M. Didier Guillaume. Appelons un chat un chat !

Certains veulent peut-être, pour diverses raisons, qu’il n’y ait pas de Congrès, d’autres au contraire en souhaitent un. En tout cas, telle est la réalité.

C’est la raison pour laquelle, au nom de mon groupe, monsieur le président du Sénat, après avoir écouté avec attention toutes vos déclarations, je souhaite vous lancer un appel solennel.

Si vous le jugez utile, vous pourriez convoquer rapidement les présidents des groupes qui sont favorables à cette réforme constitutionnelle et veulent qu’elle ait lieu, afin de préparer une réunion avec nos homologues de l’Assemblée nationale.

Dans ce genre de débat, qui vise une révision constitutionnelle, tout doit se passer dans l’hémicycle. Ce n’est pas en rédigeant un texte dans cette enceinte, un texte à l'Assemblée nationale, et en faisant jouer la navette parlementaire que nous y parviendrons. Je suis de ceux qui pensent que les parlementaires, lorsqu’ils endossent leur rôle de constituants, ne peuvent pas sauter à la corde au gré des amendements et des versions qui sont examinés à l'Assemblée nationale ou au Sénat.

Monsieur le président du Sénat, si vous acceptez cette proposition, nous pourrions avancer pour trouver, non pas un consensus, comme l’a dit Michel Mercier, mais un compromis.

Les moments que nous avons vécus ont fracturé et divisé le pays et plongé nombre de nos concitoyens dans le doute. Ils intiment aux parlementaires constituants que nous sommes, réunis en vue de la réforme constitutionnelle, de tout faire pour aller au bout de nos convictions, des valeurs qui nous sont chères, celles de la République. Il nous faut montrer que, quand la France est attaquée, quand la patrie est en danger, comme nos grands anciens, nous sommes capables de nous rassembler au nom des valeurs cardinales de notre République. (Applaudissements sur la plupart des travées du groupe socialiste et républicain.)

Mme la présidente. La parole est à Mme Esther Benbassa.

Mme Esther Benbassa. Madame la présidente, monsieur le Premier ministre, monsieur le garde des sceaux, monsieur le ministre de l’intérieur, mes chers collègues, le 13 novembre dernier, la France a été frappée par les attentats les plus meurtriers perpétrés depuis la Seconde Guerre mondiale : 130 personnes y ont perdu la vie. L’ampleur et la violence de ces événements nous ont rappelé, de la manière la plus douloureuse qui soit, la vulnérabilité de notre démocratie face à la menace terroriste.

Réunis en Congrès à Versailles le 16 novembre dernier, nous étions convaincus de l’urgence d’agir efficacement contre cette menace, pour assurer la sécurité de nos concitoyens. Le Président de la République y a prononcé devant nous, et à l’adresse du pays, un discours grave et fort, mais dont l’esprit et le vocabulaire ont pu surprendre certains. Il n’est qu’à le citer : « Nous sommes dans une guerre contre le terrorisme djihadiste, qui menace le monde entier et pas seulement la France. »

De quelle « guerre » parlait le Président de la République ? Les criminels qui s’en prenaient à nous étaient donc des « soldats » ? Des soldats de quel État ? Devions-nous reconnaître à Daech la dignité d’un État ?

Dans ce même discours, François Hollande préconisait une réforme de la Constitution afin de permettre « aux pouvoirs publics d’agir contre le terrorisme de guerre, en conformité avec les principes de l’État de droit ». De cette mise en scène est né le projet de loi constitutionnelle de protection de la Nation, qui nous réunit aujourd’hui.

Une première question vient à l’esprit : est-ce bien le rôle d’une Constitution d’organiser la lutte contre le terrorisme ? Elle se trouve bientôt suivie d’une autre : est-il légitime d’y insérer deux nouveaux articles qui, à cet égard même et de l’aveu de tout observateur sensé, ne seront d’aucune portée pratique ?

Pour Nils Muižnieks, commissaire aux droits de l’homme du Conseil de l’Europe, « les terroristes se nourrissent des peurs. Ils veulent nous faire croire que nous devons choisir entre libertés et sécurité. Or une démocratie n’a pas à faire ce choix. Un État démocratique doit s’opposer à la barbarie du terrorisme en évitant d’affaiblir l’État de droit et le respect des droits de l’homme. Ne pas réussir à trouver cet équilibre serait une victoire pour les terroristes. » C’est exactement ce que nous voulons.

Au lieu de chercher à comprendre, non pour excuser, mais pour agir efficacement et pallier nos propres faiblesses, nous continuons d’empiler les lois liberticides, comme nous l’avons fait après les attaques du mois de janvier 2015, sans pour autant – hélas ! – empêcher la tragédie du 13 novembre dernier. En effet, ces lois ne sont qu’une parade politique qui rassure uniquement l’exécutif et certains politiciens soucieux de ne pas rater leur réélection si par malheur un autre attentat se produisait, et beaucoup moins nos concitoyens que l’« état de guerre » proclamé plongent dans la paralysie et la peur.

D’un même mouvement, l’exécutif tente de « divertir » ainsi le peuple, au sens pascalien, d’autres problèmes aussi urgents, comme le chômage.

L’article 1er du présent texte qui a pour objet de constitutionnaliser l’état d’urgence viserait, d’une part, à renforcer les garanties des droits fondamentaux et des libertés publiques et, d’autre part, à adapter ce régime d’exception à la « nouvelle » menace terroriste. Ces arguments, répétés comme un mantra lors des débats à l’Assemblée nationale, sont peu convaincants.

De quelle garantie s’agit-il ? En fait, en gravant dans le marbre de la Constitution la possibilité pour le législateur de fixer les « mesures de police administrative » que les « autorités civiles » pourront mettre en œuvre en violation des libertés et des droits fondamentaux, c’est au contraire l’arbitraire du pouvoir législatif qui est ainsi constitutionnalisé.

Quant à l’idée selon laquelle constitutionnaliser l’état d’urgence permettrait d’adapter ce régime à la menace terroriste actuelle, elle paraît pour le moins contradictoire. L’état d’urgence est, et doit rester, une mesure temporaire prise pour répondre à un péril imminent. Or il me semble que le terrorisme auquel nous faisons face est, pour reprendre l’analyse du politologue Bernard Manin, une menace épisodique, mais par nature permanente.

J’ajouterai que le terrorisme peut être comparé à l’hydre de Lerne de la mythologie antique, ce monstre aux multiples têtes qui repoussaient à mesure qu’on les coupait. S’imaginer pouvoir dissuader d’agir, par l’accumulation de dispositions législatives, des personnes qui n’ont ni foi ni loi relève de la gageure et trahit une paresse de l’esprit.

Que nos gouvernants mettent tant d’énergie à modifier en vain notre Constitution témoigne du peu de respect qu’ils ont non seulement pour la Constitution elle-même, mais aussi pour le législateur en faisant perdre à celui-ci un temps précieux qu’il pourrait employer à d’autres objectifs cruciaux, comme sortir le pays du marasme économique.

Si ce projet avait émané de la droite, la gauche l’aurait critiqué avec véhémence. (Rires et exclamations sur plusieurs travées du groupe Les Républicains.)

Mme Esther Benbassa. Il me paraît en outre d’autant plus vide de sens que nous devrons débattre bientôt d’un énième projet de loi renforçant la lutte contre le crime organisé, le terrorisme et leur financement, et améliorant l’efficacité et les garanties de la procédure pénale.

Associé à l’article 2, l’article relatif à l’état d’urgence contribue à plomber un peu plus un climat social déjà délétère, loin de cette « unité nationale » qu’il est peut-être sage de souhaiter, facile de proclamer, mais beaucoup plus difficile de réaliser.

Qui peut croire que l’article 2, qui constitutionnalise la menace d’une déchéance de nationalité, va nous protéger de terroristes qui n’ont que faire de leur nationalité et de leur passeport ?

Dois-je rappeler le clivage qu’a créé cet article aussi bien à droite qu’à gauche ? Cet article a provoqué un tel clivage parce qu’il ne s’agit plus en l’espèce d’opinions partisanes. L’enjeu est d’une autre nature : il s’agit d’une atteinte aux valeurs cardinales de notre République.

Il me semble que M. le Premier ministre n’est pas gêné outre mesure par l’absence de portée pratique de cette disposition, pourvu que le symbole y soit. C’est un peu ce que pensaient hier les partisans de la peine de mort : une fois qu’on était parvenu à leur démontrer son inutilité, il y avait encore le symbole ! Et de quel symbole parlons-nous en l’occurrence ? D’un symbole négatif source de division ! Il semble que, pour certains de nos gouvernants, l’histoire singulière de notre pays ne compte pour rien.

L’acrobatie rhétorique à laquelle on s’est livré en supprimant la mention des binationaux, juste pour obtenir le vote des députés, n’y changera rien. Personne n’a été dupe. Cet article ne concerne que les binationaux, et pas les uninationaux, sauf à fabriquer des apatrides, ce que les traités signés par la France interdisent.

Quelle catégorie de citoyens de seconde zone crée-t-on ici ? Comment parler encore d’unité nationale ? Au nom de cette unité, réellement souhaitée, le général de Gaulle, à la sortie de la guerre, dans une France meurtrie, préféra pour les collaborateurs actifs l’indignité nationale à la déchéance. Là, il y avait un symbole fort. Ne pourrions-nous pas opter pour la même démarche ?

Pourquoi ne pas consacrer tous nos efforts à nous mobiliser autour de la prévention et de la réduction des menaces que le terrorisme fait peser sur notre corps social, en y mettant à la fois plus d’intelligence et plus de pragmatisme ? Pourquoi modifier notre Constitution, dans laquelle doivent se reconnaître des millions de Français, en y insérant un article scélérat inspiré de l’extrême droite qui ne s’appliquera au mieux qu’à une poignée d’individus ne méritant certainement pas d’être même mentionnés dans la charte fondatrice de notre République ? Avons-nous pensé à l’usage que pourrait en faire cette extrême droite si un jour elle arrivait au pouvoir ?

M. Philippe Bas, rapporteur. Ce serait la fin des haricots !

Mme Esther Benbassa. Comme le résume très bien l’avis de la Commission nationale consultative des droits de l’homme, la CNCDH, en constitutionnalisant la déchéance de nationalité, « ce sont les fondements mêmes du pacte républicain qui se voient remis en cause, alors que, non sans paradoxe, cette remise en cause est l’un des objectifs poursuivis pas les auteurs d’actes de terrorisme ».

Exécutif, législateurs, acteurs de la société civile, il nous incombe aujourd’hui, en mémoire des victimes, de ne pas céder à la facilité ni à un douteux confort intellectuel. L’inflation législative n’est rien d’autre. Des lois oui, mais en nombre raisonnable, et raisonnables elles-mêmes, associées à un grand nombre d’autres outils de compréhension et d’action contre le terrorisme.

Pour ces motifs, le groupe écologiste s’opposera à la constitutionnalisation des deux mesures dont nous débattons. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC. – M. Gaëtan Gorce applaudit également.)

Mme la présidente. La parole est à M. Philippe Adnot.

M. Philippe Adnot. Madame la présidente, monsieur le Premier ministre, messieurs les ministres, monsieur le secrétaire d’État, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, l’ambition du présent texte était de rassembler la Nation compte tenu de la gravité de la situation liée au terrorisme.

Rassembler est une noble ambition, j’y participerai en votant les textes nous permettant de mieux lutter contre le terrorisme, comme celui qui nous a été présenté ce matin en commission des finances concernant le crime organisé et le terrorisme.

S’agissant de ce projet de loi constitutionnelle et des articles 1er et 2, nous devons nous poser les questions suivantes : sont-ils utiles ? Sont-ils nécessaires ?

L’inscription de l’état d’urgence dans la Constitution est-elle nécessaire ? La pratique nous fait la démonstration du contraire. Le Parlement, aujourd'hui, apprécie, dégage les moyens. Pour ma part, je ne voterai pas cette inscription, convaincu que cet ajout comporte plus d’inconvénients que d’avantages, et que la Constitution, dans la durée, a fait ses preuves.

La déchéance de nationalité est déjà possible à l’heure actuelle. Je partage la volonté de la commission des lois de ne pas créer d’apatride, mais ce texte n’apporte rien de nouveau. Je ne le voterai donc pas.

Est-il susceptible de freiner un tant soit peu le terrorisme ? Si le sujet n’était pas si grave, cela ferait sourire. Évidemment, cela ne servira à rien et, au contraire, cela nous éloigne des vrais sujets qui pourraient éventuellement contraindre et inquiéter les terroristes, qu’ils soient adultes ou en herbe.

En guise d’exemple, monsieur le Premier ministre, monsieur le ministre de l’intérieur, je vous poserai une question : savez-vous combien de djihadistes continuent à toucher le RSA pendant qu’ils sont partis mener leur combat ?

Vous ne le savez pas, car les caisses d’allocations familiales autorisent quatre-vingt-onze jours passés à l’étranger sans contrôle, et Pôle emploi, trente-cinq jours. De surcroît, les inscriptions s’opèrent désormais par internet, et peuvent très bien être réalisées depuis l’étranger. Chacun peut s’interroger sur cette situation tout de même assez absurde.

Je pourrais ajouter que l’un des proches des terroristes du Bataclan a pu continuer à toucher le RSA pendant six mois, tout en étant en prison au Maroc. Ce sont des faits, indiscutables, qui doivent nous conduire à nous interroger.

Ce que je veux dire, monsieur le Premier ministre, c’est que, au-delà des symboles, il vaudrait mieux essayer de faire peur aux terroristes en leur indiquant que leur engagement aura aussi des conséquences sur leur environnement proche, ce qui n’est pas le cas aujourd'hui.

Parce que je crois qu’il n’est pas nécessaire de modifier la Constitution, je ne voterai pas ce texte, ni dans cet hémicycle ni à Versailles.

Parce que je ne crois pas à la portée d’une déchéance qui est déjà possible aujourd’hui, je ne voterai pas ce texte, ni dans cet hémicycle ni à Versailles.

Je voterai en revanche les textes permettant d’améliorer la lutte contre le terrorisme, encore qu’il vaudrait sans doute mieux appliquer sereinement, concrètement notre arsenal législatif disponible. Je ne pense pas que l’ajout permanent de textes nouveaux soit la solution à nos problèmes. La France a besoin d’actes concrets et non de décisions qui nous divisent artificiellement. (Applaudissements sur certaines travées du groupe Les Républicains. – M. Pierre-Yves Collombat applaudit également)

Mme la présidente. La parole est à M. Jacques Mézard.

M. Jacques Mézard. Madame la présidente, monsieur le Premier ministre, messieurs les ministres, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, moins d’un an après l’attentat visant Charlie Hebdo, le 13 novembre, un groupe terroriste comprenant en son sein des nationaux français a commis un acte monstrueux, anéantissant des vies innocentes au moment où ces victimes exprimaient leur appétit de vivre, un acte destiné à frapper la France en son cœur, la France et son image insupportable pour ceux qui prétendument au nom de Dieu ont pour croyance la haine et l’intolérance.

La France, dans un élan spontané d’unité nationale, a exprimé d’une seule voix dans chaque commune, dans chaque ville son rejet de tels actes et son attachement aux valeurs fondamentales de la République. L’union sacrée, un siècle après, a toujours le même sens : c’est la révolte contre l’agression à l’encontre de la Nation et de ses enfants.

Le chef de l’État, quelques heures après l’odieux attentat, a réuni le Parlement en Congrès. Il a eu raison de provoquer ce moment au cours duquel, au-delà des sensibilités diverses, la représentation nationale a fait bloc dans l’émotion. Les applaudissements et La Marseillaise chantée à l’unisson consacraient ce moment fort sans préjuger d’initiatives à venir.

Passé ce moment, fallait-il transposer cette émotion dans un texte constitutionnel ? L’union était faite dans l’opinion ; était-il opportun de risquer de la fissurer par des propositions potentiellement clivantes et un débat coupé des préoccupations des Français ?

Dans mon intervention devant le Congrès, j’avais clairement affirmé « l’impérieuse nécessité, plutôt que de légiférer constamment en réaction aux événements, d’appliquer les lois existantes dont l’arsenal est la plupart du temps suffisant ». J’ajoutais : « aujourd’hui, nos concitoyens n’attendent pas de nouvelles lois, mais de l’action en exécution des lois existantes de la République ». Nos concitoyens veulent de la sécurité, de l’emploi, du pouvoir d’achat.

Nous comprenons la volonté exprimée par l’exécutif, à commencer par vous, monsieur le Premier ministre, qui avez su faire face dans l’épreuve avec M. le ministre de l’intérieur, de rassembler et de rassurer les Français, et l’on peut comprendre ce texte constitutionnel comme un message à nos concitoyens. Cependant, ce message a-t-il aujourd’hui la capacité d’être un instrument de rassemblement et d’unité ? N’est-il pas devenu un instrument de division à l’intérieur même de chacune des familles politiques de la Nation ?

Face à ces questions, le groupe que j’ai l’honneur de présider émettra une réponse majoritairement négative sur l’ensemble du texte, quelle que soit sa version. Certains de ses membres souhaitent pouvoir adresser un message de soutien au Gouvernement ou tout simplement restent convaincus de l’opportunité de ce texte. Ces expressions diverses sont profondément respectables.

Je vais maintenant exposer les raisons pour lesquelles mon groupe n’approuve pas majoritairement le projet de révision de la Constitution sous ses diverses formulations. J’ouvrirai préalablement une parenthèse importante pour dire au président Philippe Bas le respect que nous avons pour la qualité de son rapport et l’amélioration qu’il constitue par rapport au texte issu des travaux de l’Assemblée nationale.

M. Philippe Bas, rapporteur. Merci !

M. Jacques Mézard. Soyons clairs, pour nombre d’observateurs et de citoyens, ce débat est devenu vicié. Il ne serait pas sain de jouer à qui piège l’autre, d’autant que, in fine, mes chers collègues, le piège se refermera sur tous !

Mme Catherine Troendlé, vice-présidente de la commission des lois. Tout à fait !

M. Jacques Mézard. La Constitution a besoin de stabilité. Il n’est pas indispensable que chaque Président de la République laisse à la postérité un grand monument, un article de la Constitution, ou les deux.

Et si la Constitution justifie une évolution, celle qui est urgente, c’est de rétablir un équilibre des pouvoirs dans cette République où le pouvoir est trop concentré à l’Élysée et dans les mains de la haute fonction publique, où le contre-pouvoir sera donc de plus en plus celui de la rue et des réseaux sociaux, à défaut d’un Parlement fort et indépendant.

Nous avons aussi le devoir de répondre à la question : pourquoi des Français ont-ils commis ces actes barbares ? Nous avons le devoir, dans la durée, de donner un sens concret au besoin de mixité sociale, de résoudre l’équation d’une faillite éducative, de nous interroger sur la politique menée par l’Occident au Moyen-Orient et au Maghreb.

On peut multiplier les lois pénales, les sanctions, chasser ces criminels de la communauté nationale, croyez-vous que cela effraiera des êtres prêts à se faire exploser ? Leur comportement est d’abord le prix de l’inculture, de l’illettrisme, et disons-le, en France, de la montée insuffisamment contrôlée des communautarismes, incompatibles avec la République une, indivisible et laïque. Pour nous, il ne saurait exister de concession avec le communautarisme, qui est le poison moderne de notre société.

Monsieur le Premier ministre, je tiens à saluer votre position quant aux dérives de l’Observatoire de la laïcité,…

M. Roger Karoutchi. Très bien !

M. Jacques Mézard. … mais il est urgent que certains se consacrent à la transition énergétique et non à la transition communautariste !

Que chacun vive sa religion ou son athéisme dans la sphère privée en pleine liberté, mais notre société, notre nation n’ont en aucun cas à adapter leurs règles ou coutumes aux injonctions de quelque religion que ce soit !

Lorsque le Gouvernement a mis en place l’état d’urgence, il nous a trouvés à ses côtés. La vraie difficulté est d’en sortir sans l’instaurer dans la loi de tous les jours. Lorsque le Gouvernement consacre de nouveaux moyens humains et matériels à la lutte antiterroriste, nous sommes à ses côtés ; c’est cela qu’attendent les Français, non la constitutionnalisation de l’état d’urgence et de la déchéance de nationalité.

Nous considérons majoritairement que ce projet de loi constitutionnelle est inutile, peut-être délétère. On ne peut passer sous silence les positions critiques de très nombreux universitaires, de juristes, d’anciens présidents du Conseil constitutionnel, ni les obstacles et conséquences à l’échelon international des traités signés et non ratifiés ; je pense également aux réactions de pays concernés par le nombre important de binationaux.

Revenons à l’origine de ce projet de loi, soyons précis ! Que disait le chef de l’État à Versailles ? Qu’il fallait « disposer d’un outil approprié afin que des mesures exceptionnelles puissent être prises pour une certaine durée sans recourir à l’état d’urgence ni compromettre l’exercice des libertés publiques. » Copie rejetée par le Conseil d’État et donc première contradiction avec le Congrès de Versailles : on met l’état d’urgence dans la Constitution !

Quant à la déchéance de nationalité, le Président de la République n’a aucunement parlé de sa constitutionnalisation dans le discours applaudi par nous tous. Évitez l’argument selon lequel, ayant applaudi à Versailles, nous étions d’accord sur ce projet : ce n’est pas la réalité !

Quant au Conseil d’État, rappelons que, en 2008, il s’était opposé au projet de constitutionnalisation de l’état d’urgence proposé par le comité Balladur.

Devant la commission des lois, le président Sauvé a souligné son opposition à l’extension de la déchéance aux délits et, en réponse à l’une de mes questions, il a déclaré : « Faut-il une révision constitutionnelle ? Ce n’est pas nécessaire au regard du principe d’égalité. Mais le Conseil d’État a considéré qu’il y aurait un risque suffisamment sérieux à s’en dispenser. » Il a ajouté : « Dans la question qui nous était posée, l’apatridie était exclue. Le problème est donc absent de notre avis. »

Dans ces conditions, se prévaloir de la bénédiction du Conseil d’État est pour le moins téméraire, voire spécieux !

Monsieur le président de la commission des lois, s’il fallait bâtir un socle pour rejeter ce projet de loi constitutionnelle, on trouverait le béton le plus solide dans votre rapport.

Permettez-moi de vous citer des extraits de votre excellent travail, figurant à la page 104 et suivantes de votre rapport : « Première question : cette révision constitutionnelle est-elle nécessaire ? Si nous étions des universitaires appelés à donner un point de vue juridique, nous aurions les plus grands doutes. Mais il ne s’agit pas ici que de droit. » Cela pourrait d’ailleurs m’inquiéter !

Sur le refus de consultation du Conseil constitutionnel en amont sur la conformité de la loi de 1955 à la Constitution, vous ajoutez : « Néanmoins, le Conseil constitutionnel a depuis été saisi à trois reprises par la voie de la question prioritaire de constitutionnalité. Il avait, auparavant, déjà estimé que la Constitution de 1958 n’avait pas pour effet implicite d’abroger l’état d’urgence ; cette fois, il a jugé conformes à la Constitution les mesures prises dans le cadre de l’état d’urgence depuis novembre, qu’il s’agisse des assignations à résidence, des limitations apportées à la liberté de réunion et de manifester ou des perquisitions ; seule la possibilité de saisir des données informatiques a été censurée, car jugée trop intrusive.

« Par conséquent – ajoutez-vous –, l’état d’urgence ne présente clairement aucun risque d’inconstitutionnalité. »

M. Philippe Bas, rapporteur. Exactement !

M. Jacques Mézard. Malgré cela, vous acceptez la constitutionnalisation pour mieux encadrer l’état d’urgence et empêcher que l’on déroge à des garanties fondamentales. Vous vous livrez ainsi, permettez-moi de le dire, à une remarquable acrobatie intellectuelle.

M. Pierre-Yves Collombat. Oui, remarquable !

M. Jacques Mézard. Elle ne saurait pourtant effacer les objections de nos meilleurs constitutionnalistes, même si nous souscrivons à vos excellents amendements.

M. Philippe Bas, rapporteur. Merci !

M. Jacques Mézard. Entendu par la commission, le professeur Olivier Beaud a déclaré : « Prétendre justifier la constitutionnalisation de l’état d’urgence par un renforcement de l’État de droit, c’est absurde ! » Il a ajouté : « Comme les juristes qui s’y sont essayés l’ont constaté, il est très difficile de limiter un pouvoir d’exception. » Réfléchissons à cela !

Il a indiqué également : « Il y a une contradiction entre l’état d’urgence, mesure temporaire qui doit répondre à une menace temporaire, et le nouveau terrorisme, qui est une menace épisodique, mais par nature permanente. » C’est le fond de ce débat, il est impératif de réfléchir à cette question.

Revenons à vos propos, monsieur le président Bas. Je vous cite de nouveau : « La question de la déchéance de nationalité est plus délicate. Comme pour l’état d’urgence, on peut la trancher en invoquant l’absence de nécessité juridique. Le Conseil d’État s’est borné à soulever un risque d’inconstitutionnalité ; seul le Conseil constitutionnel en est juge. À la vérité, je crois ce risque faible.[…] Par conséquent – ajoutez-vous –, l’inscription de cette mesure dans la Constitution ne répond pas à un besoin. » Vous l’écrivez ! Et vous poursuivez : « Je suis donc plus embarrassé pour la déchéance de nationalité que pour l’état d’urgence : admettre son inscription dans la Constitution me demande un effort. »

De grâce, assez de souffrances et d’efforts, mes chers collègues ! (Rires et applaudissements.)

Souscrivons à la très sage analyse de Robert Badinter : « Il n’est point besoin enfin de recourir à une révision constitutionnelle. Il suffirait au Parlement de remplacer dans l’article 25 du code civil la référence à celui “qui a acquis la qualité de Français” par la mention “tout Français” ». C’est le chemin de la sagesse !

Mes chers collègues, les Romains, lorsqu’ils voulaient écarter de la communauté des citoyens, utilisaient la damnatio memoriae, en effaçant le souvenir de la personne concernée de la mémoire collective.

M. Jean Bizet. C’est exact !

M. Jacques Mézard. N’est-ce pas plus sage que d’infliger une sanction de déchéance, laquelle sera reçue comme une décoration par les terroristes ?

En nous souvenant toujours des faits odieux et de la souffrance des victimes, faisons que les assassins tombent sous les balles de nos forces de sécurité, ou, pris vifs, expient dans les quartiers de haute sécurité, mais que leur nom même rejoigne définitivement la pénombre. Cela vaudra toutes les déchéances.

Pour conclure, je dirai un mot sur le travail de notre Haute Assemblée, quel que soit le vote final. Le Sénat a su exprimer sa capacité de réflexion, le recul qu’il sait prendre par rapport aux effets médiatiques et son attachement viscéral à la défense des libertés publiques et individuelles. Il montre ainsi à ceux qui veulent le supprimer ou le dévitaliser que son existence est consubstantielle aux principes qui ont fondé notre République. (Applaudissements sur les travées du RDSE, du groupe CRC, de l’UDI-UC et du groupe Les Républicains. – Mme Marie-Noëlle Lienemann applaudit également)

Mme la présidente. La parole est à M. Bruno Retailleau. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. Bruno Retailleau. Madame la présidente, monsieur le Premier ministre, messieurs les ministres, mes chers collègues, oui, nous sommes en guerre, parce que l’on a déclaré la guerre à la France depuis l’étranger. Certains l’oublient trop vite, voire considèrent que le terme « guerre » est trop fort, trop militaire.

« Vous ne vous intéressez peut-être pas à la guerre, mais la guerre s’intéresse à vous ! » écrivait Trotski. (Exclamations sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. David Assouline. Et ce n’est pas moi qui l’ai cité !

M. Bruno Retailleau. Ces propos ont été repris par Jean-Yves Le Drian. (Sourires.)

M. Alain Chatillon. C’est pire encore !