M. le président. La parole est à M. Jacques Bigot, pour explication de vote.

M. Jacques Bigot. Je veux bien admettre les explications données par M. le ministre de l’intérieur sur notre amendement relatif à la retenue des mineurs de moins de seize ans. Mais il n’a pas apporté de réponse au sujet de l’administrateur ad hoc, qui pose, à mon avis, un véritable problème technique. Trouver une telle personne dans le délai de quatre heures va être relativement compliqué, ce qui peut susciter, ensuite, des difficultés si jamais le mineur est gardé à vue et que l’administrateur n’est pas arrivé en temps utile. Je suis très étonné que M. le ministre n’ait pas formulé d’observations sur ce point.

Je comprends les précautions que veut prendre M. le rapporteur, mais techniquement, sur le terrain, je ne vois pas comment on arrivera à suivre la procédure, sauf à prolonger la rétention du mineur pour trouver l’administrateur ad hoc.

M. le président. La parole est à M. le ministre.

M. Bernard Cazeneuve, ministre. Veuillez m’excuser de ne pas avoir été complet, monsieur le sénateur. Je ne suis favorable ni à la suppression de la possibilité de retenue ni à la diminution de la durée de la mesure.

Je perçois tout à fait l’incohérence mise en avant par le sénateur Richard précédemment. Je considère que cette retenue est importante, comme l’est la durée de quatre heures. D’une part, la garantie du dispositif réside dans l’autorisation expresse donnée par le procureur de la République. D’autre part, la retenue de quatre heures, nécessaire pour procéder aux vérifications, peut être la condition de la mise en protection du mineur.

Alain Richard disait tout à l’heure que, à partir du moment où l’on considère que cette retenue est importante, il n’y a pas de raison d’en diminuer la durée. J’adhère parfaitement à cet argument.

Dès lors que nous sommes favorables à cette retenue et que l’objectif du Gouvernement est la mise sous protection du mineur victime d’un endoctrinement sectaire, la durée de quatre heures doit s’apprécier à l’aune de cet objectif.

En ce qui concerne l’administrateur ad hoc, la mesure sera difficile à mettre en œuvre d’un point de vue opérationnel. Dans la plupart des cas, nous n’y arriverons pas. On peut considérer soit qu’il faut inscrire dans le texte cette garantie supplémentaire, tout en sachant que l’objectif sera difficilement atteint pour des raisons pratiques, soit qu’il ne faut pas y faire figurer des dispositions dont on sait qu’elles peuvent être inopérantes, ce qui est plutôt notre position.

Mais il n’y a aucun dogmatisme en l’espèce et je m’en remets à la sagesse du Parlement.

M. le président. La parole est à M. le rapporteur.

M. Michel Mercier, rapporteur. Je remercie le ministre des explications qu’il vient de nous donner. Pour résumer l’état de nos discussions, je crois que, mis à part l’amendement de Mme Benbassa visant à supprimer la retenue pour les mineurs, il existe un accord pour faire en sorte que les mineurs puissent effectivement faire l’objet d’une retenue. En effet, de nombreux mineurs – le ministre a rappelé les chiffres – participent à des opérations terroristes. Nous devons pouvoir à la fois les contrôler et les protéger.

La commission des lois a été très attentive à bâtir un régime spécial de protection pour les mineurs. Le Gouvernement a participé à ces travaux. Il faut, par exemple, l’autorisation expresse du procureur de la République et l’assistance d’un administrateur ad hoc, en cas d’absence de représentant légal.

La seule question restante, et qui peut temporairement nous séparer, est celle de la durée de la retenue : nous avons prévu un délai de deux heures, quand le ministre estime que quatre sont nécessaires. Nous nous rejoignons toutefois sur le fait d’inclure tous les mineurs, sans distinction d’âge.

Pour avancer vers un vote qui pourrait rassembler une grande majorité des sénateurs, je suis prêt, monsieur le ministre, à la lumière de vos explications et en accord avec M. le président de la commission des lois, à modifier la durée de la retenue pour les mineurs et à revenir à quatre heures.

M. le président. La parole est à M. le ministre.

M. Bernard Cazeneuve, ministre. Je suis extrêmement sensible à la position de M. le rapporteur qui est le résultat d’un cheminement conjoint. La commission des lois du Sénat a réalisé un énorme travail sur ce texte et a contribué, comme la Haute Assemblée en général, à l’améliorer. Nous cheminons ensemble !

Finalement, trois questions se posent.

Est-ce que nous supprimons la retenue pour les mineurs ? Je n’y suis pas favorable, pour les raisons que j’ai indiquées.

Dès lors que l’on retient cette mesure, faut-il prévoir une durée de deux ou de quatre heures ? J’ai expliqué pourquoi j’ai proposé quatre heures.

Enfin, l’assistance d’un administrateur ad hoc est-elle nécessaire ? J’y suis défavorable, car cette mesure sera très difficile à mettre en œuvre. Si elle est adoptée à la suite de la proposition du Sénat, les conditions de sa mise en œuvre seront un véritable nid à contentieux, lorsqu’un mineur en retenue verra sa situation judiciarisée. Je ne le souhaite pas.

C’est la raison pour laquelle il me semble que la solution la plus sage est d’accepter la retenue de quatre heures avec une garantie forte – l’autorisation expresse du procureur de la République – et sans l’assistance de l’administrateur ad hoc, pour les raisons que je viens d’exposer.

M. Alain Richard. Alors, il faut adopter l’amendement n° 125 !

M. le président. La parole est à M. François Pillet, pour explication de vote.

M. François Pillet. Je suis particulièrement convaincu par l’évolution de la commission des lois, que nous avions déjà sentie ce matin, et très sensible aux arguments de M. le ministre.

La discussion sur la retenue de quatre heures n’est pas du tout de même nature selon que l’on a affaire à un majeur ou à un mineur. Je suis pour ma part beaucoup plus rassuré lorsque celle-ci concerne les mineurs, puisque c’est pendant cette période-là que l’on peut non seulement, éventuellement, prévenir une opération terroriste, mais surtout préserver le mineur, qui, par définition ou par essence, n’a pas une capacité intellectuelle équivalant à celle d’un adulte.

À voir comment des mineurs de moins de seize ans, voire de moins de quinze ans, peuvent être utilisés dans des attentats kamikazes, en Afrique notamment – M. le ministre pourra me contredire, mais j’en serais étonné –, je me dis au contraire que la mesure proposée par le Gouvernement, telle qu’elle vient d’être expliquée et adoptée par la commission, mérite d’être votée.

M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Grand, pour explication de vote.

M. Jean-Pierre Grand. La modification que vient d’annoncer M. le rapporteur me convient tout à fait. Un délai de quatre heures pour tout le monde me paraît logique, une vérification prenant le même temps, qu’elle concerne un adulte ou un mineur. Cette mesure tend donc à sécuriser complètement une procédure nécessaire, tout en nous permettant de défendre aussi les enfants contre eux-mêmes. C’est donc une très bonne chose.

Cependant, je me demande ce qu’il va advenir de l’amendement n° 62 rectifié, qui a été largement cosigné, et qui tend également à prévoir un délai de quatre heures pour tout le monde : la parole du rapporteur règle-t-elle le débat ou cet amendement va-t-il venir en discussion ?

M. le président. La parole est à M. le rapporteur.

M. Michel Mercier, rapporteur. Il est bien certain que, si les amendements dont nous discutons actuellement sont rectifiés dans le sens que j’ai préconisé, l’amendement n° 62 rectifié n’aura plus d’objet, mais je vous laisse bien volontiers, en signe de respect, la paternité de cette mesure, puisqu’elle correspond à ce que nous voulons faire.

Si M. Grand en est d’accord, il peut se joindre à nous pour supprimer les deux dernières phrases de l’alinéa 14.

M. le président. Monsieur le rapporteur, pour plus de clarté, il conviendrait de respecter l’ordre de discussion des amendements prévu par le dérouleur de séance.

M. Michel Mercier, rapporteur. Je me demande ce que je ne ferais pas pour vous simplifier la tâche, monsieur le président ! (Sourires.)

En tout état de cause, nous prenons l’engagement devant le Sénat de corriger la durée de retenue pour les mineurs au moment où l’amendement de M. Grand viendra en discussion.

M. le président. La parole est à M. le ministre.

M. Bernard Cazeneuve, ministre. Monsieur le président, je sollicite une suspension de séance de quelques instants afin que nous puissions nous accorder avec la commission.

M. le président. Je donne la parole à M. Gérard Roche, pour une explication de vote, puis je suspendrai la séance quelques instants, monsieur le ministre.

Vous avez la parole, mon cher collègue.

M. Gérard Roche. Je voudrais faire une remarque d’ordre général pour tous les débats relatifs à ce projet de loi.

Face à la violence des attaques, nous pourrions être en état de guerre. Or notre République, dans sa grandeur, a décidé de rester un État de droit. Néanmoins, vu le contexte, il faut que celui-ci s’adapte pour défendre les citoyens. Tout en respectant l’État de droit, nous devons prendre des mesures efficaces contre la brutalité de l’agression que nous subissons, au niveau tant national et qu’international.

Je veux donc rendre hommage à tout le travail accompli pour que cet État de droit reste ferme, même si certaines décisions peuvent choquer et pourraient paraître exagérées dans une autre situation. Dans la période actuelle, il faut vraiment défendre nos droits.

Cela dit, nous devons convenir que les mineurs peuvent aussi être des terroristes, ces derniers étant « formés » de plus en plus jeunes. Nous pouvons le regretter, mais c’est ainsi. La solution retenue me semble donc à la fois sage et courageuse.

M. le président. Mes chers collègues, nous allons interrompre nos travaux pour quelques instants.

La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à dix-huit heures quinze, est reprise à dix-huit heures vingt.)

M. le président. La séance est reprise.

Je mets aux voix l’amendement n° 156.

(L’amendement n’est pas adopté.)

M. le président. Je mets aux voix l’amendement n° 124.

(L’amendement n’est pas adopté.)

M. le président. Je mets aux voix l’amendement n° 170 rectifié.

(L’amendement n’est pas adopté.)

M. le président. Je suis saisi d’un amendement n° 125 rectifié, présenté par MM. Bigot, Richard, Leconte et Sueur, Mmes Lienemann, S. Robert et les membres du groupe socialiste et républicain, et ainsi libellé :

Alinéa 13, deuxième phrase

Après le mot :

légal

rédiger ainsi la fin de cette phrase :

, sauf impossibilité dûment justifiée.

La parole est à M. Jacques Bigot.

M. Jacques Bigot. La rédaction initiale de notre amendement présentait un inconvénient. Nous ne pouvons supprimer entièrement la deuxième phrase de l’alinéa 13, qui doit être ainsi rédigée : « Le mineur doit être assisté de son représentant légal, sauf impossibilité dûment justifiée. »

Il faut éviter que l’on reproche postérieurement aux forces de l’ordre de ne pas avoir contacté le représentant légal.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

M. Michel Mercier, rapporteur. Favorable.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Bernard Cazeneuve, ministre. Favorable.

M. le président. Je mets aux voix l’amendement n° 125 rectifié.

(L’amendement est adopté.)

M. le président. Je suis saisi de deux amendements faisant l’objet d’une discussion commune.

L’amendement n° 200 rectifié, présenté par MM. Collombat, Mézard, Arnell, Barbier, Collin et Fortassin, Mmes Jouve, Laborde et Malherbe et MM. Requier et Vall, est ainsi libellé :

Alinéa 3

I. – Remplacer les mots :

lorsque ce contrôle ou cette vérification révèle qu’il existe des raisons sérieuses de penser que son comportement peut être lié à des activités à caractère terroriste

par les mots :

lorsque la consultation des traitements automatisés de données à caractère personnel relevant de l’article 26 de la loi n° 78-17 du 6 janvier 1978 relative à l’informatique, aux fichiers et aux libertés par officier de police judiciaire et selon les règles propres à chacun de ces traitements, révèle qu’elle fait l’objet d’une fiche dite “S” dans le fichier des personnes recherchées

II. – Supprimer les mots :

de consulter les traitements automatisés de données à caractère personnel relevant de l’article 26 de la loi n° 78-17 du 6 janvier 1978 relative à l’informatique, aux fichiers et aux libertés, selon les règles propres à chacun de ces traitements, et

La parole est à M. Pierre-Yves Collombat.

M. Pierre-Yves Collombat. Il s’agit d’une tentative pour concilier deux objectifs : prévenir les actes de terrorisme tout en nous abstenant d’adopter une « loi des suspects », ce qui arriverait si nous retenions une définition tellement large du suspect que tout le monde pourrait, selon l’humeur de celui qui effectue le contrôle, se trouver impliqué.

Pour reprendre l’expression employée par Alain Richard tout à l’heure, nous visons des situations caractérisées par un risque. Il ne s’agit pas de contrôles impromptus destinés à satisfaire la curiosité des forces de l’ordre : si ces contrôles sont mis en place, c’est parce qu’un risque existe véritablement.

Deux situations peuvent alors se présenter.

D’une part, on constate effectivement une infraction au moment du contrôle. Reprenons l’exemple donné par M. le ministre : si l’on a affaire à une personne en possession d’un faux passeport, il peut paraître justifié d’y regarder de plus près, mais nous disposons déjà des outils, cette personne pouvant être mise en garde à vue.

M. Michel Mercier, rapporteur. Bien sûr !

M. Pierre-Yves Collombat. Je le répète, ce n’est pas moi qui ai pris cet exemple.

D’autre part, et c’est l’objet principal de cet article, se présente le cas de tous ceux pour lesquels on ne sait rien. Pour ceux-là, nous proposons de recourir au fichier S, qui permet d’avoir des renseignements plus consistants que des suspicions « à la tête du client ».

Selon nous, les officiers de police judiciaire, qui seront certainement présents dans de telles situations, par définition assez difficiles, doivent pouvoir consulter le fichier S et prendre le temps d’analyser si la personne contrôlée, qui a peut-être des choses à se reprocher, présente un profil peu dangereux ou pourrait être un « client » de grosse stature.

Tel est l’objet d’une formulation par laquelle nous essayons, peut-être maladroitement, de concilier les exigences que j’ai rappelées et de donner un caractère assez objectif à la retenue, tout en maintenant la possibilité de la décider.

M. le président. L’amendement n° 191 rectifié, présenté par MM. Mézard, Collombat, Arnell, Barbier, Collin et Fortassin, Mmes Jouve, Laborde et Malherbe et MM. Requier et Vall, est ainsi libellé :

Alinéa 3

Après le mot :

révèle

rédiger ainsi la fin de cet alinéa :

un ensemble d’éléments de nature à constituer un faisceau d’indices suffisant pour présumer l’existence d’un lien entre les agissements de cette personne et des activités à caractère terroriste, peut faire l’objet d’une retenue sur place ou dans le local de police pour une vérification de sa situation par un officier de police judiciaire. Cette retenue a nécessairement pour objectif de permettre la consultation des traitements automatisés de données à caractère personnel relevant de l’article 26 de la loi n° 78-17 du 6 janvier 1978 relative à l’informatique, aux fichiers et aux libertés, selon les règles propres à chacun de ces traitements, et, le cas échéant, d’interroger les services à l’origine du signalement de l’intéressé ainsi que des organismes de coopération internationale en matière de police judiciaire ou des services de police étrangers.

La parole est à M. Jacques Mézard.

M. Jacques Mézard. Pierre-Yves Collombat et moi-même avons beaucoup travaillé, mais dans la solitude, puisque ce texte est le fruit d’une coproduction du Gouvernement et de l’exécutif de la commission des lois. (Rires au banc des commissions.)

Manifestement, notre réflexion intéresse peu les auteurs de cette coproduction… Et pourtant, il serait bon que nous soyons au moins un tout petit peu entendus, ce qui n’est manifestement pas le cas quand le président et le rapporteur de la commission, ainsi que M. le ministre, refusent de répondre à nos questions.

D’ailleurs, je pensais que le texte était tellement bien « ficelé » qu’il n’y avait plus rien à toucher. Or vous venez de demander une suspension de séance pour en améliorer la rédaction en coproduction, ce qui prouve que c’est encore possible… (Sourires.)

C’est ce que nous nous efforçons en tout cas de faire avec cet amendement n° 191 rectifié, qui a pour objet de remplacer l’expression « des raisons sérieuses de penser », qui pose problème à de nombreuses analystes, par la suivante : « un ensemble d’éléments de nature à constituer un faisceau d’indices suffisant pour présumer l’existence d’un lien entre les agissements de cette personne et des activités à caractère terroriste ».

Juridiquement, il s’agirait quand même d’une amélioration par rapport à la formulation initiale.

Voilà ce que nous avons pensé dans notre solitude. Nous soumettons cette proposition à votre sollicitude et, surtout, à votre sagesse.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

M. Michel Mercier, rapporteur. Je veux dire à MM. Collombat et Mézard que nous avons essayé de mener les mêmes recherches qu’eux…

M. Jacques Mézard. Mais vous n’y êtes pas arrivés ! (M. Michel Le Scouarnec s’esclaffe.)

M. Michel Mercier, rapporteur. Nous devons y arriver ensemble !

Il est bien certain que la retenue ne va pas concerner toutes les personnes qui font l’objet d’un contrôle ou d’une vérification d’identité. Il faudra qu’un élément déclenche cette décision.

À cet instant, je vous rappelle que tous les propos que nous tenons seront publiés au compte rendu intégral des débats, ce qui éclairera éventuellement le Conseil constitutionnel, mais surtout les magistrats qui auront à appliquer ces décisions.

M. Jacques Mézard. Ce sera difficile !

M. Michel Mercier, rapporteur. De quoi s’agit-il ? L’inscription au fichier des personnes recherchées sera bien évidemment l’élément le plus simple et le plus habituellement utilisé pour déclencher la retenue.

Si nous ne l’écrivons pas, c’est pour ne pas lier les deux et pour laisser une marge d’appréciation aux officiers de police judiciaire, lesquels pourront disposer d’éléments, que nous ne connaissons pas, pouvant justifier cette retenue de quatre heures.

Monsieur Collombat, monsieur Mézard, même si vous semblez en douter, ce qui déclenchera normalement la retenue, ce sera l’inscription sur le fichier des personnes recherchées. Il peut toutefois exister des éléments autres que le fichier – une attitude, par exemple – qui fonderont ces « raisons sérieuses de penser ».

Je n’éprouve donc aucune crainte de ce point de vue et M. Mézard, grand connaisseur de la jurisprudence des tribunaux de l’ordre judiciaire, sait parfaitement que la formule retenue par la commission est encadrée par ces derniers, qui n’abandonnent pas complètement les choses à la décision non fondée d’un officier de police judiciaire !

Je rappelle, en outre, que la retenue pour vérification de situation est placée sous le contrôle du procureur de la République, qui est en mesure d’y mettre fin à tout moment si les choses se passent mal. Il faut donc voir dans cette judiciarisation un vrai contrôle et une réelle garantie.

Au bénéfice de ces observations, il me semble que MM. Mézard et Collombat pourraient retirer leurs amendements. Les explications que je viens de leur donner montrent qu’ils ont été compris. Ils le seront d’autant mieux s’ils acceptent de laisser aux forces de police, sous le contrôle du procureur de la République, une latitude d’action qui est tout à fait nécessaire s’agissant d’actes de terrorisme.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Bernard Cazeneuve, ministre. Monsieur Mézard, monsieur Collombat, je vais faire abstraction de la commission des lois, oubliant ses arguments, pour raisonner avec vous seuls et dissiper ainsi ce sentiment de solitude qui semble vous tarauder profondément ! (Sourires.)

Je vous propose plusieurs éléments de réponse.

Il me semble d’abord que vos deux amendements sont fondés sur la crainte que la rédaction retenue par le Gouvernement ne soit trop imprécise et trop aléatoire pour permettre une application de la retenue qui évite des mesures arbitraires ou discriminantes.

Or la formulation que nous avons retenue est précisément celle qui a été utilisée dans le cadre de textes précédents – je pense notamment à la loi du 13 novembre 2014 renforçant les dispositions relatives à la lutte contre le terrorisme. Cette formulation, le Conseil constitutionnel l’a reconnue et validée, estimant qu’elle permet de définir parfaitement le périmètre de notre intervention. Cette validation par le Conseil constitutionnel est donc une garantie que le risque que vous redoutez ne se réalisera pas.

Je veux ensuite attirer votre attention sur le fait que tous ceux que nous sommes susceptibles de retenir ne sont pas tous fichés S.

Prenons le cas d’un individu terroriste qui n’est pas de nationalité française et dont nous ignorons qu’il est parti sur le théâtre des opérations en Syrie, par exemple. Nous le retenons alors qu’il n’est pas fiché S, mais parce qu’il est fiché par un autre service étranger – cette situation peut tout à fait se produire dans le contexte particulier auquel nous sommes confrontés. Nous interrogeons le service étranger en question au moment de la retenue pour connaître les caractéristiques exactes de cet individu. Eh bien, avec la rédaction que vous proposez, nous ne pourrions plus le faire ! La seule retenue à laquelle nous pourrions procéder concernerait des personnes de nationalité française, fichées S ou figurant au fichier des personnes recherchées.

C’est au nom de ces considérations concrètes et en me situant sur le plan opérationnel que je ne peux pas émettre un avis favorable sur ces amendements. Nous ne pouvons pas ne retenir que des citoyens de nationalité française ! Les événements du 13 novembre l’ont montré, les terroristes envoient sur le territoire national des individus non fichés par nos propres services, parce qu’ils trouvent beaucoup plus facile de nous atteindre ainsi.

Fort de ces explications et en vertu de ces raisons opérationnelles, je vous demande, messieurs les sénateurs, d’accepter de retirer ces deux amendements.

M. le président. Monsieur Collombat, l’amendement n° 200 rectifié est-il maintenu ?

M. Pierre-Yves Collombat. Je ne peux pas suivre le raisonnement de M. le ministre.

D’abord, je ne suis guère sensible – vous voudrez bien m’en excuser ! – à l’argument selon lequel la formulation a été validée par le Conseil constitutionnel !

Ensuite, je reconnais qu’il y a un risque supplémentaire. Mais c’est toute la difficulté de l’exercice de la prévention en démocratie ! Il vient un moment où il faut arrêter le curseur et se garder d’aller trop loin, sauf à agir, de toute façon, en pure perte, car il y aura toujours quelque chose qui échappera à notre vigilance.

Il n’y a pas trente-six solutions. Si l’individu présente un certain nombre d’indications très précises révélatrices d’un délit – faux papiers, par exemple, ou autre chose –, si la situation est suffisamment sérieuse, la procédure ordinaire permet, me semble-t-il, de placer l’individu en garde à vue.

En revanche, pour tout ce qui concerne la suspicion, d’après ce que je sais – peut-être l’infirmerez-vous – le fichier S est quand même déjà très large. On nous a parlé de tel ou tel individu qui, bien que figurant au fichier S, n’avait jamais fait l’objet de la moindre demande !

Ce que je veux dire, c’est qu’il vient un moment où il faut arrêter le curseur. Et ce que nous proposons nous semble sinon la bonne solution, en tout cas la moins mauvaise.

Comment le procureur de la République, qui n’est ni omniscient ni doué d’ubiquité, pourrait-il exercer un véritable contrôle sur les mesures de retenue administrative ? C’est évidemment impossible !

Telles sont les raisons pour lesquelles je maintiens l’amendement n° 200 rectifié.

M. le président. Je mets aux voix l’amendement n° 200 rectifié.

(L’amendement n’est pas adopté.)

M. le président. Je mets aux voix l’amendement n° 191 rectifié.

(L’amendement n’est pas adopté.)

M. le président. L’amendement n° 168 rectifié, présenté par Mmes Aïchi, Benbassa, Blandin et Bouchoux, M. Dantec, Mme Archimbaud et MM. Gattolin et Labbé, est ainsi libellé :

Alinéa 4

Compléter cet alinéa par une phrase ainsi rédigée :

La personne faisant l’objet de cette retenue doit toutefois pouvoir être assistée d’un avocat.

La parole est à Mme Esther Benbassa.

Mme Esther Benbassa. Je retire cet amendement, monsieur le président.

M. le président. L’amendement n° 168 rectifié est retiré.

L’amendement n° 199 rectifié, présenté par MM. Mézard, Collombat, Arnell, Barbier, Collin et Fortassin, Mmes Jouve, Laborde et Malherbe et MM. Requier et Vall, est ainsi libellé :

Alinéa 5

Remplacer les mots :

le procureur de la République

par les mots :

juge des libertés et de la détention

La parole est à M. Jacques Mézard.

M. Jacques Mézard. Par cet amendement, nous souhaitons substituer, dans l’alinéa 5 de l’article 18, le juge des libertés et de la détention au procureur de la République. En effet, nous n’avons pas terminé le débat sur les définitions respectives d’une mesure « restrictive » de liberté et d’une mesure « privative » de liberté. Sur ce point, je reconnais toute l’intelligence de nos hauts magistrats – sans préciser lesquels ! – qui parviennent à établir une différence entre une mesure « restrictive » de liberté et une mesure « privative » de liberté. Nous atteignons là l’un des sommets du débat !

En tout cas, lorsqu’une personne fait l’objet d’une mesure de retenue de quatre heures, que cette dernière relève de la « restriction » ou de la « privation » de liberté, je pense que celui qui est le mieux à même d’exercer un contrôle n’est pas le procureur de la République. En effet, dans le système actuel – et tant qu’il n’y aura pas de révision constitutionnelle sur ce point – le procureur de la République est nommé par le pouvoir exécutif dont il dépend – ce qui n’est d’ailleurs pas forcément une critique de ma part, faute de savoir si l’autre solution sera meilleure.

Quoi qu’il en soit, je pense qu’il serait opportun de donner la possibilité du contrôle de cette mesure au juge des libertés et de la détention plutôt qu’au procureur de la République.

Il serait bon qu’un débat sur le juge des libertés, notamment sur la collégialité de cette instance, ait rapidement lieu. Outre que l’importance du sujet justifie l’ouverture d’une réflexion, cela témoignerait d’un effort du Gouvernement pour faire passer la pilule de cet article 18 !