquet. Absolument !

M. Jean Desessard. Tels sont les mots de Manuel Valls, le 15 février dernier.

Monsieur le ministre, comment comprendre que ce constat sans équivoque, formulé par le Premier ministre lui-même, n’appelle pas un conditionnement des baisses de cotisations ?

La stabilité est une notion à double tranchant : appliquée à l’erreur, elle devient dangereuse, d’autant plus lorsque le contexte nourrit l’illusion.

La politique monétaire très accommodante de la Banque centrale européenne permet aujourd’hui à la France de bénéficier de conditions très favorables pour le financement de sa dette. De même, le faible prix du pétrole soutient notre économie et le pouvoir d’achat. Mais ces éléments de contexte sont par nature volatiles. Ils devraient plutôt nous inciter à utiliser les quelques marges qu’ils nous donnent pour consolider notre modèle.

Les liquidités qui circulent abondamment aujourd’hui, vous l’avez dit, privilégient la finance plutôt que notre économie, les banques cherchant toujours plus de rentabilité. Si de nouvelles bulles se forment et éclatent, comme le redoutent déjà certains économistes, les finances publiques ne pourront pas de nouveau faire face. C’est pourquoi il nous reste toujours à adopter une véritable loi de séparation des activités bancaires.

Alors que le commerce extérieur est grevé par les importations de pétrole, l’approvisionnement énergétique est assurément l’un des principaux enjeux de stabilité pour l’économie française. Il requiert une adaptation considérable pour développer une réelle industrie des énergies renouvelables, pour sortir de la dépendance au long déclin de l’atome et pour sauver notre industrie automobile, en anticipant plutôt qu’en subissant les évolutions de long terme de la mobilité.

Ce n’est pourtant pas si difficile, avec un peu de volonté politique ! J’en veux pour preuve le refus déterminé, à porter au crédit du Gouvernement, monsieur le ministre, des gaz de schiste, lequel nous a épargné la crise concurrentielle qui frappe aujourd’hui les pays producteurs.

Enfin, parce que ce programme s’adresse à la Commission européenne, comment ne pas évoquer l’état très préoccupant du projet européen ? Les récentes concessions accordées au Royaume-Uni, qui sapent les principes fondateurs de l’Union, résonnent curieusement, quand on se rappelle l’intransigeance prévalant à l’égard de la Grèce. L’absence de renégociation du pacte budgétaire européen en début de quinquennat a durablement installé l’idée que, aujourd’hui, en Europe, une certaine vision de l’économie prime sur la politique et sur l’expression démocratique.

En conclusion, monsieur le ministre, comme vous nous confirmez l’orientation du Gouvernement, les écologistes vous confirment leur inquiétude face à une politique économique qui ignore tant de défis cruciaux : la crise énergétique, le recul endémique de la croissance mondiale et les nouvelles exigences démocratiques du peuple européen. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC.)

M. le président. La parole est à M. Jean-Claude Requier, pour le groupe du RDSE.

M. Jean-Claude Requier. Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, comme l’a dit le président François Mitterrand : « Dans la vie, il faut essayer d’aménager les cycles qui vont de la lassitude à l’enthousiasme. » Espérons que le cycle budgétaire de 2016 qui s’ouvre avec ce débat ne suscitera pas trop de lassitude et qu’il nous conduira à une fin d’année plus enthousiasmante, comme les bonnes nouvelles économiques annoncées hier – baisse importante du chômage, contrat militaire record avec l’Australie – semblent le suggérer !

M. François Marc. C’est bien, il faut le dire !

M. Jean-Claude Requier. À l’instar de mes collègues, je tiens à saluer l’élément nouveau et positif par rapport à l’an dernier que constitue la tenue même de ce débat en séance publique. Le programme de stabilité que le Gouvernement va présenter à la Commission européenne dans quelques jours peut sembler un exercice technique formel répétitif. C’est pourtant la traduction d’évolutions institutionnelles majeures effectuées ces dernières années après les graves crises qui ont touché notre pays et nos voisins et dont nous ne sommes pas encore sortis.

Comme le disait un autre ancien Président de la République, Jacques Chirac – le groupe du RDSE est éclectique d’éclectisme ! (Sourires.) –, « nous commençons à voir le bout du tunnel ».

M. Michel Bouvard. C’est Raymond Barre !

M. Jean-Claude Requier. La coordination des politiques budgétaires nationales à l’échelon européen, tout au moins l’effort pour tendre vers plus de coordination, est d’une importance capitale alors que notre continent apparaît aujourd’hui si divisé quand il faudrait au contraire être unis et rassemblés.

L’intégration monétaire, malmenée par les soubresauts sans fin de la crise grecque, et dont le caractère non optimal est pointé par de plus en plus de commentateurs, reste malgré tout le seul domaine véritablement supranational de la politique économique, sous la houlette de la Banque centrale européenne et doublée désormais d’une union bancaire. A contrario, l’intégration budgétaire a toujours fait cruellement défaut à l’Union européenne et reste, qu’on le déplore ou qu’on le préfère, de la compétence des États membres.

C’est pourquoi le programme de stabilité constitue l’embryon budgétaire du fameux gouvernement économique de la zone euro, à côté des délibérations du Conseil des gouverneurs de la BCE et des conseils Ecofin. Si les eurosceptiques critiquent ce processus, qu’ils considèrent comme une soumission supplémentaire aux décisions de Bruxelles, je trouve qu’il a au moins le mérite de mettre en lumière le besoin de coordonner les différentes composantes de toute politique économique : monétaire, budgétaire, fiscale, que ce soit à l’échelon national ou européen.

Saisissons l’occasion de ce débat public, même si c’est un débat blanc, sans vote, pour discuter franchement de ce sujet majeur qui engage l’ensemble de nos finances publiques.

Le Gouvernement présente des objectifs inchangés de réduction des déficits. Cette constance est un gage de prévisibilité pour les acteurs économiques dans un environnement particulièrement incertain.

Plus prosaïquement, c’est aussi la résultante d’une conjoncture macroéconomique qui a peu évolué depuis un an. Malgré quelques signaux positifs – retour de la croissance, bas prix des hydrocarbures, recouvrement d’une certaine compétitivité due à la faiblesse de l’euro, réduction de la charge de la dette –, le contexte reste particulièrement morose. Ainsi, on ne voit toujours pas repartir l’investissement. Pis, l’investissement public, réalisé pour l’essentiel par les collectivités locales, a sensiblement baissé du fait de la baisse des dotations.

Mais les principaux éléments de conjoncture ont peu varié au cours de la dernière année. Est-ce à dire qu’il en sera de même jusqu’en 2017 ? Quant aux projections pour 2018 et 2019, vu les incertitudes majeures qui pèsent sur notre économie et sur celles de nos voisins, elles apparaissent fort hypothétiques.

Je formulerai donc une remarque et je poserai deux questions au cours de ce débat.

Tout d’abord la remarque : je tiens, malgré toutes les difficultés, et elles sont nombreuses, à féliciter le Gouvernement pour les efforts menés dans la lutte contre l’optimisation et la fraude fiscales. Le manque à gagner, colossal puisqu’il équivaut au montant du déficit annuel, mérite d’être noté. Les progrès sont positifs, et les dernières révélations doivent nous encourager à faire encore davantage

Première question, quelle place, monsieur le ministre, donnez-vous désormais à l’inflation ? Je me souviens d’une époque où l’inflation était considérée comme le fléau économique majeur. Qu’en est-il aujourd’hui alors que nous sommes en situation de quasi-déflation et que Mario Draghi, le gouverneur de la Banque centrale européenne, semble souhaiter un peu d’inflation ?

Seconde question, pouvez-vous nous présenter un état des lieux et les perspectives pour cette année et les années à venir s’agissant du plan d’économies de 50 milliards d’euros ?

Tels sont, monsieur le ministre, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, les quelques éléments que je souhaitais, au nom du groupe du RDSE, porter à votre connaissance et à celle de la Haute Assemblée. (Applaudissements sur les travées du RDSE et du groupe socialiste et républicain.)

M. le président. La parole est à Mme Fabienne Keller, pour le groupe Les Républicains. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

Mme Fabienne Keller. Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, nous sommes rassemblés pour débattre du projet de programme de stabilité pour les années 2016 à 2019 porté par le Gouvernement, dont le complément est le programme national de réforme, dans le cadre de la procédure de déficit excessif.

Ce projet s’inscrit, et ce sera mon premier point, dans une actualité positive sur le front de l’emploi. Mon second point portera sur les analyses européennes qui ont été publiées très récemment dans le cadre de la procédure dite « pour déséquilibres macroéconomiques ». Enfin, et ce sera mon troisième point, j’évoquerai la crédibilité de ce programme, qui, pour l’essentiel, comme nous l’a rappelé le rapporteur général de la commission des finances, poursuit les orientations retenues jusque-là. Nous en analyserons l’efficacité et le potentiel au vu des résultats passés.

L’actualité positive sur le front de l’emploi a été évoquée brièvement : le nombre de chômeurs de catégorie A a baissé de 60 000 au mois de mars. Nous saluons cette bonne nouvelle, à laquelle vient d’ailleurs s’ajouter l’annonce de la signature du contrat de DCNS avec l’Australie. Bien sûr, ce chiffre doit être rapproché de l’augmentation de 50 000 du nombre de chômeurs des catégories B et C, soit presque le même nombre. On peut également rappeler le passage d’un mois sur l’autre de certains chômeurs d’une catégorie à l’autre.

Force est aussi de rappeler, mes chers collègues, que nous ne rencontrons pas, nous élus de terrain, de chefs d’entreprise parlant de développement et, surtout, de plan de recrutement, ou de confiance en l’avenir.

Bonne nouvelle publiée hier, cette amélioration sur le front de l’emploi est-elle structurelle ?

S’agissant de mon deuxième point, permettez-moi d’évoquer le rapport de la commission des affaires européennes.

La Commission européenne, vous le savez, a une procédure de suivi des situations économiques de chaque État membre. Le 10 mars dernier, elle a publié son analyse sur les vingt-huit pays de l’Union. Ce rapport traduit, mes chers collègues, une inquiétude à propos de notre situation économique, inquiétude d’autant plus grande que la Commission souligne les effets d’entraînement que peut avoir notre pays sur l’ensemble de la zone euro, compte tenu des liens commerciaux et de l’exposition financière qui peuvent l’unir à d’autres États membres.

La Commission européenne émet plusieurs réserves sur la portée des réformes structurelles adoptées par le Gouvernement et l’absence d’avancées dans d’autres domaines. Elle estime que la stratégie du Gouvernement relève du « coup par coup », les actions proposées manquant d’ambition et leur mise en œuvre étant jugée incertaine. L’ensemble donne ainsi l’impression d’un processus de réforme constant mais aux résultats limités. Huit réformes contenues dans la recommandation du 14 juillet 2015 n’ont, par ailleurs, pas été adoptées.

Le rapport par pays insiste sur le fait que la croissance française devrait rester modérée et, si elle est en progression par rapport à la croissance très faible de l’année précédente, inférieure à la moyenne de la zone euro. À ce sujet, je tiens à répondre à Richard Yung, qui dressait un tableau positif : la France est très en retrait par rapport aux autres États membres de la zone euro.

M. Jacques Chiron. Entre 2007 et 2012, c’était pire !

Mme Fabienne Keller. Les mesures adoptées par le Gouvernement pour réduire le coût du travail et stimuler la compétitivité ne permettent pas de renforcer immédiatement la confiance des entreprises.

La compétitivité du pays reste une source d’inquiétude pour la Commission européenne, qui estime que la contribution nette des exportations au produit intérieur brut devrait rester négative jusqu’en 2017. J’en profite pour apporter une précision : si la Commission européenne relève une augmentation des exportations depuis la fin de l’année 2014, elle y voit non pas une dynamique structurelle, mais plutôt l’effet de la dépréciation de l’euro, qui profite à deux secteurs, l’énergie et les transports.

La croissance est également conditionnée par l’impact des charges réglementaire et fiscale qui pèsent sur les entreprises françaises. Sur la question des salaires, la Commission européenne pointe que l’ensemble des charges ainsi que la limitation du travail contribuent à un coût de la main-d’œuvre élevée dans l’Union européenne. Elle rappelle aussi le niveau élevé des charges fiscales sur les emplois, de l’ordre de 30 % du coût horaire total, contre 24 % en moyenne au sein de l’Union européenne, et juge insuffisantes les mesures adoptées pour réduire le coût du travail.

Le rapport de la Commission européenne porte aussi sur la trajectoire budgétaire : la France a été plus lente dans la réduction de son déficit que le reste de la zone euro. Nous ne pouvons donc pas nous satisfaire de la faible amélioration de la situation budgétaire.

M. Jacques Chiron. En Espagne, c’est mieux ?…

Mme Fabienne Keller. Seuls l’Espagne, le Portugal et la Grèce se trouvent dans une situation plus mauvaise. La France enregistre le deuxième ratio de dépense des administrations publiques – 57,5 % du PIB – derrière la Finlande – 58,3 % – et se place largement au-dessus de la moyenne de la zone euro. Ainsi, mes chers collègues, comme l’Italie, le Portugal, la Bulgarie et la Croatie, la France a été placée dans l’avant-dernière catégorie, celle des pays relevant de la procédure de déficit excessif.

J’en viens aux grandes lignes du programme de stabilité. Monsieur le ministre, monsieur le secrétaire d’État, je tiens à vous féliciter de la présentation que vous en avez faite : elle est tout à fait remarquable et même, pourrait-on dire, très « communicante ».

M. Robert del Picchia. C’était le but !

Mme Fabienne Keller. Sans doute ! Reste que l’efficacité de la présentation ne résiste guère à l’analyse, comme l’a clairement démontré le rapporteur général de la commission des finances.

Ainsi, la dépense publique a continué à augmenter par rapport à 2011. Comment croire, monsieur le ministre, monsieur le secrétaire d'État, que la masse salariale et les prestations sociales, en hausse jusqu’à 2015, baisseront d’ici à 2018 ? Nous serions curieux d’entendre les arguments et éléments factuels que vous pourrez nous apporter pour étayer ce changement de tendance, alors que la stratégie est la même. Nous savons tous que ce sont la baisse des charges d’intérêts et celle des investissements qui ont amélioré le solde budgétaire. Les tableaux de la commission des finances publiés sur les réseaux sociaux hier le démontrent clairement.

J’en viens au solde public. La France restera pour les trois prochaines années parmi les quatre pays les plus mal classés de la zone euro. Un peu comme l’horizon, la perspective d’une baisse de la dette publique globale, c’est-à-dire du stock de dettes, s’éloigne au fur et à mesure que l’on avance dans le quinquennat…

Monsieur le ministre, monsieur secrétaire d’État, cette analyse montre toutes les limites de vos propositions, alors qu’il y a une urgence absolue à redresser les finances publiques et à restaurer le cercle vertueux de la confiance. Je pense à la confiance des chefs d’entreprise dans l’établissement d’un cadre fiscal plus efficace et stable, alors que celui-ci a été tant chahuté au cours du mandat qui se termine. Je pense à la nécessaire confiance des salariés et des chefs d’entreprise dans un cadre social clarifié, simplifié, encourageant les employeurs et les créateurs d’emplois à recruter. Il faut un cercle vertueux qui marque son soutien aux acteurs économiques qui innovent pour construire l’économie et l’emploi de demain.

C’est bien par le rétablissement structurel du cadre fiscal, social, légal, et non par des mesures de dissimulation et de court terme, que les Français pourront retrouver la fierté d’un pays qui offre du travail et une place dans la société à ses enfants. C’est par le nouveau départ d’une économie créatrice d’emplois qu’un État recentré sur ses fonctions régaliennes pourra retrouver, cette fois de manière structurelle, les grands équilibres, à l’image des efforts qu’ont conduits nos partenaires européens.

M. Alain Richard. Que de généralités creuses !

Mme Fabienne Keller. Enfin, monsieur le ministre, monsieur le secrétaire d’État, comment comprendre votre refus de soumettre au vote ce programme de stabilité ? Ces éléments de cadrage budgétaire devraient être validés par une majorité démocratiquement élue, mais nous connaissons vos difficultés…

Ce programme de stabilité ne traduit pas une ambition réelle de redressement de la France. Il n’assure pas notre rang et notre place sur le plan économique en Europe et dans le monde. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et de l'UDI-UC.)

M. le président. La parole est à M. Vincent Capo-Canellas, pour le groupe UDI-UC.

M. Vincent Capo-Canellas. Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, nous devons aborder la question de la trajectoire de nos finances publiques et du programme de stabilité en distinguant ce qui peut relever de l’affrontement et ce qui peut au contraire être partagé.

Il va de soi que le débat entre assainissement des finances publiques et soutien à la croissance est légitime ; les deux mesures doivent aller de pair et, si possible, se conjuguer. S’ensuit le débat sur le rythme des réductions budgétaires et sur celui de la réduction des déficits en conséquence. Tout cela dépend, on le sait, de l’appréciation de la situation économique du moment et des scénarios choisis en termes de croissance et d’inflation.

Il faut toujours choisir entre un scénario optimiste, un scénario plus pessimiste et un scénario moyen. Tous les gouvernements s’y essayent, toutes les majorités sont confrontées à cela. Le rapporteur général de la commission des finances a excellemment montré en commission l’extrême sensibilité de ces scénarios à des évolutions de la croissance, à la hausse ou à la baisse, ainsi qu’à l’évolution de la dépense publique, qui est sans doute l’une des principales questions qu’il nous appartient de traiter.

Monsieur le ministre, monsieur le secrétaire d’État, nous mesurons la difficulté de la tâche, mais, ce constat une fois posé, nous mesurons aussi le chemin qui reste à parcourir au regard de notre situation.

Nous avons ainsi plusieurs points de différence majeurs avec le Gouvernement. Ainsi, nous pensons que les conditions économiques actuelles sont le produit de mauvaises décisions opérées ces dernières années, dont certaines ont été corrigées, mais seulement à la marge et un peu tard. Je regrette en particulier que la confusion sur la ligne économique et financière nous ait conduits là où nous sommes.

Fabienne Keller l’a rappelé : nous avons décroché par rapport au reste de l’Union européenne et de la zone euro. Nous sommes parmi les pays incapables de satisfaire à la règle des 3 %, et parmi les quelques rares grands pays dans ce cas. Nous avons décroché aussi du point de vue de la croissance comme de celui de la réduction des déficits. C’est une réalité, non un sujet de polémique : cette difficulté, notre pays doit la surmonter aujourd'hui et devra quoi qu’il arrive le faire demain.

Je ne nie pas les efforts réels et parfois substantiels qui ont été faits. Je pense au crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi, et à diverses tentatives de réformes, malheureusement souvent inabouties. Cependant, le constat est là : il nous faut redoubler d’efforts. De ce point de vue, je n’ai pas le sentiment que ce qui nous est proposé dans ce projet de programme de stabilité soit à la hauteur de l’effort qu’il nous reste à accomplir. C’est là tout l’objet du débat.

Il ne s’agit pas de nier que le Gouvernement a pris conscience des difficultés ; il s’agit bien plutôt de savoir si les solutions qui sont proposées sont à la hauteur des enjeux. Je ne le crois pas.

Nous sommes à la traîne. L’Allemagne a vu son produit intérieur brut augmenter de 1,7 % en 2015, le Royaume-Uni de 2,2 %, l’Espagne de 3,2 % et le Portugal de 1,6 %. Seule l’Italie fait moins bien que la France.

Cette situation a un impact sur notre trajectoire des finances publiques. En effet, quand la croissance est moindre, on a moins de moyens que les autres. Nous ne sommes donc pas près de sortir de nos difficultés. L’économie française est moins dynamique que celle de l’ensemble des pays de la zone euro, dont le produit intérieur brut a augmenté en 2015 de 1,5 %.

S’agissant du déficit public, la France fait l’objet d’une procédure de déficit excessif depuis 2009. À l’époque, quatorze États étaient dans ce cas ; en 2014, il en reste sept. Comme le soulignait la Commission européenne lors de la publication du déficit pour 2015, « depuis le début de la crise, la France a été plus lente dans la réduction de son déficit que le reste de la zone euro, d’où le contraste observé en matière d’évolution de la dette ». Tout est donc bien lié.

Dans la zone euro, seuls trois pays – la Grèce, l’Espagne et le Portugal – ont un niveau de déficit supérieur à la France. En moyenne, dans la zone euro, le déficit public se situe à 2,2 %. Nous en sommes loin !

Quant à la dette publique, elle continue d’augmenter, alors qu’elle recule dans la zone euro. Avec 95,7 % d’endettement public en 2015, la France est très au-dessus de la moyenne européenne, qui s’établit à 86,6 % du produit intérieur brut dans l’Union européenne, contre 92,1 % dans la zone euro.

Ces réalités sont connues et appelleraient une mobilisation plus forte. Est-ce le cas ? Je ne le crois pas. Certes, pour la première fois depuis longtemps, la France pourrait voir le taux de ses dépenses publiques légèrement baisser en 2016. Reste que celui-ci atteint un record avec 57 % de la richesse nationale en 2014. La France est ainsi le deuxième pays de l’OCDE en termes de dépenses publiques, avec un écart de 14 points de produit intérieur brut par rapport à la moyenne de ces pays et de 12 points par rapport à l’Allemagne. C’est là une difficulté sérieuse qu’il faudra traiter demain.

Ce niveau de la dépense publique pénalise la croissance et la compétitivité du pays. Le Gouvernement peine à prendre en compte cette réalité, même si je mesure à quel point les solutions sont complexes.

La conséquence est qu’en matière de prélèvements obligatoires, avec 45 % du produit intérieur brut, la France se situe au deuxième rang le plus élevé des pays de l’OCDE ; seul le Danemark fait mieux – ou pire, selon les opinions ! Le taux de prélèvements obligatoires de la France est de 7 points supérieur à celui de l’Allemagne et de 11 points supérieur à celui de la moyenne des pays de l’OCDE. On mesure là aussi l’importance du travail qu’il nous faudra accomplir demain. De ce point de vue encore, le projet ne me paraît pas à la hauteur.

Certes, me direz-vous, monsieur le ministre, monsieur le secrétaire d’État, il y a des « mieux », et vous citez à juste titre le résultat de 2015. On pourra toujours objecter que, quand on se donne un objectif qui nous paraissait, à nous, majorité sénatoriale, assez peu ambitieux, la moindre des choses, c’est de l’atteindre.

Vous avez fait mieux. Dont acte ! (M. le secrétaire d'État s’exclame.) Il serait d’ailleurs paradoxal que le fait que vous ayez corrigé certaines des erreurs commises depuis le début de ce quinquennat et soyez revenus sur un certain nombre de vos décisions ne produise aucun effet. Là aussi, dont acte. Quel qu’ait été le prix de ces revirements, il faut s’en féliciter !

En matière de réduction des déficits publics, nous avons plusieurs fois reporté le moment où l’objectif des 3 % serait atteint. Vous l’aviez annoncé pour 2013, ce sera en 2017. Restons vigilants pour être cette fois à l’heure !

Il faut prendre en compte un autre élément pour relativiser l’optimisme dont le Gouvernement – on le comprend ! – fait preuve à la veille de l’élection présidentielle : la Commission européenne, en raisonnant en termes de déficit structurel, établit une prévision de croissance inférieure de 0,3 point. Il nous faudrait alors trouver 26 milliards d’euros d’économies…

Beaucoup ont souligné les facteurs exogènes qui ont permis des améliorations que le Gouvernement ne manquera pas de citer – c’est la règle du jeu. Reste que les taux d’intérêt et le prix du pétrole sont pour beaucoup dans un certain nombre de ces améliorations. Tant mieux, mais cela nous paraît insuffisant.

Il faudra désormais travailler sur les facteurs endogènes : la compétitivité de la dépense publique, une vraie réforme du marché du travail, la taxation du travail. De ce point de vue, les mesures dans le domaine de la fiscalité nous laissent sur notre faim, tant dans le programme de stabilité que dans le programme de réforme.

Des risques pèsent sur la conjoncture internationale et sur la croissance elle-même, raison pour laquelle il faut se garder de tout excès d’optimisme. Nous avons noté qu’un certain nombre de dépenses étaient annoncées, dont le montant s’établit entre 4 milliards d’euros et 5 milliards d’euros. On verra bien lors de l’examen du prochain projet de loi de finances rectificative comment seront financées toutes ces dépenses, mais un certain nombre de signaux et de clignotants sont allumés !

M. le président. Veuillez conclure !

M. Vincent Capo-Canellas. Enfin, le Gouvernement a recalé les prévisions en matière d’inflation : il reste 4,6 milliards d’euros à trouver. Le Gouvernement a évoqué 2 milliards d’euros d’économies, 1,8 milliard d’euros liés à la baisse des taux d’intérêt et 0,8 milliard d’euros liés aux résultats de 2015. Pourquoi pas ?

Nous verrons lors de l’examen du projet de loi de finances rectificative si ce programme de stabilité est un document d’affichage ou s’il aura été suivi d’effets. (Applaudissements sur les travées de l'UDI-UC et du groupe Les Républicains.)

M. le président. La parole est à M. Yves Daudigny, pour le groupe socialiste et républicain.

M. Yves Daudigny. Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, le programme de stabilité qui fixe les grandes orientations économiques et budgétaires de la France pour les années 2016 à 2019 concerne toutes les administrations publiques : administrations centrales, administrations locales et administrations de sécurité sociale, dites « ASSO ».

Ces dernières représentent près de la moitié des dépenses et recettes de l’ensemble, soit environ 570 milliards d’euros en 2014, sur un montant total de 1 200 milliards d’euros. Elles sont donc un acteur essentiel de la stratégie de réduction des déficits et de baisse des taux de prélèvements mise en œuvre depuis 2012, ainsi que du programme national de réforme transmis avec le programme de stabilité à la Commission européenne, dans le cadre de la coordination des politiques économiques de l’Union européenne.

C’est pourquoi les commissions des affaires sociales du Parlement doivent pleinement s’associer aux travaux des commissions des finances consacrés au semestre européen. J’y suis d’autant plus attentif que, en 2012, l’examen du projet de loi organique relatif à la programmation et à la gouvernance des finances publiques, qui a été adopté en application du traité sur la stabilité, la coordination et la gouvernance et que j’ai rapporté pour avis, m’avait alerté sur le risque d’atrophie progressive du projet de loi de financement de la sécurité sociale et d’éviction des commissions des affaires sociales du champ des finances publiques. Nous pouvons encore nous améliorer sur ce point, me semble-t-il, même s’il est vrai que le calendrier de ce cycle budgétaire est extrêmement serré.

Au fond, ce programme de stabilité se caractérise par le maintien de l’essentiel des prévisions initiales en loi de finances pour 2016 – hormis l’indice d’inflation, fortement revu à la baisse, ce qui nécessitera une compensation de la moins-value mécaniquement entraînée – et la poursuite d’une stratégie associant mesures de rétablissement de l’équilibre des comptes publics – avec un objectif fixé en 2014 de réduction de 50 milliards d'euros de dépenses sur trois ans – et mesures en faveur de la croissance, avec la mise en œuvre du pacte de responsabilité et de solidarité.

Cette stratégie est-elle la bonne ? Le déficit public est ramené à 3,5 % du produit intérieur brut, en deçà des 3,8 % initialement prévus. Le taux de progression de la dépense publique est limité à 1 %, contre une moyenne de plus de 3 % entre 2007 et 2012. La dette publique est stabilisée. Le taux des prélèvements obligatoires est en recul pour la première fois depuis 2009. J’insiste bien sur le fait qu’il s’agit là non de projections, mais de résultats acquis.

Les administrations de sécurité sociale connaissent également un redressement plus rapide que prévu, comme le confirment les comptes arrêtés mi-mars par les caisses. La situation de toutes les branches s’améliore : le déficit de l’assurance maladie se réduit à 5,8 milliards d’euros, soit 1,5 milliard d’euros de mieux. L’assurance vieillesse réalise 300 millions d’euros de mieux, la branche famille 200 millions d’euros de mieux, la branche accidents du travail et maladies professionnelles 800 millions d’euros de mieux. Si le Fonds de solidarité vieillesse augmente – je ne l’oublie pas – son déficit de 100 millions d’euros, celui du régime général est ramené à 6,6 milliards d’euros, contre 9 milliards d’euros initialement attendus. Ainsi, en seulement quatre ans, le déficit du régime général a été divisé par trois et retrouve son plus bas niveau depuis quatorze ans.

Ce redressement des comptes est-il réalisé au détriment des droits des administrés ? Non, et là est l’essentiel, car le rétablissement des comptes publics n’a de sens que s’il est mis au service d’un projet de société de progrès et de mieux-vivre partagé par tous. (Très bien ! sur les travées du groupe socialiste et républicain.) Or l’amélioration qui se dessine est réalisée sans réduire la protection sociale des assurés et a permis, tout au contraire, la création de droits nouveaux.

Le programme de stabilité 2016-2019 confirme ce choix d’équilibre en ne portant pas les objectifs d’efforts structurels au niveau recommandé par la Commission européenne, ce qui impliquerait 26 milliards d’euros d’économies supplémentaires, mais détruirait, selon l’estimation de Mme le rapporteur général de la commission des finances de l’Assemblée nationale, 150 000 emplois et coûterait un point de produit intérieur brut à l’horizon de 2017.

Le plan de réduction des déficits est donc poursuivi de manière cohérente et mesurée, dans le cadre de prévisions de croissance et de reprise des créations d’emploi qui ne sont pas contestées par le Haut Conseil des finances publiques. Celui-ci en effet estime que « la croissance pourrait se poursuivre, voire dépasser son rythme potentiel », sans méconnaître pour autant les risques liés à la restauration des contrôles aux frontières, à un éventuel Brexit ou à la persistance de fragilités bancaires de certains pays.

Ce programme se traduit pour les administrations de sécurité sociale par une économie de 5,3 milliards d’euros en 2016 et de 8,8 milliards d’euros en 2017. Un ajustement sera nécessaire pour compenser les pertes liées à la faible inflation et notamment pour le financement du plan emploi, du plan d’urgence pour les agriculteurs et des mesures en faveur des jeunes engagés depuis le mois de janvier 2016.

Le comité d’alerte a publié le 13 avril dernier son avis anticipant l’exécution de l’objectif national de dépenses d’assurance maladie, l’ONDAM, pour 2016 sur la base de réalisation de l’année précédente. S’il prend date au mois de mai prochain pour mesurer les effets des mesures de maîtrise des dépenses associées à l’ONDAM, il souligne toutefois d’ores et déjà des dépenses de soins de ville plus élevées que prévu et un aléa sur les dépenses de médicaments lié aux nouveaux traitements contre le cancer.

La loi de modernisation de notre système de santé apporte des réponses à ces préoccupations en poursuivant les réformes structurelles fixées dans le cadre de la stratégie nationale de santé. Leurs effets s’inscrivent dans les moyen et long termes, qu’il s’agisse de concrétiser le « virage ambulatoire », l’organisation des mutualisations hospitalières avec la création des groupements hospitaliers de territoire, le plan de promotion des médicaments génériques, le renforcement de la pertinence des soins ou l’appui aux structures interprofessionnelles.

À cet égard, je note d’ailleurs que l’argument d’un effet inflationniste imputé à la généralisation du tiers payant resurgit comme le monstre du Loch Ness. Il en a la même fonction – effrayer – et la même caractéristique : il est faux ! Comme le démontre l’expérience de la CMU, cette mesure produira un effet de rattrapage, source d’économies en soins retardés ; elle est d’ores et déjà pratiquée par une grande partie des professionnels de santé et par presque tous les pays européens, parmi lesquels la France fait figure d’exception. De grâce donc, sur ce point, félicitons-nous désormais de cet élargissement de l’accès aux soins et, ensemble, avançons. (Très bien ! et applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain.)

M. le président. La parole est à M. Michel Bouvard, pour le groupe Les Républicains.

M. Michel Bouvard. Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, je tiens à mon tour à revenir sur la nature de ce débat, qui, beaucoup l’ont rappelé, n’est pas sanctionné par un vote

M. Michel Bouvard. Ce débat a pour but d’entendre l’avis du Parlement sur le projet de programme de stabilité. Puisque de grands rendez-vous nous attendent l’an prochain – l’élection présidentielle, les élections législatives –, il me semble nécessaire que l’on se pose la question de la place du Parlement.

En effet, le document qui nous est présenté aujourd'hui engage notre pays et a des conséquences sur l’exécution budgétaire, puisqu’en cours d’année, pour atteindre les objectifs, il faudra sans doute souvent récupérer de l’argent sur la réserve de précaution, voire mobiliser une partie des crédits de report. En d’autres termes, des modifications profondes par rapport à ce qui a été décidé par le Parlement au moment du vote de la loi de finances initiale seront apportées, sans qu’il faille même passer par un collectif budgétaire.

Je tiens à exprimer mon souhait que celles et ceux qui aspirent aux fonctions les plus importantes du pays se posent la question d’une éventuelle modification de la loi organique qui a été votée avant que ne soit instituée cette procédure, pour permettre au Parlement de s’exprimer pleinement et de voter sur le document transmis à la Commission européenne.

Bien évidemment, je me félicite de la réduction du déficit en 2015 – chacun peut s’en réjouir – et d’une progression de la dépense publique limitée à 0,9 point, même si le document remis par le Gouvernement précise que c’est hors crédit d’impôt. C’est la règle, mais cela doit nous inciter à rester vigilants sur l’évolution de la dépense fiscale, dont on sait qu’elle mine la recette et contribue durablement aux déséquilibres budgétaires que nous constatons depuis tant d’années.

Je ne me prononcerai pas sur les perspectives d’hypothèses macroéconomiques, les analyses pouvant en effet diverger, sinon pour formuler deux observations.

En premier lieu – cette observation a été formulée par le Haut Conseil des finances publiques –, je m’interroge sur le fait que, depuis trois ans, la France connaisse une contribution significative des stocks à la croissance. Or il est généralement observé que ce phénomène n’est pas durable au-delà de quatre ans.

En second lieu, je m’interroge sur les hypothèses de croissance qui ont été retenues. Or le Haut Conseil des finances publiques rappelle que la croissance potentielle présentée par le Gouvernement, soit 1,5 % pour les années 2016 et 2017, est désormais nettement supérieure aux estimations des organisations internationales, qui sont de l’ordre de 1,1 % à 1,2 % – je renvoie chacun au tableau qui fait apparaître ce décalage. On peut voir dans cette annonce du Gouvernement soit une expression de volontarisme et de croyance dans le redressement de notre situation économique, soit un élément de fragilité…

Au-delà de ces remarques, la question qui se pose est celle du décalage de notre pays par rapport au reste de l’Union européenne. Fabienne Keller, à l’instar du rapporteur général de la commission des finances, a excellemment rappelé la nature de ce décalage. En France, les efforts d’ajustements structurels sont plus limités que dans les autres pays soumis à la procédure de déficit excessif par la Commission européenne.

Pour ne parler que des pays de la zone euro, les ajustements structurels français se limitent à 3,1 % du produit intérieur brut, contre 4,5 % en Espagne, 5,6 % au Portugal et 6,2 % en Irlande. Nous sommes également le seul pays dont les dépenses publiques dans le produit intérieur brut ont crû au cours des cinq dernières années. Nous sommes encore le seul pays qui, pour limiter ses déficits, ait accru les prélèvements obligatoires pendant la même période. Cela signifie que les efforts structurels ne sont pas suffisants.

Certes, monsieur le ministre, monsieur le secrétaire d’État, je mesure combien il est difficile d’arbitrer entre une impérieuse austérité budgétaire et la nécessité de ne pas casser la croissance et de ne pas brutaliser le corps social. J’en suis conscient, mais je suis aussi conscient que les efforts qui nous ont permis de diminuer les déficits viennent aujourd’hui principalement de la réduction de l’investissement public…

M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général de la commission des finances. Oui !

M. Michel Bouvard. … et d’un certain nombre d’« effets d’aubaine », qu’il s’agisse de la baisse des taux d’intérêt de la dette et du combat mené pour lutter contre la fraude fiscale.

Sur ces deux derniers points, il faut être conscient que les phénomènes en cause ne sont pas durables. En effet, pour la fraude fiscale, il existe des effets de stock : plus la lutte contre cette fraude sera efficace, moins il y aura de gens encore tentés de frauder et de dissimuler. Quant aux taux d’intérêt, ils finiront bien par augmenter à nouveau.

Ce dernier point m’amène d’ailleurs à vous interroger sur la stratégie de gestion de notre dette à long terme. La majeure partie de la dette publique a une maturité d’environ sept ou huit ans. Or l’Agence France Trésor a récemment procédé à une émission de bons à très long terme. Cette initiative sera-t-elle renouvelée ? Cela me paraîtrait une bonne stratégie au regard de la gestion de nos dettes dans la durée. En effet, un point supplémentaire de taux d’intérêt représente 2 milliards d’euros la première année et 3,5 milliards d’euros dès la seconde année.

L’investissement public a quant à lui reculé en France entre 2010 et 2015, selon le constat fait par la Cour des comptes, ce qui couvre donc une période antérieure à 2012. Cependant, il a encore diminué de 5 % l’an dernier, pour s’établir à 75,3 milliards d’euros.

Ce qui est préoccupant en la matière, au-delà des conséquences pour les collectivités territoriales, c’est que nos voisins, qui sont aussi nos concurrents, augmentent aujourd’hui leurs investissements publics en faveur des infrastructures, de la recherche et de l’éducation. Ils renforcent ainsi, pour le long terme, l’attractivité et les capacités économiques de leurs territoires.

Mme Fabienne Keller. C’est vrai !

M. Michel Bouvard. Comme tout un chacun, je sais que 10 milliards d’euros supplémentaires ont été alloués au PIA, le programme d’investissement d’avenir. Pouvez-vous, monsieur le ministre, monsieur le secrétaire d'État, nous donner l’assurance que cet investissement public, qui est nécessaire, ne servira pas uniquement à compenser des dépenses budgétaires supprimées par ailleurs ?

Je veux enfin évoquer les dépenses nouvelles annoncées depuis le début de l’année, dépenses que Mme Valérie Rabault, rapporteure générale de la commission des finances de l’Assemblée nationale, chiffre à 4 milliards d’euros. Certaines d’entre elles, telle la hausse des salaires des fonctionnaires, constituent des dépenses durables. Comment pouvons-nous être assurés que celles-ci seront gagées à l’aide d’économies non pas temporaires mais bien structurelles ? (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et de l'UDI-UC.)

8

Nomination des membres d’une commission d’enquête

M. le président. Mes chers collègues, je rappelle que les groupes ont présenté leurs candidats pour la commission d’enquête sur les chiffres du chômage en France et dans les pays de l’Union européenne, ainsi que sur l’impact des réformes mises en place par ces pays pour faire baisser le chômage.

La présidence n’a reçu aucune opposition.

En conséquence, la liste des candidats est ratifiée et je proclame MM. Alain Bertrand, Olivier Cadic, Philippe Dallier, Jean Desessard, Éric Doligé, Mme Anne Emery-Dumas, M. Jean-Jacques Filleul, Mmes Catherine Génisson, Éliane Giraud, Pascale Gruny, M. Georges Labazée, Mme Élisabeth Lamure, MM. Jean-Baptiste Lemoyne, Jean-Claude Lenoir, Mme Anne-Catherine Loisier, MM. Alain Milon, Michel Raison, René-Paul Savary, Mme Patricia Schillinger, MM. Jean-Louis Tourenne et Bernard Vera, membres de la commission d’enquête.

9

Nomination des membres d’une mission d’information

M. le président. Mes chers collègues, je rappelle que les groupes ont présenté leurs candidats pour la mission d’information sur la position de la France à l’égard de l’accord de mars 2016 entre l’Union européenne et la Turquie relatif à la crise des réfugiés et sur les conditions de mise en œuvre de cet accord.

La présidence n’a reçu aucune opposition.

En conséquence, la liste des candidats est ratifiée et je proclame Mme Leïla Aïchi, M. Pascal Allizard, Mme Éliane Assassi, MM. Michel Billout, Philippe Bonnecarrère, François-Noël Buffet, Mme Hélène Conway-Mouret, MM. René Danesi, Mmes Jacky Deromedi, Joëlle Garriaud-Maylam, Colette Giudicelli, MM. Gaëtan Gorce, Claude Haut, Mme Gisèle Jourda, MM. Philippe Kaltenbach, Claude Kern, Jean-Yves Leconte, Jacques Legendre, Claude Malhuret, Didier Marie, Rachel Mazuir, Robert Navarro, Cyril Pellevat, Yves Pozzo Di Borgo, Jean-François Rapin, Raymond Vall et Jean-Pierre Vial, membres de la mission d’information.

10

Projet de programme de stabilité (suite)

M. le président. Nous reprenons le débat sur le projet de programme de stabilité.

Dans la suite du débat, la parole est à M. le ministre.

M. Michel Sapin, ministre des finances et des comptes publics. Monsieur le président, je vous remercie de présider vous-même ce débat, ce qui, comme le nombre de sénatrices et de sénateurs présents, témoigne de l’importance que vous lui accordez.

Ce débat est en effet important, car il nous permet, non seulement de revenir sur ce que nous avons fait au cours des dernières années, mais aussi de nous projeter dans l’avenir et d’examiner quelles sont nos possibilités et ce que nous voulons. Il nous permet aussi de confirmer nos engagements vis-à-vis de nos partenaires puisque nous sommes ici dans le cadre d’une procédure qui a été souhaitée par l’ensemble des pays de l’Union européenne, et tout particulièrement par les pays de la zone euro.

Le présent projet de programme de stabilité retrace notre stratégie de redressement des finances publiques. Ce document sera adressé à l’ensemble de nos partenaires européens et, comme vous le savez, la Commission européenne donnera son avis dans le mois qui vient.

Beaucoup d’entre vous ont à la fois souligné l’importance du débat et évoqué les conditions dans lesquelles il se déroule. L’absence de vote sur le projet de programme de stabilité est régulière au Sénat : en 2012 déjà – je parle d’avril 2012 – il n’y avait pas eu de vote, et aucune règle constitutionnelle ou réglementaire, s’agissant de l’organisation de nos débats, non plus, bien sûr, qu’aucune règle européenne ne rend un vote obligatoire.

Cependant, vos prises de parole, madame la présidente de la commission des finances, messieurs les rapporteurs généraux, mesdames, messieurs les sénateurs, montrent que cette absence de vote n’ôte rien à l’importance qui doit être et est accordée à ce débat.

Tous, vous avez examiné avec attention le document, et je remercie celles et ceux d’entre vous qui ont bien voulu souligner la qualité et la clarté de l’expression sur des sujets parfois complexes. Tous, vous avez constaté que, par exemple par rapport à la loi de finances initiale pour 2016, il y avait en fait peu de nouveautés.

C’est en soi une bonne nouvelle. C’est en effet la preuve, non seulement de la prudence avec laquelle nous avions construit nos précédents programmes et textes financiers, mais aussi du sérieux dont nous avons témoigné dans leur mise en œuvre.

C’est aussi le reflet de la continuité de notre politique économique et budgétaire, et chacun ici sait que, sans continuité, un pays ne peut obtenir de résultat s’agissant du redressement de ses comptes.

Cette continuité indispensable se manifeste d’abord par la continuité de notre politique économique, avec le déploiement progressif du pacte de responsabilité et de solidarité et, bien entendu, la poursuite des réformes utiles à la croissance, détaillées dans le programme national de réforme qui accompagne, comme chaque année, le projet de programme de stabilité.

Je rappelle les chiffres – il faut parfois le faire.

Après avoir totalisé 24 milliards d’euros en 2015, le pacte de responsabilité représentera avec le CICE, le crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi, 34 milliards d’euros de baisse de cotisations et de la fiscalité pour les entreprises en 2016, chiffre jamais atteint et baisse indispensable.

Il faut vérifier à chaque pas que l’effort ainsi consenti se traduit bien par des décisions utiles pour notre économie et pour notre société, mais chacun sera d’accord pour reconnaître que cet effort devait être fait, et il l’a été en exacte conformité avec les engagements que nous avions pris à l’égard du monde économique.

M. Jacques Chiron. Très bien !

M. Michel Sapin, ministre. La contribution exceptionnelle à l’impôt sur les sociétés des grandes entreprises a été supprimée au 1er janvier de cette année.

En application de la deuxième étape de la suppression de la C3S, la contribution sociale de solidarité des sociétés, 90 % des entreprises, dont l’intégralité des PME et la plupart des entreprises de taille intermédiaire, sont exonérées de cet impôt.

Enfin, depuis le 1er avril, les allégements de cotisations concernent les salariés dont le revenu va jusqu’à 3,5 SMIC, soit 90 % d’entre eux, mesure qui était demandée par les uns et les autres, en particulier dans le secteur industriel, où les charges étaient légèrement plus élevées qu’ailleurs et qui devait bénéficier aussi d'allégements, notamment pour se battre sur les marchés étrangers.

Par ailleurs, s’agissant des personnes privées, 12 millions de foyers fiscaux, soit les deux tiers des contribuables, auront vu en trois ans leur impôt baisser – c’était aussi une volonté partagée – pour un gain de pouvoir d’achat total de 5 milliards d’euros en 2016.

Notre politique budgétaire s’inscrit elle aussi dans la continuité. L’assainissement des comptes publics se poursuit à un rythme compatible avec la reprise économique. Comme le soulignait M. Bouvard, c’est en effet bien là le sujet.

D’une part, il est indispensable de réduire nos déficits, et, dirais-je à M. Bocquet, ce n’est pas une obligation qui découle du seul pacte européen : elle s’impose à nous-mêmes, à l’ensemble de ceux qui regardent un peu plus loin que l’année ou les deux années qui viennent et se préoccupent des prochaines dix, vingt, cinquante années, puisque nous prenons aujourd'hui des engagements sur cinquante ans.

D’autre part, si la réduction de nos déficits est indispensable, elle doit se faire à un rythme compatible avec le soutien de l’activité économique. C’est au fond ce que nous avons démontré en 2015 : c’est l’année où, conformément à nos engagements, et même un peu au-delà, nous avons réduit les déficits et c’est l’année de la reprise de l’activité économique, qui elle aussi a un peu dépassé nos prévisions.

Je le dis à ceux qui craignent une politique d’austérité, cela démontre que l’on peut mener une politique de sérieux budgétaire en même temps que de soutien à l’activité économique. C’est ce que nous faisons. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain. - M. Alain Bertrand applaudit également.)

Permettez-moi de revenir quelques instants sur la situation économique, que plusieurs parmi vous ont commentée. Chacun a droit à son opinion, mais personne ne peut contester que la croissance se soit installée sur des bases solides en 2015.

Nous avions fondé nos prévisions pour 2015 sur l’hypothèse d’un taux de croissance de 1 %. Or la croissance a atteint 1,2 %, devançant notre objectif initial.

M. Francis Delattre. C’est moins que dans tous les autres pays européens !

M. Michel Sapin, ministre. Cette dynamique, qui est portée par la consommation et l’investissement, va s’accélérer en 2016.

Les statistiques à ce sujet ne sont ni trafiquées ni orientées. Nous sommes dans la réalité des chiffres (Exclamations sur les travées du groupe Les Républicains.)…

M. Rémy Pointereau. Ceux du chômage, par exemple ?

M. Michel Sapin, ministre. … et ces chiffres montrent que les ménages voient leur pouvoir d’achat progresser fortement. (Mêmes mouvements.)

Soyez-y attentifs ! Nous sommes par définition ici pour nous écouter mutuellement. Le débat démocratique est utile. La contradiction entre nos positions est claire, comme est clair aussi le jugement des Français sur nos propositions et nos actions,…

M. Rémy Pointereau. Ça, c’est sûr !

M. Michel Sapin, ministre. … mais nous pouvons quand même essayer de regarder les faits en face, quand ces faits sont durs comme quand ils contribuent à une amélioration réelle de la vie en France.

À cet égard, si les ménages voient leur pouvoir d’achat progresser fortement, ce n’est pas par hasard : c’est grâce à la politique de modération fiscale,…

M. Éric Doligé. Non, au mode de calcul !

M. Michel Sapin, ministre. … et grâce aussi à l’inflation très faible et à la baisse du prix du pétrole.

Le pouvoir d’achat a augmenté de 1,8 % l’an dernier. Je m’adresse à ceux d’entre vous qui veulent bien regarder les choses objectivement, et je sais que c’est forcément le cas de MM. les rapporteurs généraux : il faut remonter à 2007 pour observer une telle progression du pouvoir d’achat des Français. Cela signifie que nous avons enfin réussi l’an dernier à effacer les effets accumulés et cumulés des années de diminution ou de stagnation du pouvoir d’achat, traduction de la dureté de la réalité ressentie par les Français face à la crise.

Le pouvoir d’achat continuera de progresser en 2016 et en 2017. (Tout va bien ! sur les travées du groupe Les Républicains.) Mesdames, messieurs les sénateurs, ce n’est pas parce que ça va mieux que tout va bien ou que rien ne va mal ! Là aussi, essayons d’éviter les jugements catégoriques en noir et blanc qui nuisent à l’intelligence des propos des uns comme des autres. (Protestations sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. Jean-Louis Carrère. Hé oh l’UMP ! (Sourires sur les travées du groupe socialiste et républicain.)

M. Michel Sapin, ministre. La consommation progressera elle aussi : après une hausse de 1,4 % l’an dernier, elle devrait augmenter de 1,6 % en 2016 et en 2017.

Je voudrais maintenant dire un mot de la situation des entreprises. Plusieurs d’entre vous, y compris dans la majorité sénatoriale, ont déjà souligné que leurs marges se redressaient. Portées par la baisse des prélèvements et par les taux d’intérêt bas, qui résultent, entre autres facteurs, de la confiance donnée à la France, le taux de marge de nos entreprises a déjà retrouvé les deux tiers du chemin perdu depuis la crise pour atteindre 31,4 % à la fin de 2015.

M. Francis Delattre. Douze points de moins qu’en Allemagne !

M. Michel Sapin, ministre. Avec le déploiement complet du pacte de responsabilité, le taux de marge reviendra à son niveau moyen d’avant la crise. Nous allons ainsi effacer les effets cumulés et accumulés de la crise sur les entreprises. Or les entreprises qui retrouvent leurs marges retrouvent en même temps la capacité d’investir et d’embaucher.

Tout cela a créé un environnement favorable à une accélération de l’investissement des entreprises, qui, après avoir progressé de 2 % l’an dernier, devrait augmenter de plus de 3 % en 2016.

C’est bien entendu dans ce contexte que l’économie française – nul ne peut le contester – a renoué avec les créations d’emplois dans le secteur privé : en 2015, plus de 100 000 emplois ont été créés.

Le rythme devrait s’accélérer dès cette année grâce au renforcement de la reprise et au déploiement du plan d’urgence pour l’emploi. D’ailleurs, l’accélération des déclarations d’embauche depuis plusieurs mois, en particulier dans les TPE, témoigne déjà de cette dynamique positive. Au-delà de la diminution spectaculaire du nombre de chômeurs observée le mois dernier, si l’on veut bien prendre en compte l’ensemble du premier trimestre de cette année, c’est d’environ 50 000 que ce nombre a baissé. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain.)

Cette dynamique doit certes être confirmée, mais c’est la première fois que nous observons une telle baisse du chômage sur une telle durée. Cela n’est pas le fruit du hasard : c’est le résultat d’une politique, celle que je viens de décrire et qui a permis aux entreprises de retrouver des marges et aux consommateurs de retrouver du pouvoir d’achat.

M. Francis Delattre. Nous sommes les derniers de la classe !

M. Michel Sapin, ministre. L’année écoulée aura également été marquée par le respect de notre objectif en matière de déficit public. Ce dernier, estimé par l’INSEE à 3,5 % du produit intérieur brut, est meilleur que nous ne l’avions anticipé – tous vous l’avez constaté – et atteint avec presque un an d’avance le niveau recommandé pour l’année 2016.

La croissance évolue sur les bases prévues. Après un taux de 1,2 % l’an dernier marquant la première année de reprise économique effective, les derniers développements conjoncturels sont cohérents avec l’hypothèse de 1,5 % de croissance cette année.

Maintenir cette « ancre » de 1,5 % de croissance sur laquelle se fonde notre construction budgétaire permet d’assurer une forme de stabilité essentielle à la conduite sereine de la politique budgétaire.

Comme plusieurs d’entre vous l’ont souligné, le Haut Conseil des finances publiques juge cet objectif atteignable. Les bons observateurs de la lexicologie du Haut Conseil se rappelleront que qualifier un objectif d’« atteignable » constitue dans son langage un compliment adressé à ceux qui présentent des hypothèses.

Mme Michèle André, présidente de la commission des finances. C’est vrai !

M. Michel Sapin, ministre. Nous connaîtrons dès ce vendredi le taux de croissance du premier trimestre, ce qui nous donnera des indications sur la tendance.

Des efforts complémentaires sont néanmoins nécessaires, que ce soit pour financer les nouvelles mesures décidées depuis le début de l’année, en particulier le plan d’urgence pour l’emploi, ou encore pour compenser les effets du faible taux de l’inflation.

La nouvelle baisse du prix du pétrole intervenue depuis janvier va en effet mécaniquement avoir pour conséquence d’abaisser ce taux à un niveau plus bas que prévu, et l’inflation devrait être quasi nulle cette année. La modification de l’hypothèse d’inflation constitue d’ailleurs la principale modification que nous ayons introduite dans le cadrage macroéconomique du projet de programme de stabilité. Nous l’avons fait dans une volonté de transparence, ce qui ne nous facilite pas les choses du point de vue des calculs, mais nous voulons regarder les choses en face et bâtir un programme crédible.

Cela implique évidemment des mesures du même ordre de grandeur que l’an passé, puisque nous avions alors révisé de 1 % à 0 % le niveau de l’inflation, point sur lequel Christian Eckert aura certainement à cœur de revenir plus en détail.

Nous confirmons ainsi, dans ce projet de programme de stabilité, notre objectif de ramener le déficit public à 3,3 % du produit intérieur brut en 2016 et sous 3 % en 2017 : nous nous sommes engagés à atteindre 2,7 %, et nous nous tiendrons à notre engagement !

Certains soulignent, et il est vrai qu’il faut savoir se comparer aux autres pour mieux se comprendre soi-même, que beaucoup de pays, par exemple l’Allemagne, ont en termes de déficit public une meilleure situation que la nôtre.

Il faut néanmoins mesurer le chemin parcouru. J’invite tous ceux qui nous demandent – à juste raison – de nous comparer à nos voisins aujourd'hui à se livrer à la même comparaison pour l’année 2011. Cette année-là, la situation budgétaire de l’Allemagne était équilibrée alors que notre déficit s’élevait à près de 6 %.

M. Alain Bertrand. Qui était alors Président de la République ?…

M. François Marc. L’héritage, toujours…

M. Michel Sapin, ministre. On passe beaucoup plus facilement de l’équilibre à un tout petit excédent que de 6 % à 3,3 % de déficit. Le chemin est d’autant plus long à parcourir que la situation de départ est plus dégradée, et la nôtre l’était en comparaison de celle de pays comparables. C’est indiscutable et indubitable ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain.) Chacun ferait donc bien de prendre connaissance des chiffres avant de lancer des attaques qui pourraient être trop perfides…

J’en viens aux impôts. Mesdames, messieurs les sénateurs, là encore, quelles que soient les polémiques, il faut admettre que les impôts baissent en France. (Rires et exclamations sur les travées du groupe Les Républicains.)

C’est une réalité pour beaucoup de Français, qui la constatent sur leur feuille d’imposition, mais c’est également une réalité statistique que vous observerez tous avec attention, j’en suis persuadé. Je ne doute pas en effet que M. Retailleau soit aussi attentif à la réalité statistique des prélèvements obligatoires qu’à celle des prélèvements halieutiques !

M. Bruno Retailleau. En particulier à l’île d’Yeu ! (Sourires.)

M. Michel Sapin, ministre. Il admettra donc que le taux des prélèvements obligatoires, qui s’élevait en 2015 à 44,5 % du produit intérieur brut, baisse pour la première fois depuis 2009 après s’être stabilisé en 2014.

Les prélèvements obligatoires, c’est-à-dire le cumul de tous les impôts, taxes et contributions diverses et variées, ont diminué en France en 2015 et continueront à diminuer en 2016. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain.)

Ce qui fait la force de ce résultat, mesdames, messieurs les sénateurs, ce n’est pas tant d’avoir su baisser les impôts – il fallait bien le faire – que d’avoir su baisser conjointement les prélèvements obligatoires et les déficits. Faire baisser les déficits par l’augmentation des impôts, nous avons tous, à droite comme à gauche, démontré que c’était possible, mais diminuer les déficits tout en diminuant les impôts, voilà l’exercice que nous avons aujourd’hui réussi ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain.)

M. François Marc. C’est très fort !

M. Michel Sapin, ministre. Ce résultat est le fruit de la mise en œuvre continue du pacte de responsabilité et de solidarité en faveur des entreprises et des ménages. Cette démarche sera poursuivie et l’engagement de ne plus procéder à des hausses d’impôt sera tenu, comme nous le démontrons depuis plus d’un an déjà.

J’ai rappelé notre stratégie, qui se fonde, entre autres choses, sur une maîtrise très stricte des dépenses publiques. Beaucoup d’entre vous ont souhaité examiner dans le détail les évolutions de ces dépenses. M. Bouvard, en particulier, a fait montre de la plus grande honnêteté dans son analyse de ces évolutions.

Or les dépenses publiques n’ont progressé en 2015, si l’on en exclut, ce qui est légitime, le crédit d’impôt, que d’environ 1 %. C’est un résultat inédit que nous réalisons deux années de suite ! Et ne dites pas qu’il est uniquement dû au faible niveau des taux d’intérêt, car cette analyse d’une évolution très maîtrisée des dépenses publiques reste valable si l’on exclut du compte les charges d’intérêt de la dette, avec une évolution jusqu’ici inobservée de 1,2 % en 2014 et de 1,1 % en 2015. Chacun ici aura, j’en suis sûr, la curiosité et l’honnêteté de comparer ces chiffres à ceux des années précédentes…

Ce sérieux dans la gestion de nos dépenses sera poursuivi, avec un objectif de progression des dépenses publiques de 1,1 % en 2016 comme en 2017. Bien entendu, cela se traduit logiquement par une baisse de la part des dépenses publiques dans le produit intérieur brut : cette part a baissé de 0,81 point, revenant à 55,3 % du produit intérieur brut, soit un niveau proche de celui de 2011.

Maîtriser la progression de nos dépenses ne signifie pas qu’il faille renoncer à nos grands engagements prioritaires en faveur de l’éducation nationale, de la justice, de la sécurité intérieure, de nos armées… Je pense également aux nouvelles mesures décidées en cours de route pour faire face avec réactivité à nos nouveaux besoins, comme la lutte contre le terrorisme ou encore l’amplification des moyens de la politique de l’emploi.

Réactivité donc face aux urgences et réactivité dans la présentation des financements appropriés. Christian Eckert reviendra sur ce dernier point, mais je tenais à redire solennellement que toute nouvelle mesure de dépense est et sera intégralement financée par des mesures d’économie compensatoires.

La résultante d’un déficit qui se réduit et d’une croissance qui repart, chacun le sait, c’est une dette qui se stabilise. Celle-ci n’aura progressé que de 0,4 point en 2015 pour atteindre 95,7 % du produit intérieur brut. C’est bien peu au regard de la chronique de sa progression depuis 2007 : 5 points d’augmentation entre 2007 et 2012, soit 25 points au total ! (Protestations sur les travées du groupe Les Républicains et de l'UDI-UC.)

M. Alain Bertrand. Il a raison !

M. Michel Sapin, ministre. Que ceux qui font des comparaisons aient ces chiffres en tête s’ils veulent être justes, y compris quand ils nous demandent de faire mieux ou de faire plus.

Les grandes lignes de ce projet de programme de stabilité se résument simplement : nous entendons poursuivre la maîtrise de nos dépenses publiques, poursuivre la baisse des déficits, poursuivre la baisse des prélèvements, poursuivre enfin cette mise en ordre de notre économie qui permet de créer des emplois et de faire refluer le chômage ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain. – M. Alain Bertrand applaudit également.)

M. le président. La parole est à M. le secrétaire d'État.

M. Christian Eckert, secrétaire d’État auprès du ministre des finances et des comptes publics, chargé du budget. Monsieur le président, madame la présidente de la commission des finances, monsieur le rapporteur général de la commission des finances, monsieur le rapporteur général de la commission des affaires sociales, mesdames, messieurs les sénateurs, je vais changer mon propos par rapport à celui que j’avais prévu, car beaucoup de choses ont déjà été dites, et fort bien dites, à l’instant par M. le ministre. Inutile de les répéter.

Il est finalement rassurant de constater que, d’année en année, les mêmes remarques sont faites sur les mêmes travées, comme trois exemples le montrent.

Que disait en effet voici un an l’opposition nationale ? Elle affirmait ne pas croire à nos prévisions macroéconomiques. La croissance, selon elle, était surestimée, de même que l’inflation – je reviendrai sur ce point. En somme tout était trafiqué. On s’appuyait pour formuler ces jugements sur des adjectifs variés du dictionnaire de la langue française : inatteignable, imprudent, irréaliste, ambitieux, optimiste… Cette année, le qualificatif préféré est « atteignable », dont on nous dit qu’il est négatif ! (Exclamations amusées sur les travées du groupe socialiste et républicain.) Regardons donc ce qui s’est passé, puisque le passé éclaire l’avenir.

On nous avait dit que la prévision de 1 % de croissance en 2015 était trop optimiste : nous avons fait mieux !

La deuxième critique qui nous était opposée, il y a un an, à peu près à la même époque, concernait nos prévisions quant au taux d’inflation : vous vous trompez, nous disait-on, vous êtes trop optimistes.

Mme Nicole Bricq. C’était vrai !

M. Christian Eckert, secrétaire d'État. En effet, c’était vrai. Mais on affirmait aussi que, du fait de notre surestimation de l’inflation, les recettes escomptées ne seraient pas au rendez-vous. J’entends encore le président de la commission des finances de l’Assemblée nationale, Gilles Carrez – ou encore les commentaires de l’iFRAP, qu’on ne peut suspecter d’être un repaire de gauchistes – nous dire qu’il manquerait à tout le moins 10 milliards d’euros parce que l’effet de l’inflation sur les recettes de TVA est automatique.

Or que s’est-il passé en 2015 ? Nos prévisions de recettes ont été parfaitement respectées ! (Mme Évelyne Yonnet applaudit.)

Troisième phénomène répétitif – rajeunissons-nous là encore d’un an –, on nous alertait alors sur les dépenses nouvelles et imprévues. Catastrophe : non seulement il devait manquer 10 milliards d’euros de recettes, ce qui n’a pas été le cas, mais il devait aussi y avoir 10 milliards d’euros au moins de dépenses supplémentaires. Avec ce Président dépensier qui, à chaque discours, annonce quelques centaines de millions d’euros de dépenses, vous allez voir ce que vous allez voir en 2015 ! C’est ce que vous disiez, souvenez-vous…

M. Jacques Chiron. Ils ont la mémoire courte !

M. Christian Eckert, secrétaire d'État. Parmi ces dépenses supplémentaires, il y avait notamment le plan pour la sécurité adopté à la suite des attentats, soit 2 milliards d’euros alloués au ministère de la défense.

L’affaire des fréquences vous rappelle certainement quelque chose…

Cette année, nous nous trouvons dans une situation similaire, et, monsieur le rapporteur général de la commission des finances, le rapport de votre collègue de l’Assemblée nationale est en effet juste – je ne l’ai d’ailleurs pas contesté.

Voici donc le détail des dépenses supplémentaires : environ 2 milliards d’euros pour le plan emploi ; 900 millions d’euros pour le soutien à l’agriculture en allégements de cotisations ; 600 millions pour la hausse du point d’indice des fonctionnaires toutes administrations publiques confondues – les APU, comme on dit –, environ 60 millions d’euros pour l’État ; 250 millions d’euros pour le Fonds de transition énergétique ; 200 millions d’euros pour les mesures en faveur des jeunes.

Nous arrivons donc à environ 4 milliards d’euros de dépenses supplémentaires, comme l’année dernière.

Nous nous étions engagés à couvrir les dépenses nouvelles par des économies. Sitôt dit, sitôt fait ! L’exécution budgétaire de 2015 le prouve : nous avions prévu 3,8 % de déficit public en fin d’année et, au lieu des dérapages que vous annonciez, l’exercice s’est clos avec un déficit de 3,5 %,…

M. Daniel Laurent. Et la dette ?

M. Christian Eckert, secrétaire d'État. … et, 0,3 point de produit intérieur brut, pour ceux qui savent calculer, cela fait 6 milliards d’euros de mieux que prévu ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain.)

M. Daniel Laurent. Et la dette !

M. Christian Eckert, secrétaire d'État. Tremblez, je vais y venir, à la dette ! (Sourires sur les travées du groupe socialiste et républicain.)

Comment allons-nous financer ces 4 milliards d'euros de dépenses nouvelles ?

M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général de la commission des finances. Grâce aux collectivités !

M. Christian Eckert, secrétaire d'État. Je vous dois des réponses précises, réponses que Michel Sapin a déjà esquissées.

La réserve de précaution a été augmentée de 1,8 milliard d'euros par un gel des crédits reportés de 2015 à 2016. C’est une première.

Au cours du printemps, normalement à la fin du mois de mai, des mouvements réglementaires permettront d’ouvrir les crédits nécessaires, notamment sur le budget du ministère du travail en procédant à des annulations pour les gager. Bien sûr, en fin de gestion, comme chaque année, nous réaliserons les économies nécessaires pour financer les aléas traditionnels.

Donc, bis repetita, on retrouve en effet un peu le même débat.

Vous nous dites qu’il s’agit de chiffres macroéconomiques peu crédibles. Cela s’est révélé faux l’année dernière.

Vous faites part de votre scepticisme sur les recettes liées à l’inflation – recettes que, je vous le signale, nous avons revues à la baisse. Cela s’est révélé faux l’année dernière.

Vous alertez sur les dépenses nouvelles qui ne seraient pas couvertes par des économies. Cela s’est révélé faux l’année dernière.

Il y a dans cette impression de déjà-vécu un élément nouveau qui devrait, mesdames, messieurs les sénateurs, vous inquiéter, et qui m’inquiète pour ma part profondément, alors que je suis de nature plutôt sereine – on me dit parfois optimiste. Mon inquiétude trouve sa source à la page 17 du document que je tiens dans les mains (M. le secrétaire d’État brandit un document.)

Ce document, qui constitue donc la nouveauté de notre discussion sur le programme de stabilité, est intitulé Dépense publique et fiscalité.

Mme Fabienne Keller. Bonne lecture !

M. Christian Eckert, secrétaire d'État. C’est le fruit de la « journée de travail » du parti Les Républicains sur ces thèmes… Il compte dix-sept pages. Je ne parlerai pas des seize premières, que je garde en réserve pour d’autres débats, puisque nous aurons d’autres rendez-vous.

M. Alain Bertrand. Dix-sept pages, dix-sept candidats !

M. Christian Eckert, secrétaire d'État. À la page 17, la dernière, figurent des hypothèses de cadrage macroéconomique. Madame Keller, je partage l’analyse que vous avez faite tout à l’heure en disant qu’il y avait « urgence absolue à redresser les comptes publics ». Or, si l’on se reporte aux prévisions macroéconomiques figurant à la page 17 du document publié par le parti Les Républicains, on peut lire que les déficits publics en pourcentage du produit intérieur brut connaîtront, en 2017 et en 2018, une baisse de 3,5 %.

Ne serait-ce pas là un renoncement face à l’urgence absolue de redresser les comptes publics ? Ce que vous prévoyez, mesdames, messieurs les sénateurs, c’est de laisser refiler le déficit au-delà de 3 % en 2017 et en 2018 ! (Protestations sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. Christian Eckert, secrétaire d'État. Vous m’avez interpellé sur la dette publique, dont Michel Sapin a parfaitement décrit l’évolution au cours des dernières années.

Quelles sont les prévisions inscrites à la page 17 du programme de dépense publique et de fiscalité en matière de dette publique du parti Les Républicains ? Tout le monde semble attendre – certains, du côté droit de cet hémicycle, presque avec gourmandise – que la dette publique dépasse 100 % pour pouvoir crier à la catastrophe. Eh bien, Les Républicains prévoient dans leur document qu’en 2019 la dette publique s’établira à 100,5 % ! (Exclamations ironiques sur les travées du groupe socialiste et républicain.)

N’est-ce pas là un deuxième renoncement ?

J’ai l’habitude d’être factuel, mais beaucoup de chiffres ayant été cités, je m’arrêterai là. Les quelques chiffres que j’ai donnés font, il est vrai, un peu froid dans le dos. J’y vois une forme de renoncement contraire à la position du Gouvernement ! (Bravo ! et applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain. – M. Alain Bertrand applaudit également.)

M. le président. Monsieur le secrétaire d’État, je vous remercie, mais il faudra diversifier vos lectures… (Sourires.)

Mes chers collègues, nous en avons terminé avec le débat sur le programme de stabilité, dont je me réjouis qu’il ait eu lieu.

11

Dépôt d’un rapport

M. le président. J’ai reçu de M. le Premier ministre le rapport annuel relatif aux chiffres de la politique de l’immigration et de l’intégration.

Acte est donné du dépôt de ce rapport.

Il a été transmis à la commission des lois et à celle des affaires sociales.

12

Renvoi pour avis unique

M. le président. J’informe le Sénat que la proposition de loi, adoptée par l’Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, réformant le système de répression des abus de marché (n° 542, 2015-2016), dont la commission des finances est saisie au fond, est envoyée pour avis, à sa demande, à la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d’administration générale.

Mes chers collègues, nous allons interrompre nos travaux pour quelques instants.

La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à seize heures trente-cinq, est reprise à seize heures quarante, sous la présidence de M. Claude Bérit-Débat.)

PRÉSIDENCE DE M. Claude Bérit-Débat

vice-président

M. le président. La séance est reprise.

13

Nomination de membres d’une commission mixte paritaire

M. le président. Il va être procédé à la nomination de sept membres titulaires et de sept membres suppléants de la commission mixte paritaire chargée de proposer un texte sur les dispositions restant en discussion du projet de loi renforçant la lutte contre le crime organisé, le terrorisme et leur financement, et améliorant l’efficacité et les garanties de la procédure pénale.

La liste des candidats établie par la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d’administration générale a été publiée conformément à l’article 12 du règlement.

Je n’ai reçu aucune opposition.

En conséquence, cette liste est ratifiée et je proclame représentants du Sénat à cette commission mixte paritaire :

Titulaires : MM. Philippe Bas, Michel Mercier, Albéric de Montgolfier, Philippe Paul, Jacques Bigot et Alain Richard, Mme Cécile Cukierman ;

Suppléants : Mme Catherine Di Folco, MM. Jacques Mézard, André Reichardt, Jean-Pierre Sueur, Mme Catherine Troendlé, MM. René Vandierendonck et François Zocchetto.

14

Article 9 (interruption de la discussion)
Dossier législatif : projet de loi pour une République numérique
Article 9

République numérique

Suite de la discussion en procédure accélérée d’un projet de loi dans le texte de la commission

M. le président. L’ordre du jour appelle la suite de la discussion du projet de loi, adopté par l’Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, pour une République numérique (projet n° 325, texte de la commission n° 535, rapport n° 534, tomes I et II, avis nos 524, 525, 526 et 528).

Nous poursuivons la discussion du texte de la commission.

TITRE IER (suite)

LA CIRCULATION DES DONNÉES ET DU SAVOIR

Chapitre Ier (suite)

Économie de la donnée

Section 1 (suite)

Ouverture de l’accès aux données publiques

M. le président. Dans la discussion des articles, nous poursuivons, au sein de la section 1 du chapitre Ier du titre Ier, l’examen des amendements déposés à l’article 9, dont je rappelle les termes.

Discussion générale
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Demande de priorité

Article 9 (suite)

I. – Le chapitre Ier du titre II du livre III du code des relations entre le public et l’administration est complété par un article L. 321-4 ainsi rédigé :

« Art. L. 321–4. – I. – La mise à disposition des données de référence en vue de faciliter leur réutilisation constitue une mission de service public relevant de l’État. Toutes les administrations mentionnées au premier alinéa de l’article L. 300-2 concourent à cette mission.

« II. – Sont des données de référence les informations publiques mentionnées à l’article L. 321-1 qui satisfont aux conditions suivantes :

« 1° Elles constituent une référence commune pour nommer ou identifier des produits, des services, des territoires ou des personnes ;

« 2° Elles sont réutilisées fréquemment par des personnes publiques ou privées autres que l’administration qui les détient ;

« 3° Leur réutilisation nécessite qu’elles soient mises à disposition avec un niveau élevé de qualité.

« III. – Un décret en Conseil d’État précise les modalités de participation et de coordination des différentes administrations. Il fixe les critères de qualité que doit respecter la mise à disposition des données de référence.

« IV. – Un décret dresse la liste des données de référence et désigne les administrations responsables de leur production et mise à disposition. »

II. – Le présent article entre en vigueur à la date de publication des décrets mentionnés aux III et IV de l’article L. 321-4 du code des relations entre le public et l’administration, et au plus tard six mois après la promulgation de la présente loi.

M. le président. Je suis saisi de deux amendements identiques.

L'amendement n° 8 rectifié est présenté par MM. Genest, Darnaud et Gremillet.

L'amendement n° 525 rectifié est présenté par MM. Requier, Arnell, Barbier, Bertrand, Castelli, Collin, Collombat, Esnol, Fortassin, Guérini et Hue, Mmes Jouve, Laborde et Malherbe et MM. Mézard et Vall.

Ces deux amendements sont ainsi libellés :

Après l’alinéa 6

Insérer un alinéa ainsi rédigé :

« … – Les collectivités territoriales et leurs groupements mettent à disposition et publient les données de référence produites ou reçues dans le cadre de leurs missions de service public. À cette fin, ils peuvent notamment recourir aux dispositifs de mutualisation prévus soit aux articles L. 5211-4-1 et L. 5211-4-2 du code général des collectivités territoriales, soit à l’article L. 5721-9 du même code sous réserve que le syndicat mixte mentionné à cet article couvre au moins l’intégralité du territoire d’une région ou d’un département.

La parole est à M. Daniel Gremillet, pour présenter l'amendement n° 8 rectifié.

M. Daniel Gremillet. Cet amendement est dans le droit fil du débat que nous avons eu la nuit dernière.

Dans son avis rendu le 3 décembre 2015, le Conseil d’État a estimé que l’article 9 du projet de loi était entaché d’incompétence négative, au sens où les obligations pesant sur les collectivités locales, au titre de leur participation à ce nouveau service public, ne sont pas définies.

De son côté, la Commission nationale de l’informatique et des libertés, la CNIL, dans sa délibération du 19 novembre 2015, a également émis certaines réserves en demandant que les dispositions du projet de loi soient mises en cohérence avec celles qui ont été adoptées dans la loi du 7 août 2015 portant nouvelle organisation territoriale de la République, qui obligent les collectivités territoriales de plus de 3 500 habitants et leurs groupements à fiscalité propre à mettre en ligne les informations publiques qui se rapportent à leur territoire, sous forme électronique.

Sur ce point, la CNIL a été entendue puisque l’article 4 du projet de loi adopté par l’Assemblée nationale prévoit de supprimer l’article L. 1112–23 du code général des collectivités territoriales, pour introduire sa rédaction à la fin du nouvel article L. 312–1–1 inséré dans le code des relations entre le public et l’administration.

En cohérence avec les dispositions prévues à cet article 4 sur l’obligation d’ouverture des données assignées aux différentes autorités administratives, la rédaction de l’article 9 du projet de loi doit donc être complétée, pour associer plus clairement les collectivités territoriales et leurs groupements à l’exercice de la nouvelle mission de service public concernant la mise à disposition et la publication des données de référence qu’ils produisent ou qu’ils reçoivent. Dans ce cadre, il est proposé d’inciter les collectivités à faire appel aux dispositifs de mutualisation existants.

M. le président. La parole est à M. Jean-Claude Requier, pour présenter l'amendement n° 525 rectifié.

M. Jean-Claude Requier. Cet amendement, identique au précédent, vise à permettre aux collectivités territoriales et à leurs groupements de recourir aux dispositifs de mutualisation prévus par le code général des collectivités territoriales pour assurer leurs missions de production et de publication de données de référence.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

M. Christophe-André Frassa, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d’administration générale. Ces deux amendements identiques qui visent à permettre une mutualisation des collectivités territoriales pour la mise en œuvre du service public des données de référence posent une idée qui est intéressante.

Cependant…

M. Christophe-André Frassa, rapporteur. … – eh oui, il y a un « cependant », chers collègues ! –, si la contribution des collectivités à ce service devait se résumer à la mise à disposition dans le bon standard des adresses dans le cadre de la base des adresses nationales, ce dispositif ne m’apparaît pas véritablement nécessaire.

Aussi, je vous demande de retirer vos amendements ; à défaut, j’émettrai un avis défavorable.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

Mme Axelle Lemaire, secrétaire d'État auprès du ministre de l'économie, de l'industrie et du numérique, chargée du numérique. Même avis que le rapporteur, dans la mesure où, d’abord, les collectivités locales peuvent naturellement déjà mettre en œuvre ce type de mission de service public au niveau local. Rien ne les en empêche, bien au contraire. Mais la disposition n’a pas vocation à créer une charge nouvelle pour les collectivités. Il s’agit simplement d’amener les administrations à réfléchir à la qualité d’un certain nombre de données de référence très utilisées qui sont produites au sein de bases nationales.

J’ai expliqué hier comment l’État envisageait d’accompagner les collectivités locales dans l’avènement de l’ère de l’économie et de la société de la donnée. Ce sera une priorité de l’action du Gouvernement de s’assurer que l’ouverture des données publiques profite à toutes les administrations, y compris au niveau local.

M. le président. Monsieur Gremillet, l'amendement n° 8 rectifié est-il maintenu ?

M. Daniel Gremillet. Je vais retirer cet amendement, mais je pense que l’on passe quand même à côté d’une vraie question.

Déjà, hier soir, on n’a pas voulu rouvrir le débat sur un texte voté en 2015 alors qu’on a constaté malgré tout la non-prise en considération des collectivités. Même si j’admets, monsieur le rapporteur, madame la secrétaire d'État, que l’angle est ici un peu différent, je regrette beaucoup que les amendements d’hier aient été retirés ou refusés et que le courage ait manqué pour rectifier l’erreur dans le texte voté il y a peu, en 2015.

Je retire cet amendement, monsieur le président.

M. le président. L'amendement n° 8 rectifié est retiré.

Monsieur Requier, l'amendement n° 525 rectifié est-il maintenu ?

M. Jean-Claude Requier. C’est un amendement de repli par rapport à l’amendement qui a été présenté hier, à zéro heure quarante-cinq. Je le retire, avec toutefois un peu de regret.

M. le président. L'amendement n° 525 rectifié est retiré.

Demande de priorité

Article 9
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Article 9

M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d'État.

Mme Axelle Lemaire, secrétaire d'État. Le Gouvernement sollicite l’examen en priorité, demain, jeudi 28 avril, à seize heures quinze, soit après les questions d’actualité au Gouvernement, des articles 43 à 45 du projet de loi pour une République numérique, ainsi que des amendements qui tendent à insérer des articles additionnels après ces articles.

M. le président. Quel est l’avis de la commission sur la demande de priorité formulée par le Gouvernement ?

M. Philippe Bas, président de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale. Favorable.

M. le président. Il n’y a pas d’opposition ?…

La priorité est ordonnée.

Demande de priorité
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Article additionnel après l'article 9

Article 9 (suite)

M. le président. Nous poursuivons l’examen des amendements déposés à l’article 9.

Je suis saisi de deux amendements faisant l'objet d'une discussion commune.

L'amendement n° 538 rectifié, présenté par MM. Requier, Arnell, Barbier, Bertrand, Castelli, Collin, Esnol, Fortassin, Guérini et Hue, Mmes Jouve, Laborde et Malherbe et MM. Mézard et Vall, est ainsi libellé :

Alinéa 7, première phrase

Rédiger ainsi cette phrase :

Un décret en Conseil d’État pris après la consultation des différentes administrations concernées précise leurs modalités de participation et de coordination.

La parole est à M. Jean-Claude Requier.

M. Jean-Claude Requier. Cet amendement vise à consulter les administrations concernées, notamment les collectivités territoriales et leurs groupements, en amont de la définition des modalités de participation et de coordination. Il s’agit d’un gage de succès pour la création de données de référence.

Je me demande toutefois si cet amendement n’est pas satisfait par la version du texte issue de la commission des lois.

M. le président. L'amendement n° 570 rectifié, présenté par MM. Gremillet, Commeinhes et Milon, Mmes Morhet-Richaud, Micouleau, Cayeux, Deromedi et Duranton, MM. Vaspart, Cornu, Rapin, Doligé, Mouiller, G. Bailly et Vogel, Mmes Lopez et Garriaud-Maylam et MM. Savary, Mayet et Falco, est ainsi libellé :

Alinéa 7, première phrase

Compléter cette phrase par les mots :

, après concertation avec les collectivités territoriales et leurs groupements

La parole est à M. Daniel Gremillet.

M. Daniel Gremillet. Je vais être très bref puisque mon amendement porte sur le même sujet que celui de mon collègue M. Requier. J’anticipe sur la réponse que va nous faire le rapporteur en disant que ces amendements sont très probablement satisfaits, si je me réfère à la position qu’a précédemment adoptée la commission.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

M. Christophe-André Frassa, rapporteur. MM. Gremillet et Requier ont anticipé à peu près correctement ma réponse, même si ces amendements ne sont pas tout à fait satisfaits. J’ai déjà répondu à la question – était-ce hier soir très tard ou ce matin très tôt ? – lors de l’examen d’amendements déposés sur l’article 9.

Ces amendements précisent qu’un décret en Conseil d’État organise le service public des données de référence et qu’il est pris après concertation. J’indique à nos deux collègues que les collectivités et les administrations sont prévues dans ce décret.

Je leur demande donc, comme je l’ai déjà fait hier ou ce matin lors de la discussion d’autres amendements sur cet article 9, de retirer leurs amendements ; à défaut, j’émettrai un avis défavorable.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

Mme Axelle Lemaire, secrétaire d'État. Même avis que M. le rapporteur.

M. le président. Monsieur Gremillet, l'amendement n° 570 rectifié est-il maintenu ?

M. Daniel Gremillet. Nous avons effectivement déjà évoqué cette question vers une heure du matin. Je retire cet amendement, monsieur le président.

M. le président. L'amendement n° 570 rectifié est retiré.

Monsieur Requier, l'amendement n° 538 rectifié est-il maintenu ?

M. Jean-Claude Requier. Non, je le retire, monsieur le président. Cela prouve quand même que nous suivons les débats, monsieur le rapporteur !

M. le président. Même à une heure quinze du matin, comme j’ai pu moi-même le constater ! (Sourires.)

L'amendement n° 538 rectifié est retiré.

Je mets aux voix l'article 9, modifié.

(L'article 9 est adopté.)

Article 9
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Article 9 bis

Article additionnel après l'article 9

M. le président. L'amendement n° 374 rectifié bis, présenté par MM. Chaize, Mandelli, de Nicolaÿ, Bignon, Commeinhes, B. Fournier, Vaspart, P. Leroy et Bizet, Mme Deroche, MM. Laménie, Lefèvre, de Legge et Husson, Mme Cayeux et MM. Mouiller, Doligé, Lemoyne, Rapin et Pointereau, est ainsi libellé :

Après l'article 9

Insérer un article additionnel ainsi rédigé :

Une base normalisée des adresses au niveau national est créée par l’autorité compétente de l’État en vue de référencer l'intégralité des adresses du territoire français, dans le cadre de la mise à disposition des données de référence prévue à l’article L. 321-4 du code des relations entre le public et l’administration, avec le concours des administrations mentionnées au premier alinéa de l’article L. 300-2 du même code. Cette base est élaborée prioritairement pour les communes situées dans les zones moins denses telles que définies par l’Autorité de régulation des communications électroniques et des postes.

La parole est à M. Patrick Chaize.

M. Patrick Chaize. Le présent amendement prévoit la constitution et l’alimentation d’une base normalisée des adresses au niveau national. L’aboutissement de ce processus est aujourd'hui indispensable au déploiement fluide du très haut débit.

Compte tenu des différences entre les bases de données existantes, voire de l’absence d’adresses normalisées, entre 20 % et 30 % des logements de certains territoires ruraux ne seraient pas techniquement éligibles à une offre de services à très haut débit, malgré l’existence d’infrastructures sur ce site permettant de les raccorder physiquement en fibre optique.

Une telle base est également nécessaire pour le déploiement d’autres types de réseaux et pour les interventions d’urgence. La constitution d’une base homogène et complète suppose que des campagnes d’adressage soient effectuées dans les communes afin de remédier à l’absence de voie ou de numéro pour certains logements.

Il est grand temps que ce processus aboutisse avec l’aide de l’État.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

M. Christophe-André Frassa, rapporteur. Monsieur Chaize, vous nous proposez la création d’une base normalisée des adresses au niveau national. Or cette base des adresses nationale existe déjà. Elle est accessible sur data.gouv.fr et fait d'ailleurs partie des données de référence qui sont mentionnées dans l’étude d’impact qui est jointe au projet de loi.

Pour cette raison, je vous serais reconnaissant de bien vouloir retirer cet amendement ; à défaut, j’émettrai un avis défavorable.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

Mme Axelle Lemaire, secrétaire d'État. Le Gouvernement souhaite également le retrait de cet amendement, considérant qu’il est, en tout cas dans son objectif, satisfait.

Je veux toutefois remercier le sénateur Chaize de m’avoir véritablement alertée sur ce sujet de l’exactitude des informations contenues dans la base d’adresses nationale, voire des informations non contenues dans cette base. Au moment de déployer les réseaux numériques pour assurer la couverture du territoire, effectivement, il n’est pas rare soit que les adresses postales ne soient pas répertoriées, soit que les adresses détenues par les collectivités locales, notamment les communes, ne correspondent pas à celles qui sont détenues par les opérateurs.

Il y a donc un problème d’actualisation, d’exactitude de cette base. Il y a aussi un problème d’interopérabilité des cartes qui sont utilisées par les différentes parties prenantes, en particulier dans les réseaux d’initiative publique, les RIP, au plan France très haut débit.

C'est la raison pour laquelle j’ai soulevé cette question auprès de l’Agence du numérique. Celle-ci a confirmé le fait que des agents sont désormais dédiés à temps plein à cette question et travaillent en particulier avec Etalab et des développeurs au sein de la Direction interministérielle du numérique et du système d’information et de communication de l’État, la DINSIC, afin de déterminer un protocole permettant d’indiquer aux opérateurs et aux maires des communes la manière de compenser par des techniques alternatives de cartographie les informations manquantes. Ces équipes travaillent justement sur l’actualisation de la base des adresses nationale qui doit figurer parmi les bases de référence, parmi les données pivots qui feront partie de la mission de service public de la donnée.

Je tiens à vous rassurer, monsieur Chaize, sur le fait que le Gouvernement est désormais, grâce à vous, très conscient de cette problématique et que tous les efforts seront déployés afin d’y répondre de manière adéquate.

M. le président. Monsieur Chaize, l'amendement n° 374 rectifié bis est-il maintenu ?

M. Patrick Chaize. Vous l’avez compris, ce sujet est vraiment capital pour le déploiement des RIP en milieu rural.

Hier, mon collègue Requier a été triplement satisfait, moi, je ne le suis qu’à moitié. (Sourires.) Je voudrais en effet qu’une priorité soit donnée aux territoires ruraux pour la mise à jour de ces bases.

Je retire cet amendement, en vous remerciant, madame la secrétaire d'État, des précisions que vous nous avez apportées et de l’engagement que vous avez pris devant notre assemblée.

M. le président. L'amendement n° 374 rectifié bis est retiré.

Article additionnel après l'article 9
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Article 9 ter (supprimé)

Article 9 bis

Le second alinéa de l’article 13 de la loi n° 86-1067 du 30 septembre 1986 relative à la liberté de communication est ainsi rédigé :

« Les services de radio et de télévision transmettent les données relatives aux temps d’intervention des personnalités politiques dans les journaux et les bulletins d’information, les magazines et les autres émissions des programmes au Conseil supérieur de l’audiovisuel selon les conditions de périodicité et de format que le Conseil détermine. Le Conseil supérieur de l’audiovisuel communique chaque mois aux présidents de l’Assemblée nationale et du Sénat et aux responsables des différents partis politiques représentés au Parlement le relevé des temps d’intervention des personnalités politiques dans les journaux et les bulletins d’information, les magazines et les autres émissions des programmes. Ce relevé est également publié dans un format ouvert et aisément réutilisable, c’est-à-dire lisible par une machine. »

M. le président. L'amendement n° 450, présenté par Mme Assassi, MM. Bosino, Abate et les membres du groupe communiste républicain et citoyen, est ainsi libellé :

Alinéa 2

Rédiger ainsi cet alinéa :

« Hors période électorale et au moins une fois par mois, les services de radio et de télévision transmettent les données relatives aux temps d’intervention des personnalités politiques dans les journaux et les bulletins d’information, les magazines et les autres émissions des programmes ainsi que les données relatives aux temps d’antenne des personnalités et partis politiques au Conseil supérieur de l’audiovisuel selon les conditions de format et de périodicité que le Conseil détermine. Est considéré comme temps d’antenne l’ensemble des éléments éditoriaux consacrés à une personnalité ou un parti politique. Le Conseil communique chaque mois aux présidents de l’Assemblée nationale et du Sénat et aux responsables des différents partis politiques représentés au Parlement le relevé des temps d’intervention des personnalités politiques dans les journaux et les bulletins d’information, les magazines et les autres émissions des programmes ainsi que les données relatives aux temps d’antenne des personnalités et partis politiques. Ce relevé est également publié dans un format ouvert et aisément réutilisable, c’est-à-dire lisible par une machine. »

La parole est à M. Patrick Abate.

M. Patrick Abate. Cet amendement s’inscrit dans la volonté de renforcer le pluralisme. La rédaction actuelle de l’article 9 bis nous paraît insuffisante à trois niveaux.

D’abord, il manque, à notre avis, une précision quant aux périodes concernées par ces dispositions. En effet, en l’état, ces dernières constitueraient un recul en période électorale en comparaison des mesures appliquées par le Conseil supérieur de l’audiovisuel – CSA – en vertu de sa propre délibération. Cette dernière prévoit en effet une transmission hebdomadaire des temps de parole et d’antenne par les services au CSA. Les enjeux, l’intensité et le dynamisme d’une campagne électorale impliquent forcément un contrôle accru du Conseil en matière de respect de la représentation.

Ensuite, nous souhaitons préciser que la transmission par les services de radio et de télévision est, a minima, mensuelle hors période électorale.

Enfin, il nous semble essentiel d’élargir le champ des données. Aux termes de la rédaction actuelle de l’article 9 bis, seuls seraient concernés les « temps d’intervention », alors que ceux-ci ne représentent finalement qu’une part infime de la propagande électorale politique.

Il est donc proposé d’ajouter à ces temps d’intervention les temps d’antenne, tels qu’ils sont définis par le CSA, soit « d’une part, le temps de parole et, d’autre part, l’ensemble des éléments éditoriaux consacrés [aux] » débats qu’une personnalité politique ou un parti politique pourraient engager. Cela doit donc permettre de couvrir l’ensemble du traitement médiatique de la politique, dans une période où nos concitoyens sont toujours plus en demande de transparence.

Par ailleurs, cette mesure ne constituerait pas pour le CSA une difficulté technique particulière, le Conseil et la jurisprudence ayant déjà fixé des bornes distinctes, notamment en matière de traitement humoristique de la politique, et les appliquant depuis de nombreuses années.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

M. Christophe-André Frassa, rapporteur. Cet amendement du groupe CRC précise l’obligation de transmission et de publication en open data du relevé des temps d’intervention des personnalités politiques dans les médias audiovisuels.

Il prévoit cependant, à la différence de la rédaction actuelle, que ce dispositif ne s’applique pas en période électorale. Outre que cette notion demeure un peu floue, elle aboutit à ce que cette publication n’ait plus lieu par le CSA au moment où, justement, le débat politique est le plus riche.

En effet, un dispositif analogue existe uniquement pour l’élection présidentielle et non pour les autres élections.

En outre, cet amendement étend cette obligation aux reportages et éditoriaux qui traitent des personnalités politiques, suscitant des difficultés de décompte : par exemple, lorsqu’un éditorialiste parle de plusieurs candidats, comment faudrait-il dès lors décompter et répartir les temps d’antenne ?

Cet amendement, à notre sens, introduit donc dans le dispositif non seulement une lacune mais aussi des difficultés d’application. Aussi, je vous demande de le retirer ; sinon, je donnerai un avis défavorable.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

Mme Axelle Lemaire, secrétaire d'État. Il est également défavorable.

C’est au moment des débats en commission des lois à l’Assemblée nationale qu’a été introduite cette idée d’ouvrir au public les données concernant les temps d’intervention directe des candidats en période électorale. Finalement, cette idée a été soutenue par le Gouvernement.

Depuis, nous en avons discuté avec le CSA, qui a naturellement accepté de mettre à la disposition du public ces informations, qui étaient déjà transmises au Parlement sur une base mensuelle.

En revanche, vous suggérez d’étendre cet open data au temps d’antenne des soutiens des personnalités politiques, en continu et en temps réel.

Vous ouvrez là un débat qui est très certainement légitime, mais qui pose un certain nombre de difficultés d’ordre théorique et pratique.

Sur le plan théorique, on peut se demander s’il faut véritablement décompter la parole des responsables publics, lorsqu’il n’y a pas d’enjeux électoraux immédiats. Cette mise en lumière ne contreviendrait-elle pas à la liberté d’information et éditoriale des chaînes, en permettant des comparaisons mathématiques entre les temps de parole réservés à chacune et à chacun ?

Sur le plan pratique, il ressort de nos discussions avec le CSA qu’il serait extraordinairement difficile de mettre en œuvre une telle obligation pour des raisons qui tiennent aux ressources, tant humaines que techniques. Cela supposerait certainement de renouveler, pour une bonne partie, les systèmes d’information du CSA, ce qui n’est pas une mesure envisageable à l’heure actuelle.

C’est la raison pour laquelle, même si vous aurez compris que votre objectif est approuvé par le Gouvernement, je vous demande, dans l’immédiat, le retrait de cet amendement, sinon j’y serai défavorable.

M. le président. Monsieur Abate, souhaitez-vous maintenir votre amendement ?

M. Patrick Abate. Juste un mot, monsieur le président. J’entends bien les deux remarques de Mme la secrétaire d’État, qui correspondent finalement à celles du rapporteur.

Je reprends les deux aspects qui ont été évoqués.

Sur le plan théorique, on peut discuter, en effet. Il nous semble que l’équilibre démocratique et le pluralisme ne s’entendent pas seulement en période électorale. Mais c’est un débat que nous entendions justement poser et mettre en évidence.

Sur le plan pratique, vous l’avez dit, madame la secrétaire d’État, c’est une question de moyens ! Nous estimons qu’en matière de fonctionnement démocratique et de pluralisme, il faut d’abord poser l’objectif et mettre les moyens ensuite.

Je comprends à la fois votre intérêt et vos arguments. Cela étant, nous maintenons cet amendement, monsieur le président.

M. le président. Je mets aux voix l’amendement n° 450.

(L'amendement n'est pas adopté.)

M. le président. Je mets aux voix l’article 9 bis.

(L’article 9 bis est adopté.)

Article 9 bis
Dossier législatif : projet de loi pour une République numérique
Article 10

Article 9 ter

(Supprimé)

M. le président. Je suis saisi de six amendements faisant l’objet d’une discussion commune.

L'amendement n° 106 rectifié ter, présenté par Mme Morin-Desailly, MM. Zocchetto, L. Hervé et les membres du groupe Union des Démocrates et Indépendants - UC, est ainsi libellé :

Rétablir cet article dans la rédaction suivante :

Parmi les critères d’attribution des marchés publics ayant pour objet le recueil et le traitement des données publiques, ainsi que le développement, l’achat ou l’utilisation d’un système informatique, le recours à un prestataire ou à une solution technique ne menaçant pas la souveraineté numérique nationale et assurant une maîtrise des données publiques concernées est pris en compte par priorité par les pouvoirs adjudicateurs au sens de l'ordonnance n° 2015-899 du 23 juillet 2015 relative aux marchés publics ainsi que par les établissements publics et entreprises ayant le caractère de service public industriel et commercial.

La parole est à Mme Catherine Morin-Desailly.

Mme Catherine Morin-Desailly. Depuis l’affaire dite Snowden, le caractère essentiel des données numériques, actifs stratégiques de notre siècle pour la souveraineté des États, n’est plus un secret.

Dans ce contexte, toute relation contractuelle liée à « l’or numérique » que constituent les données ne doit se faire que dans un cadre juridique et administratif de confiance absolue, qui plus est lorsqu’il est question de données publiques.

À l’automne dernier, madame la secrétaire d’État, je vous avais interrogée sur deux appels d’offres lancés par l’État sur le traitement en masse des données publiques, pour lesquels la société Palantir Technologies faisait partie des candidats fort bien placés. D’aucuns avaient observé que cette société californienne très puissante avait été financée, initialement, par la CIA et qu’elle a, pour clients, les agences de renseignement américaines, ainsi que les forces armées.

On peut, par ailleurs, remarquer que divers choix qui ont été opérés soulèvent un certain nombre de questions – la presse s’en est fait l’écho : le contrat signé par le Premier ministre avec Cisco ou encore celui de l’éducation nationale avec Microsoft.

S’agissant de marchés publics portant sur le traitement des données des administrations françaises, il apparaît comme particulièrement nécessaire d’exiger rigueur et transparence, de la part du Gouvernement et des administrations, dans le choix des prestataires.

Outre sur la question de la promotion des formats libres et ouverts portée par l’article 9 ter, supprimé par la commission des lois et que nous défendons, le législateur doit se pencher sur l’ensemble des marchés publics liés au numérique. En effet, pour tout ce qui touche au traitement des données publiques et à l’équipement du parc informatique public, le choix des solutions techniques et des prestataires revêt un caractère éminemment stratégique.

L’indépendance technologique, l’interopérabilité, l’auditabilité du code source et, surtout, la maîtrise de leurs données par les administrations doivent être, désormais, des éléments essentiels dans les choix des prestataires. Encore une fois, il y va de notre souveraineté.

Plus largement, l’État et ses administrations ne doivent pas favoriser des positions dominantes, en choisissant par défaut de grands prestataires ou des solutions commerciales très répandues, sans considération des questions de souveraineté numérique.

Et à mon sens, ces exigences devraient également s’appliquer hors des procédures de marché public. Je pense, par exemple, au moteur de recherche Qwant, qui est un acteur européen respectueux de la vie privée et de notre législation et qui peine à émerger dans le parc informatique public face à des géants de l’internet.

Aussi, il convient, selon nous, de compléter sur le plan législatif certaines dispositions relatives aux marchés publics, en précisant que, parmi les critères d’attribution des marchés ayant pour objet l’équipement informatique ou tout service d’ordre numérique, le recours à un prestataire ou à une solution technique ne menaçant pas la souveraineté numérique nationale et assurant une maîtrise des données publiques concernées est pris en compte en priorité, sans préjudice – bien entendu – du pouvoir discrétionnaire des pouvoirs adjudicateurs quant à la décision finale.

M. le président. Veuillez conclure, ma chère collègue.

Mme Catherine Morin-Desailly. Il ne s’agit aucunement de faire de l’étatisme technologique, mais d’avoir une position stratégique.

M. le président. L’amendement n° 449, présenté par Mme Assassi, MM. Bosino, Abate et les membres du groupe communiste républicain et citoyen, est ainsi libellé :

Rétablir cet article dans la rédaction suivante :

I. – Les services de l’État, les administrations, les établissements publics et les entreprises du secteur public, les collectivités territoriales et leurs établissements publics, les personnes privées en charge d’une mission de service public donnent la priorité aux logiciels libres et aux formats ouverts sont utilisés lors du développement, de l’achat ou de l’utilisation d’un système informatique.

II. – Les modalités d’application du I sont définies par décret en Conseil d’État.

La parole est à M. Jean-Pierre Bosino.

M. Jean-Pierre Bosino. Dans le même esprit que celui défendu à l’instant par Mme Morin-Desailly, cet amendement vise à donner la priorité aux logiciels libres dans les services de l’État, les administrations, les établissements publics et les entreprises du secteur public, les collectivités territoriales et leurs établissements publics, ainsi que chez les personnes privées en charge d’une mission de service public.

Notre groupe attache une très grande importance aux logiciels libres et nous souhaitons aller au-delà de la rédaction adoptée à l’Assemblée nationale et supprimée par la commission des lois, en substituant la priorité à l’encouragement.

En effet, depuis des années, l’utilisation des logiciels libres est « encouragée » ; il existe même une circulaire de M. Ayrault de septembre 2012. Je pense que vous n’aurez pas de mal, mes chers collègues, madame la secrétaire d’État, à partager mon constat : c’est insuffisant !

Pourtant, les bénéfices liés aux logiciels libres sont grands, notamment en termes d’indépendance technologique et de souveraineté numérique. Le moindre coût de ces logiciels par rapport aux logiciels « propriétaires » constitue un autre bénéfice non négligeable. Certes, ils ne sont pas tous gratuits, mais la différence de coût n’est pas dérisoire dans cette période où les ressources des collectivités territoriales sont grandement mises à mal…

Je n’ignore pas l’existence du problème de la formation des personnels, mais ceux-ci ne partent pas de rien. Ils utilisent l’informatique quotidiennement, si bien que cette question peut être surmontée.

La suppression de l’article 9 ter par la commission des lois a été votée au motif de risques qui existeraient en termes de principe d’égalité et de droit à la concurrence. Mais nous ne pensons pas du tout que cela soit contraire au droit de la concurrence, national ou européen, ou au code des marchés publics.

Nous regrettons d’autant plus le faible recours aux logiciels libres dans l’administration publique lorsque nous voyons les partenariats conclus entre Microsoft et l’éducation nationale !

M. le président. L'amendement n° 183, présenté par Mme Bouchoux et les membres du groupe écologiste, est ainsi libellé :

Rétablir cet article dans la rédaction suivante :

Les services et administrations de l'État, les établissements publics et entreprises du secteur public, les collectivités territoriales et leurs établissements publics donnent la priorité à l’utilisation des logiciels libres et des formats ouverts lors du développement, de l'achat ou de l'utilisation d'un système informatique.

La parole est à Mme Corinne Bouchoux.

Mme Corinne Bouchoux. Je ne vais pas répéter ce qui vient d’être dit dans les deux interventions précédentes, qui sont extrêmement complémentaires.

J’ai lu attentivement l’excellent rapport de M. Frassa et, concernant l’article 9 ter, j’y ai finalement vu deux critiques : inciter à l’usage des logiciels libres ou le favoriser n’aurait pas de portée normative et cela constituerait une injonction envers l’État.

Comme l’avait signalé, de manière humoristique, le sénateur Alain Richard, ce n’est ni l’un ni l’autre…

En outre, je voudrais signaler que cette préférence pour les logiciels libres existe déjà en droit. Nous avons voté de telles mesures, ici même et à deux moments différents : dans la loi pour la refondation de l’école et dans celle relative à l’enseignement supérieur et à la recherche. Ainsi, selon l’article L. 123-4-1 du code de l’éducation, « les logiciels libres sont utilisés en priorité » et, selon l’article L. 131-2 du même code, dans le cadre du service public de l’enseignement, « la détermination du choix des ressources utilisées tient compte de l’offre de logiciels libres ».

On l’a déjà fait. Pourquoi ne pas le refaire ? À ma connaissance, le Conseil constitutionnel n’a jamais estimé que ces dispositions contrevenaient à la Constitution.

Elles ne sont pas non plus contraires au code des marchés publics. J’ai peut-être mal cherché, mais je n’ai trouvé aucune jurisprudence qui irait dans un tel sens. Le rapporteur pourra éventuellement nous éclairer à ce sujet.

Enfin, l’amendement que je soutiens prévoit que les modalités d’application seraient fixées par décret. Je ne vois donc pas en quoi l’administration ou l’exécutif serait privé de marges de manœuvre sur le sujet.

Pour toutes ces raisons, nous incitons vivement à ce que le recours aux logiciels libres et aux formats ouverts soit privilégié.

Enfin – cela fait le lien avec le débat précédent –, à une époque où l’on compte chaque euro, où nos collectivités ont des difficultés, de quelque couleur qu’elles soient, le fait de se précipiter vers des logiciels payants, qui ne donnent pas toutes les garanties en termes de souveraineté – cela a été dit par Catherine Morin-Desailly –, est simplement incompréhensible du point de vue économique. C’est du gaspillage ! Je pense que, dans la Haute Assemblée, tout le monde sera très sensible à cet argument financier.

Pourquoi aller payer des multinationales et être pieds et poings liés avec elles, quand on peut choisir un logiciel de qualité, certes pas toujours gratuit, mais moins coûteux !

M. le président. Le sous-amendement n° 629, présenté par M. Gorce, n’est pas soutenu.

L’amendement n° 393 rectifié, présenté par Mme Garriaud-Maylam, MM. Charon, del Picchia et Doligé, Mme Kammermann, MM. Laufoaulu, Malhuret, Masclet et Perrin, Mme Procaccia et MM. Raison et Rapin, est ainsi libellé :

Rétablir cet article dans la rédaction suivante :

Les services de l'État, administrations, établissements publics et entreprises du secteur public, les collectivités territoriales et leurs établissements publics donnent la priorité aux logiciels libres et aux formats ouverts lors du développement, de l'achat ou de l'utilisation d'un système informatique.

Les modalités d’application du présent article sont définies par décret en Conseil d’État.

La parole est à Mme Joëlle Garriaud-Maylam.

Mme Joëlle Garriaud-Maylam. Certains éléments de mon argumentation ont déjà été exposés. J’estime, moi aussi, qu’il faut absolument rétablir, dans cet article, la possibilité d’une incitation à un usage accru des logiciels libres.

J’ai bien entendu l’argument selon lequel une telle incitation ne serait pas normative. Mais, mes chers collègues, si toutes les lois étaient normatives, je crois qu’elles seraient beaucoup moins bavardes et plus concises que celles que nous voyons de nos jours…

Mme Catherine Deroche. C’est vrai !

Mme Joëlle Garriaud-Maylam. Ensuite, mon amendement indique que les modalités d’application de l’article seront définies par un décret en Conseil d’État, ce qui me semble être tout à fait spécifique par rapport aux autres amendements. Cela répond aux réticences qui ont pu voir le jour.

Les éléments sur les avantages des logiciels libres ont déjà été exposés, je les énumère sans les reprendre précisément : indépendance technologique, souveraineté numérique, interopérabilité, auditabilité du code, pérennité des données, possibilité de redistribution et de mutualisation…

Je voudrais ajouter un avantage qui me paraît très important : leur développement en France serait créateur d’emplois et vecteur de croissance. Le secteur du logiciel libre pèse actuellement 50 000 emplois et 4 milliards d’euros.

J’estime que c’est à nous, parlementaires, d’aider au développement de ces logiciels libres. Je rappelle qu’il y a eu des années d’incitation, en particulier à la suite de la circulaire du Premier ministre du 19 septembre 2012.

Pourtant, le recours aux logiciels libres ne progresse pas significativement dans les administrations, comme en témoigne le renouvellement, en 2014, du contrat-cadre qui lie Microsoft Europe et le ministère de la défense. Pour mémoire, le siège de cette société ne se situe pas en France, mais en Irlande…

La suppression de cet article par la commission des lois m’interpelle véritablement.

Mon but n’est pas d’imposer un produit spécifique, mais de poser une exigence fonctionnelle inscrite dans le cahier des charges. Cette exigence doit permettre de maintenir une égalité d’accès et une concurrence effective dans de futurs marchés.

Notre assemblée s’honorerait à rétablir cet article. Nous avons en effet le devoir de défendre et d’encourager les entreprises françaises.

M. le président. L'amendement n° 184, présenté par Mme Bouchoux et les membres du groupe écologiste, est ainsi libellé :

Rétablir cet article dans la rédaction suivante :

Les services et administrations de l'État, les établissements publics et entreprises du secteur public, les collectivités territoriales et leurs établissements publics encouragent l'utilisation des logiciels libres et des formats ouverts lors du développement, de l'achat ou de l'utilisation d'un système informatique.

La parole est à Mme Corinne Bouchoux.

Mme Corinne Bouchoux. Il s’agit d’un amendement de repli, légèrement moins ambitieux que le précédent, qui visait à donner un cap.

Je vous propose simplement de rétablir la formulation de l’article 9 ter issue des travaux de l’Assemblée nationale, qui me semble claire.

J’ai l’impression que nous sommes un peu restés dans le siècle passé, à une époque où nous avions beaucoup d’argent, où le pétrole ne coûtait pas cher et où tout nous semblait abondant. Nous devons, me semble-t-il, être raisonnables et regarder l’état du marché avant de nous équiper. Je le répète, lorsqu’il y a des produits de qualité, mutualisables et qui peuvent inciter les collectivités à travailler ensemble, nous devons faire le choix du raisonnable, plutôt que celui du tout marchand où nous perdons une part de souveraineté.

À l’Assemblée nationale, nos collègues ont d’ailleurs voté cet article dans un relatif consensus.

M. le président. L’amendement n° 223 rectifié, présenté par MM. Sueur, Leconte, Rome et Camani, Mme D. Gillot, MM. F. Marc, Assouline, Guillaume et les membres du groupe socialiste et républicain, est ainsi libellé :

Rétablir cet article dans la rédaction suivante :

Les administrations mentionnées à l’article L. 300-2 du code des relations entre le public et l’administration veillent à préserver la maîtrise, la pérennité et l’indépendance de leurs systèmes d’information.

Elles encouragent l'utilisation des logiciels libres et des formats ouverts lors du développement, de l'achat ou de l'utilisation, de tout ou partie, de ces systèmes d’information.

La parole est à M. Jean-Pierre Sueur.

M. Jean-Pierre Sueur. Hier, nous avons eu un débat nourri qui nous a permis d’ôter de ce texte la notion de secret des affaires. Il faut saluer le grand pas permis par ce vote du Sénat.

Monsieur le rapporteur, nous pourrions, aujourd’hui, faire un nouveau pas en avant, en inscrivant dans la loi, comme l’a fait l’Assemblée nationale, l’encouragement aux logiciels libres.

Je sais que vous vous y êtes opposé, monsieur le rapporteur, mais vous avez dû écouter les précédents orateurs venant de différents groupes – cela ne vous a pas échappé –, qui ont plaidé pour ces logiciels libres.

Monsieur le rapporteur, vous n’ignorez pas que c’est un enjeu crucial de souveraineté. Le développement des logiciels libres permet de garantir à l’administration la maîtrise, la pérennité et l’indépendance de ses choix.

La maîtrise des systèmes d’information permet de s’adapter rapidement à des besoins fluctuants, tout en assurant la qualité de service rendu.

La pérennité vise à ce que les choix d’aujourd’hui permettent de maîtriser le système de demain.

L’indépendance porte sur la capacité à dépasser les choix technologiques et à se détacher des fournisseurs.

Ces principes sous-tendaient déjà, au début des années deux mille, le programme Copernic.

L’utilisation de logiciels libres permet de favoriser l’adoption de formats ouverts, qui contribuent à l’interopérabilité et à la pérennité des données traitées par les administrations, tout en engageant une réelle mutualisation des investissements.

La neutralité technologique des choix des administrations doit être au cœur de l’action des dirigeants des directions des systèmes d’information.

Nous considérons que cet encouragement aux logiciels libres va finalement dans le sens de ce que nous avons tous défendu : la défense d’un service public qui atteint le meilleur en termes de coût, de conditions d’organisation et d’indépendance.

C’est pourquoi je disais qu’il y a, ici, un enjeu de souveraineté, essentiel pour nous.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

M. Christophe-André Frassa, rapporteur. Si vous le permettez, monsieur le président, je donnerai une réponse globale à l’ensemble de ces six amendements.

Tout d’abord, et afin que les choses soient claires et nettes – je dirais même loyales et transparentes, pour reprendre une expression entendue hier soir –, je n’ai jamais dit, à un seul moment, que j’étais opposé aux logiciels libres.

M. Jean-Pierre Sueur. Ça commence magnifiquement !

M. Yves Rome. C’est une clarification, en effet !

M. Christophe-André Frassa, rapporteur. Je ne l’ai jamais dit et je pense que cela ne transparaît dans aucune des pages du rapport que j’ai présenté.

Je me suis simplement interrogé : le logiciel libre est-il systématiquement la bonne solution ?

M. Jean-Pierre Sueur. Personne ne l’a prétendu !

M. Christophe-André Frassa, rapporteur. Tous les amendements présentés posent la question centrale de la maîtrise de leurs données par les administrations et le meilleur moyen pour la garantir.

Dès lors, s’agit-il du logiciel libre ou du format ouvert ?

Pour ma part, très humblement, je ne pense pas que le logiciel libre réponde de manière tout à fait satisfaisante à cet enjeu.

De quoi parle-t-on ?

Comme le rappelait la note de la direction interministérielle des systèmes d’information et de communication – devenue, depuis, la direction interministérielle du numérique et du système d’information et de communication de l’État –, annexée à la circulaire du Premier ministre du 19 septembre 2012, le logiciel libre est un modèle de propriété intellectuelle assis sur les principes suivants : garantir la liberté d’exécuter le programme pour tous les usages ; garantir la liberté d’étudier le fonctionnement du programme et de l’adapter à ses besoins ; garantir la liberté de redistribuer des copies du programme ; permettre d’améliorer le programme et de distribuer ces améliorations au public pour en faire profiter toute la communauté. Et la note précise, j’insiste sur ce point, que cela implique le libre accès au code source du programme informatique.

Le terme « libre » ne doit toutefois pas être mal interprété : il ne signifie pas que l’usage du logiciel est libre de tout droit, seulement qu’il est soumis à un certain type de licences, comportant les droits et obligations décidés par la communauté créatrice du logiciel et auxquels l’utilisateur adhère, dès lors qu’il le télécharge.

Si aucune compensation financière n’est exigée au moment du téléchargement du logiciel, celui-ci n’est pas non plus nécessairement gratuit, son adaptation aux besoins spécifiques d’un utilisateur pouvant, au contraire, nécessiter un investissement important en termes de développement. Sa maintenance en condition opérationnelle a également un coût.

Pour reprendre la fameuse circulaire du Premier ministre, qui appelait non pas à donner une priorité aux logiciels libres, mais à les considérer de manière égale avec les logiciels « propriétaires », il est nécessaire, avant toute chose, de tenir compte des avantages et des inconvénients que les logiciels libres peuvent présenter en fonction des besoins exprimés par les usagers, et de l’offre disponible.

La meilleure solution ne sera donc pas toujours le logiciel libre.

Voilà ce que j’ai voulu signifier lors des débats en commission et quand j’ai défendu l’amendement de suppression de l’article 9 ter. Je n’ai rien voulu dire de plus. Je n’ai jamais dit que j’étais opposé aux logiciels libres.

Une solution pourrait également être de prévoir, dans les clauses d’un marché public, que le code source développé pour le besoin de l’administration lui revient. Pour moi, c’est un point très important. Il nous faut donc effectivement rechercher du côté du code des marchés publics.

Cependant, cela soulève des difficultés juridiques, car l’ordonnance relative aux marchés publics ne détaille pas les critères d’attribution : cela relève du domaine réglementaire. Le niveau législatif précise simplement que les critères doivent être « objectifs, précis et liés à l’objet du marché ou à ses conditions d’exécution ».

Ces sujets devraient être traités dans un débat global sur cette ordonnance relative aux marchés publics, comme l’ont demandé la commission des lois et la mission commune d’information sur la commande publique. Ici, nous pouvons tous regretter que le Gouvernement ne souhaite toujours pas inscrire la ratification de cette ordonnance à l’ordre du jour de la séance publique.

Vous l’aurez compris, mes chers collègues, même si la commission partage les préoccupations de leurs auteurs, elle demande le retrait de ces amendements : soit ils pourraient être qualifiés de « neutrons législatifs » – pour reprendre la formule du président Mazeaud –, soit ils comportent des dispositions relevant du pouvoir réglementaire.

À défaut de retrait, l’avis de la commission sera défavorable.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

Mme Axelle Lemaire, secrétaire d'État. Le Gouvernement souhaite le retrait des amendements nos 106 rectifié ter, 449, 183, 393 rectifié et 184, au profit de l’amendement n° 223 rectifié présenté par M. Sueur.

Je regrette que l’article 9 ter, tel qu’il avait été adopté à l’Assemblée nationale, ait été supprimé par la commission des lois du Sénat. Il me semble pourtant qu’un équilibre avait été trouvé, après des débats passionnants.

Cet article avait le mérite d’élever au rang de la loi une formulation figurant dans une circulaire et d’étendre cette disposition aux collectivités locales, ce qui permettait d’élargir son champ d’application.

La démarche défendue par Mme Morin-Desailly m’apparaît intéressante, parce qu’elle cherche à dépasser le débat, parfois un peu stérile, en tout cas très frontal, entre les promoteurs du logiciel libre, d’un côté, et les défenseurs du logiciel propriétaire, de l’autre. Les premiers se font beaucoup entendre publiquement, en particulier sur les réseaux sociaux ; les seconds sont potentiellement très puissants, en tant que force de lobbying. Il y a les pour et les contre, le rôle du législateur étant de décider et de trancher.

Finalement, le débat devrait peut-être s’éloigner un peu de l’idéologie pour revenir à la pratique des choix qui sont nécessaires en matière d’achats informatiques destinés à équiper les systèmes d’information des administrations.

C’est ce que vous suggérez, madame Morin-Desailly : établir des critères plutôt que trancher entre logiciels libres et propriétaires.

Cette démarche a le mérite d’obliger les administrations à se poser la question des objectifs qu’elles poursuivent au moment de s’équiper. Cette question a peut-être été insuffisamment posée ces dernières années par certaines d’entre elles, qui ont eu tendance à sous-traiter leurs systèmes d’information. Je précise cependant que ce n’est pas le cas de toutes. Certaines sont connues et réputées pour avoir recours aux logiciels libres : c’est notamment le cas de la gendarmerie nationale, qui a équipé quasiment tout son parc informatique en logiciels libres et open source ; il me semble que cela représente plus de 60 000 ordinateurs.

Mais, finalement, pourquoi ne pas accepter ces amendements ?

Madame Garriaud-Maylam, vous dites vouloir rétablir la possibilité de recourir à une incitation. Le Gouvernement aussi. Cela tombe bien ! En revanche, les chiffres que vous citez, et qui émanent d’une étude du Syntec Numérique et du Conseil national du logiciel libre, ne montrent pas que le secteur du logiciel libre se porte mal en France. Au contraire, ce secteur, qui représente 50 000 emplois dans notre pays, est amené à croître et devrait connaître entre 3 000 et 4 000 embauches par an. Aujourd’hui, il représente 13 % du marché informatique.

L’amendement n° 223 rectifié de M. Sueur s’inscrit dans le même esprit que celui de Mme Morin-Desailly tout en retenant des critères juridiquement plus précis, notamment parce qu’il ne recourt pas à des formulations négatives – comme « ne menaçant pas la souveraineté numérique nationale » –, mais se fonde sur les notions de maîtrise, de pérennité et d’indépendance. Il me semble que cette formulation permet de dépasser l’opposition entre logiciel libre et logiciel propriétaire.

En effet, « maîtrise » signifie que l’informaticien de la collectivité publique décide de ce que doit faire le système d’information qu’il est amené à gérer. Par exemple, vous avez peut-être entendu parler des routeurs Juniper Networks, dont nous avons appris récemment qu’ils présentaient une back door, c’est-à-dire qu’ils étaient potentiellement accessibles par les services de renseignement américains. Or cette entreprise est le deuxième fournisseur de routeurs d’accès en France. Une interrogation sur la maîtrise des systèmes d’information aurait peut-être permis d’éviter de recourir à cette solution.

« Pérennité » signifie que les systèmes ne sont pas obsolètes trop rapidement et qu’il faut s’interroger sur la capacité de maintenance à plus long terme. Cette exigence est liée à l’exigence de continuité du service public qui s’impose aux administrations.

Enfin, l’« indépendance » exige que le logiciel choisi ne rende pas l’utilisateur dépendant de ses fonctionnalités. En quelque sorte, l’indépendance est fille de la maîtrise. Cela dit, tous les logiciels libres ne garantissent pas l’indépendance ni la maîtrise, car celles-ci supposent l’existence d’une collectivité de développeurs qui soit active. Il arrive que certains logiciels ne soient pas maintenus par une telle collectivité, ce qui les rend rapidement obsolètes.

À l’inverse, certains logiciels propriétaires permettent de répondre très spécifiquement à des besoins de gestion auxquels ne répondent pas les logiciels libres. Il importe donc de laisser le choix souverain à l’administration.

Telle est la solution proposée par Jean-Pierre Sueur : donner la possibilité à l’administration de garder la main sur l’ensemble des outils qui ont été développés et qui le seront à l’avenir. Elle permet en outre aux services prescripteurs de monter en compétence, de devenir concepteurs et créateurs plutôt que de rester des acheteurs passifs. Afin de respecter ce juste équilibre, le Gouvernement vous propose donc d’adopter l’amendement n° 223 rectifié.

M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Sueur.

M. Jean-Pierre Sueur. Monsieur le président, je voulais simplement vous demander une suspension de séance d’une dizaine de minutes, afin de nous permettre d’arriver à une rédaction satisfaisante.

M. le président. La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à dix-sept heures trente, est reprise à dix-sept heures quarante-cinq.)

M. le président. La séance est reprise.

La parole est à Mme Corinne Bouchoux, pour explication de vote.

Mme Corinne Bouchoux. Tout l’enjeu de nos débats consiste à dégager des solutions équilibrées, mais nous devons aussi faire preuve de réalisme.

Ma famille politique milite pour la défense du logiciel libre, position que je soutiens également à titre personnel. Toutefois, il faut reconnaître que nous ne travaillons pas au Sénat dans une logique d’affrontement brutal ; au contraire, nous essayons collectivement de faire avancer les choses.

En pensant aux milliers d’internautes qui nous regardent, je me permets d’émettre un souhait, tout en faisant confiance à l’expertise de mes collègues. Si l’amendement n° 106 rectifié ter, qui est le premier de la liasse, est adopté, les autres deviendront sans objet. Je suis disposée à retirer les amendements nos 183 et 184 que j’ai défendus, mais en souhaitant ardemment que la rédaction de l’amendement n° 106 rectifié ter soit reprise collectivement, afin de prendre en compte la promotion des formats ouverts et des logiciels libres.

Nous avons réussi à faire preuve d’intelligence collective sur d’autres points : je retire donc mes amendements, tout en espérant que leur philosophie soit intégrée à l’amendement n° 106 rectifié ter. L’Assemblée nationale a su trouver une formulation équilibrée et je ne vois pas pourquoi nous n’y parviendrions pas collectivement, afin de poursuivre sereinement nos débats. Cette question semble constituer un point de blocage, ce qui me paraît dommage, compte tenu de la qualité du rapport. J’ajoute que mon amendement faisait l’impasse sur la finalité et la mention de la souveraineté permet de remédier à ce manque.

M. le président. Les amendements nos 183 et 184 sont retirés.

La parole est à M. Jean-Pierre Sueur, pour explication de vote.

M. Jean-Pierre Sueur. Comme chacun a pu le constater, cette suspension de séance nous a permis de dialoguer.

J’ai donc l’honneur de proposer un sous-amendement à l’amendement n° 106 rectifié ter visant à le compléter par un alinéa ainsi rédigé : « Les administrations veillent à préserver la maîtrise, la pérennité et l’indépendance de leurs systèmes d’information et encouragent l’utilisation des logiciels libres et des formats ouverts lors du développement, de l’achat ou de l’utilisation, de tout ou partie, de ces systèmes d’information. »

M. le président. La parole est à M. Bruno Sido, pour explication de vote.

M. Bruno Sido. J’ai beaucoup apprécié la discussion de ces amendements qui se ressemblent tous, peu ou prou, car chacun de leurs auteurs détient une part de la vérité. Il est vrai qu’il ne faut pas faire du recours au logiciel libre un dogme, mais un aspect abordé par M. Sueur me paraît très important : il s’agit de la souveraineté et de l’indépendance de la France en matière informatique.

J’ai cosigné un rapport sur la sécurité numérique avec notre collègue député Anne-Yvonne Le Dain et il me semble que le souci de notre sécurité devrait nous inciter à choisir des logiciels nationaux, compte tenu des nombreuses affaires d’espionnage ou d’écoutes qui ont été révélées, comme celle concernant la National Security Agency, la NSA. Il serait bon que nous ne nous mettions pas entre les mains de ceux qui, en permanence, aimeraient savoir ce que nous faisons.

Les amendements de Mme Morin-Desailly et de M. Sueur sont tout à fait recevables, mais il conviendrait de les sous-amender pour indiquer qu’un décret précisera les modalités d’application de l’article 9 ter ainsi rétabli.

Cependant, personne n’a dit clairement que les logiciels libres fonctionnaient très bien. S’ils tombent en panne, comme leur code source est disponible, on peut les réparer sans passer entre les mains de l’entreprise qui, dans le monde, commercialise le plus grand nombre de logiciels de ce type. L’administration utilise depuis un certain temps ces logiciels libres et, il faut le dire, ça marche !

C’est donc une bonne idée d’inciter l’État et les collectivités locales à utiliser ces logiciels qui coûtent moins cher et, éventuellement, sont nationaux.

M. le président. Avant de donner la parole à ceux de nos collègues qui souhaitent également expliquer leur vote, je voudrais demander une explication à M. Sueur concernant sa proposition.

Mon cher collègue, vous nous avez dit que vous souhaitiez sous-amender l’amendement n° 106 rectifié ter, mais, à vous entendre, il me semble qu’il s’agirait plutôt d’une rectification de votre propre amendement n° 223 rectifié…

M. Alain Richard. C’est un alinéa supplémentaire !

M. Jean-Pierre Sueur. Il s’agit d’une œuvre de synthèse, monsieur le président, consistant à ajouter deux lignes et demie à l’amendement de Mme Morin-Desailly. Je vous en remets le texte manuscrit, mais soyez sûr que je l’ai rédigé avec le cœur !

M. le président. Je suis donc saisi d’un sous-amendement n° 666, présenté par M. Sueur, et ainsi libellé :

Amendement 106 rectifié ter

Compléter cet amendement par un alinéa ainsi rédigé :

Les administrations veillent à préserver la maîtrise, la pérennité et l’indépendance de leurs systèmes d’information et encouragent l’utilisation des logiciels libres et des formats ouverts lors du développement, de l’achat ou de l’utilisation, de tout ou partie, de ces systèmes d’information.

La parole est à M. le président de la commission des lois.

M. Philippe Bas, président de la commission des lois. M. Sueur ne nous propose pas un texte de synthèse, mais plutôt un sous-amendement syncrétique !

Je m’explique. L’amendement n° 106 rectifié ter, présenté par Mme Morin-Desailly, est en réalité d’une autre nature que l’amendement n° 223 rectifié de M. Sueur, même si celui-ci, par son sous-amendement n° 666, essaie d’insérer son amendement dans l’amendement de Mme Morin-Desailly.

Selon l’amendement n° 106 rectifié ter, les offres qui relèvent de logiciels libres doivent être retenues par priorité. Dans son amendement, M. Sueur dit que les administrations veillent à préserver la maîtrise des systèmes d’information et encouragent l’utilisation des logiciels libres.

M. Jean Bizet. Ce n’est pas la même chose !

M. Philippe Bas, président de la commission des lois. Il y a une grande différence entre ces deux amendements. L’amendement de Mme Morin-Desailly semble méconnaître tous les autres critères d’évaluation d’une offre dans le cadre d’un marché public, y compris le critère du prix ou celui de la qualité technique, pour établir une priorité en faveur des logiciels ouverts, même s’ils sont mauvais et plus chers ! (Protestations sur les travées du groupe socialiste et républicain, du groupe écologiste et de l’UDI-UC.)

Hélas, mes chers collègues, nous faisons du droit ! Or c’est bien ce que dit expressément cet amendement, même si telle n’est pas l’intention de son auteur, je veux bien lui faire crédit sur ce point : il faut donner la priorité à ces offres, quels que soient les autres critères, puisque l’amendement ne précise pas que ces autres critères doivent également être pris en compte. Cette priorité donnée aux logiciels ouverts, quel qu’en soit le prix ou la qualité technique, nous ne pouvons pas l’accepter, car elle a des implications tout à fait excessives.

Il ne suffit pas que, pour donner satisfaction à M. Sueur, Mme Morin-Desailly accepte le sous-amendement n° 666 pour que le vice radical qui entache l’amendement n° 106 rectifié ter soit purgé. Cet amendement et le sous-amendement n° 666 étant incompatibles, il ne faut surtout pas les adopter, car le résultat n’est pas une synthèse. Une synthèse aurait supposé que l’amendement de Mme Morin-Desailly et celui de M. Sueur soient réécrits. Dans le cas présent, nous risquons d’additionner deux dispositions contradictoires.

Mes chers collègues, la commission a délibéré de cette question. Je sens bien que la position qu’elle a retenue ne correspond pas à l’attente exprimée sur toutes les travées. Par conséquent, je prends sur moi la responsabilité de vous demander, au nom de la commission, d’adopter l’amendement n° 223 rectifié de M. Sueur en rejetant tous les autres, car nous ne pouvons pas improviser en séance, sur des sujets aussi importants, en votant de fausses synthèses bricolées au détour d’un couloir ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. le président. J’en déduis donc que nous reprenons le cours normal du débat, ce qui suppose que M. Sueur retire le sous-amendement n° 666 qu’il venait de déposer dans un esprit de synthèse !

Monsieur Sueur, acceptez-vous la proposition de M. le président de la commission des lois ?

M. Jean-Pierre Sueur. Je serai tout à fait prêt à retirer ce sous-amendement, après qu’il m’aura été donné acte que nous n’avons fait que chercher à rapprocher les points de vue. En outre, je demande à M. le président de la commission des lois si, dans la logique de son intervention, il est prêt à demander le vote par priorité de l’amendement n° 223 rectifié.

M. le président. La parole est à M. le président de la commission des lois.

M. Philippe Bas, président de la commission des lois. Monsieur le président, je sollicite en effet le vote par priorité de l’amendement n° 223 rectifié.

M. le président. Je suis donc saisi, par la commission, d’une demande de vote par priorité de l’amendement n° 223 rectifié.

Je rappelle que, aux termes de l’article 44, alinéa 6, du règlement du Sénat, lorsqu’elle est demandée par la commission saisie au fond, la priorité est de droit, sauf opposition du Gouvernement.

Quel est donc l’avis du Gouvernement sur cette demande de priorité formulée par la commission ?

Mme Axelle Lemaire, secrétaire d’État. J’y suis naturellement favorable, puisque j’ai préconisé, jusqu’à présent, l’adoption de l’amendement n° 223 rectifié, qui marie une logique d’objectifs et de critères. Il prend en compte le raisonnement tenu par Mme Morin-Desailly tout en mentionnant les logiciels libres dans la loi. J’ajoute simplement que la qualité du débat qui vient d’avoir lieu est tout à fait significative et éclairante : elle prouve l’intérêt que les sénateurs portent à ces enjeux, ce dont je les remercie.

M. le président. La priorité est ordonnée.

M. Jean-Pierre Sueur. Je retire le sous-amendement.

M. le président. Le sous-amendement n° 666 est retiré.

La parole est à M. Alain Houpert, pour explication de vote.

M. Alain Houpert. Je suis très heureux de la qualité de ce débat et je félicite M. le président de la commission des lois de la sagesse dont il a fait preuve en acceptant de revenir à une rédaction très positive.

Je vois dans l’amendement de M. Sueur une ouverture pour les communes que nous représentons, en particulier les plus petites qui n’ont pas de moyens et n’ont pas envie d’être soumises à des multinationales qui vendent des logiciels clé en main dont l’obsolescence est programmée. Nos collègues maires font preuve de beaucoup d’ingéniosité, ce qui leur donne la possibilité de créer des logiciels. De même, les centres de gestion de nos collectivités territoriales, en utilisant des logiciels libres, peuvent créer des applications vraiment adaptées à nos mairies et à nos administrations.

Je voterai donc l’amendement de M. Sueur et je félicite M. le président de la commission de sa sagesse.

M. Marc Daunis. Et Mme la secrétaire d’État de son écoute !

M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Bosino, pour explication de vote.

M. Jean-Pierre Bosino. Comme tous mes collègues qui se sont précédemment exprimés, je trouve ce débat très intéressant, car il met en lumière les logiciels libres.

L’intervention de M. le président de la commission m’a un peu surpris, puisque l’amendement de notre groupe est le seul qui mentionne expressément qu’une priorité doit être accordée aux logiciels libres. L’amendement de Mme Morin-Desailly, bien qu’il soit très intéressant, ne parle pas de priorité.

En effet, nous considérons que l’incitation et l’encouragement ne sont pas suffisants : depuis longtemps, on encourage le recours aux logiciels libres sans que les choses avancent beaucoup. Or, comme vient de le dire notre collègue, les communes sont toutes confrontées à ces logiciels propriétaires qui coûtent excessivement cher, qu’il faut renouveler régulièrement, notamment les logiciels de gestion des ressources humaines ou de comptabilité, sans parler de ceux qu’il faut changer parce qu’ils ne sont pas compatibles avec un nouveau logiciel. Le logiciel libre peut donc être une solution, à condition de travailler sur les objectifs, comme le disait Mme Morin-Desailly.

C’est la raison pour laquelle nous insistions sur la nécessité d’accorder une priorité aux logiciels libres. Nombre d’internautes travaillent d’ailleurs dans ce sens.

Au vu du débat, s’il s’agit de revenir vers le texte voté par l’Assemblée nationale qui, pour nous, représente un minimum, nous retirons notre amendement n° 449 au profit de l’amendement n° 223 rectifié de M. Sueur.

M. le président. L’amendement n° 449 est retiré.

La parole est à Mme Joëlle Garriaud-Maylam, pour explication de vote.

Mme Joëlle Garriaud-Maylam. Je voudrais tout de même rappeler à mes collègues communistes que j’ai moi aussi parlé de priorité dans l’amendement que j’ai déposé. (Ah ! sur les travées du groupe CRC et du groupe socialiste et républicain.)

M. Jean-Louis Carrère. Le contraire nous aurait étonnés !

Mme Joëlle Garriaud-Maylam. Il faut savoir lire les amendements, mes chers collègues, même quand ils ne viennent pas de votre bord.

Concernant la proposition du président Philippe Bas de voter l’amendement présenté par Jean-Pierre Sueur, j’avoue que je suis un peu gênée. En effet, il me semble qu’il s’agit plus d’une déclaration de bonne intention. Elle est certes tout à fait légitime et recommandable, mais j’aurais préféré que nous allions plus loin.

Aussi, je voudrais vous proposer de sous-amender l’amendement de Jean-Pierre Sueur afin de prévoir que les modalités d’application du présent article soient définies par décret en Conseil d’État. Nous pourrions ainsi retravailler le dossier et certains collègues pourraient éventuellement intervenir pour faire des propositions. Cette solution me semblerait positive.

M. le président. La parole est à M. Patrick Chaize, pour explication de vote.

M. Patrick Chaize. Je remercie à mon tour le président Philippe Bas de sa lucidité sur ce sujet important, même s’il n’est pas nouveau.

Pour éclairer le débat, je tiens tout de même à préciser que, dès 2002, une association, l’ADULLACT, a été créée dans cet esprit, c’est-à-dire avec l’objectif de soutenir et de coordonner l’action des administrations et des collectivités territoriales en vue de promouvoir, développer et maintenir un patrimoine de logiciels libres utile aux missions de service public.

Le débat que nous avons aujourd’hui s’inscrit pleinement dans cette initiative de 2002 et devrait permettre de concrétiser les actions de cette association.

M. le président. La parole est à Mme Catherine Morin-Desailly, pour explication de vote.

Mme Catherine Morin-Desailly. Ce débat est essentiel, parce qu’il concerne finalement le devenir de nos sociétés, notamment européennes, dans lesquelles tout le monde a bien conscience que le numérique va jouer un rôle de première importance. Ce texte doit donc être l’occasion de prendre les bonnes décisions à cet égard.

Quel est le sens de mon amendement ? J’avais compris que, dans la mesure où la rédaction de l’Assemblée nationale avait été supprimée par la commission, la priorité donnée aux logiciels libres n’était plus à l’ordre du jour.

De mon côté, j’avais essayé de réfléchir à une formulation susceptible d’afficher davantage les objectifs à atteindre que les solutions et les moyens pour y parvenir. Cette démarche me semblait plus législative que celle qui consistait à formuler d’emblée la solution ou le résultat du marché public, qu’il s’agisse de logiciels libres ou de formats ouverts.

C’est pourquoi, monsieur Bas, je ne comprends pas bien pourquoi vous pensez que mon amendement, s’il était adopté, privilégierait davantage le choix du logiciel libre par rapport à toute autre solution, parce que rien de tel n’y est dit. Bien au contraire, j’ai fait en sorte d’afficher un objectif de souveraineté.

Maintenant, si le président de la commission des lois montre une préférence pour l’amendement présenté par M. Sueur, et souhaite donc rétablir ce qui avait été supprimé par la commission – cette suppression m’avait poussée à déposer moi-même un amendement –, nous allons pouvoir tous nous y retrouver, ce qui est essentiel à mes yeux.

En effet, j’ai entendu sur toutes les travées s’exprimer le souhait d’assurer cette souveraineté par le recours, en particulier, au logiciel libre. Je suis d’accord avec cette solution. Au moins, nous aurons progressé, et, comme les débats éclairent toujours la loi, les objectifs à atteindre que j’avais formulés resteront dans les mémoires. Je le répète, c’est essentiel. (Applaudissements sur certaines travées de l'UDI-UC et du groupe Les Républicains.)

M. le président. La parole est à M. Philippe Bonnecarrère, pour explication de vote.

M. Philippe Bonnecarrère. Je souhaite soutenir l’amendement présenté par Mme Morin-Desailly, mon argumentation s’articulant autour de deux points.

Tout d’abord, j’ai bien entendu la demande de vote par priorité sur l’amendement présenté par M. Sueur. J’attire simplement votre attention, mes chers collègues, sur le fait que cet amendement est de pure intention, c’est-à-dire qu’il n’a pas de caractère normatif. En effet, les auteurs de l’amendement se bornent à encourager l’utilisation des logiciels libres et des formats ouverts lors du développement, de l’achat ou de l’utilisation, de tout ou partie, de ces systèmes d’information. Je comprends bien la notion d’encouragement, mais je prends le pari, mes chers collègues, qu’avec une telle disposition, vous ne ferez strictement rien lorsque vous aurez à examiner un marché public.

La proposition de Mme Morin-Desailly est, elle, normative et relève bien du législatif. Elle permettrait effectivement d’apporter une solution au titre de ce que vous appelez la souveraineté numérique.

Ensuite, il reste la question posée par M. le président Bas à Mme Morin-Desailly au sujet de la recevabilité de son amendement au regard des règles en matière de marchés publics.

À mon sens, et malgré tout le respect que j’ai pour l’expertise juridique de M. le président de la commission des lois, je pense qu’il est parfaitement recevable. En effet, monsieur Bas, vous n’êtes pas sans savoir qu’à la suite des directives de la Commission européenne de février 2014, transcrites par une ordonnance du 23 juillet 2015 et un décret du 27 mars 2016, le droit des marchés publics a été revu.

J’ai relu avec attention l’article 38 de l’ordonnance de juillet 2015, qui est l’état actuel de notre droit, et je confirme que nous avons la possibilité d’attribuer des marchés sur la base d’une pluralité de critères non discriminatoires. Or le texte de l’amendement de Mme Morin-Desailly précise bien « parmi les critères », ce qui veut bien dire qu’il n’y a pas un critère prioritaire.

Elle respecte donc parfaitement les dispositions que je viens d’évoquer, puisque l’ordonnance de juillet 2015 prévoit bien que d’autres critères peuvent être pris en compte s’ils sont justifiés par l’objet du marché public ou ses conditions d’exécution. En bref, l’amendement de notre collègue de l’UDI-UC est parfaitement conforme aux règles des marchés publics telles qu’elles résultent de cette ordonnance. (Applaudissements sur les travées de l'UDI-UC.)

M. le président. La parole est à M. Loïc Hervé, pour explication de vote.

M. Loïc Hervé. Je veux moi aussi venir en appui à cet amendement n° 106 rectifié ter présenté par Mme Morin-Desailly, et sur lequel elle vient d’intervenir.

L’enjeu de souveraineté numérique me semble fondamental, et il importe de maintenir le débat à ce niveau-là. Tel est l’objectif de cet amendement, déposé après que la commission des lois a supprimé la rédaction initiale de l’Assemblée nationale, ce qu’elle semble regretter aujourd’hui.

Il m’apparaît tout à fait opportun d’inscrire dans notre droit des marchés publics cette préoccupation, au même titre que des clauses sociales ou environnementales. S’agissant du domaine spécifique du numérique, cela permettrait de placer l’exigence législative majeure de la souveraineté numérique au bon niveau.

Entre nous, mes chers collègues, nous pourrions aussi débattre de l’utilité de faire apparaître expressis verbis le terme de logiciel libre. La rédaction proposée par Catherine Morin-Desailly me semble plus large. En tant que défenseurs des libertés locales, nous devons avoir pour préoccupation de laisser au pouvoir adjudicateur une latitude suffisante, au moment où il aura à arbitrer, pour prendre en compte les différents critères traditionnels que sont le prix et la qualité intrinsèque, tout en ayant la capacité d’introduire l’objectif de préservation de la souveraineté numérique. Nos collègues élus locaux auraient ainsi plus de latitude et de liberté.

En termes de qualité législative, il me semble donc que la rédaction proposée par Mme Morin-Desailly est la meilleure.

M. le président. La parole est à Mme Corinne Bouchoux, pour explication de vote.

Mme Corinne Bouchoux. J’interviens surtout à l’intention des nombreux internautes qui nous suivent. L’un d’entre eux vient de s’interroger sur l’ordre de discussion des amendements, et je lui confirme que l’amendement de M. Sueur sera mis aux voix en priorité.

Je remercie le président Philippe Bas de son éclairage sur l’alliance que nous nous apprêtions à faire autour d’un amendement qu’il estime louable dans ses intentions, mais fragile juridiquement – j’ai cru comprendre que le point de vue de Mme la secrétaire d’État n’était pas si éloigné.

Nous avons entendu une opinion exactement contraire, défendue par deux de nos collègues qui sont aussi juristes. J’imagine donc à quel point notre débat doit être troublant vu de l’extérieur.

Pour ma part, je prends acte de deux éléments.

Tout d’abord, nous venons de passer vingt minutes à discuter posément des logiciels libres, de leur intérêt économique, de leur vertu, de tout ce qu’ils permettent de faire, et je pense qu’il s’agit d’une première. Évidemment, les membres du groupe écologiste pensent qu’il faut aller plus loin, rejoignant en cela les positions du groupe CRC.

Ensuite, le président Philippe Bas nous a dit que la proposition n’était pas assez normative. Monsieur le président, je pense que vous n’étiez pas là lors des discussions sur le projet de loi de refondation de l’école et sur le projet de loi relatif à l’enseignement supérieur, au cours desquelles nous avons fait passer des amendements qui reprennent exactement ce dispositif pour l’école et pour l’université, dispositif, qui, à ma connaissance, n’a pas été déclaré inconstitutionnel.

Aussi, mes chers collègues, cette formule est peut-être incantatoire, mais nous étions, me semble-t-il, dans notre rôle en l’appliquant à l’école et à l’université. Nous faisons la loi, ce qui revient aussi à indiquer vers quel objectif il faut tendre.

Je le répète, nous voulons beaucoup plus, mais l’amendement de notre collègue Jean-Pierre Sueur est un point d’équilibre, et nous préférons avancer à petits pas. Nous voterons donc cette proposition.

M. le président. Le sous-amendement n° 667, présenté par Mme Garriaud-Maylam, est ainsi libellé :

Amendement 223 rectifié

Compléter cet amendement par un alinéa ainsi rédigé :

Les modalités d'application du présent article sont définies par décret en Conseil d'État.

Ce sous-amendement a été précédemment défendu.

Quel est l’avis de la commission ?

M. Christophe-André Frassa, rapporteur. La commission étant défavorable à l’ensemble des amendements, elle ne peut qu’être défavorable aux sous-amendements qui visent à les compléter.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

Mme Axelle Lemaire, secrétaire d'État. Le débat a été suffisamment riche à mon sens pour que les sénateurs refusent de se déposséder de leur pouvoir souverain de décider de cette question. Pourquoi faudrait-il renvoyer à un décret en Conseil d’État ?

J’y suis défavorable.

M. le président. Je mets aux voix le sous-amendement n° 667.

(Le sous-amendement n'est pas adopté.)

M. le président. Je mets aux voix l’amendement n° 223 rectifié.

(L'amendement est adopté.)

M. le président. En conséquence, l’article 9 ter est rétabli dans cette rédaction, et les amendements nos 106 rectifié ter et 393 rectifié n’ont plus d’objet.

Section 2

Données d’intérêt général

Article 9 ter (supprimé)
Dossier législatif : projet de loi pour une République numérique
Articles additionnels après l'article 10

Article 10

L’ordonnance n° 2016-65 du 29 janvier 2016 relative aux contrats de concession est ainsi modifiée :

1° Avant l’article 52, il est inséré un article 51-1 ainsi rédigé :

« Art. 51-1. – Lorsque la gestion d’un service public est déléguée, le concessionnaire fournit aux autorités concédantes, dans un standard ouvert aisément réutilisable et exploitable par un système automatisé de traitements de données, les données et les contenus des bases de données collectées ou produites à l’occasion de l’exploitation du service public faisant l’objet du contrat et qui sont indispensables à son exécution.

« Les données fournies par le concessionnaire peuvent être publiées, sous réserve des articles L. 311-5 à L. 311-7 du code des relations entre le public et l’administration.

« Les autorités concédantes peuvent, dès la conclusion du contrat ou au cours de son exécution, exempter le concessionnaire de tout ou partie des obligations prévues au présent article par une décision fondée sur des motifs d’intérêt général qu’elles explicitent et qui est rendue publique. » ;

2° L’article 78 est complété par un alinéa ainsi rédigé :

« L’article 51-1 s’applique aux contrats de concessions délégant un service public conclus ou reconduits postérieurement à la publication de la loi n° … du … pour une société numérique. Pour les contrats conclus antérieurement, les autorités concédantes peuvent exiger du concessionnaire la transmission des données et des contenus des bases de données à la seule fin de préparer une nouvelle procédure de passation ou la reconduction du contrat. »

M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Bosino, sur l'article.

M. Jean-Pierre Bosino. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, nous souhaitons faire le pari que la place des services publics dans la société pourra être renforcée si l’ouverture des données contribue effectivement à ce que la collectivité publique puisse jouer de manière effective son rôle d’autorité organisatrice.

Comme le souligne l’étude d’impact, la bonne exécution du service public implique d’assurer la disponibilité, la qualité et la diffusion des données associées aux activités de ce service, notamment dans le cadre des délégations de service public.

Les exemples avancés sont pertinents : dans le domaine de l’eau, les collectivités délégantes pourront avoir des informations sur la consommation des ménages et des entreprises, sur les opérations d’entretien du réseau ou sur les fuites ; pour le vélopartage et l’autopartage, des données sur les déplacements, les durées d’utilisation ou encore l’usure du parc sont générées.

Toutefois, comme nous l’avons mentionné dans notre intervention en discussion générale, l’ouverture ne sera pas une solution miracle. Nous espérons en tout cas qu’elle sera véritablement un outil au service de l’intérêt général, même si nous avons aussi conscience qu’elle pourra être à double tranchant, comme tous les débats le montrent, si les critères d’évaluation ne sont que la compétitivité et l’efficacité propres au secteur marchand. Les services publics ne sont pas des marchandises comme les autres.

Cependant, trop souvent, les collectivités locales délégataires sont dans une situation d’information asymétrique, ce qui les rend vulnérables. C’est pourquoi nous vous proposerons de supprimer les dispositions exemptant les délégants de cette obligation de transmission et d’étendre explicitement les dispositions de cet article aux partenariats public-privé.

M. le président. Je suis saisi de trois amendements faisant l’objet d’une discussion commune.

Les amendements nos 364 et 556 rectifié sont identiques.

L'amendement n° 364 est présenté par M. Bonnecarrère.

L'amendement n° 556 rectifié est présenté par MM. Husson et Pellevat, Mme Deroche, MM. D. Laurent et Milon, Mme Micouleau, M. Karoutchi, Mmes Morhet-Richaud, Deromedi et Duranton et MM. Lefèvre et Laménie.

Ces deux amendements sont ainsi libellés :

Rédiger ainsi cet article :

I. – Après l’article 40 -1 de la loi n° 93 -122 du 29 janvier 1993 relative à la prévention de la corruption et à la transparence de la vie économique et des procédures publiques, il est inséré un article 40–… ainsi rédigé :

« Art. 40-… – Sans préjudice de l’article 179 de la loi n° 2015-992 du 17 août 2015 relative à la transition énergétique pour la croissance verte, le délégataire fournit à la personne publique délégante, dans un standard ouvert aisément réutilisable, c’est-à-dire lisible par une machine, les données et bases de données collectées ou produites à l’occasion de l’exploitation du service public. Le cahier des charges détermine les conditions dans lesquelles une personne publique délégante ou un tiers désigné par celle-ci peut extraire et exploiter tout ou partie de ces données et bases de données, notamment en vue de leur mise à disposition à titre gratuit à des fins de réutilisation à titre gratuit ou onéreux.

« Les données fournies par le délégataire peuvent être publiées, sous réserve des articles L. 311-5 à L. 311-7 du code des relations entre le public et l’administration. »

II. – Après l’article L. 1411-3 du code général des collectivités territoriales, il est inséré un article L. 1411-3-… ainsi rédigé :

« Art. L. 1411-3-… – Sans préjudice de l’article 179 de la loi n° 2015-992 du 17 août 2015 relative à la transition énergétique pour la croissance verte, le délégataire fournit à la personne publique délégante, dans un standard ouvert aisément réutilisable, c’est-à-dire lisible par une machine, les données et bases de données collectées ou produites à l’occasion de l’exploitation du service public. Le cahier des charges détermine les conditions dans lesquelles une personne publique délégante ou un tiers désigné par celle-ci peut extraire et exploiter tout ou partie de ces données et bases de données, notamment en vue de leur mise à disposition à titre gratuit à des fins de réutilisation à titre gratuit ou onéreux.

« Les données fournies par le délégataire peuvent être publiées, sous réserve des articles L. 311-5 à L. 311-7 du code des relations entre le public et l’administration.

III. – Les I et II sont applicables aux contrats de délégation de service public conclus ou reconduits postérieurement à la publication de la présente loi.

IV. – Pour les contrats de délégation de service public conclus avant la date d’entrée en vigueur de la présente loi, les personnes publiques peuvent exiger du délégataire la transmission des données et des bases de données à la seule fin de préparer le renouvellement du contrat.

La parole est à M. Philippe Bonnecarrère, pour présenter l’amendement n° 364.

M. Philippe Bonnecarrère. Cet amendement, comme ceux qui seront ensuite présentés, concerne à la fois le domaine de l’open data, qui a largement été évoqué jusqu’à maintenant dans les débats, et les obligations des délégataires.

Je n’ai pas l’habitude de reprendre des amendements venant des grandes fédérations représentant les collectivités, mais, dans le cas précis, il est exact que les contrats de délégation, qu’il s’agisse des concessions, des conventions d’affermage ou des conventions de partenariat évoquées voilà quelques instants par notre collègue, présentent souvent de très grandes faiblesses. Vous avez parlé de l’asymétrie d’information, c’est-à-dire la méconnaissance par le propriétaire, par la collectivité délégante, de la nature des réseaux et des investissements réalisés, ainsi que des données recueillies à partir de ces éléments. Or il s’agit d’un enjeu essentiel lorsque l’on doit exploiter ou lorsque, à l’issue de la période de délégation de service public, on doit prendre la décision, soit de remettre en délégation, soit de reprendre en régie.

Je ne reprendrai pas le détail de l’amendement proposé, mais sachez qu’il vise à améliorer le niveau d’information de l’autorité publique délégante.

M. le président. La parole est à M. Jean-François Husson, pour présenter l’amendement n° 556 rectifié.

M. Jean-François Husson. Il est défendu, monsieur le président.

M. le président. L'amendement n° 87 rectifié, présenté par MM. Chaize, Mandelli, de Nicolaÿ et de Legge, Mme Cayeux, MM. Calvet, Bizet et Bignon, Mme Deromedi, MM. B. Fournier et Grand, Mme Gruny, MM. Kennel, Masclet, Mouiller, Cornu et Vaspart, Mme Estrosi Sassone, MM. Savary, Bouchet, Vasselle et P. Leroy, Mme Deroche et MM. Husson, Laménie, Trillard, Rapin et Magras, est ainsi libellé :

Rédiger ainsi cet article :

L'ordonnance n° 2015-899 du 23 juillet 2015 relative aux marchés publics est ainsi modifiée :

1° Après l'article 57, il est inséré un article 57-1 ainsi rédigé :

« Art. 57-1 – Lorsque le titulaire d'un marché public concourt à l'exécution d'une mission de service public, le titulaire fournit à l'acheteur public, dans un standard ouvert aisément réutilisable et exploitable par un système automatisé de traitement de données, les données et les contenus des bases de données collectées ou produites à l'occasion de l'exécution de sa mission faisant l'objet du marché et qui sont indispensables à l'exécution de la mission de service public à laquelle il concourt.

« Les données fournies par le titulaire du marché peuvent être publiées, sous réserve des articles L. 311-5 à L. 311-7 du code des relations entre le public et l'administration.

« Les acheteurs publics peuvent, dès la notification du marché ou au cours de son exécution, exempter le titulaire de tout ou partie des obligations prévues au présent article par une décision fondée sur des motifs d'intérêt général qu'elles explicitent et qui est rendue publique. » ;

2° Après l'article 90, il est inséré un article 90-1 ainsi rédigé :

« Art. 90-1 – L'article 57-1 de la présente ordonnance s'applique aux marchés de partenariat. » ;

3° L'article 103 est complété par un paragraphe ainsi rédigé :

« … – Les articles 57-1 et 90-1 s'appliquent aux marchés publics et aux marchés de partenariat concourant à l'exécution d'une mission de service public conclus ou reconduits postérieurement à la promulgation de la loi n° … du … pour une société numérique. Pour les contrats conclus antérieurement, les acheteurs publics peuvent exiger du titulaire la transmission des données et des contenus des bases de données à la seule fin de préparer une nouvelle procédure de passation ou la reconduction du contrat. »

La parole est à M. Patrick Chaize.

M. Patrick Chaize. Il s’agit d’un amendement rédactionnel.

À la suite de la transposition de la directive 2014/23/UE sur les contrats de concession, le terme de « concession » remplace celui de « délégation de service public ». Toutefois, ce terme ne recouvre pas les marchés de partenariat comme les partenariats public-privé existants. Or ceux-ci ne doivent pas échapper à l’obligation de transmission des données. C’est pourquoi nous proposons une nouvelle rédaction de l’article dans cet esprit.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

M. Christophe-André Frassa, rapporteur. Nous entamons donc l’examen de l’article 10, qui porte sur le dispositif d’open data entre l’entreprise délégataire d’un service public et la personne publique délégante. MM. Bonnecarrère et Husson proposent une réécriture globale de cet article, tandis que l’amendement de M. Chaize concerne l’open data pour les marchés publics et les marchés de partenariat.

Cet article est complexe, et il est difficile de comprendre pourquoi le Gouvernement l’a voulu ainsi, alors que l’ordonnance « concessions » de janvier dernier répond déjà à beaucoup de problèmes.

Pour répondre aux interrogations de MM. Bonnecarrère et Husson, je voudrais dire que le texte de la commission tente de concilier les souhaits des entreprises et ceux des collectivités. Nous avons reçu les doléances des uns et des autres, que ce soit par contribution écrite ou à l’occasion d’auditions.

Vous l’aurez compris, la commission ne souhaite pas que soient adoptés les amendements identiques de MM. Bonnecarrère et Husson, car ils reprennent l’architecture du texte voté par l’Assemblée nationale, alors que la commission des lois a consenti à des efforts de clarification.

En outre, la commission s’est efforcée de répondre aux inquiétudes soulevées par cet article en définissant plus précisément les données concernées.

La commission voit également d’un mauvais œil l’amendement de M. Chaize, qui, s’il était adopté, écraserait le dispositif d’open data prévu à l’article 10 du présent texte pour les délégations de service public.

Par ailleurs, l’open data des marchés de partenariat est évoqué dans deux amendements déposés après l’article 10. Je demande donc le retrait de ces trois amendements, faute de quoi je serai contraint de leur opposer un avis défavorable.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

Mme Axelle Lemaire, secrétaire d'État. Nous sommes dans le cadre de l’open data des délégations de service public. Le but de cet article est d’obliger les parties à se poser au moins la question suivante : que souhaite-t-on faire des données liées à l’exécution du contrat de concession ?

En d’autres termes, faut-il exempter le concessionnaire de cette faculté de transmettre les données et définir un champ précis de transmission ?

La collectivité locale se verrait ainsi dotée d’un pouvoir ou d’une autonomie nouvelle par rapport à ses cocontractants, qui exercent une mission de service public dans le cadre d’une concession. C’est ainsi, me semble-t-il, que le dispositif doit être entendu. Il est très important pour les collectivités locales d’être en capacité d’accéder aux données qui sont liées à l’exécution de contrats sur du long terme.

Monsieur le rapporteur, vous avez proposé la réécriture de cet article pour le réinsérer dans l’ordonnance relative aux concessions, qui a été tout récemment adoptée, alors que nous faisons le choix d’insérer notre dispositif à la fois dans la loi sur la transparence de 1993 et dans le code général des collectivités territoriales, afin qu’il soit plus lisible pour les collectivités, qui sont les principales destinataires de cet outil.

Cet article a trouvé un juste équilibre concernant les données d’exploitation du service, mais cet équilibre contractuel est fragile.

C’est la raison pour laquelle nous ne souhaitons pas, comme le suggèrent les auteurs des amendements nos 364 et 556 rectifié, étendre le champ des données concernées, qui doit se limiter aux données indispensables à l’exécution du contrat.

Par ailleurs, l’ordonnance de 2015 met à la charge des acheteurs, et non des titulaires, l’obligation de mettre à disposition les données essentielles des marchés publics, à la différence de notre texte, qui fait peser l’obligation d’open data sur les titulaires d’un contrat de concession, en complément du dispositif prévu par l’ordonnance du 29 janvier 2016, sans qu’il soit pour autant nécessaire de modifier cette ordonnance.

Pardon d’être un peu longue, mais la précision juridique était importante.

Je suis également défavorable à l’amendement n° 87 rectifié, mais plutôt favorable à l’amendement n° 224, qui sera présenté par la suite.

Mme Catherine Deroche. Quel succès, monsieur Sueur ! (Sourires.)

M. le président. Monsieur Bonnecarrère, maintenez-vous votre amendement ?

M. Philippe Bonnecarrère. Je le retire, monsieur le président.

M. le président. Et vous, monsieur Husson ?

M. Jean-François Husson. Je le retire également, monsieur le président.

M. le président. Les amendements nos 364 et 556 rectifié sont retirés.

La parole est à M. Patrick Chaize, pour explication de vote.

M. Patrick Chaize. Je ne suis pas du tout convaincu par les arguments qui ont été développés. La rédaction que je propose a pour objet d’intégrer les partenariats public-privé dans le mécanisme, ce qui n’est pas le cas avec le texte de la commission.

M. le président. La parole est à M. le rapporteur.

M. Christophe-André Frassa, rapporteur. Je précise juste que l’amendement de M. Chaize porte uniquement sur les marchés publics, qui ne sont pas des délégations de service public.

M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d'État.

Mme Axelle Lemaire, secrétaire d'État. Je vous demande pardon, monsieur le sénateur, car j’aurais dû vous répondre avec plus de précision.

Effectivement, la question se pose : faut-il étendre cette faculté de transmission des données liées à l’exécution du contrat aux partenariats public-privé, alors que le texte du Gouvernement se contente de la prévoir pour les concessions de service public ?

Pour en avoir discuté avec les représentants des collectivités locales, j’ai pu constater que les avis étaient partagés sur ce sujet.

D’abord, nous sommes face à un nombre de partenaires publics bien plus large, puisqu’il existe en France au moins 130 000 adjudicateurs de marchés publics.

Ensuite, certains de nos interlocuteurs ont soulevé la crainte que cette faculté d’accéder aux données du contrat aboutisse à une augmentation des prix.

Il importe donc d’avancer avec prudence sur ce sujet, car le but n’est pas de déséquilibrer les marchés passés par les collectivités.

Je vais vous donner un exemple très concret. La Ville de Paris a récemment étendu l’obligation de transmission de données aux partenariats public-privé. Pourtant, en deux ans, elle n’a pas encore fait usage de cette faculté, car elle souhaite être prudente en la matière.

Vous le voyez, il est peut-être un peu tôt pour généraliser le dispositif à des dizaines de milliers d’acteurs.

M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Bosino, pour explication de vote.

M. Jean-Pierre Bosino. Une fois n’est pas coutume, nous allons soutenir l’amendement de M. Chaize, qui nous semble tout à fait pertinent, et qui s’inscrit dans l’esprit de mon intervention sur l’article. (Très bien ! sur les travées du groupe Les Républicains.)

J’entends vos arguments sur le nombre de partenariats public-privé ou de délégations de service public, plus nombreuses encore, mais la question n’est pas là. Il s’agit d’un problème de transparence dans ces contrats, qui coûtent excessivement cher, le plus souvent, aux collectivités. Il est donc normal que celles-ci puissent disposer de l’intégralité d’un certain nombre de données.

M. le président. La parole est à M. René-Paul Savary, pour explication de vote.

M. René-Paul Savary. J’ai cosigné cet amendement justement parce qu’il est précurseur de marchés nouveaux. À mon sens, il est bon que la loi se fasse un peu par anticipation. C’est une évolution, une modernisation de l’action publique et privée qui répond à la raréfaction de l’argent public. Il y a aussi des difficultés en ce qui concerne l’argent privé.

Si l’on oriente ensemble nos moyens sur un certain nombre de projets partagés, il faut prévoir la transmission de ces données, selon une approche très pratique.

Compte tenu des difficultés, les arguments peuvent être utilisés dans les deux sens.

Dans le cadre d’une délégation de service public organisée entre un délégant et un délégataire, ce dernier peut avoir besoin d’une transmission des données pour réaliser le service public. Toutefois, si le service n’est pas bien assuré par le délégataire et qu’il faut envisager une reprise par la personne publique, il est important que les données nouvelles soient mises à jour, de sorte que le service public puisse continuer à être assuré dans les meilleures conditions. C’est la raison pour laquelle j’inviterai mes collègues à soutenir cet amendement.

M. le président. Je mets aux voix l’amendement n° 87 rectifié.

(L'amendement est adopté.)

M. le président. En conséquence, l’article 10 est ainsi rédigé, et les amendements nos 224, 10, 530 rectifié, 166 rectifié bis, 286 rectifié, 496 rectifié bis, 451, 366, 558 rectifié, 484, 495 rectifié, 365, 557 rectifié, 9, 527 rectifié, 285 rectifié, 532 rectifié, 168 rectifié, 287 rectifié et 347 rectifié n'ont plus d'objet.

Toutefois, pour la bonne information du Sénat, je rappelle les termes de ces amendements.

L'amendement n° 224, présenté par MM. Sueur, Leconte, Rome et Camani, Mme D. Gillot, MM. F. Marc, Assouline, Guillaume, Marie et les membres du groupe socialiste et républicain, est ainsi libellé :

A. – Alinéas 1 et 2

Remplacer ces alinéas par un alinéa ainsi rédigé :

I. – Après l’article 40-1 de la loi n° 93-122 du 29 janvier 1993 relative à la prévention de la corruption et à la transparence de la vie économique et des procédures publiques, il est inséré un article 40-2 ainsi rédigé :

B. – Alinéa 3

1° Remplacer la référence :

Art. 51-1

par la référence :

Art. 40-2

2° Remplacer les mots :

et exploitable par un système automatisé de traitements de données

par les mots :

, c’est-à-dire lisible par une machine

3° Remplacer les mots :

les contenus des bases

par les mots :

les bases

4° Compléter cet alinéa par une phrase ainsi rédigée :

Il autorise par ailleurs l’autorité concédante ou un tiers désigné par celle-ci à extraire et exploiter librement tout ou partie de ces données et bases de données, notamment en vue de leur mise à disposition à titre gratuit à des fins de réutilisation à titre gratuit ou onéreux.

C. – Alinéa 4

Rédiger ainsi cet alinéa :

« La mise à disposition ou la publication des données et bases de données fournies par le concessionnaire se fait dans le respect des articles L. 311-5 à L. 311-7 du code des relations entre le public et l’administration.

D. – Alinéa 6

Remplacer cet alinéa par six alinéas ainsi rédigés :

« Lorsqu’un contrat de concession porte à la fois sur des travaux et la gestion d’un service public, le présent article s’applique y compris si l’objet principal de ce contrat consiste en la réalisation de travaux. »

II. – Après l’article L. 1411-3 du code général des collectivités territoriales, il est inséré un article L. 1411-3-… ainsi rédigé :

« Art. L. 1411-3- – Le délégataire fournit à la personne publique délégante, dans un standard ouvert aisément réutilisable, c’est-à-dire lisible par une machine, les données et bases de données collectées ou produites à l’occasion de l’exploitation du service public dont il assure la gestion et qui sont indispensables à son exécution. Il autorise par ailleurs la personne publique délégante ou un tiers désigné par celle-ci à extraire et exploiter librement tout ou partie de ces données et bases de données, notamment en vue de leur mise à disposition à titre gratuit à des fins de réutilisation à titre gratuit ou onéreux.

« La mise à disposition ou la publication des données et bases de données fournies par le concessionnaire se fait dans le respect des articles L. 311-5 à L. 311-7 du code des relations entre le public et l’administration.

« La personne publique délégante peut, dès la conclusion du contrat ou au cours de son exécution, exempter le délégataire de tout ou partie des obligations prévues au présent article par une décision fondée sur des motifs d’intérêt général qu’elles explicitent et qui est rendue publique.

« Lorsqu’un contrat de concession porte à la fois sur des travaux et la gestion d’un service public, le présent article s’applique y compris si l’objet principal de ce contrat consiste en la réalisation de travaux. »

E. – Alinéa 7

1° Rédiger ainsi le début de cet alinéa :

III. – Les I et II du présent article sont applicables aux contrats…

2° Remplacer les mots :

loi n° du pour une société numérique

par les mots :

présente loi

3° Seconde phrase

Supprimer cette phrase.

F. – Compléter cet article par un paragraphe ainsi rédigé :

IV. – Pour les contrats de concession délégant un service public conclus avant la date d’entrée en vigueur de la présente loi, les personnes publiques peuvent exiger du concessionnaire la transmission des données et des bases de données à la seule fin de préparer le renouvellement du contrat.

Les amendements nos 10 et 530 rectifié sont identiques.

L'amendement n° 10 est présenté par MM. Genest, Darnaud et Médevielle.

L'amendement n° 530 rectifié est présenté par MM. Requier, Arnell, Barbier, Bertrand, Castelli, Collin, Collombat, Esnol, Fortassin, Guérini et Hue, Mmes Jouve, Laborde et Malherbe et MM. Mézard et Vall.

Ces deux amendements sont ainsi libellés :

Alinéa 4

Remplacer les mots :

à L. 311-7

par les mots :

et L. 311-6

Les amendements nos 166 rectifié bis et 286 rectifié sont identiques.

L'amendement n° 166 rectifié bis est présenté par MM. Commeinhes, Chatillon, Gremillet et Longeot.

L'amendement n° 286 rectifié est présenté par MM. Doligé et Cardoux, Mme Cayeux, MM. Charon et de Legge, Mme Deroche et MM. Gournac, Laménie, Milon et Mouiller.

Ces deux amendements sont ainsi libellés :

Alinéa 4

Compléter cet alinéa par une phrase ainsi rédigée :

La publication est précédée d'une analyse de risques dans les conditions fixées à l’article L. 312-1-2-1 du même code.

L'amendement n° 496 rectifié bis, présenté par M. Vasselle, Mme Deromedi, M. J.P. Fournier, Mme Deroche, MM. Charon et Doligé et Mme Cayeux, est ainsi libellé :

Après l'alinéa 4

Insérer un alinéa ainsi rédigé :

« La publication est précédée d’une analyse de risques dans les conditions fixées à l'article L. 312-1-2-1 du même code.

L'amendement n° 451, présenté par Mme Assassi, MM. Bosino, Abate et les membres du groupe communiste républicain et citoyen, est ainsi libellé :

I. – Alinéa 5

Supprimer cet alinéa.

II. – Alinéa 7, seconde phrase

Supprimer les mots :

à la seule fin de préparer une nouvelle procédure de passation ou la reconduction du contrat

Les amendements nos 366 et 558 rectifié sont identiques.

L'amendement n° 366 est présenté par M. Bonnecarrère.

L'amendement n° 558 rectifié est présenté par MM. Husson et Pellevat, Mme Deroche, MM. D. Laurent et Milon, Mme Micouleau, M. Karoutchi, Mmes Deromedi et Duranton et MM. Lefèvre et Laménie.

Ces deux amendements sont ainsi libellés :

Alinéa 5

Remplacer le mot :

dès

par les mots :

dans le cahier des charges, lors de

L'amendement n° 484, présenté par Mme Yonnet, est ainsi libellé :

Alinéa 3

Après les mots :

aux autorités concédantes,

insérer les mots :

selon une fréquence et des modalités prévues par convention,

L'amendement n° 495 rectifié, présenté par M. Vasselle, Mme Deromedi, M. J.P. Fournier, Mme Deroche, MM. Charon et Doligé et Mme Cayeux, est ainsi libellé :

Alinéa 3

Supprimer les mots :

collectées ou

Les amendements nos 365 et 557 rectifié sont identiques.

L'amendement n° 365 est présenté par M. Bonnecarrère.

L'amendement n° 557 rectifié est présenté par MM. Husson et Pellevat, Mme Deroche, MM. D. Laurent et Milon, Mmes Micouleau, Deromedi et Duranton et MM. Lefèvre et Laménie.

Ces deux amendements sont ainsi libellés :

Alinéa 3

Supprimer les mots :

et qui sont indispensables à son exécution

Les amendements nos 9 et 527 rectifié sont identiques.

L'amendement n° 9 est présenté par MM. Genest et Darnaud.

L'amendement n° 527 rectifié est présenté par MM. Requier, Arnell, Barbier, Bertrand, Castelli, Collin, Esnol, Fortassin, Guérini et Hue, Mmes Jouve, Laborde et Malherbe et MM. Mézard et Vall.

Ces deux amendements sont ainsi libellés :

Alinéa 3

Remplacer le mot :

indispensables

par le mot :

liées

L'amendement n° 285 rectifié, présenté par MM. Doligé et Cardoux, Mme Cayeux, MM. Charon et de Legge, Mme Deroche et MM. Gournac, Laménie, Milon et Mouiller, est ainsi libellé :

Alinéa 3

Compléter cet alinéa par les mots :

, lorsque les données sont disponibles sous forme électronique

L'amendement n° 532 rectifié, présenté par MM. Requier, Arnell, Bertrand, Castelli, Collin, Collombat, Esnol, Fortassin, Guérini et Hue, Mmes Jouve, Laborde et Malherbe et MM. Mézard et Vall, est ainsi libellé :

Après l’alinéa 5

Insérer un alinéa ainsi rédigé :

« Le premier alinéa du présent article s’applique lorsque le délégataire exploite un service public à caractère industriel ou commercial dans le cadre d’un droit exclusif qui lui a été légalement consenti. » ;

Les amendements nos 168 rectifié et 287 rectifié sont identiques.

L'amendement n° 168 rectifié est présenté par MM. Commeinhes, Chatillon et Longeot.

L'amendement n° 287 rectifié est présenté par MM. Doligé et Cardoux, Mme Cayeux, MM. Charon et de Legge, Mme Deroche et MM. Gournac, Laménie, Milon et Mouiller.

Ces deux amendements sont ainsi libellés :

Compléter cet article par un alinéa ainsi rédigé :

« Pour les contrats conclus antérieurement, ces dispositions entrent en vigueur à compter du 1er avril 2017. »

L'amendement n° 347 rectifié, présenté par M. L. Hervé, Mme Morin-Desailly, MM. Bonnecarrère et Cigolotti, Mmes Doineau et Férat, MM. Gabouty et Kern, Mme Loisier et MM. Longeot, Luche, Médevielle, Pozzo di Borgo, Roche et Tandonnet, est ainsi libellé :

Compléter cet article par un alinéa ainsi rédigé :

« L’autorité concédante peut exiger du concessionnaire la mise en œuvre de ces dispositions dans un délai de deux ans avant le terme de tout contrat de concession d’une durée égale ou supérieure à cinq ans. »

Article 10
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Article 11

Articles additionnels après l'article 10

M. le président. Je suis saisi de deux amendements faisant l’objet d’une discussion commune.

L'amendement n° 187, présenté par Mme Bouchoux, n’est pas soutenu.

L’amendement n° 452 rectifié, présenté par Mme Assassi, MM. Bosino, Abate et les membres du groupe communiste républicain et citoyen, est ainsi libellé :

Après l'article 10

Insérer un article additionnel ainsi rédigé :

Après l’article L. 1414-2 du code général des collectivités territoriales, il est inséré un article L. 1414-2-… ainsi rédigé :

« Art. L. 1414-2- – Le cocontractant fournit à la personne publique délégante, dans un standard ouvert aisément réutilisable, c’est-à-dire lisible par une machine, les données et bases de données collectées ou produites à l’occasion de l’exploitation du service public dont il assure la gestion et qui sont indispensables à son exécution. Il autorise par ailleurs la personne publique délégante, ou un tiers désigné par celle-ci, à extraire et exploiter librement tout ou partie de ces données et bases de données, notamment en vue de leur mise à disposition à titre gratuit à des fins de réutilisation à titre gratuit ou onéreux. »

La parole est à M. Jean-Pierre Bosino.

M. Jean-Pierre Bosino. Comme le précisait notre collègue, il s’agit, par cet amendement, d’étendre l’obligation de communication aux partenariats public-privé.

Cette précision peut sembler redondante. Même si, je le souligne, nous ne sommes pas des partisans des partenariats public-privé, la transparence des données est de mise dès lors qu’ils existent.

Les partenariats public-privé constituent trop souvent un piège pour les collectivités territoriales et l’État ; ces montages sont de plus en plus décriés par nos concitoyens.

En 2014, le rapport de la commission des lois n’avait-il pas qualifié ces partenariats de « bombes à retardement », en soulignant les effets néfastes pour les générations futures ?

C’est pourquoi nous vous invitons, mes chers collègues, à adopter notre amendement. En effet, au travers de l’accès aux données des entreprises parties prenantes à un tel partenariat, la collectivité publique doit pouvoir jouer de manière effective son rôle d’autorité organisatrice. L’amendement n° 87 rectifié de M. Chaize venant d’être adopté, le nôtre devrait l’être également.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

M. Christophe-André Frassa, rapporteur. Cet amendement, qui concerne l’open data des marchés de partenariat, est satisfait par l’adoption de l’amendement de M. Chaize.

Mme Catherine Troendlé, vice-présidente de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale. Tout est dit !

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

Mme Axelle Lemaire, secrétaire d'État. Effectivement, tout est dit ! (Sourires.)

M. le président. Monsieur Bosino, l'amendement n° 452 rectifié est-il maintenu ?

M. Jean-Pierre Bosino. Non, je le retire, monsieur le président.

M. le président. L'amendement n° 452 rectifié est retiré.

Articles additionnels après l'article 10
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Article 12

Article 11

I. – L’article 10 de la loi n° 2000-321 du 12 avril 2000 relative aux droits des citoyens dans leurs relations avec les administrations est ainsi modifié :

1° À la première phrase du cinquième alinéa, le mot : « troisième » est remplacé par le mot : « quatrième » ;

2° Il est ajouté un alinéa ainsi rédigé :

« L’autorité administrative ou l’organisme chargé de la gestion d’un service public industriel et commercial mentionné au premier alinéa de l’article 9-1 qui attribue une subvention dépassant le seuil mentionné au quatrième alinéa du présent article rend accessible, sous forme électronique, si possible, dans un standard ouvert aisément réutilisable et exploitable par un système de traitement automatisé, les données essentielles de la convention de subvention, dans des conditions fixées par voie réglementaire. »

II (nouveau). – L’article 22 de la loi n° 2006-586 du 23 mai 2006 relative à l’engagement éducatif est abrogé.

M. le président. L'amendement n° 171 rectifié, présenté par MM. Commeinhes et Chatillon, est ainsi libellé :

Alinéa 4

Au début, insérer les mots :

Sous réserve des dispositions des articles L. 311-5 et L. 311-6 du code des relations entre le public et l’administration,

La parole est à M. François Commeinhes.

M. François Commeinhes. Comme cet amendement est, lui aussi, satisfait par l’adoption de l’amendement n° 87 rectifié, je le retire, monsieur le président.

M. le président. L'amendement n° 171 rectifié est retiré.

L'amendement n° 225, présenté par MM. Sueur, Leconte, Rome et Camani, Mme D. Gillot, MM. F. Marc, Assouline, Guillaume et les membres du groupe socialiste et républicain, est ainsi libellé :

Alinéa 4

Supprimer les mots :

si possible,

La parole est à M. Jean-Pierre Sueur.

M. Jean-Pierre Sueur. Cet amendement, que nous avons déjà présenté précédemment, vise à supprimer les mots « si possible ».

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

M. Christophe-André Frassa, rapporteur. Nous avons eu un assez long débat en commission sur ces deux mots, et, si possible (Sourires.), je ne rouvrirai pas le débat. Je ne vous apprends rien, monsieur Sueur, cet amendement est contraire à la position de la commission des lois.

Comme à l’article 4, que nous avons examiné hier après-midi, cet amendement vise à revenir sur l’expression « si possible » dans le cadre des mécanismes d’open data.

Rappelons que cette notion a été ajoutée lors de la loi Valter qui a été adoptée il y a à peine cinq mois. À ce stade, aucun élément nouveau ne justifie un retour aussi rapide sur la décision du législateur.

En toute logique, je vous demande, monsieur Sueur, de bien vouloir retirer votre amendement ; à défaut, je maintiendrai un avis défavorable.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

Mme Axelle Lemaire, secrétaire d'État. Le Gouvernement est favorable à cet amendement.

À de multiples reprises, j’ai insisté sur la nécessité de publier des données dans des formats de qualité, la rédaction initiale du Gouvernement évoquant « un standard ouvert aisément réutilisable ». Or la commission des lois du Sénat a jugé bon d’introduire la mention « si possible ».

La réalité, c’est que les documents numériques communiqués par les administrations prennent souvent la forme d’un simple document scanné, qui est très difficile à utiliser pour nos concitoyens, les associations et les entreprises. Parfois, l’administration dispose de données sous forme d’un tableur, mais elle préfère tout de même fournir le document au format PDF, ce qui fait alors perdre un temps très précieux aux utilisateurs qui veulent bénéficier des vertus de l’open data.

C’est pourquoi il nous semble préférable de rétablir la version initiale du texte du Gouvernement.

M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° 225.

(L'amendement n'est pas adopté.)

M. le président. L'amendement n° 226, présenté par MM. Sueur, Leconte, Rome et Camani, Mme D. Gillot, MM. F. Marc, Assouline, Guillaume et les membres du groupe socialiste et républicain, est ainsi libellé :

Alinéa 5

Supprimer cet alinéa.

La parole est à M. Yves Rome.

M. Yves Rome. La commission des lois a abrogé l’article 22 de la loi n° 2006-586 du 23 mai 2006 relative au volontariat associatif et à l’engagement éducatif au motif que celui-ci prévoit déjà un dispositif comparable à l’objet de l’article 11 du projet de loi visant l’obligation de publication en open data des données des conventions de subvention.

Or le dispositif prévu par ledit article, qui concerne uniquement les subventions accordées aux associations et aux fondations reconnues d’utilité publique, présente des spécificités qui ressortent de son champ d’application et de ses modalités d’application, notamment au niveau réglementaire. Il convient de le maintenir, car il permet d’avoir une vision exhaustive des montants d’ensemble des subventions accordées aux associations de droit français et aux fondations reconnues d’utilité publique par les personnes publiques.

Un bilan annuel consolidé est rendu disponible, alors que l’article 11 ne permet une information que pour les subventions supérieures à un certain seuil.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

M. Christophe-André Frassa, rapporteur. Cet amendement a pour objet de revenir sur l’abrogation de l’article 22 de la loi n° 2006-586.

La commission s’est rendu compte que le texte adopté par l’Assemblée nationale laissait subsister deux dispositifs d’open data pour les subventions publiques : un régime général créé par l’article 11 du projet de loi ; un régime plus restreint concernant seulement les associations et les fondations.

Cet empilement de dispositifs est illisible. Aussi, il est apparu nécessaire de supprimer le régime spécifique aux associations et fondations dans la mesure où ces dernières entrent déjà dans le périmètre du régime général.

L’objet de l’amendement évoque des différences au niveau réglementaire. Inutile de rappeler ici la règle basique de la hiérarchie des normes ! Il suffit d’adapter ces normes réglementaires aux modifications législatives décidées par le Parlement.

C’est pourquoi je demande le retrait de cet amendement ; à défaut, j’émettrai un avis défavorable.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

Mme Axelle Lemaire, secrétaire d'État. Le Gouvernement est favorable à cet amendement.

La question qui se pose est la suivante : fallait-il supprimer, comme l’a fait la commission des lois, le dispositif spécifique relatif à l’open data des subventions concernant les associations et fondations ?

Ce dispositif, qui a été créé par la loi de 2006 relative au volontariat associatif et à l’engagement éducatif, fait ses preuves depuis dix ans. Le ministère de la jeunesse nous a expressément demandé de le maintenir dans la mesure où les acteurs associatifs ont l’habitude d’y recourir. L’abrogation des mécanismes d’open data spécifiques au secteur associatif risquerait de bousculer le secteur et exigerait un nouveau décret d’application.

En l’occurrence, cette abrogation n’est pas nécessaire : la loi spécifique s’applique aux associations et fondations, et, d’une manière générale, la loi s’applique à tous les autres cas relatifs aux subventions.

En conséquence, le Gouvernement est favorable à cet amendement.

M. le président. Je mets aux voix l’amendement n° 226.

(L'amendement n'est pas adopté.)

M. le président. L'amendement n° 624, présenté par M. Frassa, au nom de la commission des lois, est ainsi libellé :

Compléter cet article par un paragraphe ainsi rédigé :

… – Aux 3° de l’article L. 212-4 du code des communes de la Nouvelle-Calédonie et des articles L. 3661-16, L. 4313-3, L. 5217-10-15, L. 71-111-15 et L. 72-101-15 du code général des collectivités territoriales, le mot : « troisième » est remplacé par le mot : « quatrième ».

La parole est à M. le rapporteur.

M. Christophe-André Frassa, rapporteur. Il s’agit d’un amendement de coordination du code des communes de la Nouvelle-Calédonie et du code général des collectivités territoriales avec l’article 10 de la loi relative aux droits des citoyens dans leurs relations avec les administrations.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

Mme Axelle Lemaire, secrétaire d'État. Favorable.

M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° 624.

(L'amendement est adopté.)

M. le président. Je mets aux voix l'article 11, modifié.

(L'article 11 est adopté.)

Article 11
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Articles additionnels après l'article 12

Article 12

La loi n° 51-711 du 7 juin 1951 sur l’obligation, la coordination et le secret en matière de statistiques est ainsi modifiée :

1° Le second alinéa de l’article 3 est supprimé ;

2° Après le même article 3, il est inséré un article 3 bis ainsi rédigé :

« Art. 3 bis. – I. – Le ministre chargé de l’économie peut décider, après avis du Conseil national de l’information statistique, que les personnes morales de droit privé sollicitées pour des enquêtes transmettent par voie électronique sécurisée au service statistique public, à des fins exclusives d’établissement de statistiques, les informations présentes dans les bases de données qu’elles détiennent, lorsque ces informations sont recherchées pour les besoins d’enquêtes statistiques qui sont rendues obligatoires en application de l’article 1er bis.

« Cette décision est précédée d’une concertation avec les personnes de droit privé sollicitées pour ces enquêtes et d’une étude de faisabilité et d’opportunité rendue publique.

« Les données transmises par ces personnes morales ne peuvent faire l’objet d’aucune communication de la part du service dépositaire. Seules sont soumises au livre II du code du patrimoine les informations issues de ces données qui ont été agrégées et qui ne permettent pas l’identification de ces personnes morales.

« Les conditions dans lesquelles sont réalisées ces enquêtes, notamment leur faisabilité, leur opportunité, les modalités de collecte des données de même que, le cas échéant, celles de leur enregistrement temporaire et celles de leur destruction sont fixées par voie réglementaire.

« II. – Par dérogation à l’article 7, en cas de refus de la personne morale sollicitée pour l’enquête de procéder à la transmission d’informations conformément à la décision prise dans les conditions mentionnées au I du présent article, le ministre chargé de l’économie met en demeure cette personne. Cette mise en demeure fixe le délai imparti à la personne sollicitée pour l’enquête pour faire valoir ses observations. Ce délai ne peut être inférieur à un mois.

« Si la personne sollicitée pour l’enquête ne se conforme pas à cette mise en demeure, le ministre saisit pour avis le Conseil national de l’information statistique, réuni en comité du contentieux des enquêtes statistiques obligatoires. La personne sollicitée pour l’enquête est entendue par le comité.

« Au vu de cet avis, le ministre peut, par une décision motivée, prononcer une amende administrative. Passé un délai de deux ans à compter de la date de réception de la mise en demeure, le ministre ne peut plus infliger d’amende.

« Le montant de la première amende encourue à ce titre ne peut dépasser 25 000 €. En cas de récidive dans un délai de trois ans, le montant de l’amende peut être porté à 50 000 € au plus.

« Le ministre peut rendre publiques les sanctions qu’il prononce. Il peut également ordonner leur insertion dans des publications, journaux et supports qu’il désigne, aux frais des personnes sanctionnées. »

M. le président. L'amendement n° 169 rectifié bis, présenté par MM. Commeinhes, Longeot, Chatillon, A. Marc et Laménie, est ainsi libellé :

Alinéa 5

Après le mot :

étude

insérer le mot :

indépendante

La parole est à M. François Commeinhes.

M. François Commeinhes. Cet amendement vise à préciser que l’étude doit être menée par une entité indépendante du service statistique public, afin d’éviter toute forme de conflit d’intérêts.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

M. Christophe-André Frassa, rapporteur. Cet amendement a pour objet de préciser que l’étude de faisabilité sur la dématérialisation des enquêtes statistiques doit être menée de manière indépendante.

Je comprends tout à fait la logique sous-tendue par cet amendement, mais un problème opérationnel se pose. Quelles structures pourront alors mener ce type d’enquêtes ? Faut-il créer une nouvelle autorité administrative indépendante ? Faut-il confier cette étude au secteur privé, ce qui renchérirait alors le coût de celle-ci ? Ce sont des questions auxquelles je ne puis, à ce stade, répondre et auxquelles l’amendement n’apporte pas, lui non plus, de réponse.

Enfin, je rappelle que la commission des lois a déjà prévu une garantie de poids en précisant que cette étude doit être réalisée en amont de la décision de dématérialisation pour bien prendre en compte les inquiétudes des acteurs privés.

C’est pourquoi je demande à M. Commeinhes de bien vouloir retirer son amendement ; à défaut, je serai contraint d’émettre un avis défavorable.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

Mme Axelle Lemaire, secrétaire d'État. Le Gouvernement émet également un avis défavorable sur cet amendement.

L’INSEE doit mener sa propre étude de faisabilité avant de travailler sur les données de caisse. Je pense, par exemple, au calcul de l’inflation dans la grande distribution, qui se fait aujourd’hui de manière quelque peu artisanale et mécanique. Il conviendrait de mettre en place une transmission beaucoup plus automatique des données entre les entreprises et l’organisme statistique. Cependant, ajouter à chaque fois à l’étude qualitative menée en amont par l’INSEE une étude de faisabilité et d’opportunité alourdirait considérablement son travail. Or tel n’est pas l’objectif.

J’ajoute que les entreprises concernées par ces enquêtes seront naturellement parties prenantes à la concertation : elles pourront verser au débat l’ensemble des éléments qu’elles estimeront utiles.

L’objectif de la mesure est de faciliter le travail non seulement de l’INSEE, mais aussi des entreprises qui font l’objet d’une enquête. Une telle étude de faisabilité et d’opportunité alourdirait, je le répète, la charge des deux parties et serait ainsi contraire à l’objectif.

M. le président. Monsieur Commeinhes, l’amendement n° 169 rectifié bis est-il maintenu ?

M. François Commeinhes. Dans le contexte actuel, je ne veux pas alourdir la charge des services de l’État. Aussi, je retire mon amendement, monsieur le président.

M. le président. L’amendement n° 169 rectifié bis est retiré.

L'amendement n° 320, présenté par M. Navarro, n'est pas soutenu.

L'amendement n° 453, présenté par Mme Assassi, MM. Bosino, Abate et les membres du groupe communiste républicain et citoyen, est ainsi libellé :

Alinéa 10, seconde phrase

Supprimer cette phrase.

La parole est à M. Patrick Abate.

M. Patrick Abate. Cet amendement vise à renforcer le pouvoir de sanction contre les entreprises n’ayant pas communiqué leurs données à l’INSEE dans le cadre défini par cet article.

Dans la rédaction actuelle subsiste en effet à l’alinéa 10 la possibilité que la sanction pour la non-communication de ces données, en l’occurrence une amende, ne soit pas réellement mise en œuvre en raison du délai de deux ans.

Si nous comprenons que ce délai puisse être entendu comme un élément de nature à favoriser une réponse rapide des services du ministre de l’économie, nous considérons toutefois qu’il fait peser un risque sur l’effectivité de la sanction.

En effet, ce délai de prescription, après la première mise en demeure, risque d’entraîner une insécurité juridique, en offrant aux entreprises fautives la possibilité d’échapper à une amende administrative.

Or, pour poursuivre au mieux l’objectif de transparence et d’ouverture recherché dans ce texte – en l’occurrence, ici, la transparence et l’ouverture des données collectées par des entreprises privées –, il est, selon nous, nécessaire que le pouvoir de sanction soit réellement contraignant.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

M. Christophe-André Frassa, rapporteur. La suppression du délai de sanction du ministre de l’économie est contraire à la position de la commission des lois, Mmes Assasi et Cukierman qui en sont membres le savent bien.

En effet, cet amendement vise à supprimer un apport de la commission des lois, qui a cherché un meilleur équilibre entre l’INSEE et les entreprises.

En outre, un tel délai de deux ans entre le refus de l’entreprise et la décision de sanction du ministre est déjà prévu dans le régime général de la statistique publique par l’article 7 de la loi du 7 juin 1951.

En conséquence, je vous demande, monsieur Abate, de bien vouloir retirer cet amendement ; à défaut, je maintiendrai l’avis défavorable de la commission.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

Mme Axelle Lemaire, secrétaire d'État. La phrase ici visée limite à deux ans, en cas de non-réponse, le délai entre la mise en demeure de l’entreprise et l’amende administrative infligée par le ministre de l’économie.

En réalité, cette phrase permettait d’aligner ce délai sur celui des enquêtes « papier ». Mais, depuis 1995, cette disposition n’a jamais été appliquée. Les amendes ont toujours été appliquées dans un délai de deux ans.

C’est pourquoi je m’en remets à la sagesse de la Haute Assemblée.

M. le président. Je mets aux voix l’amendement n° 453.

(L'amendement n'est pas adopté.)

M. le président. L'amendement n° 17 rectifié bis, présenté par MM. Grand, Milon, Calvet, Laufoaulu, Huré et Laménie, Mmes Duchêne et Gruny, MM. Pellevat, Rapin, Chasseing, Charon et Houel, Mme Deroche et M. Husson, est ainsi libellé :

Alinéa 12, seconde phrase

Supprimer cette phrase.

La parole est à Mme Catherine Deroche.

Mme Catherine Deroche. Il apparaît disproportionné que le ministre puisse ordonner l’insertion de la sanction prévue par l’article 12 dans des publications, journaux et supports qu’il désigne, aux frais des personnes sanctionnées, quand, dans un même temps, les administrations ne sont pas soumises à de telles dispositions.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

M. Christophe-André Frassa, rapporteur. Cet amendement défendu par Mme Deroche,…

M. Henri de Raincourt. Brillamment ! (Sourires.)

M. Christophe-André Frassa, rapporteur. … brillamment en effet, pourrait se résumer à une locution anglaise : le « Name and shame »…

M. Jean-Baptiste Lemoyne. Vous me faites de la peine ! (Sourires.)

Mme Axelle Lemaire, secrétaire d'État. Pas d’anglicisme ! (Nouveaux sourires.)

M. Christophe-André Frassa, rapporteur. Certes, mais ce sont les Britanniques qui ont inventé cette pratique ; je n’y peux rien !

M. Jean-Baptiste Lemoyne. « Nommer et punir » !

M. Christophe-André Frassa, rapporteur. Voilà ! Merci, monsieur Lemoyne !

M. Marc Daunis. « Agonir », plutôt !

M. Christophe-André Frassa, rapporteur. Oui, vous avez rétabli le fléau de la balance, monsieur Daunis.

Cet amendement est hélas ! contraire à la position de la commission : nous en sommes convaincus, « nommer et agonir » est plus efficace que la sanction financière.

Cet amendement vise à supprimer la possibilité pour le ministre de l’économie d’ordonner la publication dans les journaux des sanctions prises contre une entreprise refusant de transmettre des données dématérialisées à l’INSEE aux frais de cette entreprise.

Or, plus que l’amende, le système de « Name and shame » garantit la bonne efficacité du dispositif de l’article 12.

Enfin, je précise que, contrairement à ce qu’indique l’objet de l’amendement, les administrations seront bien soumises à un dispositif comparable lorsqu’elles ne suivront pas les avis de la CADA, la Commission d’accès aux documents administratifs. Ce dispositif est prévu, pour mémoire, à l’alinéa 14 de l’article 8.

Dans ces conditions, je souhaite que vous retiriez cet amendement, madame Deroche ; à défaut, je serai contraint, à mon corps défendant, d’émettre un avis défavorable.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

Mme Axelle Lemaire, secrétaire d'État. Le Gouvernement émet également un avis défavorable sur cet amendement.

On pourrait a priori penser que la spécification – le ministre peut rendre publiques les sanctions qu’il prononce et il peut également ordonner l’insertion de celles-ci dans des publications, journaux et supports qu’il désigne – est un peu dure, trop sévère. Mais, en réalité, elle est tout à fait nécessaire, et elle l’est d’autant plus que la transmission des informations demandées par le service statistique est électronique et automatique. C’est en quelque sorte la contrepartie : la qualité des statistiques qui seront ensuite produites par le service public est très tributaire de la transmission des informations par les personnes morales concernées, les entreprises, surtout dans les secteurs économiques très concentrés, comme la grande distribution ou les opérateurs de téléphonie.

La moindre absence de transmission de données est de nature à compromettre la qualité de l’ensemble des statistiques qui seront fournies. C’est ce qui explique la possible publication des sanctions pour éviter des comportements susceptibles de compromettre la qualité du service public de la statistique.

À cet égard, permettez-moi de profiter de cette occasion pour souhaiter un joyeux anniversaire à l’INSEE, qui a soixante-dix ans aujourd’hui !

M. Christophe-André Frassa, rapporteur. Elle ne les fait pas ! (Sourires.)

Mme Axelle Lemaire, secrétaire d'État. En effet ! C’est l’ancêtre de l’open data ! (Nouveaux sourires.)

M. le président. Madame Deroche, l'amendement n° 17 rectifié bis est-il maintenu ?

Mme Catherine Deroche. Dans la mesure où M. le rapporteur a souligné que l’alinéa 14 de l’article 8 soumet l’administration aux mêmes obligations, je retire l’amendement, monsieur le président.

M. le président. L’amendement n° 17 rectifié bis est retiré.

Je mets aux voix l’article 12.

(L'article 12 est adopté.)

Article 12
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Article 12 bis (nouveau) (début)

Articles additionnels après l'article 12

M. le président. Je suis saisi de six amendements faisant l’objet d'une discussion commune.

L'amendement n° 448 rectifié, présenté par Mme Assassi, MM. Bosino, Abate et les membres du groupe communiste républicain et citoyen, est ainsi libellé :

Après l'article 12

Insérer un article additionnel ainsi rédigé :

La seconde phrase du premier alinéa de l’article L. 300-2 du code des relations entre le public et l’administration est complétée par les mots : « et les jugements, ordonnances, décisions ou arrêts rendus par les juridictions de l’ordre judiciaire ou administratif ».

La parole est à Mme Évelyne Didier.

Mme Évelyne Didier. Si vous me le permettez, monsieur le président, je défendrai en même temps les amendements nos 448 rectifié et 447 rectifié.

M. le président. J’appelle donc en discussion l'amendement n° 447 rectifié, présenté par Mme Assassi, MM. Bosino, Abate et les membres du groupe communiste républicain et citoyen, et ainsi libellé :

Après l’article 12

Insérer un article additionnel ainsi rédigé :

I. - La réutilisation des informations publiques produites par les services du Premier ministre, la Cour de cassation ou le Conseil d’État ne peut donner lieu au versement d’une redevance.

II. – La perte de recettes résultant pour l’État du I est compensée, à due concurrence, par la création d’une taxe additionnelle aux droits prévus aux articles 575 et 575 A du code général des impôts.

Veuillez poursuivre, ma chère collègue.

Mme Évelyne Didier. Ces amendements posent la question de l’accessibilité de nous tous à la jurisprudence.

Permettez-moi d’apporter quelques éléments d’information pour éclairer le débat.

Aujourd’hui, moins de 1 % des décisions de première instance et des cours d’appel sont disponibles en ligne sur le site Legifrance. Le reste des décisions est vendu à divers abonnés, dont certains éditeurs privés juridiques. Ainsi, la Cour de cassation vend la base exhaustive des décisions des cours d’appel judiciaires non anonymisées aux quatre principaux éditeurs pour environ 60 000 euros chaque année.

De notre point de vue, il est anormal de faire payer pour accéder à la jurisprudence de son pays, d’autant qu’au XXIe siècle, le principe de la publicité des débats judiciaires devrait passer par internet, en vue d’assurer la transparence de la justice et le contrôle des citoyens sur la justice rendue. Ces principes, notamment rappelés par la Cour européenne des droits de l’homme, sont essentiels pour toute démocratie ; un arrêt a été rendu contre l’Autriche en 1997.

Malheureusement, la CADA, la Commission d’accès aux documents administratifs, considère que les documents émanant des juridictions ne sont pas des documents administratifs.

Néanmoins, d’après la directive PSI, la directive européenne concernant la réutilisation des informations du secteur public, que la France a retranscrite dans la loi de 1978 : « La publicité de tous les documents généralement disponibles qui sont détenus par le secteur public – non seulement par la filière politique, mais également par la filière judiciaire et la filière administrative – constitue un instrument essentiel pour développer le droit à la connaissance, principe fondamental de la démocratie. Cet objectif est applicable aux institutions, et ce, à tous les niveaux, tant local que national et international. »

Nous vous proposons donc, mes chers collègues, d’adopter cet amendement, afin de clarifier la situation : il convient d’inclure de manière explicite les documents détenus par la filière judiciaire, tels que les jugements, ordonnances, décisions ou arrêts rendus par les juridictions de l’ordre judiciaire ou administratif dans le champ de la loi de 1978.

M. le président. Les amendements nos 581 et 604 sont identiques.

L'amendement n° 581 est présenté par le Gouvernement.

L'amendement n° 604 est présenté par Mme Bouchoux et les membres du groupe écologiste.

Ces deux amendements sont ainsi libellés :

Après l'article 12

Insérer un article additionnel ainsi rédigé :

L’article L. 10 du code de justice administrative est complété par trois alinéas ainsi rédigés :

« Ces jugements sont mis à la disposition du public à titre gratuit dans le respect de la vie privée des personnes concernées.

« Les articles L. 321-1 à L. 326-1 du code des relations entre le public et l'administration sont également applicables à la réutilisation des informations publiques figurant dans ces jugements.

« Les conditions d'application du présent article sont déterminées par décret. »

La parole est à Mme la secrétaire d'État, pour présenter l’amendement n° 581.

Mme Axelle Lemaire, secrétaire d'État. Cet amendement vise à assurer la publication des données concernant les jugements administratifs en vue d’une meilleure connaissance des justiciables, des administrés, et de la réutilisation de ces jugements.

Ces jugements sont d’ores et déjà publics, comme le prévoit l’article L. 10 du code de justice administrative. Il s’agit de la déclinaison du principe de publicité des décisions de justice, un principe fondamental du fonctionnement de la justice, consacré par l’article 6-1 de la convention européenne des droits de l’homme et qui est aussi inscrit dans nos codes de procédure.

La décision de justice est rendue au nom du peuple français, elle l’est au vu et au su de tous en la présence du public pour se préserver de l’arbitrage du juge ou du pouvoir. Mais aujourd'hui, la mise à disposition de cette jurisprudence de manière exhaustive et dans un format réutilisable, c’est-à-dire avec des données de qualité, n’est pas effective. Il est possible de demander copie d’un jugement ou d’une décision au greffe.

En outre, le service de diffusion du droit Legifrance ainsi que la base Ariane développée par le Conseil d’État ont rendu accessibles à tous l’ensemble des jugements de la haute juridiction. Mais c’est vrai pour le seul Conseil d’État. Un nombre important de décisions de cours administratives d’appel sont aussi publiées, mais il manque encore les jugements des juridictions de premier degré des tribunaux administratifs.

La volonté du Gouvernement est de garantir l’exhaustivité, d’une part, et la réutilisation libre et gratuite, d’autre part, qui découle de la conviction qui est la mienne et que j’ai constamment réaffirmée au cours de nos débats : les données constituent un ferment fort de développement de nouveaux services en ligne, de même que la garantie d’une exigence démocratique.

L’ouverture de ce type de données doit en effet permettre l’avènement de nouvelles applications, qui apporteront certainement une meilleure connaissance, une possibilité de comparaison des décisions prises sur des contentieux similaires et, donc, une meilleure prévisibilité du droit applicable, avec une anticipation des risques contentieux, qui sont potentiellement très utiles pour les justiciables, comme pour les entreprises.

Souvenez-nous, mesdames, messieurs les sénateurs – certains juristes ici le savent ! –, voilà une quinzaine d’années, nous avions encore recours aux volumineux codes rouges. Puis, Legifrance a été créé, et le choix a été fait non plus de recourir à des codes papier distincts pour chacun des sujets traités, mais à un service en ligne gratuit recensant tous les articles des lois françaises, qui a été rendu disponible au plus grand nombre. Aujourd'hui, nous voulons opérer un même mouvement pour les jugements des tribunaux administratifs. Cela nous semble une très bonne chose pour les justiciables et la démocratie.

M. le président. Le sous-amendement n° 659, présenté par M. Frassa, au nom de la commission des lois, est ainsi libellé :

Amendement n° 581

I. – Alinéa 4

Rédiger ainsi le début de cet alinéa :

« Lorsqu’ils sont devenus définitifs, ces jugements…

II. – Après l’alinéa 4

Insérer un alinéa ainsi rédigé :

« Cette mise à disposition du public est précédée d’une analyse du risque de ré-identification des personnes.

III. – Alinéa 6

Rédiger ainsi cet alinéa :

« Un décret en Conseil d’État fixe pour les jugements de premier ressort, d’appel ou de cassation les conditions d’application du présent article. »

La parole est à M. le rapporteur.

M. Christophe-André Frassa, rapporteur. Monsieur le président, si vous m’y autorisez, je répondrai de manière globale à l’ensemble des amendements en discussion commune et ne présenterai mes deux sous-amendements nos 659 et 660 qu’à cette occasion.

M. le président. Très bien, monsieur le rapporteur, nous allons donc poursuivre la présentation des amendements.

La parole est à Mme Corinne Bouchoux, pour présenter l’amendement n° 604.

Mme Corinne Bouchoux. Je défendrai successivement deux amendements proches dans leur esprit.

Le premier, l’amendement n° 604, va dans le même sens que l’amendement qui vient d’être présenté par Mme la secrétaire d’État, puisqu’il vise à améliorer l’accès des citoyens aux décisions rendues par les juridictions administratives.

Le second, l’amendement n° 577, que je présenterai dans un instant, vise quant à lui à rendre plus accessibles aux citoyens les décisions rendues par les juridictions judiciaires.

S’agissant de l’accès aux décisions administratives, je ne répéterai pas ce que vient d’expliquer très éloquemment Mme la secrétaire d’État.

Je voudrais néanmoins rappeler que la directive européenne PSI – Public Sector Information –, que nous avons transposée, précise de longue date dans sa version française que : « La publicité de tous les documents généralement disponibles qui sont détenus par le secteur public – non seulement par la filière politique, mais également par la filière judiciaire et la filière administrative – constitue un instrument essentiel pour développer le droit à la connaissance, principe fondamental de la démocratie. Cet objectif est applicable aux institutions, et ce, à tous les niveaux, tant local que national et international ».

De toute évidence, l’accès à la jurisprudence devrait contribuer à accroître la transparence, la connaissance et le savoir des citoyens, et à renforcer leur confiance dans la justice et les institutions. Cette mesure pourrait également assurer une meilleure sécurité juridique et empêcher l’inflation du contentieux en facilitant l’examen de dispositions et de jurisprudences déjà établies.

Aujourd’hui, il est temps d’aller plus loin. Le décret n° 2002-1064 du 7 août 2002 relatif au service public de la diffusion du droit par l’internet prévoyait déjà qu’il convenait d’assurer une large diffusion de la production jurisprudentielle française. Malheureusement, ce décret date d’il y a quatorze ans ! Je propose simplement que l’on rattrape le temps perdu, tout en veillant évidemment à la protection des données personnelles.

M. le président. Les amendements nos 577 et 582 sont identiques.

L'amendement n° 577 est présenté par Mme Bouchoux et les membres du groupe écologiste.

L'amendement n° 582 est présenté par le Gouvernement.

Ces deux amendements sont ainsi libellés :

Après l'article 12

Insérer un article additionnel ainsi rédigé :

Après l’article L. 111-12 du code de l’organisation judiciaire, il est inséré un article L. 111-… ainsi rédigé :

« Art. L. 111-… – Sans préjudice des dispositions particulières qui régissent l'accès aux décisions de justice et leur publicité, les décisions rendues par les juridictions judiciaires, sont mises à la disposition du public dans le respect de la vie privée des personnes concernées.

« Les articles L. 321-1 à L. 326-1 du code des relations entre le public et l'administration sont également applicables à la réutilisation des informations publiques figurant dans ces décisions.

« Les conditions d'application du présent article sont déterminées par décret. »

La parole est à Mme Corinne Bouchoux, pour présenter l’amendement n° 577.

Mme Corinne Bouchoux. S’agissant des décisions judiciaires, je défendrai le même principe que celui défendu pour l’amendement précédent.

Actuellement, moins de 1 % des décisions des tribunaux de première instance et des cours d’appel sont disponibles en ligne sur le site Legifrance – j’insiste sur ce chiffre, mes chers collègues ! Le reste des décisions, en tout cas un certain nombre, est vendu à divers abonnés, dont quelques éditeurs privés juridiques.

Nous n’allons pas jusqu’à demander la gratuité de l’accès aux décisions de justice à travers cet amendement, mais il nous paraît fondamental, aujourd’hui, d’améliorer l’accès des citoyens à ces décisions. Puisque « nul n’est censé ignorer la loi », il est important que chacun puisse connaître les décisions rendues par le juge judiciaire !

M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d'État, pour présenter l’amendement n° 582.

Mme Axelle Lemaire, secrétaire d'État. Je viens d’exposer les arguments du Gouvernement en faveur de l’open data sur les décisions constituant la jurisprudence administrative. Il s’agit ici de favoriser la mise à disposition de la jurisprudence judiciaire.

Il est bien précisé dans le dispositif de l’amendement que l’ouverture des données ne peut se faire que dans le respect des règles régissant l’accès et la publicité des décisions de justice, qui sont fixées par ailleurs.

Mesdames, messieurs les sénateurs, je tiens à vous rassurer sur un point : les amendements du Gouvernement ont naturellement été corédigés avec la Chancellerie. Nous en avons d’ailleurs encore discuté ce matin en conseil des ministres avec le garde des sceaux, Jean-Jacques Urvoas. Ce dernier se réjouit de cette avancée qui doit rendre la justice plus accessible aux justiciables !

M. le président. Le sous-amendement n° 660, présenté par M. Frassa, au nom de la commission des lois, est ainsi libellé :

Amendement n° 582

I. – Alinéa 4

Après les mots :

les décisions

insérer les mots :

devenues définitives

II. – Après l’alinéa 4

Insérer un alinéa ainsi rédigé :

« Cette mise à disposition du public est précédée d’une analyse du risque de ré-identification des personnes.

III. – Alinéa 6

Rédiger ainsi cet alinéa :

« Un décret en Conseil d’État fixe pour les décisions de premier ressort, d’appel ou de cassation les conditions d’application du présent article. »

La parole est à M. le rapporteur, pour présenter les sous-amendements nos 659 et 660, ainsi que pour donner l’avis de la commission sur l’ensemble des amendements en discussion commune.

M. Christophe-André Frassa, rapporteur. En effet, monsieur le président, comme vous m’y avez autorisé, j’intégrerai la présentation de mes deux sous-amendements aux avis que j’émettrai au nom de la commission sur les six amendements en discussion commune, et ce afin d’éclairer la Haute Assemblée et d’assurer la clarté des débats.

L’ensemble des amendements visent un même objectif extrêmement important : garantir l’ouverture, le partage et la réutilisation, autrement dit l’open data des décisions de justice.

Ces décisions de justice sont toutes rendues au nom du peuple français et sont publiques. Il apparaît donc opportun de prévoir la mise à disposition de toutes les décisions, et pas seulement de celles publiées par la Cour de cassation ou le Conseil d’État, car elles feraient jurisprudence.

Cependant, je ne dispose d’aucune information sur les moyens budgétaires alloués à la justice pour réaliser cette ouverture de toutes les décisions de justice.

Par ailleurs, je note que le dispositif proposé déroge au code des relations entre le public et l’administration, dans la mesure où il se borne à garantir le respect de la vie privée sans prévoir le traitement des données qui rendrait impossible la ré-identification des personnes. Quelles en seront les conséquences ?

À titre personnel, en tant que rapporteur, je regrette de n’avoir eu connaissance des amendements du Gouvernement que le lundi 25 avril en fin d’après-midi, alors même que nous avions discuté de ces dispositions avec le Gouvernement dès le 7 mars dernier, premier jour des auditions que j’ai menées sur le projet de loi. J’aurais aimé pouvoir approfondir ma réflexion et entendre les juridictions sur les implications concrètes de mesures aussi importantes.

C’est pourquoi j’ai émis un avis réservé sur ces amendements lorsque la commission s’est réunie pour les examiner, conscient des enjeux soulevés par cette question lors du long débat qui s’est déroulé en commission hier matin.

La commission a toutefois marqué sa volonté d’aller de l’avant et a jugé nécessaire que le législateur lance le mouvement. Elle m’a donc mandaté pour déposer deux sous-amendements aux amendements du Gouvernement.

Ces sous-amendements visent tout d’abord à répondre au souci de préserver la présomption d’innocence. C’est pourquoi l’open data ne s’appliquerait, en tout cas dans un premier temps, qu’aux décisions de justice devenues définitives.

Ensuite, dès lors que nous instaurerons un régime spécial qui n’est pas couvert par les dispositions du code des relations entre le public et l’administration, il apparaît important d’étendre le principe de l’analyse du risque de ré-identification des personnes, que nous avons introduit et confirmé hier en séance publique.

Enfin, compte tenu de l’enjeu lié au nécessaire respect de la vie privée, il apparaît nécessaire de renvoyer à un décret en Conseil d’État, et non à un décret simple, la fixation des modalités d’application du dispositif.

Dans la mesure où nous ne disposons pas d’étude d’impact, en particulier sur les coûts d’anonymisation que représente l’open data des décisions de justice, nous ne sommes pas en mesure d’annoncer un calendrier de mise en œuvre de la réforme. Cependant, il est évident que cela ne peut pas se faire du jour au lendemain et que les besoins en matière d’anonymisation varient selon le degré de la juridiction concernée et, surtout, selon la nature du contentieux. C’est la raison pour laquelle les sous-amendements tendent à créer une distinction entre les différentes catégories de décisions et de jugements.

Avec ces sous-amendements, la commission des lois a – je le répète – souhaité engager un processus qui comportera probablement plusieurs étapes. Elle a également souhaité donner son approbation à l’open data des décisions de justice.

Pour finir, j’aimerais dire un mot de l’amendement n° 448 rectifié : le principe de la séparation des pouvoirs empêche d’assimiler les décisions de justice à des documents administratifs et de soumettre leur diffusion au contrôle de la CADA. En revanche, j’ai bien noté que les amendements du Gouvernement, en renvoyant à l’article L. 326-1 du code des relations entre le public et l’administration, tendent à confier à cette même CADA une compétence pour connaître des réutilisations illégales de ces décisions de justice.

En conséquence, la commission émettra un avis défavorable sur l’amendement n° 448 rectifié et un avis favorable sur les amendements nos 581 et 582, de même que, par extension, sur les amendements identiques nos 604 et 577, sous réserve de l’adoption des sous-amendements de la commission.

L’amendement n° 447 rectifié est quant à lui satisfait par le droit en vigueur depuis l’adoption de la loi Valter, en décembre dernier. Je demanderai donc à ses auteurs de bien vouloir le retirer, faute de quoi j’émettrai un avis défavorable.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

Mme Axelle Lemaire, secrétaire d'État. Tout d’abord, monsieur le rapporteur, mesdames, messieurs les sénateurs, je vous prie, en effet, de bien vouloir nous excuser pour le dépôt tardif de nos amendements. Cela étant, ce dépôt a tout de même eu lieu dans les temps, puisque les amendements ont été déposés avant la date limite qui avait été fixée pour les sénateurs.

Pour autant, ce retard m’apparaît peu conforme à la volonté qui était la mienne de déposer les amendements du Gouvernement le plus tôt possible, laquelle se conjuguait à celle d’en déposer le moins possible, conformément à une doctrine constante. Ce retard constitue donc en quelque sorte une exception par rapport à la règle que nous nous étions fixée pour ce projet de loi.

Pour l’expliquer, j’évoquerai le fait que ces amendements renvoient à des discussions de nature juridique qui se sont prolongées avec la Chancellerie jusqu’au début de la semaine, et ce afin d’aboutir à la rédaction la plus fine et la plus rigoureuse possible.

En définitive, amoindrir la portée de l’open data des décisions rendues par le juge administratif et le juge judiciaire, comme le suggère M. le rapporteur, reviendrait à introduire un tel nombre de limites et de réserves que je considère, pour ma part, qu’il serait sans doute préférable dans ce cas de ne pas mettre en place cet open data.

Je m’explique : selon un principe général du droit, les jugements rendus sont déjà publics. L’open data consiste donc simplement à publier, mais sous des formats réutilisables, des jugements qui sont déjà publics.

Dès lors que l’on introduit une limite à ce principe en vertu du respect de la vie privée ou des réserves sur l’anonymisation des données, on recule sur les principes généraux qui s’appliquent de manière générale dans le droit commun.

Il n’y a pourtant aucun risque, ni en matière d’atteinte à la vie privée ni en matière de ré-identification. En effet, les jugements sont publics, sauf dans les cas particuliers qu’a déjà prévus le législateur dans sa grande sagesse et qui sont énumérés de manière spécifique.

Le Conseil d’État, la Cour de cassation, dans une note qu’elle a publiée en 2013, ou la CNIL, dans un avis qui concernait spécifiquement la publication de la jurisprudence, s’accordent pour considérer qu’il n’y a pas de risque d’atteinte à la vie privée ! Quant aux quelques cas pour lesquels la publicité des décisions de justice est limitée, il s’agit pour l’essentiel des jugements affectés par les effets des lois d’amnistie, des affaires qui concernent les mineurs ou des affaires de faillite. Or il n’est naturellement pas question de revenir sur ces règles particulières qui sont limitées à des cas bien précis.

Imposer une vérification et une analyse des risques à chaque fois qu’il est question de publier le jugement d’un tribunal de première instance reviendrait en pratique à empêcher la mise en place de l’open data, puisque les ressources des tribunaux ne le permettraient pas. De plus, comme M. le rapporteur envisage de limiter le dispositif aux seuls jugements définitifs, cela supposerait de vérifier au moment de publier un jugement que celui-ci n’a pas été frappé d’appel a posteriori. Cela créerait un système complexe, impraticable, à mille lieues de l’objectif que nous visons, c’est-à-dire la simple publication de jugements qui, je le rappelle, sont déjà publics, et ce en vertu des principes généraux du droit.

Mesdames, messieurs les sénateurs, ne redoutez pas un danger qui n’existe pas. Quand on souhaite engager une politique ambitieuse en matière d’open data, il faut l’assumer jusqu’au bout !

M. le président. La parole est à M. Jean-Yves Leconte, pour explication de vote.

M. Jean-Yves Leconte. Mes chers collègues, à la lecture des amendements nos 581 et 582 du Gouvernement, je suis assez inquiet. C’est pourquoi je souhaiterais obtenir quelques précisions supplémentaires.

Rappelons tout d’abord que la justice est rendue au nom du peuple français. Ce préalable étant posé, il est logique en effet que les jugements soient publics ! Néanmoins, il y a une différence entre des jugements publics qui sont disponibles au greffe et des jugements publics qui sont disponibles sur internet dans des formats qui favorisent leur traitement, en particulier statistique.

Ma première inquiétude tient à la façon dont le traitement statistique des données sera réalisé. La manière de traiter les décisions de justice permettra-t-elle de produire des statistiques sur les jugements par formation de jugement ? Si c’était le cas, cela me semblerait très délicat en termes de crédibilité de la justice.

Ma deuxième inquiétude porte sur la réelle signification des termes « dans le respect de la vie privée des personnes concernées ». Cela signifie-t-il que les jugements de divorce seront publiés avec la mention des noms des personnes ou cela veut-il plutôt dire que tous les jugements seront rendus anonymes ? Il conviendrait que nous retenions une formulation plus précise ou du moins que nous obtenions des explications sur le sujet.

Ma troisième et dernière inquiétude concerne l’objectif d’une meilleure prévisibilité du droit applicable. Je trouve un peu étonnant que cet objectif figure dans l’objet de l’amendement. En effet, tout ce qui favorise la connaissance de la jurisprudence est finalement déjà connu, public et publié, et pas seulement au greffe dans ce cas ! En définitive, on semble vouloir remplacer la jurisprudence actuelle par une espèce de traitement statistique qui permettrait de dégager ce qu’il est prévisible et donc logique d’attendre comme jugement.

C’est une réflexion que je préfère aborder en amont du vote sur les amendements et qui nourrit mon inquiétude. Compte tenu de l’importance de ces sujets, j’aimerais obtenir quelques précisions avant d’éventuellement suivre la position du Gouvernement.

M. le président. La parole est à M. Alain Richard, pour explication de vote.

M. Alain Richard. Comme cela se produit assez souvent quand on légifère, nous nous trouvons à un point de confrontation entre le souhaitable et le possible.

Il me semble que les auteurs des amendements qui affirment le principe de l’exigence de l’open data sont extrêmement fougueux dans le sens du souhaitable ! (M. Bruno Sido rit.) Ils sont en revanche un peu plus difficiles à suivre lorsqu’on évalue le possible.

Je voudrais tout d’abord souligner que la publication en ligne généralisée de tous les jugements aura surtout pour effet de produire une masse informe et confuse de données. En effet, aucune donnée ne peut être utilisée dans une décision de justice si aucun travail d’analyse du contenu n’a été engagé préalablement, ce qui représente une tâche intense exigeant beaucoup de qualifications.

Pourquoi n’y a-t-il que 1 % des décisions des cours administratives d’appel et des tribunaux administratifs – c’est un domaine que je connais un peu – qui soient publiées aujourd’hui ? C’est parce qu’il s’agit là des seules décisions ayant bénéficié d’une analyse, et de celles-là seulement, mes chers collègues ! Tous les autres jugements ne font l’objet d’aucun travail d’analyse ou d’indexation. Si l’on imagine un système dans lequel cent fois plus de décisions de justice feraient l’objet d’un tel travail, on se trouverait alors devant une impossibilité humaine et durable d’y faire face.

Certes, il est sans doute utile de produire un tel amas de décisions de justice non traitées. Comme le laisse entendre Jean-Yves Leconte, cela permettra de réaliser des statistiques sur l’occurrence plus ou moins fréquente de tel ou tel terme, et on pourra certainement en tirer quelques observations. En revanche, si l’objectif est d’améliorer l’information du public et de l’éclairer, la valeur ajoutée d’une telle mesure est extrêmement superficielle. Ou alors, cela supposerait un travail encyclopédique absolument colossal.

Ensuite, s’agissant de l’anonymisation des données, il me semble que l’objection soulevée par Mme la secrétaire d’État sur l’amendement de M. le rapporteur n’a aucune valeur : il est en effet très facile de vérifier si une décision rendue est définitive ou pas. Il suffit d’apprécier ce que la juridiction d’origine sait forcément, à savoir si son jugement a été frappé d’appel ou pas. Si la décision de justice n’a pas été frappée d’appel, elle est définitive ! Cela ne représente donc aucun travail supplémentaire.

Sur la question de l’anonymisation des données, j’ai plus que du mal à suivre votre raisonnement, madame la secrétaire d’État. En effet, si ce que vous dites est parfaitement établi juridiquement, il n’est pas nécessaire d’introduire dans le code de justice administrative la mise à la disposition du public des jugements, à titre gratuit, dans le respect de la vie privée des personnes concernées. Vous ajoutez ainsi une contrainte normative supplémentaire, ce qui représente une charge d’analyse en plus.

M. le président. Veuillez conclure, mon cher collègue !

M. Alain Richard. Or il suffit de parcourir Legifrance, madame la secrétaire d’État, pour savoir que l’anonymisation est superficielle, même pour la partie de la jurisprudence qui a déjà été traitée. Il n’y a certes pas le nom des parties, notamment du requérant. En revanche, lorsqu’on lit la décision, on reconnaît instantanément, notamment lorsque les requérants sont des institutions ou des organismes collectifs, de qui il s’agit et les engagements des différents protagonistes.

Madame la secrétaire d’État, avant d’introduire dans vos amendements une limitation à la publication des données qui serait liée au respect de la vie privée,…

M. le président. Il faut conclure, mon cher collègue !

M. Alain Richard. … avez-vous apprécié et évalué le travail supplémentaire que cela représenterait d’expurger les décisions destinées à être mises en ligne ?

M. le président. La parole est à Mme Corinne Bouchoux, pour explication de vote.

Mme Corinne Bouchoux. Nous sommes parvenus à un moment crucial du débat où s’opposent des cultures différentes. Je ne parlerai pas de choc générationnel, parce que je fais partie de cette ancienne génération, de cette génération du siècle passé, qui a eu un peu de mal à se faire aux nouvelles technologies.

Cependant, maintenant que je les maîtrise, je pense qu’au fondement des préventions que l’on a entendues, il existe beaucoup de fausses peurs. Pourtant, je peux vous assurer, mes chers collègues, que j’appartiens à une famille politique qui est très attachée à la prévention et dans laquelle on s’inquiète d’un certain nombre de problèmes sanitaires et environnementaux.

Si nous soutenons à ce point l’open data des décisions de justice, c’est parce que nous pensons que nos concitoyens portent parfois un regard un peu inquiet, voire méfiant sur les choses, en raison de la crise de confiance que nous traversons actuellement. J’en reparlerai tout à l’heure lorsque je présenterai mon amendement relatif à l’inscription sur les listes électorales.

Par ailleurs, si depuis une quinzaine d’années, un certain nombre de préconisations européennes invitent à davantage de transparence, en appelant notamment à l’anonymisation totale des données personnelles, cela s’inscrit dans une démarche pédagogique. Tous les citoyens n’aspirent pas à soutenir une thèse de doctorat pour pouvoir éplucher notre jurisprudence. En revanche, beaucoup d’entre eux ont besoin de comprendre le pourquoi du comment d’un certain nombre de décisions et de comprendre comment cela fonctionne.

Dans un souci de transparence, et tout en garantissant le respect absolu de la vie privée – j’entends bien ce que nous a expliqué Jean-Yves Leconte –, il nous semble important d’aller vers l’open data des décisions de justice. À mon avis, tout ce qui ira dans le sens contraire sera malheureusement perçu par nos concitoyens comme la manifestation d’une inquiétude de notre part et non comme un témoignage de notre souci de protéger l’intérêt général, car celui-ci consiste à renforcer la connaissance du droit et de l’application de la jurisprudence qu’ont les citoyens.

M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° 448 rectifié.

(L'amendement n'est pas adopté.)

M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° 447 rectifié.

(L'amendement n'est pas adopté.)

M. le président. Je mets aux voix le sous-amendement n° 659.

(Le sous-amendement est adopté.)

M. le président. Je mets aux voix l’amendement n° 581, modifié.

(L'amendement est adopté.)

M. le président. L’amendement n° 604, identique à l’amendement n° 581, est considéré comme adopté, également modifié.

Un article additionnel ainsi rédigé est inséré dans le projet de loi, après l’article 12.

Je mets aux voix le sous-amendement n° 660.

(Le sous-amendement est adopté.)

M. le président. Je mets aux voix l’amendement n° 582, modifié.

(L'amendement est adopté.)

M. le président. L’amendement n° 577, identique à l’amendement n° 582, est considéré comme adopté, également modifié.

Un article additionnel ainsi rédigé est inséré dans le projet de loi, après l’article 12.

L’amendement n° 345 rectifié, présenté par Mme Bouchoux et les membres du groupe écologiste, est ainsi libellé :

Après l'article 12

Insérer un article additionnel ainsi rédigé :

Le premier alinéa de l’article L. 17 du code électoral est complété par une phrase ainsi rédigée :

« Les documents déterminant les contours de ce périmètre sont publiés en ligne dans un standard ouvert et aisément réutilisable. »

La parole est à Mme Corinne Bouchoux.

Mme Corinne Bouchoux. Nous savons qu’il existe une désaffection croissante des concitoyens pour la chose publique, et pour les élections en particulier. Une députée – on peut d’ailleurs la féliciter pour son élection –, a été élue dimanche dernier grâce à 10 % seulement du corps électoral, quand on analyse les faits et l’abstention.

Par conséquent, la question de la participation électorale est non seulement une question d’appétence de nos concitoyens pour ce que nous proposons, mais aussi une question liée à l’inscription sur les listes électorales.

Le présent amendement tend à prévoir la publication des documents déterminant les contours du périmètre des bureaux de vote dans un standard ouvert et aisément réutilisable.

Cette mesure vise à lutter contre la « mal-inscription » et peut avoir un effet sur la participation effective le jour du vote. Elle pourra également être utile pour les chercheurs et pour ceux qui souhaitent organiser des campagnes électorales.

Aujourd'hui, on peut trouver sur le site du ministère de l’intérieur les résultats des élections depuis 2007 à l’échelle des bureaux de vote, mais on ne sait pas à quoi ces bureaux correspondent géographiquement parlant, puisqu’il n’est fait mention que des numéros des bureaux.

Nous proposons simplement que les préfectures publient en ligne et dans un standard ouvert, par exemple sur le site data.gouv.fr, l’ensemble des arrêtés qui délimitent le périmètre des bureaux de vote. Ce recueil des arrêtés préfectoraux n’est pas disponible en ligne, ou alors pas dans un standard ouvert ou de façon très éparpillée. Aujourd’hui, nous restons donc au milieu du gué et c’est pourquoi nous proposons d’aller plus loin.

Les effets de la mesure sur la « mal-inscription » et l’abstention pourraient être significatifs : un individu qui habite dans une zone rurale et déménage pourrait désormais se rendre sur le site internet et connaître le bureau de vote dont il dépend. Rien ne garantit l’accès à cette information en ligne aujourd'hui. À l’ère du numérique, la mauvaise qualité des informations disponibles représente pourtant un préjudice pour tous les citoyens qui souhaitent participer aux élections.

Cet amendement tend à renforcer le civisme et l’intérêt que nos concitoyens portent à l’échelon local en matière électorale. S’il est adopté, il poussera peut-être les plus jeunes à s’intéresser davantage au périmètre des élections.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

M. Christophe-André Frassa, rapporteur. Cet amendement a pour objet de permettre la publication en open data du périmètre géographique des bureaux de vote. Or il est délicat d’en apprécier la portée concrète et la faisabilité.

Pour lever ces interrogations, il serait plus cohérent, comme le prévoit d’ailleurs l’amendement n° 344 qui va suivre, d’examiner la pertinence de cette nouvelle obligation lors de la modernisation de la procédure électorale qui devrait intervenir dans le cadre de l’examen des propositions de loi déposées en 2016 par nos collègues députés, Élisabeth Pochon et Jean-Luc Warsmann.

Je vous demanderai donc, madame la sénatrice, de bien vouloir retirer votre amendement ; à défaut, j’émettrai un avis défavorable.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

Mme Axelle Lemaire, secrétaire d'État. Je partage l’avis du rapporteur. L’objectif des auteurs de l’amendement est parfaitement compréhensible, mais, à l’heure actuelle, le périmètre des bureaux de vote est fixé chaque année par arrêté des préfets ou des représentants de l’État, pour ce qui est de l’outremer, en application du code électoral. Du fait de cette procédure décentralisée, au niveau de chaque préfecture, la publication dans un format uniforme requiert d’évaluer au préalable le coût d’une telle opération.

Ce sont, en effet, près de 68 000 bureaux de vote qui sont concernés. Il faudrait donc réaliser un important travail de numérisation des arrêtés, notamment des plus anciens, puisque les arrêtés peuvent être très anciens si le périmètre des bureaux de vote n’a pas été actualisé ou modifié depuis plusieurs années.

Dès lors, il est tout à fait envisageable de renvoyer ce sujet à l’examen de la proposition de loi des députés Élisabeth Pochon et Jean-Luc Warsmann sur le répertoire électoral unique, examen qui aura lieu au mois de juin.

Les différents amendements dont nous débattons ici ont le mérite de soulever un certain nombre d’interrogations, et ce dans tous les secteurs de l’action publique, que celle-ci soit du ressort du pouvoir exécutif, du pouvoir judiciaire ou du Parlement. Effectivement, c’est peut-être une étape que nous serons amenés à franchir tous ensemble ; mais il faut s’engager dans cette évolution en pleine conscience des enjeux et des impacts !

M. le président. Madame Bouchoux, l’amendement n° 345 rectifié est-il maintenu ?

Mme Corinne Bouchoux. Je le maintiens, monsieur le président.

M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° 345 rectifié.

(L'amendement n'est pas adopté.)

M. le président. L'amendement n° 344, présenté par Mme Bouchoux et les membres du groupe écologiste, est ainsi libellé :

Après l'article 12

Insérer un article additionnel ainsi rédigé :

I. – Le premier alinéa de l’article L. 28 du code électoral est complété par une phrase ainsi rédigée :

« Elles sont publiées dans un standard ouvert, aisément réutilisable et exploitable par un système automatisé de traitement des données. »

II. – Un décret en Conseil d'État pris après avis de la Commission nationale de l'informatique et des libertés précise les modalités d'application du présent article.

La parole est à Mme Corinne Bouchoux.

Mme Corinne Bouchoux. J’entends bien les préventions et les réserves exprimées, les difficultés invoquées – à défaut de solutions.

J’en viens maintenant à un autre sujet, sur lequel nous sommes régulièrement interrogés. J’imagine ce que vous allez me dire, madame la secrétaire d’État : je pose une bonne question… Mais je devine aussi quelle pourrait être votre réponse !

Cet amendement tend à prévoir la publication des listes électorales dans un standard ouvert, aisément réutilisable et exploitable par un système automatisé de traitement des données.

Tout citoyen se verrait ainsi reconnaître le droit d’obtenir, non plus seulement la communication – par CD-ROM –, mais également la mise en ligne de son inscription sur une liste électorale. Cette mesure permettrait de lutter contre la non-inscription et la « mal-inscription », tout en respectant, bien évidemment, les dispositions en vigueur.

La « mal-inscription » sur les listes électorales est un sujet majeur et sous-estimé.

Vous connaissez, mes chers collègues, le nombre de personnes qui sont inscrites sur les listes électorales et ne votent plus : elles se comptent en millions. Mais il y aurait aussi, aujourd’hui, 3 millions de personnes qui ne sont pas inscrites sur les listes électorales, alors qu’elles pourraient l’être. À cet égard, je vous renvoie à un ouvrage très intéressant, intitulé La démocratie de l’abstention : aux origines de la démobilisation électorale en milieux populaires.

À l’heure actuelle, il n’est pas toujours facile de savoir si l’on est bien inscrit sur les listes électorales et de connaître son lieu d’inscription. Ce manque d’information peut constituer un frein administratif et peser sur la participation électorale.

Notre amendement, certainement imparfait, tend à remédier à ce problème. À tout le moins permet-il de poser le débat. Nous pensons, j’y insiste, qu’un meilleur accès à l’information permettrait à chaque électeur potentiel de savoir où il en est.

J’ajoute que cet article additionnel nous semble cohérent avec l’article 4 du présent projet de loi, prévoyant que les données publiques comportant des données personnelles doivent être rendues anonymes avant publication, sauf disposition législative contraire.

Toutefois, je ferai de cet amendement un amendement d’appel, afin que le chantier soit repris par nos collègues de la commission des lois. Pas uniquement eux, d’ailleurs ! En effet, actuellement presque tous les textes de loi en cours d’examen passent par la commission des lois. Ici, il s’agit bien d’un sujet transverse.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

M. Christophe-André Frassa, rapporteur. Conformément à ce que j’annonçais précédemment, nous en venons, après le périmètre des bureaux de vote, à l’accès aux listes électorales par le biais de l’open data.

Cet amendement n° 344 tend effectivement à autoriser la publication en open data des listes électorales, sans restriction aucune. Son adoption permettrait une réutilisation des données contenues sur les listes électorales, notamment les noms, prénoms, adresse, auxquels j’ajouterai – mes collègues représentant les Français de l’étranger comprendront de quoi je parle – l’adresse électronique pour tous les Français inscrits sur les listes électorales consulaires.

Cet amendement suscite donc, sur le fond, de sérieuses réserves.

En outre, je l’ai également signalé tout à l’heure, plusieurs propositions de loi déposées en 2015 par M. Jean-Luc Warsmann et Mme Élisabeth Pochon à la suite de leur rapport d’information devraient être examinées cette année pour moderniser la procédure de révision des listes électorales, y compris celles des Français de l’étranger. Il serait donc plus cohérent d’examiner la pertinence de ces dispositions à cette occasion.

À mon sens, la diffusion des listes électorales en open data devrait être rigoureusement encadrée. En tout cas, je ne vois pas comment on pourrait mieux encadrer, à travers ce mode de diffusion, les dispositions du code électoral, lequel permet déjà à de nombreux citoyens d’accéder aux listes électorales.

Je suis aussi extrêmement réservé sur cette disposition du fait de l’usage qui pourrait être fait des données. Dès lors que, selon le code électoral, on peut tout faire des listes électorales, sauf en avoir un usage commercial, il y a toujours la crainte qu’avec l’open data, les données finissent dans des mains peu expertes ou mal avisées. Je rappelle, toujours s’agissant des Français de l’étranger, que certaines listes électorales consulaires ne sont même pas rendues publiques pour des raisons évidentes de sécurité.

Mais, madame Bouchoux, vous avez au moins le mérite, je tiens à le souligner, d’ouvrir la discussion sur le sujet. J’espère que nous pourrons avoir ce débat à l’occasion de l’examen des deux propositions de loi déjà citées en commission des lois – car, à ce jour, c’est bien par la commission des lois qu’il est prévu qu’elles transitent !

Je demande donc le retrait de cet amendement. À défaut, l’avis sera défavorable.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

Mme Axelle Lemaire, secrétaire d'État. Je partage l’avis du rapporteur, tout en défendant, peut-être, une position plus nuancée.

S’il s’agit bien de lutter contre la « mal-inscription », voire contre la non-inscription sur les listes électorales, l’objectif est tout à fait compréhensible et le Gouvernement le partage. Effectivement, beaucoup de nos concitoyens ne savent simplement pas sur quelle liste électorale ils sont inscrits et, de surcroît, l’information est très difficile à obtenir.

Dès lors, pourquoi exprimer des réserves ?

Les raisons sont tout d’abord d’ordre juridique.

Les dispositions relatives à la communication des listes électorales subordonnent cette communication des listes à tout candidat, parti politique et électeur à une condition expresse, qui, pour l’électeur, est la suivante : ne pas en faire un usage commercial. Cet ensemble juridique vise à s’assurer que les listes électorales sont bien utilisées exclusivement dans un but électoral.

Or cet amendement rendrait possibles une réutilisation et une exploitation des listes de façon beaucoup plus ouverte, sans vérification de l’identité et de la qualité de l’utilisateur, ni même de la finalité de l’usage des données. C’est là ouvrir une brèche dangereuse.

Par ailleurs, la mesure proposée dérogerait au principe d’anonymisation des bases de données administratives avant leur publication. C’est possible juridiquement, mais cela poserait de sérieuses questions quant au respect de la vie privée.

Je ne m’étendrai pas sur les difficultés pratiques engendrées par l’adoption d’un tel amendement, mais sachez, mesdames, messieurs les sénateurs, qu’aujourd'hui, un quart des communes n’utilisent pas encore de logiciels de communication dématérialisée des listes électorales aux préfectures et conservent ces listes sous des formats multiples, qu’ils soient numériques ou analogiques.

Il faut distinguer, me semble-t-il, la question de la publication des listes électorales en open data de celle de l’accès individuel à ces listes. Je pense, par exemple, au téléservice mis en place par la ville de Paris et permettant d’obtenir, en ligne, une information plus restreinte sur les inscrits.

Il est vrai que mon expérience d’élue représentant les Français de l’étranger, en plus dans une circonscription comprenant la ville de Londres, où la mobilité géographique est extrêmement forte du fait d’un marché de l’immobilier très tendu, me pousse à voir, dans cette mesure, une avancée très utile pour nos concitoyens. Mais celle-ci n’est pas exclue, puisque le ministère de l’intérieur y réfléchit, notamment dans le cadre de la création d’un répertoire électoral unique.

Je forme le souhait, ici, que cette réflexion soit poursuivie, notamment dans le cadre de l’examen des propositions de loi déposées par les députés Élisabeth Pochon et Jean-Luc Warsmann – j’ai déjà eu l’occasion de les mentionner –, dont l’objet est la rénovation des modalités d’inscription sur les listes électorales.

Nous sommes là au cœur du sujet que vous soulevez, madame Bouchoux. Je crois donc que la discussion pourra se poursuivre.

M. le président. La parole est à Mme Corinne Bouchoux, pour explication de vote.

Mme Corinne Bouchoux. J’ai bien pris note de tous les arguments qui m’ont été opposés – ils sont parfaitement recevables – et je ne voudrais pas donner l’impression que je refuse d’entendre les différentes objections. Mais j’insiste sur le fait qu’il y a là un vrai sujet, une problématique préoccupant un certain nombre de citoyens et d’associations. Il faut donc expliquer en quoi cela n’est pas possible, pourquoi cela pose question.

Par ailleurs, vous avez raison, monsieur le rapporteur, notamment au sujet des Français de l’étranger – une question que je connais bien. Mais il faut voir, aussi, le détail des informations qu’un certain nombre de nos concitoyens, d’ici et d’ailleurs, diffusent sur leur compte Twitter ou Facebook : « Bonjour, je sors de l’hôpital, tout va bien » ; « Je suis en vacances, il fait beau ». Par conséquent, j’entends bien l’argument sécuritaire, mais il faut peut-être que chacun l’applique dans sa communication. En d’autres termes, le problème est un peu plus complexe !

Cela étant, je retire bien volontiers mon amendement.

M. le président. L’amendement n° 344 est retiré.

L'amendement n° 633, présenté par le Gouvernement, est ainsi libellé :

Après l'article 12

Insérer un article additionnel ainsi rédigé :

I. – Le chapitre IX du titre Ier du code de la voirie routière est complété par un article L. 119-1-1 ainsi rédigé :

« Art. L. 119-1-1 – Il est institué sous la responsabilité du ministre chargé de la sécurité routière une base de données nationale des vitesses maximales autorisées sur le domaine public routier.

« Cette base de données a pour finalité de fiabiliser les informations relatives à la circulation routière et de développer des services innovants.

« Les gestionnaires du domaine public routier communiquent à l’autorité prévue au premier alinéa les informations relatives à la vitesse maximale autorisée en vigueur sur leurs réseaux routiers, au travers d’un mode de transmission électronique qui est mis gratuitement à leur disposition par l’État. Cette communication est facultative pour les gestionnaires du domaine public routier des collectivités territoriales de moins de 3 500 habitants.

« Un décret en Conseil d’État fixe la liste des informations à transmettre et les modalités de ces transmissions. »

II. – Le troisième alinéa de l’article L. 119-1-1 du code de la voirie routière, dans sa rédaction résultant de la présente loi, entre en vigueur le 1er janvier 2018 en tant qu’il concerne les collectivités territoriales et leurs groupements.

La parole est à Mme la secrétaire d'État.

Mme Axelle Lemaire, secrétaire d'État. Cet amendement tend à créer une base de données en ligne recensant les vitesses maximales autorisées sur le territoire national. Pratique et utile, il participe à la mise en œuvre d’une décision prise lors du comité interministériel de la sécurité routière, le 2 octobre dernier.

Une telle base de données permettra à tout conducteur de connaître en temps réel, notamment via des outils d’aide à la conduite, la limite de vitesse du tronçon routier qu’il emprunte. Les données recueillies seraient donc accessibles à tout éditeur de logiciel, pour une information la plus fiable possible.

Le Gouvernement s’engage fermement en faveur de la sécurité routière. Le ministre de l’intérieur a encore très récemment mobilisé les préfets et les maires pour accentuer les contrôles routiers. Mais au-delà des contrôles et, éventuellement, des sanctions, il faut renforcer le volet prévention de la stratégie en matière de sécurité routière. C’est le sens de cette mesure : permettre que chacun, en définitive, soit acteur du sujet.

La création de la base a vocation à impliquer tous les gestionnaires du domaine public routier, avec un soutien fort de l’État pour faciliter au mieux sa réalisation.

Nous mettrons à disposition un moyen électronique simple de transmission pour opérer le recueil d’informations, avec, pour laisser du temps à chacun, une entrée en vigueur prévue au 1er janvier 2018.

En outre, l’obligation de transmission ne s’applique pas aux gestionnaires des collectivités territoriales de moins de 3 500 habitants. Il fallait tenir compte de leurs contraintes ; c’est donc le volontariat qui a été retenu les concernant. Toutefois, nous espérons que ces collectivités répondront à l’appel afin que la base soit la plus exhaustive possible.

En tout cas, le Gouvernement s’engagera à accompagner les petites communes. J’espère donc, mesdames, messieurs les sénateurs, que vous vous engagerez à accompagner le Gouvernement dans cette évolution qui me semble favorable pour la sécurité routière : la bonne information, en toute transparence, de nos concitoyens sur les routes.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

M. Christophe-André Frassa, rapporteur. La mise à disposition des vitesses maximales autorisées en open data avait été annoncée dès notre première rencontre, madame la secrétaire d’État.

Avec cet amendement, le Gouvernement concrétise cette annonce, en proposant la création d’une base de données recensant les vitesses maximales autorisées sur toutes les routes de France.

Certes, les articles R. 413-1 à R. 413-16 du code de la route fixent des vitesses maximales en fonction du type de routes, mais ces vitesses peuvent être réduites pour des raisons liées à la sécurité routière, l’ordre public ou pour des motifs environnementaux. En l’état du droit, il est donc difficile de connaître la vitesse maximale de toutes les routes, même si des entreprises mettant à disposition les systèmes de géopositionnement par satellite, ou GPS, ont mené des études empiriques pour centraliser ces informations.

La mesure ici proposée est utile et nécessaire pour la sécurité routière. Des précautions sont prises pour ne pas trop alourdir les charges des gestionnaires du domaine public routier, avec, notamment, la mise en œuvre d’un mode de transmission électronique gratuit. C’est en outre une mesure attendue.

La commission a donc émis un avis favorable sur cet amendement du Gouvernement.

M. le président. La parole est à M. Yves Détraigne, pour explication de vote.

M. Yves Détraigne. Si j’ai bien compris, les communes de moins de 3 500 habitants ne seraient pas tenues d’alimenter la base de données, ce qui reviendrait à construire un véritable piège à contraventions.

M. Philippe Dallier. C’est certain !

M. Yves Détraigne. En effet, les communes de moins de 3 500 habitants sont certainement beaucoup plus nombreuses dans notre pays que les communes de plus de 3 500 habitants. Un automobiliste circulant sur une même voie risquera donc de se faire piéger s’il se trouve sur le territoire d’une commune de moins de 3 500 habitants, alors que tout ira bien pour lui s’il traverse le territoire d’une commune de plus de 3 500 habitants. Soit je n’ai pas compris, mes chers collègues, soit la logique de ce système m’échappe !

M. le président. Je mets aux voix l’amendement n° 633.

(L'amendement est adopté.)

M. le président. En conséquence, un article additionnel ainsi rédigé est inséré dans le projet de loi, après l’article 12.

Articles additionnels après l'article 12
Dossier législatif : projet de loi pour une République numérique
Article 12 bis (nouveau) (interruption de la discussion)

Article 12 bis (nouveau)

Le code de l’énergie est ainsi modifié :

1° Après l’article L. 111-73, il est inséré un article L. 111-73-1 ainsi rédigé :

« Art. L. 111-73-1. – Dans le cadre des missions qui leur sont confiées à l’article L. 322-8, les gestionnaires des réseaux publics de distribution d’électricité sont chargés, en vue de permettre la réutilisation des données détaillées de consommation et de production issues de leur système de comptage d’énergie, dans l’objectif de favoriser notamment le développement d’offres d’énergie, d’usages et de services énergétiques :

« 1° De procéder au traitement de ces données dans le respect des secrets protégés par la loi ;

« 2° De les mettre à disposition du public par voie électronique, dans un format ouvert aisément réutilisable, c’est-à-dire lisible par une machine, et sous une forme agrégée garantissant leur caractère anonyme.

« Un accès centralisé à ces données peut être mis en place par l’autorité administrative selon des modalités précisées en tant que de besoin par décret.

« Un décret pris après avis de la Commission nationale de l’informatique et des libertés précise les modalités d’application du présent article, qui tiennent compte du déploiement des dispositifs prévus au premier alinéa de l’article L. 341-4. Il détermine la nature des données détaillées concernées et les modalités de leur traitement. »

2° Après l’article L. 111-77, il est inséré un article L. 111-77-1 ainsi rédigé :

« Art. L. 111-77-1. – Dans le cadre des missions qui leur sont confiées à l’article L. 432-8, les gestionnaires des réseaux publics de distribution de gaz naturel sont chargés, en vue de permettre la réutilisation des données détaillées de consommation et de production issues de leur système de comptage d’énergie, dans l’objectif de favoriser notamment le développement d’offres d’énergie, d’usages et de services énergétiques :

« 1° De procéder au traitement de ces données dans le respect des secrets protégés par la loi ;

« 2° De les mettre à disposition du public par voie électronique, dans un format ouvert aisément réutilisable, c’est-à-dire lisible par une machine, et sous une forme agrégée garantissant leur caractère anonyme.

« Un accès centralisé à ces données peut être mis en place par l’autorité administrative selon des modalités précisées en tant que de besoin par décret.

« Un décret pris après avis de la Commission nationale de l’informatique et des libertés précise les modalités d’application du présent article, qui tiennent compte du déploiement des dispositifs prévus au premier alinéa de l’article L. 453-7. Il détermine la nature des données détaillées concernées et les modalités de leur traitement. »

M. le président. L'amendement n° 454, présenté par Mme Assassi, MM. Bosino, Abate et les membres du groupe communiste républicain et citoyen, est ainsi libellé :

Supprimer cet article.

La parole est à M. Jean-Pierre Bosino.

M. Jean-Pierre Bosino. De notre point de vue, cet article 12 bis, introduit en commission, illustre parfaitement les questions que nous posons depuis le début de nos débats : à qui profite la donnée ouverte et quelles sont les limites des bienfaits attendus ou supposés d’un accès libre aux données ?

Lors des débats sur la loi du 17 août 2015 relative à la transition énergétique pour la croissance verte et sur la loi, dite Macron, du 6 août 2015 pour la croissance, l’activité et l’égalité des chances économiques, nous avions affirmé notre opposition à la mise en place d’un marché de l’effacement concernant l’électricité, rappelant que celui-ci devait être porté par des acteurs publics de l’énergie.

Nous avions aussi défendu des amendements afin que la pose des fameux compteurs Linky se fasse avec l’accord des usagers. Ces compteurs communicants auront effectivement, selon leur utilisation, un impact considérable sur la vie privée de nos concitoyens.

Aujourd’hui, les motivations qui sous-tendent l’article 12 bis du projet de loi, visant à prévoir la mise à disposition des données, sont extrêmement claires. Il s’agit de permettre leur réutilisation par des tiers à des fins de développement de nouvelles activités économiques, comme les solutions d’effacement ou encore la mise au point de nouveaux objets connectés. Il ne s’agit plus de permettre aux usagers de contrôler leur consommation, une idée plutôt intéressante, bien que partant du principe selon lequel les gens gaspilleraient l’électricité par plaisir.

On nous explique que les données ainsi mises à disposition devront être suffisamment agrégées pour garantir leur anonymisation ; nous vous ferons, nous, la démonstration de la vacuité de cette proposition. Ce qui est organisé, ce n’est pas une République numérique ; c’est la captation organisée de données personnelles pour la création de marchés spéculatifs !

Rappelons que la Commission nationale de l’informatique et des libertés, la CNIL, a posé des limites lorsqu’elle a été consultée sur les compteurs Linky : que les données ainsi récoltées ne quittent pas le domicile de l’abonné et ne soient pas transmises à des tiers.

Alors que le déploiement des compteurs intelligents n’est pas finalisé, que de nombreuses questions – émanant notamment de communes, opposées à ce déploiement – sont encore en suspens quant à la protection des données personnelles et au respect de la vie privée, que l’acceptation de ce nouveau compteur par nos concitoyens est loin d’être unanime, cet article tend à organiser la marchandisation de l’usager. Cela n’est pas acceptable !

M. le président. Quel est l’avis de la commission des affaires économiques ?

M. Bruno Sido, rapporteur pour avis de la commission des affaires économiques. Cet amendement vise à supprimer l’article 12 bis, ayant pour objet d’organiser l’ouverture des données énergétiques dans le prolongement du déploiement des compteurs communicants.

Ses auteurs invoquent un double motif : d’une part, ces nouveaux compteurs susciteraient encore des oppositions ; d’autre part, ces données risqueraient de « renforcer le mouvement spéculatif autour du marché de l’effacement ». Dans les deux cas, il s’agit de questions que nous avons déjà tranchées lors de l’examen de la loi relative à la transition énergétique pour la croissance verte.

En outre, dans le cadre du présent article, la commission des affaires économiques a veillé à assurer la meilleure protection des données personnelles, en prévoyant explicitement l’agrégation des données ouvertes pour en garantir le caractère anonyme ainsi que l’avis de la CNIL sur le décret d’application.

Pour ces raisons, son avis est défavorable sur l’amendement n° 454.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

Mme Axelle Lemaire, secrétaire d'État. Il est également défavorable.

Cet amendement vise à supprimer l’article 12 bis du projet de loi, au motif que des questions relatives, entre autres sujets, à la protection des données personnelles seraient en suspens, sans parler de l’acceptabilité sociale du déploiement des compteurs intelligents, notamment des compteurs Linky. Il me semble néanmoins que le présent débat ne porte pas sur ce dernier point.

Le Gouvernement estime que ces inquiétudes sont infondées. Le traitement des données doit être naturellement réalisé dans le respect du droit commun, notamment de la vie privée et des secrets protégés par la loi. La mise à disposition du public doit donc se faire sous une forme garantissant le caractère totalement anonyme des données. En outre, les modalités de cette mise à disposition en open data doivent être précisées par un décret pris après avis de la CNIL.

Ces précisions, mesdames, messieurs les sénateurs, sont destinées à vous éclairer sur le contenu de ces dispositions sectorielles de l’open data. En effet, nous sommes sortis de l’analyse plus globale, créant des notions juridiques, pour examiner leur application à différents secteurs. C’était la logique défendue dans le projet de loi sur les nouvelles opportunités économiques, dit NOE, qui n’a pas vu le jour : l’application sectorielle – ici aux consommations d’électricité et de gaz – des données d’intérêt général et de l’open data.

M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Bosino, pour explication de vote.

M. Jean-Pierre Bosino. J’entends l’argumentation, mais une certaine contradiction demeure. On nous garantit l’anonymisation des données, y compris dans le cadre de l’utilisation des compteurs Linky. Or ce matin, la commission des affaires économiques auditionnait M. Jean-Bernard Levy, le président d’EDF, lequel nous a donné l’explication suivante : l’installation des compteurs Linky est obligatoire, seule la transmission des données est optionnelle pour les usagers, que lui appelle des clients.

M. Bruno Sido, rapporteur pour avis. Non !

M. Jean-Pierre Bosino. C’est bien ce que M. Levy nous a expliqué, au regard des oppositions qui se manifestent au sujet des compteurs Linky.

Si on demande aux usagers d’accepter de transmettre un certain nombre de données, par nature, celles-ci ne seront plus anonymes. À quoi seront-elles utilisées ? C’est sur ce point que nous avons des inquiétudes !

M. le président. La parole est à M. Bruno Sido, rapporteur pour avis.

M. Bruno Sido, rapporteur pour avis. J’ai moi aussi participé à l’audition du président d’EDF. Celui-ci nous a expliqué que le relevé du compteur serait obligatoire – comme à l’heure actuelle – et se ferait automatiquement par le biais du courant porteur en ligne, et non plus au travers d’une intervention humaine. En revanche, l’utilisation qui pourra être faite, demain ou après-demain, du compteur Linky sera optionnelle, sur la base du volontariat de chacun, et permettra de gérer la problématique des pointes.

M. Jean-Pierre Bosino. C’est bien ce que j’ai dit !

M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° 454.

(L'amendement n'est pas adopté.)

Article 12 bis (nouveau) (début)
Dossier législatif : projet de loi pour une République numérique
Discussion générale

15

Demande d'avis sur un projet de nomination

M. le président. M. le Premier ministre, par lettre en date du 27 avril 2016, a demandé à M. le président du Sénat de lui faire connaître l’avis de la commission du Sénat compétente en matière de coopération internationale sur le projet de nomination de M. Rémy Rioux aux fonctions de directeur général de l’Agence française de développement.

Cette demande d’avis a été transmise à la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées.

Acte est donné de cette communication.

16

Dépôt d’un document

M. le président. M. le président du Sénat a reçu de M. le Premier ministre le contrat d’objectifs et de moyens de l’agence française d’expertise technique internationale, Expertise France.

Acte est donné du dépôt de ce document.

Il a été transmis à la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées et à celle de la culture, de l’éducation et de la communication.

Mes chers collègues, nous allons maintenant interrompre nos travaux ; nous les reprendrons à vingt et une heures trente.

La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à dix-neuf heures cinquante-cinq, est reprise à vingt et une heures trente-cinq, sous la présidence de Mme Jacqueline Gourault.)

PRÉSIDENCE DE Mme Jacqueline Gourault

vice-présidente

Mme la présidente. La séance est reprise.

17

Article 12 bis (nouveau) (interruption de la discussion)
Dossier législatif : projet de loi pour une République numérique
Article 12 bis (nouveau)

République numérique

Suite de la discussion en procédure accélérée d’un projet de loi dans le texte de la commission

Mme la présidente. Nous reprenons la discussion du projet de loi, adopté par l’Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, pour une République numérique.

Dans la discussion du texte de la commission, nous poursuivons, au sein de la section 2 du chapitre Ier du titre Ier, l’examen des amendements déposés à l’article 12 bis.

TITRE IER (suite)

LA CIRCULATION DES DONNÉES ET DU SAVOIR

Chapitre Ier (suite)

Économie de la donnée

Section 2 (suite)

Données d’intérêt général

Discussion générale
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Articles additionnels après l'article 12 bis

Article 12 bis (nouveau) (suite)

Mme la présidente. L'amendement n° 63 rectifié bis, présenté par MM. Pintat, Revet, B. Fournier, D. Laurent, Longeot et Mouiller, est ainsi libellé :

I. – Alinéa 3

Après la référence :

L. 322-8

insérer les mots :

et sans préjudice du troisième alinéa du I de l’article L. 2224-31 du code général des collectivités territoriales

II. – Alinéa 9

Après la référence :

L. 432–8

insérer les mots :

et sans préjudice du troisième alinéa du I de l’article L. 2224-31 du code général des collectivités territoriales

La parole est à M. Bernard Fournier.

M. Bernard Fournier. Est-il besoin de rappeler que les collectivités territoriales ont en charge l’organisation du service public local de fourniture d’électricité ? À ce titre, garantir la bonne information des élus, c’est garantir une gestion efficace de nos réseaux.

L’objet de cet amendement est de prévenir toute ambiguïté. Pour ce faire, il s’agit de distinguer clairement les obligations assignées aux gestionnaires de réseaux de distribution en matière d’ouverture des données au public, et celles qui s’imposent à eux en leur qualité de concessionnaires des collectivités territoriales et de leurs groupements.

Les obligations d’information assignées actuellement aux concessionnaires ne doivent pas être réduites.

Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission des affaires économiques ?

M. Bruno Sido, rapporteur pour avis de la commission des affaires économiques. Cet amendement porte sur un sujet important, l’ouverture au public des données énergétiques et la transmission de ces données par les gestionnaires de réseaux aux autorités concédantes.

Il s’agit de préciser l’articulation entre, d’une part, la mission nouvelle confiée aux gestionnaires de réseaux de distribution d’électricité et de gaz par cet article 12 bis, et, d’autre part, les missions qui leur ont été confiées par la loi relative à la transition énergétique pour la croissance verte.

Afin de lever toute ambiguïté ou confusion éventuelle entre ces deux types de missions – open data et transmission des données aux autorités concédantes –, l’amendement prévoit donc de préciser que la présente mission s’exerce « sans préjudice du troisième alinéa du I de l’article L. 2224-31 du code général des collectivités territoriales » qui fixe le régime juridique applicable aux concessions d’électricité et de gaz.

En conséquence, la commission émet un avis favorable sur cette clarification, les auteurs de l’amendement ayant accepté de le rectifier, sur la suggestion de la commission des affaires économiques, pour préciser la référence visée.

Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?

Mme Axelle Lemaire, secrétaire d'État auprès du ministre de l'économie, de l'industrie et du numérique, chargée du numérique. Le Gouvernement sollicite le retrait de cet amendement ; à défaut, il émettra un avis défavorable.

La précision proposée semble déjà satisfaite par le code général des collectivités territoriales et le code de l’énergie, qui encadrent précisément la transmission d’informations des gestionnaires de réseaux de distribution aux autorités concédantes concernant l’inventaire et la valeur des ouvrages de distribution, les données de consommation retraitées et destinées à l’exercice de leur mission. Cette transmission d’informations aux autorités concédantes n’est pas remise en cause par l’open data tel qu’il est prévu à l’article 12 bis.

Mme la présidente. Monsieur Fournier, l’amendement n° 63 rectifié bis est-il maintenu ?

M. Bernard Fournier. Oui, madame la présidente.

Mme la présidente. Je le mets aux voix.

(L'amendement est adopté.)

Mme la présidente. L'amendement n° 227 rectifié, présenté par MM. Sueur, Leconte, Rome et Camani, Mme D. Gillot, MM. F. Marc, Assouline, Guillaume et les membres du groupe socialiste et républicain, est ainsi libellé :

I. – Alinéa 3

Après les mots :

d’électricité

insérer les mots :

et, dans le cadre des missions qui lui sont confiées à la section 2 du chapitre Ier du titre II du livre III, le gestionnaire du réseau public de transport d’électricité

II. – Alinéa 9

Après les mots :

gaz naturel

insérer les mots :

et, dans le cadre des missions qui leur sont confiées à la section 2 du chapitre Ier du titre III du livre IV, les gestionnaires de réseaux publics de transport de gaz naturel

La parole est à M. Yves Rome.

M. Yves Rome. Le présent amendement tend à ouvrir, par parallélisme, l’accès aux données dont dispose le gestionnaire du réseau de transport d’électricité au travers de ses missions de service public, car les seules données des réseaux de distribution ne donnent qu’une vision partielle du système électrique et ne suffisent pas aux besoins des acteurs.

Il vise également à généraliser et pérenniser la mise à disposition de tout public de ces données dans un format ouvert, aisément réutilisable, répondant aux critères usuels de l’open data, notamment en termes d’interopérabilité entre les systèmes d’information.

Dans la mesure où les données recueillies par le gestionnaire du réseau public de transport sont relatives à des entreprises, et non à des particuliers, l’amendement précise que leur mise à disposition doit respecter le secret en matière commerciale et industrielle.

Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission des affaires économiques ?

M. Bruno Sido, rapporteur pour avis. Cet amendement traite de l’ouverture des données par les gestionnaires de réseaux de transport d’électricité et de gaz. Dans sa version initiale, il prévoyait d’étendre l’ouverture des données énergétiques à celles dont dispose le gestionnaire du réseau de transport d’électricité, RTE, afin de disposer d’une vision complète du système électrique.

Bien qu’ils soient peu nombreux, les clients de RTE – 490 au total, dont 258 consommateurs industriels, 135 négociants, 54 producteurs d’électricité, 32 distributeurs et 11 entreprises ferroviaires – sont en effet, et logiquement, essentiels au système électrique : à titre d’exemple, la consommation industrielle des clients directement raccordés au réseau de transport – hors secteur de l’énergie – a atteint 67,6 térawattheures en 2015, quand la consommation de l’ensemble des clients raccordés aux réseaux de distribution était, pour la même année, de l’ordre de 33 térawattheures. Je dis cela non pour allonger les débats, mais pour signaler cet apport tout à fait pertinent. Du reste, RTE met déjà à la disposition du public un bon nombre de jeux de données, à la fois sur sa propre plateforme open data et sur le portail data.gouv.fr.

La commission avait proposé aux auteurs de cet amendement, qui l’ont rectifié en ce sens, d’aller au-delà en étendant ces dispositions, par cohérence, aux données des deux gestionnaires de réseaux de transport du gaz que sont GRTgaz et TIGF. Elle émet donc un avis favorable sur cet amendement.

Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?

Mme Axelle Lemaire, secrétaire d'État. Je me réjouis de la position de la commission.

Le Gouvernement n’avait pas envisagé initialement l’extension de l’open data aux données tirées de l’exploitation du réseau de transport longue distance. Cette mesure complémentaire présente néanmoins certains avantages. Les données détenues par RTE pourraient notamment permettre aux fournisseurs de services énergétiques de rendre leurs offres plus réactives à l’état du système électrique. En particulier, ceux-ci pourront prendre en compte, dans les offres d’effacement, des données relatives aux contraintes du réseau que détient cet opérateur. Concrètement, cette mesure permettrait une gestion optimale et plus intelligente du réseau, en compensant des déséquilibres temporaires entre l’offre et la demande, grâce à une connaissance beaucoup plus fine de la réalité des consommations et des échanges.

C’est pourquoi le Gouvernement est favorable à cet amendement.

Mme la présidente. Je mets aux voix l’amendement n° 227 rectifié.

(L'amendement est adopté.)

Mme la présidente. Je mets aux voix l'article 12 bis, modifié.

(L'article 12 bis est adopté.)

Article 12 bis (nouveau)
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Article 12 ter (nouveau)

Articles additionnels après l'article 12 bis

Mme la présidente. L'amendement n° 304 rectifié, présenté par MM. Bizet, G. Bailly, Cantegrit et Charon, Mmes Deroche et Duranton, MM. Emorine, B. Fournier et Houel, Mme Hummel, MM. Laménie, Laufoaulu, Lefèvre et Milon, Mme Morhet-Richaud et MM. Pointereau et Vaspart, est ainsi libellé :

Après l’article 12 bis

Insérer un article additionnel ainsi rédigé :

Après l’article L. 142-3 du code de l’énergie, il est inséré un article L. 142-3-… ainsi rédigé :

« Art. L. 142-3-… – Dans le cadre des objectifs mentionnés à l’article L. 100-2, les opérateurs mettant à la disposition du public les données thermiques et climatiques à partir des objets connectés déployés à l’intérieur des logements ou des bâtiments tertiaire sont chargés :

« 1° De procéder au traitement de ces données dans le respect des secrets protégés par la loi ;

« 2° De mettre ces données à disposition du public par voie électronique, dans un format ouvert aisément réutilisable, c’est-à-dire lisible par une machine, et sous une forme agrégée garantissant leur caractère anonyme.

« Un accès centralisé à ces données peut être mis en place par l’autorité administrative selon des modalités précisées en tant que de besoin par décret.

« Un décret pris après avis de la Commission nationale de l’informatique et des libertés précise les modalités d’application du présent article. Il détermine la nature des données détaillées concernées et les modalités de leur traitement. »

La parole est à M. Jean Bizet.

M. Jean Bizet. Cet amendement vise à ouvrir les données détaillées issues des usages thermiques tels que les thermostats connectés, voire les données climatiques des stations météo et l’affichage de température intérieure. La diffusion de l’ensemble de ces documents faciliterait ainsi le développement de nouveaux services ou d’offres plus ciblées en complément des données issues des compteurs communicants.

Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission des affaires économiques ?

M. Bruno Sido, rapporteur pour avis. Cet amendement a trait à l’ouverture des données thermiques et climatiques collectées à partir d’objets connectés.

Cet amendement vise, sur le modèle de ce qui est prévu à l’article 12 bis pour l’électricité et le gaz, à ouvrir les données thermiques et climatiques collectées à partir des objets connectés déployés dans les bâtiments à usage résidentiel ou tertiaire.

Il s’agit de disposer de données complémentaires à celles qui sont issues des compteurs communicants, afin de pouvoir proposer de nouveaux services d’efficacité énergétique. Seraient en particulier concernées les consommations de chauffage issues des thermostats connectés, qui permettent de connaître la thermosensibilité d’une zone, les données des stations météo et des afficheurs de température intérieure, mais plus largement de tout équipement connecté qui renseigne sur un usage énergétique de la maison. Évidemment, ce n’est qu’un début !

Ce dispositif soulève deux questions, monsieur Bizet.

D’une part, qui effectuera la mise à disposition des données – les fabricants, les revendeurs ou les installateurs des objets connectés concernés ? D’autre part, le champ des objets connectés et des données visées est-il suffisamment précis ?

L’amendement de M. Bizet est très avant-gardiste ; nous reconnaissons bien là notre collègue… (Sourires.)

À ce stade, nous souhaiterions entendre l’avis du Gouvernement. Cela étant, nous nous en remettons à la sagesse bien connue du Sénat.

Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?

Mme Axelle Lemaire, secrétaire d'État. La publication des données sous une forme agrégée pourrait effectivement être une source d’innovation, par le biais d’un meilleur partage des données entre les acteurs d’un secteur de l’énergie en pleine évolution. Je pense par exemple aux données des thermostats connectés : hier soir, pour augmenter la température dans mon appartement, j’ai juste appuyé sur un bouton de mon téléphone portable.

Néanmoins, le Gouvernement est défavorable à cet amendement, car les données potentiellement concernées présentent un caractère privé très marqué. Ce sont les choix personnels du consommateur, par exemple la température, qui sont intégrés dans un objet connecté. Or les questions soulevées par une telle mesure sont d’une particulière sensibilité. En outre, le champ de la mesure n’est pas clairement défini. Il impliquerait en tout état de cause une expertise plus approfondie, qui n’a pas encore été réalisée.

Le Gouvernement estime qu’il est prématuré de légiférer dans ce domaine, même si, je le reconnais, cet amendement précurseur présente un réel intérêt. Une vraie réflexion commune devrait d’abord s’engager pour apporter des réponses à ce sujet.

Mme la présidente. La parole est à M. Jean Bizet, pour explication de vote.

M. Jean Bizet. Cet amendement est effectivement avant-gardiste ! Compte tenu des explications qui ont été données, tant par M. le rapporteur pour avis que par Mme la secrétaire d’État, je veux bien me retourner vers les fabricants pour qu’ils sérient davantage le champ d’exécution et corrigent les éventuelles dérives en matière de données personnelles. J’accepte donc de retirer mon amendement. Toutefois, eu égard à la pertinence de cette approche, nous n’y échapperons pas !

Je retire l’amendement, madame la présidente.

Mme la présidente. L’amendement n° 304 rectifié est retiré.

Je suis saisie de trois amendements identiques.

L'amendement n° 173 rectifié est présenté par MM. Bizet, G. Bailly, Cantegrit, Chasseing, Chatillon, Cornu et Danesi, Mme Duranton, MM. Emorine, B. Fournier, Grand et Gremillet, Mme Gruny, MM. Houel, Laménie, D. Laurent, Lefèvre et Mandelli, Mme Morhet-Richaud et MM. Mouiller et Vaspart.

L'amendement n° 308 est présenté par M. Courteau.

L'amendement n° 550 rectifié bis est présenté par MM. Husson, Pellevat, de Nicolaÿ et Milon, Mme Micouleau, M. Karoutchi et Mmes Deromedi et Deroche.

Ces trois amendements sont ainsi libellés :

Après l’article 12 bis

Insérer un article additionnel ainsi rédigé :

La sous-section 1 de la section 1 du chapitre II du titre IV du livre Ier du code de l’énergie est complétée par un article L. 142-3-… ainsi rédigé :

« Art. L. 142-3-… – Dans le cadre des objectifs mentionnés à l’article L. 100-2, les opérateurs mettant à la disposition du public la consommation du fioul domestique à partir des données issues de leur système de comptage de l’énergie sont chargés :

« 1° De procéder au traitement de ces données dans le respect des secrets protégés par la loi ;

« 2° De mettre ces données à disposition du public par voie électronique, dans un format ouvert aisément réutilisable, c’est-à-dire lisible par une machine, et sous une forme agrégée garantissant leur caractère anonyme.

« Un accès centralisé à ces données peut être mis en place par l’autorité administrative selon des modalités précisées en tant que de besoin par décret.

« Un décret pris après avis de la Commission nationale de l’informatique et des libertés précise les modalités d’application du présent article. Il détermine la nature des données détaillées concernées et les modalités de leur traitement. »

La parole est à M. Jean Bizet, pour présenter l’amendement n° 173 rectifié.

M. Jean Bizet. Dans le cadre d’une stratégie nationale bas-carbone et conformément aux objectifs de la loi relative à la transition énergétique pour la croissance verte, il est nécessaire d’encourager des offres d’efficacité énergétique sur toutes les énergies et des offres alternatives moins carbonées.

Pour rendre possible le développement de telles offres, il faut ouvrir les données liées aux quantités de fioul livrées et prévoir l’intégration de ce type de carburant « fossile » dans cette stratégie nationale bas-carbone.

Mme la présidente. La parole est à M. Roland Courteau, pour présenter l'amendement n° 308.

M. Roland Courteau. Nous proposons que, dans le cadre des objectifs mentionnés à l’article L. 100-2 du code de l’énergie, les opérateurs mettant à la disposition du public la consommation du fioul domestique à partir des données issues de leur système de comptage de l’énergie soient chargés de procéder au traitement de ces données dans le respect des secrets protégés par la loi et de mettre ces données à disposition du public par voie électronique, dans un format ouvert aisément réutilisable, c’est-à-dire lisible par une machine, et sous une forme agrégée garantissant leur caractère anonyme.

J’ajoute qu’un accès centralisé à ces données pourrait être mis en place par l’autorité administrative selon des modalités précisées en tant que de besoins par décret.

Comme l’a dit M. Bizet, dans le cadre d’une stratégie nationale bas-carbone et conformément aux objectifs de la loi relative à la transition énergétique pour la croissance verte, il est nécessaire d’encourager des offres d’efficacité énergétique sur toutes les énergies – je dis bien sur toutes les énergies.

Mme la présidente. La parole est à Mme Catherine Deroche, pour présenter l’amendement n° 550 rectifié bis.

Mme Catherine Deroche. Cet amendement est défendu, madame la présidente.

Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission des affaires économiques ?

M. Bruno Sido, rapporteur pour avis. Il est proposé, sur le modèle de ce qui est prévu à l’article 12 bis pour l’électricité et le gaz, d’ouvrir les données des distributeurs de fioul domestique afin d’encourager le développement d’offres d’efficacité énergétique, y compris sur le fioul, qui est l’énergie de chauffage la plus carbonée hormis le charbon, voire de proposer à ces consommateurs des offres alternatives moins ou très peu carbonées comme le gaz et l’électricité.

Si l’objectif visé est louable, le dispositif proposé, en assimilant des énergies aux caractéristiques bien différentes, paraît cependant inadapté.

En effet, contrairement à l’électricité et au gaz, le fioul domestique est distribué, non par des acteurs centralisés, mais de façon diffuse – l’électricité correspond à un opérateur, RTE, le gaz à deux opérateurs ; en l’occurrence, sont impliqués plus de 1 800 opérateurs. Il s’agit d’une énergie hors réseaux, sans dispositif de compteurs communicants, et dont la consommation ne peut être calculée à partir des quantités livrées, le fioul – souvent acheté à l’avance lorsque les prix sont les plus bas – étant stocké et ensuite consommé progressivement, éventuellement sur plusieurs années.

Concrètement, on peut également se demander comment les clients pourraient établir des comparaisons de consommation à partir de données agrégées,…

M. Philippe Dallier. Et anonymes !

M. Bruno Sido, rapporteur pour avis. …et dans quelle mesure ils pourraient facilement substituer leur consommation de fioul par une consommation de gaz ou d’électricité pour se chauffer. Il est vrai que certains appartements ou immeubles ont plusieurs sources de chauffage.

Enfin, la référence à l’exemple du chèque énergie pour justifier de la capacité des opérateurs à mettre en œuvre cette ouverture s’avère inopérante dès lors que le chèque est basé sur le revenu fiscal des ménages et qu’il ne constitue qu’un moyen de paiement, sans aucun lien avec une connaissance de la consommation.

La commission émet donc un avis défavorable sur ces amendements, en l’état. (Ah ! sur les travées du groupe Les Républicains.) Si ceux-ci devaient malgré tout être adoptés – sait-on jamais ! –,…

M. Jean Bizet. Il y a un petit espoir !

M. Bruno Sido, rapporteur pour avis. … il serait sans doute préférable d’inverser la rédaction actuelle et de rectifier le quatrième alinéa de la façon suivante : « Dans le cadre des objectifs mentionnés à l’article L. 100-2, les opérateurs mettant à la disposition du public la consommation du fioul domestique sont chargés, à partir des données issues de leur système de comptage de l’énergie… »

Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?

Mme Axelle Lemaire, secrétaire d'État. Le Gouvernement partage l’avis de la commission.

En outre, la mesure proposée serait certainement coûteuse pour les très nombreuses PME qui livrent du fioul sur tout le territoire national, car ces entreprises commerciales devraient ainsi livrer des données privées sur une plateforme open data.

Si l’objectif visé me paraît louable, il est partiellement satisfait par une disposition de la loi du 17 août 2015 relative à la transition énergétique pour la croissance verte, qui prévoit le suivi global de la vente de ce produit. Certes, ce suivi n’est pas mis en open data, mais cela tient à la limite de l’exercice. En réalité, les circuits de commercialisation et de livraison présentent sans doute à ce jour un intérêt plus grand pour les acteurs industriels que pour le grand public.

Le Gouvernement émet donc un avis défavorable sur ces amendements.

Mme la présidente. La parole est à M. Roland Courteau, pour explication de vote.

M. Roland Courteau. Les explications de M. le rapporteur pour avis et de Mme la secrétaire d’État m’ayant convaincu, je retire mon amendement.

Mme la présidente. L’amendement n° 308 est retiré.

Qu’en est-il de votre amendement, monsieur Bizet ?

M. Jean Bizet. Ayant reçu une proposition séduisante de M. le rapporteur pour avis, j’accepte d’emblée de rectifier mon amendement en ce sens.

Mme la présidente. La parole est à M. Bruno Sido, rapporteur pour avis.

M. Bruno Sido, rapporteur pour avis. Je reconnais bien là M. Bizet ! (Sourires.), mais il s’agissait d’une rectification sur la forme et non sur le fond.

Mme la présidente. Maintenez-vous votre amendement, monsieur le sénateur ?

M. Jean Bizet. Je suis donc un peu coincé ! (Sourires.) Par conséquent, je retire mon amendement.

Mme la présidente. L’amendement n° 173 rectifié est retiré.

Maintenez-vous votre amendement, madame Deroche ?

Mme Catherine Deroche. Non, madame la présidente, je le retire.

Mme la présidente. L’amendement n° 550 rectifié bis est retiré.

Articles additionnels après l'article 12 bis
Dossier législatif : projet de loi pour une République numérique
Article 13 (Texte non modifié par la commission)

Article 12 ter (nouveau)

I. – L’article L. 135 B du livre des procédures fiscales est ainsi modifié :

1° Le premier alinéa est ainsi rédigé :

« L’administration fiscale autorise la transmission à titre gratuit, à leur demande, aux propriétaires faisant l’objet d’une procédure d’expropriation, aux professionnels de l’immobilier, aux chercheurs, aux personnes dont l’activité économique consiste à développer des services contribuant à l’information des vendeurs et des acquéreurs et à la transparence du marché immobilier, aux services de l’État, aux collectivités territoriales, aux établissements publics de coopération intercommunale dotés d’une fiscalité propre, aux établissements publics administratifs et aux établissements publics visés aux articles L. 143-16, L. 321-1, L. 321-14, L. 321-29, L. 321-36-1, L. 321-37, L. 324-1 et L. 326-1 du code de l’urbanisme, aux agences d’urbanisme mentionnées au code de l’urbanisme, à l’établissement public visé au titre IX de la loi n° 2013-431 du 28 mai 2013, aux sociétés d’aménagement foncier et d’établissement rural mentionnées à l’article L. 141-1 du code rural et de la pêche maritime, aux concessionnaires des opérations d’aménagement mentionnés à l’article L. 300-4 du code de l’urbanisme, aux associations foncières urbaines mentionnées à l’article L. 322-1 du même code et aux observatoires des loyers mentionnés à l’article 16 de la loi n° 89-462 du 6 juillet 1989 tendant à améliorer les rapports locatifs et portant modification de la loi n° 86-1290 du 23 décembre 1986 les éléments d’information qu’elle détient au sujet des valeurs foncières déclarées à l’occasion des mutations intervenues dans les cinq dernières années et qui sont nécessaires à l’exercice de leurs compétences en matière de politiques foncière, d’urbanisme et d’aménagement et de transparence des marchés fonciers et immobiliers. Cette administration ne peut, dans ce cas, se prévaloir de la règle du secret. » ;

2° Après le deuxième alinéa, sont insérés deux alinéas ainsi rédigés :

« L’administration fiscale statue sur les demandes qui lui sont présentées par les personnes visées au précédent alinéa dans un délai de deux mois à compter de la réception de la demande.

« Un décret en Conseil d’État organise les modalités de transmission des éléments d’information mentionnés au premier alinéa. »

II. – Les dispositions du présent article entrent en vigueur le premier jour du septième mois suivant la publication de la présente loi.

Mme la présidente. L'amendement n° 228, présenté par MM. Sueur, Leconte, Rome et Camani, Mme D. Gillot, MM. F. Marc, Assouline, Guillaume et les membres du groupe socialiste et républicain, est ainsi libellé :

I. – Alinéa 3

Rédiger ainsi le début de cet alinéa :

« L’administration fiscale transmet, sous forme dématérialisée dans le cadre d’une procédure en ligne, à titre gratuit, à leur demande, aux professionnels de l’immobilier, …

II. – Alinéas 5 et 6

Remplacer ces alinéas par un alinéa ainsi rédigé :

« Afin de concilier la transparence de l’information sur le marché immobilier qu’organise le précédent alinéa et le respect de la vie privée, les données transmises par l’administration fiscale excluent toute identification nominative du propriétaire d’un bien et les bénéficiaires de la transmission ne doivent à aucun moment reconstituer des listes de biens appartenant à des propriétaires désignés. La transmission de ces informations par l’administration fiscale est soumise, dans le cadre de la procédure en ligne, à une déclaration de motifs préalable, aux fins de laquelle l’organisme demandeur doit justifier de sa qualité et accepter les conditions générales d’accès au service. »

III. – Après l’alinéa 6

Insérer un paragraphe ainsi rédigé :

… – L’article L. 107 B du livre des procédures fiscales est ainsi modifié :

1° Au premier alinéa, après les mots : « procédure de contrôle portant sur la valeur d’un bien immobilier », sont insérés les mots : «, faisant état de la nécessité d’évaluer la valeur vénale d’un bien immobilier en tant que vendeur ou acquéreur potentiel de ce bien » ;

2° Au troisième alinéa, les mots : « la rue et la commune » sont remplacés par les mots : « les références cadastrales et l’adresse ».

La parole est à M. Yves Rome.

M. Yves Rome. L’article 12 ter a été introduit dans le projet de loi à la suite d’un amendement que nous avions proposé et qui a été adopté par la commission des lois. Il vise principalement à élargir le périmètre des personnes pouvant demander la transmission des données foncières de l’administration fiscale. La transparence des marchés fonciers et immobiliers est un besoin croissant dont l’absence constitue aujourd’hui un obstacle à leur fluidité et à leur bon fonctionnement.

Nous pensons que ce dispositif pourrait être encore amélioré afin d’éviter tout risque de blocage. Plutôt que de créer des processus d’autorisation administrative avec plusieurs acteurs possibles, sources de frein et de lenteur dans l’accès à l’information, des processus dématérialisés en ligne paraissent plus à même d’assurer la rapidité de l’accès qui est souhaité.

Par ailleurs, et même si tout un chacun peut depuis longtemps demander au cas par cas communication des actes de propriété et des noms des propriétaires d’un bien immobilier dans le cadre de la publicité foncière, il semble en revanche souhaitable de souligner le fait que l’accès à cette information n’autorise pas, dans le même temps, un cadre légal pour des fichiers « désanonymisés » de propriétaires.

Enfin, et dans le même esprit de transparence, la base PATRIM, qui constitue aujourd’hui un portail officiel d’accès à une information sur les valeurs immobilières, doit faire l’objet de deux ouvertures complémentaires.

D’une part, il paraît logique d’ouvrir à d’autres motifs que ceux qui sont strictement fiscaux ou liés à des procédures d’expropriation la consultation de cette base. C’est une réalité qui, malgré les motifs invoqués pour la consultation, ne fait guère de doute aujourd’hui et qui paraît légitime.

D’autre part, les précautions prises quant à la faible précision de la base à l’époque de sa création ne paraissent plus de mise à l’heure où se multiplient les sites immobiliers en ligne avec photos permettant de localiser très précisément un bien.

Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?

M. Christophe-André Frassa, rapporteur. Cet amendement tend à préciser un article adopté par la commission sur l’initiative de Jean-Pierre Sueur et concernant la transmission de données foncières par l’administration fiscale.

Cet amendement ajoute des garanties pour le respect de la vie privée et précise les motifs pouvant donner lieu à cette transmission. Une meilleure articulation est également prévue avec les expropriations pour cause d’utilité publique.

Par conséquent, la commission émet un avis favorable sur cet amendement.

Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?

Mme Axelle Lemaire, secrétaire d'État. Il est question ici, non pas exactement d’open data, mais bien de la transmission des données détenues par l’administration fiscale qui sont relatives aux mutations, qu’il s’agisse des mutations à titre onéreux comme les ventes immobilières ou des mutations à titre gratuit comme les donations.

Cet amendement prévoit de modifier l’article 12 ter en indiquant directement dans l’article 135 B du livre des procédures fiscales que le transfert s’effectuera sous forme dématérialisée dans le cadre d’une procédure en ligne, mais aussi en interdisant le transfert de données qui permettent une identification nominative du propriétaire d’un bien et les bénéficiaires de la transmission, et en supprimant l’obligation, pour l’administration, de répondre dans un délai de deux mois.

La rédaction prévue par l’amendement aurait pour effet de restreindre la portée de la dérogation telle qu’elle est prévue à l’article 135 B précité, puisque cette partie supprime les données nominatives pour l’ensemble des personnes visées à cet article, et donc aussi pour celles qui en bénéficient depuis 2006, notamment les collectivités locales, ce qui est contraire à l’objectif visé par le Gouvernement. Cet effet de l’articulation des dispositions législatives n’avait peut-être pas été initialement perçu.

Par ailleurs, l’article 12 ter renvoie à un décret en Conseil d’État le soin d’organiser les modalités de transmission de ces éléments d’information. Or il n’apparaît pas totalement pertinent que le texte de loi porte directement sur ces modalités. Celles-ci seront détaillées par un décret, plus adapté en l’espèce.

En outre, la transmission de ces données devrait être assurée par un tiers et non par l’administration fiscale elle-même. Celle-ci n’est pas en mesure de l’assurer, compte tenu de l’élargissement du champ des bénéficiaires de l’article précité.

Pour l’ensemble de ces raisons, le Gouvernement émet un avis défavorable sur cet amendement.

Monsieur Rome, nous souhaitons disposer d’un plus grand laps de temps pour examiner, avec vous et avec ceux de vos collègues qui souhaitent se pencher sur ce sujet, une piste législative dans le cadre du projet de loi de finances pour 2017.

Naturellement, le Gouvernement souscrit au but visé, à savoir une plus grande transparence du marché immobilier dans son ensemble, permettant d’éviter des transactions déconnectées des réalités financières du terrain. Cependant, il faut continuer à travailler la formalisation juridique de ces dispositions.

Mme la présidente. Monsieur Rome, l’amendement n° 228 est-il maintenu ?

M. Yves Rome. Oui, je le maintiens, madame la présidente.

Mme la présidente. Je mets aux voix l'amendement n° 228.

(L'amendement est adopté.)

Mme la présidente. L'amendement n° 625, présenté par M. Frassa, au nom de la commission des lois, est ainsi libellé :

I. – Alinéa 3, première phrase

Remplacer les mots :

agences d’urbanisme mentionnées au code de l’urbanisme, à l’établissement public visé au titre IX

par les mots :

agences d’urbanisme mentionnées à l’article L. 132-6 du même code, à l’établissement public mentionné à l’article 44

II. – Après l’alinéa 6

Insérer un paragraphe ainsi rédigé :

… – Au troisième alinéa de l’article L. 135 J du même livre, les mots : « du onzième » sont remplacés par les mots : « de l’avant-dernier ».

La parole est à M. le rapporteur.

M. Christophe-André Frassa, rapporteur. Il s’agit d’un amendement de précision rédactionnelle et de coordination, madame la présidente.

Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?

Mme Axelle Lemaire, secrétaire d'État. Favorable !

Mme la présidente. Je mets aux voix l'amendement n° 625.

(L'amendement est adopté.)

Mme la présidente. Je mets aux voix l'article 12 ter, modifié.

(L'article 12 ter est adopté.)

Section 3

Gouvernance

Article 12 ter (nouveau)
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Article 14 (Texte non modifié par la commission)

Article 13

(Non modifié)

Le I de l’article 13 de la loi n° 78-17 du 6 janvier 1978 relative à l’informatique, aux fichiers et aux libertés est ainsi modifié :

1° Au premier alinéa, le mot : « dix-sept » est remplacé par le mot : « dix-huit » ;

1° bis Aux 6° et 7°, les mots : « de l’informatique » sont remplacés par les mots : « du numérique » ;

2° Après le 7°, il est inséré un 8° ainsi rédigé :

« 8° Le président de la Commission d’accès aux documents administratifs, ou son représentant. »

Mme la présidente. L'amendement n° 102, présenté par M. Leconte, est ainsi libellé :

Supprimer cet article.

La parole est à M. Jean-Yves Leconte.

M. Jean-Yves Leconte. Madame la présidente, si vous me le permettez, je défendrai par la même occasion les amendements nos 103, 104, 105 et 65, l’ensemble de ces dispositions étant liées les unes aux autres.

Les deux lois de 1978, celle de janvier, portant création de la CNIL, et celle de juillet, créant la CADA, ont, pendant près de quarante ans, et avec succès, fourni un cadre à la protection des Français contre les risques informatiques et assuré la transparence des relations de l’administration avec les citoyens.

Depuis qu’a débuté l’examen de ce projet de loi, on peut dresser le constat suivant. Toutes les inquiétudes que suscite aujourd’hui le numérique, au titre des capacités d’accroissement de la transparence, du nombre de données ouvertes et facilement consultables, convergent vers cette question : comment, au total, protéger les citoyens face à un champ de plus en plus large d’open data ?

En la matière, tout l’enjeu se situe à la convergence des métiers de la CNIL et de la CADA. Je note au demeurant que cette observation fait l’objet d’un consensus.

Tous les articles que je propose de supprimer lient ces deux autorités administratives, en rendant, de manière structurelle, le président de l’un des collèges membre de l’autre collège.

Gardons à l’esprit la commission d’enquête que le Sénat a consacrée aux autorités administratives indépendantes. Souvenons-nous, de surcroît, de la proposition de loi de Jacques Mézard qui a suivi les travaux de cette instance.

À ce titre, nous avons exprimé une double préoccupation. D’une part, on observe un manque de contrôle démocratique exercé sur les autorités administratives indépendantes. De l’autre, dans un certain nombre de domaines, se manifeste un besoin d’autorités administratives indépendantes.

En l’occurrence, les métiers de la CNIL et de la CADA présentent des intersections de plus en plus évidentes, formant le cœur de nos interrogations et de nos inquiétudes. Et pourtant, on nous propose de conserver deux instances distinctes.

Or nous ne pouvons pas nous satisfaire de la création de deux autorités administratives interdépendantes : un tel choix serait contraire à toutes les réflexions menées sur ce sujet depuis des années.

Plutôt que d’aller dans cette direction, nous proposons, dans le but de prolonger le débat, la suppression des articles 13, 14, 15 et 16. Parallèlement, je demande au Gouvernement de rédiger un rapport…

M. Christophe-André Frassa, rapporteur. Il y avait longtemps…

M. Jean-Yves Leconte. … pour préparer la fusion de ces deux autorités au sein d’une instance administrative unique.

Bien entendu, il s’agit d’un sujet difficile, et, compte tenu des enjeux, nous n’avons pas le droit à l’erreur. Aussi, je n’ai pas la prétention de proposer une solution définitive par le simple biais d’un amendement personnel : un tel procédé serait trop risqué.

Nous avons également l’expérience du Défenseur des droits.

Mme Éliane Assassi. Il faudrait conclure…

M. Jean-Yves Leconte. Cet exemple le prouve : la réunion de plusieurs autorités administratives indépendantes ne saurait se résumer à l’addition de différents collèges existants.

Le rapport dont je sollicite la rédaction permettrait de poser le problème dans son ensemble, en gardant à l’esprit l’existence d’une dynamique de fusion de ces deux autorités administratives indépendantes.

Mes chers collègues, je vous prie de m’excuser si j’ai parlé un peu longuement. Je précise que ces développements m’ont permis de défendre, outre le présent amendement, les quatre amendements qui suivent !

M. Christophe-André Frassa, rapporteur. Merci !

M. Yves Rome. Bravo !

Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?

M. Christophe-André Frassa, rapporteur. Puisque M. Leconte a défendu ses cinq amendements en une seule fois, je donnerai, si vous m’y autorisez, l’avis de la commission sur l’ensemble de ces dispositions.

Tous ces amendements tendent à assurer une meilleure articulation entre la CADA et la CNIL.

Le présent projet de loi s’engage d’ores et déjà dans cette voie, sans aller jusqu’à prévoir leur fusion. On peut s’en étonner. C’est un choix du Gouvernement, et la commission des lois a travaillé à partir de ce postulat. Dans ce cadre, elle s’est efforcée d’améliorer le texte qui lui était soumis.

Ces deux autorités administratives conservent des rôles essentiellement différents. La CADA exerce une mission précontentieuse au titre de la communication et de la diffusion des documents administratifs. La CNIL a, quant à elle, un rôle de régulateur et de garante de données à caractère personnel. Là est toute la différence entre ces deux instances.

Cela étant, une meilleure articulation entre ces deux autorités administratives indépendantes est nécessaire, car leurs champs d’intervention se recoupent parfois. Ainsi, la CADA peut être appelée à se prononcer sur la communication de fichiers comportant des données à caractère personnel.

En conséquence, en vertu du présent texte, le président de la CNIL siège au sein du collège de la CADA, et réciproquement.

De surcroît, ce projet de loi ouvre, pour ces deux autorités administratives indépendantes, la possibilité de se réunir ponctuellement au sein d’un collège unique pour fixer des orientations communes.

Ces dispositions doivent être préservées.

Au reste, notre collègue Jacques Mézard, précédemment cité, n’exclut pas la possibilité qu’un membre de la CADA siège au sein du collège de la CNIL, et vice versa. Dans le rapport qu’il a consacré à la proposition de loi organique relative aux autorités administratives indépendantes, il écrit : « Une telle faculté résulte de la possibilité de la loi de donner par une disposition spéciale à une disposition générale et, plus fondamentalement, du fait que cette présence de droit ne s’assimile pas à un nouveau mandat pour lequel le membre aurait fait l’objet d’une seconde nomination. »

Pour ces raisons, je demande le retrait de l’ensemble de ces amendements. À défaut, j’émettrai un avis défavorable.

Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?

Mme Axelle Lemaire, secrétaire d'État. Monsieur Leconte, vous estimez que les articles organisant une gouvernance mieux coordonnée entre la CNIL et la CADA méritent d’être supprimés.

Je tiens à rappeler pourquoi le Gouvernement a jugé, à l’inverse, pertinent de rapprocher ces deux institutions. J’insiste par ailleurs sur l’attitude de prudence que nous avons choisi d’adopter : il s’agit d’un simple rapprochement et non d’une fusion. Cette seconde solution a pu être envisagée initialement. En définitive, nous avons conclu qu’il fallait avancer par étapes.

Dans de nombreux pays européens, les équivalents de la CNIL et de la CADA sont réunis au sein d’une seule et même institution. Il en est ainsi au Royaume-Uni, avec le célèbre Information Commissioner’s Office. La plupart des États d’Europe centrale ont, plus récemment, lors de leur entrée dans l’Union européenne, créé une institution unique chargée de contrôler le traitement dont les données font l’objet. Ce sont donc, en quelque sorte, des agences de la data.

À l’heure actuelle, si la France devait créer de toutes pièces une institution de ce type, il semblerait naturel qu’elle opte pour ce système.

Cela étant, nous devons composer avec une longue tradition, à la fois dans le champ de la protection des données personnelles et dans le domaine du droit à l’information. Il s’agit là d’un double secteur.

À un même moment de notre histoire, en 1978, deux lois distinctes ont été adoptées. L’une, la loi CNIL, vise à protéger les données personnelles. À l’époque, ce texte a été conçu en réaction à l’usage de fichiers créés par l’État et jugés liberticides. L’autre, la loi CADA, a été votée dans le contexte de la guerre froide, en un temps où l’Union soviétique employait des méthodes de contrôle de ses citoyens. Ce second texte visait ainsi à libéraliser la société et à accroître les droits individuels.

La France peut être fière de compter parmi les premiers États à s’être organisée en la matière. La CNIL française a d’ailleurs inspiré, par la suite, de nombreux pays.

Cette ancienneté revêt un autre intérêt : grâce à elle, nous disposons d’une doctrine très stable et très éprouvée pour chacune des missions assignées à ces institutions. En conséquence, les entreprises et les administrations peuvent, aujourd’hui, identifier clairement le périmètre de leurs obligations.

On le sent bien, les enjeux se croisent davantage qu’auparavant. L’examen des articles de ce projet de loi relatifs à l’open data l’a bien montré. Les enjeux de respect de la vie privée, le traitement dont peuvent faire l’objet les données personnelles, leur anonymisation, les risques de ré-identification sont très présents dans les questions que se pose aujourd’hui la CADA. En résulte la nécessité de faire collaborer plus étroitement encore ces deux commissions dans les textes, puisque les pratiques sont déjà bien ancrées.

Nous avons fait le choix d’une participation croisée, tout en ouvrant, pour la CNIL et la CADA, la faculté de se réunir au sein d’un collège commun. Il s’agit là, je le répète, d’une démarche progressive.

J’ai demandé à M. Jean Massot, président de section honoraire au Conseil d’État, d’analyser la nécessité d’aller plus loin pour prendre en compte les nouvelles missions prévues dans le cadre du présent texte. M. Massot remettra ses conclusions au Gouvernement. Je pourrai, si vous le souhaitez, vous les transmettre, voire les placer en open data. (Sourires.) Ainsi pourrons-nous poursuivre cette réflexion.

De manière tout à fait pragmatique, le rapprochement de la CNIL et de la CADA se fera tout simplement par un déménagement immobilier : ces deux organisations seront très bientôt logées dans un même immeuble de l’avenue de Ségur. Leurs deux cultures doivent conserver leurs spécificités tout en se rapprochant, pour assurer une stratégie nationale cohérente en matière de données. Peut-être ce rapprochement physique permettra-t-il, au premier chef, une collaboration plus étroite.

Mme la présidente. Monsieur Leconte, l’amendement n° 102 est-il maintenu ?

M. Jean-Yves Leconte. Madame la secrétaire d’État, vous insistez sur le fait que ce travail ne constitue qu’une étape, et vous rappelez que le Gouvernement entend procéder avec prudence, compte tenu des enjeux dont il s’agit.

J’en conviens tout à fait, nous ne pouvons en rester à un dispositif fondé sur une définition du numérique, tel qu’il était en 1978. Cela étant, il faut bel et bien progresser par étapes. À ce titre, j’ai constaté, en écoutant vos propos, que nous avions des préoccupations en commun. Nous ne sommes qu’au début d’une réflexion vers une fusion de la CNIL et de la CADA, dont les missions convergent.

Aussi, je retire l’amendement n°102, avant de retirer les amendements suivants.

Mme la présidente. L’amendement n° 102 est retiré.

Je mets aux voix l’article 13.

(L'article 13 est adopté.)

Article 13 (Texte non modifié par la commission)
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Article 15 (Texte non modifié par la commission)

Article 14

(Non modifié)

Après l’article 15 de la loi n° 78-17 du 6 janvier 1978 précitée, il est inséré un article 15 bis ainsi rédigé :

« Art. 15 bis. – La Commission nationale de l’informatique et des libertés et la Commission d’accès aux documents administratifs se réunissent dans un collège unique, sur l’initiative conjointe de leurs présidents, lorsqu’un sujet d’intérêt commun le justifie. »

Mme la présidente. L'amendement n° 103, présenté par M. Leconte, est ainsi libellé :

Supprimer cet article.

La parole est à M. Jean-Yves Leconte.

M. Jean-Yves Leconte. Je retire mon amendement, madame la présidente.

Mme la présidente. L’amendement n° 103 est retiré.

Je mets aux voix l'article 14.

(L'article 14 est adopté.)

Article 14 (Texte non modifié par la commission)
Dossier législatif : projet de loi pour une République numérique
Article 16 (Texte non modifié par la commission)

Article 15

(Non modifié)

L’article L. 341-1 du code des relations entre le public et l’administration est ainsi modifié :

1° Le 6° est ainsi rédigé :

« 6° Le président de la Commission nationale de l’informatique et des libertés, ou son représentant ; »

2° À la deuxième phrase du douzième alinéa, les mots : « et 3° » sont remplacés par les mots : « , 3° et 6° ».

Mme la présidente. L'amendement n° 104, présenté par M. Leconte, est ainsi libellé :

Supprimer cet article.

La parole est à M. Jean-Yves Leconte.

Mme la présidente. L’amendement n° 104 est retiré.

Je mets aux voix l'article 15.

(L'article 15 est adopté.)

Article 15 (Texte non modifié par la commission)
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Article 16 bis

Article 16

(Non modifié)

Après l’article L. 341-1 du code des relations entre le public et l’administration, il est inséré un article L. 341-1-1 ainsi rédigé :

« Art. L. 341-1-1. – La Commission d’accès aux documents administratifs et la Commission nationale de l’informatique et des libertés se réunissent dans un collège unique, sur l’initiative conjointe de leurs présidents, lorsqu’un sujet d’intérêt commun le justifie. »

Mme la présidente. L'amendement n° 105, présenté par M. Leconte, est ainsi libellé :

Supprimer cet article.

La parole est à M. Jean-Yves Leconte.

M. Jean-Yves Leconte. Je retire cet amendement, madame la présidente.

Mme la présidente. L’amendement n° 105 est retiré.

Je mets aux voix l’article 16.

(L'article 16 est adopté.)

Article 16 (Texte non modifié par la commission)
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Article 16 ter

Article 16 bis

(Supprimé)

Article 16 bis
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Article 17 A (supprimé)

Article 16 ter

Le Gouvernement remet au Parlement, dans un délai de trois mois à compter de la promulgation de la présente loi, un rapport sur la possibilité de créer un Commissariat à la souveraineté numérique rattaché aux services du Premier ministre, dont les missions concourent à l’exercice, dans le cyberespace, de la souveraineté nationale et des droits et libertés individuels et collectifs que la République protège. Ce rapport précise les moyens et l’organisation nécessaires au fonctionnement de cet établissement public.

Mme la présidente. Je suis saisie de six amendements faisant l'objet d'une discussion commune.

L'amendement n° 65, présenté par M. Leconte, est ainsi libellé :

I. – Première phrase

Après les mots :

possibilité de

rédiger ainsi la fin de cette phrase :

fusionner les missions actuelles de la Commission d'accès aux documents administratifs et celles de la Commission nationale de l'informatique et des libertés en créant une entité unique.

II. – Seconde phrase

Remplacer les mots :

cet établissement public

par les mots :

cette nouvelle autorité administrative indépendante

La parole est à M. Jean-Yves Leconte.

M. Jean-Yves Leconte. Je retire également cet amendement, madame la présidente.

Mme la présidente. L’amendement n° 65 est retiré.

L'amendement n° 108 rectifié bis, présenté par Mme Morin-Desailly, MM. Zocchetto, L. Hervé et les membres du groupe Union des Démocrates et Indépendants - UC, est ainsi libellé :

Première phrase

Remplacer les mots :

Commissariat à la souveraineté numérique

par les mots :

Haut-Commissariat au numérique

La parole est à Mme Catherine Morin-Desailly.

Mme Catherine Morin-Desailly. Avec cet amendement, nous abordons le thème de la souveraineté nationale.

Nous ne pouvons que nous réjouir de voir ce sujet prendre une véritable visibilité depuis les derniers mois : désormais, chacun prend la mesure de l’enjeu que représente la mutation numérique très profonde de nos sociétés pour nos modèles futurs.

L’Assemblée nationale a, elle aussi, manifesté cette prise de conscience en adoptant le présent article, qui demande au Gouvernement un rapport sur l’opportunité de créer un commissariat à la souveraineté numérique. Cette instance aurait notamment pour mission de réfléchir à la construction d’un système souverain.

Mes chers collègues, pourquoi demander la remise d’un tel rapport ? Il est difficile d’affirmer que l’on créera ex nihilo une nouvelle instance : vous le savez, lorsque les parlementaires défendent des dispositions de cette nature, leurs propositions tombent toujours sous le coup de l’article 40 de la Constitution.

M. le rapporteur s’est montré attentif à la question de la souveraineté numérique et soutient la remise d’un tel document. Il a proposé, ce me semble avec raison, de supprimer la définition précise des missions liées à l’établissement de ce commissariat à la souveraineté numérique. En effet, ce travail a vocation à être beaucoup plus large – je vais y revenir.

Le présent amendement tend à remplacer le nom de « Commissariat à la souveraineté numérique » par celui de « Haut-Commissariat au numérique ». Les enjeux de souveraineté sont de la première importance, ils conditionnent toutes les autres questions. À cet égard, l’intitulé de « Haut-Commissariat au numérique » renvoie, à mon sens, à une réalité plus large, plus englobante et plus pertinente.

Mme la présidente. L'amendement n° 107 rectifié bis, présenté par Mme Morin-Desailly, MM. Zocchetto, L. Hervé et les membres du groupe Union des Démocrates et Indépendants - UC, est ainsi libellé :

I. – Première phrase

Après les mots :

dont les missions

rédiger ainsi la fin de cette phrase :

seront de favoriser une meilleure coordination interministérielle des programmes et des actions technologiques au sein de l’État, de veiller à la cohérence des stratégies et des outils technologiques mis en place par les administrations, d’assurer une meilleure lisibilité des actions de l’État en matière de technologies, de favoriser une meilleure diffusion des savoir-faire stratégiques sur le numérique au sein de l’État et de participer aux négociations européennes et internationales portant sur les normes et standards ainsi que sur la gouvernance des technologies.

II. – Après la première phrase

Insérer une phrase ainsi rédigée :

L’ensemble de ces missions concourent à assurer la souveraineté numérique nationale.

La parole est à Mme Catherine Morin-Desailly.

Mme Catherine Morin-Desailly. Cet amendement, dont les dispositions découlent du précédent, tend à préciser davantage encore les missions généralistes du Haut-Commissariat au numérique, qu’il me semble essentiel d’énoncer dans ce projet de loi.

Ces missions iront de la coordination des stratégies numériques publiques au service de notre souveraineté numérique à la formation aux outils technologiques et de diffusion des savoir-faire stratégiques en matière numérique au sein de l’État. Elles porteront également sur la participation aux négociations européennes et internationales relatives aux normes et aux standards, ainsi que sur la gouvernance des technologies.

Vous le constatez, ces attributions sont éminemment stratégiques pour l’ensemble des responsables publics. On le sait, les technologies numériques sont devenues des facteurs cruciaux du fonctionnement de l'État et du déploiement des politiques publiques. Il convient de le rappeler.

Bien sûr, il reviendra au futur rapport de détailler les moyens nécessaires pour mettre en œuvre cette cellule de coordination interministérielle de la stratégie gouvernementale, laquelle – j’insiste sur ce point – est devenue essentielle aujourd’hui.

Mme la présidente. L'amendement n° 229, présenté par MM. Sueur, Leconte, Rome et Camani, Mme D. Gillot, MM. F. Marc, Assouline, Guillaume et les membres du groupe socialiste et républicain, est ainsi libellé :

Seconde phrase

Après le mot :

précise

insérer les mots :

notamment, sous l’égide de ce commissariat, les conditions de maîtrise des lieux de stockage des données et de développement de protocoles de chiffrement, ainsi que

La parole est à M. Jean-Pierre Sueur.

M. Jean-Pierre Sueur. Tout d’abord, je tiens à féliciter Mme Morin-Desailly. (Exclamations. – M. Loïc Hervé applaudit.) Les dispositions de son amendement tendant à créer, non un commissariat, mais un haut-commissariat, ne portent en rien atteinte aux finances de l’État. Elles ne sont donc pas menacées par l’article 40 ! Je tiens à saluer cette initiative économe. (Sourires.)

Mes chers collègues, si, à travers l’amendement n° 229, nous avions pris l’initiative de créer un commissariat, voire un haut-commissariat, nous serions évidemment tombés sous le coup de cette disposition.

M. Jean-Pierre Sueur. Nous disons donc subtilement – est-ce d’ailleurs si subtil ? – qu’il serait judicieux d’écrire un rapport sur ce sujet. Ce procédé ne trompe personne.

M. Philippe Bas, président de la commission des lois. Non…

M. Jean-Pierre Sueur. Au-delà, vous le savez bien, nous sommes face à une question très importante, relevant de la philosophie fondamentale : internet abolit-il les spécificités des différentes nations, notamment de la nation française ? Constitue-t-il un univers uniforme où les identités nationales disparaissent ? À nos yeux, tel n’est pas le cas. Dans la sphère de l’internet comme ailleurs, il est nécessaire de faire prévaloir des impératifs de souveraineté, de puissance et d’indépendance nationales.

Selon nous, il n’est ni inutile ni ringard d’apporter ces précisions. Ces dernières sont, à l’inverse, tout à fait nécessaires.

Les deux points que nous proposons d’ajouter au présent article, à savoir la maîtrise des lieux de stockage des données et le développement des protocoles de chiffrement, sont extrêmement importants, en particulier pour notre défense nationale.

La lutte que nous menons contre le terrorisme est également une guerre du chiffrement et du cryptage. Si, avant le 13 novembre, nous avions pu intercepter diverses communications, nous aurions peut-être pu prévenir les dramatiques attentats que la France a connus. À présent, nous devons éviter de nouvelles attaques.

Le cryptage et le décryptement soulèvent un véritable enjeu de souveraineté nationale. Une plateforme nationale est dédiée à ce travail. La loi relative au renseignement accorde de fortes prérogatives à la Commission nationale de contrôle des techniques de renseignement. Nous sommes donc face à une question qui est très loin d’être négligeable.

Voilà pourquoi nous défendons avec ardeur les dispositions de cet amendement, qui, à nos yeux, constituent un premier pas. Nous y tenons beaucoup sur le fond.

L’amendement suivant, déposé par M. Retailleau, a quant à lui pour objet de détailler les modalités de ce travail. Madame la présidente, vous le constatez, je fais même, gratuitement, la transition avec la suite de la discussion ! (Sourires. – M. le rapporteur rit.)

Mme la présidente. L'amendement n° 295 rectifié, présenté par MM. Retailleau, Allizard, Béchu, Bouchet et Buffet, Mme Chain-Larché, MM. Chaize, Commeinhes, Dallier et Danesi, Mmes Deromedi et Di Folco, M. Dufaut, Mme Duranton, MM. Grosdidier et Grosperrin, Mme Hummel, MM. Kennel, Leleux et P. Leroy, Mme Lopez, MM. Magras et A. Marc, Mme M. Mercier, MM. Pillet et Savin, Mme Troendlé et M. Vasselle, est ainsi libellé :

Seconde phrase

Remplacer les mots :

de cet établissement public

par les mots :

du Commissariat à la souveraineté numérique

La parole est à Mme Catherine Troendlé.

Mme Catherine Troendlé. Monsieur Sueur, je vous remercie de cette transition !

Nous aussi tenons tout particulièrement à notre amendement.

Il ne faut surtout pas préjuger dès à présent de la forme juridique que pourrait prendre le commissariat à la souveraineté numérique. Un commissariat gouvernemental peut revêtir divers statuts. Il peut s’agir, par exemple, d’un établissement public ou d’une administration intégrée aux services du Premier ministre.

Au reste, le rapport mentionné au présent article aura également pour but de définir le meilleur statut juridique, garantissant la plus grande efficacité pour le commissariat à la souveraineté numérique.

Voilà pourquoi nous ne souhaitons pas préjuger de la forme juridique que pourrait prendre cette instance.

Mme la présidente. L'amendement n° 230, présenté par MM. Gorce, Sueur, Leconte, Rome et Camani, Mme D. Gillot, MM. F. Marc, Assouline, Guillaume et les membres du groupe socialiste et républicain, est ainsi libellé :

Compléter cet article par une phrase ainsi rédigée :

Il présente les différentes voies d’assistance que le commissariat pourra proposer aux administrations, ainsi que les modalités de diffusion des bonnes pratiques en matière de protection des données personnelles.

La parole est à M. Jean-Pierre Sueur.

M. Jean-Pierre Sueur. J’indique simplement que nous devons rendre hommage à M. Gorce, lequel a eu l’idée de cet amendement tendant à compléter le présent article.

Madame la présidente, vous constatez qu’en l’occurrence, j’économise quelque peu le temps de la Haute Assemblée ! (Sourires. – Mme Catherine Troendlé rit.)

Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission sur les cinq amendements restant en discussion ?

M. Christophe-André Frassa, rapporteur. Madame la présidente, pardonnez-moi par avance si je m’exprime un peu longuement : je tiens à répondre aux divers orateurs qui viennent de présenter leurs amendements.

Mme Morin-Desailly l’a souligné avec raison, la souveraineté numérique est un enjeu pour notre pays et, plus largement peut-être, pour l’Union européenne.

Nous avons consacré plusieurs auditions à ce sujet. Divers intervenants ont évoqué ces enjeux devant nous, au premier rang desquels M. Bellanger, qui a, entre autres dispositions, inspiré le présent article additionnel introduit par l’Assemblée nationale.

Cet article 16 ter vise à ce que le Gouvernement établisse un rapport de faisabilité portant sur un futur commissariat à la souveraineté numérique.

Lors des débats en commission, nous avons choisi une option assez claire par rapport au texte de l’Assemblée nationale : laisser le champ le plus large possible au Gouvernement, en évitant de restreindre son domaine d’investigation par des objectifs à atteindre ou par des missions à détailler.

Aussi le texte de la commission est-il assez simple : il indique simplement que « ce rapport précise les moyens et l’organisation nécessaires au fonctionnement de cet établissement public. »

Dans quelques instants, nous examinerons un amendement tendant à accroître encore la souplesse accordée au Gouvernement dans le cadre de ce travail.

Bien sûr, nous traçons les grandes lignes de ce commissariat à la souveraineté numérique. Il doit être rattaché aux services du Premier ministre. Ses missions doivent concourir à ce qui constitue, à nos yeux, le fondement même d’une telle instance, à savoir « l’exercice, dans le cyberespace, de la souveraineté nationale et des droits et libertés individuels et collectifs que la République protège ».

Hors de ce cadre, il serait contraire à nos objectifs d’entreprendre, dans ce rapport, d’imposer tel ou tel développement, comme le faisait le texte d’origine, qu’il s’agisse du système d’exploitation souverain ou des protocoles de chiffrement.

Dès lors que l’on entreprendrait une telle énumération, la liste se révèlerait non exhaustive. En conséquence, le Gouvernement pourrait très bien se cantonner dans les limites indiquées en refusant d’aller au-delà, et cette liste deviendrait par nature restrictive. Nous passerions ainsi à côté d’une occasion, celle de disposer d’un document véritablement complet.

Tel était l’objet de l’amendement que j’ai déposé en commission et que cette dernière a adopté : laisser le champ tout à fait libre au Gouvernement pour l’élaboration de son rapport.

Je parle sous le contrôle de Mme la secrétaire d’État, qui répondra mieux que moi à cette question, puisque la rédaction de ce rapport sera confiée au Gouvernement, même si un ou deux parlementaires seront peut-être appelés pour y concourir. Cette étude, consacrée à la faisabilité d’un commissariat à la souveraineté numérique, devra porter sur un champ de compétences complet. Je le répète, limiter aujourd’hui ce travail à certains domaines me semble, sinon hors du propos, du moins trop restrictif.

C’est la raison pour laquelle je demande le retrait des amendements nos 108 rectifié bis et 107 rectifié bis.

La souveraineté numérique constitue un sujet en soi, dans un contexte où les citoyens français perdent le contrôle de certaines de leurs données. S’agira-t-il d’un haut-commissariat ? Ce sera au rapport de décider de l’appellation de cette entité. Rappelons que les derniers hauts-commissaires étaient membres du Gouvernement.

L’amendement n° 230 a trait à la coordination ministérielle, que l’amendement n° 107 rectifié bis présenté par Mme Morin-Desailly aborde également. Or celle-ci relève du pouvoir réglementaire et est organisée par le Premier ministre. Je demande donc le retrait de cet amendement ; à défaut, l’avis sera défavorable.

La commission estime qu’il convient de laisser ouverte la discussion et a donc repoussé l’amendement n° 229 présenté par M. Sueur, qui vise à détailler les missions de cet éventuel commissariat à la souveraineté numérique.

En revanche, conformément au choix de la commission de laisser au rapport le choix de définir la nature juridique de ce commissariat, l’avis est favorable à l’amendement n° 295 rectifié présenté par Mme Troendlé, qui tend à modifier la fin de l’article en remplaçant les mots « établissement public » par « Commissariat à la souveraineté numérique ».

Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?

Mme Axelle Lemaire, secrétaire d’État. En écoutant les interventions, j’ai parfois eu le sentiment que ce haut-commissariat avait déjà été créé ! (Sourires.)

M. Christophe-André Frassa, rapporteur. J’ai pourtant rappelé qu’il ne s’agissait ici que de commander un rapport !

Mme Axelle Lemaire, secrétaire d’État. Le Gouvernement a accepté l’idée de réfléchir à la notion de souveraineté numérique et, éventuellement, à l’opportunité de créer une structure de ce type. Toutefois, ne vendons pas la peau de l’ours avant de l’avoir tué !

Faut-il parler de commissariat à la souveraineté numérique ou de haut-commissariat au numérique ? Il me semble un peu tôt pour se prononcer à ce sujet. Je constate par ailleurs qu’il existe déjà beaucoup d’organismes commençant par le mot « haut » dans notre architecture institutionnelle : le Haut-Commissariat aux solidarités actives, le Haut Conseil aux finances publiques, le Haut-Commissariat de la République en Polynésie française, le Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés, sans parler des « Hauts-de-France »… (Sourires.)

Mme Éliane Assassi. Il y a aussi le « Hé oh la gauche ! » (Rires.)

Mme Axelle Lemaire, secrétaire d’État. Plus sérieusement, au vu de l’importance des enjeux du numérique – sécurité et défense nationale, compétitivité économique, protection des données personnelles, enjeux sociaux, éducatifs et, pourquoi pas, de souveraineté agricole –, faut-il continuer à organiser l’État de manière interministérielle pour traiter de ce sujet ou faut-il au contraire mettre en place une structure unique plus centralisée chargée de coordonner l’action numérique ?

Je m’interroge quotidiennement à ce sujet dans l’exercice de mes fonctions, mais je n’ai pas la réponse idéale. Compte tenu de la tradition administrative française, il me semble toutefois qu’il faudrait tendre à la mise en place d’un secteur numérique puissant au sein de chaque ministère, couplé à une bonne articulation interministérielle, plutôt qu’à la création, finalement un peu artificielle, d’un organisme dont la mission serait de coordonner difficilement des ministères qui se considèrent tous – vous le savez bien – comme souverains.

Il est fondamental de s’interroger sur les enjeux de la souveraineté numérique, et je constate avec satisfaction que la question du système d’exploitation souverain n’est plus abordée ici. Cela ne me semblait ni opportun ni conforme à la réalité mondiale, très interconnectée et de plus en plus décentralisée, du numérique.

Parler de souveraineté numérique, c’est parler de technologie, de cybersécurité, de protection des systèmes d’information de l’État – nous l’avons fait à l’occasion des débats sur le logiciel libre – ou encore des opérateurs d’importance vitale. Ces sujets relèvent des compétences de l’ANSSI, l’Agence nationale de sécurité des systèmes d’information, ou, lorsqu’il s’agit du strict domaine régalien, du Secrétariat général de la défense et de la sécurité nationale.

Il me semble important de maintenir une certaine tension au sein de l’appareil de l’État, car tout n’est pas noir ou blanc. Afin de garantir les arbitrages les plus éclairés, il est sans doute nécessaire de conserver des visions parfois divergentes.

La souveraineté numérique peut recouvrir également des enjeux de fiscalité et d’application de la loi. Madame Morin-Desailly, votre rapport a beaucoup éclairé les travaux du Gouvernement à ce sujet. Vous y faites preuve d’une conception large des enjeux de souveraineté, que le Gouvernement partage. J’ai donné l’exemple de l’agriculture. La capacité des agriculteurs de France, non seulement à collecter les données qui proviennent de leur terre, mais aussi à les exploiter et à les partager, plutôt que de les laisser exploiter par des tractoristes issus de grandes entreprises étrangères, peut être également considérée comme un enjeu de souveraineté.

Concernant la question des protocoles de chiffrement, les récents événements tragiques ont bien montré toute l’acuité du sujet en matière de souveraineté. Il faut toutefois faire preuve de nuance. Le Gouvernement a eu l’occasion de rappeler son attachement aux technologies de chiffrement, lesquelles assurent aujourd’hui encore la plus grande sécurité des organisations de l’État, des administrations générales, des entreprises et de nos concitoyens. Les attaques terroristes à Paris, par exemple, ont été synchronisées par des échanges de SMS en clair. C’est la raison pour laquelle j’ai récemment lancé un appel à projets pour promouvoir des technologies émergentes de protection des données personnelles, notamment par le chiffrement.

Ce texte de loi confère en outre une nouvelle mission à la CNIL, qui consiste à promouvoir les technologies de protection de la vie privée, parmi lesquelles celles qui relèvent du chiffrement.

Vous l’aurez compris, nous avons intérêt à prolonger la réflexion que vous aviez amorcée, madame Morin-Desailly, en publiant un rapport ambitieux sur le sujet. Toutefois, il faut rester prudent quant aux suites institutionnelles et organisationnelles qui pourraient être données à la publication d’un tel rapport. Voilà pourquoi je m’en remets à la sagesse du Sénat sur l’ensemble de ces amendements.

Mme la présidente. La parole est à Mme Catherine Morin-Desailly, pour explication de vote.

Mme Catherine Morin-Desailly. J’ai bien entendu le rapporteur de la commission des lois, pour qui la souveraineté est de prime importance. C’est certain ! Je crois pouvoir dire, d’ailleurs, que les rapports sur le sujet ont été réalisés à partir des travaux du Sénat, dès 2012. Nous savons donc de quoi nous parlons.

Je propose l’appellation « Haut-Commissariat au numérique », avec en perspective l’objectif de la souveraineté, qui, comme l’a dit Jean-Pierre Sueur, ne saurait être un repli sur soi. Il s’agit de devenir acteur de notre destin numérique, c’est-à-dire de cesser de subir, comme nous le faisons depuis trop d’années dans ce monde en pleine évolution. Bon an, mal an, les choses se décident sans nous !

Dans la discussion générale, j’ai souhaité rappeler que les États-Unis, à la différence de l’Europe et, a fortiori, de la France, se sont organisés dès les années 1990 pour acquérir le leadership sur ces technologies. Ils ont pris des dispositions législatives et fiscales, mais aussi organisationnelles.

Aujourd’hui, le Président Obama est flanqué d’un chief technical officer, dont le rôle n’a rien à voir avec celui du SGMAP, le Secrétariat général pour la modernisation de l’action publique, madame la secrétaire d’État. Il occupe une position institutionnelle, il est opérationnel et il a autorité sur l’ensemble des départements et des politiques publiques, depuis la stratégie de développement industriel ou la défense jusqu’à l’éducation. Si nous avions disposé d’une telle cellule, aurions-nous commis des erreurs comme la signature par l’éducation nationale de ce contrat sans appel d’offres avec Microsoft, sans mesurer le degré de transparence qui en découlera pour les données relatives aux jeunes de l’éducation nationale ?

Nous souffrons d’une absence d’appréhension transversale. Je regrette donc que la législation soit saucissonnée avec, d’un côté, la loi Renseignement et les droits et libertés numériques et, de l’autre, la loi Macron II, qui devrait concerner l’économie, parce que nous manquons de transversalité au plus haut niveau. Il ne s’agit pas de tomber dans l’étatisme technologique, mais simplement de nous rassembler pour développer une stratégie politique et industrielle nous permettant d’être acteurs du monde numérique de demain. Une prise de conscience est nécessaire et doit intervenir en France comme en Europe.

Je répète, avec une vraie passion, que nous devons inscrire dans la loi ces dispositions, même s’il n’est pas très satisfaisant d’en passer par le biais d’un rapport.

De la même manière, j’ai regretté que soit rejeté mon amendement relatif aux marchés publics. Il aurait été efficace dans la mesure où il était suffisamment normatif pour garantir que les objectifs de l’attribution des marchés publics étaient bien atteints.

Je termine en disant à M. Frassa que je ne confonds pas les solutions et les objectifs à atteindre. Les missions que j’évoque constituent des objectifs, et non des moyens. Le système d’exploitation souverain est, lui, un moyen qu’il convient – je rejoins sur ce point Mme la secrétaire d’État – de ne pas inscrire dans le texte de loi. (Applaudissements sur les travées de l’UDI-UC.)

Mme la présidente. La parole est à Mme la secrétaire d’État.

Mme Axelle Lemaire, secrétaire d’État. Je souhaite apporter une précision quant au champ de ce projet de loi.

Le titre Ier s’attache à l’économie et à l’innovation, autour du partage des données ; le titre II concerne à la fois les droits des consommateurs, la neutralité de l’internet et les données personnelles ; le titre III a trait aux territoires et à l’accessibilité du numérique aux personnes en situation de handicap ou aux publics les plus fragiles.

Ce texte a été rédigé par quatorze ministères différents et modifie quatorze codes différents. Le plus haut niveau de l’État a donc bien pris conscience que le numérique était devenu un objet politique transversal nécessitant un travail interministériel. Ne sous-estimez pas l’importance qu’accorde le Gouvernement aux enjeux de souveraineté numérique.

Monsieur Sueur, vous évoquiez la nécessité de s’interroger sur la localisation des données. Ces questions traversent tous les jours l’action du Gouvernement : à Bruxelles quand il s’agit de négocier le marché unique européen ou l’agenda « Free Flow of Data », relatif à la libre circulation des données, au cours des négociations commerciales avec les États-Unis sur le partenariat transatlantique, ou encore au moment de définir des exceptions propres aux données sensibles relatives, notamment, à la santé, à la défense ou à la justice.

Pour ces données, nous devons exiger une localisation sur le territoire national ou européen, qui emporte l’application du droit national ou de la législation européenne. C’est bien ce que dit notre droit et c’est cela que nous négocions à Bruxelles.

Ces questions sont donc présentes dans toute l’action numérique du Gouvernement. Il nous reste sans doute à expliquer plus précisément la transversalité des politiques numériques que nous menons.

Mme la présidente. Je mets aux voix l’amendement n° 108 rectifié bis.

(L’amendement n’est pas adopté.)

Mme la présidente. Je mets aux voix l’amendement n° 107 rectifié bis.

(L’amendement n’est pas adopté.)

Mme la présidente. Je mets aux voix l’amendement n° 229.

(L’amendement n’est pas adopté.)

Mme la présidente. Je mets aux voix l’amendement n° 295 rectifié.

(L’amendement est adopté.)

Mme la présidente. Je mets aux voix l’amendement n° 230.

(L’amendement n’est pas adopté.)

Mme la présidente. Je mets aux voix l’article 16 ter, modifié.

(L’article 16 ter est adopté.)

Chapitre II

Économie du savoir

Article 16 ter
Dossier législatif : projet de loi pour une République numérique
Article 17

Article 17 A

(Supprimé)

Mme la présidente. L’amendement n° 455, présenté par Mme Assassi, MM. Bosino, Abate et les membres du groupe communiste républicain et citoyen, est ainsi libellé :

Rétablir cet article dans la rédaction suivante :

À la fin de la seconde phrase de l’article L. 312-9 du code de l’éducation, les mots : « et le respect de la propriété intellectuelle » sont remplacés par les mots : « , le respect de la propriété intellectuelle et de l’égalité entre les femmes et les hommes ainsi que la lutte contre les violences commises au moyen d’un service de communication au public en ligne ».

La parole est à M. Patrick Abate.

M. Patrick Abate. Le développement du numérique, en constante progression dans notre société, a rendu de plus en plus nécessaires l’apprentissage et la maîtrise d’outils qui lui sont propres, lesquels sont devenus aujourd’hui la condition sine qua non de l’intégration sociale et professionnelle.

Dans ce cadre, la loi de 2009 favorisant la diffusion et la protection de la création sur internet a modifié l’article 3 de la loi de programme sur l’enseignement technologique et professionnel de 1985, passant de l’énoncé du principe d’initiation à la technologie et à l’usage de l’informatique à une véritable définition de ce que doit constituer cette initiation.

Chaque évolution technologique apporte avec le progrès une cohorte de nouvelles pratiques dangereuses. Il apparaît essentiel de préciser à nouveau aujourd’hui les contenus de l’enseignement relatif à la maîtrise de l’outil informatique. L’histoire dramatique de ces adolescents, plus souvent de ces adolescentes, victimes de revenge porn ne cesse de nous interpeller.

L’article 17 A ne conduit pas à rendre la loi bavarde, mais confère plutôt aux équipes enseignantes l’ensemble des outils nécessaires pour lutter contre toutes les formes de cyberviolence, dont une récente étude estimait que plus de 20 % des jeunes scolarisés en ont été victimes, avec des conséquences dramatiques pour ces jeunes et leur entourage.

La commission de la culture du Sénat a décidé de supprimer l’article 17 A, au motif que le véhicule législatif paraissait douteux et que la loi serait affaiblie par son maintien, eu égard à l’impossibilité de présenter une liste exhaustive des droits et des devoirs liés à l’usage d’internet. Nous ne souscrivons pas à cet argument, pour deux raisons : tout d’abord, il nous semble que la question de la lutte contre la cyberviolence a toute sa place dans un texte destiné à fonder une société du numérique ; ensuite, si la loi doit en effet arrêter des règles et des principes généraux, elle doit également se saisir de problématiques spécifiques. Il s’agit ici d’un phénomène de société qui ne relève malheureusement aucunement de l’anecdote.

Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission de la culture ?

Mme Colette Mélot, rapporteur pour avis de la commission de la culture, de l’éducation et de la communication. Lors de sa réunion du 5 avril dernier, la commission a supprimé l’article 17 A. Il ne s’agissait pas de s’opposer à une sensibilisation à la lutte contre les violences commises au moyen d’un service de communication publique en ligne. La commission a seulement estimé que le vecteur juridique choisi – la loi – n’était pas opportun. Elle a en outre rappelé qu’il existe déjà une disposition dans le code de l’éducation prévoyant que, « dans le cadre de l’enseignement moral et civique, les élèves sont formés afin […] d’acquérir un comportement responsable dans l’utilisation des outils interactifs ».

Pourtant, lors de l’examen en commission de l’amendement tendant à rétablir cet article, la commission a émis un avis favorable. Je tiens néanmoins à préciser que, à titre personnel, je reste défavorable à cet amendement, qui me semble rendre la loi bavarde et moins lisible.

Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?

Mme Axelle Lemaire, secrétaire d’État. Je demande le retrait de cet amendement, qui me semble satisfait par l’article L. 121-1 du code de l’éducation, déjà cité. Celui-ci prévoit d’ores et déjà que l’éducation à l’égalité entre les femmes et les hommes fait partie intégrante de l’enseignement scolaire et supérieur et qu’elle est adaptée, sur le fond comme sur la forme, aux évolutions techniques et culturelles.

Le plan numérique à l’école initié par le Président de la République comprend un volet de formation des enseignants comme des élèves à l’autonomie dans l’environnement numérique, afin de permettre un dialogue constructif entre les enfants et leurs enseignants sur ces sujets.

Pour ce qui concerne l’arsenal législatif, le projet de loi que nous examinons introduit une nouvelle disposition, vous l’avez citée, monsieur Abate, relative au phénomène de revanche pornographique. Le cyberharcèlement est devenu une infraction, réprimée par la loi. Il constitue également une circonstance aggravante depuis une loi du 4 août 2014, puisque le code pénal fait du harcèlement en ligne une infraction passible de deux ans d’emprisonnement et de 30 000 euros d’amende.

Il importe aujourd’hui de s’investir dans les actions de sensibilisation des jeunes, des enseignants et des parents. Ces actions sont menées. J’en veux pour preuve la diffusion d’un guide de prévention contre la cyberviolence à l’école, la mise en place d’un partenariat avec l’association e-enfance, qui forme très bien à ces problématiques, la mise en place du numéro vert national Net Écoute – 0800 200 000 – qui propose des moyens techniques, juridiques et psychologiques adaptés aux victimes de cyberharcèlement, à leur famille et au personnel éducatif.

Le Gouvernement considère qu’une nouvelle disposition législative n’est pas nécessaire pour continuer à avancer sur ce sujet.

Mme la présidente. La parole est à M. David Assouline, pour explication de vote.

M. David Assouline. Je ne suis pas convaincu par l’argument selon lequel le vecteur juridique – en l’occurrence cette loi – ne serait pas le bon. Cet argument pourrait être avancé pour de nombreux amendements !

Ce texte a pour ambition de rassembler les problématiques essentielles que recouvre la révolution numérique, dont cette question fait partie. Elle constitue peut-être même la plus discutée de ces problématiques, celle qui suscite une réaction de rejet de l’outil, que certains en viennent à considérer comme le lieu par excellence où la violence s’exprime sans encadrement.

Bien entendu, l’éducation nationale agit, et vous avez relevé les initiatives concrètes qui sont mises en œuvre.

Cet amendement ne vise qu’à rétablir ce que nos amis députés ont inscrit dans le texte. Ils ont autant que nous le souci de bien légiférer. Comme nous, ils sont conscients qu’une loi pour la République numérique qui évacuerait cette question passerait à côté d’un sujet qui appartient pourtant à son domaine global de pertinence.

Nos concitoyens attendent de nous qu’en discutant de la République numérique, c’est-à-dire de la manière dont les valeurs de la République, avec ses règles et ses principes, peuvent accompagner cette évolution qui bouleverse toute la société, nous abordions la question de la cyberviolence. En la mentionnant, nous montrerions que nous nous y consacrons avec insistance, en plus de l’importante action du Gouvernement en la matière et des dispositifs concrets existants. Il me semble donc que le rétablissement de la rédaction issue de l’Assemblée nationale serait judicieux.

Mme la présidente. La parole est à Mme Françoise Laborde, pour explication de vote.

Mme Françoise Laborde. Je suis également favorable au rétablissement de cet article, parce que, si nous sommes tous des enfants de la République, nous ne sommes pas tous des enfants de la République numérique. Nous verrons d’ailleurs en abordant les titres II et III un certain nombre d’autres problèmes. Nos débats sur le rôle de la CNIL ont déjà montré que ce qui paraît évident pour certains peut l’être moins pour d’autres.

Certes, les lois sont parfois trop bavardes, mais, en l’occurrence, ce bavardage-là est nécessaire pour affirmer notre vigilance envers les générations futures. La cyberviolence n’est pas une vue de l’esprit, mais une réalité contre laquelle il faut se donner les moyens de se défendre si l’on veut que le numérique ait une vraie place dans notre société.

Mme la présidente. La parole est à M. Patrick Abate, pour explication de vote.

M. Patrick Abate. J’entends bien l’argument consistant à dire qu’un texte de loi ne doit pas être bavard ou reprendre des dispositions déjà prévues dans d’autres textes. J’entends bien aussi que vous vous préoccupez au moins autant que nous tous ici de ces problèmes de violence. En effet, il n’y a pas un camp qui serait favorable à l’expression de la violence contre un autre, dont nous serions, favorable à sa répression.

Il me semble important que le projet de loi et, au-delà, la démarche qui y préside soient transversaux. Ce projet de loi a par nature vocation à viser quantité de sujets qui sont déjà forcément plus ou moins traités dans d’autres textes de loi. Mais, au risque de quelques redondances, il me semble que la cyberviolence ne peut pas être absente d’un projet de loi sur le numérique.

Mme la présidente. Je mets aux voix l'amendement n° 455.

(L'amendement n'est pas adopté.)

Mme la présidente. En conséquence, l’article 17 A demeure supprimé.

Article 17 A (supprimé)
Dossier législatif : projet de loi pour une République numérique
Article 17 bis

Article 17

Le chapitre III du titre III du livre V du code de la recherche est complété par un article L. 533-4 ainsi rédigé :

« Art. L. 533-4. – I. – Lorsqu’un écrit scientifique issu d’une activité de recherche financée au moins pour moitié par des dotations de l’État, des collectivités territoriales ou des établissements publics, par des subventions d’agences de financement nationales ou par des fonds de l’Union européenne est publié dans un périodique paraissant au moins une fois par an, son auteur dispose, même après avoir accordé des droits exclusifs à un éditeur, du droit de mettre à disposition gratuitement dans un format ouvert, par voie numérique, sous réserve de l’accord des éventuels coauteurs, la version finale de son manuscrit acceptée pour publication, dès lors que l’éditeur met lui-même celle-ci gratuitement à disposition par voie numérique ou, à défaut, à l’expiration d’un délai courant à compter de la date de la première publication. Ce délai est de six mois pour une publication dans le domaine des sciences, de la technique et de la médecine et de douze mois dans celui des sciences humaines et sociales.

« La version mise à disposition en application du premier alinéa ne peut faire l’objet d’une exploitation dans le cadre d’une activité d’édition à caractère commercial.

« II. – Dès lors que les données issues d’une activité de recherche financée au moins pour moitié par des dotations de l’État, des collectivités territoriales, des établissements publics, des subventions d’agences de financement nationales ou par des fonds de l’Union européenne ne sont pas protégées par un droit spécifique ou une réglementation particulière et qu’elles ont été rendues publiques par le chercheur, l’établissement ou l’organisme de recherche, leur réutilisation est libre.

« III. – L’éditeur d’un écrit scientifique mentionné au I ne peut limiter la réutilisation des données de la recherche rendues publiques dans le cadre de sa publication.

« IV. – Les dispositions du présent article sont d’ordre public et toute clause contraire à celles-ci est réputée non écrite. »

Mme la présidente. La parole est à M. Patrick Abate, sur l'article.

M. Patrick Abate. La recherche, en tant que source de progrès dans tous les domaines, ne saurait faire l’objet d’une captation par une minorité – je pense que nous serons tous d’accord –, surtout pour des motifs purement mercantiles – mais peut-être serons-nous un peu moins d’accord sur ce point ! Or, si l’on y regarde de plus près, c’est exactement ce qui se passe aujourd’hui.

Dans ce cadre, la présence de l’article 17, bien que sa rédaction soit très timide, constitue une bonne nouvelle. Nous tenterons par le biais d’amendements de le faire avancer dans le bon sens, en revenant notamment sur le champ d’application de ses dispositions et en élargissant la liste des activités de recherche concernées. Il nous paraît en effet injustifié de fixer un seuil important, pour rappel de moitié, de financements publics pour lancer le processus de publicisation de la recherche, alors même que ce sont les institutions publiques qui souffrent le plus de la politique tarifaire prohibitive pratiquée par le secteur de l’édition.

Il nous semble toutefois que l’article, en l’état, passe à côté de l’enjeu central de la politique d’édition de la recherche. En effet, que penser de la non-régulation des relations contractuelles entre éditeurs et chercheurs, alors même que ces derniers sont aujourd’hui en position d’extrême faiblesse vis-à-vis des premiers ? De fait, il n’y a qu’un tout petit pas à franchir pour considérer que les chercheurs voient leur production captée par une minorité d’éditeurs que l’on aurait du mal à qualifier de précaires. Rappelons que les quatre principaux éditeurs du globe se partagent l’immense majorité d’un marché de près de 22 milliards d’euros annuels !

L’extrême concentration du marché, associée à la question vitale de la qualification de la recherche passant obligatoirement par l’édition dans des revues, conduit inévitablement à un déséquilibre important au moment de la signature d’un contrat entre un éditeur et un chercheur, au détriment de ce dernier, notamment en matière de droits d’auteur et de rémunérations.

Ainsi, si l’article 17 tend à améliorer les choses en ce qui concerne la publicisation des actes de recherche, il ne saurait pleinement nous satisfaire tant il règle de manière insuffisante le problème des conditions contractuelles entre éditeurs et chercheurs, alors même que ces derniers sont à la base de la recherche et que leur position les empêche de pouvoir négocier dans le cadre de la contractualisation.

Mme la présidente. L'amendement n° 456, présenté par Mme Assassi, MM. Bosino, Abate et les membres du groupe communiste républicain et citoyen, est ainsi libellé :

Alinéa 2, première phrase

1° Après le mot :

financée

insérer les mots :

directement ou indirectement

2° Remplacer les mots :

pour moitié

par les mots :

en partie

La parole est à M. Patrick Abate.

M. Patrick Abate. Cet amendement est défendu.

Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission de la culture ?

Mme Colette Mélot, rapporteur pour avis. L’article 17 traite de l’élargissement de l’open access aux résultats de la recherche scientifique.

Tout au long de l’examen de cet article en commission s’est posée la délicate question du juste équilibre qu’il convient de maintenir entre le respect de la propriété intellectuelle et le développement de la recherche publique, dans un contexte où le numérique modifie les pratiques en profondeur. Dans la recherche de cet équilibre délicat, j’ai été soucieuse de favoriser une diffusion étendue des résultats de la recherche publique tout en veillant à ne pas mettre le modèle économique des éditeurs en péril.

En ce qui concerne l’amendement n° 456, la commission de la culture avait estimé, lors d’un premier examen, que le critère retenu pour définir le financement public, à savoir un financement au moins pour moitié par des dotations de l’État, des collectivités territoriales ou des établissements publics, par des subventions d’agences de financement nationales ou par des fonds de l’Union européenne, était clair et ne méritait pas d’être modifié. Pourtant, lors de sa réunion du 26 avril, un avis favorable a été donné sur cet amendement.

Personnellement, je reste fidèle à ma position première et voterai donc contre l’amendement.

Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?

Mme Axelle Lemaire, secrétaire d'État. La libre diffusion des connaissances et le partage des résultats de la recherche sont nécessaires au progrès scientifique et à l’innovation.

L’accès libre à l’information scientifique ne peut pas être complet sans une diffusion libre des résultats exposés dans les articles publiés par les chercheurs. C’est ce qu’on appelle l’open access, conforme au modèle de la science ouverte qui est lui-même conforme à la réalité des pratiques des chercheurs dans leur coproduction d’écrits au sein d’une communauté qui partage et diffuse les savoirs.

À l’heure où le principe de cette libre diffusion des connaissances s’impose chez nos voisins européens, en Allemagne notamment, mais aussi outre-Atlantique, en Amérique latine ou au Québec, il est temps de l’appliquer dans notre pays pour doter la recherche française des moyens de se maintenir à la pointe de la recherche mondiale. Tel est l’objet de l’article 17, qui accorde le droit à tout chercheur de mettre à la disposition du public ses écrits scientifiques au terme d’une durée qui est inscrite dans la loi dès lors que ses travaux sont issus d’une activité de recherche majoritairement financée par des fonds publics.

Cet équilibre trouvé dans la rédaction proposée est important et doit à mon sens être conservé. Il me paraît en effet indispensable de suivre les mêmes principes que les autres pays qui se sont pourvus d’une loi en la matière, afin de garder une cohésion a minima au niveau européen.

Le Gouvernement émet donc un avis défavorable sur cet amendement.

Mme la présidente. Je mets aux voix l'amendement n° 456.

(L'amendement n'est pas adopté.)

Mme la présidente. L'amendement n° 264, présenté par Mme D. Gillot, MM. Sueur, Leconte, Rome, Camani, F. Marc, Assouline, Guillaume et les membres du groupe socialiste et républicain, est ainsi libellé :

Alinéa 2, première phrase

Après les mots :

une fois par an

insérer les mots :

ou dans des actes de conférences scientifiques

La parole est à Mme Dominique Gillot.

Mme Dominique Gillot. Cet amendement vise à élargir au-delà des seules publications dans une revue scientifique la possibilité de mettre à disposition, sur volonté de leurs auteurs, gratuitement et dans un format ouvert, les données produites et exposées dans des colloques ou conférences scientifiques. Celles-ci représentent un important volume des publications en informatique, électronique, télécommunications et sciences de l’information.

Le consortium universitaire Couperin, qui rassemble les établissements universitaires, écoles et organismes de recherche autour des questions de documentation électronique, a réalisé des analyses récentes sur les bases de données citationnelles des fournisseurs Thomson Reuters et Elsevier. Il apparaît que la place des actes de colloques, congrès et autres conférences scientifiques est prépondérante dans les thématiques disciplinaires des sciences en technologie de l’information et de l’ingénierie. À titre d’exemple, ces actes de rassemblements scientifiques constituent près de 21 % des publications en STM – sciences, techniques et médecine – de la base de données Web of Science de Thomson, soit 39 millions d’articles. Ces articles sont issus des actes de plus de 3 700 000 conférences sur l’ingénierie, de 1 900 000 conférences sur l’informatique et de plus de un million en physique et astronomie, pour ne citer que ces disciplines.

Il serait paradoxal que le projet de loi pour une République numérique, qui a vocation à favoriser et à encadrer la diffusion du numérique dans la société, exclue de son champ d’action les productions de la recherche dans ce domaine et se prive de tout un pan des publications de recherche.

Les actes de conférences constituent la trace écrite de la présentation orale des travaux des chercheurs. Ils ne sont pas moins travaillés ni moins scientifiques que les publications couvertes par la rédaction actuelle de l’article 17. Rien ne justifie donc, à mon sens, que ces actes soient ignorés d’une libre diffusion quand ils sont le produit d’une recherche financée majoritairement par des fonds publics. Cet amendement vise donc à revenir au texte initial du Gouvernement, qui prévoyait cette disposition.

Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission de la culture ?

Mme Colette Mélot, rapporteur pour avis. Je comprends la volonté des auteurs de l’amendement d’ajouter les actes de conférences scientifiques au champ d’application du droit d’exploitation secondaire, d’autant qu’ils figuraient dans la version initiale du projet de loi. Toutefois, les délais proposés étaient alors plus longs.

La commission a émis un avis favorable sur cet amendement. Je tiens néanmoins à vous faire part de ma crainte que, en adoptant cet amendement, nous ne remettions en cause un équilibre déjà fragile et contesté.

Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?

Mme Axelle Lemaire, secrétaire d'État. Dans le cadre de l’élaboration du présent projet de loi, le Premier ministre a demandé au ministère de l’éducation nationale, de l’enseignement supérieur et de la recherche de proposer, en lien avec le ministère de la culture, un plan de soutien, d’incitation et d’accélération du passage au libre accès pour les éditeurs scientifiques français. Je présenterai ce plan ultérieurement dans la discussion.

Dans ce cadre, a été mis en place un groupe de travail composé d’acteurs représentant les différents métiers, fonctions et intérêts concernés au premier chef par cette transition numérique qui bouleverse profondément les modèles, y compris les modèles économiques, des acteurs impliqués. Un document contenant les premières propositions de ce groupe de travail a été transmis à Matignon.

L’ensemble des participants de ce groupe de travail, qui représente l’édition publique comme privée, a proposé l’exclusion de ce type de documents du périmètre d’application de la loi, du fait notamment de la particularité du modèle économique de ces ouvrages, qui sont collectifs, modèle qui n’est pas le même que celui des revues visées par l’article. Le maintien des actes de conférences scientifiques dans le périmètre de la loi serait susceptible de fragiliser trop brutalement, trop directement un secteur déjà vulnérable.

Le Gouvernement émet donc un avis défavorable sur cet amendement.

Mme la présidente. La parole est à M. Patrick Abate, pour explication de vote.

M. Patrick Abate. Permettez-moi de faire remarquer que, en informatique, en électronique, en télécommunications, en sciences de l’information, beaucoup de publications, voire la plupart d’entre elles, font suite à des travaux menés lors de congrès, de colloques et d’autres réunions de ce type. Nous voterons donc l’amendement.

Mme la présidente. Je mets aux voix l'amendement n° 264.

(L'amendement n'est pas adopté.)

Mme la présidente. Je suis saisie de deux amendements identiques.

L'amendement n° 188 est présenté par Mme Bouchoux et les membres du groupe écologiste.

L'amendement n° 268 est présenté par Mme D. Gillot, MM. Sueur, Leconte, Rome, Camani, F. Marc, Assouline, Guillaume et les membres du groupe socialiste et républicain.

Ces deux amendements sont ainsi libellés :

Alinéa 2, seconde phrase

Après le mot :

est

insérer les mots :

au maximum

La parole est à Mme Corinne Bouchoux, pour présenter l’amendement n° 188.

Mme Corinne Bouchoux. Je vais considérer que l’amendement est défendu. Mon groupe soutient en effet les amendements de Dominique Gillot, qui a été rapporteur de textes portant sur la recherche et qui connaît très bien le monde des enseignants-chercheurs.

Pour décryptage, permettez-moi de préciser que, sous le terme d’équilibre, que j’ai plusieurs fois entendu, c’est en réalité le face-à-face entre le lobbying du Syndicat national de l’édition, le SNE, et les chercheurs qui se joue.

Nous sommes d’avis qu’il faut soutenir les chercheurs et voter les amendements de Dominique Gillot, mais je constate que le rapport de force ce soir ne penche, hélas ! pas dans ce sens.

Mme la présidente. La parole est à Mme Dominique Gillot, pour présenter l'amendement n° 268.

Mme Dominique Gillot. Je vais aller dans le même sens que notre collègue Corinne Bouchoux : il serait vraiment dommage d’exclure certains produits de la recherche scientifique d’un projet de loi qui se propose de rassembler dans un même texte tous les enjeux du numérique. Nous avons précédemment réussi à trouver un accord en matière de lutte contre les violences, je ne vois pas pourquoi nous n’y parviendrions pas sur ce sujet.

Faire une différence entre les textes qui sont édités dans des revues qui coûtent fort cher aux universités et les communications ou exposés donnés dans les multiples conférences et colloques scientifiques qui émaillent la vie des chercheurs est une véritable erreur. Nous devons soutenir les scientifiques français dans cette compétition scientifique internationale. Nous devons leur donner les moyens de pratiquer la recherche scientifique de la même manière que leurs collègues issus de pays dont la législation est plus ouverte que la nôtre.

M. Alain Néri. Très bien !

Mme Dominique Gillot. Dans un contexte de forte rivalité scientifique, il s’agit véritablement d’un enjeu de souveraineté scientifique de la France.

M. Alain Néri. Bravo, madame Gillot !

Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission de la culture ?

Mme Colette Mélot, rapporteur pour avis. Je suis intimement persuadée que nous ne devons pas freiner l’avancement de la recherche scientifique. Toute la difficulté de l’exercice est donc de favoriser une diffusion étendue des résultats de la recherche publique tout en veillant à ne pas mettre le modèle économique des éditeurs en péril.

On ne peut aller contre un modèle économique qui existe depuis très longtemps. Bien que ce modèle économique soit sans doute appelé à évoluer, il convient de trouver une solution d’équilibre.

Ces deux amendements identiques visent à préciser que les délais légaux de six et douze mois sont des délais maximums. Il nous avait semblé inutile de le préciser puisque, contractuellement, l’éditeur et l’auteur peuvent prévoir des délais plus courts. Toutefois, pour rassurer nos collègues du groupe écologiste et dans la mesure où nous sommes d’accord sur le principe qu’il s’agit d’un délai maximum, la commission a émis un avis favorable sur ces amendements.

Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?

Mme Axelle Lemaire, secrétaire d'État. Défavorable. (Exclamations sur plusieurs travées du groupe socialiste et républicain et du groupe CRC.)

M. Alain Néri. Pourquoi ?

Mme la présidente. La parole est à M. David Assouline, pour explication de vote.

M. David Assouline. J’ai beaucoup hésité sur cette série d’amendements, car je pense à une problématique équivalente : le droit des auteurs et des créateurs, auquel je suis sensible. Or j’ai été convaincu par Mme Gillot.

Tout d’abord, ce sont les éditeurs et non les chercheurs qui s’opposent à l’élargissement des possibilités de publicisation ouverte des travaux de recherche. Les chercheurs pourraient ne pas être d’accord, ils pourraient considérer que la mise à disposition de leurs travaux sur le net sans contrepartie s’apparente à un pillage, mais non ! Ils demandent une telle mise à disposition.

M. Bruno Sido. Absolument !

M. David Assouline. Ensuite, ce que l’on considère comme absolument fantastique dans la révolution numérique, c’est justement cette possibilité, dans le domaine de la recherche, de pouvoir être informé de tout ce qui émerge dans le monde et de l’intégrer à sa propre recherche pour progresser. Cet échange, cette mise en commun permettent aujourd'hui de réaliser des avancées incomparablement plus rapides, notamment sur les sujets où cette rapidité est cruciale parce qu’il s’agit par exemple de soigner.

S’il y a un domaine où la République numérique, qui regarde avec confiance la révolution numérique, ne devrait pas mettre de barrières, c’est bien dans le domaine de la recherche scientifique. Je sais que l’on va m’opposer les arguments inverses, mais je suis convaincu qu’il y va de l’intérêt général et de celui des chercheurs eux-mêmes. Les chercheurs nous le demandent. Ne cherchons pas à faire leur bien à leur place !

Mme la présidente. La parole est à M. Bruno Sido, pour explication de vote.

M. Bruno Sido. C’est en tant que vice-président de l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques que je prends la parole.

Comme Mme Gillot et comme de nombreux collègues membres de l’Office, je suis très sensible à la question de la recherche scientifique. Nous rencontrons en effet en permanence des chercheurs, des académiciens et un certain nombre de personnes concernées par le développement et l’amélioration de la compétitivité de la recherche française. D’autres pays travaillent également à l’amélioration de la recherche chez eux et y arrivent certainement plus vite que nous.

Je pense à la fouille des données, ce qu’on appelle le Text and Data Mining, ou TDM. J’interviens peut-être un peu tôt dans le débat, mais, à la suite des propos tenus par M. Assouline, avec qui, pour une fois, je suis d’accord, et surtout par Mme Gillot, je tenais à insister sur l’occasion fantastique que constitue ce projet de loi pour une République numérique d’avancer dans ce domaine.

Madame la secrétaire d'État, l’avant-projet de loi pour une République numérique prévoyait des dispositions en la matière qui ont été retirées. Sous la pression de qui ? Allez savoir… Lors de la discussion qui a eu lieu entre les ministères, ce n’est pas forcément le ministère concerné qui l’a emporté… Or, vous le savez mieux que moi, le Royaume-Uni, les États-Unis et le Japon ont déjà légiféré pour autoriser le TDM sur les résultats de recherches financées par des fonds majoritairement publics. Mme Nathalie Kosciusko-Morizet a d’ailleurs déposé un amendement tendant à autoriser le TDM, qui, contre l’avis du Gouvernement, a été adopté par l’Assemblée nationale.

Permettez-moi d’exposer un argument plaidant en faveur du maintien de cet amendement : le gouvernement actuel s’appuie sur la directive de 2001, mais il sait que Bruxelles va ouvrir des négociations en mai 2016 pour réviser cette directive à la fin de 2016. Certains pays la transposeront très vite, tandis qu’en France, bien entendu, cela prendra au moins deux ans, nous faisant perdre deux années de TDM. La recherche des autres pays prendra ainsi de l’avance par rapport à la nôtre, ce qui sera fort dommageable.

Je ne soutiens pas tel amendement plutôt que tel autre, mais je souhaite que nous abordions le sujet au fond avec Mme la présidente de la commission de la culture, et j’enjoins Mme la rapporteur pour avis à la plus grande attention, car, dans le monde d’aujourd'hui où tout va très vite, il ne faudrait pas que notre pays prenne du retard.

Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Pierre Sueur, pour explication de vote.

M. Jean-Pierre Sueur. Le Sénat ne doit pas donner le sentiment qu’il se coupe des chercheurs et des universitaires.

Je ne suis pas intervenu lors de l’examen de l’amendement n° 264, mais je tiens à dire que le maintien d’une distinction entre les articles scientifiques qui paraissent dans des livres ou des revues et les articles qui sont le fruit de colloques ou de conférences est totalement incompréhensible. Je ne sais pas qui va pouvoir justifier un tel vote devant les universitaires de ce pays. Pour avoir été moi-même longtemps universitaire, je peux vous assurer que mes articles sont parus aussi bien dans des livres et des revues que dans des ouvrages réunissant des actes de conférences et de colloques. Pourquoi la loi s’appliquerait-elle dans un cas et pas dans l’autre ?

Par ailleurs, insérer les mots « au maximum », comme le prévoient les amendements nos 188 et 268, signifie que le délai peut être inférieur dans le cas où il y aurait accord entre l’auteur ou les coauteurs et l’éditeur. Que signifierait le rejet de ces amendements ? Que si l’auteur ou les coauteurs et l’éditeur sont d’accord pour publier sur internet dans un délai inférieur il faudrait qu’ils ne le fassent pas ! Est-ce que quelqu’un a le début d’un argument permettant d’avancer qu’il y aurait un préjudice pour l’éditeur, dont l’accord est de toute façon nécessaire ?

Mes chers collègues, soyons simples, soyons clairs et votons ces deux amendements identiques. Quant à l’amendement n° 264, il faudra tenter de le réintroduire en commission mixte paritaire, parce que, franchement, personne ne pourra défendre un tel rejet.

Mme la présidente. La parole est à Mme Colette Mélot, rapporteur pour avis.

Mme Colette Mélot, rapporteur pour avis. Pour faire suite à l’intervention de notre collègue Jean-Pierre Sueur, je répète que, pour les raisons précédemment exposées, j’ai émis un avis favorable sur ces deux amendements identiques. En effet, dans la mesure où il s’agit d’un contrat entre les éditeurs et les chercheurs, rien ne s’oppose, selon moi, à la proposition formulée par les auteurs de ces amendements.

Bruno Sido, quant à lui, a tenu à s’exprimer au sujet du TDM avant même qu’on n’aborde cette question, à l’article 18 bis. Toujours est-il que je suis bien d’accord : il nous faut trouver un moyen pour faire avancer ce sujet également.

Mme la présidente. La parole est à Mme Dominique Gillot, pour explication de vote.

Mme Dominique Gillot. Ce sujet est extrêmement sensible ; preuve en est que, à l’examen de ces différents amendements, notre assemblée s’est embrasée tout en se retrouvant dans un état de sidération.

Mon amendement précédent, le n° 264, visait à revenir sur l’exclusion du champ du projet de loi des actes de conférences scientifiques. Malheureusement, il n’a pas recueilli une majorité en sa faveur et, comme l’a dit Jean-Pierre Sueur, nous aurons à nous en expliquer devant les scientifiques, ce qui sera très compliqué.

Les amendements identiques nos 188 et 268, quant à eux, visent simplement à donner la possibilité à des scientifiques, en accord avec leurs éditeurs, de raccourcir le délai d’embargo en prévoyant un délai maximum de six mois. C’est tout ! Rien de plus !

Nous aborderons ensuite la question de la fouille de données et de textes et d’autres arguments pourront alors être invoqués.

Mes chers collègues, je vous invite à voter ces deux amendements identiques de manière à permettre aux scientifiques, en accord avec leurs éditeurs, de raccourcir les délais d’embargo afin de faire profiter leurs collègues de l’ensemble des données partagées.

Mme la présidente. Je mets aux voix les amendements identiques nos 188 et 268.

(Les amendements sont adoptés.)

Mme la présidente. Les deux amendements suivants sont également identiques.

L'amendement n° 95 rectifié est présenté par M. Leleux, Mmes Duranton et Lopez et MM. Dufaut, Bouchet et Karoutchi.

L'amendement n° 170 rectifié est présenté par MM. Commeinhes, Chatillon et Longeot.

Ces deux amendements sont ainsi libellés :

Alinéa 2, seconde phrase

1° Remplacer le mot :

six

par le mot :

douze

2° Remplacer le mot :

douze

par le mot :

vingt-quatre

La parole est à M. Jean-Pierre Leleux, pour présenter l’amendement n° 95 rectifié.

M. Jean-Pierre Leleux. Cet amendement vise à revenir aux délais initialement prévus de mise en accès gratuit, en les portant respectivement de six mois à douze mois et de douze mois à vingt-quatre mois.

Le débat qui vient d’avoir lieu le démontre encore : c’est un sujet sensible, et Mme la rapporteur pour avis a rappelé les enjeux économiques auxquels doit faire face le monde de l’édition. Tout en comprenant bien qu’il faille diffuser le plus rapidement possible le fruit de leurs recherches et les publications des scientifiques dans un but de partage et afin de faire progresser la recherche, deux raisons essentielles me conduisent à penser que ces délais sont un peu courts. C’est pourquoi, par cet amendement, je propose d’en revenir à un délai de douze mois pour les publications dans le domaine des sciences, de la technique et de la médecine et à un délai de vingt-quatre mois dans celui des sciences humaines et sociales.

Le modèle économique de centaines de publications repose sur des accords exclusifs avec les auteurs. Or ceux-ci pourraient donc être autorisés à mettre en ligne leurs articles, cependant que, les publications vieillissant très vite, un certain nombre de revues n’auraient alors plus aucun intérêt à être publiées. Un grand nombre de bibliothèques, comme l’a démontré une étude de l’IDATE en 2015, renonceraient alors à leurs abonnements dès lors que les publications seraient mises en ligne quelques semaines plus tard.

Il faut donc faire preuve de prudence vis-à-vis de ce secteur économique, ce dont est parfaitement conscient le Gouvernement puisque le Premier ministre a proposé un plan d’accompagnement des éditeurs scientifiques français pour les aider à surmonter les difficultés dans leur passage au libre accès. Or ce plan n’a toujours pas été rendu public. Puisque Mme la secrétaire d’État a déclaré qu’elle l’évoquerait, alors ce moment est arrivé.

Autre raison de voter cet amendement : le problème de concurrence avec nos pays voisins, qui n’imposent pas les mêmes délais d’embargo. Or il vaut mieux pour nos chercheurs que les délais en vigueur en France soient à peu près identiques à ceux des autres pays européens. Il serait dangereux pour la recherche française, dont l’impact dépend très largement de sa capacité à être présente dans des publications internationales de qualité, de la soumettre à une législation radicalement différente de celle qui est en vigueur dans les pays voisins.

Mme la présidente. Cher collègue, il faut conclure !

M. Jean-Pierre Leleux. Telles sont les raisons qui me conduisent à proposer d’en revenir à ces délais de douze et de vingt-quatre mois.

Mme la présidente. L’amendement n° 170 rectifié n’est pas soutenu.

Quel est l’avis de la commission de la culture sur l’amendement n° 95 rectifié ?

Mme Colette Mélot, rapporteur pour avis. Cet amendement soulève la question des délais d’embargo, qui est d’autant plus délicate que le Gouvernement n’a produit aucune étude d’impact sérieuse non plus qu’il n’existe aucune étude scientifique française solide qui permettraient de trancher dans un sens ou dans l’autre.

Les arguments suivants m’ont donc conduite à pencher pour un maintien des délais d’embargo tels qu’ils ont été votés à l’Assemblée nationale et, par conséquent, à émettre un avis défavorable sur cet amendement.

Contrairement à ce que peuvent laisser penser les groupes de pression, il n’y a pas unanimité des éditeurs sur les délais retenus.

Par ailleurs, aussi bien les directeurs de bibliothèque universitaire que les organismes de recherche m’ont fait remarquer qu’il était de hors de question de remettre en cause leur politique d’abonnement, ne serait-ce que parce qu’ils se heurteraient à la colère des chercheurs, qui ne souhaitent pas attendre six ou douze mois pour avoir accès à l’article qu’ils recherchent.

En outre, le libre accès fonctionne sur la base du volontariat. Même les organismes de recherche les plus favorables à ce dispositif ont reconnu qu’ils vont devoir faire preuve de pédagogie auprès de leurs chercheurs pour les inciter à utiliser ce droit secondaire d’exploitation. C’est donc un dispositif qui va monter en puissance progressivement.

Enfin, je crains que les difficultés de certains éditeurs ne soient moins liées à cette mesure qu’à certains choix qui les ont empêchés d’élargir leur public en refusant de publier en anglais ou encore de passer au numérique.

Madame la secrétaire d’État, je souhaiterais vous faire part de l’inquiétude des éditeurs, qui considèrent que ce plan d’accompagnement tarde à être annoncé. J’espère donc que vous pourrez nous rassurer, notamment en nous donnant des explications sur celui-ci, ce dont je vous remercie par avance.

Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?

Mme Axelle Lemaire, secrétaire d'État. Je suis très défavorable à ce que les délais d’embargo, fixés par arbitrage à six mois pour les disciplines scientifiques et à douze mois pour les sciences humaines et sociales, soient de nouveau portés respectivement à douze et vingt-quatre mois. Cela nuirait au travail des chercheurs français, à l’attractivité de la recherche française. Ces délais de six et douze mois sont en phase avec les choix qui ont été faits par nos voisins européens.

La question de l’intérêt des éditeurs privés est bien éloignée de la problématique des droits d’auteur et du droit de la propriété intellectuelle ; les auteurs, ce sont les chercheurs, vérité qu’il est essentiel de rappeler.

Madame la rapporteur pour avis, vous m’interrogez sur le plan d’accompagnement annoncé par le ministère chargé de l’enseignement supérieur et de la recherche. Ce plan a été élaboré à la demande du Premier ministre, en lien avec le ministère de la culture. Il vise à faciliter l’adoption de ce texte tout en sauvegardant la diversité du tissu éditorial français dans ces disciplines. C’est là un objectif louable. Il est essentiel de repenser les modèles économiques et d’accompagner dans cette transition numérique en particulier les petites maisons d’édition en sciences humaines et sociales indépendantes qui ont réussi à survivre face aux puissantes maisons d’édition, très concentrées et souvent anglo-saxonnes. Un groupe de travail a donc été créé à cette fin et l’on peut d’ailleurs regretter que les représentants de l’édition privée ne se soient pas toujours fortement mobilisés pour participer à ses travaux.

Le projet de lettre de réponse du secrétaire d’État chargé de l’enseignement supérieur et de la recherche au Premier ministre est en cours de validation. Ce plan prévoit deux axes majeurs d’action : un système d’aide financière et un modèle spécifique de licence nationale passée soit avec les plateformes de diffusion compte tenu de leur rôle fédérateur et centralisateur d’un grand nombre de revues, soit directement avec les éditeurs. Dans cet objectif, des réunions spécifiques avec certains éditeurs ou diffuseurs – comme EDP Sciences ou Cairn.info – ont déjà eu lieu.

Une enveloppe supplémentaire de 2 millions d’euros sur cinq ans a été dévolue spécifiquement à ce plan.

Nous proposons aussi une aide à la traduction des articles en langue anglaise pour les revues de sciences humaines et sociales.

Ce dispositif, notamment dans la perspective de la clause de revoyure à deux ans destinée à analyser de façon plus objective l’impact économique de ce texte, sera placé sous l’autorité d’un comité représentatif des acteurs économiques et de la puissance publique. Il est toujours en discussion et doit être annoncé au plus vite pour une mise en œuvre effective dans les prochaines semaines.

Peut-être la conclusion au Sénat des débats sur ce sujet permettra-t-elle d’avancer enfin sur l’élaboration concrète de ce plan avec l’ensemble des parties prenantes. Les éditeurs, qui disposent déjà d’une version de travail de ce projet, seront bien entendu associés à ses modalités pratiques d’application, et nous les invitons donc à se reprocher très activement des pouvoirs publics pour trouver des solutions satisfaisantes pour l’ensemble des parties prenantes.

Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Yves Leconte, pour explication de vote.

M. Jean-Yves Leconte. Je ne comprends pas très bien : nous venons d’adopter les amendements identiques nos 188 et 268, qui ont modifié l’alinéa 2 de l’article 17 en fixant « au maximum » à six mois et à douze mois les délais de publication respectivement dans le domaine des sciences, de la technique et de la médecine et dans le domaine des sciences humaines et sociales. On nous a expliqué que cette précision était nécessaire pour la recherche, pour la diffusion rapide du savoir.

Or le présent amendement vise à porter ces délais respectivement à douze mois et à vingt-quatre mois. En fait, cette proposition est contraire à ce que nous venons de voter, ce qui est totalement incohérent ! La logique aurait voulu que l’adoption des amendements nos 188 et 268 fasse tomber l’amendement n° 95 rectifié.

Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Pierre Leleux, pour explication de vote.

M. Jean-Pierre Leleux. Mme la secrétaire d’État vient de nous donner quelques informations sur ce plan, informations dont nous ne disposions pas jusqu’à présent. Aussi, je vous en remercie, madame la secrétaire d’État. Je ferai néanmoins remarquer que la demande du Premier ministre au ministère chargé de l’enseignement supérieur et de la recherche date du 23 novembre 2015 et que, dans ce courrier, Manuel Valls demandait que ce plan de soutien soit élaboré dans un délai de deux mois, à savoir vers la fin du mois de janvier 2016. Or nous sommes en avril…

Mme la présidente. Je mets aux voix l'amendement n° 95 rectifié.

(L'amendement n'est pas adopté.)

Mme la présidente. L'amendement n° 500 rectifié, présenté par MM. Requier, Arnell, Bertrand, Castelli, Collin, Collombat, Esnol, Fortassin, Guérini et Hue, Mmes Jouve, Laborde et Malherbe et MM. Mézard et Vall, est ainsi libellé :

Alinéa 2

Compléter cet alinéa par une phrase ainsi rédigée :

Un délai inférieur peut être prévu pour certaines disciplines, par arrêté du ministre chargé de la recherche.

La parole est à Mme Françoise Laborde.

Mme Françoise Laborde. Cet amendement vise à ouvrir la possibilité au ministre chargé de la recherche de prévoir un délai d’embargo inférieur à six mois dans le domaine des sciences, de la technique et de la médecine et à douze mois dans celui des sciences humaines et sociales.

L’adoption de cet amendement permettrait aux chercheurs de mettre à disposition gratuitement le résultat de leurs travaux sur internet après ce délai inférieur prévu par le ministre, et ce même lorsque l’auteur aurait cédé ses droits à un éditeur. Cela permettrait d’atteindre un objectif satisfaisant de partage des résultats de la recherche, essentiel à l’innovation et à la croissance.

En effet, si les délais d’embargo retenus dans le présent projet de loi correspondent aux préconisations de la commission européenne du 17 juillet 2012, laisser la possibilité au ministre de prévoir un délai inférieur permettrait d’avoir plus de souplesse et d’arbitrer en fonction des spécificités éditoriales, des cultures ou des pratiques relatives à certaines disciplines. Par exemple, dans le domaine de la recherche en informatique, le dépôt en ligne avant même la publication est de coutume pour recueillir les avis de la communauté scientifique.

Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission de la culture ?

Mme Colette Mélot, rapporteur pour avis. Cet amendement vise à autoriser le ministre chargé de la recherche à réduire les délais d’embargo par arrêté. Cette disposition n’est pas acceptable pour deux raisons : d’une part, elle créerait une insécurité juridique dans la mesure où les délais prévus par la loi deviendraient indicatifs et susceptibles de modifications selon le bon vouloir du ministre chargé de la recherche ; d’autre part, elle entraînerait une limitation du droit de propriété individuelle, qui ne peut être imposée que par la loi et non par le pouvoir réglementaire.

La commission a donc émis un avis défavorable.

Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?

Mme Axelle Lemaire, secrétaire d'État. L’avis est également défavorable dans la mesure où il importe au Gouvernement de créer les conditions d’un équilibre durable dans un contexte plus large, le contexte européen, voire le contexte international, pour une science ouverte. Ces délais d’embargo de six et douze mois correspondent aux recommandations formulées par la Commission européenne en juillet 2012 et aussi au cadre fixé par le programme Horizon 2020, que les chercheurs connaissent bien.

Mme la présidente. La parole est à Mme Françoise Laborde, pour explication de vote.

Mme Françoise Laborde. Cet amendement ayant été déposé avant le débat que nous venons d’avoir, je le retire.

Mme la présidente. L'amendement n° 500 rectifié est retiré.

L'amendement n° 262, présenté par Mme D. Gillot, MM. Sueur, Leconte, Rome, Camani, F. Marc, Assouline, Guillaume et les membres du groupe socialiste et républicain, est ainsi libellé :

Après l’alinéa 5

Insérer un alinéa ainsi rédigé :

« La recherche publique bénéficie sans restriction du droit à l’extraction d’informations sur les données publiées relevant de ses activités scientifiques, pour ses propres besoins à l’exclusion de toute exploitation commerciale.

La parole est à Mme Dominique Gillot.

Mme Dominique Gillot. Les technologies automatiques de fouille et d’exploration massives de textes et de données scientifiques permettent, grâce à des algorithmes conçus à cet effet, d’analyser des gisements intenses de données numériques. Les puissances de calcul numérique changent complètement les échelles de temps comme la précision des extractions et permettent d’opérer des découvertes ciblées.

Cette nouvelle méthode de recherche permise par l’hyper-accélération des technologies de données ouvre la porte à des analyses jusque-là irréalisables et, par la suite, à des découvertes qui peuvent être fondamentales. Leur utilisation constitue un enjeu majeur en termes non seulement d’innovation, mais aussi de positionnement de la compétition scientifique internationale pour la recherche française.

Comme je l’ai déjà dit au cours de la discussion générale, faire le choix de la fouille de données, c’est non pas une entrave au droit d’auteur, mais un acte libérateur de soutien à la recherche. C’est un enjeu de souveraineté scientifique pour notre pays.

La poursuite de l’étude du génome, la conduite de macroétudes épidémiologiques, la découverte de corrélations improbables dans l’étude de processus complexes : voilà un aperçu des champs d’application de cet outil de recherche que nous devons impérativement autoriser aujourd’hui, faute de quoi des scientifiques continueront de se saisir de nouvelles opportunités créées à travers leurs réseaux en dehors de la légalité.

L’article 18 bis, tel qu’il a été adopté en commission, considère comme non écrite toute clause interdisant la fouille de données dans les contrats liant chercheurs et éditeurs. Même si elle procède d’une intention louable, cette disposition ne suffit pas, car elle est inopérante sur toutes les clauses l’interdisant par voie indirecte, comme la limitation du volume ou l’utilisation exclusive des outils d’exploration de l’éditeur.

Autoriser la fouille massive et organisée pour la recherche publique – le TDM – sur les données qu’elle a produites et publiées, sans exploitation commerciale, est de ce point de vue le minimum que nous pouvons faire pour soutenir nos chercheurs dans leur important travail de construction de la connaissance, pierre angulaire du développement de notre société apprenante, gage d’innovation et de croissance. C’est ce que nous proposons par cet amendement.

Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission de la culture ?

Mme Colette Mélot, rapporteur pour avis. Je regrette tout d’abord que cet amendement soit défendu à ce stade du débat, c'est-à-dire juste avant l’examen de l’article relatif au TDM.

Je l’ai dit en discussion générale, je suis favorable au TDM, lequel constitue une technique de recherche numérique dont la France, soumise à la concurrence internationale de pays où il est autorisé, ne peut raisonnablement pas se priver.

Le TDM est pratiqué aux États-Unis, au Canada, au Japon et même en Europe, puisque le Royaume-Uni a décidé de recourir à cette technique, quoique la directive européenne de 2001 ne le permette pas. Nous attendons d’ailleurs la nouvelle directive d’ici à quelques mois. Toujours est-il qu’il importe de trouver une solution transitoire. La commission a donc réfléchi à un nouveau mode de contrat entre les éditeurs et les organismes de recherche et a réécrit l’article 18 bis, qui, dans sa rédaction issue des travaux de l’Assemblée nationale, était inapplicable, car il contrevenait à la directive européenne.

Dans la rédaction proposée par la commission, l’article 18 bis réglerait la question du Text and Data Mining dans un sens favorable aux chercheurs sans remettre en cause le droit d’auteur. Pourtant, lors de sa dernière réunion, la commission a émis un avis favorable sur cet amendement, qui vise à créer un droit positif à la fouille de données pour le secteur de la recherche. Même si je sais que c’est la position défendue par le milieu de la recherche, à titre personnel, je continue de défendre la rédaction que j’ai proposée à l’article 18 bis pour permettre aux chercheurs d’effectuer la fouille de données.

Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?

Mme Axelle Lemaire, secrétaire d'État. À ce stade, il me semble plus opportun de discuter de la fouille de données dans le cadre non pas de l’article consacré à l’open access, mais de l’article 18 bis, qui est consacré à ce sujet. Le Gouvernement émet donc un avis défavorable.

Mme la présidente. Je mets aux voix l'amendement n° 262.

(L'amendement n'est pas adopté.)

Mme la présidente. Je mets aux voix l'article 17, modifié.

(L'article 17 est adopté.)

Article 17
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Articles additionnels après l'article 17 bis

Article 17 bis

La seconde phrase du premier alinéa de l’article L. 611-8 du code de l’éducation est remplacée par deux phrases ainsi rédigées :

« Cette mise à disposition peut se substituer aux enseignements dispensés en présence des étudiants afin d’offrir une formation d’enseignement supérieur à distance et tout au long de la vie. Ces enseignements peuvent conduire à la délivrance des diplômes d’enseignement supérieur dans des conditions de validation définies par décret. »

Mme la présidente. La parole est à M. Michel Savin, sur l'article.

M. Michel Savin. Le développement des formations en ligne est le fait de l’expansion croissante du numérique dans nos sociétés. Il convient aujourd’hui de ne pas manquer le rendez-vous de la modernité : en effet, le e-learning bouleverse les méthodes d’enseignement classique, et nous avons le devoir de ne pas nous soustraire à l’obligation de moderniser nos systèmes de formation.

Alors que de nombreuses oppositions se font sentir, il ne faut toutefois pas généraliser les mauvaises expériences, bien au contraire. De nombreuses écoles et universités pratiquent aujourd’hui le e-learning et proposent des formations de très haut niveau, extrêmement qualifiantes et abouties. C’est pourquoi je soutiens cet article, dont la teneur avait déjà été intégrée à destination des sportifs de haut niveau dans la proposition de loi visant à protéger les sportifs de haut niveau et professionnels et à sécuriser leur situation juridique et sociale, adoptée en novembre dernier.

Je souhaite toutefois attirer votre attention, madame la secrétaire d'État, sur deux points problématiques.

D’une part, l’article D. 124-2 du code de l’éducation créé par décret le 27 novembre 2014 exclut l’enseignement à distance des dispositifs de formation ou de stages en milieu professionnel, ce qui est un frein à l’aboutissement des projets professionnels des étudiants suivant un tel parcours, notamment ceux qui ont des contraintes lourdes par ailleurs, tels que les sportifs de haut niveau. Il est pourtant primordial aujourd’hui d’avoir accès à des expériences de terrain afin de pouvoir s’intégrer au mieux dans le monde professionnel.

D’autre part, les formations en e-learning ne peuvent bénéficier des ressources issues de la taxe d’apprentissage, ces formations étant exclues de ce dispositif depuis une note du ministère du travail du 14 novembre 2014, alors que les investissements nécessaires au développement de telles formations à un haut niveau universitaire sont très importants.

Il serait souhaitable que le Gouvernement revoie ces dispositions d’ordre réglementaire, alors même que le Parlement souhaite encourager la formation à distance, afin que cette dernière puisse être une réelle force pour l’université et l’enseignement français de demain.

Mme la présidente. La parole est à M. Patrick Abate, sur l'article.

M. Patrick Abate. L’article 17 bis assouplit les conditions de l’enseignement à distance.

Introduit en séance à l’Assemblée nationale sans une véritable étude d’impact, avec d’abord un avis défavorable du Gouvernement, puis, au final, un avis de sagesse, cet article modifie l’article L. 611-8 du code de l’éducation.

L’enseignement à distance existe du primaire au supérieur pour répondre aux besoins d’élèves qui ne sont pas en mesure, pour des raisons diverses – santé, handicap, etc. –, de suivre les cours en classe.

Aux termes de l’article L. 611-8, « Les établissements d’enseignement supérieur rendent disponibles, pour les formations dont les méthodes pédagogiques le permettent, leurs enseignements sous forme numérique, dans des conditions déterminées par leur conseil académique ou par l’organe en tenant lieu et conformes aux dispositions du code de la propriété intellectuelle. Cette mise à disposition ne peut se substituer aux enseignements dispensés en présence des étudiants sans justification pédagogique ».

Introduire la possibilité que cette mise à disposition se substitue aux enseignements dispensés en présence des étudiants risque de se révéler une fausse bonne idée. D’ailleurs, les effets « probants » sur la réussite des élèves dont on fait souvent état restent eux aussi à démontrer.

Notre collègue député porteur de cet amendement à l’Assemblée nationale a évoqué les MOOCs, citant le site openclassrooms.com, un MOOCs privé qui facture de 20 à 300 euros par mois ses cours.

Certes, il ne s’agira que d’une « possibilité », mais la tentation sera grande, nous le craignons, pour des universités en mal de financement – cela, malheureusement, c’est la réalité –, avec des charges de fonctionnement qui explosent, poussées à développer des « ressources propres » pour palier des dotations trop souvent insuffisantes, de supprimer des cours pour des motifs strictement économiques, et ce au détriment de la qualité d’enseignement et de la diversité de l’offre de formation pour les élèves. Il est d’ailleurs intéressant de voir que les classes préparatoires aux grandes écoles et les instituts d’études politiques développent aussi le « présentiel » pour un accompagnement au plus près des étudiants.

Si l’objectif est bien de favoriser la réussite des étudiants à l’université, nous disons « oui » à la coexistence pour enrichir l’offre de formation dans les universités, mais « non » à la substitution.

Les dispositions actuelles nous semblent constituer un bon équilibre et donner toute l’attitude aux universités pour développer ces méthodes. Nous voterons donc contre cet article et les amendements nos 265 et 263.

Mme la présidente. L'amendement n° 265, présenté par Mme D. Gillot, MM. Sueur, Leconte, Rome, Camani, F. Marc, Assouline, Guillaume et les membres du groupe socialiste et républicain, est ainsi libellé :

Alinéa 2, première phrase

Remplacer les mots :

à distance et tout au long de la vie

par les mots :

initiale, continue et tout au long de la vie, à distance

La parole est à Mme Dominique Gillot.

Mme Dominique Gillot. Si vous me le permettez, madame la présidente, je défendrai en même temps l’amendement n° 263.

Mme la présidente. J’appelle donc en discussion l'amendement n° 263, présenté par Mme D. Gillot, MM. Sueur, Leconte, Rome, Camani, F. Marc, Assouline, Guillaume et les membres du groupe socialiste et républicain, est ainsi libellé :

Compléter cet article par deux paragraphes ainsi rédigés :

… – Après le deuxième alinéa de l’article L. 611-8 du code de l’éducation, il est inséré un alinéa ainsi rédigé :

« Les enseignements mis à disposition sous forme numérique par les établissements ont un statut équivalent aux enseignements dispensés en présence des étudiants selon des modalités qui sont précisées par voie réglementaire. »

… – Au dernier alinéa du même article L. 611-8, le mot : « deux » est remplacé par le mot : « trois ».

Veuillez poursuivre, ma chère collègue.

Mme Dominique Gillot. Ces amendements visent à actualiser la loi de 2013 relative à l’enseignement supérieur et à la recherche, en inscrivant dans le code de l’éducation que les enseignements mis à disposition sous forme numérique et à distance ont un statut équivalent aux enseignements dispensés en présentiel.

L’utilisation du numérique dans l’enseignement supérieur représente une opportunité pour relever les défis à venir, pas seulement pour les étudiants empêchés, comme c’est le cas aujourd'hui. L’ouverture du numérique et les cours à distance permettent de faire des choix qui optimisent la capacité d’apprentissage et la construction de la connaissance. Que ce soit dans le cadre de la formation à distance ou non, l’utilisation de supports numériques sert l’innovation pédagogique. Elle optimise les interactions lors des temps de formation en présence des étudiants. Enfin, elle améliore la gestion de la massification de l’enseignement supérieur. Alors que nous sommes amenés à accueillir de plus en plus d’étudiants, la diversification de l’offre de savoirs permet de dépasser la pratique détestable du tirage au sort lorsque les capacités d’accueil sont dépassées.

Le renvoi à des modalités réglementaires permettra au ministère de l’enseignement supérieur et de la recherche, après avis de la communauté universitaire, de fixer les conditions de reconnaissance et d’évaluation de ces enseignements numériques.

Par ailleurs, l’amendement n° 263 tend à préciser que les modalités de mise en œuvre des enseignements mis à disposition sous forme numérique sont fixées dans le contrat pluriannuel liant l’établissement et l’État. Cette disposition renforcera non seulement le cadre réglementaire qui leur est donné, mais également la possibilité pour l’État d’accompagner financièrement les projets d’innovation pédagogiques portés dans les établissements.

L’amendement n° 265, quant à lui, vise à prévoir que l’ensemble du champ d’apprentissage est couvert par la reconnaissance des apprentissages à distance.

Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission de la culture ?

Mme Colette Mélot, rapporteur pour avis. Nous avons discuté à plusieurs reprises du dispositif proposé par l’amendement n° 265 : le 5 avril dernier, la commission a émis un avis défavorable sur un amendement identique ; le 26 avril dernier, elle a décidé d’émettre un avis favorable.

Je précise que si j’avais proposé un avis défavorable, qui n’a pas été suivi la seconde fois, c’est non pas parce que j’étais opposée aux objectifs de cet amendement, mais parce qu’il me semblait inutile. En effet, et je pense que le Gouvernement confirmera mon analyse, la formation tout au long de la vie est un continuum entre la formation initiale, générale ou professionnelle et l’ensemble des situations où s’acquièrent des compétences : actions de formation continue, activités professionnelles, implications associatives ou bénévoles. Ainsi, la formation tout au long de la vie inclut à la fois la formation initiale et la formation continue.

La commission a émis un avis favorable sur cet amendement, ainsi que sur l’amendement n° 263.

Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?

Mme Axelle Lemaire, secrétaire d'État. Je suis favorable à l’amendement n° 263 et je m’en remets à la sagesse du Sénat sur l’amendement n° 265.

L’amendement n° 263 a pour objet d’instituer une équivalence entre les enseignements mis à disposition sous forme numérique par les établissements et les enseignements dispensés en présence des étudiants.

Il me semble que cette évolution est très importante. Elle est guidée non par des considérations budgétaires, mais bien au contraire par un objectif de démocratisation et d’accessibilité à l’éducation, à l’enseignement supérieur, aux formations. Il ne faudrait pas que notre pays prenne du retard par rapport à ceux qui ont déjà pris des initiatives dans ce domaine. Je pense aux États-Unis, mais aussi à des pays d’Afrique, qui ont compris tout l’intérêt des formations à distance. Ces formations ouvrent en effet à un plus grand nombre d’étudiants l’accès à l’apprentissage et à l’enseignement. Elles offrent également des méthodes d’apprentissage différentes, plus interactives, moins unilatérales ou hiérarchiques. Les enseignements numériques permettent bien souvent d’innover en matière de pédagogie.

Les nouvelles formations accessibles à tous concernent aujourd'hui pas moins d’un million d’inscriptions dans notre pays pour 150 cours disponibles. Les objets de ces cours vont du droit constitutionnel aux fondamentaux de la gestion des risques financiers en passant par la géopolitique.

Vous avez évoqué les risques de privatisation des enjeux de l’éducation, monsieur Abate. C’est justement pour faire face à de tels risques que la France doit affirmer un modèle républicain en autorisant les établissements publics à recourir à ce type de formation. À défaut, ce sont les universités privées, notamment les établissements anglo-saxons, qui développeront une offre d’enseignement très concurrentielle susceptible, à terme, de fragiliser le service public de l’enseignement supérieur tel que nous le concevons en France.

Le développement de ce type de formation est également un enjeu fondamental pour la francophonie. L’enseignement à distance, lorsque les contenus sont en langue française, permet d’atteindre un public présent dans tous les pays francophones et de contrer la tendance à la domination anglo-saxonne et à une vision très privatisée de l’éducation.

Au-delà des technologies, l’enseignement à distance est fondamental pour la défense d’un service public de l’éducation tel que nous le concevons dans notre pays. La modification que tend à introduire l’amendement n°  263 me semble donc importante et pertinente.

Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Yves Leconte, pour explication de vote.

M. Jean-Yves Leconte. Ces amendements sont essentiels pour permettre à nos établissements d’enseignement supérieur de se projeter sur l’ensemble des territoires – certaines matières ne sont pas enseignées partout –, mais également à l’international, certains cours n’étant pas dispensés par les établissements d’enseignement supérieur installés à l’étranger.

Mme la secrétaire d’État l’a indiqué, nous avons également une responsabilité particulière en matière de francophonie. Les Français ne représentent même pas 10 % des francophones dans le monde. L’enjeu éducatif dans l’enseignement supérieur est majeur pour de nombreux pays d’Afrique. Si nous voulons les accompagner, nous avons besoin de nouvelles technologies afin que nos établissements d’enseignement supérieur puissent avoir directement accès à l’ensemble des populations susceptibles d’être intéressées par un enseignement supérieur en langue française.

À cet égard, ces amendements vont dans le bon sens. Ils sont une véritable chance pour l’enseignement supérieur français, qui n’a jusqu’à présent pas réussi à faire ce que l’Australie, par exemple, a réalisé en termes d’industrie de l’enseignement supérieur. Elle a en effet su se rendre attractive à un grand nombre de jeunes à travers le monde.

S’ils étaient adoptés, ces amendements permettraient d’accroître la présence des établissements d’enseignement supérieur sur l’ensemble des territoires et à l’international. Il faut donc absolument les soutenir.

Mme la présidente. Je mets aux voix l'amendement n° 265.

(L'amendement n'est pas adopté.)

Mme la présidente. Je mets aux voix l'amendement n° 263.

(L'amendement est adopté.)

Mme la présidente. Je mets aux voix l'article 17 bis, modifié.

(L'article 17 bis est adopté.)

Article 17 bis
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Article 17 ter

Articles additionnels après l'article 17 bis

Mme la présidente. L'amendement n° 269, présenté par Mme D. Gillot, MM. Sueur, Leconte, Rome, Camani, F. Marc, Assouline, Guillaume et les membres du groupe socialiste et républicain, est ainsi libellé :

Après l'article 17 bis

Insérer un article additionnel ainsi rédigé :

L’article L. 124-3 du code de l’éducation est complété par un alinéa ainsi rédigé :

« Le volume pédagogique minimal de formation en établissement n’est pas requis pour les formations supérieures suivies exclusivement à distance. La charge de travail réalisée lors des périodes de formation en milieu professionnel et des stages par l’étudiant inscrit dans une formation à distance est inférieure ou égale à la moitié de celle prévue dans son année de formation. »

La parole est à Mme Dominique Gillot.

Mme Dominique Gillot. Cet amendement vise à poursuivre l’adaptation du code de l’éducation aux nouvelles pratiques pédagogiques offertes par le numérique et les enseignements à distance.

Actuellement, un stage ne peut être effectué que dans le cadre d’un cursus de formation ayant un volume pédagogique minimal de 200 heures, fixé par décret. Dans le cadre de formations à distance, dont nous venons de reconnaître l’équivalence de valeur avec les enseignements en présence des étudiants, il n’est donc pas possible d’obtenir le statut de stagiaire, quel que soit le volume horaire effectué.

Le stage est un temps important de la formation, durant lequel l’étudiant mobilise les compétences développées dans son établissement, s’adapte aux particularités de son terrain de stage, se confronte à la réalité d’un métier qu’il envisage de choisir. Les stages de fin d’études sont également particulièrement importants pour l’entrée dans la vie active.

L’enquête de 2015 sur l’insertion des diplômés des grandes écoles, réalisée dans 173 établissements membres de la Conférence des grandes écoles, établit que 30 % des diplômés de l’année précédente ont obtenu un poste dans la continuité de leur stage de fin d’études. Les proportions sont encore différentes au sein des universités, notamment selon les disciplines universitaires. Néanmoins, la réalisation d’un stage dans le cadre des formations y est de plus en plus valorisée, voire organisée.

Cet amendement vise à ouvrir la possibilité aux personnes suivant une formation à distance de réaliser un stage, dans le respect des principes régissant actuellement ces immersions professionnelles. La charge de travail exigée dans le cadre de la formation académique supérieure ou égale à celle réalisée en stage exclut de fait les dérives qui pourraient inquiéter dans cet hémicycle.

Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission de la culture ?

Mme Colette Mélot, rapporteur pour avis. Je partage entièrement l’idée des auteurs de l’amendement : il faut supprimer l’obligation d’un volume pédagogique d’enseignement minimal si l’on souhaite développer l’enseignement à distance. Toutefois, il existe un risque réel de voir se développer des formations à distance de qualité très médiocre. Il faut donc s’assurer que les formations à distance, notamment celles qui ne prévoient aucun volume minimal de formation en établissement, respectent des critères de qualité. Cette question devra être réglée par voie réglementaire.

Cela étant, la commission a émis un avis favorable sur cet amendement, souhaitant poser le principe d’une exonération d’un volume pédagogique minimal en établissement pour les formations à distance.

Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?

Mme Axelle Lemaire, secrétaire d'État. Je demande aux auteurs de cet amendement de bien vouloir le retirer ; à défaut, j’émettrai un avis défavorable.

L’amendement vise à supprimer la condition du volume pédagogique minimal en établissement pour les formations organisées en ligne et prévoyant un stage.

J’ai déjà eu l’occasion de le dire, je suis très favorable au développement des formations en ligne. Pour autant, je suis aussi consciente que cette condition de volume pédagogique minimal est nécessaire pour éviter certaines dérives possibles en la matière – elles existent ; nous le constatons parfois. Je pense notamment au développement d’organismes spécialisés dans la délivrance de conventions de stage – les boîtes à conventions de stage – qui souhaitent remplir ce volume pédagogique de manière totalement numérique sans y associer le moindre enseignement présentiel réel. À ce stade, il me semble donc important de ne pas modifier la loi.

Mon collègue Thierry Mandon, secrétaire d'État chargé de l'enseignement supérieur et de la recherche, ayant clairement identifié ce sujet dans le cadre du chantier de la simplification de l’enseignement supérieur qu’il a lancé, je vous confirme que le Gouvernement s’engage à apporter des réponses à cette question, lesquelles doivent faire l’objet d’une concertation avec les établissements de formation concernés et les organisations représentatives des étudiants. Il s’agit de modifier le décret d’application du 27 novembre 2014, ce sujet étant d’ordre réglementaire.

Le Gouvernement, vous le voyez, s’engage fortement sur le sujet. Nous avancerons très certainement à l’avenir.

Mme la présidente. Madame Gillot, l'amendement n° 269 est-il maintenu ?

Mme Dominique Gillot. Un encadrement est en effet nécessaire.

Personnellement, je ne pense pas que les boîtes à stages soient intéressées par ce type de développement, sachant en outre que nous avons adopté une loi assez contraignante permettant de garantir la qualité de l’encadrement des étudiants en stage.

Néanmoins, compte tenu du travail engagé par Thierry Mandon en matière de simplification et d’intégration des objectifs de modernisation de la pédagogie, notamment l’introduction du numérique et des cours à distance, je retire bien volontiers mon amendement, assurée que la concertation aura lieu dans les mois qui viennent.

Mme la présidente. L'amendement n° 269 est retiré.

Je suis saisie de deux amendements faisant l'objet d'une discussion commune.

L'amendement n° 266, présenté par Mme D. Gillot, MM. Sueur, Leconte, Rome, Camani, F. Marc, Assouline, Guillaume et les membres du groupe socialiste et républicain, est ainsi libellé :

Après l’article 17 bis

Insérer un article additionnel ainsi rédigé :

Le deuxième alinéa de l’article L. 612-1 du code de l’éducation est ainsi modifié :

1° Après la première phrase, sont insérées deux phrases ainsi rédigées :

« Les diplômes peuvent être obtenus en formation initiale ou continue tout au long de la vie, par des enseignements en présence des étudiants, à distance, ou par ces deux moyens combinés. Un décret précise les modalités d’encadrement et d’évaluation des enseignements à distance. » ;

2° Est ajoutée une phrase ainsi rédigée :

« Une période de césure dans les études supérieures peut être réalisée au cours d’un cycle ou entre deux cycles, dans des conditions définies par décret. »

La parole est à Mme Dominique Gillot.

Mme Dominique Gillot. Cet amendement s’inscrit dans la continuité d’un amendement précédent visant à adapter la loi de 2013 relative à l’enseignement supérieur et à la recherche aux usages numériques. Il tend à préciser qu’une formation peut se faire par des enseignements en présence des étudiants, à distance, ou par ces deux moyens combinés.

Il importe que ces modalités nouvelles d’enseignement puissent être comptabilisées et reconnues pour l’obtention du diplôme du cycle concerné. Cette souplesse dans l’organisation pédagogique de la formation nécessite de préciser les modalités d’encadrement et d’évaluation des enseignements. Il existe des organismes agréés à cet effet. Cette précision relève du niveau réglementaire afin que le ministère de l’enseignement supérieur et de la recherche puisse organiser la consultation des établissements, des équipes pédagogiques et des étudiants sur ce sujet.

Par ailleurs, cet amendement vise à donner un cadre législatif et opposable à la pratique dite de « césure ». Ce dispositif, qui n’est actuellement encadré que par une circulaire, n’est pas suffisamment appliqué. L’amendement tend donc à sécuriser le parcours de formation des étudiants souhaitant interrompre temporairement leur formation pour mener à bien un projet personnel, qu’il s’agisse d’un engagement volontaire ou humanitaire, d’une expérience professionnelle, d’un voyage ou du suivi d’une autre formation. La plus-value en termes d’expérience et de maturité pour les jeunes n’est plus à démontrer. La stratégie nationale de l’enseignement supérieur met d’ailleurs fortement en avant la possibilité offerte aux étudiants de faire une année ou six mois de césure. Elle a été reconnue comme étant intéressante par le Gouvernement.

Certes, la circulaire prévoit de nombreux éléments concernant la protection sociale du jeune en césure, les aides auxquelles il a droit ou non, l’accompagnement offert par les établissements ou encore la valorisation des compétences développées et leur reconnaissance dans son cursus, mais ces éléments méritent une portée plus normative. C’est pourquoi je propose d’inscrire dans la loi la possibilité de faire une césure au cours des études supérieures, suivant des modalités définies par décret.

Mme la présidente. L'amendement n° 267, présenté par Mme D. Gillot, MM. Sueur, Leconte, Rome, Camani, F. Marc, Assouline, Guillaume et les membres du groupe socialiste et républicain, est ainsi libellé :

Après l’article 17 bis

Insérer un article additionnel ainsi rédigé :

Après la première phrase du deuxième alinéa de l’article L. 612-1 du code de l’éducation sont insérées deux phrases ainsi rédigées :

« Les diplômes peuvent être obtenus en formation initiale ou continue tout au long de la vie, par des enseignements en présence des étudiants, à distance ou par ces deux moyens combinés. Un décret précise les modalités d’encadrement et d’évaluation des enseignements à distance. »

La parole est à Mme Dominique Gillot.

Mme Dominique Gillot. Cet amendement de repli ne fait plus état de la période de césure.

Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission de la culture ?

Mme Colette Mélot, rapporteur pour avis. L’amendement n° 266 pose deux principes : d’une part, la reconnaissance des diplômes obtenus par des enseignements à distance et, d’autre part, la possibilité d’effectuer une période de césure au cours des études supérieures.

Je suis bien entendu favorable à ces principes, mais j’ai fait part à la commission de la culture de mes interrogations sur l’utilité d’inscrire ces dispositions dans la loi. En effet, l’article 17 bis traite déjà des diplômes obtenus par des enseignements à distance et renvoie à un décret pour les modalités d’application. Quant à la césure au cours des études, elle est autorisée par circulaire. Néanmoins, la commission n’a pas retenu mon argumentation et a émis un avis favorable sur cet amendement.

L’amendement n° 267 est un amendement de repli ayant également reçu un avis favorable de la commission en dépit de mes doutes sur son utilité.

Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?

Mme Axelle Lemaire, secrétaire d'État. L’amendement n° 266 tend, d’une part, à préciser que le diplôme peut être obtenu par une formation mixte, c'est-à-dire en ligne et en présentiel, et, d’autre part, à autoriser les césures au cours des études supérieures. Je suis tout à fait en phase avec ces deux dispositions, mais elles sont déjà satisfaites par le droit existant. Je demande donc aux auteurs de cet amendement de bien vouloir le retirer ; à défaut, j’émettrai un avis défavorable.

L’article L. 123-3 du code de l’éducation définissant les missions de service public de l’enseignement supérieur autorise déjà les formations en ligne.

L’année de césure est un moment particulièrement important dans la vie des étudiants, des jeunes, des adultes en formation, marquant sans doute pour toujours une vie. Cette pratique est aujourd'hui permise au cours des études supérieures en France. Vous l’avez dit, les modalités de sa mise en œuvre ont été fixées récemment, dans une circulaire datant du 22 juillet 2015. La césure, qui n’est possible que depuis la dernière rentrée universitaire, sera progressivement étendue à l’ensemble des établissements où elle n’était pas encore permise.

Je ne sais pas si un décret changerait véritablement le régime applicable. L’évolution que nous appelons de nos vœux est plutôt d’ordre culturel. Un certain jeunisme prévaut aujourd'hui, qui pousse les étudiants à entrer vite sur le marché du travail. L’année de césure n’est pas valorisée à sa juste valeur. Dans d’autres pays – je pense en particulier au Royaume-Uni ou au Canada –, cette pratique est beaucoup plus fréquente, pour ne pas dire quasi systématique, et prise en compte par les recruteurs. Pour ma part, j’encourage les jeunes et les employeurs à la valoriser.

J’avoue que je préfère la formulation de l’amendement n° 267, sur lequel je m’en remettrai à la sagesse du Sénat, même si je considère qu’il est également satisfait par l’article L. 123-3 du code de l’éducation.

Mme la présidente. Madame Gillot, l'amendement n° 266 est-il maintenu ?

Mme Dominique Gillot. J’entends les arguments qui viennent d’être invoqués. Je pense tout de même que la circulaire qui a été signée à la rentrée dernière mériterait d’être mieux mise en valeur afin que les établissements s’en saisissent et encouragent leurs étudiants. Les retours des organisations étudiantes montrent que la pratique de la césure n’est pas encore très bien vue dans certains établissements et qu’il faudrait la valoriser.

Cela étant, je vais volontiers retirer l’amendement n° 266 au profit de l’amendement de repli n° 267, qui ne fait plus état de la césure. Je maintiens ce dernier amendement, car, même si l’article L. 123-3 du code de l’éducation prévoit que les diplômes peuvent être obtenus par formation à distance, cette possibilité ne concerne que les étudiants empêchés. Pour ma part, je propose que les diplômes puissent être obtenus en formation initiale ou continue tout au long de la vie, par des enseignements en présence des étudiants ou à distance, ou par les deux moyens combinés, de manière à offrir de multiples formes d’apprentissage aux étudiants, ce qui n’est pas le cas aujourd'hui.

Je vous encourage donc à voter cet amendement, mes chers collègues, car il permettra d’accroître la qualité de l’enseignement à distance et de valider les diplômes ainsi obtenus, au même titre que les enseignements en présence des étudiants.

Je retire l’amendement n° 266.

Mme la présidente. L'amendement n° 266 est retiré.

Je mets aux voix l'amendement n° 267.

(L'amendement est adopté.)

Mme la présidente. En conséquence, un article additionnel ainsi rédigé est inséré dans le projet de loi, après l'article 17 bis.

L'amendement n° 622 rectifié, présenté par le Gouvernement, est ainsi libellé :

Après l’article 17 bis

Insérer un article additionnel ainsi rédigé :

I. – L’article L. 822-1 du code de l’éducation est ainsi modifié :

1° Après le deuxième alinéa, il est inséré un alinéa ainsi rédigé :

« Il peut assurer la gestion d’aides à d’autres personnes en formation. » ;

2° À la seconde phrase du dixième alinéa, le mot : « sixième » est remplacé par le mot : « septième ».

II. – À l’article 1042 B du code général des impôts, le mot : « septième » est remplacé par le mot : « huitième ».

La parole est à Mme la secrétaire d'État.

Mme Axelle Lemaire, secrétaire d'État. Cet amendement a trait au CNOUS, le Centre national des œuvres universitaires et scolaires. Quel est le rapport avec la République numérique, me direz-vous ?

Ce dispositif a bien toute sa place dans le projet de loi, car il concerne la Grande École du Numérique, laquelle ne correspond pas à la conception classique que l’on peut avoir d’une grande école. Il s’agit de donner une seconde chance à des jeunes sans qualification et sans travail afin qu’ils puissent, en apprenant un métier du numérique, réintégrer un parcours professionnel exigeant et satisfaisant.

Cette grande école a été créée voilà un an. Elle propose aujourd'hui 171 formations labellisées, et ce partout sur les territoires, que ce soit dans la capitale, dans les zones périurbaines, dans les quartiers, dans les banlieues ou dans les zones rurales. Vous avez certainement constaté dans vos circonscriptions, mesdames, messieurs les sénateurs, l’enthousiasme soulevé par la création de ces formations aux métiers du numérique.

L’enjeu est double.

Il est d’abord de favoriser l’intégration sociale, le numérique étant un levier d’intégration. On rencontre très souvent de jeunes autodidactes, passionnés d’informatique, ayant appris à coder seuls face à leur écran, sur des sites d’apprentissage, et n’ayant pas mesuré tout le potentiel des compétences qu’ils avaient ainsi acquises. Ils découvrent tout à coup qu’ils peuvent en faire un métier en se tournant vers cette structure publique.

Il est ensuite économique. Il se trouve que la France a du retard en termes de numérisation de son tissu économique de petites et moyennes entreprises. L’une des priorités d’action du Gouvernement est donc de s’assurer que la transition numérique soit aussi profitable aux TPE et aux PME partout sur le territoire. Pour cela, il faut accéder aux talents, aux ressources humaines, à des couteaux suisses du numérique. Or, dans ce domaine, l’offre d’emploi est souvent supérieure à la demande et l’on peine à trouver des développeurs, des managers de communautés en ligne, etc.

Pour créer cette grande école du numérique et afin que celle-ci remplisse son objectif social, nous nous étions engagés à financer pendant trois à vingt-quatre mois la formation des apprenants qui ne pouvaient le faire eux-mêmes. C’est en effet une formation très exigeante en termes de volume horaire, qui, par définition, ne peut pas être poursuivie parallèlement à l’exercice d’un métier.

Cette mesure permet au CNOUS d’octroyer des aides financières aux apprenants de la Grande École du Numérique qui ne disposent pas de ressources financières suffisantes ou d’aides déjà existantes. Celles-ci auront pour barèmes ceux des bourses de l’enseignement supérieur et seront adaptées à ce nouveau dispositif. Il faut donc autoriser le CNOUS à octroyer ces aides à un public qui n’est pas étudiant. Tel est l’objet de cet amendement.

Il n’y a pas de République numérique sans l’espoir d’une intégration sociale et professionnelle de jeunes qui peuvent profiter des opportunités de ce secteur et, ainsi, répondre aux besoins des PME de notre pays. C'est la raison pour laquelle je vous encourage très fortement à soutenir cet amendement.

Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission de la culture ?

Mme Colette Mélot, rapporteur pour avis. Cet amendement vise à permettre au CNOUS d’attribuer des bourses à des apprenants qui n’ont pas le statut d’étudiant. Sur le principe, je ne suis pas opposée à cette disposition, mais je m’étonne que le Gouvernement ait déposé cet amendement très tard – avant-hier –, ce qui a limité l’analyse technique et contextuelle de la disposition.

La commission a toutefois émis un avis favorable sur cet amendement intéressant. Je fais remarquer que, si nous, parlementaires, l’avions déposé, on nous aurait opposé l’article 40 de la Constitution,…

Mme Colette Mélot, rapporteur pour avis. … puisque cette mesure appelle des dépenses. Le Gouvernement, lui, peut se le permettre.

Cela étant, je regrette que tout cela se soit déroulé dans la précipitation.

Mme la présidente. La parole est à Mme la secrétaire d'État.

Mme Axelle Lemaire, secrétaire d'État. Madame la rapporteur pour avis, à l’évidence, le Gouvernement vous doit une explication. Cette disposition législative était destinée à figurer soit dans ce texte, soit dans le projet de loi Égalité et citoyenneté, ce qui se justifie aussi au regard des objectifs affichés.

Tout est une question de calendrier. Nous avons choisi ce véhicule législatif – tardivement, il est vrai – pour que la mesure soit adoptée plus rapidement et puisse bénéficier plus vite aux apprenants, dont certains ont commencé leur formation dès le mois de janvier dernier. Il y a donc urgence à autoriser cet octroi de bourses par le CNOUS.

J’en viens à l’article 40 de la Constitution. Tous les financements sont assurés et stabilisés dans le budget de l’État. C’est donc moins le sujet du financement que celui de l’autorisation légale qui doit être donnée au CNOUS que vise cet amendement.

Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Yves Leconte, pour explication de vote.

M. Jean-Yves Leconte. Madame la secrétaire d’État, je souhaiterais obtenir quelques explications complémentaires.

Je comprends bien la motivation du Gouvernement et la nécessité de financer des bourses. Toutefois, quelle part du budget du CNOUS sera dévolue à cette opération ? Alors que l’on pourrait aussi envisager une participation des ASSEDIC ou des OPCA, les organismes paritaires collecteurs agréés, au financement de cette opération, pourquoi le CNOUS doit-il supporter exclusivement ce légitime effort pour une opération dont la justification est évidente ? D’autres structures pourraient être impliquées.

Mme la présidente. La parole est à M. Patrick Abate, pour explication de vote.

M. Patrick Abate. Même si l’objectif est tout à fait louable, on peut s’interroger. Cela vient d’être rappelé, le CNOUS s’adresse aux seuls étudiants. Dans ces conditions, pourquoi cette structure a-t-elle été choisie au lieu d’autres organismes pour s’adresser à des salariés au chômage ou en reconversion, à des personnes sans qualification ? Quid en effet de la responsabilité des entreprises envers ce public et du financement qui est lié ?

J’ai cru comprendre qu’il n’y avait pas de problème de financement. Pour notre part, nous connaissons les difficultés actuelles du CNOUS. Nous voudrions donc être sûrs que des financements supplémentaires sont prévus pour accompagner cette volonté, d’autant que la Grande École du Numérique, qui concerne aujourd’hui, sauf erreur de ma part, 170 organismes – associations, collectivités locales, IUT, y compris CFA, etc. –, bénéficie de 5 millions d’euros de financement, voire plus.

J’espère que ces questions trouveront réponse.

À l’instar de Jean-Yves Leconte, je me demande si d’autres organismes ne sont pas plus à même de se charger de cette mission. Pour l’instant, nous sommes plutôt réservés sur cette mesure.

Mme la présidente. La parole est à Mme la secrétaire d'État.

Mme Axelle Lemaire, secrétaire d'État. Aïe ! Aïe ! Aïe !

Si nous avons pu créer ces 171 formations labellisées en moins d’un an, c’est justement parce que nous avons pris le parti de ne pas sombrer dans ce type de raisonnement. Si l’on commence à se demander s’il ne faut pas trouver les financements chez tel organisme social plutôt que chez tel autre, chez tel employeur plutôt que chez tel autre, avec tel type de concertation plutôt que tel autre, ce n’est pas en un an que cette formation aurait été créée, mais en trois ans, quatre ans, cinq ans, c'est-à-dire le délai moyen de reconnaissance des diplômes dans le système actuel.

Sur ce sujet très spécifique, le parti pris est assumé. Face à l’urgence sociale, lorsqu’un organisme public, à savoir le CNOUS, accepte de réserver 10 millions d’euros de son budget à des jeunes qui n’ont pas la chance d’être étudiants et qui aimeraient bien l’être, et ce avec l’engagement très fort de la ministre de l’éducation nationale, de l'enseignement supérieur et de la recherche, Najat Vallaud-Belkacem,…

M. David Assouline. C’est génial !

Mme Axelle Lemaire, secrétaire d'État. … nous considérons qu’il faut saisir cette opportunité, s’y engouffrer et permettre à ces jeunes d’avoir une seconde chance.

Certains de ces publics peuvent d’ailleurs être étudiants. Là encore, c’est la souplesse qui a primé – des universités, des écoles de la seconde chance, des IUT, mais aussi des formations qui ont été développées par des entreprises privées ou par des associations ont en effet été labellisés. C’est la clef de cette réponse rapide qui a permis de donner espoir à tant de jeunes.

M. David Assouline. Bien sûr !

Mme Axelle Lemaire, secrétaire d'État. Si j’en parle avec autant de passion, c’est parce que je les ai vus. Je me suis ainsi rendue à Rennes la semaine dernière, dans un quartier prioritaire où l’on m’avait déconseillé de me rendre parce qu’il est, paraît-il, dangereux. J’y ai rencontré des jeunes très doués, talentueux, passionnés par les outils informatiques.

Quand on sait que ces formations garantissent aujourd’hui une employabilité de plus de 90 %, il n’est plus l’heure de s’interroger sur l’organisme public qui doit prendre en charge les financements.

Les financements sont là : 70 000 euros maximum par formation labellisée, 5 millions d’euros pour la Grande École du Numérique qui bénéficie d’un financement partagé dans le cadre du programme des investissements d’avenir, avec un volet jeunesse et un volet formation professionnelle.

Le CNOUS a accepté de se charger du financement des bourses. On devrait à mon sens le remercier.

Mme la présidente. La parole est à M. David Assouline, pour explication de vote.

M. David Assouline. Il s’agit là d’une expérience absolument extraordinaire, qui remplit plusieurs objectifs.

Il y a des chômeurs et, dans le même temps, il y a des offres d’emplois qui ne sont pas pourvues dans un certain nombre de domaines, en particulier dans celui du numérique, parce que l’on manque de jeunes formés. Or nous avons des décrocheurs, c'est-à-dire des jeunes qui sortent du système éducatif sans diplôme, qui, par des formations au numérique, peuvent très rapidement être employés et le sont même à 90 %.

Face à une telle situation, il faut aller très vite. C’est maintenant que l’offre est là, que la demande est forte et il n’y a pas de travailleurs formés pour y répondre.

On aurait pu se contenter de donner des rudiments à ces jeunes qui sortent du système scolaire, sans aller plus loin. Or – c’est en cela que c’est extraordinaire – on crée une grande école du numérique. En d’autres termes, quelqu’un qui est sorti du système scolaire peut non seulement raccrocher par une formation, mais poursuivre un enseignement supérieur et obtenir une qualification équivalente à celles qu’offrent les écoles supérieures.

On va même encore plus loin ! Alors que l’on reproche aux grandes écoles françaises leur élitisme et, pour la plupart, leur centralisation, on décide de labelliser des formations sur tout le territoire national. En moins d’un an, 170 formations ont été concernées par ce dispositif.

Cette initiative est enthousiasmante et juste : elle répond aux nécessités de notre économie et garantit une insertion réussie, à laquelle on ne croit pas toujours. Cette volonté optimiste marche.

Dans ces conditions, faut-il se demander qui paye ? Là, tout le monde paye, mais il faut que le CNOUS soit dans le dispositif. C’est symbolique et presque plus important que de savoir par où passe l’argent. Ce faisant en effet, on dit à ces jeunes qu’ils sont des étudiants comme les autres.

Mme la présidente. Veuillez conclure, mon cher collègue !

Mme Catherine Troendlé. Surtout qu’il n’y a rien de neuf : la secrétaire d’État a déjà dit tout ça !

M. David Assouline. Je suis favorable à cette mesure. Toutefois, je me demande si ces 10 millions d’euros seront abondés ou pris sur le budget du CNOUS. Je n’ai pas très bien compris et j’aimerais avoir une réponse sur ce point.

Mme la présidente. La parole est à Mme la secrétaire d'État.

Mme Axelle Lemaire, secrétaire d'État. Le budget du CNOUS s’élève à 1,3 milliard d’euros. Cette mesure coûte 10 millions d’euros sur trois ans.

M. David Assouline. Donc, environ 3 millions d’euros par an…

Mme Axelle Lemaire, secrétaire d'État. Oui, cet argent est pris sur le budget du CNOUS.

Mme la présidente. Je mets aux voix l'amendement n° 622 rectifié.

Mme Cécile Cukierman. Le groupe CRC s’abstient !

(L'amendement est adopté.)

Mme la présidente. En conséquence, un article additionnel ainsi rédigé est inséré dans le projet de loi, après l'article 17 bis.

Articles additionnels après l'article 17 bis
Dossier législatif : projet de loi pour une République numérique
Article 18

Article 17 ter

(Non modifié)

Le Gouvernement remet au Parlement, au plus tard deux ans après la promulgation de la présente loi, un rapport qui évalue les effets de l’article L. 533-4 du code de la recherche sur le marché de l’édition scientifique et sur la circulation des idées et des données scientifiques françaises. – (Adopté.)

Article 17 ter
Dossier législatif : projet de loi pour une République numérique
Articles additionnels après l'article 18

Article 18

Le chapitre IV de la loi n° 78-17 du 6 janvier 1978 précitée est ainsi modifié :

1° Après le I de l’article 22, il est inséré un I bis ainsi rédigé :

« I bis. – Par dérogation au 1° des I et II de l’article 27, font également l’objet d’une déclaration auprès de la Commission nationale de l’informatique et des libertés les traitements qui portent sur des données à caractère personnel parmi lesquelles figure le numéro d’inscription des personnes au répertoire national d’identification des personnes physiques ou qui requièrent une consultation de ce répertoire, lorsque ces traitements ont exclusivement des finalités de statistique publique, sont mis en œuvre par le service statistique public et ne comportent aucune des données mentionnées au I de l’article 8 ou à l’article 9, à la condition que le numéro d’inscription à ce répertoire ait préalablement fait l’objet d’une opération cryptographique lui substituant un code statistique non signifiant, ainsi que les traitements ayant comme finalité exclusive de réaliser cette opération cryptographique. L’utilisation du code statistique non signifiant n’est autorisée qu’au sein du service statistique public. L’opération cryptographique est renouvelée à une fréquence définie par décret en Conseil d’État pris après avis motivé et publié de la Commission nationale de l’informatique et des libertés. » ;

2° Le I de l’article 25 est complété par un 9° ainsi rédigé :

« 9° Par dérogation au 1° du I et aux 1° et 2° du II de l’article 27, les traitements qui portent sur des données personnelles parmi lesquelles figure le numéro d’inscription des personnes au répertoire national d’identification des personnes physiques ou qui requièrent une consultation de ce répertoire, lorsque ces traitements ont exclusivement des finalités de recherche scientifique ou historique, à la condition que le numéro d’inscription à ce répertoire ait préalablement fait l’objet d’une opération cryptographique lui substituant un code spécifique non signifiant, propre à chaque projet de recherche, ainsi que les traitements ayant comme finalité exclusive de réaliser cette opération cryptographique. L’opération cryptographique et, le cas échéant, l’interconnexion de deux fichiers par l’utilisation du code spécifique non signifiant qui en est issu ne peuvent être assurés par la même personne ni par le responsable de traitement. L’opération cryptographique est renouvelée à une fréquence définie par décret en Conseil d’État pris après avis motivé et publié de la Commission nationale de l’informatique et des libertés. » ;

3° Au début du 1° des I et II de l’article 27, sont ajoutés les mots : « Sous réserve du I bis de l’article 22 et du 9° du I de l’article 25, » ;

(nouveau) L’article 71 est complété par une phrase ainsi rédigée :

« L’avis rendu sur les décrets relatifs aux dispositions du I bis de l’article 22 et du 9° du I de l’article 25 est motivé et publié. » – (Adopté.)

Article 18
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Article 18 bis A (nouveau)

Articles additionnels après l'article 18

Mme la présidente. L'amendement n° 627, présenté par M. Frassa, au nom de la commission des lois, est ainsi libellé :

Après l'article 18

Insérer un article additionnel ainsi rédigé :

Au 4° du II de l'article 27 de la loi n° 78-17 du 6 janvier 1978 relative à l'informatique, aux fichiers et aux libertés, après les mots : « téléservices de l'administration électronique », sont insérés les mots : « tels que définis à l'article 1er de l'ordonnance n° 2005-1516 du 8 décembre 2005 relative aux échanges électroniques entre les usagers et les autorités administratives et entre les autorités administratives, ».

La parole est à M. le rapporteur.

M. Christophe-André Frassa, rapporteur. Il s’agit de déplacer l'article 25 bis, adopté sur l'initiative de Jean-Pierre Sueur, et d’en faire un article additionnel après l’article 18. Cette disposition concerne les autorisations délivrées par la CNIL pour la création de fichiers de téléservices administratifs. Cela nous semble plus judicieux. M. Sueur ne m’en voudra pas…

M. Jean-Pierre Sueur. Au contraire, j’en suis très heureux !

Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?

Mme Axelle Lemaire, secrétaire d'État. Le Gouvernement émet un avis favorable sur cet amendement rédactionnel.

M. Jean-Pierre Sueur. J’en suis doublement heureux !

Mme la présidente. Je mets aux voix l'amendement n° 627.

(L'amendement est adopté.)

Mme la présidente. En conséquence, un article additionnel ainsi rédigé est inséré dans le projet de loi, après l'article 18.

Je suis saisie de deux amendements identiques.

L'amendement n° 231 est présenté par MM. Sueur, Leconte, Rome et Camani, Mme D. Gillot, MM. F. Marc, Assouline, Guillaume et les membres du groupe socialiste et républicain.

L'amendement n° 615 est présenté par le Gouvernement.

Ces deux amendements sont ainsi libellés :

Après l'article 18

Insérer un article additionnel ainsi rédigé :

I. – L’article L. 311-8 du code des relations entre le public et l’administration est complété par quatre alinéas ainsi rédigés :

« Lorsqu’une demande faite en application du I de l’article L. 213-3 du code du patrimoine porte sur une base de données et vise à effectuer des traitements à des fins de recherche ou d’étude présentant un caractère d’intérêt public, l’administration détenant la base de données ou l’administration des archives peut demander l’avis du comité du secret statistique institué par l’article 6 bis de la loi n° 51-711 du 7 juin 1951 sur l’obligation, la coordination et le secret en matière de statistiques. Le comité peut recommander le recours à une procédure d’accès sécurisé aux données présentant les garanties appropriées, dans des conditions fixées par décret en Conseil d’État.

« L’avis du comité tient compte :

« 1° Des enjeux attachés aux secrets protégés par la loi, et notamment la protection de la vie privée et la protection du secret industriel et commercial ;

« 2° De la nature et de la finalité des travaux pour l’exécution desquels la demande d’accès est formulée. »

II. – L’article L. 213-3 du code du patrimoine est complété par un paragraphe ainsi rédigé :

« … – L’article 226-13 du code pénal n’est pas applicable aux procédures d’ouverture anticipée des archives publiques prévues aux I et II du présent article. »

La parole est à M. Jean-Pierre Sueur, pour présenter l’amendement n° 231.

M. Jean-Pierre Sueur. Par une inspiration commune, cet amendement se trouve être rigoureusement le même que celui de Mme la secrétaire d’État. (Exclamations amusées sur diverses travées.)

M. Christophe-André Frassa, rapporteur. Incroyable !

Mme Axelle Lemaire, secrétaire d'État. Les grands esprits se rencontrent !

M. Jean-Pierre Sueur. Cet amendement vise à compléter la procédure d’accès anticipé aux archives publiques afin de prendre en compte le cas des grandes bases de données utilisées à des fins de recherche ou d’étude présentant un intérêt public et d’éviter un trop grand nombre de refus.

Des administrations comme la CNAF, la CNAV ou l’ACOSS n’ont pas le statut de service statistique ministériel et ne peuvent utiliser la procédure prévue pour la communication des données statistiques aux chercheurs. Elles rencontrent ainsi certains freins pour développer l’accès des scientifiques à leurs données.

Pour faire face à cette situation dommageable, il est proposé le dispositif suivant : lorsqu’une demande porte sur une base de données et vise à effectuer des traitements à des fins de recherche ou d’étude présentant un caractère d’intérêt public, l’administration détenant la base de données ou l’administration des archives peut demander l’avis du comité du secret statistique. Il faut parler de temps en temps de cet organisme, que l’on a tendance à oublier…

M. Philippe Bas, président de la commission des lois. C’est vrai !

M. Jean-Pierre Sueur. Le choix de cette procédure permettra de sécuriser les producteurs de ces grandes bases de données. Le comité pourra recommander le recours à une procédure d’accès sécurisé aux données présentant les garanties appropriées, dans des conditions fixées par décret en Conseil d’État.

L’avis du comité devra tenir compte à la fois des enjeux attachés aux secrets protégés par la loi, notamment la protection de la vie privée et la protection du secret industriel et commercial, et de la nature ainsi que de la finalité des travaux pour l’exécution desquels la demande d’accès est formulée.

Il faut évidemment compléter ces dispositions en prévoyant que l’article 226-13 du code pénal relatif aux sanctions pénales en cas de non-respect du secret professionnel n’est pas applicable aux procédures d’ouverture anticipée des archives publiques, en application de l’article L. 213-3 du code du patrimoine.

Mme la présidente. La parole est à Mme la secrétaire d'État, pour présenter l’amendement n° 615.

Mme Axelle Lemaire, secrétaire d'État. Comme souvent dans ce projet de loi, derrière une description technique se cachent des enjeux tout à fait fondamentaux.

Mesdames, messieurs les sénateurs, je sais que vous êtes attachés à l’attractivité de la recherche française et aux possibilités qui doivent être données aux chercheurs français d’accéder aux technologies et au potentiel de la data – de la donnée – pour optimiser leurs résultats de recherche. Nous sommes tout à fait dans cette problématique.

Aujourd’hui, certaines données sont considérées comme sensibles et, à ce titre, ne doivent pas être ouvertes au plus grand nombre. Pourtant, c’est de notoriété publique, notre pays recèle des trésors de données – parfois, le centralisme a du bon ! (Sourires.) Ainsi, les données de la CNAM, de la CNAF ou des organismes de sécurité sociale sont totalement sous-exploitées. La semaine dernière d’ailleurs, dans un rapport sur les systèmes d’information de l’assurance maladie qui n’a pas encore été rendu public, mais dont nous avons pu lire des commentaires dans les journaux, la Cour des comptes a souligné que l’ensemble des données disponibles n’étaient pas assez utilisées pour des bénéfices autres que leur seule gestion quotidienne.

Nous avons progressé dans l’analyse des données et leur accessibilité aux chercheurs publics. Ainsi, les données statistiques – par exemple, le budget des ménages – ont été rendues accessibles aux chercheurs par une loi de 2008. Les données fiscales l’ont été par une loi de 2013. On peut désormais localiser les concentrations de foyers s’acquittant de l’impôt de solidarité sur la fortune – pour votre information, la plus forte densité se situe dans le VIIe arrondissement de Paris… Les données de santé l’ont été, sous des conditions particulières, par une loi récemment promulguée, au mois de janvier 2016.

Le but de ce dispositif est de permettre aux chercheurs publics d’accéder aux données d’organismes publics disposant de grandes bases nationales, selon un mécanisme extrêmement protecteur qui consiste à soumettre l’autorisation d’accès à un double verrou.

D’abord, le comité du secret statistique doit être saisi par l’administration. En effet, c’est bien souvent l’administration qui souhaite demander à une équipe de chercheurs d’utiliser ces données pour produire des résultats plus pertinents. Cette instance validera la pertinence des travaux scientifiques envisagés.

Ensuite, le comité des archives doit se prononcer sur la pertinence des recherches envisagées. Cette disposition est issue du code du patrimoine. L’accès aux archives bénéficie d’un régime très spécifique.

On parle toujours de la loi Informatique et libertés, de la loi CADA, mais on parle moins de la loi relative aux archives, qui date elle aussi de 1978. Or ce texte vise à garantir et protéger l’intégrité des archives des administrations, notamment contre une intrusion trop grande qui pourrait donner envie de changer le cours de l’histoire ou de lire l’histoire différemment. Les délais dans lesquels les archives sont rendues disponibles sont donc beaucoup plus longs que dans le régime de la CADA, qui concerne les documents administratifs : cinquante ans, soixante-quinze ans en fonction du type de données.

Pour exempter l’accès aux archives, un mécanisme spécifique a été mis en place et éprouvé, qui prévoit tous les garde-fous juridiques nécessaires. C’est lui qui est importé dans le dispositif que je vous propose d’adopter pour permettre aux chercheurs d’accéder aux données des grands organismes publics. Il s’agit là d’une demande très forte des chercheurs, qui a été moins mise en lumière dans le cadre des débats jusqu’à présent, mais qui pousse nombre de chercheurs français à partir à l’étranger pour accéder à des données qui concernent des pays étrangers. Ainsi, des études ou des enquêtes sur les bas revenus ou sur les hauts revenus ne peuvent pas être menées dans notre pays, parce qu’il n’est pas possible de faire de l’appariement de données.

Mme Axelle Lemaire, secrétaire d'État. En réalité, les débats de politique économique que nous avons sont peu objectivés et un peu irrationnels, parce que nous ne pouvons pas mesurer l’impact des politiques publiques. C’est la raison pour laquelle je vous propose de renforcer non seulement l’attractivité de la recherche française, avec toutes les garanties juridiques nécessaires, mais aussi la qualité des débats démocratiques, en objectivant les politiques publiques. De nombreux chercheurs, notamment Thomas Piketty, nous le demandent.

Je conclurai par une dernière précision. La technologie utilisée pour accéder à ces données, c’est notamment le centre d’accès sécurisé aux données, qui consiste à consulter les données sans pouvoir les importer. Aucun transfert n’est possible. Cette technologie est utilisée par exemple par les banques pour sécuriser leurs propres données. Elle a été développée en France et est absolument protectrice.

Mesdames, messieurs les sénateurs, j’espère vous avoir convaincus de soutenir cet amendement, qui est très important pour les chercheurs.

Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?

M. Christophe-André Frassa, rapporteur. Ces deux amendements ont pour objet d’étendre les possibilités d’accéder à des données non communicables par le recours à la procédure applicable en matière d’archives. Ils visent donc à contourner le problème posé par le caractère non communicable de certains documents en exploitant la possibilité réservée aux services d’archives de donner par exception l’accès à des archives avant le terme prévu par la loi. Il s’agit d’une construction procédurale assez élaborée et, pour tout dire, assez fragile.

Une administration n’aurait pas le droit, compte tenu de la loi CADA, de communiquer un document. En assimilant celui-ci à une archive vivante, le service des archives pourrait décider, après avoir pesé les différents intérêts en présence, d’ouvrir malgré tout l’accès à ces archives. La procédure ne serait applicable qu’aux bases de données, ce qui nécessiterait ensuite une autorisation de la CNIL. Afin d’inciter l’administration à accepter, le comité du secret statistique pourrait être consulté.

Un tel dispositif suscite de nombreuses réserves. Il s’agit en réalité d’utiliser une sorte d’itinéraire bis de l’accès à certains documents non communicables, une voie procédurale exceptionnelle. Je note à cet égard que les archives accèdent à la demande de communication qui leur est faite dans 85 % des cas. Il ne semble donc pas qu’il y ait urgence à faciliter encore cet accès, plutôt assez ouvert.

En outre, emprunter cet itinéraire bis semble une très mauvaise idée, car, si le service des archives peut autoriser la consultation de la base de données, en revanche, il ne peut autoriser la réutilisation des données. Or toute recherche sur une base de données mobilise, par définition, un traitement de ces données par data mining, ce qui équivaut à une réutilisation.

Nous avons adopté, à l’article 4, le principe suivant lequel ne peuvent être réutilisées que les données communicables à tous, ce qui ne sera pas le cas, par définition, de la base de données en cause. L’itinéraire bis semble donc bouché par ce que nous avons voté.

Madame la secrétaire d’État, je comprends certes le but que vous recherchez par cet amendement. J’ai cherché une solution ; néanmoins, son dépôt très tardif ne nous a laissé que peu de temps pour ce faire. Je n’en ai pas trouvé ; il semble en fait qu’il n’y en ait pas. Il faut selon moi revoir l’ensemble du système que vous proposez. Manifestement, le projet n’est pas mûr et mérite un réexamen complet.

J’observe que ce dispositif n’a été évoqué à aucun moment ni dans les travaux préparatoires, ni lors de la consultation publique, ni à l’Assemblée nationale. Nous aurions en outre apprécié d’avoir l’avis du Conseil d’État.

D’ailleurs, si l’on compare ce dispositif avec celui de l’article 18 en matière d’utilisation du numéro d’inscription des personnes au répertoire national d’identification des personnes physiques, ou encore avec celui qui est prévu dans la loi de modernisation de notre système de santé pour l’utilisation des données d’assurance maladie, la différence dans la rigueur et le niveau des garanties prévues est frappante. Or, de l’aveu même du Gouvernement, ce dispositif devrait être utilisé pour faciliter l’accès aux fichiers de la CNAV ou de la CNAF, voire de n’importe quelle autre administration. Nous ne pouvons pas exposer ces données à une procédure qui ne présenterait pas toutes les garanties requises.

Je vous invite plutôt, madame la secrétaire d’État, à vous inspirer des deux exemples que j’ai cités. En outre, vous avez évoqué dans la présentation de votre amendement l’exemple des données de santé. Celles-ci bénéficient pourtant de procédures et de garanties spécifiques, ce qui ne serait pas le cas ici. Le comité du secret statistique n’est pas un verrou ; il donne simplement un avis. Le service des archives n’est pas quant à lui une autorité administrative indépendante ; c’est un simple service. Enfin, en ce qui concerne les enquêtes sur les revenus, on peut déjà avoir accès aux bases fiscales et aux bases statistiques de l’INSEE.

Pour toutes ces raisons, je demanderai à M. Sueur et au Gouvernement de bien vouloir retirer leurs amendements ; faute de quoi, la commission des lois émettra un avis défavorable.

Mme la présidente. La parole est à Mme la secrétaire d'État.

Mme Axelle Lemaire, secrétaire d'État. De toute évidence, monsieur le rapporteur, nous ne faisons pas du tout la même analyse des dispositions qui sont ici proposées.

Il vous appartiendra naturellement, mesdames, messieurs les sénateurs, de décider du sort à réserver à ces amendements. Je note tout de même une certaine défiance à l’égard de la communauté des chercheurs.

M. Christophe-André Frassa, rapporteur. Ce n’est absolument pas le cas !

Mme Axelle Lemaire, secrétaire d'État. Or les chercheurs sont liés par le secret professionnel. En outre, des dispositifs similaires sont applicables aux données fiscales, bien qu’y figurent le nom du contribuable, son adresse, le montant de ses revenus ou encore la valeur de ses propriétés. L’accès à ces données fiscales a été accordé aux chercheurs dans des conditions spécifiées par la loi : pourquoi l’accès à des données sociales ne le serait-il pas ?

À mes yeux, le fait de pouvoir mettre en cause la responsabilité pénale du directeur du comité des archives est en soi un gage que l’administration est prête à s’engager sur ce sujet. Ce sont d’ailleurs les administrations qui, bien souvent, sont demandeuses d’un tel dispositif. La CNAM, par exemple, nous a confié son inquiétude vis-à-vis de l’insécurité juridique ambiante, et ce alors même que certains échanges de données ont déjà lieu avec des chercheurs. Néanmoins, ces échanges de données se font sur des bases juridiques très fragiles et dans des conditions de sécurité insatisfaisantes : les données sont parfois envoyées par la poste sur une clé USB !

Le dispositif qui est proposé ici vise donc à combler un vide juridique pour coller à la réalité des besoins de la recherche contemporaine. Sur ce sujet comme sur d’autres, je crains que les réticences, les résistances, les prévenances et les prudences ne plombent les capacités de nos chercheurs à avancer. Je vous prie plutôt de leur faire confiance.

Mme la présidente. La parole est à M. le rapporteur.

M. Christophe-André Frassa, rapporteur. Les travaux de nos deux commissions – je le dis sous le contrôle de Mme la présidente de la commission de la culture et de M. le président de la commission des lois – et nos débats en séance publique sur l’article 18 et les articles précédents montrent bien qu’il n’existe aucune défiance de la part du Sénat vis-à-vis des chercheurs.

Je souhaiterais vous faire remarquer, madame la secrétaire d’État, que votre collègue Marisol Touraine a donné dans la loi de modernisation de notre système de santé des garanties suffisantes concernant l’utilisation par les chercheurs des données de santé de la CNAM. Nous attendions des garanties similaires dans ce projet de loi, en particulier dans cet amendement. Voilà pourquoi je maintiens l’avis défavorable de la commission.

Par ailleurs, le dispositif prévu dans votre amendement n’engage pas la responsabilité pénale du directeur du comité des archives ; contrairement à votre affirmation sur ce point, il dispose explicitement que l’article 226–13 du code pénal n’est pas applicable.

Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Pierre Sueur, pour explication de vote.

M. Jean-Pierre Sueur. Je dois dire que je n’ai pas été convaincu par M. Frassa. Au terme des nombreuses pages qu’il a bien voulu nous lire, je n’ai pas très bien compris où était le problème.

Nos chercheurs en démographie, en sociologie, en anthropologie et autres sciences sociales ont besoin de données statistiques. Je ne vois donc pas en quoi il serait scandaleux qu’ils puissent bénéficier de séries statistiques issues des organismes de sécurité sociale, dès lors qu’il est prévu deux filtres – l’expertise de deux comités – pour s’assurer que cet accès aux données ne porte pas atteinte à la vie privée.

Franchement, on devient craintif par rapport à la recherche scientifique. S’il s’agissait de recherche, par exemple, sur des armes nucléaires, je comprendrais qu’on prenne des précautions, mais, là, il s’agit du fichier de la CNAF, de données sur l’évolution des familles ou encore sur le niveau de vie, qui sont très utiles aux chercheurs.

On finit par avoir peur de la recherche scientifique en sciences sociales comme si l’on avait peur de son ombre. Il s’agit là selon moi d’une timidité contre laquelle je pense que le Sénat va se dresser.

Mes chers collègues, monsieur le président de la commission des lois, il serait tout de même bon de montrer que, même à cette heure tardive, nous conservons notre faculté de pensée, notre force de réflexion.

Il nous faut soutenir les chercheurs français et créer les conditions nécessaires à leur travail. J’ai de la sympathie pour eux et je ne voudrais pas qu’au terme de cette séance, à une heure trente du matin, on ait essentiellement adopté des mises en garde, des réticences et des restrictions à leur égard. Faisons-leur confiance !

Mme la présidente. La parole est à M. le président de la commission des lois.

M. Philippe Bas, président de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale. Je dois dire à mon grand regret que je n’ai pas du tout été convaincu par l’exposé de M. Sueur, qui est pourtant d’ordinaire très persuasif.

L’heure tardive ne nous empêche pas d’approfondir cette question fort délicate.

Je voudrais tout d’abord évacuer un aspect de la question. Sur ces travées, il n’est pas de sénatrices ou de sénateurs qui seraient plus sensibles que d’autres aux intérêts de la recherche. Je me tourne vers vous, monsieur le rapporteur : soutenez-vous le développement de la recherche ?

M. Christophe-André Frassa, rapporteur. Tout à fait !

M. Philippe Bas, président de la commission des lois. Telle est aussi la position de Mme la présidente de la commission de la culture, de l'éducation et de la communication, ainsi que celle de Mme la rapporteur pour avis et, à n’en pas douter, de chacune et chacun d’entre vous, mes chers collègues.

M. Bruno Sido et Mme Catherine Troendlé. Bien sûr !

M. Philippe Bas, président de la commission des lois. Là n’est donc pas la question. Au reste, comme notre rapporteur l’a rappelé et Mme la secrétaire d’État l’a reconnu, la procédure de consultation anticipée des archives fonctionne bien : 85 % des demandes sont acceptées. Le régime actuel ne comporte donc aucune entrave à la recherche. D’ailleurs, si de telles entraves avaient existé, je suppose que le Gouvernement s’en serait aperçu à temps et aurait intégré à son projet de loi les dispositions nécessaires pour les lever. Le travail législatif que nous menons relève donc d’une certaine improvisation.

Nous ne sommes par ailleurs pas convaincus de la réalité des problèmes que l’amendement présenté au nom du groupe socialiste par M. Sueur comme l’amendement identique du Gouvernement visent à résoudre. Il faut tout de même rappeler qu’il s’agit de données qui, à des fins de protection de la vie privée, sont non communicables. Nous voulons surmonter leur incommunicabilité par des dispositions qui permettent, dans l’intérêt général, le développement de la recherche. Or de telles dispositions existent déjà, puisque, je le répète, 85 % des demandes sont satisfaites. Alors pourquoi, dès lors qu’il nous faut aussi prendre en compte le respect de la vie privée de nos concitoyens, faudrait-il aujourd’hui mettre en place une procédure qui nous paraît offrir très peu de garanties et, en tout cas, beaucoup moins que d’autres procédures que nous avons acceptées au sein de ce projet de loi ou de la loi de modernisation de notre système de santé récemment présentée par Mme Touraine ?

En vérité, cette question exige la tenue d’autres débats. Je suis tout à fait prêt à y participer mais, pour l’heure, il me semble raisonnable de repousser ces deux amendements.

Mme la présidente. Je mets aux voix les amendements identiques nos 231 et 615.

(Les amendements sont adoptés.)

Mme la présidente. En conséquence, un article additionnel ainsi rédigé est inséré dans le projet de loi, après l’article 18.

Articles additionnels après l'article 18
Dossier législatif : projet de loi pour une République numérique
Article 18 bis (début)

Article 18 bis A (nouveau)

Après les mots : « intérêt public et », la fin du IV de l’article 8 de la loi n° 78-17 du 6 janvier 1978 précitée est ainsi rédigée : « soit autorisés dans les conditions prévues au I de l’article 25 ou au II de l’article 26, soit déclarés dans les conditions prévues au V de l’article 22. » – (Adopté.)

Article 18 bis A (nouveau)
Dossier législatif : projet de loi pour une République numérique
Article 18 bis (interruption de la discussion)

Article 18 bis

Dans les contrats conclus par un éditeur avec un organisme de recherche ou une bibliothèque ayant pour objet les conditions d’utilisation de publications scientifiques, toute clause interdisant la fouille électronique de ces documents pour les besoins de la recherche publique, à l’exclusion de toute finalité directement ou indirectement commerciale, est réputée non écrite. L’autorisation de fouille ne donne lieu à aucune limitation technique ni rémunération complémentaire pour l’éditeur.

La conservation et la communication des copies techniques issues des traitements, aux termes des activités de recherche pour lesquelles elles ont été produites, sont assurées par des organismes dont la liste est fixée par décret.

Le présent article est applicable aux contrats en cours.

Mme la présidente. La parole est à M. Patrick Abate, sur l’article.

M. Patrick Abate. Compte tenu de l’heure, je serai bref.

Le problème de cet article est que, s’il va potentiellement permettre la fouille électronique de documents par les structures de recherche abonnées aux revues, il va maintenir la situation de domination des maisons d’édition sur ces ressources. Nous nous attacherons à rechercher un meilleur équilibre entre éditeurs et chercheurs.

Mme la présidente. L’amendement n° 585, présenté par le Gouvernement, est ainsi libellé :

Supprimer cet article.

La parole est à Mme la secrétaire d’État.

Mme Axelle Lemaire, secrétaire d'État. Le Gouvernement propose, par cet amendement, de supprimer l’article permettant l’utilisation par les chercheurs du Text and Data Mining, ou TDM, c’est-à-dire la fouille électronique de données. Je vous laisse juger de la cohérence de cette position, d’autant que je m’apprête à vous expliquer à quel point le TDM est formidable et combien, à l’inverse, refuser aux chercheurs la possibilité de recourir à cette technologie les pénalise.

Qu’est-ce que le TDM ? C’est l’analyse informatisée de grands corpus de textes et de données scientifiques par le principe des croisements et des recoupements, qui s’effectue grâce à des algorithmes appropriés par des effets de rebond. Ce processus a une double finalité : accélérer les processus de recherche existants et favoriser de nouvelles découvertes. Il est vrai que le numérique décuple encore ce potentiel de découvertes.

Vous connaissez la situation actuelle : en Europe, un seul État a autorisé le recours au TDM, le Royaume-Uni. Sur d’autres continents, plusieurs pays l’utilisent déjà : c’est le cas en particulier des États-Unis et du Japon. Plusieurs pays européens s’interrogent quant à eux sur l’opportunité de légaliser les pratiques de TDM pour les chercheurs.

Aujourd’hui, on me dit que les partenariats entre des laboratoires de recherche français et britanniques sont fragilisés, parce que, si les chercheurs britanniques peuvent employer le TDM, les chercheurs français en sont empêchés. On me dit également que des laboratoires français de recherche se trouvent contraints de signer des contrats de collaboration avec des laboratoires de recherche parfois peu reconnus au plan international mais situés dans d’autres juridictions, ce afin de pouvoir recourir à ces techniques. Je discutais tout récemment encore avec un professeur d’Oxford, le grand informaticien Nigel Shadbolt, qui m’expliquait tout l’intérêt du TDM pour ses recherches et celles de ses équipes. Lorsque je lui ai expliqué la situation en France, il s’est montré très étonné et ne comprenait pas les résistances juridiques opposées à la légalisation du TDM.

Pour cette légalisation, trois voies existent.

La première, c’est la voie législative. C’est celle qui a été choisie par l’Assemblée nationale et celle qui a été adoptée par le Royaume-Uni : elle consiste à insérer une encoche dans la directive européenne relative au droit d’auteur.

La deuxième voie, c’est la solution contractuelle : elle permet à des éditeurs de signer des contrats d’autorisation avec les chercheurs.

La troisième voie, qui est défendue par certains chercheurs, c’est l’exception de copie provisoire.

Sachez que l’Allemagne, parmi d’autres pays, est très attentive aux résultats des débats que nous avons sur ce sujet. Elle veut déterminer s’il convient de prendre une initiative à ce sujet avant même la perspective de l’accord qui doit être trouvé à Bruxelles quant à la renégociation de la directive du 22 mai 2001 sur les droits d’auteur.

J’en viens ainsi à expliquer la position d’apparence paradoxale du Gouvernement. Nous avons fait le choix de réserver l’examen de cette question aux négociations actuellement en cours à l’échelon européen. Ces négociations visent, dans le cadre de la révision de la directive de 2001, à ajouter une nouvelle exception au droit d’auteur. Nous préférons donc ne pas anticiper dans la loi nationale les évolutions à venir du droit européen.

Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission de la culture ?

Mme Colette Mélot, rapporteur pour avis. Le présent article, introduit à l’Assemblée nationale, a fait couler beaucoup d’encre en créant en droit français une exception au droit d’auteur, non prévue par la directive du 22 mai 2001, pour le TDM.

J’ai réalisé de nombreuses auditions sur ce sujet pour tenter de trouver une solution de compromis entre les limitations du droit européen, les contraintes des éditeurs et le grand besoin des chercheurs de pouvoir accéder sans limitation à ce procédé. À l’issue de ces travaux, notre commission a proposé d’imposer le TDM par la voie contractuelle en attendant la révision de la directive de 2001. Cette révision, nous l’espérons tous, ne saurait tarder ; néanmoins, on ne peut pas d’ici là priver la recherche de ce bel outil.

Une suppression de l’article 18 bis sans autre forme de procès constituerait – vous en êtes consciente, madame la secrétaire d’État – un signal extrêmement négatif pour les chercheurs, qui se trouvent déjà aux prises avec des concurrents étrangers pour lesquels le TDM constitue une évidence.

Notre solution est solide, utile et équilibrée ; je la maintiens et j’émets, par conséquent, madame la secrétaire d’État, un avis défavorable sur votre amendement de suppression.

Mme la présidente. La parole est à Mme Dominique Gillot, pour explication de vote.

Mme Dominique Gillot. Cet amendement est quelque peu paradoxal, comme vous l’avez vous-même souligné, madame la secrétaire d’État.

Vous nous avez affirmé que vous craigniez que les résistances et le conservatisme ne plombent les travaux de nos chercheurs. Or vous nous proposez à présent un amendement de suppression de l’autorisation, certes restreinte, du TDM pour les scientifiques.

Nous avons tous reçu ces derniers jours des argumentaires, sinon des plaidoyers, écrits par des chercheurs, des responsables d’organismes de recherche ou encore des directeurs de start-up numériques. Tous nous ont encouragés à adopter sur ce point une exception au droit d’auteur.

Je me contenterai pour illustrer mon propos de lire la dernière de ces lettres, que nous avons reçue lundi et qui a été signée par une foultitude de sommités en matière de recherche scientifique, qui font l’honneur de la France à eux seuls.

Voici ce qu’ils nous écrivent : « Alors que nous commençons à peine à entrevoir les perspectives ouvertes par l’accumulation et la fouille massives de données, tous les acteurs économiques et industriels ont mobilisé leurs ressources et leur intelligence peur explorer les avancées potentielles quelles permettent. Paradoxalement et tristement, la recherche publique française est empêchée de rejoindre ce mouvement à cause de multiples obstacles juridiques. » Votre amendement de suppression constitue l’un de ces obstacles, madame la secrétaire d’État.

« Si cela n’est pas permis en France, c’est que des dispositions du droit d’auteur et du droit sur les bases de données interdisent – sauf convention – la réutilisation des articles scientifiques… même par ceux qui les ont produits ! Cela est déconcertant, car les chercheurs ont déjà payé l’accès sur ces articles. Rappelons en effet que les bibliothèques universitaires et les organismes de recherche dépensent plus de 100 millions d’euros par an pour s’abonner aux revues scientifiques et permettre aux chercheurs d’y accéder. C’est précisément sur ces contenus que le TDM demeure impossible en pratique.

« Continuer à empêcher le TDM va mettre les chercheurs français dans une position de faiblesse vis-à-vis de leurs collègues étrangers exerçant aux États-Unis, au Canada, au Japon, en Grande-Bretagne… qui pourront utiliser le TDM grâce aux législations plus ouvertes […] de leur pays.

« Pour éviter de porter un coup qui pourrait être fatal à la recherche française, les pratiques de TDM doivent être enfin clairement autorisées et encouragées par les pouvoirs publics. Ce n’est qu’à cette condition qu’il sera possible d’éviter le départ de chercheurs français à l’étranger. Une véritable exception au droit d’auteur doit donc être inscrite dans le projet de loi pour une République numérique : la Commission européenne a d’ailleurs annoncé qu’elle allait défendre cette mesure dans le cadre du marché unique numérique. »

Mme la présidente. Madame Gillot, il faudrait conclure !

Mme Dominique Gillot. « L’Allemagne s’apprête à réviser sa loi fédérale sur ces thèmes sans attendre la révision préalable de la directive européenne sur le droit d’auteur […].

« L’Europe doit relancer une politique de recherche ambitieuse ».

Mme la présidente. Il faut conclure !

Mme Dominique Gillot. L’article 18 bis tel qu’adopté par la commission de la culture permet partiellement l’exercice du TDM par le biais de contrats. Néanmoins, ceux-ci sont défavorables aux chercheurs et compliquent considérablement leurs pratiques.

Mme la présidente. Nous vous avons compris, madame Gillot !

Mme Dominique Gillot. Madame la présidente, il me paraît important d’aller jusqu’au bout. (Marques d’impatience sur les travées du groupe Les Républicains.)

Il vaut mieux toutefois conserver l’article 18 bis dans la rédaction de la commission de la culture plutôt que de ne rien avoir du tout : je préfère donc voter contre l’amendement de suppression du Gouvernement.

Mme la présidente. Je mets aux voix l’amendement n° 585.

(L’amendement n’est pas adopté.)

Mme la présidente. Mes chers collègues, nous avons examiné 97 amendements ; il en reste 383.

La suite de la discussion est renvoyée à la prochaine séance.

Article 18 bis (début)
Dossier législatif : projet de loi pour une République numérique
Discussion générale

18

Ordre du jour

Mme la présidente. Voici quel sera l’ordre du jour de la prochaine séance publique, précédemment fixée à aujourd’hui, jeudi 28 avril 2016 :

À dix heures trente :

Explications de vote et vote, en deuxième lecture, sur le projet de loi, modifié par l’Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, ratifiant l’ordonnance n° 2015-1127 du 10 septembre 2015 portant réduction du nombre minimal d’actionnaires dans les sociétés anonymes non cotées. Ce texte a été envoyé à la commission des lois. Il sera examiné conformément à la procédure d’examen en commission selon laquelle le droit d’amendement des sénateurs et du Gouvernement s’exerce en commission.

Suite du projet de loi, adopté par l’Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, pour une République numérique (n° 325, 2015-2016) ;

Rapport de M. Christophe-André Frassa, fait au nom de la commission des lois (n° 534, 2015-2016) ;

Texte de la commission (n° 535, 2015-2016) ;

Avis de M. Philippe Dallier, fait au nom de la commission des finances (n° 524, 2015-2016) ;

Avis de Mme Colette Mélot, fait au nom de la commission de la culture, de l’éducation et de la communication (n° 525, 2015-2016) ;

Avis de M. Patrick Chaize, fait au nom de la commission de l’aménagement du territoire et du développement durable (n° 526, 2015-2016) ;

Avis de M. Bruno Sido, fait au nom de la commission des affaires économiques (n° 528, 2015-2016).

À quinze heures : questions d’actualité au Gouvernement.

À seize heures quinze et le soir, jusqu’à minuit trente : suite du projet de loi, adopté par l’Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, pour une République numérique (n° 325, 2015-2016).

Personne ne demande la parole ?…

La séance est levée.

(La séance est levée le jeudi 28 avril 2016, à une heure vingt-cinq.)

Direction des comptes rendus

GISÈLE GODARD