M. Claude Malhuret. Votre majorité, monsieur le garde des sceaux, a arrêté votre bras, mais, en arrêtant votre bras, elle l’a même coupé ! Aujourd'hui, comme un bateau ivre qui navigue de Charybde en Scylla, vous n’arrivez plus à sortir du dilemme binationaux-apatrides.

En 2010, le Premier ministre actuel s’adressait au Président de la République de l’époque, qui souhaitait révéler à lui les motifs pouvant donner lieu à la déchéance de la nationalité. Il lui disait ceci : « Vous avez dans la loi la possibilité de déchoir ceux qui s’attaquent à l’autorité de la Nation. Je crois qu’il faut en rester là. On entre dans un débat nauséabond et absurde où l’on essaie de faire croire qu’immigration et insécurité seraient liées. »

Aujourd'hui, il a pris un virage à 180 degrés : ce qui était nauséabond en 2010 sent la rose en 2016 ! Il nous demande de le suivre. Eh bien, monsieur le garde des sceaux, je ne le suivrai pas, et je propose la suppression de l’article 2 !

M. le président. La parole est à M. Philippe Kaltenbach, pour présenter l'amendement n° 36.

M. Philippe Kaltenbach. Nous avons beaucoup débattu de la nécessité, de l’utilité, de l’opportunité de modifier notre Constitution sur deux aspects : l’état d’urgence et la déchéance de nationalité.

Concernant l’état d’urgence, même si son introduction dans la Constitution n’est peut-être pas une nécessité impérieuse, nous avons bien vu, lors des débats, qu’elle sera utile pour deux raisons principales : elle donnera un fondement incontestable aux mesures de police administrative et elle encadrera la déclaration et le déroulement de l’état d’urgence, lequel ne pourra plus être modifié par une loi ordinaire.

Je n’ai donc eu aucun état d’âme à voter l’article 1er. En revanche, je me suis longuement interrogé sur l’article 2. Pour être clair, je ne conteste pas l’idée d’une sanction forte et exemplaire à l’égard des terroristes. Mon interrogation porte sur la nécessité d’inscrire une telle disposition dans la Constitution.

Je suis arrivé à la conclusion que, à partir du moment où la déchéance de nationalité n’est plus une mesure administrative, mais, de fait, une peine complémentaire prononcée par le juge – c’est ce qu’a validé le Gouvernement avec la rédaction de l’Assemblée nationale –, l’article 34 de la Constitution suffit largement. Cet article précise en effet que « la loi fixe les règles concernant […] la détermination des crimes et délits ainsi que les peines qui leur sont applicables ».

Alors, pourquoi faire bégayer l’article 34 ? Pourquoi inscrire cette notion dans la Constitution si ce n’est pas nécessaire ? J’avoue que, s’il y avait eu un large consensus, j’aurais peut-être pu oublier l’argument juridique au bénéfice de la recherche du rassemblement et de l’unité nationale. Mais, on l’a vu, tel n’est pas le cas.

Loin de rassembler, l’article 2 divise, à gauche comme à droite, et il est perçu comme une stigmatisation par nos concitoyens binationaux. De plus, nos débats depuis deux jours ont bien montré qu’il n’y aurait pas de compromis envisageable entre le texte de l’Assemblée nationale et la proposition de la majorité sénatoriale.

Aussi en ai-je conclu que, si nous souhaitons aboutir sur l’article 1er, il faudra en passer par l’abandon de l’article 2, d’où l’amendement de suppression que je propose, en insistant sur la non-nécessité d’inscrire une telle disposition dans la Constitution. Si le Gouvernement estime par la suite que cette peine complémentaire de déchéance ou toute autre peine – déchéance de citoyenneté, indignité nationale – est utile, une loi ordinaire pourra largement suffire pour modifier l’article 25 du code civil. L’avantage sera évident : on ne stigmatisera pas les binationaux et on n’inscrira pas dans « le marbre » de la Constitution une distinction entre Français qui ont une nationalité et Français qui sont binationaux.

Je le répète, si nous voulons aboutir sur l’article 1er, il me semble raisonnable de nous délester d’un article 2 qui n’a rien à faire dans la Constitution et qui nous divise. Telles sont les raisons pour lesquelles je vous propose de voter sa suppression. (Applaudissements sur plusieurs travées du groupe socialiste et républicain, ainsi que sur quelques travées du groupe CRC.)

M. le président. La parole est à M. Jean-Marc Gabouty, pour présenter l'amendement n° 37.

M. Jean-Marc Gabouty. Si l’inscription de l’état d’urgence dans la Constitution ne semblait pas absolument indispensable, celui-ci fonctionne en effet depuis quatre mois sans difficulté d’ordre constitutionnel, l’incorporation de la déchéance de nationalité dans la Constitution est une disposition à la fois inutile et dangereuse.

Inutile, parce que la possibilité de déchéance existe déjà dans notre code civil pour les personnes ayant acquis la nationalité par naturalisation ou pour ceux qui se comportent comme des nationaux d’un pays étranger.

Face à l’objectif de lutte contre le terrorisme, l’extension de la déchéance de nationalité n’aura aucune efficacité préventive ou dissuasive. Elle pourrait même avoir un effet pervers vis-à-vis de nombreux jeunes à la frontière de la radicalisation en suscitant non pas de l’indifférence, mais une certaine fierté dans leur démarche de défiance à l’égard de notre société et de nos institutions. Gardons-nous de prendre le risque de pousser les jeunes dans les bras des recruteurs djihadistes !

Enfin, sur le plan opérationnel, si les autres pays font la même chose, va-t-on se repasser les djihadistes d’un pays à l’autre ? Cela n’a aucun sens !

Dangereuse, parce que cette disposition émet des signaux négatifs de suspicion, de division et de repli.

Suspicion à l’égard de binationaux, qui, seuls, pourraient en fait être frappés de déchéance puisque la création d’apatrides n’est pas retenue. Ce texte consacre la séparation des Français en deux catégories : les détenteurs de plusieurs nationalités et les autres. Cette distinction irait à l’encontre même de l’esprit de la Constitution, qui prévoit une République indivisible assurant l’égalité de tous les citoyens devant la loi.

Division entre les Français, auxquels on voudrait faire croire que cette mesure peut contribuer à la protection de la Nation, alors qu’elle ne pourra générer que des désillusions dans ses effets comme dans son application.

Repli sur une vision théorique de la lutte contre le terrorisme, alors que nous avons besoin de renforcer nos moyens de renseignement et d’intervention opérationnelle, ainsi que la panoplie de nos sanctions effectives, jusqu’à la perpétuité incompressible. Rappelons-nous tout de même que la vocation de la peine est de punir et non pas de faire plaisir à celui qui l’inflige.

Ce débat a assez duré. Cessons d’exorciser notre mauvaise conscience en essayant de contenter ou de tromper l’opinion publique sur les réponses à apporter au terrorisme ! Les Français attendent des mesures concrètes et efficaces, de l’action non seulement sur le front de la sécurité, mais aussi sur celui de l’emploi et des réformes.

Une loi constitutionnelle inutile et dangereuse ne peut qu’abîmer la République et affaiblir la cohésion nationale. L’urgence est donc de mettre fin à ce débat et à ce projet de révision constitutionnelle. Voilà pourquoi nous proposons la suppression de l’article 2.

M. le président. La parole est à Mme Bariza Khiari, pour présenter l’amendement n° 43 rectifié quater.

Mme Bariza Khiari. Toute réforme constitutionnelle nécessite un consensus et celle-ci plus que n’importe quelle autre. Or, dans le cas présent, nous assistons plutôt à une division de notre assemblée ; c’est précisément le piège que les terroristes nous tendent. Leur barbarie appelle notre union ; nos concitoyens attendent de nous des actes traduisant cette unité.

Toutefois, l’union se construit sur des valeurs et sur des combats partagés.

À l’intention de mes collègues qui s’interrogent encore sur la pertinence de cette mesure, je précise que beaucoup d’interventions ont souligné que cet article n’était ni solide ni clair juridiquement ; péché supplémentaire, il associe cette peine à des délits non définis. La rédaction n’arbitre pas, à ce stade, entre l’apatridie et les binationaux. Cette demande de suppression affirme une opposition de principe : nous rejetons l’alternative dans son ensemble. Notre choix ne doit pas se faire entre l’apatridie et les binationaux. Notre choix de constituant est celui de l’égalité tout court.

Par ailleurs, en tant que membre de la commission des affaires étrangères, je m’interroge sur les réelles conséquences diplomatiques de cette mesure si elle venait à être appliquée. Course à la déchéance avec un pays ami ? Affirmation de la supériorité de la nationalité française sur les autres ? On peut s’interroger. Une autre question se pose : quelle serait notre réaction si, demain, un ressortissant français possédant une double nationalité perpétrait un attentat dans un pays tiers et était déchu de son autre nationalité ? Accepterions-nous de l’avoir sur notre territoire ?

Mes chers collègues, nous avons expérimenté l’an dernier, à nos frais, les conséquences d’une légère brouille diplomatique avec un pays dont la coopération est indispensable dans la lutte contre le terrorisme. Au regard de cette expérience, qui a beaucoup mobilisé notre commission des affaires étrangères ainsi que le Quai d’Orsay, la déchéance serait contre-productive dans la lutte contre le terrorisme. Je vous demande donc de soutenir cet amendement de suppression de l’article 2. (Applaudissements sur plusieurs travées du groupe socialiste et républicain, ainsi que sur les travées du groupe CRC.)

M. le président. La parole est à Mme Esther Benbassa, pour présenter l’amendement n° 56 rectifié.

Mme Esther Benbassa. Beaucoup a été dit et écrit sur cet article 2, qui constitutionnalise la déchéance de nationalité. Ces acrobaties rhétoriques, comme je l’ai expliqué lors de la discussion générale, ont bien souvent créé uniquement de la confusion.

Quels que soient les termes choisis, que l’on fasse ou non explicitement référence aux binationaux, la situation est très simple : la France est liée par ses engagements internationaux et ne peut créer d’apatrides ; seuls les multinationaux pourront être déchus de leur nationalité française. Cette réforme aboutira donc, de fait, à créer dans la Constitution une inégalité entre personnes uninationales et binationales ; ces dernières seront stigmatisées, victimes de discrimination.

Cette catégorisation heurte tous nos principes républicains, au premier rang desquels ceux énoncés à l’article 1er de la Constitution de 1958 : « La France est une République indivisible, laïque, démocratique et sociale. Elle assure l’égalité de tous les citoyens. »

On peut répéter sur tous les tons que cette mesure, en tant que telle, ne concerne que les terroristes condamnés, ne devrait pas être sujette à tant de polémiques et n’est pas « si grave », nombre d’entre nous continueront à ne pas être convaincus et un grand nombre de nos concitoyens continueront à se sentir blessés. Les millions de Français binationaux ont compris que l’inscription de la déchéance de nationalité dans la Constitution les différencie et les stigmatise. Peu importe qu’elle ne concerne que les terroristes, le mal est fait.

Notre société a tant souffert ces dernières décennies des oppositions souvent fabriquées entre nos concitoyens – les chômeurs contre les actifs, les croyants contre les athées, les jeunes contre les vieux, rien ne nous aura été épargné… – que l’espoir était grand, en 2012, de voir cesser ce genre de manipulations politiques, de rompre avec ces divisions artificielles pour, enfin, se rassembler. Quelle ironie, alors, de voir un gouvernement socialiste nous proposer une mesure portée depuis longtemps par l’extrême droite, qui plus est sous couvert de renforcer l’unité nationale ! La déception est immense.

Il serait opportun de supprimer cette mesure qui, tous le reconnaissent, ne servira à rien et de faire ainsi cesser ce débat douloureux. Il est temps ! (Applaudissements sur les travées du groupe CRC, ainsi que sur quelques travées du groupe socialiste et républicain.)

M. le président. La parole est à M. Jacques Mézard, pour présenter l’amendement n° 71 rectifié.

M. Jacques Mézard. C’est ma troisième intervention sur le sujet aujourd’hui, mais, rassurez-vous, on peut se renouveler (Sourires.), même si, sur le fond, je resterai cohérent avec moi-même et les neuf membres de mon groupe qui ont cosigné cet amendement de suppression.

Pour ne pas reprendre des arguments déjà développés, je dirai simplement avoir souvenance du débat que nous avons eu, il n’y a pas si longtemps, cinq ou six ans seulement, sur l’identité nationale. L’exécutif avait alors eu la sagesse de considérer qu’il valait mieux mettre fin dans les meilleurs délais au débat qui avait été engagé.

M. Antoine Lefèvre. C’est vrai !

M. Jacques Mézard. Monsieur le garde des sceaux, je vous conseillerais de vous souvenir de cet exemple.

M. Antoine Lefèvre. Un bon exemple !

M. Jacques Mézard. Disons que, plus tôt on en finira, mieux ce sera !

Je ne suis pas de ceux qui croient à la vie éternelle, mais si ceux qui ont commis ces actes barbares et inqualifiables nous voient ils doivent être contents du résultat auquel ils sont parvenus.

Mme Bariza Khiari. Pour eux, c’est une victoire !

M. Jacques Mézard. Je l’ai dit hier : qu’on les rejette plutôt dans l’ombre, qu’on n’en parle pas !

La Nation, la nationalité, nous savons tous ce que c’est, et nous y sommes profondément attachés.

À la suite de ces événements, je suis persuadé que nos concitoyens – je ne dirai pas pour une fois – ont été fiers de ce qui s’est passé au Congrès. Je l’ai également dit hier : le Président de la République a bien fait de réunir le Congrès. Il y a eu un élan, une unanimité ; cela suffisait, c’était clair. Essayer de rebondir, ce n’était pas une bonne chose ; cela a abouti au résultat auquel nous assistons tous ici aujourd’hui. Faisons donc en sorte de tourner la page, et ce le plus rapidement possible ! (Applaudissements sur les travées du RDSE, ainsi que sur quelques travées du groupe socialiste et républicain.)

Demande de priorité

Article 2
Dossier législatif : projet de loi  constitutionnelle de protection de la Nation
Articles additionnels après l'article 2 (début)

M. le président. La parole est à M. le rapporteur.

M. Philippe Bas, président de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale, rapporteur. J’ai écouté attentivement les prises de parole sur l’article 2 et les interventions des auteurs des amendements de suppression. Pour m’efforcer de vous convaincre, mes chers collègues, qu’il vaut mieux se satisfaire de la proposition de la commission des lois plutôt que d’adopter les amendements de suppression de l’article 2, je demande l’examen par priorité de l’amendement n° 14 de la commission, priorité qui devrait logiquement s’étendre aux amendements avec lesquels il est en discussion commune.

M. le président. Je suis donc saisi d’une demande de priorité de la commission portant sur l’amendement n° 14, le sous-amendement n° 20, les amendements nos 2, 72 rectifié, 3 rectifié et 31 rectifié.

Je rappelle que, aux termes de l’article 44, alinéa 6, du règlement du Sénat, lorsqu’elle est demandée par la commission saisie au fond, la priorité est de droit, sauf opposition du Gouvernement.

Quel est l’avis du Gouvernement sur cette demande de priorité formulée par la commission ?

M. Jean-Jacques Urvoas, garde des sceaux, ministre de la justice. L’avis du Gouvernement est favorable.

M. le président. La priorité est ordonnée.

M. David Assouline. Monsieur le président (Protestations sur les travées du groupe Les Républicains.),…

M. Roger Karoutchi. Il n’y a pas de débat !

M. le président. En effet !

M. David Assouline. Je veux juste poser une question simple – d’ailleurs, je m’en veux de si mal connaître la procédure : cela signifie-t-il que les amendements de suppression tomberont ? (Exclamations sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. le président. Si l’amendement n° 14 est adopté, les amendements de suppression de l’article 2 deviendront en effet sans objet. Vous aurez toujours la possibilité, bien évidemment, de voter contre l’article.

J’appelle donc par priorité cinq amendements faisant l’objet d’une discussion commune.

L’amendement n° 14, présenté par M. Bas, au nom de la commission, est ainsi libellé :

Alinéa 2

Rédiger ainsi cet alinéa :

« – la nationalité, dont la déchéance, prononcée par décret pris sur avis conforme du Conseil d’État, ne peut concerner qu'une personne condamnée définitivement pour un crime constituant une atteinte grave à la vie de la Nation et disposant d'une autre nationalité que la nationalité française ;

La parole est à M. le rapporteur.

M. Philippe Bas, rapporteur. En présentant cet amendement important, dont nous avons longuement délibéré en commission des lois, je laisserai de côté toute considération qui ne serait pas à la hauteur de notre débat de grande qualité, qui a mis en évidence au cours de l’examen de l’article 1er la volonté partagée de trouver un très large consensus au sein de notre assemblée. J’observe d’ailleurs avec satisfaction que la plupart des amendements adoptés jusqu’ici par le Sénat l’ont été à une très large majorité, voire, assez souvent, à l’unanimité.

Je me refuse à entrer dans des spéculations d’ordre politique ou à vous infliger des considérations sur le déroulement de la procédure de révision constitutionnelle entre l’Assemblée nationale et le Sénat. Mes considérations sont de fond et de conviction, non d’obstétrique parlementaire ou d’arithmétique politique. (Applaudissements sur certaines travées du groupe Les Républicains.)

Je me refuse également à entrer dans un débat juridique sur l’obligation ou la nécessité qu’il y aurait de passer par la voie constitutionnelle pour étendre le champ de la déchéance de nationalité.

Le point de départ de ce texte, c’est la lutte contre le terrorisme, à la suite des tragédies que nous avons vécues en janvier et en novembre 2015. Néanmoins, disons-le tout net, la déchéance de nationalité n’est pas un moyen de combattre le terrorisme, ni de dissuader les terroristes ou de les punir. Le Premier ministre, dont je salue le retour au banc du Gouvernement, l’a lui-même souligné hier.

Ces barbares, qui ont la haine de la France au point de tuer des innocents, ne risquent pas d’être arrêtés par le risque qu’ils encourraient de se voir déchus de la nationalité française. Rien, sinon la force, ne les arrête : ils se suicident après avoir tué.

M. Roger Karoutchi. Dommage qu’ils ne le fassent pas avant…

M. Philippe Bas, rapporteur. La légitimité profonde de la déchéance de nationalité se situe donc ailleurs. Elle est d’un autre ordre, comme Bruno Retailleau l’a magistralement démontré hier. Il s’agit en effet d’un symbole essentiel qui a trait à l’appartenance à la nation française et à ce qu’est le fait même d’être français.

Il existe de nombreuses voies possibles pour devenir français – la naissance, l’acquisition, de droit ou non, de la nationalité –, mais il ne saurait y avoir des Français plus Français que d’autres,…

M. Alain Néri. Ça, c’est vrai !

M. Philippe Bas, rapporteur. … des demi-Français ou des quarts de Français.

M. Alain Néri. Il n’y a que des Français à part entière, avec les mêmes droits et les mêmes devoirs !

M. Philippe Bas, rapporteur. L’appartenance à la nation française, quelle que soit la source de la nationalité française que l’on détient, transforme, comme le disait Bruno Retailleau, l’individu en citoyen. Cette citoyenneté, évidemment indissociable de la nationalité française, n’est pas comme toutes les autres. C’est la raison pour laquelle notre tradition républicaine reconnaît la trahison, l’enrôlement dans une armée étrangère ou encore la commission d’un crime particulièrement grave, en particulier d’un crime terroriste, comme des motifs légitimes pour ôter à un Français sa nationalité.

Il existe un large accord, tant au sein de cette assemblée qu’entre le Sénat et l’Assemblée nationale, sur un certain nombre de points. Comme l’a souhaité le Président de la République, relayé par le Gouvernement, nous considérons tous qu’il est anormal de distinguer, comme le fait actuellement le code civil, entre les Français par acquisition et les Français de naissance pour l’application de la sanction de déchéance de la nationalité française. Le législateur doit pouvoir unifier le traitement appliqué à tous les Français, quelle que soit l’origine de leur nationalité.

Il existe également un large accord sur le fait que l’inscription de ce principe dans la Constitution est un élément fondamental pour définir ce qu’est être français. Ce n’est sans doute pas une obligation juridique – chacun veut bien le reconnaître, même s’il y a eu débat sur cette question –, mais il appartient au pouvoir constituant de décider souverainement de ce qui relève ou non du pacte républicain. Or qu’est-ce qui peut davantage relever du pacte républicain que la définition de la nationalité française et, par conséquent, les conditions de son retrait ou de sa déchéance ?

Incontestablement, la question de la déchéance de nationalité n’est pas indigne de figurer dans la Constitution, bien au contraire. C’est sans doute une nécessité politique majeure, car il s’agit, par cet acte du pouvoir constituant, d’engager profondément notre conception de la Nation ; or je sais que cette conception nous est commune.

Nous sommes même d’accord sur un autre point essentiel : la France – c’est son honneur – ne saurait créer d’apatrides, quelle que soit la gravité des crimes que nous devons reprocher aux individus concernés. Certes, la République affronte les épreuves des temps présents, forte de son histoire et forte d’avoir surmonté d’autres épreuves, mais elle ne peut déroger à cette exigence fondamentale. Vous ne voulez pas le faire, monsieur le Premier ministre, pas plus que le Président de la République. L’Assemblée nationale le veut-elle ? Je ne le crois pas. Vous avez dit vous-même aux députés que le texte d’application de la révision constitutionnelle ne permettrait pas de créer des apatrides. Vous vouliez d’ailleurs – à juste raison – écrire dans la Constitution l’impossibilité de l’apatridie. Les garanties fondamentales applicables aux citoyens français doivent être inscrites non pas dans des textes secondaires ou subordonnés à la Constitution, mais dans la Constitution elle-même.

Cela étant, vous avez plié devant les difficultés rencontrées avec votre majorité – et elle seule – à l’Assemblée nationale sur ce point. Vous n’assumez plus aujourd’hui aussi nettement que vous le faisiez hier le refus de créer des apatrides. C’est une raison supplémentaire, mes chers collègues, d’inscrire dans la Constitution l’impossibilité de créer des apatrides ; si nous ne le faisions pas, nous n’aurions nulle assurance que celle-ci serait inscrite dans la loi, et le texte fondamental, c’est bien la Constitution.

Voilà pourquoi la commission des lois, qui a pris le temps de conduire un débat très approfondi, a adopté l’amendement n° 14, que j’ai l’honneur de vous présenter.

Cet amendement vise à garantir contre l’apatridie, à étendre aux Français de naissance la possibilité de la déchéance de nationalité, laquelle est actuellement réservée aux Français qui ont acquis la nationalité française au cours de leur vie. Il tend également à ce que la déchéance ne puisse être prononcée qu’après condamnation définitive, et non pendant que des voies de recours peuvent encore être utilisées. Il a enfin pour objet de préciser que la déchéance de nationalité se décide par décret en conseil des ministres – c’est le cas actuellement – sur avis conforme du Conseil d’État. C’est une garantie importante. C’est le Gouvernement qui, par décret, peut naturaliser un étranger. Le parallélisme des formes impose que ce soit aussi un décret, pris après avis conforme du Conseil d’État, qui permette la déchéance de nationalité.

Tel est le sens de l’amendement que la commission des lois propose. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et sur certaines travées de l'UDI-UC.)

M. le président. Le sous-amendement n° 20, présenté par M. Masson, n’est pas soutenu.

Rappel au règlement

 
 
 

M. le président. La parole est à Mme Éliane Assassi, pour un rappel au règlement. (Exclamations sur les travées du groupe Les Républicains.)

Mme Éliane Assassi. Mon intervention se fonde sur l’article 44 du règlement.

M. le président Bas a demandé l’examen en priorité de l’amendement n° 14, ce qui modifie l’ordre de discussion et de vote des amendements, notamment de notre amendement de suppression de l’article 2. En conséquence, je demande une suspension de séance d’une dizaine de minutes, monsieur le président.

M. le président. Acte vous est donné de votre rappel au règlement, madame Assassi.

Mes chers collègues, nous allons interrompre nos travaux pour dix minutes.

La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à dix-huit heures cinq, est reprise à dix-huit heures quinze.)

M. le président. La séance est reprise.

Rappel au règlement

 
 
 

M. le président. La parole est à M. Pierre Laurent, pour un rappel au règlement.

M. Pierre Laurent. Le président de la commission des lois a demandé que soit examiné en priorité l’amendement n° 14, ce qui modifie l’ordre de la discussion des amendements, notamment de ceux qui tendent à la suppression de l’article 2. Nous regrettons que le Gouvernement ait accepté cette demande puisque, je le rappelle, aux termes du règlement, la priorité n’est de droit que si le Gouvernement donne son accord.

M. Pierre Laurent. Cela signifie que le Gouvernement, plutôt que de mener le débat à son terme sur sept amendements de suppression présentés par des sénateurs appartenant à six groupes politiques, autrement dit tous les groupes du Sénat, pour obtenir une réponse en quelque sorte d’unité à une question essentielle, a préféré donner quitus au président de la commission des lois.

Or, monsieur le Premier ministre, vous n’avez cessé, depuis hier, de dire que la droite empêchait tout compromis…

M. Manuel Valls, Premier ministre. Non !

M. Pierre Laurent. Si, vous l’avez dit à plusieurs reprises !

En fait, vous offrez la possibilité au président de la commission de faire prévaloir sa demande sur le débat – vous donnez ainsi satisfaction à une grande partie de la majorité – pour finalement vous engager dans une impasse qui ne débouchera sur rien : le compromis que vous appelez de vos vœux depuis hier sera impossible ou deviendra de plus en plus inacceptable pour ceux qui le refusent déjà aujourd'hui sur les travées de la majorité.

Nous regrettons ce qui s’est passé. C’est pourquoi nous demandons que le vote sur les amendements de suppression ait lieu après le vote sur l’amendement n° 14, car notre amendement de suppression porte sur l’article 2, aussi bien dans sa rédaction actuelle que dans sa version modifiée, si toutefois l’amendement n° 14 est adopté. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC. – M. Jean-Pierre Godefroy applaudit également.)