M. David Rachline. À ce sujet, je soutiens évidemment la demande de commission d’enquête proposée par notre collègue député Jean-Frédéric Poisson ; l’argent étant le nerf de la guerre, il serait bien que l’on sache qui la finance ! Je suis à cet égard extrêmement choqué que Mme Guigou ait fait savoir qu’elle s’y opposerait !

Pour conclure, je dirai que notre sécurité se joue sur deux fronts : pour le front extérieur, elle passe par l’engagement de nos forces aériennes en Syrie et en Irak, c’est incontestable ; pour le front intérieur, elle passe par l’application de l’état d’urgence et par les mesures votées vendredi dernier, mais aussi par un retour aux frontières nationales (Protestations sur diverses travées.) et par la remise en cause profonde de notre politique migratoire, ou plutôt du chaos migratoire dans lequel nous vivons. (Mêmes mouvements.)

Comme l’ont rappelé vendredi dernier le Premier ministre, ainsi que Mmes Assassi et Benbassa et M. Karoutchi, la sécurité est la première des libertés. Je ne résiste pas à l’envie de vous rappeler que cette phrase est depuis longtemps un slogan de ma famille politique ; peut-être eût-il été utile de l’écouter et de prendre des mesures, au lieu d’attendre des centaines de morts… Prenez ces mesures avant qu’il ne soit trop tard !

Mme la présidente. La parole est à M. Robert Hue, pour le groupe du RDSE.

M. Robert Hue. Madame la présidente, messieurs les secrétaires d’État, mes chers collègues, la demande d’autorisation de prolongation de l’engagement des forces aériennes au-dessus du territoire syrien intervient un peu moins de deux semaines après les odieux attentats commis à Paris et près du Stade de France qui ont plongé la France tout entière dans l’effroi et la stupeur.

Si l’émotion ne doit pas guider l’action politique, force est de constater que l’onde de choc nationale et internationale déclenchée par ces assassinats a accéléré le cours des événements dans la lutte contre Daech, sur les fronts militaire et diplomatique.

La destruction de l’État islamique est en effet devenue une urgence absolue. Les attaques de Paris et de Saint-Denis s’ajoutent à celles, également revendiquées par Daech, de Sousse, de Beyrouth, d’Ankara et du Sinaï, pour ne citer que les plus récentes. Je pense aussi à Bamako, frappée la semaine dernière par un groupe djihadiste, et à Tunis, visée une nouvelle fois hier. À travers le monde, plus de trente-cinq groupes salafistes se déclarent affiliés à Daech. Plus que jamais, le continuum entre sécurité et défense que notre pays a intégré dans sa stratégie de défense nationale est – un peu partout – mis à l’épreuve.

Ce n’est plus à démontrer : la sécurité des uns dépend de la stabilité des autres. En particulier, la situation en Syrie crée des dommages de plus en plus lourds, que ce soit en raison des attentats djihadistes, commis jusqu’en Europe, ou à travers les drames humanitaires liés à la question migratoire.

Je crois pouvoir dire que notre pays n’a jamais sous-estimé les risques que faisait courir une intervention en Irak et en Syrie. Pour autant, il n’était bien entendu pas question de rester inerte face à l’instauration d’un califat semant localement la terreur et déstabilisant durablement l’ensemble du Moyen-Orient. C’est en substance ce que M. le ministre des affaires étrangères a rappelé le 15 septembre dernier au Sénat.

C’est donc en toute conscience que le groupe du RDSE a toujours soutenu l’implication de la France dans la région. Nous avons en effet approuvé successivement l’opération Chammal en Irak et l’engagement des forces aériennes au-dessus de la Syrie, sous réserve que ces interventions se déroulent dans un cadre légal.

Aujourd’hui, depuis ce terrible vendredi 13, on constate une volonté de plus en plus ferme d’anéantir définitivement Daech. Le Président de la République l’a clairement annoncé devant le Parlement réuni en Congrès le 16 novembre dernier, en rappelant que les crimes terroristes n’avaient pas entamé la détermination de la France, bien au contraire. On ne peut que partager et soutenir cette orientation.

Dans la perspective d’une mobilisation renforcée, plusieurs décisions ont été prises, et les frappes ont été intensifiées. Il est aujourd’hui question de rassembler au plus vite une large coalition des forces anti-Daech. Nous soutenons naturellement cette initiative, qui a reçu un écho favorable, tant au G20 qui s’est tenu à Ankara la semaine dernière qu’à l’ONU. Le Conseil de sécurité de celle-ci a en effet adopté vendredi dernier la résolution 2249 présentée par la France qui autorise toutes les mesures nécessaires pour lutter contre l’État islamique.

L’Europe doit aussi s’impliquer de façon plus significative ; c’est peu de le dire, mes chers collègues. Devant le Congrès, le Président de la République a invoqué la solidarité européenne au titre de l’article 42, alinéa 7, du traité sur l’Union européenne. Le temps est en effet venu que l’Union partage la dépense militaire et s’engage au-delà des mots et des déclarations de solidarité.

Ne le dissimulons pas, la France est fière lorsque nos amis européens pavoisent leurs édifices aux couleurs tricolores et lorsque notre hymne national résonne à travers le monde. Néanmoins, disons-le sans détour, la défense de la paix, de la liberté et de la sécurité exige une contribution effective et des actes concrets qui doivent désormais dépasser les simples sentiments.

Si la sécurité est l’affaire de tous, alors chacun des États membres doit supporter l’effort de défense et le coût d’opérations extérieures. Messieurs les secrétaires d’État, quel est votre sentiment – même si Laurent Fabius en a déjà un peu parlé tout à l’heure – sur l’engagement que l’on peut désormais attendre de nos alliés européens ?

En attendant la montée en puissance des forces de la coalition, il fallait afficher un message de fermeté face à ce qui a été légitimement ressenti par notre pays comme un acte de guerre. Au cours de ces derniers jours, la France et les États-Unis ont ainsi multiplié les opérations contre les bases de Daech, ses centres d’entraînement et les puits pétroliers qu’il exploite. On a longtemps douté de l’efficacité de ces frappes, ce doute entraînant parfois un débat sur l’opportunité de l’envoi de troupes au sol.

Les présidents Hollande et Obama ont rappelé hier que cette option n’est pas envisagée ; je partage cette position, car, sur le terrain, on observe des avancées confirmant que le soutien aérien aux forces en présence n’est pas vain. En effet, les raids de la coalition ont notamment facilité l’entrée des forces kurdes dans Sinjar, une ville stratégique qui coupe l’axe reliant l’Irak et la Syrie. Quant aux frappes russes opérées depuis le 30 septembre dernier, elles ont permis à ce qu’il reste de l’État syrien de tenir encore, ce qui me paraît essentiel pour contenir l’avancée de Daech en territoire syrien.

Pour autant, comme j’ai déjà eu l’occasion de le dire dans cet hémicycle, le volet militaire n’est pas suffisant ; la paix ne se gagne pas seulement sur le terrain avec les armes. M. le ministre des affaires étrangères l’a rappelé, la solution est aussi à trouver sur le front politique.

Sur ce plan, on observe des progrès avec l’élargissement de la table de négociations, même si les discussions entre certains pays restent fragiles. Je pense, en particulier, aux relations compliquées entre la Russie et la Turquie, l’affaire de l’avion russe abattu hier par l’armée turque venant assombrir un horizon qui s’était pourtant quelque peu dégagé.

Quelles que soient ces difficultés, tous les acteurs impliqués dans le dossier syrien doivent se parler, et la France doit parler à chacun d’entre eux, l’objectif devant être de rassembler et d’unifier les forces de tous ceux qui ont Daech pour ennemi, même si leurs intérêts peuvent parfois diverger.

Les membres du RDSE l’ont souvent répété, la Russie est un acteur obligé au Proche-Orient. Nous nous félicitons, par conséquent, de ce que M. le ministre des affaires étrangères et du développement international a appelé une « adaptation » de notre stratégie, laquelle consiste à considérer la Russie comme incontournable – ce qui, du reste, est une réalité. Le déplacement du Président de la République à Moscou, au Kremlin, après Washington, en est une parfaite illustration.

Pour que la coalition ne se fissure pas, il faudra réunir plusieurs conditions et inviter certains des protagonistes à plus de clarté dans leurs priorités.

La Russie devra tourner toutes ses frappes contre Daech.

De son côté, la Turquie ne doit plus accepter d’être le réceptacle ou le transit de sources de financement de Daech et comprendre que les forces kurdes sont largement indispensables à la reconquête au sol des territoires occupés par l’organisation.

Quant à l’Arabie saoudite, elle doit sortir d’une ambivalence certaine. L’année dernière, Ryad a reconnu Daech, tout comme le Front al-Nosra, comme organisations terroristes. L’État saoudien doit neutraliser les agissements des différentes structures et mouvements d’inspiration salafiste présents dans le pays et soupçonnés de financer le djihad.

À cet égard, je salue la volonté de la communauté internationale de s’attaquer plus efficacement au financement du terrorisme.

Enfin, il faudra rapidement s’accorder sur une feuille de route. Malgré ses résultats modérés, la conférence de Vienne a amorcé un processus. Toutefois, les discussions achoppent toujours sur le sort de Bachar al-Assad. Il est vrai que celui-ci ne représente pas l’avenir, mais la Syrie ne se reconstruira que par étapes et, dans une période de transition, le maintien d’un État est essentiel. Tirons les enseignements des cas irakien et libyen !

Mes chers collègues, lors de l’examen du projet de loi prorogeant l’application de la loi relative à l’état d’urgence, le Premier ministre a rappelé, s’agissant de la crise en Syrie : « c’est au Levant que se joue une part de notre sécurité ici ». Cette affirmation pourrait suffire à justifier la prolongation de l’engagement des forces aériennes au-dessus du territoire syrien, prolongation que le groupe du RDSE votera.

Cependant, la France, fidèle à ses valeurs d’humanisme et de solidarité, pense aussi aux centaines de milliers de Syriens et d’Irakiens qui aspirent à retrouver la paix, laquelle passe aujourd’hui par la poursuite de notre engagement dans une coalition, la plus large possible.

Pour conclure, je veux citer, même si ce n’est ni mon habitude ni ma culture, le général de Villiers, chef d’état-major des armées. (Exclamations amusées sur les travées du groupe Les Républicains.) Celui-ci a déclaré lors d’une interview relatée dans le Journal du dimanche de dimanche dernier : « Tout le monde sait au final que ce conflit sera réglé par la voie diplomatique et politique. Gagner la guerre, c’est bien, mais cela ne suffit pas pour gagner la paix. » (Applaudissements sur les travées du RDSE, du groupe socialiste et républicain et du groupe CRC, ainsi que sur certaines travées du groupe écologiste. – MM. Jean-Marie Bockel et Jacques Gautier applaudissent également.)

M. Didier Guillaume. Très bon discours !

Mme la présidente. La parole est à M. Gérard Longuet, pour le groupe Les Républicains. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. Gérard Longuet. Madame la présidente, messieurs les secrétaires d'État, mes chers collègues, le respect que nous devons à la mémoire des cent trente victimes des attentats du vendredi 13 novembre dernier, le respect que nous devons à leur famille et à leurs amis, le respect que nous devons à l’engagement total de nos forces de sécurité commandent que nous fassions preuve, dans ce débat, de mesure et de sang-froid. Je me félicite que ce soit le cas.

En vertu de la modification de l’article 35 de la Constitution intervenue le 23 juillet 2008, nous devons régler, ensemble, un problème qui nous est commun : celui de la prolongation de l’intervention aérienne des forces françaises au-dessus de la Syrie.

Par conséquent, messieurs les secrétaires d'État, au-delà de la mesure et du sang-froid, nous avons, en notre qualité de parlementaires, le devoir de vous questionner, de vous interpeller, d’approfondir le sujet avec vous, comme l’a fait, d'ailleurs, M. le ministre des affaires étrangères et du développement international devant les commissions réunies de l’Assemblée nationale et du Sénat.

Nous vous interrogerons d’autant plus que, dans la prolongation de l’engagement des forces aériennes, nous sommes vos partenaires – je le dis au nom du groupe Les Républicains. Nous soutiendrons naturellement la demande qui est la vôtre.

Néanmoins, le partenariat qui nous lie nous oblige à vous comprendre et à mesurer nos propos, comme il vous oblige à nous comprendre et à tenir un langage de vérité avec l’ensemble de la représentation nationale, qui, d’une façon ou d’une autre, sera, par son vote, associée à votre politique, qui deviendra, de ce fait, une politique nationale, et ne sera pas seulement – je le dis avec le respect immense que je porte au Président de la République élu – la politique d’une majorité.

C’est une politique nationale, parce que l’offensive de l’État islamique vise notre pays.

La dissuasion du faible au fort a été évoquée. Nous nous trouvons exactement dans cette hypothèse. Au reste, cette dissuasion peut être redoutable à très court terme pour la France, parce qu’au terrorisme ciblé succède un terrorisme aveugle, qui peut conduire chaque Français, d’une façon ou d’une autre – à tort, du reste, mais c’est là affaire de sensibilité – à se sentir victime.

Madame Aïchi, je vous ai écoutée avec beaucoup d’attention. Vous avez évoqué un terrorisme d’« importation ». C’est possible, mais je ne voudrais pas que mon pays, à un moment ou à un autre, fasse les frais de ce premier objectif de la guerre conduite par l’État islamique qui est de nous amener à l’isolationnisme, pour prendre une formule dérivée des États-Unis, ou, tout simplement, au silence par peur. Ni le statut de la France, membre permanent du Conseil de sécurité des Nations unies, ni nos convictions profondes, partagées par l’ensemble des membres de cet hémicycle, ne nous permettent de nous taire pour la raison que certains auraient peur.

Le deuxième objectif de la guerre menée par Daech vise à décrédibiliser notre pays dans sa politique africaine. Nous venons de le voir avec l’attentat de Bamako, même si celui-ci a été revendiqué par le Front al-Nosra et par Al-Qaïda.

De très nombreux États africains ont conclu avec la France des accords de solidarité face au risque, accords ratifiés par leur Parlement et par le nôtre.

Dans l’attentat du 13 novembre, il y a assurément la volonté de prouver que la France n’est pas capable d’assurer la sécurité ni sur son territoire ni, a fortiori, dans des territoires plus lointains, auxquels elle est, certes, associée, mais où elle ne peut exercer la même présence.

Mes chers collègues, il est un troisième objectif de guerre, plus grave encore – je vous parle ici principalement de la France, parce que c’est la France qui assume cette guerre et parce que ce sont les Français qui sont directement exposés. Il s’agit d’instiller le germe de la défiance au sein de notre communauté nationale.

Aujourd'hui, c’est un fait, la France est un pays où la diversité a des racines profondes. Cet hémicycle, où la diversité est visible, nous le rappelle. Il ne faudrait pas que, par le fait du terrorisme, les uns soient suspectés d’être favorables, complices ou, en tout cas, « imprégnables », quand les autres, par un jeu de défiance cumulative, se dresseraient contre eux.

Nous entretenons des liens étroits avec nos compatriotes musulmans. Nous les connaissons depuis longtemps, quelles qu’en soient les raisons : parce que l’on vit dans les mêmes quartiers, les mêmes banlieues, parce que nous avons fait les mêmes guerres, parce que nous avons servi dans les mêmes unités ou dans la même administration…

En ma qualité de sénateur de la Meuse, je peux vous dire, cher Jean-Marc Todeschini, que le mémorial aux combattants musulmans de la Première Guerre mondiale, où je ne manque pas de me recueillir lorsque je me rends à Verdun, est riche de souvenirs et riche d’obligations.

M. Daniel Reiner. C’est sûr !

M. Gérard Longuet. Par le terrorisme aveugle, l’État islamique souhaite introduire dans notre pays le germe de la défiance. C’est précisément à ce défi que nous devons répondre.

Je serai beaucoup plus bref sur la politique internationale.

Dans l’appel du Président de la République, je relève deux éléments : l’idée d’une coalition unique et un certain regard sur la France.

L’idée d’une coalition unique sous-tend, évidemment, un adversaire principal exclusif, tant il est vrai que se battre contre deux adversaires, c’est prendre le risque de n’en vaincre aucun.

Messieurs les secrétaires d'État, le partenariat que j’évoquais tout à l'heure ne sera pas facile à concrétiser. Le point de vue de la Russie n’est pas celui des États-Unis. Or, par un jeu de responsabilité croissante, si ses cinq membres permanents ne sont pas d’accord, le Conseil de sécurité des Nations unies ne prendra pas de décision. Les grandes puissances ne pourront donc pas exercer d’autorité sur les puissances régionales. L’accident turco-russe le prouve. De quoi s’agissait-il ? D’une communauté turkmène bombardée par des avions russes et défendue par la Turquie voisine, qui parle la même langue et partage la même culture – je ne remonterai pas au sandjak d’Alexandrette. (Sourires.)

Simplement, une coalition unique est un défi. Elle ne pourra aboutir avant plusieurs semaines ! Cependant, je vois une raison d’espérer dans la nouvelle donne issue du processus de Vienne, en grande partie en raison de l’engagement russe. Les grandes puissances doivent s’entendre. De ce point de vue, l’entrée des États-Unis en période préélectorale n’est pas de bon augure. Par conséquent, il est nécessaire que nous soutenions le Président de la République dans sa volonté d’établir ce partenariat.

Si les cinq grands ne sont pas d’accord, il n'y a simplement aucune chance que des puissances locales, qui sont toutes menacées, à un moment ou à un autre, par l’émirat islamique, mais qui ont toutes de bonnes raisons de ne pas souhaiter un avantage pour l’un de leurs voisins immédiats, aboutissent à un résultat.

Messieurs les secrétaires d'État, permettez-moi d’émettre une réserve : il appartient au processus de Vienne de définir qui sont les terroristes et ceux qui ne le sont pas. Vaste programme, certes, mais la France a parfois perdu un peu de temps à chercher des alliés auprès d’interlocuteurs qui ne pouvaient l’être, si ce n’est de manière superficielle. Y a-t-il, face à la dynastie Assad, qui n’a jamais été modérée, des opposants qui puissent l’être facilement, surtout s’ils vivent ou essaient de vivre en Syrie ?

Cette coalition internationale, nous la souhaitons et nous soutiendrons les efforts du Président de la République française pour l’obtenir.

Toutefois, je pense profondément que le risque majeur concerne la société française, dont nous avons la charge.

De ce point de vue, je souhaite que la confiance puisse reposer sur la stabilité des décisions et des orientations, et sur la cohérence de l’ensemble de cette politique avec la politique globale du pays. Si l’on veut que les Européens s’intéressent à nous et nous soutiennent, il ne faut pas énoncer que « le pacte de sécurité l’emporte sur le pacte de stabilité » et opposer les deux notions. Il est vrai que la formule est belle, et je comprends que, compte tenu de l’émotion suscitée par la tragédie du 13 novembre dernier, il ne fallait pas barguigner avec les moyens dont la police a besoin. Cependant, nous avons aussi besoin de l’Europe et d’entraîner les pays européens dans notre effort.

Sinon, l’opinion française se demandera pourquoi diable assumer ses responsabilités, quand tous ceux qui nous donnent des leçons n’en respectent aucune et quand d’aucuns prétendent que nous ne sommes engagés sur le terrain que pour fuir nos responsabilités européennes.

J’évoquerai une seconde stabilité, celle de la confiance en l’État. Chacun le sait dans cet hémicycle, je suis libéral, mais s’il est aujourd’hui une certitude, et nous tous ici présents en témoignons, c’est que la France est rassemblée autour de son État, que les Français sont rassemblés autour de leur État. Et si un élément de confiance doit ressortir des tragédies des douze derniers jours, c’est l’efficacité avec laquelle la police a remonté les filières, identifié les coupables et neutralisé les assassins.

Dès lors, la confiance en l’État renaît. Encore faut-il savoir consentir – et je voudrais saluer l’initiative du président de la commission des lois, Philippe Bas –, à titre exceptionnel, les efforts nécessaires en termes de renonciation à certaines libertés pour confier à l’autorité de l’État, au pouvoir régalien, la capacité d’arrêter la main avant qu’elle ne frappe.

Tous les terroristes étaient identifiés, tous faisaient l’objet d’une fiche S, mais nous n’avons pu arrêter la main avant qu’elle ne frappe. Rendons hommage au président Edgar Faure – je crois que Bourgès-Maunoury était alors ministre de l’intérieur – d’avoir fait voter la loi relative à l’état d’urgence de 1955. Mais cette génération, qui avait connu la guerre, était mieux préparée à la résistance, même si beaucoup n’avaient pas résisté.

Quelques mots encore sur cette obligation de surveiller le droit, de ne faire aucune concession. L’autorité administrative est capable de juger et de sanctionner les initiatives de l’exécutif, même à des niveaux subalternes. Laissons à la police, à nos forces de sécurité la capacité d’intervenir. En cet instant, ne nous livrons à aucune surenchère dans les solutions ; laissons aux juristes de la commission des lois le soin de suivre cet effort et cette adaptation.

Je terminerai mon propos en évoquant une autre forme de confiance, celle que les Français doivent avoir entre eux. Nous sommes différents. Nous n’avons pas les mêmes histoires, et chaque famille a sa diversité.

Pour être lorrain, je me souviens que Barrès, député de Nancy, dressait ses compatriotes contre les Italiens, qui étaient soit des « jaunes », pour les syndicalistes, soit des « rouges », pour le patronat – Jean-Marc Todeschini sait de quoi je parle.

Les descendants des hommes emmenés contre leur gré dans nos îles, cher Harlem Désir, sont aujourd’hui, grâce au sénateur Schœlcher, des Français à part entière.

Père de famille – j’ai des filles –, je ne choisis pas mes gendres ! (Sourires.). Je les accepte, dans leur diversité.

Il ne faut pas laisser s’instiller le doute ni s’engager un processus de méfiance. Je ne formule qu’un vœu. Nous connaissons l’histoire de notre pays et son héritage, dont toutes les pages ne sont pas roses. Mais pourquoi diable, de temps en temps – pardonnez-moi d’invoquer le diable –, ne pas parler aussi de ce qui nous rapproche, de ce qui nous fédère, de ce qui fait que nous avons envie d’être ensemble, envie de nous aimer un peu nous-mêmes, nous, les Français ? Aimer notre histoire, aimer notre peuple, aimer notre aventure, aimer nos réalisations et, pour être un peu provocant, aimer la diversité.

Je n’étais pas un lecteur de Charlie Hebdo et je ne suis pas certain que la musique jouée au Bataclan me soit familière (Nouveaux sourires.), mais quelle importance quand c’est au prix de cette compréhension mutuelle, de cet héritage partagé ? Être Français, cela veut dire, quelle que soit son origine, hériter de Saint-Louis comme de Voltaire, hériter du siècle des Lumières comme de la colonisation, hériter du courage des cadets de Saumur comme, hélas, des Lacombe Lucien.

Nous avons une chance unique de nous retrouver. Mes chers collègues, nous aurons toujours l’occasion de nous affronter sur les solutions à apporter aux crises économiques, à l’emploi, à la protection de la vieillesse ou de la maladie, mais sur nos valeurs partagées, sur l’image de notre pays, rassurons le monde : la France est unie, à condition que tous, nous apportions notre petite contribution au respect mutuel d’un travail collectif. (Bravo ! et vifs applaudissements.)

Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Marie Bockel, pour le groupe UDI-UC.