M. Jean-Claude Lenoir. Ça va faire du vent !

M. Jean-François Husson. Je ne sais pas si ça va faire du vent. Cet amendement relève de l’esprit de ceux ayant le même objet qui avaient été déposés dans le cadre de la loi relative à la transition énergétique pour la croissance verte.

Nous revenons là encore sur la question de l’impact des implantations d’éoliennes au fur et à mesure du temps, et de leur hauteur, notamment près des monuments historiques, mais également là où la France dispose de beaux paysages, dont certains sont classés au patrimoine mondial de l’humanité ou en voie de l’être. L’idée est d’améliorer la protection de la covisibilité des éoliennes.

Je rappelle qu’actuellement les petites éoliennes de moins de 12 mètres peuvent être disposées sans permis de construire à peu près partout et qu’une simple autorisation est exigée pour celles qui mesurent moins de 50 mètres. En revanche, pour les éoliennes de plus de 50 mètres, c’est la procédure des ICPE, installations classées pour la protection de l’environnement, qui s’applique.

Hors secteur sauvegardé, les monuments et paysages historiques ne sont protégés aujourd’hui que par l’obligation pour les ICPE d’être situées à plus de 500 mètres des zones d’habitation. Manifestement, au regard d’un certain nombre de débats que nous avons eus ici, mais surtout de ce qui se passe dans nos territoires, cette obligation n’est pas suffisante, la notion de covisibilité des monuments n’étant pas aujourd’hui prise en compte comme il le faudrait par les textes.

Cet amendement vise donc à rendre obligatoire l’avis conforme des ABF pour l’implantation d’une éolienne située dans un rayon de covisibilité de 10 kilomètres d’un monument historique et d’exclure l’implantation d’une éolienne de l’ensemble des espaces protégés, en particulier au titre des nouveaux sites patrimoniaux protégés créés par le présent projet de loi ou des biens inscrits au patrimoine mondial de l’humanité, dont la protection est intégrée au code du patrimoine également par ce projet de loi.

Mme la présidente. L'amendement n° 465 rectifié bis, présenté par MM. Barbier, Vall, Requier, Fortassin et Castelli, est ainsi libellé :

Après l’article 33

Insérer un article additionnel ainsi rédigé :

L’article 553-1 du code de l’environnement est complété par un alinéa ainsi rédigé :

« Les installations terrestres de production d’électricité utilisant l’énergie mécanique du vent, lorsqu’elles sont visibles depuis un immeuble classé ou inscrit au titre des monuments historiques ou d'un site patrimonial protégé et visibles en même temps, situées dans un périmètre déterminé par une distance de 10 000 mètres ne peuvent être implantées que sur avis conforme de l’architecte des Bâtiments de France rendu dans les conditions prévues à l’article L. 621-32 du code du patrimoine. »

La parole est à M. Jean-Claude Requier.

M. Jean-Claude Requier. Le présent amendement ayant le même objet que celui qui vient d’être présenté, je ne reprendrai pas les arguments avancés par M. Husson. Je considère que cet amendement est défendu, madame la présidente.

Mme la présidente. L'amendement n° 469, présenté par M. Bouvard, n'est pas soutenu.

Quel est l’avis de la commission ?

Mme Françoise Férat, rapporteur. Il s’agit de l’encadrement de l’implantation des éoliennes pour des motifs patrimoniaux.

L’amendement n° 202 rectifié bis vise à mettre en place un avis conforme de l’architecte des Bâtiments de France dans un périmètre d’un rayon de 10 kilomètres autour d’un monument historique et à exclure l’implantation d’éoliennes dans le périmètre des différents espaces protégés. Il étend l’interdiction de l’implantation au-delà même de ce périmètre dans le cas où l’installation entrerait dans le champ de covisibilité d’un bien inscrit au patrimoine mondial de l’UNESCO.

L’amendement n° 465 rectifié bis prévoit, pour sa part, simplement un avis conforme de l’ABF pour l’implantation d’une éolienne située dans un champ de covisibilité et dans un rayon, là aussi, de 10 kilomètres autour d’un monument historique sans poser d’interdiction a priori.

La commission a émis un avis favorable sur l’amendement n° 465 rectifié bis, qui lui a paru plus souple, et un avis défavorable sur l’amendement n° 202 rectifié bis.

Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?

Mme Audrey Azoulay, ministre. Monsieur Husson, votre amendement vise à empêcher l’implantation de toute éolienne dans les espaces protégés. Il prévoit également, comme l’amendement n° 465 rectifié bis, l’avis conforme de l’architecte des Bâtiments de France pour l’implantation d’une éolienne à moins de 10 kilomètres d’un monument historique.

Il nous faut concilier deux objectifs d’égale importance : d’une part, la protection du patrimoine culturel et de nos paysages ; d’autre part, la nécessité de favoriser les énergies renouvelables. Nous le savons tous, cette conciliation n’est pas toujours évidente. Toutefois, les services du ministère de la culture et les services du ministère de l’énergie travaillent au cas par cas à trouver les bonnes solutions.

Quant à l’implantation d’éoliennes dans l’emprise d’un espace protégé ou dans le périmètre de protection d’un immeuble classé ou inscrit, elle sera bien entendu soumise à autorisation dans le cadre de la procédure prévue pour tous les travaux intervenant dans les espaces protégés.

C’est pourquoi le Gouvernement est défavorable à ces deux amendements.

Mme la présidente. La parole est à M. Roland Courteau, pour explication de vote.

M. Roland Courteau. Je suis convaincu de la nécessité de protéger les monuments historiques de la covisibilité des éoliennes. On peut en effet citer des contre-exemples malheureux, notamment entre Toulouse et Castelnaudary.

Néanmoins, la construction de ces parcs éoliens est largement antérieure aux règles strictes d’implantation qui sont désormais en vigueur. Dès lors, je n’ai nullement l’intention de demander que l’on puisse faire n’importe quoi n’importe où n’importe comment.

En revanche, il me faut indiquer que si de tels amendements venaient à être adoptés, le développement de projets éoliens serait entièrement interdit dans nombre de régions.

M. Roland Courteau. Par exemple, dans une région que je connais bien, à savoir la mienne, une carte montre que l’interdiction des éoliennes dans un rayon de 10 kilomètres autour de chaque monument historique aboutirait à l’exclusion de tout projet éolien.

Dès lors, l’adoption de tels amendements donnerait un coût d’arrêt final à l’éolien en France. Or il s’agit, je le rappelle, de l’une des principales énergies renouvelables susceptibles de nous permettre d’atteindre les objectifs fixés par la loi de transition énergétique, objectifs qui constituent également des engagements internationaux de la France dans la lutte contre les changements climatiques.

Par ailleurs, et j’insiste sur ce point, la législation en vigueur prévoit d’ores et déjà des règles strictes d’implantation des parcs éoliens vis-à-vis des communes historiques, notamment pour ce qui est de la covisibilité.

Je rappellerai enfin que la loi de transition énergétique a accru le rôle des collectivités dans ces procédures d’autorisation, rendant ainsi redondante l’idée de créer de nouvelles zones d’exclusion communale. La procédure d’autorisation des installations classées pour la protection de l’environnement, ou ICPE, permet par ailleurs d’assurer une protection assez solide de notre patrimoine. En outre, aucun schéma régional éolien n’envisagerait une implantation de projet éolien à proximité, par exemple, d’un site UNESCO ou de sa zone tampon.

Mieux vaudrait donc traiter les situations problématiques au cas par cas plutôt que d’énoncer des principes généraux d’interdiction.

Voilà pourquoi, personnellement, je voterai contre ces amendements. (Mme Odette Herviaux applaudit.)

Mme la présidente. La parole est à Mme Maryvonne Blondin, pour explication de vote.

Mme Maryvonne Blondin. Nous nous trouvons effectivement ici au point de confluence entre diverses logiques : celle de transition énergétique, bien évidemment, mais aussi celle de protection des sites et paysages, auxquelles j’ajouterai un autre enjeu important, celui du développement économique local.

Je rejoins la position de mon collègue Roland Courteau : l’adoption de ces amendements risque d’interdire tout développement de parcs éoliens dans des territoires, telle la Bretagne et tout particulièrement le Finistère. En effet, il s’avère que les sites les plus propices au développement des parcs éoliens dans ce département sont aussi les plus sensibles du point de vue paysager. Cela est notamment le cas pour les paysages du littoral car ces potentiels sites éoliens sont souvent près de la mer.

Je rappellerai également que la Bretagne importe tout de même près de 90 % de son électricité.

M. Jean-Claude Lenoir. Il aurait fallu construire la centrale nucléaire de Plogoff !

Mme Maryvonne Blondin. Les énergies renouvelables représentent donc un enjeu important pour donner à cette région une plus grande autonomie énergétique.

Comment concilier les deux logiques qui s’opposent ici ? Depuis les années 2000, ce sujet préoccupe tous les élus. Un schéma départemental éolien a été mis en place dans le Finistère pour discuter des enjeux. Il rassemble tous les acteurs : les services de l’État, certes, mais aussi les collectivités territoriales et les associations. À mes yeux, cela est important : ce schéma départemental élabore des projets, qui sont acceptés ou refusés mais font en tout cas l’objet d’une concertation. Cela se fait en cohérence avec les schémas régionaux : le schéma régional éolien de Bretagne est également appliqué et mis en place.

Je suis donc persuadée qu’il faut demeurer très attentif aux territoires et, par conséquent, ne pas permettre l’interdiction des parcs éoliens sur l’ensemble des territoires de France.

Mme la présidente. La parole est à Mme Stéphanie Riocreux, pour explication de vote.

Mme Stéphanie Riocreux. Je suis doublement sensible à ces amendements : en tant qu’élue de la Touraine, territoire riche d’un patrimoine architectural et paysager renommé, qui abrite le Val de Loire, classé au patrimoine mondial de l’UNESCO, notamment grâce à notre ancien collègue Yves Dauge, mais aussi par fidélité à Jean Germain, qui avait posé la question de la pertinence des éoliennes géantes dans notre pays compte tenu de sa géographie humaine.

Je tiens à préciser d’emblée que, comme le pensait Jean Germain, le fait d’être préservé des nuisances des éoliennes géantes revêt une dimension sociale. Protéger les patrimoines, c’est bien et c’est le sujet de ce texte, mais protéger tous les êtres humains, notamment ceux qui n’ont pas la chance de vivre dans un cadre paysager préservé ou harmonieux, c’est mieux. Il ne faut pas rajouter de la souffrance à la souffrance : les levées de bouclier dans la région Nord – Pas-de-Calais -Picardie nous le rappellent. Il ne faut donc pas que la règle excluant les parcs éoliens dans un rayon de dix kilomètres autour des sites patrimoniaux conduise ailleurs à une concentration accrue de ces machines.

C’est pourquoi, il y a un an, à l’occasion de l’examen de la loi de transition énergétique, Jean Germain avait fait adopter par le Sénat un amendement portant à 1 000 mètres la distance minimale entre les éoliennes géantes et tous les lieux d’habitation. Cette disposition a malheureusement été détricotée par la suite, au cours de la navette, pour ne ressembler à rien dans la loi finale.

M. Jean-Claude Lenoir. Les députés !

Mme Stéphanie Riocreux. La réalité de l’atteinte à notre environnement sanitaire, naturel, culturel et paysager est telle qu’il est difficile de la nier frontalement. Comme beaucoup, je redoute que la montée de l’exaspération et du désarroi contre ces éoliennes géantes ne se transforme en une réaction contre le bien-fondé des politiques environnementales, ce qui serait terrible.

Je veux rappeler ici qu’un certain nombre d’idées fausses circulent. Les promoteurs peuvent émerveiller en expliquant qu’une dizaine d’engins suffit à la consommation électrique d’une agglomération de tant de milliers d’habitants. Néanmoins, quand on y regarde de plus près, on s’aperçoit qu’il s’agit juste de l’éclairage : ne sont pris en considération ni les consommations liées aux activités économiques ni le chauffage. Conscients de cette objection majeure, les promoteurs expliquent qu’il suffirait de mettre des éoliennes partout pour pallier cet inconvénient, puisqu’il y a bien toujours un endroit où souffle du vent. Qui peut croire que le seuil de tolérance de nos concitoyens ne sera dépassé avant ?

Le syndicat des énergies renouvelables est conscient qu’il se heurte de plus en plus à un problème d’acceptabilité sociale : il suffit pour s’en convaincre de lire les dépêches rapportant sa dernière réunion. Il est également nécessaire de consulter les publications internes de ce syndicat. On y lit en effet que ces machines massivement importées coûtent toujours plus cher : les endroits ventés étant de moins en moins disponibles, il faut aller chercher le vent plus haut – et avec lui les subventions – grâce à des machines toujours plus élevées et nécessitant des fondations de béton toujours plus massives, le tout étant, bien entendu, toujours plus cher. (M. Michel Raison marque son impatience.)

Je mets en garde tout particulièrement ceux de mes collègues qui peuvent penser, légitimement, que ces implantations permettent aux collectivités territoriales de bénéficier de loyers ou de retombées fiscales : face à cette augmentation des coûts, la priorité des promoteurs est d’obtenir une diminution de ces reversements au détriment des collectivités. (Marques d’impatience sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. Michel Raison. Une minute de dépassement du temps de parole !

Mme Stéphanie Riocreux. Veuillez excuser, mes chers collègues, la longueur de mon propos. Il nous faut veiller à préserver nos patrimoines culturel, naturel et historique, mais aussi à progresser dans le développement des énergies renouvelables et à respecter et protéger nos concitoyens et ainsi nos nécessaires équilibres. (Marques d’impatience renouvelées sur les mêmes travées.)

Mme la présidente. Il faut conclure !

Mme Stéphanie Riocreux. Je m’abstiendrai sur ces amendements, mais un vrai grand débat national me paraît indispensable sur ce sujet.

Mme la présidente. Nous avons examiné 48 amendements cet après-midi ; il en reste 44, qui seront examinés ce soir en séance, j’espère au même rythme.

La parole est à Mme la présidente de la commission.

Mme Catherine Morin-Desailly, présidente de la commission de la culture, de l'éducation et de la communication. J’indique simplement aux membres de la commission de la culture que nous allons nous réunir incessamment en salle 245.

Mme la présidente. Mes chers collègues, avant d’aborder le point suivant de l’ordre du jour, nous allons interrompre nos travaux quelques instants.

La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à dix-sept heures quarante, est reprise à dix-sept heures quarante-cinq.)

Mme la présidente. La séance est reprise.

Articles additionnels après l’article 33 (début)
Dossier législatif : projet de loi relatif à la liberté de la création, à l'architecture et au patrimoine
Discussion générale

3

Engagement de la procédure accélérée pour l’examen d’un projet de loi

Mme la présidente. En application de l’article 45, alinéa 2, de la Constitution, le Gouvernement a engagé la procédure accélérée pour l’examen du projet de loi habilitant le Gouvernement à légiférer pour simplifier et rationaliser l’organisation de la collecte de la participation des employeurs à l’effort de construction et la distribution des emplois de cette participation, déposé sur le bureau de l’Assemblée nationale le 17 février 2016.

4

Débat préalable à la réunion du Conseil européen des 18 et 19 février 2016

Mme la présidente. L’ordre du jour appelle le débat préalable à la réunion du Conseil européen des 18 et 19 février 2016, organisé à la demande de la commission des affaires européennes.

Dans le débat, la parole est à M. le secrétaire d’État.

M. Harlem Désir, secrétaire d’État auprès du ministre des affaires étrangères et du développement international, chargé des affaires européennes. Madame la présidente, monsieur le président de la commission des affaires européennes, monsieur le vice-président de la commission des affaires étrangères, mesdames, messieurs les sénateurs, le Conseil européen qui se tiendra jeudi et vendredi à Bruxelles sera dominé par deux questions : les relations entre le Royaume-Uni et l’Union européenne et la réponse européenne à la crise des réfugiés.

Je connais l’attention que porte la Haute Assemblée à ces deux questions et j’ai pris connaissance avec beaucoup d’intérêt de la résolution européenne adoptée à l’initiative de la commission des affaires européennes et de sa vice-présidente Fabienne Keller.

Dans cette résolution, le Sénat appelle également l’Europe à faire preuve de plus de solidarité et d’efficacité dans le traitement de la crise migratoire.

Ces préoccupations rejoignent pleinement celles du Gouvernement à la veille du Conseil européen qui débutera demain, lequel sera particulièrement important pour l’avenir de la construction européenne.

Le premier sujet qui sera à l’ordre du jour de cette réunion sera la relation entre le Royaume-Uni et l’Union européenne.

J’ai eu l’occasion de le dire devant la Haute Assemblée : la conviction du Gouvernement, c’est que l’intérêt de l’Europe, de la France et du Royaume-Uni est que celui-ci reste dans l’Union européenne. Certes, ce sont les citoyens britanniques qui en décideront, au travers d’un référendum, mais, pour notre part, nous pensons que le Royaume-Uni doit rester dans l’Europe, aux côtés de ses alliés. Nous sommes également convaincus que cela doit pouvoir se faire dans le plein respect des règles et des principes fondamentaux de l’Union européenne.

Il faut donc à la fois entendre les préoccupations britanniques et ne pas mettre en cause les fondements de l’Union européenne, les politiques communes et les possibilités d’avancées futures de l’Europe.

Le président du Conseil européen, Donald Tusk, a formulé des propositions, en particulier un projet de décision engageant les chefs d’État ou de gouvernement, afin de répondre aux demandes qui avaient été exprimées par le Premier ministre britannique, en vue précisément du référendum qui sera organisé dans les prochains mois au Royaume-Uni.

Ce paquet de propositions respecte trois de nos exigences fondamentales : pas de révision des traités, pas de droit de veto du Royaume-Uni sur l’intégration future de la zone euro, pas de remise en cause du principe de la libre circulation des citoyens européens.

Pour autant, certaines questions importantes doivent encore être clarifiées, raison pour laquelle la négociation se poursuit sur des points essentiels.

Tout d'abord, concernant les relations entre les pays membres et non membres de la zone euro, point à nos yeux le plus important dans cette négociation, notre position est claire.

Les États qui ne font pas partie de la zone euro doivent, bien sûr, être respectés. Ils doivent être informés de nos décisions et ne pas être soumis à des contraintes de solidarité budgétaire qui ne les concernent pas. Cependant, nous ne pouvons pas leur donner la possibilité d’empêcher le mouvement d’intégration de la zone euro, de s’y opposer, par exemple par un veto, ou même de le freiner. Ceux qui veulent aller de l’avant doivent être en mesure de le faire.

Toujours sur ce point, nous devons également préserver l’intégrité du marché intérieur à vingt-huit, en particulier pour ce qui concerne les services financiers, qui en sont une composante importante. En effet, il ne doit pas y avoir de distorsion de concurrence entre les membres de la zone euro et le Royaume-Uni en matière de régulation financière et de mécanismes de supervision des marchés financiers. Il n’est donc pas possible de donner à une place financière – celle de Londres – une sorte de statut spécifique (M. André Gattolin opine.) qui l’exempterait des régulations, présentes ou à venir, établies pour assurer la stabilité financière au sein de l’Union européenne à vingt-huit. Ce serait un élément de concurrence déloyale (M. André Gattolin opine de nouveau.) et, en même temps, une source de fragilité du système financier européen.

Nous sommes encore aujourd'hui en train de débattre de ces points. Ces derniers ont bien évidemment été l’un des enjeux de la rencontre qui a eu lieu entre le Président de la République et le Premier ministre David Cameron lors de la visite que celui-ci a effectuée à Paris lundi dernier.

L’autre grande question qui sera débattue est celle de la libre circulation et de l’accès aux prestations sociales des travailleurs européens vivant au Royaume-Uni.

Le paquet de décisions qui a été proposé par Donald Tusk prévoit de clarifier des règles, de lutter contre les abus, de moduler le niveau des prestations familiales en fonction du pays de résidence des enfants et d’établir un mécanisme de sauvegarde permettant aux États qui connaissent un afflux important de travailleurs en provenance d’autres États membres de restreindre les prestations sociales liées au travail pour une durée limitée – il est question de quatre ans, mais cette durée fait encore l’objet d’une discussion.

Ces dispositions sont examinées de très près et débattues par les États les plus concernés, en particulier les pays du groupe de Visegrád et la Roumanie, dont beaucoup de citoyens vivent et travaillent au Royaume-Uni.

Bien évidemment, nous sommes tous très attentifs à ce qu’elles respectent l’acquis communautaire et soient conformes à la jurisprudence de la Cour de justice de l’Union européenne.

Les négociations vont se poursuivre sur ces questions au cours des prochaines heures.

Sur le volet relatif à la souveraineté, les textes proposés explicitent, comme le Conseil européen l’avait déjà fait en juin 2014, que l’union sans cesse plus étroite permet des voies différenciées et rappellent les dérogations dont dispose déjà le Royaume-Uni.

Le texte introduit également un « carton orange » pour les Parlements nationaux : si un nombre substantiel d’entre eux, représentant 55 % des votes qui leur sont attribués, émettent un avis motivé, au titre de la subsidiarité, pour s’opposer à un projet de législation européenne présenté par la Commission, le Conseil doit mettre fin à l’examen du projet d’acte législatif, sauf si celui-ci est modifié de manière à tenir compte des préoccupations exprimées dans les avis motivés. Cette disposition se situe à la limite de ce qui peut être accepté, mais ne remet pas en cause l’équilibre institutionnel européen. Elle constitue non pas un droit de veto des Parlements nationaux, mais un droit de réexamen d’un projet de législation.

Enfin, le volet relatif à la compétitivité ne soulève pas de difficulté, dans la mesure où les textes reprennent les éléments qui ont déjà été agréés par le Conseil « compétitivité » en décembre 2014 et insistent sur la nécessité d’une simplification et sur l’importance d’un marché intérieur qui fonctionne correctement.

La réponse à la crise migratoire constitue le second sujet à l’ordre du jour du Conseil européen.

Dans ce domaine, la priorité, pour nous, aujourd'hui, est la mise en œuvre pleine et entière des décisions qui ont été prises lors des précédents conseils européens et lors des réunions des ministres de l’intérieur et de la justice – les conseils JAI.

Il s'agit donc de mettre véritablement en place les hotspots, les centres d’accueil et d’enregistrement qui doivent permettre de faire la distinction entre les réfugiés, lesquels se verront accorder l’asile, et les immigrés en situation irrégulière, qui devront être raccompagnés dans le cadre de procédures de réadmission et de coopération avec les pays d’origine. Il s'agit également de mettre en œuvre la relocalisation des réfugiés devant être accueillis de façon solidaire au sein de l’Union européenne – vous savez, mesdames, messieurs les sénateurs, que nous nous sommes accordés sur 160 000 places, dont 30 000 en France –, le dialogue avec les pays tiers et de transit, ainsi que l’assistance aux pays voisins de la Syrie – la Turquie, bien sûr, dans le cadre du plan d’action qui a été négocié, mais aussi la Jordanie et le Liban.

Sur ce dernier point, des avancées ont été enregistrées depuis le début de l’année.

D'abord, le plan d’action avec la Turquie est finalisé et le dispositif d’aide de 3 milliards d’euros a été adopté.

Au reste, la conférence de Londres du 4 février dernier a permis une mobilisation importante pour favoriser l’accueil des réfugiés en provenance de Syrie dans les pays limitrophes de celle-ci, avec des promesses de dons à hauteur de 10 milliards de dollars, les deux tiers provenant de l’Union européenne et de ses États membres.

La priorité au renforcement du contrôle des frontières extérieures est désormais reconnue par tous. Sur ce plan, l’objectif de la présidence néerlandaise est de parvenir à un accord sur le système européen de gardes-frontières d’ici à la fin de ce semestre. Il nous paraît absolument nécessaire d’atteindre cet objectif.

Par ailleurs, l’initiative prise ces derniers jours avec l’OTAN, dans le cadre d’une réunion des ministres de la défense, a permis de mettre à disposition de l’Union européenne et de FRONTEX le dispositif maritime de l’OTAN en mer Égée. Celui-ci apportera une contribution utile, notamment pour renforcer la coordination entre la Grèce et la Turquie dans l’identification des passeurs, la lutte contre les filières d’immigration illégale et la mise en œuvre des procédures de réadmission. En particulier, les bateaux qui seront identifiés dans les eaux territoriales turques devront revenir à leur point de départ – port ou côtes – en Turquie.

Il s'agit de casser le trafic d’êtres humains qui non seulement occasionne un flux de migrants, et pas uniquement de réfugiés de guerre, mais, surtout, est à l’origine de nombreux naufrages et donc de nombreuses victimes en mer Égée. En effet, tant que les passeurs auront la possibilité de vendre – moyennant des prix exorbitants, d'ailleurs – des traversées de cette mer ou d’autres zones de la Méditerranée, il y aura évidemment des personnes qui se laisseront abuser et qui s’exposeront à des dangers.

M. Gaëtan Gorce. Il y aura toujours des passages ! Votre politique est absurde.

M. Harlem Désir, secrétaire d'État. Par conséquent, si l’on veut que le système d’asile en Europe soit soutenable, si l’on veut pouvoir accueillir ceux qui ont besoin d’une protection internationale, il faut qu’on lutte contre ce trafic illégal et contre les morts qu’il provoque.

Toutefois, il faut aussi prendre en compte aujourd'hui le fait que, malgré les mesures qui ont été adoptées, ce flux reste encore très important. Certaines semaines, jusqu’à 15 000 personnes sont arrivées en Grèce ! Il est encore des jours où plus de 2 000 parviennent à passer. Il est donc urgent de mettre en œuvre les décisions qui ont été prises.

M. Gaëtan Gorce. Et la protection des êtres humains ? Vous n’en parlez même pas !

M. Harlem Désir, secrétaire d'État. En Grèce et en Italie, cela signifie qu’il faut mettre en place les hotspots et que ceux-ci doivent être pleinement opérationnels, ce qui n’est pas le cas aujourd'hui de tous.

Cela signifie que toutes les entrées doivent être contrôlées, parce qu’il est aussi nécessaire, dans la lutte contre le terrorisme, de s’assurer que des terroristes, utilisant de faux passeports récupérés par l’État islamique en Syrie ou en Irak, ne se soient pas glissés dans le flux des réfugiés.

Cela signifie que la distinction doit être opérée entre ceux qui relèvent de l’asile et ceux qui relèvent de l’immigration illégale et que les retours doivent être organisés dans le cadre des accords de réadmission et de coopération.

Enfin, cela signifie que la coopération décidée avec les pays d’Afrique lors du sommet de La Valette doit absolument être mise en œuvre, parce qu’il faut agir à la racine même de ces migrations.

Dans ce contexte, le Conseil européen qui se tiendra en cette fin de semaine sera important pour prendre acte des éléments qui ont d'ores et déjà été mis en œuvre et, surtout, pour rappeler l’ampleur des efforts à fournir en vue de préserver une réponse européenne, qui, pour nous, est la seule possible.

Mesdames, messieurs les sénateurs, pour conclure, j’indique que les chefs d’État ou de Gouvernement se prononceront également sur la situation en Syrie et en Libye et endosseront la recommandation sur le semestre européen – nous pourrons y revenir dans le débat. En effet, nous estimons que, quel que soit le résultat du référendum britannique, les pays qui ont à cœur l’avancée du projet européen, notamment ceux qui ont en partage une même monnaie, l’euro, doivent se préparer à un approfondissement de leur coopération, en particulier de leurs politiques économiques, fiscales et sociales.

C’est par notre capacité à prendre des décisions de façon collective et à les appliquer rapidement et efficacement que nous convaincrons les Européens que l’Europe est le bon niveau de réponse face à ces défis et à ces crises, qu’elle contribue à la sécurité des citoyens et à celle de chacun des États membres et qu’elle nous permet de le faire dans le respect de nos valeurs.

Nous devons refuser la tentation du repli, celle du retrait et les risques de dislocation de l’Union européenne.

Parce que nous avons, avec l’Allemagne, une responsabilité singulière au cœur de la construction européenne, nous défendrons, avec elle, sur les deux grands sujets qui seront débattus au Conseil européen, des solutions européennes communes. C’est l’intérêt de notre pays comme celui de notre voisin. C’est l’intérêt des citoyens de notre continent. Au final, c’est l’intérêt de l’Europe tout entière ! (Applaudissements sur plusieurs travées du groupe socialiste et républicain. – M. André Gattolin applaudit également.)