M. le président. La parole est à M. Didier Marie, pour le groupe socialiste et républicain.

M. Didier Marie. Ma question s'adresse à M. le secrétaire d'État auprès du ministre des affaires étrangères et du développement international, chargé des affaires européennes.

Chaque jour, la crise des migrants nous livre son lot de désolations. Le drame intolérable vécu par ces milliers d’enfants, de femmes et d’hommes est sans conteste l’une des plus graves crises humanitaires que l’Europe ait connues.

Cette crise nécessite une réponse forte et elle est légitimement le principal point à l’ordre du jour du Conseil européen d’aujourd'hui et de demain.

La première urgence est de venir en aide à la Grèce : 48 000 migrants s’y entassent dans des camps insalubres, comme celui d’Idomeni, à la frontière avec la Macédoine, et des bateaux de fortune continuent de déverser des flots de naufragés qui atteignent les îles du Dodécanèse au péril de leur vie.

L’Union européenne a dégagé 700 millions d’euros d’aide sur trois ans, dont 300 millions dès cette année, pour améliorer leur accueil.

Pouvez-vous, monsieur le secrétaire d'État, préciser comment sera financée cette aide et comment elle sera déployée dans les meilleurs délais ?

La seconde urgence est de coopérer avec les pays tiers. L’Union européenne a suivi l’initiative de la chancelière allemande d’engager un partenariat privilégié avec la Turquie. Si celui-ci paraît utile pour contrôler la principale voie d’immigration illégale et briser l’infâme logique des trafiquants, il n’est pas sans poser un certain nombre de questions sur le respect du droit individuel à l’asile et de la convention de Genève, que la Turquie n’a pas entièrement ratifiée, sur les contreparties accordées à ce pays ; notamment la délivrance des visas, la relance des négociations d’adhésion à l’Union européenne, sans oublier la question chypriote.

Pouvez-vous, monsieur le secrétaire d'État, préciser la position que la France défendra aujourd’hui devant le Conseil européen au sujet de ce partenariat ?

Enfin et surtout, il est temps que les vingt-huit États membres prennent leurs responsabilités et fassent preuve de solidarité. Il est nécessaire de mettre en œuvre les décisions politiques prises depuis un an : installation des hotspots, contrôle des frontières extérieures, déploiement d’un corps de gardes-frontières, application des mesures de relocalisation, retour dans le cadre des réadmissions, mise en œuvre d’un système PNR.

Pouvez-vous nous dire, monsieur le secrétaire d'État, quelles dispositions la France entend concrètement proposer pour rendre ces mesures effectives et faire que l’Europe reste fidèle à ses valeurs d’humanisme, de tolérance et de solidarité ? (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain.)

M. le président. La parole est à M. le secrétaire d'État.

M. André Vallini, secrétaire d'État auprès du ministre des affaires étrangères et du développement international, chargé du développement et de la francophonie. Monsieur le sénateur, je vous prie d’abord d’excuser l’absence de M. Harlem Désir : il accompagne le Président de la République au Conseil européen, lequel débutera ce soir à Bruxelles.

Vous avez raison, l’Union européenne est confrontée, avec la situation migratoire, à une crise sans précédent face à laquelle nous agissons dans trois directions.

En premier lieu, vous l’avez dit, la solidarité avec la Grèce est indispensable. La situation géographique de ce pays, sa vulnérabilité aussi, exige le renforcement de l’aide que nous lui apportons.

L’instrument d’aide d’urgence, adopté mardi dernier au conseil des affaires générales, sera doté de 700 millions d’euros sur trois ans. La France soutiendra la Grèce par l’intermédiaire de ce fonds, mais aussi à titre bilatéral.

En deuxième lieu, la coopération avec la Turquie, vous l’avez dit aussi, est incontournable. La Turquie accueille 2,5 millions de réfugiés sur son territoire. Les discussions qui vont débuter ce soir à Bruxelles doivent préciser les modalités du retour vers la Turquie des personnes entrées illégalement en Grèce dans le respect du droit international, ainsi que de la réinstallation en Europe de réfugiés syriens.

En troisième lieu, nous devons veiller à la mise en œuvre effective des nombreuses et importantes décisions déjà prises depuis un an : le fonctionnement des centres d’admission et les relocalisations ; le renforcement de l’agence FRONTEX et la lutte contre les passeurs ; le dialogue avec les pays tiers ; la mission EUNAVFOR Med/Sophia.

Toutes ces actions n’ont qu’un seul objectif, monsieur le sénateur : substituer aux voies illégales de l’immigration, qui, nous le savons, prospèrent sur la misère, le désespoir et les drames de la guerre en Syrie, une voie légale et respectueuse du droit international et des droits humains. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain.)

filière bois

M. le président. La parole est à Mme Nicole Duranton, pour le groupe Les Républicains. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et de l'UDI-UC.)

Mme Nicole Duranton. Ma question s’adresse à M. le ministre de l’agriculture, de l’agroalimentaire et de la forêt.

Monsieur le ministre, à la fin du mois de décembre dernier, mon collègue Ladislas Poniatowski a attiré votre attention sur les conséquences économiques et sociales qu’entraînerait l’application de l’instruction de votre ministère datant du 28 décembre 2015 modifiant les conditions d’obtention d’un certificat phytosanitaire pour les grumes destinées à l’export.

J’ai rencontré récemment les professionnels de la filière bois de ma région, qui exportent des grumes, bois de faible qualité qui n’est pas consommé sur le marché français. Ils déplorent les mesures de remplacement liées aux problématiques écologiques préconisées par vos services, à savoir l’écorçage, qui est compliqué faute de matériel adapté suffisant et du refus catégorique de leurs clients, et la fumigation par gaz ProFume, qui est dangereuse et inapplicable.

Les professionnels s’étonnent de la non-prise en compte des deux alternatives, fiables et équitables, préconisées par leur syndicat, à savoir le traitement thermique des grumes en conteneur sur les lieux d’embarquement, sur lequel ils attendent toujours de vos services des données techniques ou, à défaut, leur traitement par brumisation en conteneur sur les ports.

Au 1er avril, l’entrée en vigueur de cette instruction provoquera l’arrêt immédiat des exportations de ces grumes et un véritable séisme pour ces exportateurs.

Cela aura pour conséquences immédiates la mise au chômage forcé d’au moins 10 000 salariés de la filière bois exportatrice, une aggravation de 2 milliards d’euros du déficit de la filière, donc de notre balance commerciale, et la fragilisation de la situation des ports français, qui vont perdre, avec cette disposition, 70 000 containers, notamment au Havre et à Brest.

M. le président. Il faut poser votre question !

Mme Nicole Duranton. Ma question est la suivante : comptez-vous suspendre l’application de l’instruction du 28 décembre 2015 et enfin écouter les professionnels de cette filière ? (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et sur certaines travées de l’UDI-UC.)

M. le président. La parole est à M. le secrétaire d'État chargé des relations avec le Parlement. (Exclamations sur les travées du groupe Les Républicains et de l'UDI-UC.)

M. Jean-Marie Le Guen, secrétaire d'État auprès du Premier ministre, chargé des relations avec le Parlement. Madame la sénatrice, permettez-moi tout d’abord d’excuser l’absence de Stéphane Le Foll, qui assiste aujourd’hui au congrès des producteurs de lait, lesquels sont confrontés à des problèmes dont vous connaissez l’importance.

Vous avez posé la question de l’exportation de nos grumes et rappelé que, après la tempête de 1999, le ministère de l’agriculture avait autorisé, à titre dérogatoire, un traitement de ces grumes, qui s’accumulaient dans des conditions loin d’être toujours satisfaisantes, par un produit phytosanitaire non dénué de risques pour l’environnement.

C’est pourquoi le ministre de l’agriculture a demandé une enquête de l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail, l’ANSES, laquelle a recommandé que notre pays cesse ce type de traitements et en utilise d’autres.

Initialement, l’idée était de pouvoir passer à ces nouveaux modes de traitement au 31 décembre 2015, puisque nous sommes chargés de délivrer des certificats pour l’exportation.

Comme vous le savez, la date limite a finalement été repoussée au 1er avril 2016, ce qui correspond à un délai de mise en œuvre de deux à huit mois.

Chacun comprenait bien que cette exception devait un jour s’arrêter, et que nous devions nous tourner vers des méthodes alternatives.

M. le président. Il faut conclure, monsieur le secrétaire d’État !

M. Jean-Marie Le Guen, secrétaire d'État. J’ai tellement de choses à dire, monsieur le président ! (Sourires.)

Les inquiétudes relayées aujourd’hui nous semblent relativement infondées. Il faut simplement s’adapter, en mettant fin à des procédures qui portent atteinte à l’environnement et nuisent globalement à la filière sylvicole. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain.)

indemnités des élus locaux

M. le président. La parole est à M. Philippe Adnot, pour la réunion administrative des sénateurs ne figurant sur la liste d’aucun groupe.

M. Philippe Adnot. Ma question s’adresse à M. le ministre de l’aménagement du territoire, de la ruralité et des collectivités territoriales.

Monsieur le président, monsieur le Premier ministre, mesdames, messieurs les ministres, dans cette période de construction du budget de nos communes, une question revient en permanence à propos de l’obligation qui est faite aux maires des communes de moins de 1 000 habitants de percevoir la totalité de leurs indemnités.

Ceux-ci ne comprennent pas la différence de traitement qui leur est appliquée par rapport à leurs collègues, maires de communes de plus 1 000 habitants, qui, eux, peuvent décider, en conseil, de la part qui leur est attribuée.

Ils le comprennent d’autant moins que, s’ils renoncent à une partie de leurs indemnités, ce qu’ils font très souvent, celle-ci restera dans son entier soumise à cotisations sociales, ce qui constituera une charge inutile pour le budget communal.

Monsieur le ministre, je connais votre attachement aux maires de nos villages, et je sais aussi que l’un de mes collègues a déposé une proposition de loi sur ce sujet. Nous ne pouvons pas attendre pour donner une réponse satisfaisante aux très nombreux maires qui souhaitent que l’on revienne sur cette disposition, même si elle a été prise avec de bonnes intentions.

Monsieur le ministre, pouvez-vous donner des instructions de souplesse en matière de contrôle de légalité, afin que nous ayons le temps de trouver la bonne formule législative ? (Applaudissements sur certaines travées du groupe Les Républicains et de l'UDI-UC.)

M. le président. La parole est à M. le ministre.

M. Jean-Michel Baylet, ministre de l'aménagement du territoire, de la ruralité et des collectivités territoriales. Monsieur le sénateur, permettez-moi de vous rappeler que la mesure que vous évoquez est issue d’une proposition de loi sénatoriale présentée par Jacqueline Gourault ainsi que Jean-Pierre Sueur, et largement suggérée par l’Association des maires de France : Mme Gourault me le rappelait à l’instant, l’AMF réclamait cette mesure à cor et à cri depuis dix ans.

M. Jean-Pierre Sueur. Absolument ! C’est vrai !

M. Jean-Michel Baylet, ministre. Je vous remercie de bien vouloir en témoigner, monsieur le sénateur. (Sourires.)

Cette question a donc été longuement débattue au Sénat, les avis des uns et des autres étant assez divergents.

À l’origine, le seuil de 3 500 habitants avait été proposé. Puis, au terme d’un débat tout aussi passionné, l’Assemblée nationale avait abaissé ce seuil à 1 000 habitants, et c’est finalement ce seuil qui avait été retenu par la commission mixte paritaire.

Nous pensions que les choses étaient réglées et que la vie allait s’écouler tel un long fleuve tranquille dans nos petites communes,…

M. Bruno Sido. Raté !

M. Jean-Michel Baylet, ministre. … lorsque quelques maires ont souhaité renoncer à leurs indemnités, parce que c’était la tradition ou parce qu’on le leur suggérait plus ou moins vivement.

Mme Jacqueline Gourault. Parce qu’ils en avaient les moyens, aussi !

M. Jean-Michel Baylet, ministre. Dura lex, sed lex : ils n’ont pas pu le faire !

Mais voilà que l’un d’entre eux a largement médiatisé son cas, et que ceux-là mêmes qui avaient suggéré cette réforme ont changé de position !

M. Jean-Pierre Sueur. Ceux qui l’avaient demandée avec insistance !

M. Jean-Michel Baylet, ministre. La semaine dernière, lors de l’examen de la proposition de loi présentée par M. Bruno Sido et plusieurs de ses collègues tendant à permettre le maintien des communes associées en cas de création d’une commune nouvelle, le Sénat a largement débattu de ce sujet, sur lequel vous n’êtes pas unanimes, mesdames, messieurs les sénateurs – c’est le moins que l’on puisse dire !

Quelques jours plus tard, Estelle Grelier a eu le même débat avec les députés sur la proposition de loi de Jean-Pierre Sueur visant à permettre l’application aux élus locaux des dispositions relatives au droit individuel à la formation.

Monsieur le sénateur, les préfets doivent appliquer la loi et je ne peux pas leur donner d’autres instructions dans le cadre du contrôle de légalité.

Si vous souhaitez que la loi soit changée, je suis prêt à en débattre. Vous avez vous-même annoncé qu’un de vos collègues avait déposé une proposition de loi, et nous aurons donc l’occasion d’en discuter.

Il y a toutefois un point sur lequel le Gouvernement ne cédera pas : en aucun cas on ne peut obliger un maire à renoncer à son indemnité ; ce dernier doit lui-même en faire la proposition à son conseil municipal. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du RDSE, ainsi que sur certaines travées de l'UDI-UC et du groupe Les Républicains.)

M. Bruno Sido. Très bien !

M. le président. La parole est à M. Philippe Adnot, pour la réplique.

M. Philippe Adnot. Je vous remercie de votre réponse, monsieur le ministre. Je le réaffirme toutefois : il n’est pas légitime que certains maires puissent prendre des décisions, et d’autres non. Il faut donc trouver des solutions.

Mes chers collègues, si j’ai posé cette question, c’est parce qu’elle est d’actualité pour nos communes.

Surtout, les Français n’en peuvent plus d’être suradministrés, de s’entendre dire tous les jours ce qu’ils doivent faire de leur vie ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et de l'UDI-UC.)

Voilà un véritable sujet de société. On étouffe de « surréglementation » ! Notre avenir, c’est la liberté !

M. Christian Cambon. Placé, à l’action ! (Sourires.)

M. le président. Nous en avons terminé avec les questions d’actualité au Gouvernement.

Je vous rappelle que les prochaines questions d’actualité au Gouvernement auront lieu mardi 22 mars 2016, de seize heures quarante-cinq à dix-sept heures trente, et seront retransmises sur Public Sénat et sur le site internet du Sénat.

Mes chers collègues, nous allons maintenant interrompre nos travaux.

La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à seize heures dix, est reprise à seize heures vingt, sous la présidence de M. Thierry Foucaud.)

PRÉSIDENCE DE M. Thierry Foucaud

vice-président

M. le président. La séance est reprise.

5

Rappel au règlement

M. le président. La parole est à M. Jean Desessard, pour un rappel au règlement.

M. Jean Desessard. Lorsqu’il a répondu à M. Ronan Dantec au sujet du référendum sur Notre-Dame-des-Landes, M. Valls a dit un certain nombre de contre-vérités. Ainsi, M. Dantec n’aurait jamais pris position contre les violences. M. Dantec a toujours pris position contre les violences, que ce soit à Nantes, à Notre-Dame-des-Landes ou ailleurs !

Si je fais ce rappel au règlement, ce n’est pas pour relever ces contre-vérités, tant il est vrai que certains peuvent penser que la mauvaise foi est une façon de gouverner,…

M. Éric Doligé. En effet !

M. Jean Desessard. … mais pour répondre aux remarques que s’est autorisées le Premier ministre sur la façon dont M. Dantec a été élu.

Les sénatrices et les sénateurs n'ont pas de comptes à rendre à un parti ou au Gouvernement sur les alliances qu’ils ont pu passer ou sur le respect des programmes sur lesquels ils ont été élus. Les sénateurs sont indépendants, ils prennent leurs décisions en conscience.

À quelques mois d’échéances électorales, faire référence à des modalités d’élection, au fait qu’on devrait son élection à tel ou tel parti ou que notre expression devrait dépendre de cela n’est pas acceptable. Le Premier ministre a dépassé les bornes !

Je rappelle que l’indépendance des sénateurs vis-à-vis des partis et du Gouvernement est un pilier de la démocratie et de la République. (Applaudissements sur les travées du groupe écologiste. – MM. Pierre Charon et Louis Pinton applaudissent également.)

M. le président. Acte vous est donné de votre rappel au règlement, mon cher collègue.

6

Mise au point au sujet d’un vote

M. le président. La parole est à Mme Françoise Laborde.

Mme Françoise Laborde. L’analyse du scrutin public n° 180, qui a eu lieu en fin de matinée, sur l’article 1er du projet de loi constitutionnelle que nous examinons depuis hier indique que mon collègue Michel Amiel s’est abstenu. Or, au regard des évolutions apportées en séance, avec l’adoption de plusieurs amendements qui ont modifié substantiellement le texte, il souhaiterait approuver cet article 1er tel que modifié par le Sénat.

M. le président. Acte est donné de cette mise au point, ma chère collègue. Elle sera publiée au Journal officiel et figurera dans l’analyse politique du scrutin.

7

Candidature à la commission spéciale chargée du contrôle des comptes et de l’évaluation interne

M. le président. J’informe le Sénat que le groupe écologiste a fait connaître à la présidence le nom du candidat qu’il propose pour siéger à la commission spéciale chargée du contrôle des comptes et de l’évaluation interne, en remplacement de M. Jean-Vincent Placé, dont le mandat de sénateur a cessé.

Cette candidature a été publiée et la nomination aura lieu conformément à l’article 8 du règlement.

8

Articles additionnels après l'article 1er bis (interruption de la discussion)
Dossier législatif : projet de loi  constitutionnelle de protection de la Nation
Article 2

Protection de la Nation

Suite de la discussion d’un projet de loi constitutionnelle

M. le président. Nous reprenons la discussion du projet de loi constitutionnelle, adopté par l’Assemblée nationale, de protection de la Nation.

Nous poursuivons la discussion des articles.

Discussion générale
Dossier législatif : projet de loi  constitutionnelle de protection de la Nation
Demande de priorité

Article 2

Le troisième alinéa de l’article 34 de la Constitution est remplacé par deux alinéas ainsi rédigés :

« – la nationalité, y compris les conditions dans lesquelles une personne peut être déchue de la nationalité française ou des droits attachés à celle-ci lorsqu’elle est condamnée pour un crime ou un délit constituant une atteinte grave à la vie de la Nation ;

« – l’état et la capacité des personnes, les régimes matrimoniaux, les successions et libéralités ; ».

M. le président. La parole est à M. Pierre Charon, sur l’article.

M. Pierre Charon. Il y a quelques années, en 2010, quand la majorité à laquelle j’appartenais envisageait la déchéance de nationalité, on entendait des cris d’orfraie. Remettre en cause l’appartenance à notre nation d’individus ayant pris les armes contre les dépositaires de l’autorité publique constituait une atteinte intolérable aux principes constitutifs de la Nation, une entorse à la tradition républicaine… Que n’avons-nous entendu de la part de ceux qui, aujourd’hui, professent le contraire !

Au nom de la République, justement, on admet que la nationalité peut être retirée, selon cet article 2, « pour un crime ou un délit constituant une atteinte grave à la vie de la Nation ». Nous pourrions donc dire que nous étions prophétiques : cette fois-ci, c’est une majorité d’orientation différente qui admet, dans la norme fondamentale, cette déchéance de nationalité. Comment ne pas s’en réjouir ?

J’approuve cette volonté de faciliter la tâche du législateur en lui donnant cet appui le plus solide qu’est la Constitution. Au demeurant, il s’agit d’étendre le domaine reconnu au législateur par l’article 34, dont nous précisons simplement un alinéa. À cet égard, je rends hommage à la plasticité de la Constitution de la Ve République, qui est capable de s’adapter à un contexte de crise. Tout ce qui permet à notre pays de se séparer de ceux qui l’assassinent va dans le bon sens.

Je voterai donc l’article 2 du projet de loi constitutionnelle, sous réserve de l’adoption de l’amendement n° 14 déposé par Philippe Bas, au nom de la commission des lois. Je saisis d’ailleurs l’occasion de saluer le travail tant de la commission que de son rapporteur.

La sagesse sénatoriale permet d’apporter d’indispensables précisions pour éviter certaines absurdités : la déchéance de nationalité ne doit pas résulter d’un délit ni aboutir à la création d’apatrides ; elle doit être la conséquence logique des actes de ceux qui ont gravement attenté à l’unité nationale. Ils ne peuvent plus se prévaloir du beau nom de Français.

Toute bonne idée ne doit pas être évaluée en fonction de son appartenance partisane. Il y a, d’un côté, ce qui aide la France à se défendre et, de l’autre, ce qui ne l’aide pas ! (Applaudissements sur plusieurs travées du groupe Les Républicains.)

M. le président. La parole est à M. Claude Malhuret, sur l’article.

M. Claude Malhuret. Le Premier ministre est un magicien. Je le dis sincèrement : bravo, l’artiste ! Depuis quatre mois, il doit ni plus ni moins résoudre la quadrature du cercle : soit les binationaux sont concernés par la déchéance, et il perd une grande partie de sa majorité ; soit on crée des apatrides, et il perd une grande partie de l’opposition. Dans les deux cas, il n’arrive pas à réunir la majorité des trois cinquièmes au Congrès.

Personne ne pensait qu’il pourrait s’en sortir et, pourtant, il a réussi. Comme toutes les grandes idées, la solution était en fait si simple qu’on se demande pourquoi personne n’y avait pensé avant. Il suffisait de tout enlever de l’article : plus de binationaux, plus d’apatrides ; il n’y a plus rien dans le texte, absolument rien, du vent !

L’actuel article 34 dispose que la loi fixe les règles concernant la nationalité, c’est-à-dire tout ce qui touche à son acquisition ou à sa déchéance. Le nouveau texte prévoit que la loi fixe les règles concernant la nationalité, y compris les conditions dans lesquelles une personne peut être déchue de la nationalité française. Cette nouvelle rédaction n’apporte pas une virgule de plus à ce qui existe dans l’ancienne. Comme avant, c’est la loi qui définira les conditions de la déchéance, sans que la moindre précision soit apportée par la Constitution.

Ce vide constitutionnel est tellement évident que – chose incroyable, monsieur le garde des sceaux – vous avez été obligé de présenter, par avance, à votre majorité et à l’opposition le texte de la future loi d’application. En faisant cela, vous avez apporté la preuve que le texte constitutionnel était vide et permettait toutes les interprétations dont, bien sûr, celles qui pourraient être tout à fait différentes de celle que vous proposez aujourd’hui et qu’une majorité simple pourra demain changer à son gré… Vous rendez-vous compte de la monstruosité législative que vous nous proposez pour tenter de réussir cette manœuvre politicienne ? Une révision fantôme ! Pensez-vous que le Parlement, la presse et l’opinion vont marcher dans la combine ? Évidemment, personne ne marche et, chaque jour un peu plus, les Français se moquent de ce feuilleton législatif dont ils ont compris, depuis longtemps, qu’il n’aurait aucune utilité contre le terrorisme.

L’ennui, avec ce genre de fausse habilité et d’entrechats sémantiques qui ne débouchent sur rien, c’est que toute la classe politique est en train, depuis quatre mois, de perdre son crédit par votre faute. (Applaudissements sur de nombreuses travées du groupe Les Républicains.)

M. le président. La parole est à Mme Marie-Noëlle Lienemann, sur l’article.

Mme Marie-Noëlle Lienemann. J’ai toujours été opposée à la déchéance de nationalité, a fortiori quand elle vise des Français nés français. Pour moi, c’est un vieux combat. Je l’ai mené quand l’extrême droite a voulu relancer cette thèse et quand une partie de la droite a essayé de nous expliquer qu’il fallait inscrire une telle mesure dans la Constitution. Je le mène aujourd’hui, plus encore qu’hier, parce que, s’il est vrai que la lutte contre le terrorisme doit mobiliser toute la Nation, la manière de combattre ce fléau procède de trois exigences.

La première, c’est l’efficacité de la prévention, en renforçant les moyens de la police, de la justice et des services de renseignement. Chacun en convient : la déchéance de nationalité n’a aucune efficacité en la matière.

La deuxième exigence, c’est de ne rien céder de nos principes. On peut avoir des désaccords entre nous, et ils existent ! Le débat peut avoir lieu, mais à un moment où tout est fait pour essayer d’ouvrir des brèches à partir de ces désaccords – par ailleurs légitimes en démocratie –, ce n’est pas le moment de remettre en cause ces principes, surtout quand cela n’a aucune efficacité.

La troisième exigence, c’est de rassembler les Français. On nous dit que la déchéance le permettra. En aucune façon ! Voyez déjà les débats entre nous ! Et, dans l’histoire, une telle mesure ne nous a jamais rassemblés !

Allons plus loin et reprenons l’alternative que M. Malhuret vient d’évoquer : soit on crée des apatrides, soit on aboutit à une différenciation.

J’ai toujours été contre l’apatridie, notamment pour des raisons liées à l’histoire. La France, pays des droits de l’homme, doit tout faire pour la combattre.

Si on aboutit à une différenciation, on crée un mécanisme qui produit une inégalité de droits. C’est donc un autre principe de la République que l’on met en cause. Or il n’y a aucune nécessité de le faire. En outre, on affaiblit la cohésion nationale.

Voilà pourquoi je suis contre l’article 2 et que je voterai les amendements visant à le supprimer.

On nous dit que la déchéance de nationalité est un symbole. Or il n’y a jamais rien eu de bon en France quand on a mis en œuvre cette mesure. Il y avait une autre réponse, celle du général de Gaulle à la Libération : l’indignité nationale. C’est un tel dispositif qu’il aurait fallu envisager, sans modifier notre texte fondamental.

Mes chers collègues, notre jeunesse, nos concitoyens qui doutent d’eux-mêmes ou de la Nation doivent savoir que, la force de la Nation, ce n’est pas le repli identitaire, en éjectant les pires de nos concitoyens ; c’est l’intégration fondée sur des valeurs, sur un même projet, sur une destinée commune. Voilà le débat qu’il nous faudrait avoir ! (Applaudissements sur plusieurs travées du groupe socialiste et républicain, ainsi que sur les travées du groupe CRC. – Mme Françoise Laborde applaudit également.)