M. le président. Acte vous est donné de votre rappel au règlement, mon cher collègue.

M. Alain Néri. Je demande la parole pour un rappel au règlement. (Protestations sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. Roger Karoutchi. Sur la base de quel article du règlement ?

M. le président. Mon cher collègue, nous examinons des amendements faisant l’objet d’une discussion commune. Il y a déjà eu deux rappels au règlement, je ne peux pas vous donner la parole.

M. Alain Néri. Monsieur le président, votre rôle est de respecter le règlement, non de le transgresser !

Mme Catherine Troendlé, vice-présidente de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale. Le règlement est respecté !

M. le président. Vous aurez l’occasion de vous exprimer lors des explications de vote.

Mme Éliane Assassi. Pourquoi ne peut-il pas y avoir d’autres rappels au règlement ?

M. Alain Néri. C’est scandaleux ! Monsieur le président, vous êtes garant de la liberté de parole dans cette assemblée !

M. le président. De ce point de vue, n’ayez aucune inquiétude !

M. Alain Néri. Vous venez de donner la parole à un sénateur du groupe CRC. Les membres des autres groupes ont aussi le droit de s’exprimer ! (M. Gaëtan Gorce brandit un exemplaire du règlement du Sénat.)

M. le président. L'amendement n° 2, présenté par MM. M. Mercier et Zocchetto, Mme Gourault et M. Détraigne, est ainsi libellé :

Alinéa 2

Rédiger ainsi cet alinéa :

« - la nationalité, dont la déchéance ne peut concerner qu’une personne condamnée définitivement pour un crime constituant une atteinte grave à la vie de la Nation et disposant d’une autre nationalité que la nationalité française ;

La parole est à M. François Zocchetto.

M. François Zocchetto. Tout d’abord, je tiens à rappeler que, si nous nous trouvons réunis en pouvoir constituant, ce n’est pas sur notre propre initiative ; c’est parce que le Président de la République l’a voulu. La question de l’opportunité du débat renvoie donc à la responsabilité du Président de la République lui-même.

Par ailleurs, la question de la déchéance de nationalité – cela a été souvent souligné depuis le début de nos débats – n’est pas nouvelle. Depuis au moins 1803, on prononce des déchéances de nationalité et le gouvernement actuel, à juste titre d'ailleurs, l’a fait.

En la matière, disons-le d’emblée, il n’y a pas de bonne solution. Que personne dans cet hémicycle n’imagine pouvoir trouver la solution exceptionnelle ; elle n’existe pas. Il nous faut choisir la solution la moins mauvaise.

Bien que nous voudrions que ce soit le cas, tous les Français ne sont pas égaux, et nous n’y pouvons rien. Il y a, dans l’état même des personnes, des différences sensibles. Certains sont français de naissance, d’autres par acquisition de la nationalité. Certains ne sont que français, d’autres ont une nationalité supplémentaire. Dans ces circonstances, qui peuvent introduire de la confusion, laquelle existe au regard des dispositions actuelles du code civil, il est nécessaire de clarifier les choses. C’est pourquoi nous pensons que cette réforme constitutionnelle est indispensable de ce point de vue.

Premièrement, il faut rappeler que la nationalité relève de cette part de souveraineté nationale qui est exercée par le pouvoir exécutif.

Deuxièmement, la déchéance ne peut concerner qu’une personne ayant été définitivement condamnée pour un crime. Nous avons eu l’occasion, au Sénat, de préciser que les actes les plus graves en matière de terrorisme doivent être criminalisés.

Troisièmement, enfin, la déchéance ne peut viser qu’une personne ayant une autre nationalité, car nous, législateur, ne pouvons pas prendre la responsabilité de créer des apatrides. Ce serait une aberration au regard de la tradition républicaine réaffirmée ; ce serait nous exposer à des problèmes évidents au regard du contrôle de conventionnalité ; et, tout simplement, ce serait inefficace, car créer des apatrides que l’on ne pourrait expulser et qui, de surcroît, bénéficieraient d’un régime privilégié serait une absurdité.

La rédaction retenue par les députés n’est pas solide. On sait bien qu’elle est la résultante d’un compromis très difficilement acquis au sein du groupe majoritaire à l’Assemblée nationale. C’est pourquoi, bien qu’ayant écouté avec beaucoup d’attention ceux qui, au sein même de notre propre groupe, avaient beaucoup de réserves quant à la modification de la Constitution sur ce point, certains de mes collègues et moi-même avons déposé le présent amendement. Toutefois, il est si proche de celui de la commission des lois que nous le retirons. (Applaudissements sur quelques travées de l’UDI-UC et du groupe Les Républicains.)

M. le président. L’amendement n° 2 est retiré.

L’amendement n° 72 rectifié, présenté par MM. Collombat, Mézard, Arnell, Collin et Fortassin, Mmes Jouve et Laborde et M. Requier, est ainsi libellé :

Alinéa 2

Rédiger ainsi cet alinéa :

« - la nationalité, dont la déchéance ne peut concerner qu’une personne condamnée définitivement pour un crime constituant une atteinte grave à la vie de la Nation et, dans le cas d’une personne disposant d’une autre nationalité que la nationalité française, ne peut être prononcée après que l’autorité étatique de son autre nationalité en a antérieurement prononcé la déchéance ;

La parole est à M. Pierre-Yves Collombat.

M. Pierre-Yves Collombat. Cet amendement a vocation à appeler l’attention de tous sur une difficulté que plusieurs d’entre nous ont soulevée : la décision de déchéance de nationalité ne concerne pas que notre pays, elle a aussi des effets internationaux qui peuvent être redoutables. En particulier, si d’autres pays se mettent à nous imiter et à déchoir systématiquement de leur autre nationalité des binationaux français, on risque d’être confronté à un certain nombre de problèmes. Je sais déjà ce que M. le rapporteur me répondra : ces personnes n’ayant plus qu’une nationalité, la nationalité française, nous serons obligés de les accueillir. Je crains toutefois que, au regard du profil de celui qui perdra son autre nationalité, cela ne pose certaines difficultés.

Je ne me battrai pas jusqu’au sang pour cet amendement, mais je voudrais tout de même qu’on réalise bien dans quelle galère on risque de s’engager, comme si on avait si peu de vrais problèmes qu’on pouvait s’en créer de nouveaux.

M. le président. L’amendement n° 3 rectifié, présenté par M. Masson n’est pas soutenu.

L’amendement n° 31 rectifié, présenté par MM. Malhuret, Grand, Bignon et Portelli, Mme Garriaud-Maylam et M. Barbier, est ainsi libellé :

Alinéa 2

Supprimer les mots :

ou un délit

La parole est à M. Claude Malhuret.

M. Claude Malhuret. Évidemment, cet amendement n’aura plus d’objet dès lors que sera adopté l’amendement de la commission – je n’en doute pas, une majorité se dégagera en faveur de cet amendement –, mais je veux profiter du temps de parole qui m’est imparti pour exposer les propos que j’aurais tenus si des explications de vote sur les amendements de suppression avaient eu lieu ; en outre, cela n’est pas sans rapport avec cet amendement.

Seuls les imbéciles ne changent pas d’avis et le Président de la République est quelqu’un d’intelligent. (Sourires sur les travées du groupe Les Républicains.) Ainsi, au mois de juillet 2015, cela a été rappelé, le chef de l’État disait : « la déchéance de nationalité ou l’indignité nationale [sont des] choses de droite qui sont de l’ordre du symbolique et qui n’apportent rien à la lutte contre le terrorisme ».

M. Claude Bérit-Débat. Ce sont des propos rapportés !

Mme Éliane Assassi. Non, il a vraiment dit cela !

M. Claude Malhuret. Aujourd’hui, huit mois plus tard, il affirme le contraire. En 2012, il promettait le droit de vote pour les étrangers ; en 2016, il propose une révision constitutionnelle permettant la déchéance de la nationalité pour les binationaux et créant des apatrides. Quelle évolution !

Pour quelle efficacité ? Dans l’exposé des motifs de votre projet de loi constitutionnelle, vous affirmez, monsieur le Premier ministre, que cela permettra d’expulser des terroristes ; mais c’est une lettre au père Noël ! Le 1 % d’apatrides, nous les garderons, évidemment ! Quant aux binationaux, comment croyez-vous que les pays de l’autre nationalité réagiront à nos exportations de terroristes ? Pour le savoir, posez-vous cette question : quelle serait votre réaction si un pays décidait d’expulser vers la France un terroriste binational ? Vous diriez bien entendu que la France n’est pas une poubelle. J’emploie délibérément ce mot, parce que c’est celui qu’a utilisé Mme Taubira avant de claquer la porte du Gouvernement ; elle a aussi employé le terme « déchetterie ». Cela n’empêche pourtant pas ce texte – Mme Taubira doit en faire des cauchemars la nuit – de continuer de porter sa signature.

Pas plus que le Président de la République, monsieur le garde des sceaux, vous n’êtes un imbécile, car vous aussi savez changer d’avis. (Ah ! sur les travées du groupe Les Républicains.) En 2010, quand Nicolas Sarkozy voulait durcir la loi sur la déchéance de nationalité – ce qu’il a finalement renoncé à faire –, vous prononciez des formules enflammées : « On ne répond pas à l’insécurité par la nationalité » ; j’aime bien cette phrase. Pouvez-vous nous expliquer ce qui vous a fait changer d’avis ?

Monsieur le Premier ministre, en 2010, vous qualifiiez ce même débat de « nauséabond et inutile ». Pouvez-vous nous expliquer ce qui vous a, vous aussi, fait changer d’avis ?

M. Didier Guillaume. Il y a tout de même eu quelques attentats entre-temps !

M. Claude Malhuret. En attendant, cette idée, lancée par le Front national, que certains à droite voulaient reprendre et que le précédent président de la République a lui-même abandonnée, c’est la gauche qui la sert aujourd’hui sur un plateau. Pour ma part, je n’ai pas changé d’avis. C’est pourquoi j’ai proposé la suppression de l’article 2, à travers un amendement que je ne pourrai pas défendre davantage, puisque les amendements de suppression ne seront pas mis aux voix. (Applaudissements sur quelques travées du groupe Les Républicains.)

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

M. Philippe Bas, rapporteur. Je vous remercie, monsieur Zocchetto, d’avoir retiré votre amendement. Il s’agissait effectivement d’un amendement cousin, et même frère, de celui de la commission des lois. Vous retrouvez intégralement ses dispositions dans l’amendement n° 14.

Pour ce qui concerne l’amendement n° 72 rectifié, vous avez raison, monsieur Collombat, d’affirmer qu’il convient de vérifier, entre le début de la procédure de déchéance et son aboutissement, que l’autre État dont l’intéressé détient la nationalité ne l’en a pas, lui aussi, déchu. Précisément – le Gouvernement pourra sans doute le confirmer –, cet examen existe bien. Le Gouvernement ne prend jamais un décret de déchéance de nationalité – il n’obtient d’ailleurs pas l’avis conforme du Conseil d’État – s’il ne produit pas la preuve que la personne en question n’a pas une autre nationalité que la nationalité française. Je vous demande donc, mon cher collègue, de bien vouloir retirer votre amendement.

S’agissant de l’amendement n° 31 rectifié, je veux indiquer à M. Claude Malhuret et aux autres cosignataires de cet amendement que celui-ci peut aussi être retiré. En effet, la mention selon laquelle on ne peut déchoir quelqu’un de sa nationalité française que s’il a commis un crime figure déjà dans l’amendement n° 14. Je vous serai donc reconnaissant, mes chers collègues, de bien vouloir retirer cet amendement ; je suis d’ailleurs sensible à ce qu’a dit précédemment M. Gabouty.

En outre, vous le savez, la proposition de loi relative à la lutte antiterroriste que j’ai eu l’honneur de présenter avec Michel Mercier et dont les termes sont largement repris par le projet de loi que l’Assemblée nationale vient d’adopter a pour ambition de criminaliser un certain nombre de délits. Ce que nous voulons éviter, c’est justement que la Constitution ne rende possible la déchéance pour de petits délits. Ainsi, un délinquant exposé à une peine de prison d’un an ne doit pas être déchu de sa nationalité. En revanche, s’agissant de délits actuellement punis de peines de prison de dix ans et qui ont trait au terrorisme, il convient d’en augmenter la peine et, pour cela, d’en faire des crimes.

Pour toutes ces raisons, mes chers collègues, je vous propose d’adopter l’amendement n° 14.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Manuel Valls, Premier ministre. Nous voilà arrivés à un moment important de notre discussion et je vais tâcher, mesdames, messieurs les sénateurs, sinon de vous convaincre, au moins de vous présenter les arguments qui amènent le Gouvernement à émettre un avis défavorable sur l’amendement n° 14.

Le débat est nourri, riche, et les interventions sont d’une très grande qualité. Nous l’avons, les uns et les autres, compris – même si ce n’est pas partagé sur toutes les travées, ce que je respecte parfaitement – et chacun l’a dit avec ses mots : ces attentats terribles ont sans doute amené nos compatriotes à se demander ce qu’être français veut dire et à réfléchir à cette belle idée si française, la Nation.

Au-delà bien sûr des symboles – j’en parlais hier au cours de la discussion générale, de même que certains d’entre vous, notamment M. Retailleau –, il y a également les actes, ceux que le Président de la République a évoqués le 16 novembre dernier. Cela inclut l’action contre le terrorisme – les moyens de la police, de la gendarmerie, des services de renseignement et de la justice – et la mobilisation de la société contre les phénomènes de radicalisation.

Je l’indiquais hier à la fin de la discussion générale, cette question et les moyens considérables afférents nous engagent pour plusieurs années. Quel que soit le choix des Français en 2017, il y aura une continuité en la matière, que ce soit pour les moyens affectés à nos forces armées, monsieur le président de la commission des affaires étrangères, ou pour ceux qui sont octroyés à nos forces de sécurité et à la justice – le garde des sceaux y veille.

La mobilisation de la société est aussi en jeu, car plusieurs milliers de nos jeunes sont gagnés par la radicalisation. Ainsi – un exemple parmi d’autres –, deux jeunes filles âgées de quinze ans interpellées il y a quelques jours s’imaginaient – je ne sais pas si elles s’apprêtaient à le faire, l’enquête le déterminera – provoquer des attentats comme ceux du 13 novembre. Des arrestations et des interpellations de ce type ont lieu toutes les semaines, le ministre de l’intérieur le rappelle régulièrement.

Cela montre que nous sommes confrontés à un phénomène nécessitant, au-delà des mots et des postures, un engagement de toute la communauté nationale et donc de ceux qui la représentent dans cette enceinte. Je suis pour ma part convaincu que, au-delà des différences des histoires individuelles, nous partageons une même idée de la Nation – nous l’avons tous souligné – et, face à ce défi terroriste sans précédent, le Président de la République a considéré qu’une modification de la Constitution était nécessaire.

On peut certes se renvoyer les uns aux autres, monsieur Malhuret, des citations, d’ailleurs parfois tronquées. Toutefois, à cet égard, sans vouloir ouvrir aucune polémique, je souligne que le débat sur la déchéance de nationalité concernant des actes terroristes, d’une part, et celui qui porte sur la déchéance de nationalité à propos d’autres actes criminels sans doute effrayants, comme le meurtre d’un policier ou d’un gendarme, mais pour lesquels l’intention n’est pas la même, d’autre part, sont très différents.

Ainsi, je le répète, au terrorisme que nous connaissons actuellement et qui veut nous détruire, le Président de la République a voulu apporter la présente réponse. Celle-ci reprend d’ailleurs une ancienne proposition de l’opposition, que nous avions nous-mêmes rejetée ; mais il y a eu, M. Guillaume le rappelait, ces actes terroristes, un choc pour la société.

Aussi, oui, nous évoluons, nous changeons. Ne soyez pas si caricatural, monsieur le sénateur, sur ces sujets. On peut évoluer, le pays a subi un choc !

M. Pierre-Yves Collombat. C’était déjà le cas lors des attentats contre Charlie Hebdo !

M. Manuel Valls, Premier ministre. Après les attentats du mois de janvier, le pays était-il dans le même état d’esprit, y compris à propos de l’état d’urgence ? Je n’en suis pas sûr. (M. Pierre-Yves Collombat s’esclaffe.) C’est ainsi, monsieur le sénateur ! Vous avez peut-être la chance, vous, d’avoir des certitudes qui ne changent pas (Sourires.), mais moi je change, nous changeons – soit dit sans ironie –, parce que le choc a été profond dans la société. Mais nous évoluons sans remettre en cause nos libertés fondamentales ni l’État de droit ; telle doit être notre force. En définitive, sur cette question, je pense que ce qui nous sépare n’est pas énorme.

D’ailleurs, vous avez raison, monsieur Zocchetto, depuis le début de ce débat au mois de novembre dernier, le choix à faire est extrêmement difficile : soit on vise les binationaux, soit on crée des apatrides.

M. Manuel Valls, Premier ministre. Nous parlons là, je le rappelle, non de délinquants ni de criminels de droit commun – même si certains peuvent aussi l’être –, mais bien de terrorisme et de terroristes !

Cela étant posé, et avant de revenir à la question de la déchéance de nationalité en soi, je veux maintenant traiter les questions que soulève votre amendement, monsieur le président de la commission des lois.

En premier lieu, vous préférez que la déchéance relève de l’autorité administrative, en l’occurrence du ministre de l’intérieur – à telle enseigne que vous souhaitez le faire figurer dans la Constitution –, là où le Gouvernement et l’Assemblée nationale proposent que cela ressortisse à l’autorité judiciaire. Pourquoi ce respect à géométrie variable des prérogatives de l’autorité judiciaire, selon que l’on débat de l’article 1er ou de l’article 2 du projet de loi constitutionnelle ?

M. Bruno Retailleau. Ce sont deux sujets très différents !

M. Manuel Valls, Premier ministre. Selon nous, la déchéance prononcée à titre de peine complémentaire est sans doute la bonne manière de répondre aux terroristes mis au ban de la République, qui pourra peut-être tendre la main de nouveau, après un délai de dix ans. Il s’agit donc non pas d’une mort civile, comme vous le craignez, mais du seul compromis possible, bâti avec vos collègues députés.

En second lieu, vous ne souhaitez sanctionner que les crimes attentatoires à la vie de la Nation, tandis que le Gouvernement et l’Assemblée nationale entendent aussi sanctionner les délits les plus graves. C’est un débat que l’on peut avoir et l’on pourrait sans doute élaborer un compromis à ce sujet : cette mention figurait dans le projet initial, le Conseil d’État nous a proposé de la retirer, l’opposition à l’Assemblée nationale a souhaité la réintroduire et nous avons avancé ensemble en ce sens.

Je veux néanmoins rappeler que les délits visés – l’association de malfaiteurs en lien avec une entreprise terroriste – dissimulent parfois les terroristes les plus dangereux, ceux-là mêmes qui organisent les scénarios barbares que vous évoquiez. Ainsi, c’est justement parce que nous prévoyons l’intervention du juge judiciaire que nous pouvons inclure ces délits dans le dispositif, dans le strict respect des exigences constitutionnelles ; le juge pénal est en effet ici le garant de l’impartialité et de l’individualisation nécessaires d’une sanction juste, équitable et efficace.

J’en viens maintenant à la déchéance elle-même. Vous ne voulez pas que l’on puisse déchoir un individu des seuls droits attachés à la nationalité. Vous invoquez pourtant à cette fin l’exigence de cohérence et de proportionnalité de la sanction. Mais la privation des droits attachés à la nationalité doit pouvoir être envisagée en même temps que la déchéance de nationalité et par le même juge. Ce dernier disposera ainsi de toute la palette des sanctions possibles. Telle était la position forte construite à l’Assemblée nationale.

Enfin, vous préférez – là est le cœur de la discussion – une déchéance de nationalité prononcée seulement contre certains terroristes, les binationaux, alors que le Gouvernement et les députés visent tous les terroristes sans distinction. Je ne peux pas vous suivre dans ce sens, messieurs Bas et Retailleau. Vous devrez expliquer à nos concitoyens cette exigence à géométrie variable, si j’ose dire, selon que l’on est ou non mononational, bien que nous parlions de terroristes ayant commis des actes barbares.

Le Gouvernement et une majorité des trois cinquièmes des membres de l’Assemblée nationale ont proposé une solution qui limite considérablement le risque de créer des apatrides, lesquels – cela a été rappelé hier – bénéficient d'ailleurs, en France, d’un statut protecteur des droits élémentaires.

Le débat est là : soit la déchéance vise les seuls binationaux, au nom d’un principe que je peux comprendre et que je ne remets pas en question – la volonté de ne pas créer des apatrides –, soit on considère, au nom même de l’égalité, que tout terroriste français, qu’il soit binational ou pas, peut être déchu de la nationalité, avec la possibilité de créer des apatrides, mais sur la base des conventions internationales, qui réduisent les cas d’apatridie.

Sur les quatre sujets qui ont enregistré des avancées à l’Assemblée nationale – la déchéance de nationalité, la déchéance des seuls droits attachés à la nationalité, le rôle de l’autorité judiciaire et de l’autorité administrative et les délits –, nous n’avons jamais pensé, le garde des sceaux, le secrétaire d’État chargé des relations avec le Parlement ou moi-même, que la première lecture du présent texte donnerait lieu à un vote conforme du Sénat. Jamais ! En effet, nous savions, d’une part, que le Sénat souhaitait avancer sur l’article 1er (M. Gérard Larcher opine.) et, d’autre part, que l’article 2 ferait naître un débat, tout à fait légitime.

Après le vote qui interviendra tout à l'heure à la Haute Assemblée, il faudra rapprocher les points de vue. Ce que j’ai voulu dire, hier, c’est que, sur les quatre points qui ont été inclus dans cet amendement, le chemin vers l’Assemblée nationale sera, sinon impossible – j’espère que ce ne sera pas le cas –, du moins difficile.

Non, hier, je n’ai pas fait de provocation. J’ai tout simplement voulu dire ce que nous pensions, nous, des points de l’amendement adoptés par votre commission des lois, compte tenu du débat qui a eu lieu à l’Assemblée nationale.

Oui, les débats à l’Assemblée nationale ont été difficiles, et d'abord au sein de ma famille politique. Mais, parce qu’il ne pouvait en être autrement, je n’ai pas cessé de bâtir un compromis entre, d’une part, la majorité des députés de gauche, socialistes et radicaux, et, de l’autre, ceux de l’UDI et du groupe Les Républicains, pour rassembler une majorité des trois cinquièmes, non pas pour l’imposer au Sénat, mais pour avancer – sauf erreur de ma part, je sais qu’il n’y aura pas ici, et ce n’est pas le sens d’une réforme constitutionnelle à ce stade, de majorité des trois cinquièmes autour de la proposition de M. le rapporteur.

Hier, j’ai uniquement voulu mettre en garde contre le fait que le chemin serait long et difficile pour rapprocher les positions du Sénat et de l’Assemblée nationale, si vous votez l’amendement tel qu’il vous est proposé, ce qui, mesdames, messieurs les sénateurs, est votre droit le plus strict. Connaissant le fond des débats, je sais que ce ne sera pas chose aisée…

Je vais reprendre, avec des mots plus élégants, ce qu’a dit M. Malhuret. Le 16 novembre dernier, le Président de la République a pris une position. Le 23 décembre, le conseil des ministres, sur ma proposition, a adopté le texte initial. Le 31 décembre, le Président de la République, à l’occasion de ses vœux aux Français, a déclaré que, sur ce sujet, il appartenait aux parlementaires de prendre leurs responsabilités et de jouer leur rôle de constituant. C’est ce qu’a fait le Parlement ! Vous rappelez sans cesse la position initiale du Président de la République… Mais le Gouvernement et l’Assemblée nationale ont bâti un compromis, que le chef de l’État, comme vous pouvez l’imaginer, a suivi avec attention.

Après votre vote, si nous partageons la même idée de la Nation et si vous souhaitez considérer avec nous que la déchéance, loin d’être une réponse au terrorisme, vise à affirmer avec force cette conception de la Nation, il nous appartiendra d’avancer ensemble. De ce point de vue, le contenu de l’amendement n° 14 rend les choses complexes.

Je ne veux pas répéter ce que j’ai déjà eu l’occasion de dire hier, mais, pour que les choses soient bien claires, j’estime que la multiplication des navettes et l'enlisement du débat auront pour effet de ridiculiser le Parlement – pour l’heure, le débat ne peut se prolonger éternellement, puisque nous sommes contraints par des délais constitutionnels.

Or les Français ont bien compris qu’il fallait, premièrement, constitutionnaliser l’état d'urgence pour l’asseoir dans notre droit et, deuxièmement, inscrire dans la loi fondamentale la déchéance pour ceux qui déchirent le pacte national.

Tel est l’état d’esprit dans lequel le Gouvernement veut pouvoir avancer.

Nous aurions préféré que cet amendement comporte plus d’éléments permettant de rapprocher les points de vue. Ce n’est pas votre choix, mais je reste convaincu que, si vous en avez la volonté, nous pourrons avancer ensemble. En tout état de cause, c’est la méthode que, pour notre part, nous continuerons à suivre, en vue de parvenir à un accord. (Applaudissements sur plusieurs travées du groupe socialiste et républicain et sur certaines travées de l'UDI-UC.)

Quant aux amendements nos 72 rectifié et 31 rectifié, le Gouvernement y est défavorable

M. le président. La parole est à M. Alain Néri, pour explication de vote sur l'amendement n° 14.

M. Alain Néri. Merci, monsieur le président, de me donner enfin la parole !

Nous arrivons à la fin du débat. Jusqu’à ces dernières minutes, celui-ci s’est déroulé dans le climat de réflexion sereine et de respect mutuel qui est la marque même du Sénat.

Nous avons largement discuté sur l’article 1er. Nous avons commencé à débattre de l’article 2, quand, subitement, la décision a été prise de modifier l’ordre de discussion des amendements. C’est tout à fait regrettable !

Monsieur le Premier ministre, je viens de vous écouter avec beaucoup d’attention. Sachez que les amendements de suppression que nous avions déposés étaient inspirés par notre volonté de parvenir à un consensus, de participer à la réflexion non seulement de la représentation nationale, mais aussi, plus généralement, de l’ensemble de nos compatriotes sur le problème dramatique du terrorisme, ainsi que sur la lutte indispensable, contre celui-ci, de la Nation rassemblée et unie, cette Nation dont nous avons su montrer le visage lors des manifestations ou encore au Congrès. Nous avons voulu présenter une solution, d’autres moyens de trouver un consensus.

Cette démarche du Sénat, c’est la démarche de la représentation nationale. Or, monsieur le Premier ministre, monsieur le garde des sceaux, vous vous êtes privés de la possibilité de prendre connaissance des propositions que la Haute Assemblée souhaitait vous faire, au travers des amendements de repli que certains de ses membres avaient déposés.

Considérant que la déchéance de nationalité pour tous pose problème, parce qu’elle crée des apatrides, comme vous l’avez dit affirmé, monsieur le Premier ministre, et que la déchéance pour les seuls binationaux est source de stigmatisation et de discrimination – or toute stigmatisation est intolérable, et toute discrimination est inacceptable –, nous avons essayé de trouver une solution.

Au travers de deux amendements que j’ai cosignés, il était proposé de retenir l’indignité nationale, laquelle prive ceux qui en sont frappés des droits civiques, civils et familiaux, ce qui permettait de répondre de manière ferme, dure, nette, précise au terrorisme et de prononcer une véritable sanction à l’égard de ceux qui se dressent contre la République, contre le pacte républicain, contre nos valeurs fondamentales.

Pour ma part, il me paraît bien normal que l’on essaie de trouver et d’inscrire dans la Constitution une formule qui garantisse l’égalité de traitement entre tous les Français, qu’ils soient ou non binationaux.

Comme cela a été dit tout à l'heure, nul n’est français à moitié. (Marques d’impatience sur les travées du groupe Les Républicains.) Nous sommes tous français à part entière, quelle que soit la manière dont nous le sommes devenus.

À cet égard, monsieur le Premier ministre, je voulais vous proposer de nous rassembler sur la notion de déchéance de citoyenneté, qui, je le répète, prive des droits civils, civiques, sociaux et familiaux. Nous aurions alors peut-être pu avancer en allant dans le sens que vous nous proposez.