M. le président. La parole est à M. David Assouline.

M. David Assouline. Monsieur le président, madame la ministre, madame, monsieur les rapporteurs, madame la présidente de la commission, mes chers collègues, nous entamons au Sénat un débat sur une loi trop longtemps attendue.

Ce texte était attendu, certes, parce que les sujets qu’elle traite méritaient des réponses législatives, mais, surtout, parce que le contexte actuel, dominé par des attaques terroristes contre notre mode de vie en société, mais aussi par une remise en cause de nos valeurs républicaines et de la laïcité, qui nous permettent de vivre ensemble, comme par le chômage de masse, qui mine le lien social, appelait également une réponse culturelle.

C’est notre culture qui est visée, dans ce qu’elle est et ce qu’elle a de magnifique, ce concentré de valeurs universalistes, d’expressions et de représentations qui ont infusé au fil des siècles et les territoires de notre pays, d’apports ininterrompus de tous ceux qui sont venus le peupler et s’y installer ; c’est bien cela qui est la cible particulière des terroristes.

Ils tuent des dessinateurs caricaturistes ou des amoureux de musique dans un concert au Bataclan ; ils tirent sur des terrasses de l’Est Parisien, assassinent des Juifs parce qu’ils sont juifs, dans la France du « J’accuse » de Zola, ou détruisent des trésors archéologiques, patrimoines de l’humanité, brûlent des livres, interdisent des poèmes, des films, des chants et des musiques.

C’est aussi la culture qui est ciblée de plus en plus fréquemment par les intolérants et les extrémistes, qui, en Europe et dans notre pays, saccagent des œuvres et des expositions ou empêchent des représentations au nom de leur idéologie d’exclusion.

La culture est ciblée, mais c’est aussi par la culture que nous devons répondre, par la création, par l’art – tous les arts –, par la défense de notre patrimoine, de tous nos patrimoines.

Plus généralement, je pense que nous devons être capables de redonner du sens à la politique par la culture, et non par l’énoncé sans âme de chiffres et de statistiques économiques.

Dans ce moment où le lien social se délite, où un nombre grandissant de nos concitoyens vit dans la précarité et où la tentation éternelle d’accuser l’autre de ses difficultés de vivre envahit l’espace social et politique, s’émerveiller au plus profond de soi, mais comme tant d’autres, devant une peinture, être bouleversé par un film dans l’obscurité d’une salle, reprendre en chœur par milliers le refrain d’une chanson dans un concert, prendre plaisir à déguster les mots d’un auteur d’il y a plusieurs siècles ou d’un contemporain, par la lecture ou pendant une représentation théâtrale, ou danser sur des rythmes et des musiques qui viennent de tous les continents et de tous les temps, tel est l’antidote à la barbarie, à la haine et à l’ignorance, engrais des moissons de poison.

Oui, parce qu’aujourd’hui nous traversons des crises multiples, notamment des crises terroriste, économique et civique, aujourd’hui moins que jamais, la culture est un supplément d’âme. La culture est notre âme ! Dès lors, nous devons lui redonner toute sa place dans le projet républicain : nous devons être capables de la valoriser, de lui redonner toute sa force, tout son rayonnement et toute sa capacité dynamique d’évocation, de sublimation, d’entraînement, d’utopie, de contestation et de partage d’émotions à nul autre pareil.

Madame la ministre, mes chers collègues, la bataille culturelle pour les valeurs de la République doit être aussi un combat de la République pour la culture !

Le projet de loi que défend Mme la ministre, largement amendé à l’Assemblée nationale, est une pierre importante dans ce combat : il affirme résolument la place de l’art et de la culture dans la République, relance l’éducation artistique, renforce la protection du patrimoine et apporte, enfin, une première réponse à la révolution numérique qui a bouleversé les pratiques artistiques et culturelles.

Grâce à ce texte, les artistes seront mieux protégés et, surtout, mieux rémunérés, par des règles précises et transparentes dans les secteurs musical et cinématographique. En outre, la diversité culturelle et les pratiques amateurs bénéficieront désormais d’une reconnaissance législative, tandis que la libre création des œuvres et la libre programmation des spectacles seront des biens communs garantis par la loi.

Surtout, madame la ministre, vous avez tenu à affirmer avec force dès l’article 1er du projet de loi, à la manière d’une proclamation solennelle, que la liberté de création fait partie des libertés fondamentales. Bravo !

Pour aller dans votre sens, nous proposerons d’introduire après l’article 1er, auquel nous ne voulons rien changer, car il prend toute sa force tel quel, un nouvel article 1er bis concrétisant et renforçant cette affirmation en proclamant aussi : « La diffusion de la création est libre ».

De fait, chacun sait que, dans le contexte actuel de la mondialisation, de la financiarisation de l’économie, de la gigantesque révolution technologique du numérique, du bouleversement de l’offre et des usages et de la tendance à la concentration de la diffusion de la création entre les mains d’un petit nombre de grands acteurs qui contrôlent souvent toute la chaîne d’un secteur, la diffusion de la création est de moins en moins libre, en dépit de toutes les apparences, car l’abondance de l’offre, des supports et des consommateurs qui peuvent recevoir l’offre ne garantit pas la diversité de celle-ci.

De ce point de vue, aucun secteur n’est épargné : ni la création audiovisuelle ou cinématographique, ni la musique, ni le spectacle vivant, ni même le livre ou les arts visuels. À tel point que, pour que la création soit libre, c’est aujourd’hui sa diffusion qui doit être libérée. Comment ? En la régulant, pour s’assurer que ni le contenu de la création, ni son exposition, ni son financement ne sont touchés par l’uniformisation, qui est la négation de la création artistique.

Or, comme toujours, le marché fait son œuvre, mais sa seule logique, brutale parce que guidée avant tout par la recherche du profit maximum et par le rapport de forces financier et économique, ne permet pas de préserver ni de promouvoir la diversité et la qualité de l’offre créative, qui sont au cœur de l’exception culturelle que la France défend avec constance, et souvent avec succès, dans toutes les enceintes de la délibération, de la négociation et de la gouvernance internationales.

Ainsi, la France a obtenu que les biens culturels soient retirés de la négociation du traité transatlantique, et nous avons marqué des points encourageants, qui ne doivent pas nous conduire à relâcher notre vigilance, sur la directive Droit d’auteur, en préparation au niveau européen.

Cette tendance à la concentration a pour conséquence le délitement de cette exception culturelle, qui était au cœur du consensus républicain sur la culture, ainsi que l’effacement progressif du citoyen au profit du consommateur.

L’exception culturelle, chacun certes se sent obligé de s’y référer, et cela n’est pas à négliger, mais ce qui domine dans le monde et submerge les digues que nous avions patiemment construites, c’est la transformation de la culture en une marchandise comme les autres. Or cette conception mine les deux grandes ambitions culturelles de la République, intimement liées et dépendantes l’une de l’autre : l’égalité d’accès des citoyens aux œuvres artistiques dans tous les domaines ; la protection de la liberté de création et des créateurs, ainsi que l’aide à tous deux.

Nous savons que les « industries culturelles », comme l’on dit aujourd’hui, de façon à mon sens impropre (M. Michel Le Scouarnec opine.), abritent plus d’emplois que l’industrie automobile, et que, dans la concurrence sans limites actuelle, il nous faut disposer de grands acteurs conquérants au plan international. Seulement, nous pouvons y parvenir en préservant l’indépendance de la création, de toute la chaîne de la création : auteurs, artistes, interprètes, producteurs et même diffuseurs. Bien plus, j’affirme avec force que nous pouvons y parvenir en préservant l’exception et la diversité culturelles !

Pour ce faire, de justes rémunérations doivent être servies à chaque étape de la chaîne, car la captation de la valeur par quelques grands acteurs connus qui s’émancipent de l’équité fiscale comme des protections du droit d’auteur, au premier rang desquels Google, Amazon, Facebook et Apple, met en péril les créateurs, qui sont au fondement de tout.

Il faut aussi veiller à la diversité et à l’indépendance des contenus proposés. C’est pourquoi nous n’entendons pas laisser à l’écart du projet de loi les questions qui touchent à l’audiovisuel et aux rapports producteurs-diffuseurs, ni celles qui sont liées à l’indépendance des rédactions et des productions des groupes de l’audiovisuel privé vis-à-vis de leurs actionnaires, lesquels, du reste, en vertu d’une particularité française qui n’est pas à notre avantage, ont souvent peu à voir avec le monde de la création et de l’information, ni d’ailleurs avec celui des médias en général.

Dans cet esprit, nous défendrons des amendements visant à compléter le projet de loi initial du Gouvernement, notamment en matière d’indépendance des rédactions et des producteurs, ou à corriger des excès issus des travaux de notre commission et du rapporteur Jean-Pierre Leleux ; je pense en particulier aux dispositions relatives aux rapports entre les producteurs indépendants et les diffuseurs, dont l’application, en l’état actuel de leur rédaction, reviendrait à tuer tout le tissu de la production indépendante, tel qu’il existe aujourd’hui.

Par ailleurs, nous tenons à défendre le maintien dans le projet de loi des dispositions qui sont issues de nos amendements adoptés par la commission en ce qui concerne la redevance pour copie privée et le renforcement de la transparence dans les domaines de l’audiovisuel et du cinéma, aux fins de garantir de justes rémunérations aux auteurs et aux artistes.

Sur les questions importantes se rapportant à l’archéologie préventive, à l’architecture et à la défense du patrimoine, nous soutiendrons toutes les mesures qui iront dans le sens d’une modernisation, tout en préservant la philosophie et les dispositifs qui ont fait leurs preuves, des dispositifs souvent engagés et conçus d'ailleurs sous l’impulsion de notre ami et ancien collègue Yves Dauge. En d’autres termes, il n’est question ni de brader la qualité et la bonne harmonie des relations entre l’État et les collectivités territoriales, ni de faire prévaloir, s’agissant de notre patrimoine, une logique privée libérale au détriment du rôle de l’État, garant de la conservation de nos trésors patrimoniaux.

Madame la ministre, mes chers collègues, après l’inscription dans la loi du régime spécifique des intermittents du spectacle, après des arbitrages budgétaires se traduisant par des crédits enfin en augmentation et après l’engagement de l’État à travers des pactes culturels conclus avec les collectivités territoriales, le présent projet de loi concrétise l’engagement du Gouvernement et de la gauche en faveur des artistes et de la création artistique, ainsi que de la relance d’une politique de défense et de promotion de notre patrimoine.

Nous le soutenons et nous essaierons de l’améliorer en séance, comme nous avons commencé de le faire en commission sur des sujets importants. Nous espérons voter en sa faveur, pourvu, bien entendu, que nos délibérations n’aient pas conduit à le dénaturer ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain et du groupe écologiste. – Mme Françoise Laborde applaudit également.)

M. le président. La parole est à Mme Marie-Christine Blandin.

Mme Marie-Christine Blandin. Monsieur le président, madame la ministre, madame la présidente de la commission, madame, monsieur les rapporteurs, mes chers collègues, voici enfin, en un seul texte, le projet tant attendu sur la culture, le beau projet que les artistes appellent de leurs vœux, le nécessaire projet qui doit garantir l’engagement de l’État et des collectivités territoriales vis-à-vis d’une société pleine d’incertitudes.

La culture donne à comprendre et à ressentir le monde tel qu’il est, tel qu’il peut devenir et aussi tel qu’il fut. La création se nourrit de la sensibilité aiguisée des artistes et utilise toutes les voies sensibles pour nous faire entrer en émotion : grâce à elle, nous rions, nous rêvons, nous nous révoltons, nous sommes déstabilisés, nous partageons des réflexions, nous rencontrons les autres.

Qui ne se souvient d’un concert qui l’a enthousiasmé, d’un livre ou d’un film qu’il a voulu partager avec ses amis, ses voisins ou ses collègues ? Qui ne s’est pas lui-même étonné de l’effet intime et profond que produisait en lui ou en elle un tableau découvert dans un musée ou une sculpture rencontrée dans l’espace public ? Qui n’est pas ressorti ébloui d’un cirque ou d’une exposition ? Qui n’a jamais eu ses certitudes ébranlées à la sortie d’une pièce de théâtre ?

La France de 2015, parcourue par des frissons d’effroi, par des élans de compassion, par de bonnes résolutions, est aussi traversée par quelques relents xénophobes. Moins que jamais, elle ne doit laisser quiconque dans une solitude aigrie et peureuse.

Les droits culturels, salués par l’ensemble du Sénat, ne sont pas un luxe. Ils sont, pour chacun, des promesses de développement individuel, d’épanouissement et d’émancipation. Ils sont aussi des ferments de démocratie et d’enrichissement par la rencontre. Ils sont la fondation d’un avenir commun désirable, « dans le respect de l’égalité entre les femmes et les hommes », comme le précise à juste titre l’alinéa 3 de l’article 2 du projet de loi.

De fait, il y a grand besoin de redresser l’injustice culturelle en matière de parité. Au demeurant, nous aurions pu ajouter aussi « sans aucune autre discrimination », tant restent nombreux les mises à l’écart et les chemins d’accès lisibles ou praticables seulement par quelques-uns. Il est impératif que les politiques publiques culturelles reconnaissent à chacun une égale dignité, qu’il soit pauvre ou riche, rural ou urbain, valide ou non, né en France ou ailleurs, amateur de slam ou passionné de chant grégorien.

Or je ne suis pas certaine que tout notre peuple, dans sa diversité et avec son foisonnement d’activités, ses aspirations et ses milliers de parcours en héritage, ait été convié à l’élaboration du projet de loi et pourra, demain, participer réellement à la vie culturelle et à la création, ni que la mue de l’ancien ministère des beaux-arts en ministère de la culture du XXIe siècle, sonnant à l’heure de l’e-society et des banlieues bigarrées, soit vraiment achevée…

À la vérité, passée la phrase symbolique « La création est libre » – qui, au demeurant, n’est pas normative et n’engage pas à grand-chose –, le souffle est vite retombé au profit d’un dialogue entre services du ministère et professionnels. Tandis que certains articles juxtaposent des intérêts particuliers, les parlementaires ont été harcelés pour faire pencher le fléau entre architectes et géomètres, auteurs et interprètes, éditeurs financeurs et producteurs, archéologues de l’INRAP, l’Institut national de recherches archéologiques préventives, et entreprises privées. Malheur à ceux qui n’ont pas les bonnes entrées, comme les paysagistes, les photographes et les artistes des musiques actuelles !

Les tables rondes de la commission ont aussi été le théâtre d’âpres revendications concurrentielles concernant le partage de la ressource, les garanties d’obligations de recours à des professionnels et les possibilités de dérogation.

Bien sûr – nous ne sommes pas naïfs –, la loi ne fait pas de poésie, mais fixe des cadres. Encore faut-il que ceux-ci soient inspirés, garants de la permanence artistique sur le territoire et de l’autonomie des programmations et fidèles aux conventions internationales dont nous sommes plus prompts à brandir le nom qu’à décliner les contenus… C’est dans cette perspective que les écologistes défendront leurs amendements.

Nous formons des vœux pour que les conférences territoriales de l’action publique et leur volet « culture » ne se résument pas à des tours de table de financeurs, mais qu’elles se nourrissent des dynamiques du territoire et des aspirations et talents des habitants, amateurs comme professionnels, qu’elles n’oublient ni la culture ouvrière, ni la culture rurale, ni la culture scientifique et qu’elles prennent en compte les itinéraires de chacun, pour garantir la qualité de la stratégie publique. En effet, c’est l’authenticité de cette attention qui fait rayonnement, alors que la finalité du rayonnement ne garantit pas que l’on tisse du lien.

Je terminerai sur une note sociale : ni les réunions interministérielles ni les commissions parlementaires n’ont pris à bras-le-corps les injustices pesantes qui entravent la constitution des droits sociaux des artistes, et plus particulièrement des plasticiens, en matière de couverture maladie ou de retraite. Le Gouvernement a fait avancer le dossier de l’intermittence, c’est une bonne chose, mais le soutien à la création, c’est aussi la dignité de l’accueil à Pôle Emploi et la réparation de « trous » dans le filet protecteur, au risque de bousculer le fonctionnement en silo de certains guichets. (Applaudissements sur les travées du groupe écologiste et sur plusieurs travées du groupe socialiste et républicain et du groupe CRC, ainsi qu’au banc des commissions.)

M. le président. La parole est à M. David Rachline.

M. David Rachline. Madame la ministre, votre ambition pour la culture est bien floue, et nous le regrettons.

Il semble écrit que le gouvernement auquel vous appartenez soit malheureusement plus habile dans les effets de manche que dans l’exercice du pouvoir. (Protestations sur plusieurs travées du groupe socialiste et républicain. – Mme Françoise Laborde s’exclame.) Car ce texte sur la culture, l’unique du quinquennat, alors que le parti socialiste ne cesse de donner des leçons en la matière (Mme Dominique Gillot s’exclame.), affirmant être le seul capable de la valoriser, ressemble à une mauvaise ratatouille : il y a de tout, sur tous les sujets. C’est donc évidemment une déception.

Nous aurions aimé, comme vous l’aviez annoncé, une grande loi sur la création artistique, une autre sur l’architecture et une autre sur le patrimoine.

Par ces temps de perte de repères, de crise d’identité, la culture est véritablement l’élément fédérateur, le socle commun qui unit les Français.

La culture, c’est une langue qu’il faut défendre – je ne reviendrai pas sur la réforme ubuesque de l’orthographe (Mme Maryvonne Blondin s’exclame.) –, c’est un patrimoine musical, littéraire, architectural à conserver et promouvoir, ce sont des traditions locales à préserver, c’est le sens du service des millions de Français, souvent bénévoles, qui font vivre cette culture.

Permettez-moi de dire qu’avec tant d’or entre les mains votre projet de loi fait grise mine. J’aimerais en souligner quelques points.

Sur le patrimoine tout d’abord, je déplore que la création des cités historiques masque une fois de plus le désengagement de l’État. Jamais, depuis les lois de décentralisation, le modèle de financement global de la culture en France n’a été aussi menacé par les coupes claires opérées dans les dotations de l’État aux collectivités territoriales. Aujourd’hui, la baisse drastique des dotations semble être la seule réponse de ce gouvernement. (M. David Assouline s’exclame.)

Votre projet est de fusionner trois catégories d’espaces protégés existantes – les secteurs sauvegardés, les zones de protection du patrimoine architectural, urbain et paysager et les aires de valorisation de l’architecture et du patrimoine – au sein d’un nouveau régime de protection : les cités historiques.

La mise en œuvre de ce nouveau régime serait entièrement déléguée aux collectivités territoriales. Cette gestion décentralisée risque à l’évidence de créer des disparités énormes mettant en danger notre patrimoine. Le travail de la commission a été de ce point de vue intéressant.

Les principes essentiels de protection et le rôle de l’État dans la création des secteurs sauvegardés et des zones de protection du patrimoine architectural, urbain et paysager sont maintenus, et la protection du patrimoine réintègre le code du patrimoine.

Je m’oppose aussi à ce que la redélimitation du périmètre protégé de 500 mètres autour d’un monument historique se fasse sur l’initiative de la commune, la validation de l’État n’intervenant qu’a posteriori.

Les Français attendent que notre pays reste à la pointe de la protection du patrimoine. C’est un défi à relever, car nous sommes tributaires d’un héritage qu’il nous faut transmettre.

Concernant l’architecture, j’approuve certaines modifications apportées par la commission. Je pense notamment à celles qui portent sur les points suivants : l’abaissement à 150 mètres carrés du seuil de recours obligatoire à un architecte qui aurait pour conséquence une augmentation de frais pour nos concitoyens ; le délai réduit d’instruction du permis de construire pour les personnes faisant appel à un architecte sans y être obligées, qui provoquerait un engorgement général de nos services municipaux. Ces mesures auraient des conséquences particulièrement douloureuses, singulièrement pour certaines entreprises de construction.

S’agissant de l’article 11 A, je m’oppose à ce que l’on vienne toucher un domaine qui fait honneur à notre société. On ne comprend pas très bien pour quelles raisons vous venez vous en mêler, au risque de le contraindre : c’est celui des bénévoles, que vous vous plaisez à appeler « artistes amateurs ». Je le rappelle, bénévolat rime souvent avec excellence, j’en veux pour preuve le succès de l’admirable cinéscénie du Puy du Fou en Vendée.

Aujourd’hui, vous laissez une entière liberté aux bénévoles, alors que votre projet initial laissait craindre le contraire. Nous verrons donc comment tout cela évoluera dans le cadre de nos débats.

Nous nous opposons à ce qu’on limite le nombre de représentations des spectacles bénévoles : laissons les hommes et les femmes de bonne volonté s’investir autant qu’ils le souhaitent.

Sur ce texte où se mêlent le bon et, surtout, le beaucoup moins bon, nous conditionnons notre vote à l’évolution de nos travaux dans cet hémicycle.

M. le président. La parole est à Mme Françoise Laborde.

Mme Françoise Laborde. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, la liberté de création est une liberté essentielle. Pour nous, en France, elle peut paraître évidente, mais, comme toute liberté, elle est fragile, et nous devons la préserver.

En décembre dernier, nous avons été effarés par les événements qui se sont produits à Toulouse, à l’occasion de l’exposition du photographe Olivier Ciappa portant, je vous le rappelle, sur l’« universalité du sentiment amoureux » et représentant notamment des couples homosexuels. Par trois fois, elle a été vandalisée, taguée d’inscriptions homophobes.

Kandisky l’affirmait dans son célèbre Regards sur le passé : « l’essentiel n’est pas que la forme soit personnelle, nationale, d’un beau style, qu’elle corresponde ou non au courant général de l’époque […] l’essentiel, dans la question de la forme, est de savoir si elle est née d’une nécessité intérieure ou non. »

Proclamer la liberté de création artistique, c’est encourager cette nécessité intérieure à s’exprimer, et permettre aux artistes de s’investir sans réserve dans la noble mission qui leur incombe. N’oublions pas que la création doit bénéficier à un large public, qui doit y avoir accès et même s’inspirer des créations artistiques. Je suis particulièrement sensible à ce sujet et je soutiens les dynamiques locales, qui créent du lien entre les populations, stimulent l’économie – il faut le dire et le répéter – et contribuent à la richesse de notre patrimoine national.

Au cœur de cette question réside la notion de politique de service public en faveur de la création artistique. Il doit être possible à tous d’accéder au questionnement, à l’invitation contenue dans chaque œuvre artistique, et ce quels que soient le lieu de résidence ou les revenus de nos concitoyens ! Il nous faut soutenir la diffusion artistique auprès du public, dans les écoles pour y éveiller les sensibilités, dans les rues, comme à Aurillac avec le Festival international de théâtre de rue, cher à mon collègue Jacques Mézard, dans nos parcs, dans nos musées ou dans les fonds régionaux d’art contemporain.

Le maillage exceptionnel de nos territoires par les associations et les écoles d’art est une richesse à défendre, une garantie de création et, en même temps, un moteur pour notre économie.

Enfin, la préservation de notre héritage commun est une nécessité. Je suis attentive et vigilante au renforcement de la protection du patrimoine. Il faut permettre le partage avec le plus grand nombre de ces richesses et créer les conditions d’émergence du patrimoine de demain.

Sur toutes ces questions, le projet de loi relatif à la liberté de création, à l’architecture et au patrimoine apporte des réponses. Nous attendions depuis longtemps des mesures pour sécuriser les pratiques amateurs, préserver l’équilibre entre les acteurs de la création artistique, favoriser l’enseignement artistique dans nos territoires, créer les conditions de l’accès de tous à la culture, et fixer les grands principes de service public en faveur de la création artistique.

Nous souscrivons à la consécration de la liberté de création, inscrite à l’article 1er du texte, que je propose de compléter en prévoyant la garantie des libertés de diffusion et de programmation.

S’agissant de l’enseignement artistique, nous souhaiterions maintenir sa qualité dans nos territoires et obtenir l’assurance d’une collaboration efficace entre l’État et les collectivités locales. Nous souhaitons voir inscrit dans la loi le financement par l’État du troisième cycle des conservatoires. Par ailleurs, il est crucial d’affirmer le rôle de l’État dans le contrôle pédagogique des écoles d’art plastique et du spectacle vivant, afin d’assurer la cohérence du niveau de l’enseignement dans les différents territoires, sans oublier de renforcer l’organisation des cycles d’enseignements professionnels initiaux, qui font peser un trop lourd tribut sur les communes. Hélas, l’amendement que j’avais déposé sur ce sujet est tombé sous le coup de l’article 40 de la Constitution, je n’hésiterai pas à le rappeler dans la suite de nos débats.

Je suis heureuse que l’Assemblée nationale ait rénové le cadre juridique des pratiques artistiques amateurs : nos douze millions d’amateurs sont une grande richesse. Nous souhaitons encourager leurs pratiques, tout en défendant l’emploi artistique. Saluons à ce titre les amendements adoptés par notre commission de la culture.

Pour protéger les droits des artistes-interprètes, nous proposerons un certain nombre de dispositions visant un meilleur équilibre et davantage de transparence.

L’accord d’octobre dernier, issu de la médiation confiée à Marc Schwartz, nous paraît insuffisant pour garantir la rémunération minimale des artistes-interprètes lors de l’exploitation de leurs enregistrements en streaming.

Enfin, je regrette certains ajouts de la commission, notamment l’introduction arbitraire de seuils et dérogations, sans que leurs conséquences aient été mesurées. Les filières de la production indépendante audiovisuelle et de la création musicale d’expression française sont deux sources de diversité, qu’il faut préserver. C’est pourquoi je proposerai, sur ces deux sujets, de revenir au droit existant et de laisser libre cours aux négociations actuelles.

Concernant le patrimoine et l’architecture, nous souhaitons maintenir et renforcer un haut niveau de création architecturale en France, qui ne doit pas se faire au détriment des professions du bâtiment, de l’expertise topographique et de l’accès à la propriété, surtout dans les territoires ruraux, où le prix du foncier est faible et doit le rester. Ma collègue Mireille Jouve reviendra sur le titre II du projet de loi.

Si nous sommes favorables à certaines dispositions, les débats doivent encore nous permettre d’améliorer un projet de loi que nous espérons pouvoir approuver la semaine prochaine. (Applaudissements sur les travées du RDSE et du groupe socialiste et républicain. – Mme Corinne Bouchoux et M. Jean-François Longeot applaudissent également.)