M. Éric Bocquet. Même si la France ne connaît plus, pour le moment, la stagnation économique qu’elle a connue des années 2008 à 2012, son taux de croissance ne s’est élevé qu’à 1,2 % en 2015. Ce taux est largement insuffisant pour améliorer durablement et profondément une situation de l’emploi dégradée de longue date par la recherche épuisante de l’allégement du coût du travail et l’extension de la précarité.

À la fin de l’année 2015, la dette des pays de la zone euro atteignait 93,7 % du produit intérieur brut. Quoi qu’on puisse dire de la comparaison toujours hasardeuse entre un stock – la dette – et un flux – la production mesurée par le PIB –, ce n’est pas là la meilleure preuve de l’efficacité des choix budgétaires d’austérité imposés aux États et aux peuples européens.

Quant aux réformes structurelles prétendument inévitables, elles ne font que remettre en cause les droits sociaux collectifs et développer plus encore la précarité.

Le Royaume-Uni compterait-il moins de chômeurs que la France ? Regardons-y de plus près. Avec des contrats de travail de zéro heure, c’est somme toute assez facile ! Nous ne voulons pas importer en France le modèle néolibéral ainsi imposé aux salariés de ce pays.

Je dispose de peu de temps dans ce débat, mais comment ne pas relever que l’atonie de l’activité économique en Europe se produit alors même que plusieurs conditions sont réunies pour qu’il en soit tout autrement ?

La parité de l’euro vis-à-vis du dollar se dégrade, rendant a priori moins coûteuses les exportations de l’Union européenne et plus cher l’achat des produits des États-Unis.

Le niveau des prix du pétrole et de la plupart des matières premières a connu une baisse assez spectaculaire. Ce mouvement met d’ailleurs directement en cause certains pays émergents disposant d’une importante production de ces biens, comme en attestent aujourd’hui les tensions au sein du groupe des BRICS ou des pays de l’OPEP, l’Organisation des pays exportateurs de pétrole.

Enfin, les taux d’intérêt sont très bas en valeur nominale. Il est même probable qu’une entreprise en développement ou un État connaissant un minimum de croissance puisse se retrouver avec un taux réel négatif.

La Banque centrale européenne, qui poursuit sa démarche de création monétaire avec le quantitative easing, ou assouplissement quantitatif, a fixé son taux directeur à zéro.

Malgré ces éléments favorables a priori – je vous renvoie au contexte des années soixante-dix ou quatre-vingt pour mesurer la différence –, les économies européennes demeurent relativement peu actives, et seuls les pays ayant connu les « plongeons » les plus spectaculaires entre 2008 et 2010 ont des taux de croissance élevés.

Pour le groupe CRC, il ne fait aucun doute que ce sont les politiques d’austérité systématiquement déclinées dans tous les États de l’Union qui sont essentiellement à l’origine de ces difficultés, l’austérité bridant la demande qui fait tant défaut aujourd’hui. Les économistes s’accordent sur ce point.

L’amélioration apparente des comptes publics observée en France en 2015 s’explique par la chute de l’investissement public, notamment des collectivités locales, comme cela est régulièrement rappelé lors de nos débats dans cette assemblée.

Alors même qu’il nous faut relever les défis de la transition énergétique, de la mise à niveau de nos infrastructures et de nos équipements, de la réalisation de projets structurants, les élus locaux ont passé l’année à rechercher des économies de fonctionnement, à repousser le lancement de certains investissements pourtant nécessaires et à envisager de se regrouper en communes nouvelles pour « limiter la casse », au moins temporairement.

Redonner aux collectivités locales les moyens dont elles ont été privées par le pacte de stabilité et de croissance est selon nous l’une des priorités du temps, ne serait-ce que pour réenclencher un cycle vertueux de dépenses publiques, créatrices d’emplois elles aussi.

Il convient également de s’interroger sur la pertinence des choix opérés.

Quand on constate que 17 milliards d’euros annuels de CICE, le crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi, ont abouti in fine à la création de 82 500 emplois,…

M. Jean Desessard. C’est faible !

M. Éric Bocquet. … dont 30 % d’emplois précaires, soit une quasi-subvention de plus de 200 000 euros par emploi, il n’y a qu’une seule conclusion à tirer.

Soit on conditionne l’attribution du crédit d’impôt au constat effectif de la bonne allocation des ressources accordées aux entreprises, soit on crée des emplois de fonctionnaires dans l’ensemble des secteurs – police, justice, éducation, hôpitaux publics – …

M. Éric Bocquet. … où ils manquent cruellement aujourd’hui ! Et l’on cesse de croire aux vagues engagements gravés sur les pin’s de M. Gattaz dont on attend encore qu’ils soient tenus.

En conclusion, il apparaît évident que tant que l’orientation globale des politiques budgétaires des États membres demeurera marquée par les logiques de restriction des dépenses et d’austérité, le rêve européen ne reprendra pas corps et plus les peuples se défieront de l’Europe.

La communauté de destin qui rassemble aujourd’hui les peuples européens et qui nous appelle, entre autres choses, à savoir accueillir comme il se devrait ceux qui fuient la guerre et l’oppression, nécessiterait une sorte de New Deal du XXIe siècle : partant de la réalité des inégalités de développement et de situation des pays de l’Union, l’accent serait enfin mis sur la satisfaction des attentes populaires, la structuration et l’aménagement égalitaire du territoire dans chaque pays, le développement de la solidarité entre les peuples et les États.

Nous croyons pour notre part qu’il est plus que temps d’ouvrir un processus de renégociation des dettes souveraines, à commencer par celle de la Grèce. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC. – M. Jean Desessard applaudit également.)

M. le président. La parole est à M. Richard Yung, pour le groupe socialiste et républicain.

M. Richard Yung. Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, ce débat porte sur le dialogue entre la Commission européenne et la France – et chaque État membre de l’Union, bien sûr – dans le cadre de ce qu’on appelle le semestre budgétaire. C’est véritablement le début de la coordination et, espérons-nous, de l’harmonisation de nos politiques budgétaires et fiscales. C’est au fond l’embryon de ce qu’on voudrait faire plus tard pour la zone euro.

Ce débat est donc important, même s’il est parfois rude. La Commission européenne n’étant pas tendre, Michèle André l’a rappelé, elle a attiré l’attention de la France sur le fait qu’elle était en situation de déficit excessif, pour reprendre sa phraséologie. Le projet de programme de stabilité pour les années 2016 à 2019 dont nous débattons est la réponse du Gouvernement à la fois pour 2015 et 2016. Il présente en outre les perspectives pour l’an prochain.

Je vous ai bien écouté, monsieur le rapporteur général de la commission des finances, mais je n’ai pas eu l’impression que vous parliez de la France. (Exclamations sur les travées du groupe Les Républicains.) J’ai pensé au pays des Hurons de Voltaire…

Vous n’avez parlé que de déficit. Mais, pas de chance, la réduction du déficit s’améliore justement ! L’exemple n’est donc pas très bon ! (Vives protestations sur les mêmes travées.)

Est-ce à dire que vous vous réjouissez des malheurs de la France ? Non, ce ne peut être cela !

M. François Patriat. Si, si, ils s’en réjouissent !

M. Richard Yung. La réduction du déficit s’est améliorée : cela ne vous écorcherait pas la bouche de le dire !

Au fond, la politique économique et la politique générale se résument-elles à cela ? Le fait que la croissance s’améliore, même si elle est encore un peu faible, et que s’améliorent aussi les exportations et la compétitivité des entreprises, est-ce une mauvaise chose ? Cela vous ennuie, mais c’est la vérité !

Je ne parle pas de l’emploi, car il faut être modeste en la matière…

M. Philippe Dallier. Soyez prudent !

M. Richard Yung. … et que l’on ne sait pas. (Rires sur les mêmes travées.)

J’ai également remarqué que vous n’aviez pas dit un mot de l’avis du Haut Conseil des finances publiques.

M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général de la commission des finances. Si !

M. Richard Yung. Alors, cela m’a échappé ! Je souligne que le Haut Conseil, dont le rôle est de donner un avis neutre et objectif, a qualifié les prévisions du Gouvernement de « réalistes », « plausibles », « atteignables ».

M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général de la commission des finances. Atteignables… (Mêmes mouvements.)

M. Richard Yung. Il ne fait certes pas preuve d’un enthousiasme délirant, mais son avis est positif. Il fallait donc le dire.

En 2016, les entreprises bénéficieront de 9 milliards d’euros d’allégements fiscaux, auxquels viendront s’ajouter 7 milliards d’euros en 2017, avec la suppression complète de la C3S, la réduction du taux de l’impôt sur les sociétés de 33 % à 28 % – mesure importante qui était réclamée par tous –, la montée en charge du CICE et des exonérations de cotisations patronales d’allocations familiales.

Il en va de même concernant les dépenses. Mme la présidente de la commission des finances étant intervenue sur ce sujet, je n’y reviens pas.

Ce qui est important, c’est que le taux de croissance pour 2016 soit réévalué à 1,5 %. Certes, un tel taux n’est pas extraordinaire, mais il est meilleur que par le passé. Nous sommes sur la bonne voie.

Je reconnais que des nuages subsistent. (Exclamations sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. Alain Gournac. Dites plutôt un mur !

M. Richard Yung. Ainsi le fait que la Banque centrale européenne ne parvienne pas à atteindre l’objectif affiché de faire remonter l’inflation à 2 % est-il un problème majeur. La Réserve fédérale des États-Unis, la FED, atteint, elle, cet objectif. Pour notre part, nous sommes à 0,01 %. La Banque centrale menant une politique monétaire extrêmement active – c’est le moins qu’on puisse dire, avec ses rachats mensuels de près de 70 milliards d’euros –, on s’inquiète de savoir où vont ces liquidités.

Je ne m’attarderai pas sur ce sujet, mais je pense que nous avons là un problème majeur dont il nous faudra parler, car, s’il n’est pas uniquement français, il n’en aura pas moins des effets durables sur notre pays.

Enfin, je dirai un mot de l’investissement et des réformes structurelles.

Pour améliorer sa compétitivité, la France doit soutenir l’investissement. C’est l’une des demandes de la Commission européenne. À cet égard, de nombreuses mesures ont été prises pour encourager l’investissement des entreprises : la loi Macron, la stabilité du crédit d’impôt recherche – il atteint près de 6 milliards d’euros par an –, le programme d’investissement d’avenir, dont nous avons discuté ce matin en commission, le suramortissement de l’investissement productif, etc.

M. Richard Yung. Ces dispositifs assez forts portent leurs fruits puisque les entreprises ont reconstitué leurs marges, à hauteur de 34 milliards d’euros à ce stade, ce qui est tout de même assez significatif. Quant aux investissements, ne vous en déplaise, chers collègues de la majorité sénatoriale, ils ont repris et augmenté de plus de 3 % en glissement annuel. Nous allons donc dans le bon sens.

Enfin, je conclurai en évoquant l’amélioration de la compétitivité des entreprises françaises et la diminution du coût salarial horaire de la main-d’œuvre. Alors que la hausse des salaires bruts en Allemagne a été de 2,6 % entre 2009 et 2015, contre 1,2 % au cours de la décennie précédente, elle a été de 1,5 % en France au cours de la même période, contre 2,8 % au cours de la décennie précédente.

M. le président. Il faut conclure !

M. Richard Yung. Nous venons donc d’inverser la tendance. Nous tenons là, nous l’espérons, les éléments d’une reprise forte, dont nous espérons qu’ils porteront leurs fruits en matière d’emploi. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain. - M. Alain Bertrand applaudit également.)

M. le président. La parole est à M. Jean Desessard, pour le groupe écologiste.

M. Jean Desessard. Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, nous ne pouvons que nous féliciter d’être autorisés cette année à débattre du projet de programme de stabilité. Nous regrettons cependant que le Gouvernement n’ait pas poussé la curiosité jusqu’à s’enquérir du vote du Parlement… C’est dommage !

Mme Fabienne Keller. Absolument !

M. Philippe Dallier. C’est un risque !

M. Jean Desessard. Puisqu’il est question de stabilité, je souligne que ce n’est pas la stabilité qui a caractérisé ces dernières semaines la politique sociale, que le présent programme a également vocation à présenter dans son annexe relative aux réformes.

Au-delà du fond du sujet, sur lequel le Sénat aura l’occasion de revenir, c’est la méthode qui présente une curieuse rupture. En 2013, l’assouplissement des conditions de licenciement avait été longuement négocié par les partenaires sociaux dans un cadre global, et en deux phases : d’abord l’accord national interprofessionnel, l’ANI, puis sa transposition législative.

François Hollande avait alors théorisé l’avènement d’une nouvelle démocratie sociale. Pourquoi, monsieur le ministre, avoir abandonné cette méthode, qui semblait devoir s’inscrire dans la durée ? Force est de constater que notre société n’y a gagné ni en sérénité ni en efficacité.

À l’inverse, en matière budgétaire, on ne peut pas dénier au Gouvernement une véritable constance. Ce programme en confirme les deux axes principaux : réduction des dépenses publiques et transfert de fiscalité entre les ménages et les entreprises. Le bilan, mes chers collègues, ne semble toutefois pas aussi radieux que le suggère ce projet de programme…

L’effet récessif des restrictions budgétaires, couplé à une faible inflation, appelle en permanence de nouvelles économies de dépenses, bien au-delà des 50 milliards d’euros affichés, et l’on peine à en tenir le compte. L’investissement public a chuté de 10 % en deux ans. Les services publics sont aux abois. Pour ne prendre qu’un exemple, la mission « Écologie, développement et mobilité durables » a perdu en trois ans 7 476 emplois, soit une baisse d’effectifs de l’ordre de 20 % ! Évidemment, aucun indicateur ne vient en mesurer les conséquences. Et je ne parle pas d’autres ministères, par exemple celui de la justice…

On entend souvent dire que ces efforts demandés à nos concitoyens doivent être consentis au nom du nécessaire rétablissement de l’équilibre des comptes. Mais réduire le déficit public de 4,8 %, son niveau en 2012, à moins de 3 % en 2017 correspond à terme à un effort d’environ 40 milliards d’euros par an, soit quasi la même somme, avec la même montée en puissance, que celle que le Gouvernement concède gracieusement aux entreprises.

Cette politique onéreuse, dont l’impact sur l’emploi est dérisoire, sert trop souvent d’alibi à la baisse d’autres dépenses plus utiles. D’après une récente étude de l’Observatoire français des conjonctures économiques, l’OFCE, le taux de marge des entreprises s’élèverait désormais à 39 %, soit le taux le plus haut depuis 1980.

Mme Nicole Bricq. Ça n’a rien à voir !

M. Jean Desessard. Cela a d’ailleurs été signalé, même si l’analyse qui en est faite diffère de la mienne. La France, qui a versé 47 milliards de dollars de dividendes en 2015, est le pays de la zone euro dont les entreprises rémunèrent le plus leurs actionnaires.

M. Éric Bocquet. Très juste !

M. Jean Desessard. Selon les premières estimations, seuls 100 000 emplois environ ont été créés. « Ce n’est pas satisfaisant, les entreprises n’ont pas respecté leurs engagements. »

M. Éric Bocquet. Absolument !

M. Jean Desessard. Tels sont les mots de Manuel Valls, le 15 février dernier.

Monsieur le ministre, comment comprendre que ce constat sans équivoque, formulé par le Premier ministre lui-même, n’appelle pas un conditionnement des baisses de cotisations ?

La stabilité est une notion à double tranchant : appliquée à l’erreur, elle devient dangereuse, d’autant plus lorsque le contexte nourrit l’illusion.

La politique monétaire très accommodante de la Banque centrale européenne permet aujourd’hui à la France de bénéficier de conditions très favorables pour le financement de sa dette. De même, le faible prix du pétrole soutient notre économie et le pouvoir d’achat. Mais ces éléments de contexte sont par nature volatiles. Ils devraient plutôt nous inciter à utiliser les quelques marges qu’ils nous donnent pour consolider notre modèle.

Les liquidités qui circulent abondamment aujourd’hui, vous l’avez dit, privilégient la finance plutôt que notre économie, les banques cherchant toujours plus de rentabilité. Si de nouvelles bulles se forment et éclatent, comme le redoutent déjà certains économistes, les finances publiques ne pourront pas de nouveau faire face. C’est pourquoi il nous reste toujours à adopter une véritable loi de séparation des activités bancaires.

Alors que le commerce extérieur est grevé par les importations de pétrole, l’approvisionnement énergétique est assurément l’un des principaux enjeux de stabilité pour l’économie française. Il requiert une adaptation considérable pour développer une réelle industrie des énergies renouvelables, pour sortir de la dépendance au long déclin de l’atome et pour sauver notre industrie automobile, en anticipant plutôt qu’en subissant les évolutions de long terme de la mobilité.

Ce n’est pourtant pas si difficile, avec un peu de volonté politique ! J’en veux pour preuve le refus déterminé, à porter au crédit du Gouvernement, monsieur le ministre, des gaz de schiste, lequel nous a épargné la crise concurrentielle qui frappe aujourd’hui les pays producteurs.

Enfin, parce que ce programme s’adresse à la Commission européenne, comment ne pas évoquer l’état très préoccupant du projet européen ? Les récentes concessions accordées au Royaume-Uni, qui sapent les principes fondateurs de l’Union, résonnent curieusement, quand on se rappelle l’intransigeance prévalant à l’égard de la Grèce. L’absence de renégociation du pacte budgétaire européen en début de quinquennat a durablement installé l’idée que, aujourd’hui, en Europe, une certaine vision de l’économie prime sur la politique et sur l’expression démocratique.

En conclusion, monsieur le ministre, comme vous nous confirmez l’orientation du Gouvernement, les écologistes vous confirment leur inquiétude face à une politique économique qui ignore tant de défis cruciaux : la crise énergétique, le recul endémique de la croissance mondiale et les nouvelles exigences démocratiques du peuple européen. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC.)

M. le président. La parole est à M. Jean-Claude Requier, pour le groupe du RDSE.

M. Jean-Claude Requier. Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, comme l’a dit le président François Mitterrand : « Dans la vie, il faut essayer d’aménager les cycles qui vont de la lassitude à l’enthousiasme. » Espérons que le cycle budgétaire de 2016 qui s’ouvre avec ce débat ne suscitera pas trop de lassitude et qu’il nous conduira à une fin d’année plus enthousiasmante, comme les bonnes nouvelles économiques annoncées hier – baisse importante du chômage, contrat militaire record avec l’Australie – semblent le suggérer !

M. François Marc. C’est bien, il faut le dire !

M. Jean-Claude Requier. À l’instar de mes collègues, je tiens à saluer l’élément nouveau et positif par rapport à l’an dernier que constitue la tenue même de ce débat en séance publique. Le programme de stabilité que le Gouvernement va présenter à la Commission européenne dans quelques jours peut sembler un exercice technique formel répétitif. C’est pourtant la traduction d’évolutions institutionnelles majeures effectuées ces dernières années après les graves crises qui ont touché notre pays et nos voisins et dont nous ne sommes pas encore sortis.

Comme le disait un autre ancien Président de la République, Jacques Chirac – le groupe du RDSE est éclectique d’éclectisme ! (Sourires.) –, « nous commençons à voir le bout du tunnel ».

M. Michel Bouvard. C’est Raymond Barre !

M. Jean-Claude Requier. La coordination des politiques budgétaires nationales à l’échelon européen, tout au moins l’effort pour tendre vers plus de coordination, est d’une importance capitale alors que notre continent apparaît aujourd’hui si divisé quand il faudrait au contraire être unis et rassemblés.

L’intégration monétaire, malmenée par les soubresauts sans fin de la crise grecque, et dont le caractère non optimal est pointé par de plus en plus de commentateurs, reste malgré tout le seul domaine véritablement supranational de la politique économique, sous la houlette de la Banque centrale européenne et doublée désormais d’une union bancaire. A contrario, l’intégration budgétaire a toujours fait cruellement défaut à l’Union européenne et reste, qu’on le déplore ou qu’on le préfère, de la compétence des États membres.

C’est pourquoi le programme de stabilité constitue l’embryon budgétaire du fameux gouvernement économique de la zone euro, à côté des délibérations du Conseil des gouverneurs de la BCE et des conseils Ecofin. Si les eurosceptiques critiquent ce processus, qu’ils considèrent comme une soumission supplémentaire aux décisions de Bruxelles, je trouve qu’il a au moins le mérite de mettre en lumière le besoin de coordonner les différentes composantes de toute politique économique : monétaire, budgétaire, fiscale, que ce soit à l’échelon national ou européen.

Saisissons l’occasion de ce débat public, même si c’est un débat blanc, sans vote, pour discuter franchement de ce sujet majeur qui engage l’ensemble de nos finances publiques.

Le Gouvernement présente des objectifs inchangés de réduction des déficits. Cette constance est un gage de prévisibilité pour les acteurs économiques dans un environnement particulièrement incertain.

Plus prosaïquement, c’est aussi la résultante d’une conjoncture macroéconomique qui a peu évolué depuis un an. Malgré quelques signaux positifs – retour de la croissance, bas prix des hydrocarbures, recouvrement d’une certaine compétitivité due à la faiblesse de l’euro, réduction de la charge de la dette –, le contexte reste particulièrement morose. Ainsi, on ne voit toujours pas repartir l’investissement. Pis, l’investissement public, réalisé pour l’essentiel par les collectivités locales, a sensiblement baissé du fait de la baisse des dotations.

Mais les principaux éléments de conjoncture ont peu varié au cours de la dernière année. Est-ce à dire qu’il en sera de même jusqu’en 2017 ? Quant aux projections pour 2018 et 2019, vu les incertitudes majeures qui pèsent sur notre économie et sur celles de nos voisins, elles apparaissent fort hypothétiques.

Je formulerai donc une remarque et je poserai deux questions au cours de ce débat.

Tout d’abord la remarque : je tiens, malgré toutes les difficultés, et elles sont nombreuses, à féliciter le Gouvernement pour les efforts menés dans la lutte contre l’optimisation et la fraude fiscales. Le manque à gagner, colossal puisqu’il équivaut au montant du déficit annuel, mérite d’être noté. Les progrès sont positifs, et les dernières révélations doivent nous encourager à faire encore davantage

Première question, quelle place, monsieur le ministre, donnez-vous désormais à l’inflation ? Je me souviens d’une époque où l’inflation était considérée comme le fléau économique majeur. Qu’en est-il aujourd’hui alors que nous sommes en situation de quasi-déflation et que Mario Draghi, le gouverneur de la Banque centrale européenne, semble souhaiter un peu d’inflation ?

Seconde question, pouvez-vous nous présenter un état des lieux et les perspectives pour cette année et les années à venir s’agissant du plan d’économies de 50 milliards d’euros ?

Tels sont, monsieur le ministre, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, les quelques éléments que je souhaitais, au nom du groupe du RDSE, porter à votre connaissance et à celle de la Haute Assemblée. (Applaudissements sur les travées du RDSE et du groupe socialiste et républicain.)

M. le président. La parole est à Mme Fabienne Keller, pour le groupe Les Républicains. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

Mme Fabienne Keller. Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, nous sommes rassemblés pour débattre du projet de programme de stabilité pour les années 2016 à 2019 porté par le Gouvernement, dont le complément est le programme national de réforme, dans le cadre de la procédure de déficit excessif.

Ce projet s’inscrit, et ce sera mon premier point, dans une actualité positive sur le front de l’emploi. Mon second point portera sur les analyses européennes qui ont été publiées très récemment dans le cadre de la procédure dite « pour déséquilibres macroéconomiques ». Enfin, et ce sera mon troisième point, j’évoquerai la crédibilité de ce programme, qui, pour l’essentiel, comme nous l’a rappelé le rapporteur général de la commission des finances, poursuit les orientations retenues jusque-là. Nous en analyserons l’efficacité et le potentiel au vu des résultats passés.

L’actualité positive sur le front de l’emploi a été évoquée brièvement : le nombre de chômeurs de catégorie A a baissé de 60 000 au mois de mars. Nous saluons cette bonne nouvelle, à laquelle vient d’ailleurs s’ajouter l’annonce de la signature du contrat de DCNS avec l’Australie. Bien sûr, ce chiffre doit être rapproché de l’augmentation de 50 000 du nombre de chômeurs des catégories B et C, soit presque le même nombre. On peut également rappeler le passage d’un mois sur l’autre de certains chômeurs d’une catégorie à l’autre.

Force est aussi de rappeler, mes chers collègues, que nous ne rencontrons pas, nous élus de terrain, de chefs d’entreprise parlant de développement et, surtout, de plan de recrutement, ou de confiance en l’avenir.

Bonne nouvelle publiée hier, cette amélioration sur le front de l’emploi est-elle structurelle ?

S’agissant de mon deuxième point, permettez-moi d’évoquer le rapport de la commission des affaires européennes.

La Commission européenne, vous le savez, a une procédure de suivi des situations économiques de chaque État membre. Le 10 mars dernier, elle a publié son analyse sur les vingt-huit pays de l’Union. Ce rapport traduit, mes chers collègues, une inquiétude à propos de notre situation économique, inquiétude d’autant plus grande que la Commission souligne les effets d’entraînement que peut avoir notre pays sur l’ensemble de la zone euro, compte tenu des liens commerciaux et de l’exposition financière qui peuvent l’unir à d’autres États membres.

La Commission européenne émet plusieurs réserves sur la portée des réformes structurelles adoptées par le Gouvernement et l’absence d’avancées dans d’autres domaines. Elle estime que la stratégie du Gouvernement relève du « coup par coup », les actions proposées manquant d’ambition et leur mise en œuvre étant jugée incertaine. L’ensemble donne ainsi l’impression d’un processus de réforme constant mais aux résultats limités. Huit réformes contenues dans la recommandation du 14 juillet 2015 n’ont, par ailleurs, pas été adoptées.

Le rapport par pays insiste sur le fait que la croissance française devrait rester modérée et, si elle est en progression par rapport à la croissance très faible de l’année précédente, inférieure à la moyenne de la zone euro. À ce sujet, je tiens à répondre à Richard Yung, qui dressait un tableau positif : la France est très en retrait par rapport aux autres États membres de la zone euro.