M. Jean-Marie Bockel. Madame la présidente, messieurs les secrétaires d’État, mes chers collègues, tant mieux si ce débat arrive avant la fin du délai de quatre mois, car il s’agit non pas d’une simple obligation constitutionnelle, mais d’une exigence morale après les attentats du 13 novembre dernier.

Je tiens à lever d’emblée toute ambiguïté : le groupe UDI-UC votera en faveur de la prorogation de l’intervention en Syrie.

Ce vote est l’une des traductions de notre volonté de soutenir notre pays dans la lutte contre l’État islamique. Et nous serons prêts à nous associer à toutes les mesures utiles pour assurer notre défense et la protection de nos concitoyens.

L’unité nationale – oui, l’unité nationale ! –, dans les circonstances graves que nous traversons, n’est pas une vaine expression. Nous la devons aux victimes ; nous la devons également à l’ensemble de nos concitoyens. Elle nous oblige, en tant que parlementaires ; elle oblige aussi le ministre des affaires étrangères, dans sa tâche, comme elle oblige l’ensemble du Gouvernement.

Notre vote ne saurait ainsi nous dédouaner de toute responsabilité à l’égard de nos compatriotes. Ils se posent des questions sur la nature, les perspectives et l’efficacité de cette intervention. Et ces questions, nous devons à notre tour les poser au Gouvernement.

La France a, depuis dix jours, renforcé en profondeur son engagement contre l’État islamique, ce qui permettra de tripler les capacités d’action aérienne de l’opération Chammal.

Le groupe UDI-UC salue cet engagement de la France dans la lutte contre Daech qui est conforme à son rang de membre du Conseil de sécurité des Nations unies. Nous nous devions de réagir rapidement et le plus fermement possible face à des attentats qui avaient tous les contours d’une attaque à la fois terroriste et guerrière.

Toutefois, au-delà de l’émotion que chacun peut encore ressentir après les événements du 13 novembre, il est de notre devoir d’analyser la situation avec calme et sang-froid, ce que nous faisons tous, ce soir.

Nous bombardons l’État islamique depuis près d’une année en Irak et quatre mois en Syrie. La France assure une part substantielle des frappes aériennes aux côtés des États-Unis et des alliés de la coalition.

J’avais eu l’occasion, au mois de septembre dernier, de saluer le déclenchement de cette intervention, au nom de mon groupe. En Irak comme en Syrie, le déploiement de nos forces aériennes a contribué à endiguer l’expansion territoriale spectaculaire de l’État islamique. Mais endiguer n’est pas réduire.

Les frappes aériennes ne suffiront pas à vaincre un ennemi au sol. Attaquer les sources de financement, les assécher, s’en prendre au recrutement, clarifier les ambiguïtés qui peuvent encore exister ici ou là, tout cela, il faudra le faire. Pour autant, la question d’une intervention au sol – que nous évoquons forcément tous – semble désormais posée, afin de parachever, le moment venu, les résultats obtenus à la suite de nos engagements.

La France ne peut se lancer seule dans ce combat. Ce n’est pas son rôle, ni celui de l’Europe, ni même celui de l’Occident, que de former un contingent d’intervention terrestre, dont la présence au Moyen-Orient pourrait durer de nombreuses années. Nous devons tirer les enseignements de l’histoire et méditer l’exemple des interventions en Irak et ailleurs.

Toute intervention ne peut être que multilatérale et ne pourrait, le moment venu, qu’être assurée par une large coalition, sous couvert des Nations unies, à partir des puissances militaires régionales disposant de la légitimité historique pour agir dans ces territoires. Ces puissances, nous les connaissons : la Russie – incontournable –, l’Iran, la Turquie, les Kurdes – nous avons tous à l’esprit leur engagement et leur courage –, l’Égypte sûrement et, peut-être – il le faudrait –, les pays du Golfe, voire, enfin, les pays concernés – l’Irak assurément, mais aussi, le moment venu, certaines forces syriennes, selon des conditions et des modalités à définir.

La France devra, le cas échéant, avec d’autres nations, soutenir une telle coalition, notamment par le biais de frappes aériennes et d’un soutien logistique.

Toutefois, à la lumière de l’incident du chasseur russe abattu par les forces turques hier matin, il est devenu patent que ces acteurs régionaux, parfois déjà engagés dans la lutte contre l’État islamique, ne partagent pas nécessairement les mêmes buts de guerre ni les mêmes intérêts stratégiques dans la région.

C'est la raison pour laquelle tous les pays que j’ai cités, ainsi que la coalition actuelle et celle qui est en devenir, devront trouver un terrain d’entente pour agir ensemble. Et cela en dépit de leurs mésententes historiques, à commencer par la rivalité entre sunnites et chiites au Moyen-Orient. Les rivalités historiques, ancestrales, sont faites aussi pour être surmontées autour d’objectifs communs.

L’unification de la coalition autour d’objectifs militaires et politiques définis s’impose ainsi comme un véritable défi diplomatique. Mais c’est un défi qu’il faut impérativement relever, comme l’illustre le ballet diplomatique – encore en cours – de cette semaine.

Bien sûr, ce n’est pas gagné. La France a un rôle clé à jouer dans la réunion de ces pays autour d’un but commun et d’une solution politique crédible en Syrie et en Irak. L’attaque dont notre pays a été victime a marqué les esprits dans le monde entier. Nous avons clarifié depuis lors notre position diplomatique. Toutes les conditions sont donc réunies pour que la France puisse pleinement jouer tout son rôle.

Pour ce faire, nous devons continuer de nous engager, comme le fait actuellement le Président de la République, pour convaincre nos partenaires européens et américains, mais aussi les Russes – acteurs incontournables – et la Turquie – grande puissance régionale – de s’investir davantage dans la lutte contre l’État islamique.

Cet effort de positionnement, le Président de la République l’a réalisé lui-même lors du Congrès, à Versailles, en désignant clairement l’État islamique comme notre ennemi principal. Il s’agit d’un tournant, d’une position plus lisible et plus forte que le « ni Assad ni Daech ». Je ne fais aucun retour en arrière, ce n’est pas le sujet, et ne suis aucunement le greffier des déclarations des uns et des autres. Allons de l’avant !

Il s’agit donc d’un tournant important en termes de crédibilité. À ce titre, et au regard du contexte géopolitique qui se dessine sous nos yeux au Moyen-Orient, la question du sort de Bachar al-Assad reste bien évidemment posée – il ne peut incarner l’avenir –, mais elle ne saurait être le préalable à la définition d’un cadre politique pour déraciner l’État islamique en Syrie.

Je mesure à quel point cette tâche est difficile, a fortiori dans des délais aussi contraints. Notre diplomatie doit en effet conduire chacun de nos partenaires dans la lutte contre l’État islamique à adapter sa stratégie et ses alliances. Ainsi, la France a, à juste titre, invoqué la clause de défense mutuelle de l’Union européenne. Sa demande a été approuvée à l’unanimité par les pays membres, l’assurant ainsi de leur soutien.

Le groupe UDI-UC, sensible, comme d’autres, à la cause européenne, espère que cette démarche contribuera à relancer l’Europe de la défense, à quelques semaines du prochain Conseil européen. (M. Philippe Bonnecarrère applaudit.)

Dans le contexte actuel, l’ensemble de nos partenaires européens devront se positionner, même les plus réticents aux opérations extérieures. Je partage avec beaucoup d’entre vous, mes chers collègues, un certain scepticisme quant à la volonté de beaucoup de s’engager réellement. Dans le même temps, j’observe avec satisfaction que, dans le meilleur esprit de solidarité franco-allemande, le gouvernement allemand a aujourd’hui fait part de sa volonté de déployer 650 soldats au Mali, afin de soulager la France dans son combat en Syrie contre l’État islamique. Quand on connaît l’état d’esprit allemand actuel, c’est un pas important.

Cette nouvelle approche du dossier syrien a d’ores et déjà produit ses effets au sein des enceintes internationales. Si l’OTAN est un partenaire incontournable, la première étape de la bataille diplomatique entreprise par la France a été de solliciter le Conseil de Sécurité des Nations unies, lequel a immédiatement répondu en adoptant, la semaine dernière, à l’unanimité, la résolution proposée par notre pays appelant tous les États qui le peuvent à lutter contre l’État islamique.

Cette résolution donne un cadre légal et politique à l’action internationale en vue d’éradiquer Daech en Syrie et en Irak. C’est une véritable avancée au regard des différents blocages qui pouvaient demeurer au Conseil de sécurité quant à la question syrienne depuis 2011. Elle doit maintenant se traduire en actes, et c’est une autre affaire !

Au-delà de la seule Syrie, l’État islamique est une menace majeure non seulement au Proche et au Moyen-Orient, mais aussi pour notre sécurité nationale.

Dans le combat contre le terrorisme et le radicalisme islamique, la protection du territoire national et les opérations extérieures ne peuvent être dissociées. Le combat se joue non seulement chez nous, mais aussi chez nos voisins. La France a été touchée, d’autres peuvent l’être.

Notre sécurité intérieure et notre défense nationale disposent de moyens de grande valeur, mais insuffisants, alors que jamais autant de fronts n’ont été ouverts contre la France ces dernières décennies. Nous sommes face à un véritable paradoxe stratégique qu’il est urgent de résoudre.

À la suite du renforcement du dispositif Sentinelle, on compte désormais 34 000 militaires déployés sur le territoire national et en opérations extérieures. Or, dans le cadre de notre engagement dans la bande sahélo-saharienne, les moyens de l’armée française ne sont pas illimités, et le renforcement nécessaire du dispositif Sentinelle empiète sur ces moyens.

Nous l’avons constaté avec tristesse lors des attentats de Bamako, la situation est encore loin d’être stabilisée au Mali. En outre, nous savons que le djihadisme poursuit sa prolifération dans le Sahel, autour d’AQMI, et plus au sud de l’Afrique, avec Boko Haram.

Le groupe UDI-UC salue l’annonce du Président de la République relative au gel de la déflation des effectifs de la défense jusqu’en 2019. Nous attendons de voir les traductions législatives concrètes de cet engagement, notamment à l’occasion de l’examen, vendredi prochain, dans cet hémicycle, de la mission budgétaire « Défense ».

Cependant, cette mesure ne sera pas suffisante tant la menace est diffuse et permanente. C’est pourquoi il est nécessaire de définir des moyens innovants pour assurer notre sécurité nationale sans saturer notre outil de défense.

Ainsi, outre l’augmentation de la réserve, déjà prévue par la loi de programmation militaire, l’annonce par le Président de la République, au Congrès de Versailles, de créer une garde nationale, que réclament un certain nombre de parlementaires depuis longtemps, ouvre une réflexion nouvelle en termes de défense du territoire et de prise en compte de la volonté d’engagement de nombre de nos concitoyens.

Néanmoins, cette garde nationale suscite encore un certain nombre d’interrogations. Elle ne saurait se substituer à notre outil de défense et aux militaires de métier, ni à la gendarmerie et à la police. Pour autant, il est important de travailler sur cette question. Ce matin, lors de la réunion de la commission des affaires étrangères, son président, Jean-Pierre Raffarin, et moi-même l’avons évoquée. Je pense que nous pourrons faire des propositions. En tout cas, nos concitoyens attendent nos décisions. Pendant des années encore, nous devrons certainement nous retrouver autour de cette question. Quoi qu’il en soit, préservons notre unité nationale, c’est essentiel ! (Applaudissements sur les travées de l'UDI-UC, du groupe Les Républicains, du RDSE et du groupe socialiste et républicain.)

Mme la présidente. La parole est à Mme Michelle Demessine, pour le groupe CRC.

Mme Michelle Demessine. Madame la présidente, messieurs les secrétaires d’État, mes chers collègues, alors que notre pays est encore sous le choc des attentats du 13 novembre dernier, notre débat de ce jour a pour objet de permettre au Parlement d’autoriser le Gouvernement à prolonger de quelques mois l’engagement de nos forces aériennes au-dessus du territoire syrien.

Malgré les apparences, puisque la décision d’intensifier ces opérations a été prise depuis quelque temps et que les interventions ont commencé depuis quelques jours, ce débat n’est pas une formalité juridique.

La principale raison invoquée par le Gouvernement pour légitimer ces opérations militaires menées à l’étranger, c’est qu’il convient de répondre à des menaces directes exercées contre notre pays et sa population. Bien sûr, en prenant la parole, nous avons sur le cœur un poids, celui des cent trente victimes et des blessés, à qui nous pensons très fort en cet instant.

La situation est grave. Elle est complexe, comme le sont les analyses et les solutions à mettre en œuvre pour travailler à la construction d’une paix durable.

C’est la raison pour laquelle mon groupe se félicite tout d’abord, que, conformément à nos institutions, ce débat démocratique au sein des assemblées parlementaires puisse avoir lieu, pour que nous puissions examiner en toute connaissance de cause une décision impliquant aussi lourdement notre pays.

Le 15 septembre dernier, nous avions eu un premier débat sur cette problématique, à la suite de l’annonce par le Président de la République, lors de sa conférence de presse biannuelle, de procéder à des vols de reconnaissance au-dessus du territoire syrien en vue de bombardements. Nous avions alors fait part d’un certain nombre de réserves sur l’efficacité même de ces bombardements et sur la stratégie mise en œuvre pour aboutir à une solution politique de ce conflit régional.

À nos yeux, ces questions se posent toujours – et il est légitime de les poser –, mais, selon nous, dans un contexte profondément bouleversé.

Ainsi, les attentats meurtriers à Paris du 13 novembre donnent une dimension totalement nouvelle, dramatique, aux menaces contre notre pays et sa population.

Les opérations aériennes de la Russie en Syrie, les initiatives diplomatiques en faveur de la formation d’une coalition unique pour lutter contre Daech, les propositions de solutions politiques pour une transition qui ont permis la reprise des négociations à Vienne sur l’avenir de la Syrie, ainsi que le changement d’attitude des Américains par rapport à l’Iran sont autant d’éléments qui ont contribué à modifier les données de la situation.

Les objectifs de nos frappes aériennes se sont diversifiés. Au début du mois, celles-ci visaient des camps d’entraînement abritant des ressortissants français et des centres de commandement. Elles s’étendent maintenant aux forces de Daech et à ses infrastructures pétrolières.

Nous avons, également, engagé un appui aérien aux forces kurdes, qui le réclamaient avec force.

Je constate ainsi qu’une analyse lucide et pragmatique, dont je me félicite, a conduit le Président de la République à procéder à des changements significatifs dans la posture stratégique et diplomatique de notre pays. Dans le cadre de notre responsabilité, nous y sommes très attentifs.

Je relève l’affirmation plus nette que cette guerre contre Daech ne peut, à court terme, être gagnée militairement et que les possibilités de règlements des conflits dans la région ne peuvent être, in fine, que globales, diplomatiques et politiques. Ce n’est que dans ce cadre que la force militaire doit être utilisée.

Nous apprécions une telle feuille de route et soutiendrons les initiatives qui contribueront à apporter des solutions durables au conflit syrien.

C’est sans doute en fonction de ce nouveau contexte que la France a finalement considéré que l’élimination de Daech était la priorité, sans évacuer pour l’avenir l’objectif d’une transition politique et diplomatique.

Ce changement de stratégie a trouvé une traduction positive dans la résolution que notre pays a fait adopter à l’unanimité du Conseil de sécurité le vendredi 20 novembre dernier.

Notre groupe reconnaît toute la portée de cette initiative. Il apprécie à sa juste mesure cette résolution 2249 qui replace, comme nous le demandions depuis le début de ce conflit, l’ONU au centre du dispositif international.

Certes, au regard du droit international, cette résolution ne donne pas formellement l’autorisation d’agir militairement, puisqu’elle n’est pas placée sous le titre VII de la Charte des Nations unies, qui prévoit l’usage de la force. Elle a toutefois le grand mérite d’exister et de conférer une légitimité internationale à la mise sur pied d’une large coalition.

C’est par rapport à ces évolutions globales que nous nous situons pour apprécier la nécessité de poursuivre le volet militaire de la lutte contre Daech que constituent les frappes aériennes.

Nous considérons que ces opérations sont nécessaires et qu’elles peuvent être efficaces. Cela étant dit, elles n’ont de sens, et vous le savez, mes chers collègues, que si elles s’inscrivent clairement au service d’objectifs et de solutions politiques que devra définir la nouvelle coalition. En effet, pour neutraliser efficacement et durablement Daech et les organisations terroristes, l’action militaire doit être articulée à des objectifs politiques.

Désormais, le centre de gravité des problèmes à résoudre se déplace au niveau diplomatique, pour mettre sur pied cette grande coalition, mais surtout en définir les objectifs et les contours.

Dans ce cadre multilatéral, l’urgence est maintenant de parvenir impérativement à un accord sur les objectifs politiques et les moyens à mettre en œuvre, afin d’appuyer les forces régionales unies dans l’objectif commun de vaincre Daech.

C’est la raison pour laquelle nous soutenons les efforts et les initiatives que prend le chef de l’État, qui rencontre cette semaine les dirigeants britannique, américain, russe et allemand pour élargir la nouvelle coalition.

Les questions sensibles ne manquent pas, qu’il s’agisse du calendrier et des modalités de la transition en Syrie, ou encore des positions ambiguës de l’Arabie saoudite, du Qatar ou de la Turquie vis-à-vis de l’actuelle coalition.

Le dernier épisode de tension grave entre la Turquie et la Russie, et qui pourrait être de nature à troubler la mise sur pied de la coalition, nous montre combien est difficile et fragile le processus d’entente diplomatique et politique qu’il faut mettre en œuvre.

Malgré toutes ces difficultés, nous restons convaincus de l’impérieuse nécessité de ce processus. Il peut et doit aboutir, à condition que les objectifs à atteindre soient définis sans ambiguïté.

Il s’agit d’être efficace contre Daech. Il faut assécher ses sources de financement qui lui permettent d’acheter des armes et de payer ses combattants. Il faut s’attaquer à ses circuits financiers et à ses trafics, notamment celui du pétrole qui lui rapporte des sommes astronomiques.

Il faut également soutenir et fournir un appui aux forces syriennes et irakiennes démocratiques, parmi lesquelles les Kurdes, qui combattent sur le terrain.

La résistance de terrain à l’État islamique doit donc être pleinement soutenue. Dans ce cadre, la France doit peser de tout son poids contre la répression turque envers les Kurdes, qui se battent pour leur liberté et notre liberté. Laisser les Kurdes se faire assassiner, c’est perdre la bataille contre Daech !

La France doit répondre favorablement aux demandes des Kurdes syriens luttant contre Daech, en matière de livraisons d’armes, de médicaments, de soins aux blessés, et exiger de la Turquie la levée du blocus qui sépare le Kurdistan syrien du Kurdistan irakien.

C’est pourquoi l’engagement de toute la communauté internationale doit aussi s’appuyer sur les forces régionales, qui sont en mesure d’œuvrer à des solutions politiques viables et à la reconstruction des États détruits.

Dans ce contexte nouveau, nous devons mettre fin à ce conflit régional, qui tourne au chaos. Notre pays devrait maintenant jouer un rôle plus actif dans les discussions en cours à Vienne, pour faire des propositions concrètes sur la nécessaire reconstruction des États de la région lorsque celle-ci sera stabilisée.

Enfin, si l’urgence appelle des réponses immédiates, on ne pourra s’exonérer d’une analyse des responsabilités historiques des puissances occidentales, notamment des conséquences désastreuses des interventions militaires dans la région, tout particulièrement celle des États-Unis en Irak en 2003. C’est une condition essentielle pour ne pas commettre les mêmes erreurs et mettre en place une stratégie véritablement efficace.

Messieurs les secrétaires d’État, après la déclaration liminaire du Gouvernement nous exposant les raisons justifiant le prolongement de l’engagement de nos frappes aériennes en Syrie, mon groupe veut porter avec responsabilité le message suivant : l’usage de la force militaire ne peut se faire qu’en dernier recours. Il est soumis aux règles de la légalité internationale, et toujours au service d’une solution politique, avec pour objectif l’établissement d’une paix durable, pour toute la région.

Dire cela, ce n’est pas faire preuve d’angélisme. C’est tirer les leçons de l’expérience, être fidèle à nos valeurs et répondre efficacement à l’exigence de sécurité de nos concitoyens.

Dans ces circonstances, le groupe communiste, républicain et citoyen s’abstiendra. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC.)

Mme la présidente. La parole est à M. le président de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. Jean-Pierre Raffarin, président de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées. Madame la présidente, messieurs les secrétaires d’État, mes chers collègues, le respect de nos morts, la force de nos institutions, l’avenir de la France, nous rassemblent ; c’est notre devoir.

Après le choc, le temps de l’émotion, du rassemblement et de l’hommage, voici venu l’enjeu de l’action. C’est à l’action que nous appellent le débat et le vote de ce soir. C’est de l’efficacité que les Français exigent maintenant. La gravité sans l’efficacité serait le stade ultime de l’irresponsabilité. Nous ne pouvons trahir ceux qui sont morts monstrueusement.

Attention aux mots ! « Mal nommer les choses, c’est ajouter au malheur du monde », disait Camus.

Devant le Congrès, le Président de la République n’a pas qualifié l’ennemi – le terrorisme islamiste sunnite –, ce que le Premier ministre a fait le lendemain ; mais il a employé le mot « guerre ».

Attention ! Car la guerre, c’est la victoire ou le malheur. Attention ! Car la guerre, c’est une mobilisation totale des moyens et des âmes. Il n’y a pas de guerre sans sacrifice. La guerre ne connaît pas la demi-mesure.

Ce soir, je prends acte de trois inflexions positives et je formule trois mises en garde à l’intention du Gouvernement.

Premier constat positif : une réponse forte est donnée sur le plan de la sécurité intérieure. Dont acte ! L’extrême gravité du moment l’imposait. Nous avons voté la loi renforçant la lutte contre le terrorisme. Nous avons voté l’actualisation de la loi de programmation militaire, avec des moyens nouveaux.

Nous avons voté la loi relative au renseignement – Philippe Bas et moi-même étions respectivement rapporteur et rapporteur pour avis –, que nous avions préparée au sein de la délégation parlementaire au renseignement. Nous avons voté l’état d’urgence, comme nous avions été un certain nombre à le faire en 2005. Nous allons encore aujourd’hui montrer cette unité dans l’action.

Dans les circonstances présentes, je ne me demande pas si je suis de la majorité ou de l’opposition : je vote pour la France ! Des amendements sont présentés en faveur de moyens de sécurité supplémentaires ; nous les voterons. Notre éthique de responsabilité nous le dicte.

Je rends, comme vous tous, hommage à nos militaires mobilisés en nombre pour la défense du territoire national et la lutte hors de nos frontières, aussi. Nous saluons toutes nos forces de sécurité.

Deuxième constat positif : le virage de notre politique étrangère.

Virage, tournant, inflexion, changement des circonstances ? Peu importent les mots : la réalité, c’est que nous sommes enfin libérés du « ni-ni », « ni Bachar ni Daech », qui nous a quelque peu paralysés.

Bachar al-Assad est l’ennemi de son peuple, oui, sans aucun doute. Mais Daech est l’ennemi de la France !

La Russie est à nouveau un partenaire sur ce dossier ; le Président sera demain à Moscou. La commission avait demandé une telle initiative il y a plus d’un mois. Des questions restent en suspens – de moins en moins, d’ailleurs, depuis que la réorientation bienvenue des frappes russes sur Raqqa vise directement Daech.

Évidemment, la tension avec la Turquie est particulièrement préoccupante. Mais, chacun le reconnaît, le dialogue franco-russe est indispensable pour l’efficacité de notre action.

Troisième point positif : l’accélération du tempo militaire et le changement de braquet de l’opération Chammal.

« C’est au Levant que se joue notre sécurité », nous a dit le Premier ministre, ici même, vendredi dernier. Oui ! Évidemment ! Une réponse militaire est indispensable, mais, chacun l’a dit, elle ne sera pas suffisante. Nous savons bien que la guerre crée au moins autant de terroristes qu’elle en élimine.

Je tiens, de ce point de vue, à rappeler l’importance des discussions de Vienne, auxquelles la France participe, et du volet diplomatique et politique de ce dossier. C’est à Vienne, et aussi à New York, au Conseil de sécurité des Nations unies, que peut se débloquer la situation.

La France, dont l’« ADN diplomatique » est de parler à tous, doit veiller à l’équilibre de ses alliances : je pense notamment à la tragique tension entre sunnites et chiites.

Oui à l’intensification des frappes aériennes ! Oui à l’envoi du Charles-de-Gaulle et du Groupe aéronaval, qui va multiplier par trois notre force de frappe ! Oui à la collaboration avec les Américains, mais aussi avec les Russes, pour le renseignement et donc, concrètement, pour nous aider à frapper juste ! Oui aussi à la stratégie consistant à faire reposer la reprise du terrain, au sol, sur les forces armées locales : nous n’avons pas d’autre choix.

Un bémol, toutefois : compte tenu de leur niveau d’engagement – 10 000 hommes mobilisés dans la durée sur le territoire national, 10 000 hommes déployés dans près de vingt OPEX, dont Barkhane et Chammal, opérations à haute intensité –, la surchauffe guette nos armées, qui font preuve d’une maturité opérationnelle exceptionnelle. Nous devons la saluer, mais être lucides : l’éreintement est un risque. Il faut se régénérer.

Comme on pouvait s’y attendre, nos lacunes capacitaires – moyens d’observation, ravitaillement en vol – brident quelque peu notre action militaire. Notre format est juste suffisant, nos matériels sont surutilisés. Nous faudra-t-il déshabiller Pierre pour habiller Paul, renforcer Chammal au détriment de Barkhane, alors que la situation au Sahel n’est pas stabilisée ? Les Français comprennent mal que nous ne puissions faire davantage face à l’urgence vitale.

Trop d’engagements d’une armée saturée d’opérations nuisent à la concentration indispensable des forces sur notre principal adversaire : une fois engagés dans un conflit, il nous appartient, et il nous retient, comme le montre le dossier de la République centrafricaine.

Notre commission lancera d’ailleurs cette année, sous l’impulsion notamment de nos collègues Jacques Gautier et Daniel Reiner, une réflexion d’ensemble sur l’évaluation – militaire, mais surtout politique – des OPEX, vision d’ensemble qui fait encore actuellement défaut.

J’adresserai aussi trois mises en garde.

Tout d’abord, les moyens doivent évidemment être en ligne avec les objectifs.

Nous attendons la mise en œuvre des annonces présidentielles sur l’annulation des suppressions d’emplois prévues d’ici à 2019 dans les armées. Nous saluons ces annonces. Bien sûr, une nouvelle actualisation de la loi de programmation militaire sera nécessaire.

Mais je le dis tout net : il est insupportable de voir les décisions du Président, à peine prononcées, être contestées de l’autre côté de la Seine, où l’on essaie toujours de jouer le match retour. Bercy a pris l’habitude de considérer la défense, qui ne fait pas grève et qui sait obéir, comme la variable d’ajustement budgétaire. C’est inacceptable ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et de l'UDI-UC.) Le Gouvernement doit affirmer ce qui constitue une évidence pour tous les Français : la défense est aujourd’hui un ministère prioritaire.

Ensuite, je lance un appel à la responsabilité budgétaire.

Il n’a pas fallu longtemps pour que le Gouvernement s’estime dégagé de sa responsabilité budgétaire, au motif que le pacte de sécurité l’emporterait sur le pacte de responsabilité. Je le rappelle, pour que chacun prenne la mesure du problème : notre effort de défense représente la moitié de notre déficit.

Engager ces dépenses indispensables ne nous exonère nullement de notre devoir de restaurer notre souveraineté budgétaire. Si nous avons obtenu le report à 2017 de l’objectif d’un déficit inférieur à 3 % du PIB, c’est en échange d’efforts accrus de réduction de notre déficit structurel. C’est tout le contraire qui risque de se passer ! Mais enfin, réfléchissons ensemble : qui peut croire que les dettes et les déficits renforceront la France et protégeront les Français ?

Enfin, attention à ne pas fragiliser le projet européen.

Vendredi dernier, lors de la réunion du conseil Justice et affaires intérieures, nous avons obtenu, et c’est important, des déclarations de principe sur le contrôle aux frontières extérieures, sur le PNR, ou Passenger Name Record, sur le contrôle des armes, sur l’échange d’informations.

Il faut maintenant passer aux actes ; sinon, c’est la confiance dans le projet européen qui sera gravement atteinte.

Schengen, manifestation de la libre circulation, principe fondateur de notre Union, ne résistera pas sans un renforcement drastique et rapide des contrôles aux frontières.

En matière de défense, la France est souvent bien seule ! Nombre d’États membres ont baissé la garde. La mise en œuvre, demandée par la France, de l’article 42.7 du traité de Lisbonne, si elle devait ne déboucher que sur des résultats dérisoires, livrerait un bien piètre bilan de l’« Europe de la défense ».

Nous sommes pourtant tous visés en Europe, dans nos valeurs et, très concrètement, dans nos modes de vie. Tous ces jeunes gens ont été assassinés, fauchés, parce que, par une belle et douce soirée, ils ne voulaient que vivre leur vie et profiter de Paris.

Dans les carnages aléatoires, il n’existe aucune frontière. La valeur de nos frontières, c’est la frontière de nos valeurs : la frontière de l’Europe.

Je voterai la prolongation de la guerre. Non que je croie en sa toute-puissance : je vote pour que le temps à venir soit celui de la diplomatie et de la politique.

La guerre, oui, pour nous donner le temps de la paix ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et de l’UDI-UC, ainsi que sur certaines travées du RDSE et du groupe socialiste et républicain.)

Mme la présidente. La parole est à M. le secrétaire d'État chargé des anciens combattants et de la mémoire. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain.)