M. le président. La parole est à Mme la ministre.

Mme Fleur Pellerin, ministre. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, je voudrais dire quelques mots en préambule du débat que nous allons avoir et qui sera très constructif, j’en suis certaine.

L’article 1er, qui est en fait la source à laquelle puisent l’ensemble des articles du projet de loi que j’ai souhaité vous présenter aujourd'hui, est la condition de possibilité de tous les autres.

« La création artistique est libre ». Monsieur le rapporteur, vous avez relevé que, si vous vous êtes rallié à la rédaction de cet article, celui-ci vous paraît néanmoins quelque peu superfétatoire dans la mesure où la création n’a jamais été aussi libre qu’aujourd'hui.

Pour ma part, je crains de ne pas partager cette analyse. En effet, Sylvie Robert a cité précédemment un certain nombre d’exemples récents, et il en est d’autres qui le sont moins : tous montrent bien que, si nos artistes et créateurs ont aujourd'hui probablement accès à des moyens inédits de diffusion de leurs œuvres, notamment numériques, il pèse sur leur liberté de créateur un certain nombre de menaces, dont certaines sont extrêmement tangibles.

À cet égard, je citerai plusieurs exemples. Vous avez tous en tête les actions engagées par l’association Promouvoir, qui vise à empêcher le public d’accéder à un certain nombre de films, au nom de la moralité publique ou de la défense de valeurs judéo-chrétiennes qu’elle estime devoir protéger. En leur nom, elle s’attaque à des films qui sont pourtant des films d’auteurs. Je pense en particulier aux films d’Abdellatif Kechiche, de Lars Van Trier ou de Quentin Tarantino, pour les plus récents.

Par ailleurs, je citerai, en ce mois de février, le spectacle Tragédie d’Olivier Dubois, qui a été joué à l’Arsenal de Metz, mais que la présidente du groupe FN au conseil municipal de Metz aurait voulu interdire, confondant nudité des danseurs et exhibitionnisme. Je pense également à l’exposition photographique d’Olivier Ciappa, destinée à lutter contre l’homophobie : accrochée sur les grilles du jardin du Grand Rond à Toulouse, elle a été vandalisée.

Je pourrais également citer des déclarations de Marion Maréchal-Le Pen contre toute subvention à l’art contemporain, qu’il conviendrait, selon elle, de supprimer, ou encore les décisions du maire de Villers-Cotterêts, qui a retiré de sa médiathèque le livret d’une exposition parce qu’on y lit que la montée des eaux peut être comparée à la montée de l’extrême droite.

Les exemples, qui sont, en réalité, extrêmement nombreux et tous récents, nous laissent à penser que, contrairement à ce que l’on pourrait croire acquis, la liberté de création, au même titre que la liberté de l’imprimerie, la liberté de la presse ou la liberté d’expression, requiert qu’on la protège aujourd'hui de manière extrêmement solennelle dans un texte législatif.

J’ajoute que nous ne pensons pas uniquement aux artistes d’aujourd'hui. Cela a été dit par plusieurs orateurs, nous pensons aussi à l’avenir, à la relève de la création. Nous voulons adresser aux artistes de demain le message fort que la France, fidèle à ses valeurs et à ses principes, entend défendre de manière extrêmement solennelle son attachement à la liberté de création, au même titre qu’aux autres grandes libertés qui sont défendues par le juge constitutionnel et les magistrats.

Cet article me semble donc extrêmement important. Loin d’être une simple pétition de principe, il constitue, au contraire, un élément majeur de notre bloc juridique et des principes que nous pourrons collectivement inscrire dans la loi. Et j’en suis très fière ! Je pense que vous partagez également ce sentiment dans la mesure où la commission a été unanime pour défendre cet article. Nos débats découleront de l’unanimité que nous saurons réunir autour de cette déclaration.

M. le président. L'amendement n° 358, présenté par Mmes Blandin, Bouchoux et les membres du groupe écologiste, est ainsi libellé :

Compléter cet article par les mots :

et son expression est garantie par la loi, les traités et les conventions internationales

La parole est à Mme Marie-Christine Blandin.

Mme Marie-Christine Blandin. La phrase « La création artistique est libre » est tellement sonnante, telle une « pépite », comme l’a qualifiée M. le rapporteur, que ni lui ni les membres de la commission n’ont osé l’émailler de compléments !

D’ailleurs, plutôt que de toucher à l’article 1er, le groupe socialiste et républicain a choisi d’introduire un article 1 bis pour la compléter. C’est donc que cette déclaration solennelle enchante les acteurs culturels ! Elle a fait l’objet d’hommages appuyés par la commission des affaires culturelles de l’Assemblée nationale. Face à cet acte symbolique, personne n’a osé rompre le charme, sauf le groupe CRC et le groupe écologiste.

L’amendement que je vous propose, mes chers collègues, n’enlève pas cette phrase non normative, non protectrice, mais qui semble tellement douce aux oreilles de ceux qui en furent les inspirateurs ! Les écologistes vous proposent de la compléter et de la renforcer, en l’inscrivant dans un élan plus universel, incarné dans des conventions et déclarations coécrites, inspirées et ratifiées par la France.

Ces textes internationaux sont des ressources précieuses par leur ambition. En témoigne l’article 27 de la Déclaration universelle des droits de l’homme : « Toute personne a le droit de prendre part librement à la vie culturelle de la communauté, de jouir des arts et de participer au progrès scientifique. » Ainsi, l’ajout que nous proposons n’abîmerait pas la phrase prévue à l’article 1er.

Par ailleurs, ces textes sont aussi précieux par leur rigueur. Je vous renvoie à l’article 4 de la Déclaration universelle de l’UNESCO sur la diversité culturelle : « Nul ne peut invoquer la diversité culturelle pour porter atteinte aux droits de l’homme garantis par le droit international, ni pour en limiter la portée. »

Madame la ministre, tous les beaux exemples de résistance nécessaire aux sombres tentatives de censure vous avez cités sont louables. Ils ne sauraient néanmoins masquer que la France s’est trouvée brutalement confrontée à un obstacle quand elle a voulu empêcher les paroles racistes du spectacle de M. Dieudonné à Paris. Il a fallu recourir à des procédures d’urgence et saisir le Conseil d’État pour prendre des décisions rapides.

Ces déclarations universelles sont, par conséquent, fondatrices de bonheur et de rigueur. (Applaudissements sur les travées du groupe écologiste. – Mme Dominique Gillot applaudit également.)

M. le président. Quel est l’avis la commission ?

M. Jean-Pierre Leleux, rapporteur. Si la commission n’a pas souhaité modifier cet article, ce n’est pas qu’elle n’a pas osé : elle aurait pu le faire. Ce n’est pas non plus pour faire plaisir à Mme la ministre, sachant qu’elle tenait à cette rédaction. C’est parce que cette phrase a du sens, même si je considère, pour ma part, que la liberté de création est intégrée dans la liberté d’expression ; je sais bien le débat entre liberté d’expression et liberté de création.

La commission a donc préféré maintenir l’article 1er en l’état. C’est pourquoi elle émet un avis défavorable sur cet amendement.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

Mme Fleur Pellerin, ministre. Madame la sénatrice, je suis bien évidemment sensible à votre préoccupation. L'article 1er est une consécration législative de la liberté de création et de la spécificité de la démarche artistique. C’est bien en cela qu’il y a une distinction avec la liberté d’expression.

Cet article marque l’attachement de notre pays à la préservation de l’indépendance du processus de création artistique. Il reconnaît la libre expression des artistes et, plus généralement, leur contribution irremplaçable au développement d’une plus grande cohésion de la population, d’un meilleur vivre ensemble, tout en englobant les valeurs d’universalité, de pluralisme et de diversité.

En cela même, par cette simple phrase, cet article porte la traduction dans notre droit positif des engagements ratifiés par la France pour la protection de cette liberté à l’échelon communautaire et international, sous l’égide de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1948, des pactes internationaux de 1966 relatifs aux droits civils, politiques, économiques et sociaux, ou encore des conventions de l’UNESCO.

C’est pourquoi il n’est pas utile – ce serait même redondant – de faire expressément référence à ces textes. J’ai souhaité résumer par une phrase emblématique l’essence de ce que vous indiquez : « La création artistique est libre. » Comme je l’ai dit dans mon propos introductif, cette proclamation me paraît urgente et nécessaire dans la mesure où les attaques et les remises en cause des artistes, des auteurs et de leurs créations ont tendance à se multiplier.

Avec cette formulation, l’article 1er jouera le rôle qu’ont joué les proclamations des grandes lois de la République. Observez bien d’ailleurs que, dans ces grandes lois, il n’est pas indiqué que tel principe énoncé est garanti par la loi : ce serait tautologique. Cet article tire justement sa force de sa concision et de sa construction, sur le modèle des grandes lois que nous connaissons. Par conséquent, je suis défavorable à toute proposition qui pourrait l’affaiblir ou en réduire le sens et la portée.

En revanche, les articles suivants ont vocation à le compléter, notamment en insistant sur la liberté de diffusion et la liberté de programmation artistique. Pour toutes ces raisons, le Gouvernement demande le retrait de cet amendement ; à défaut, il émettra un avis défavorable.

M. le président. Madame Blandin, l'amendement n° 358 est-il maintenu ?

Mme Marie-Christine Blandin. Oui, je le maintiens, monsieur le président !

M. le président. La parole est à M. David Assouline, pour explication de vote.

M. David Assouline. Le groupe socialiste et républicain refuse que l’on touche à l’article 1er, même s’il n’est pas en désaccord avec les idées défendues brillamment par Marie-Christine Blandin. Nous comprenons sa volonté d’asseoir ce principe sur le droit proclamé universel et des textes internationaux.

Toutefois, nous n’en sommes qu’au tout début du texte. Par la suite, y compris lorsque nous déclinerons concrètement à l’article 2 ce que signifie cette proclamation en termes de politique publique, d’accès à la culture et que nous le traduirons dans ce texte, nous aborderons tous ces domaines, y compris des sujets particuliers qui ont été évoqués et le droit à l’expression.

Ce qui importe, c’est, par cette phrase très simple, d’éviter toute ambiguïté, de parvenir à créer ici une certaine unanimité, car personne ne s’oppose à cette proclamation. Indépendamment des postures et parfois des divergences qui peuvent s’exprimer dans cet hémicycle, nous sentons bien que nous vivons un moment où inscrire une telle affirmation est loin d’être anodin.

Dans une autre conjoncture, dans une conjoncture idéale – Mme Mélot a indiqué au cours de la discussion générale qu’il n’y avait jamais eu autant de liberté de création dans notre pays ! –,…

M. David Assouline. … il en aurait peut-être été autrement. Mais nous savons au contraire que certaines forces politiques, y compris quand elles prennent le pouvoir à l’échelon local – heureusement, seulement à cet échelon, pour l’instant ! –, remettent en cause concrètement cette liberté et s’attaquent à elle, que ce soit par les livres, les représentations ou les déprogrammations.

On dénombre de plus en plus d’attaques contre des représentations, des expositions ; Mme la ministre les a énumérées. C’est un phénomène européen. Nous sommes donc à un moment où affirmer cette liberté avec force est important.

Mme Colette Mélot. Ce n’est pas parce que c’est écrit que cela changera grand-chose !

M. David Assouline. Par ailleurs, pour donner à la liberté de création toute sa place, il va falloir évoquer la liberté de diffusion, qui constitue aussi un enjeu majeur ; c’est tout le sens de l'amendement portant article additionnel après l'article 1er que nous proposerons. Sans elle, à l’ère des mass media et de l’internet, la liberté de création peut devenir vide de contenu.

M. le président. La parole est à Mme Catherine Tasca, pour explication de vote.

Mme Catherine Tasca. Madame la ministre, vous avez eu raison de placer ce projet de loi sous le beau drapeau de la liberté de création. Le groupe socialiste et républicain vous soutient bien évidemment et votera cet article. Mais je saisis le moment où nous entamons la discussion des articles pour vous appeler à la vigilance.

Toute liberté ne prend pleinement son sens que si elle a les moyens de son existence. Vous avez évoqué toutes les agressions des censeurs, et c’est un danger qu’il faut en effet combattre. Il en est un autre toutefois : nombre de collectivités territoriales, de départements, de régions privent actuellement de subventions les opérateurs culturels sur leur terrain.

Mme Françoise Férat, rapporteur. Pour quelles raisons ?

Mme Catherine Tasca. Certains le font de manière très brutale – par exemple, le département de l’Allier a supprimé purement et simplement toutes les subventions accordées aux opérateurs culturels – ; d’autres de façon plus sournoise.

Madame la ministre, au moment où vous voulez tellement que notre politique culturelle serve d’appui à la création, ce qui est vital pour notre pays, il va falloir se donner les moyens de contrer cette attaque, qui consiste tout simplement à détricoter ce qu’ont permis des décennies de politiques culturelles, portées d’ailleurs par toutes les majorités dans notre pays. De ce point de vue, l’alternance n’a pas compromis le maillage culturel et artistique de la France. Il va donc falloir contrecarrer cette offensive politique, qui consiste à condamner à mort un très grand nombre d’opérateurs culturels et artistiques.

M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Sueur, pour explication de vote.

M. Jean-Pierre Sueur. J’ai beaucoup de sympathie pour la position de Mme Blandin, mais je ne suis pas d’accord avec la rédaction qu’elle propose. Si son amendement était adopté, l’article 1er serait ainsi rédigé : « La création artistique est libre et son expression est garantie par la loi, les traités et les conventions internationales. » Cela signifierait qu’existent deux entités, deux catégories : la création et l’expression de la création.

Implicitement, on nous convie à adopter une philosophie quelque peu dualiste dans laquelle se trouvent le fond et la forme, le signifiant et le signifié, le contenant et le contenu, l’essence et l’existence, etc. Or, tel qu’il est rédigé, l’article 1er englobe toute la création, sans distinguer le fond de la création et son expression, ce qui est la profondeur et ce qui est la surface ; cela n’a pas de sens.

À l’orée de ce débat, je pense à Guillaume Budé, né à Orléans et mort brûlé, place Maubert, à Paris, par des gens qui ne supportaient pas qu’il fût l’adepte de la souveraine liberté d’esprit. Il a été brûlé ainsi que tous les livres de lui qu’on a pu retrouver. Il était en effet important pour ceux qui avaient commis un tel geste qu’il disparût et que disparussent avec lui tout ce qu’il avait écrit, tout ce qu’il avait pensé, tout ce qu’il avait été, à la fois l’essence et l’existence, le fond et la forme, l’être et la création.

C’est pourquoi cette phrase, parole d’ouverture, parole d’entame - « La création artistique est libre » -, est belle dans sa complétude et dans sa sobriété. (Applaudissements sur plusieurs travées du groupe socialiste et républicain.)

M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° 358.

(L'amendement n'est pas adopté.)

M. le président. L'amendement n° 215, présenté par M. Abate, Mme Gonthier-Maurin, M. P. Laurent, Mme Prunaud et les membres du groupe communiste républicain et citoyen, est ainsi libellé :

Compléter cet article par un alinéa ainsi rédigé :

Toutes les personnes jouissent du droit à la liberté d'expression artistique et de création, qui recouvre le droit d'assister et de contribuer librement aux expressions et créations artistiques par une pratique individuelle ou collective, le droit d'avoir accès aux arts et le droit de diffuser leurs expressions et créations.

La parole est à M. Pierre Laurent.

M. Pierre Laurent. Dans le même esprit, cet amendement vise à compléter l’article 1er, mais notre proposition ne souffrira pas la critique de Jean-Pierre Sueur, puisque nous laissons intacte la première phrase. L’ajout que nous préconisons permettra de renforcer l’article, à l’instar de l’affirmation solennelle qui ouvre la loi de 1881 : « L’imprimerie et la librairie sont libres. » Nous partageons nous aussi totalement l’affirmation qui fonde le texte que nous examinons.

Aussi, nous proposons de compléter l'article 1er par une seconde phrase : « Toutes les personnes jouissent du droit à la liberté d’expression artistique et de création, qui recouvre le droit d’assister et de contribuer librement aux expressions et créations artistiques par une pratique individuelle ou collective, le droit d’avoir accès aux arts et le droit de diffuser leurs expressions et créations. »

D’une certaine manière, nous prolongeons l’intention de nos amis écologistes, puisque cet ajout est directement inspiré des définitions retenues par la convention internationale de l’UNESCO.

Nous sommes sensibles aux arguments qui consistent à vouloir laisser en l’état la force de cette phrase d’ouverture, mais nous estimons que l’article 1er aurait plus de poids encore complété de cette manière.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

M. Jean-Pierre Leleux, rapporteur. J’ai le sentiment que, en souhaitant renforcer l’article 1er, on risque de l’affaiblir. Je maintiens la position de la commission, d’autant que, par les amendements suivants portant articles additionnels après l’article 1er, l’objet de cet amendement sera traité de façon un peu plus précise.

Par conséquent, la commission émet un avis défavorable sur cet amendement.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

Mme Fleur Pellerin, ministre. Comme je viens de le dire à l’occasion de la discussion de l’amendement n° 358, la force de l’article 1er réside dans sa concision et dans sa construction sur le modèle des grandes lois.

Comme vous, monsieur le sénateur, je porte un grand intérêt à la question des droits culturels des citoyens, reconnus par la convention de l’UNESCO de 2005, à laquelle je porte le même niveau d’attention que vous.

Cependant, il me semble que la consécration de la liberté de la création artistique garantit déjà les droits culturels que vous entendez rappeler, comme les différentes formes de pratiques artistiques, les droits d’accès aux arts et la liberté de diffusion.

En outre, l’article 2 du projet de loi, tel qu’il a été modifié par la commission, fait lui aussi directement référence aux droits culturels. Il contient plusieurs garanties en faveur du droit à la libre expression artistique et les décline comme autant d’objectifs des politiques publiques nationales et territoriales en matière de création artistique.

Il me semble que cette double reconnaissance législative crée un environnement juridique suffisamment protecteur pour une partie des aspirations culturelles des citoyens.

Je le répète, je ne souhaite pas affaiblir la force de l’article introductif qui, par sa concision, rappelle les principes essentiels à toute démocratie, tels qu’ils sont affirmés dans les grandes lois que nous connaissons.

Pour cette raison, je vous demande, monsieur le sénateur, de bien vouloir retirer votre amendement ; à défaut, j’émettrai un avis défavorable.

M. le président. La parole est à M. David Assouline, pour explication de vote.

M. David Assouline. Le problème de cet amendement, c’est qu’il tend à définir l’unique phrase de l’article 1er, ce qui réduirait forcément sa portée.

La force de cette phrase, cela a été dit à plusieurs reprises, c’est qu’elle permet beaucoup de choses, y compris des vocations et des interprétations. Ensuite, la loi, qu’on ne veut pas bavarde – nous allons essayer de nous tenir à ce principe, mais c’est assez difficile, le nombre d’articles du texte ayant déjà doublé à l’issue de son examen par l’Assemblée nationale et le Sénat souhaite, lui aussi, apporter sa pierre à l’édifice – définira la liberté de création.

Les précisions que vous souhaitez apporter, mon cher collègue, auraient davantage leur place dans l’article 2, plus détaillé. Je pourrais citer tous les éléments qui manquent dans la rédaction que vous proposez et qui, de ce fait, pourraient ne pas être considérés comme faisant partie des droits fondamentaux en termes de création.

Nous aurons l’occasion d’entrer dans le vif du sujet lors de l’examen des amendements visant à insérer des articles additionnels après l’article 1er, qui abordent le sujet de la diffusion en tant que tel, et de l’article 2, qui définit l’ensemble des acteurs publics concernés et des droits, notamment culturels. Nous verrons alors que nous n’avons pas de divergence de fond.

M. le président. Monsieur Laurent, l'amendement n° 215 est-il maintenu ?

M. Pierre Laurent. Oui, je le maintiens, monsieur le président.

Je précise que nous ne cherchons pas à définir le droit à la liberté de création. Je partage l’idée selon laquelle il n’est pas nécessaire de poser un préalable, de définir cette liberté ou de l’assortir de conditions. Vous connaissez notre attachement, profond et historique, à cette question. Il n’y a pas de divergence de fond entre nous sur ce sujet.

Certes, des précisions sont prévues dans les amendements visant à insérer des articles additionnels après l’article 1er – nous verrons s’ils sont adoptés ! – et à l’article 2. Mais introduire ces dispositions à l’article 1er est de nature non pas à affaiblir la portée de cet article – tel n’est pas du tout notre objectif ! –, mais à lui donner une force plus grande encore.

En effet, la liberté de création, qui doit être totale et sans conditions à nos yeux, nécessite, nous le savons tous, d’être effective. Aussi, les précisions que nous souhaitons apporter renforceraient, selon nous, l’article 1er, mais nous ne sommes manifestement pas d’accord sur ce point.

Ne nous prêtez donc pas des intentions qui nous sont totalement étrangères. Je le répète, nous ne voulons pas amoindrir la force d’un principe auquel nous sommes mille fois attachés.

M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° 215.

(L'amendement n'est pas adopté.)

M. le président. Je mets aux voix l'article 1er.

(L'article 1er est adopté.)

Article 1er (Texte non modifié par la commission)
Dossier législatif : projet de loi relatif à la liberté de la création, à l'architecture et au patrimoine
Article 2 (début)

Articles additionnels après l'article 1er

M. le président. Je suis saisi de deux amendements faisant l'objet d'une discussion commune.

L'amendement n° 68 rectifié, présenté par M. Assouline, Mmes Blondin, Monier et S. Robert, M. Guillaume et les membres du groupe socialiste et républicain, est ainsi libellé :

Après l'article 1er

Insérer un article additionnel ainsi rédigé :

La diffusion de la création artistique est libre. Elle s’exerce dans le respect des principes encadrant la liberté d’expression et conformément aux dispositions de la première partie du code de la propriété intellectuelle.

La parole est à M. David Assouline.

M. David Assouline. La liberté de création ne se pose pas uniquement en termes d’attaques ou de remises en cause de la part d’extrémistes, comme nous en avons parlé jusqu’à présent. Je veux aussi aborder le problème de l’actualité du monde culturel.

Aujourd'hui, on peut écrire ou réaliser un film vite fait – c’est de plus en plus facile ! –, mais la concentration, le monopole des moyens de diffusion conduisent à la diffusion d’œuvres de plus en plus uniformisées, ce qui peut porter atteinte à la liberté de diffusion, mais aussi réduire la diversité de l’offre culturelle.

Aussi, il nous semble tout à fait important d’affirmer dans un article en tant que tel que la diffusion de la création artistique est libre, tout en l’« encadrant » – mais ce n’est pas véritablement un cadre ! –, tout en l’insérant, dirai-je, dans le respect des principes qui guident la liberté d’expression dans notre pays. Nous savons en effet que certains s’abritent parfois derrière ce qu’ils appellent une œuvre artistique, mais qui n’en est pas une en réalité – je rappelle l’affaire Dieudonné – pour pervertir la liberté d’expression. Dans ce cas, des lois existent bien sûr. Il ne s’agit en aucun cas ici d’amoindrir la liberté d’expression. On peut se permettre beaucoup dans la fiction, c’est cela la création.

Par ailleurs, la liberté de diffusion ne peut pas remettre en cause les lois sur la propriété intellectuelle. Il faut protéger le créateur, l’auteur, qui est à la base de tout et doit tirer une rémunération de son art. La liberté de diffusion n’est pas la liberté de voler les œuvres ou de ne pas rémunérer les artistes. Les moyens technologiques permettent aujourd'hui ce genre de choses ; certains grands groupes de l’internet se permettent ainsi de porter atteinte au droit de propriété.

Le présent amendement vise donc à réaffirmer que la diffusion libre donne toute sa force à la liberté de création.

M. le président. L'amendement n° 439 rectifié bis, présenté par Mmes Laborde et Jouve, MM. Amiel, Bertrand, Castelli, Collombat, Fortassin, Guérini et Hue, Mme Malherbe et MM. Requier et Vall, est ainsi libellé :

Après l'article 1er

Insérer un article additionnel ainsi rédigé :

La liberté de programmation, la liberté de diffusion artistique et la liberté de création artistique sont garanties par l’État, les collectivités territoriales et leurs groupements.

La parole est à Mme Françoise Laborde.

Mme Françoise Laborde. Beaucoup de choses ont déjà été dites par mon collègue David Assouline.

Notre groupe a fait le choix de ne pas modifier l’article 1er du projet de loi, mais le principe de liberté de création qui y est consacré n’est pas suffisant pour protéger ceux qui diffusent, programment ou exposent une œuvre d’art. De la même manière que la loi protège la création artistique, elle doit protéger explicitement la diffusion des œuvres, leur programmation et leur publication. Ce sont les œuvres rendues publiques qui sont malheureusement l’objet de vandalisme.

Le présent amendement vise donc à introduire un article additionnel après l’article 1er pour consacrer la liberté de diffusion et la liberté de programmation. La transcription de ces libertés fondamentales dans un article additionnel améliorerait la lisibilité et la visibilité des fondements de la politique de création artistique développée à l’article 2.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

M. Jean-Pierre Leleux, rapporteur. Je tiens à dire à notre collègue David Assouline que sa proposition d’insérer un article additionnel après l’article 1er est très astucieuse, car elle permet de ne pas toucher à l’article 1er. Vous avez bien compris, mon cher collègue, qu’il ne fallait pas le faire. Non pas que l’on n’ait pas osé, madame Blandin, mais parce qu’il ne fallait pas le faire ; c’est comme cela.

Vous y reconnaissez le principe de liberté de diffusion de la création, qui a certes été ajouté par l’Assemblée nationale à l’article 2, que nous examinerons tout à l’heure, tout en encadrant tout de même un peu cette liberté, conformément à nos valeurs fondamentales, qui, au fond, sont assez libérales.

Vous mentionnez le fait que toute liberté connaît tout de même des limites et que la liberté d’expression est encadrée. Je partage votre point de vue. Aussi – peut-être en serez-vous surpris ! –, j’émets un avis favorable sur votre amendement.

L’amendement n° 439 rectifié bis est tout aussi astucieux, mais il est un peu moins bien rédigé que celui de M. Assouline. Aussi, j’y suis défavorable. Mais vous vous y retrouverez, madame Laborde…