Sommaire

Présidence de M. Jean-Claude Gaudin

Secrétaires :

MM. Philippe Adnot, Jackie Pierre.

1. Procès-verbal

2. Questions orales

fermeture du site de collecte de sang d'épernay

Question n° 1190 de Mme Françoise Férat. – M Jean-Marc Todeschini, secrétaire d'État auprès du ministre de la défense, chargé des anciens combattants et de la mémoire ; Mme Françoise Férat.

lutte contre la tuberculose en seine-saint-denis

Question n° 1195 de Mme Evelyne Yonnet. – M. Jean-Marc Todeschini, secrétaire d'État auprès du ministre de la défense, chargé des anciens combattants et de la mémoire ; Mme Evelyne Yonnet.

démolition de la prison de draguignan

Question n° 1186 de M. Pierre-Yves Collombat. – M. Jean-Marc Todeschini, secrétaire d'État auprès du ministre de la défense, chargé des anciens combattants et de la mémoire ; M. Pierre-Yves Collombat.

calendrier de livraison du programme scorpion

Question n° 1163 de M. Claude Nougein. – M. Jean-Marc Todeschini, secrétaire d'État auprès du ministre de la défense, chargé des anciens combattants et de la mémoire ; M. Claude Nougein.

raffinage dans les bouches-du-rhône

Question n° 1166 de M. Jacques Mézard, en remplacement de M. Michel Amiel. – Mme Martine Pinville, secrétaire d'État auprès du ministre de l'économie, de l'industrie et du numérique, chargée du commerce, de l'artisanat, de la consommation et de l'économie sociale et solidaire ; M. Jacques Mézard.

décrets d'application de la loi du 17 mars 2014 relative à la consommation

Question n° 1200 de M. Martial Bourquin. – Mme Martine Pinville, secrétaire d'État auprès du ministre de l'économie, de l'industrie et du numérique, chargée du commerce, de l'artisanat, de la consommation et de l'économie sociale et solidaire ; M. Martial Bourquin.

menaces sur l'industrie papetière

Question n° 1215 de M. Dominique Watrin. – Mme Martine Pinville, secrétaire d'État auprès du ministre de l'économie, de l'industrie et du numérique, chargée du commerce, de l'artisanat, de la consommation et de l'économie sociale et solidaire ; M. Dominique Watrin.

situation de l'usine aperam dans le pas-de-calais

Question n° 1217 de M. Jean-Claude Leroy. – Mme Martine Pinville, secrétaire d'État auprès du ministre de l'économie, de l'industrie et du numérique, chargée du commerce, de l'artisanat, de la consommation et de l'économie sociale et solidaire.

dégradation de la desserte en téléphonie mobile et internet dans le cantal

Question n° 1241 de M. Jacques Mézard. – Mme Martine Pinville, secrétaire d'État auprès du ministre de l'économie, de l'industrie et du numérique, chargée du commerce, de l'artisanat, de la consommation et de l'économie sociale et solidaire ; M. Jacques Mézard.

situation préoccupante des éleveurs laitiers

Question n° 1205 de M. Alain Vasselle. – M. Stéphane Le Foll, ministre de l'agriculture, de l'agroalimentaire et de la forêt, porte-parole du Gouvernement ; M. Alain Vasselle.

attaques du loup dont de nombreux troupeaux sont victimes

Question n° 1232 de M. Didier Guillaume. – M. Stéphane Le Foll, ministre de l'agriculture, de l'agroalimentaire et de la forêt, porte-parole du Gouvernement ; M. Didier Guillaume.

contournement de langres

Question n° 1161 de M. Bruno Sido. – M. Jean-Marie Le Guen, secrétaire d'État auprès du Premier ministre, chargé des relations avec le Parlement ; M. Bruno Sido.

avancée du dossier de la ligne à grande vitesse paris-limoges-poitiers

Question n° 1272 de Mme Marie-Françoise Perol-Dumont. – M. Jean-Marie Le Guen, secrétaire d'État auprès du Premier ministre, chargé des relations avec le Parlement ; Mme Marie-Françoise Perol-Dumont.

situation des conciliateurs de justice

Question n° 1198 de M. Yannick Botrel. – M. Jean-Marie Le Guen, secrétaire d'État auprès du Premier ministre, chargé des relations avec le Parlement ; M. Yannick Botrel.

indemnisation des ex-otages victimes de terrorisme

Question n° 1212 de M. Hervé Marseille. – M. Thierry Mandon, secrétaire d'État auprès de la ministre de l'éducation nationale, de l'enseignement supérieur et de la recherche, chargé de l'enseignement supérieur et de la recherche ; M. Hervé Marseille.

prélèvement sur les fonds de roulement des universités

Question n° 1199 de Mme Valérie Létard. – M. Thierry Mandon, secrétaire d'État auprès de la ministre de l'éducation nationale, de l'enseignement supérieur et de la recherche, chargé de l'enseignement supérieur et de la recherche ; Mme Valérie Létard.

impact de la réforme des collèges sur l’enseignement des langues régionales vivantes

Question n° 1169 de Mme Hermeline Malherbe. – M. Thierry Mandon, secrétaire d'État auprès de la ministre de l'éducation nationale, de l'enseignement supérieur et de la recherche, chargé de l'enseignement supérieur et de la recherche ; Mme Hermeline Malherbe.

situation du secteur des travaux publics et notamment des canalisateurs

Question n° 1208 de M. Jean-Claude Carle. – Mme Marylise Lebranchu, ministre de la décentralisation et de la fonction publique ; M. Jean-Claude Carle.

conséquences de l'afflux de migrants dans les alpes-maritimes

Question n° 1223 de Mme Colette Giudicelli. – M. Harlem Désir, secrétaire d'État auprès du ministre des affaires étrangères et du développement international, chargé des affaires européennes ; Mme Colette Giudicelli.

installation illégale des gens du voyage sur des terrains publics ou privés

Question n° 1242 de Mme Chantal Deseyne. – M. Harlem Désir, secrétaire d'État auprès du ministre des affaires étrangères et du développement international, chargé des affaires européennes ; Mme Chantal Deseyne ; M. le président.

effectifs de police à hendaye

Question n° 1253 de M. Georges Labazée. – M. Harlem Désir, secrétaire d'État auprès du ministre des affaires étrangères et du développement international, chargé des affaires européennes ; M. Georges Labazée.

modification du bénéficiaire de l'aide au logement temporaire

Question n° 1189 de Mme Dominique Estrosi Sassone. – M. Harlem Désir, secrétaire d'État auprès du ministre des affaires étrangères et du développement international, chargé des affaires européennes ; Mme Dominique Estrosi Sassone.

fonds national de péréquation des ressources intercommunales et communales et territoires ruraux de montagne

Question n° 1210 de Mme Patricia Morhet-Richaud. – M. Harlem Désir, secrétaire d'État auprès du ministre des affaires étrangères et du développement international, chargé des affaires européennes ; Mme Patricia Morhet-Richaud.

diminution des crédits relatifs aux enseignements artistiques

Question n° 1222 de M. Jean-Claude Luche. – M. Harlem Désir, secrétaire d'État auprès du ministre des affaires étrangères et du développement international, chargé des affaires européennes ; M. Jean-Claude Luche.

3. Communication relative à une commission mixte paritaire

Suspension et reprise de la séance

Présidence de M. Thierry Foucaud

4. Hommage aux victimes d'une catastrophe routière en Gironde

5. Charte européenne des langues régionales ou minoritaires. – Rejet d’un projet de loi constitutionnelle

Discussion générale :

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux, ministre de la justice

M. Philippe Bas, président de la commission des lois, rapporteur

Mme Frédérique Espagnac

M. Ronan Dantec

M. Robert Navarro

M. Jacques Mézard

Mme Jacqueline Gourault

Mme Éliane Assassi

M. Bruno Retailleau

M. Jacques Bigot

Mme Hermeline Malherbe

M. Hugues Portelli

Mme Catherine Morin-Desailly

M. Serge Larcher

M. René Danesi

M. Jean-Jacques Lasserre

M. Yannick Botrel

M. Alain Marc

PRÉSIDENCE DE M. Claude Bérit-Débat

M. Roland Courteau

PRÉSIDENCE DE M. Thierry Foucaud

M. André Reichardt

M. Christian Manable

Mme Colette Mélot

M. Georges Labazée

Clôture de la discussion générale.

Question préalable

Motion n° 1 de la commission. – M. Philippe Bas, rapporteur ; M. Alain Anziani ; Mme Christiane Taubira, garde des sceaux ; M. Jacques Legendre ; M. François Marc ; M. Christian Favier ; M. François Zocchetto ; M. Ronan Dantec ; M. Jacques Mézard ; Mme Christiane Taubira, garde des sceaux ; M. Philippe Bas, rapporteur. – Adoption par scrutin public de la motion, entraînant le rejet du projet de loi.

6. Commissions mixtes paritaires

Suspension et reprise de la séance

PRÉSIDENCE DE M. Hervé Marseille

7. Surveillance des communications électroniques internationales. – Adoption en procédure accélérée d’une proposition de loi dans le texte de la commission modifié

Discussion générale :

M. Jean-Yves Le Drian, ministre de la défense

M. Philippe Bas, président de la commission des lois, rapporteur

M. Michel Boutant, rapporteur pour avis de la commission des affaires étrangères

Mme Esther Benbassa

M. Yves Détraigne

Mme Cécile Cukierman

M. André Reichardt

M. Jean-Pierre Sueur

M. Daniel Reiner

M. Jacques Mézard

Clôture de la discussion générale.

Article 1er

M. Alain Duran

Amendement n° 1 rectifié de M. Alain Duran. – Rejet.

Amendement n° 7 de Mme Esther Benbassa. – Rejet.

Amendement n° 2 rectifié de M. Alain Duran. – Rejet.

Amendement n° 6 rectifié bis de M. Jean-Yves Leconte. – Rejet.

Amendement n° 8 de Mme Esther Benbassa. – Rejet.

Amendement n° 5 rectifié de M. Jean-Yves Leconte. – Rejet.

Amendement n° 9 de Mme Esther Benbassa. – Rejet.

Amendement n° 3 de M. Alain Duran. – Rejet.

Amendement n° 10 de Mme Esther Benbassa. – Rejet.

Amendement n° 13 du Gouvernement. – Adoption.

Amendement n° 4 rectifié de M. Alain Duran. – Rejet.

Amendement n° 11 de Mme Esther Benbassa. – Rejet.

Amendement n° 12 de Mme Esther Benbassa. – Rejet.

Adoption de l’article modifié.

Article 2 – Adoption.

Adoption de la proposition de loi dans le texte de la commission, modifié.

8. Ordre du jour

compte rendu intégral

Présidence de M. Jean-Claude Gaudin

vice-président

Secrétaires :

M. Philippe Adnot,

M. Jackie Pierre.

M. le président. La séance est ouverte.

(La séance est ouverte à neuf heures trente.)

1

Procès-verbal

M. le président. Le compte rendu analytique de la précédente séance a été distribué.

Il n’y a pas d’observation ?…

Le procès-verbal est adopté sous les réserves d’usage.

2

Questions orales

M. le président. L’ordre du jour appelle les réponses à des questions orales.

fermeture du site de collecte de sang d'épernay

M. le président. La parole est à Mme Françoise Férat, auteur de la question n° 1190, adressée à Mme la ministre des affaires sociales, de la santé et des droits des femmes.

Mme Françoise Férat. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, en avril dernier, j’ai alerté Mme la ministre des affaires sociales, de la santé et des droits des femmes sur les inquiétudes liées à la fermeture du site de collecte de sang d’Épernay dans la Marne.

Mme la ministre m’a indiqué dans sa réponse que l’objectif des décisions de l’Établissement français du sang, l’EFS, était de garantir l’autosuffisance en produits sanguins labiles. Elle m’a en outre précisé que le contrat d’objectifs et de performance 2015-2018 de l’EFS prévoyait, d’une part, de renforcer les actions d’optimisation de la collecte en augmentant les résultats des sites fixes et en adaptant leur organisation, d’autre part, de rendre plus attractives les collectes mobiles.

Ce qui est incompréhensible dans ce dossier, c’est que les décisions prises pour le centre de collecte d’Épernay auront exactement les effets inverses de ceux qui sont recherchés avec le contrat d’objectifs et de performance !

En effet, les collectes de notre département sont parmi les meilleures de la région Champagne-Ardenne, et cette fermeture sera, à n’en pas douter, préjudiciable au volume de sang récolté, alors même que nous manquons cruellement de donneurs. Je ne comprends pas la logique de cette décision. Pourquoi fermer un centre qui a d’excellents résultats ?

Les bénévoles seront désormais moins disposés à se déplacer. En effet, ils ne pourront plus faire de dons en se rendant à l’hôpital le jour qui leur convient, mais devront aller dans une unité mobile, une salle mise à disposition par la ville une fois par mois

Cette situation pénalisera également les malades atteints d’hémochromatose qui se rendaient dans le centre sparnacien. Ces derniers, qui ont besoin, à titre thérapeutique, d’une saignée une fois par mois, en présence d’un médecin et d’infirmiers spécialement formés pour ce type d’acte médical, sont confrontés au quotidien à une grande fatigue, laquelle sera accentuée par l’augmentation de la durée des trajets quand ils seront obligés de se déplacer à Reims ; et je ne parle pas des coûts de santé supplémentaires. Ces patients se sentent oubliés et sont en attente de réponses. J’ajoute que de plus en plus de services de saignée sont fermés sur l’ensemble de notre territoire.

Nous sommes bien loin du contrat d’objectifs et de performance 2015-2018, vous en conviendrez.

C’est pourquoi je demande au Gouvernement de bien vouloir m’expliquer comment seront accompagnés les malades atteints d’hémochromatose après la fermeture du centre de collecte d’Épernay et comment pallier la baisse de dons qui va inévitablement se produire.

M. le président. La parole est à M. le secrétaire d'État.

M. Jean-Marc Todeschini, secrétaire d'État auprès du ministre de la défense, chargé des anciens combattants et de la mémoire. Madame Férat, ma collègue Mme Marisol Touraine, ministre des affaires sociales, de la santé et des droits des femmes, vous prie de bien vouloir excuser son absence. Elle participe en effet à l’hommage rendu aux victimes de l’accident survenu la semaine dernière en Gironde.

Afin de contribuer à l’équilibre de la filière de santé, l’Établissement français du sang, l’EFS, doit améliorer l’efficience de ses activités, conformément aux orientations définies dans son contrat d’objectifs et de performance 2015-2018, qui a été signé le 10 juillet 2015.

De nombreux plans d’action ont été élaborés pour atteindre cet objectif, avec la volonté permanente d’améliorer l’efficacité, tout en préservant les enjeux fondamentaux que sont l’autosuffisance en produits sanguins, la sécurité, tant des donneurs que des receveurs, et la qualité de produits mis à la disposition des patients.

Dans ce cadre, un plan d’action a effectivement été engagé pour adapter l’offre de collecte et rendre celle-ci plus efficace, en tenant compte des évolutions constatées dans notre société.

Ce projet conduit l’Établissement français du sang à ouvrir de nouveaux sites de prélèvement en milieu urbain pour intégrer le glissement croissant de la population vers les grandes agglomérations, et à prendre en considération les enjeux qualitatifs, ce qui nécessite d’adapter notre capacité de collecte aux besoins des patients, y compris en sangs rares, dont la collecte est de préférence réalisée dans les grandes agglomérations.

Dans le même temps, l’adaptation de notre offre de collecte implique aussi de tenir compte d’une fréquentation devenue insuffisante dans certains des sites de prélèvement de l’Établissement français du sang. Le centre d’Épernay, après avoir été un poste de transfusion sanguine jusqu’en 1995, est depuis près de vingt ans une unité de collecte. Pour rappel, il a été prélevé 1 278 dons de sang total en 2014, nombre quasi identique à celui de 2013.

La demande de transformation de cette unité en équipe mobile ne signifie en rien l’arrêt des collectes dans l’agglomération d’Épernay ; elle répond simplement à la nécessité de prévoir des jours et des heures d’ouverture plus adaptés à la population concernée, et ce en lien avec les acteurs locaux, en particulier les centres hospitaliers et les associations de donneurs de sang bénévoles. Le succès de ces collectes pourra nous amener à en amplifier par la suite le rythme.

M. le président. La parole est à Mme Françoise Férat.

Mme Françoise Férat. Monsieur le secrétaire d’État, la réponse que vous m’apportez et les arguments avancés par Mme Touraine viennent, une fois encore, confirmer mes inquiétudes.

Le contrat d’objectifs et de performance n’est absolument pas respecté. Sur un sujet d’importance comme celui-là, il convient de prendre en compte la géographie pour traiter au cas par cas, dans chaque département, les situations particulières. La ville de Reims est tellement excentrée dans le département que cette décision ne tient pas.

Votre réponse nous confirme malheureusement, monsieur le secrétaire d’État, que la décision de la fermeture du centre de collecte de sang d’Épernay résulte d’une décision administrative prise bien loin des réalités du terrain, et dont nous devons subir les conséquences. Je ne peux que le déplorer. Les conséquences sur les futurs dons du sang et les malades atteints d’hémochromatose, point sur lequel je n’ai pas obtenu de réponse, seront quant à elles bien réelles. Une fois encore, la ruralité est laissée pour compte !

lutte contre la tuberculose en seine-saint-denis

M. le président. La parole est à Mme Evelyne Yonnet, auteur de la question n° 1195, adressée à Mme la ministre des affaires sociales, de la santé et des droits des femmes.

Mme Evelyne Yonnet. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, cette question concerne les centres de dépistage de la tuberculose et des infections sexuellement transmissibles, ou IST, en Seine-Saint-Denis.

La Seine-Saint-Denis est l’un des départements de France connaissant le plus de difficultés économiques et sociales. Or, vous le savez, la tuberculose est une maladie avant tout sociale.

Aujourd’hui, quatre centres de dépistage pilotés par le conseil départemental de Seine-Saint-Denis luttent notamment contre le développement de la tuberculose et des maladies sexuellement transmissibles.

Cette tâche est essentielle dans un département qui affiche des taux d’infection records – les cas de VIH y sont sept fois plus élevés que la moyenne nationale – et une espérance de vie nettement inférieure – on y meurt en moyenne deux ans et demi plus tôt que dans le département des Hauts-de-Seine.

Dernièrement, le journal Le Parisien faisait état d’une mortalité infantile importante en Seine-Saint-Denis et indiquait qu’« un tiers des décès des nouveau-nés pourraient être évités ». Cet article soulignait que l’obésité était le principal facteur de risque observé.

Monsieur le secrétaire d’État, la prévention sanitaire et sociale dans ce département est une priorité. La crainte d’une nouvelle baisse des subventions pour l’année 2015 plane sur le dispositif de dépistage et de prévention.

Le dynamisme dont fait preuve sans relâche, et ce depuis plusieurs années, le conseil départemental en matière de prévention a besoin de financement pérenne.

Certes, le désengagement de la caisse primaire d’assurance maladie à la fin de l’année 2013 a été compensé en partie par l’agence régionale de santé, ou ARS, en 2014. Cette baisse a été justifiée à l’époque par une stabilisation, voire une légère diminution des cas de tuberculose ; mais, en 2014, le nombre de cas recensés est reparti à la hausse, passant de 390 les années précédentes à 434 en 2014, soit trois fois plus que la moyenne nationale.

Aussi, monsieur Todeschini, l’État a-t-il l’intention de compenser la perte des subventions pour l’année 2014, qui s’élevait à 300 000 euros ?

Au regard de la situation particulière du département de la Seine-Saint-Denis, qui a certes des atouts, mais aussi de grandes difficultés inhérentes à l’accueil de populations fragiles socialement et économiquement, le Gouvernement a-t-il prévu des moyens financiers supplémentaires pour les années à venir ?

M. le président. La parole est à M. le secrétaire d'État.

M. Jean-Marc Todeschini, secrétaire d'État auprès du ministre de la défense, chargé des anciens combattants et de la mémoire. Madame la sénatrice Evelyne Yonnet, vous avez souhaité attirer l’attention de Mme Marisol Touraine, ministre des affaires sociales, de la santé et des droits des femmes, sur le financement des actions de lutte contre la tuberculose en Seine-Saint-Denis.

Si, dans notre pays, le nombre de cas de tuberculose diminue progressivement, il reste cependant élevé dans certains départements, notamment la Seine-Saint-Denis.

La lutte contre la tuberculose est donc toujours une priorité de santé publique, pour laquelle des actions spécifiques et des programmes de prévention doivent être mis en place. L’enjeu est de favoriser les actions de proximité, en réseau avec les autres dispositifs sociaux, d’éducation et d’accompagnement de soins.

Depuis la loi d’août 2004, le département de la Seine-Saint-Denis a fait le choix de conserver les compétences recentralisées qu’il détenait en matière de lutte contre la tuberculose et les infections sexuellement transmissibles, de dépistage organisé des cancers et de la vaccination.

Jusqu’en 2013, le conseil départemental bénéficiait, en plus de la dotation globale de fonctionnement, d’un financement de la caisse primaire d’assurance maladie – vous l’avez indiqué. Il y a été mis fin en 2014. Cette même année, l’agence régionale de santé d’Île-de-France a accordé au conseil départemental une aide exceptionnelle pour accompagner cette évolution.

Des discussions sont actuellement en cours entre ces deux organismes, une rencontre entre le président du conseil départemental et le directeur général de l’agence régionale de santé d’Île-de-France ayant eu lieu récemment afin d’examiner toutes les solutions possibles et de résoudre les difficultés actuelles.

Madame la sénatrice, Mme Touraine tient à vous faire part de l’attachement qu’elle porte à la pérennisation des actions de lutte contre la tuberculose en Seine-Saint-Denis. C’est pourquoi les discussions avec le président du conseil départemental de la Seine-Saint-Denis vont se poursuivre, en vue d’aboutir au plus tôt à la signature d’une reconduction de la convention avec l’ARS.

M. le président. La parole est à Mme Evelyne Yonnet.

Mme Evelyne Yonnet. Je vous remercie, monsieur le secrétaire d'État, pour ces informations. J’espère que les discussions entre l’agence régionale de santé et le conseil départemental aboutiront afin de pouvoir poursuivre la prévention en matière de dépistage de la tuberculose et des infections sexuellement transmissibles.

démolition de la prison de draguignan

M. le président. La parole est à M. Pierre-Yves Collombat, auteur de la question n° 1186, adressée à Mme la garde des sceaux, ministre de la justice.

M. Pierre-Yves Collombat. Ma question s’adressait, en effet, à Mme la garde des sceaux. Nonobstant mon amitié pour M. le secrétaire d'État chargé des anciens combattants et de la mémoire, j’espère que sa présence n’est pas prémonitoire de la réponse qui sera faite à ma question ! (Sourires.)

Après les inondations catastrophiques qui ont endeuillé le Var en 2010, touchant tout particulièrement la commune de Draguignan, la Chancellerie a fait le choix de construire une nouvelle prison sur un autre site plutôt que de réaménager celle qui avait dû être évacuée.

L’argument alors avancé était que la localisation de l’édifice en zone inondable le rendait dangereux non seulement pour ses occupants, mais aussi pour la ville elle-même en empêchant l’écoulement naturel de l’eau en cas de catastrophe.

La nouvelle prison est donc en construction. La démolition de l’ancienne a commencé. Puis, elle s’est arrêtée pour des raisons qui échappent aussi bien aux Dracénois qu’à leurs élus.

Le résultat, c’est que nous avons en plein milieu de la ville une ruine potentiellement dangereuse – à dire d’experts – en cas d’inondations. Après la construction d’une prison en zone inondable – c’est déjà pas mal ! –, il est encore plus difficile de comprendre que l’on retarde la neutralisation de ces effets calamiteux !

Ma question est simple : à quel horizon peut-on espérer l’achèvement de la démolition de cette dangereuse verrue urbaine ?

M. le président. La parole est à M. le secrétaire d'État.

M. Jean-Marc Todeschini, secrétaire d'État auprès du ministre de la défense, chargé des anciens combattants et de la mémoire. Monsieur le sénateur Pierre-Yves Collombat, vous avez bien sûr compris la raison de l’absence de ma collègue Mme la garde des sceaux : elle accompagne en effet ce matin le Président de la République à l’occasion de l’hommage rendu aux victimes de l’accident survenu la semaine dernière en Gironde.

La maison d’arrêt de Draguignan a été fermée pour des raisons de sécurité après l’inondation qui a dévasté cette zone en juin 2010. La catastrophe a été évitée de justesse grâce à la vigilance et à la réactivité des agents de l’administration pénitentiaire qui ont pu mettre tous les détenus à l’abri sans incident majeur.

La décision de fermer cette maison d’arrêt et de construire un nouvel établissement sur un autre site, dans l’agglomération de Draguignan, a été annoncée le 8 octobre 2010.

Certains travaux de démolition ont déjà été engagés puisqu’une partie des bâtiments extérieurs – notamment des logements de fonction – a d’ores et déjà été démolie, et ce depuis le 20 février 2015.

Par ailleurs, dès que nous avons eu connaissance de l’état du site, les travaux de sécurisation nécessaires ont été effectués : ils sont ainsi intervenus à la fin du mois d’août 2015.

Programmée en 2015, la démolition complète de l’établissement désaffecté a été reportée pour des raisons budgétaires. Il s’agit d’un chantier de démolition coûteux, qui implique notamment un désamiantage préalable. Le coût est de 3 millions d’euros pour le désamiantage et de 4 millions d'euros pour le marché de démolition. Le niveau de contrainte budgétaire nous impose de définir des priorités immobilières.

Vous le savez, aujourd’hui, la priorité est de créer des places pour répondre aux besoins urgents, qui sont de garantir la dignité des conditions d’hébergement des détenus et de préserver la qualité des conditions de travail des personnels.

C’est donc la rénovation et la construction de places qui priment.

Sur ce sujet, votre région n’est pas délaissée puisque le budget 2016 est très ambitieux. En 2016, trois chantiers seront lancés en Provence-Alpes-Côte d’Azur : le premier se déroulera à Draguignan, où il sera procédé à la reconstruction hors site à l’issue des inondations de juin 2010 ; le deuxième, Baumettes 2, correspond à la première phase de la démolition/reconstruction des Baumettes ; le troisième, Aix 2, permettra l’extension d’Aix-Luynes.

Pour autant, Mme la garde des sceaux reste évidemment préoccupée par les questions d’urbanisme local et les projets qui sont les vôtres. C’est pour évoquer concrètement cette situation que le maire de Draguignan, M. Strambio, a été reçu par le cabinet de Mme Christine Taubira le 6 octobre dernier.

Les services de la Chancellerie restent à votre disposition pour échanger sur le sujet, l’objectif étant de redémarrer les travaux en 2016.

M. le président. La parole est à M. Pierre-Yves Collombat.

M. Pierre-Yves Collombat. Je m’associe pleinement, monsieur le secrétaire d'État, à l’éloge que vous venez de faire de l’attitude des personnels de l’administration pénitentiaire et des magistrats au moment de la catastrophe.

Mon intervention vient compléter celle des élus dracénois. Je comprends bien qu’il y ait des problèmes budgétaires, mais je voudrais néanmoins faire observer que l’on ne m’a pas répondu. Je tiens également à souligner qu’il s’agit d’un établissement jugé dangereux en cas d’inondations. Or ce ne sont pas les inondations qui manquent dans notre beau département ou dans le département voisin !

Imaginez qu’une catastrophe survienne demain matin. Qu’allez-vous faire ? Vous allez vous rendre aux obsèques ? Il s’agit quand même de quelque chose de grave ! On a commencé ; que l’on termine !

calendrier de livraison du programme scorpion

M. le président. La parole est à M. Claude Nougein, auteur de la question n° 1163, adressée à M. le ministre de la défense.

M. Claude Nougein. Cette question a pour objet d’évoquer le calendrier de livraison du programme Scorpion, au sein de notre armée de terre.

Le ministre de la défense, M. Jean-Yves Le Drian, a annoncé le 5 décembre 2014 le lancement du programme Scorpion, intégré dans le projet Armée de terre 2020.

Ce programme permettra à l’armée de terre de moderniser les capacités de combat du groupement tactique interarmes, le GTIA. Cela passe par le renouvellement, à compter de 2018, du parc actuel de véhicules blindés – cela paraît très nécessaire – via l’acquisition de nouveaux moyens, notamment le véhicule blindé multi-rôles, ou VBMR, et l’engin blindé de reconnaissance et de combat, ou EBRC, ainsi que par la modernisation des chars Leclerc, qui devrait favoriser leur maintien opérationnel au sein des forces jusqu’en 2040.

La première tranche du contrat concerne le développement du VBMR, le véhicule blindé multi-rôles, baptisé « Griffon », et de l’EBRC, l’engin blindé de reconnaissance et de combat, baptisé « Jaguar ».

À ce titre, le calendrier prévoit de commander, dans un premier temps, 780 VBMR et 110 EBRC, avec les premières livraisons prévues pour 2018. Ces véhicules seront progressivement livrés jusqu’en 2025, dont 92 VBMR sur la période de l’actuelle loi de programmation militaire.

Monsieur le secrétaire d'État, combien de véhicules blindés est-il prévu de livrer à l’armée de terre à partir de 2018 et quel sera le rythme de livraison par la suite ? En outre, quelles seront les premières bases de défense à être équipées ?

Enfin, il avait été précisé que le 126e régiment d’infanterie de Brive, très actif dans les opérations extérieures, serait l’un des tout premiers régiments à être dotés de ces véhicules. Permettez au sénateur de la Corrèze de vous demander quand ce régiment d’infanterie recevra ses premiers équipements.

M. le président. La parole est à M. le secrétaire d'État.

M. Jean-Marc Todeschini, secrétaire d'État auprès du ministre de la défense, chargé des anciens combattants et de la mémoire. Monsieur le sénateur, ne pouvant être présent au Sénat ce matin, M. le ministre de la défense m’a chargé de vous répondre.

La modernisation et le renouvellement des équipements de nos forces de contact constituent une nécessité pour le maintien de nos capacités d’action. Dans ce cadre, Scorpion doit équiper le cœur des groupements tactiques interarmes médians à partir de 2018 – le VBMR Griffon – et de 2020 – l’EBRC Jaguar –, en remplacement des véhicules de l’avant blindé, ou VAB, et des engins blindés à roues AMX 10RC et Sagaie en service depuis quarante ans.

Structurant pour les forces terrestres, le programme Scorpion répond spécifiquement à ce besoin de renouvellement des capacités de premier rang de combat terrestre, notamment des moyens des GTIA.

Dans un souci de performance collective accrue, il permettra de doter l’armée de terre de plates-formes connectées, à l’instar de ce qui est déjà fait dans le domaine naval et aéroporté.

La première étape du programme Scorpion, dont le lancement a été approuvé l’an dernier, permettra notamment d’acquérir le système d’information et de combat Scorpion, ou SICS, fédérant les plates-formes et les combattants autour d’un unique système d’information et favorisant un partage immédiat de l’information.

Le programme Scorpion permettra aussi de développer et d’acquérir 780 véhicules blindés multi-rôles lourds, baptisés « Griffon », et 200 véhicules blindés multi-rôles légers, destinés à remplacer les véhicules de l’avant blindé, les VAB, avec l’objectif de pouvoir projeter, dès 2021, le premier GTIA équipé de Griffon.

Par ailleurs, le programme Scorpion permettra de développer et d’acquérir 110 engins blindés de reconnaissance et de combat, baptisés « Jaguar », destinés à remplacer les chars légers AMX 10RC et Sagaie, ainsi que les VAB HOT, avec l’objectif de pouvoir projeter dès 2023 le premier GTIA équipé de Jaguar.

Enfin, le programme Scorpion permettra de rénover le char Leclerc.

Où en sommes-nous ?

Le marché de développement des Griffon et des Jaguar a été notifié à la fin de l’année 2014 et le marché de rénovation des chars Leclerc en mars 2015.

La production des véhicules sera, quant à elle, commandée en 2017 pour les Griffon et les Jaguar et, en 2018, pour le char Leclerc.

Cela permettra d’avoir, dès 2018, la livraison des tout premiers exemplaires du Griffon avec, ensuite, une cadence de livraison d’environ une centaine par an à partir de 2019.

Concernant le Jaguar, les premiers exemplaires arriveront en 2020 et la production sera, par la suite, d’environ une vingtaine par an.

De manière simultanée, les premiers chars Leclerc rénovés seront attendus en 2020 avec, par la suite, une livraison moyenne de 25 exemplaires par an.

Il est à noter que le plan de livraison prévisionnel des VBMR Griffon et des EBRC Jaguar tient compte des capacités de production, de qualification, d’adoption et de financement. De plus, la montée en puissance des unités Scorpion et le plan d’équipement ont été anticipés par l’armée de terre, en cohérence avec le calendrier des infrastructures.

À ce titre, le 126e régiment d’infanterie de Brive doit aujourd’hui être équipé du VBMR Griffon à compter de 2021, une fois son infrastructure prête. Il reste bien entendu prioritaire au regard d’autres régiments, qui ne seront équipés qu’à partir de 2024-2025.

M. le président. La parole est à M. Claude Nougein.

M. Claude Nougein. Monsieur le secrétaire d'État, votre réponse a été relativement précise, et je vous en remercie.

Comme vous l’avez souligné, nos engins blindés sont très anciens. Certains ont plus de quarante ans, et l’on se demande comment ils peuvent fonctionner, notamment sur les théâtres d’opérations extérieures ! Il est donc vraiment important de tenir le programme que vous avez présenté.

raffinage dans les bouches-du-rhône

M. le président. La parole est à M. Jacques Mézard, en remplacement de M. Michel Amiel, auteur de la question n° 1166, adressée à M. le ministre de l'économie, de l’industrie et du numérique.

M. Jacques Mézard. Madame la secrétaire d’État, mon collègue M. Michel Amiel, qui vous prie de bien vouloir excuser son absence ce matin, m’a demandé de vous poser sa question.

J’attire donc votre attention, ainsi que celle du Gouvernement, sur la restructuration de la raffinerie de Châteauneuf-les-Martigues–La Mède.

Notre pays se trouve actuellement en sous-capacité, comme le montre le coût des importations dans ce domaine, estimé à plus de 47,5 milliards d’euros, alors qu’il n’était que de 14,6 milliards d’euros en 2009.

Pourtant, malgré les nécessités, la direction générale de Total annonçait, le 16 avril dernier, de nouvelles réductions des capacités de raffinage sur notre territoire. Deux sites sont particulièrement concernés par cette annonce : la raffinerie de Châteauneuf-les-Martigues–La Mède et celle de Donges.

Concernant la raffinerie de Châteauneuf-les-Martigues, Total a fait le choix d’un investissement structurant, c’est-à-dire le remplacement de l’unité de raffinage brut par la création d’une nouvelle unité de production en biocarburant.

Je vous rappelle que ce site produit encore aujourd’hui près de 153 000 barils par jour. Si la certitude est de mise concernant la production du raffinage brut, nous ne pouvons en dire autant de celle à venir en biocarburant.

Dans un contexte où les premières générations de ce type de carburant sont décriées, où les directives européennes se durcissent et où la concurrence est déjà féroce, nous ne pouvons mettre en péril des emplois alors que l’un des axes forts de la politique du Gouvernement est de lutter contre le chômage.

M. Michel Amiel demande donc quels sont la position et les engagements du Gouvernement face à l’éventuelle perte de nouveaux emplois et à la nouvelle déstabilisation du bassin industriel du département des Bouches-du-Rhône auquel mon collègue, en particulier, est à juste titre particulièrement attaché.

M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d'État.

Mme Martine Pinville, secrétaire d'État auprès du ministre de l'économie, de l'industrie et du numérique, chargée du commerce, de l'artisanat, de la consommation et de l'économie sociale et solidaire. Monsieur le sénateur, le secteur du raffinage subit une restructuration profonde en Europe : depuis 2009, huit raffineries ont fermé, dont quatre en France. La concurrence internationale et la baisse de la consommation de carburants en Europe sont les principales causes des difficultés de cette filière. Par ailleurs, un déséquilibre de consommation entre l’essence et le gazole, plus accru en France qu’en Europe, oblige les raffineurs français à exporter de l’essence et à importer du gazole.

Parce que l’activité de raffinage présente un enjeu de sécurité d’approvisionnement, le Gouvernement porte une attention très particulière au devenir des raffineries françaises en accompagnant les restructurations sur le plan national. De plus, il contribue activement aux travaux communautaires visant à simplifier les réglementations encadrant le raffinage.

Comme vous l’indiquez, le groupe Total a fait part, en avril dernier, de son intention de restructurer la raffinerie de La Mède, qui subirait, selon le groupe, des pertes récurrentes de l’ordre de 150 millions d'euros.

Le plan proposé par Total ne prévoit aucun licenciement et permet de conserver environ 250 personnes sur le site. Outre notamment une ferme photovoltaïque et un centre de formation, le site gardera certaines unités de raffinage afin de préserver les synergies avec la pétrochimie locale et de permettre la création d’une unité de production de biodiesel, pour un investissement global annoncé de 200 millions d'euros.

L’État est en contact régulier avec la direction de Total, au plus haut niveau de cette dernière, afin que le groupe s’engage pour l’avenir du site dans une stratégie ambitieuse qui tienne compte de tout le tissu économique dépendant de la raffinerie.

Un plan de sauvegarde de l’emploi a été signé le 5 août dernier à la suite d’un accord de la majorité des organisations syndicales. Il fait actuellement l’objet d’un recours devant le tribunal administratif de Marseille. Dans l’attente de la décision de justice, que j’espère rapide, le Gouvernement reste attentif à l’émergence d’un accord final qui préserve l’avenir de la plate-forme.

En ce qui concerne l’unité de production de biodiesel, sa capacité importante devrait lui permettre d’être compétitive et de gagner des parts de marché à l’étranger, où le marché des biodiesels reste encore à développer. Ce projet est cohérent avec les réglementations communautaires actuelles et les engagements que la France a pris en faveur des biocarburants avancés dans la loi de transition énergétique pour la croissance verte.

Vous pouvez donc être assuré que le Gouvernement, tout en restant extrêmement vigilant, soutient cette mutation industrielle et la construction d’une industrie française d’excellence dans le domaine du bioraffinage.

M. le président. La parole est à M. Jacques Mézard.

M. Jacques Mézard. Madame la secrétaire d’État, vous nous assurez qu’il n’y aurait aucun licenciement et que 250 emplois seraient conservés. Or dans de tels cas, comme nous le savons bien, les restructurations peuvent aussi bien s’effectuer par des départs volontaires ou des formules autres que des licenciements.

Par ailleurs, vous nous dites que le plan de sauvegarde de l’emploi fait l’objet d’un recours devant le tribunal administratif de Marseille : c’est donc que des difficultés existent.

Cela dit, nous avons pris acte des engagements du Gouvernement.

Sur le fond, on assiste sur le plan national à une situation somme toute assez particulière : alors que le diesel est très décrié, la France continue d’importer du gazole et d’exporter de l’essence. Par conséquent, dans les mois et les années à venir, une restructuration plus importante de notre outil de production devra certainement avoir lieu.

décrets d'application de la loi du 17 mars 2014 relative à la consommation

M. le président. La parole est à M. Martial Bourquin, auteur de la question n° 1200, adressée à M. le ministre de l'économie, de l'industrie et du numérique.

M. Martial Bourquin. Madame la secrétaire d'État, s’il est un constat partagé sur toutes les travées de notre assemblée, c’est bien celui de l’urgence à agir sur un mal endémique pour notre tissu économique, notamment pour nos petites et moyennes entreprises : le non-respect des délais de paiement et le niveau anormalement élevé du crédit inter-entreprises.

Or, madame la secrétaire d’État, nous ne disposons plus, depuis 2013, des rapports de l’Observatoire des délais de paiement. C’est regrettable ; il faudrait que cet observatoire se remette en place très vite.

Pour autant, les derniers chiffres officiels, dévoilés au mois de juin dernier à l’occasion de la remise des Prix des délais de paiement, paraissent malheureusement d’une constance alarmante : 15 milliards d’euros sont dus par les plus grandes entreprises aux plus petites. En quelque sorte, les grands groupes se servent souvent des trésoreries des PME pour avoir du crédit gratuit. Cela peut paraître immoral, mais c’est ainsi : c’est cela que nous devons changer.

Seules 38 % des entreprises françaises paient leurs fournisseurs en temps et en heure, contre 75 % des entreprises allemandes. Un quart des faillites serait imputable à des défauts ou à des retards de paiement. On constate par ailleurs que le non-respect des délais de paiement augmente avec l’effectif des entreprises.

Ces données ne sont pas une fatalité, loin s’en faut. Et nous savons bien que des outils existent.

Je voudrais souligner à ce propos l’énorme travail réalisé par le médiateur inter-entreprises dans ce domaine. Néanmoins, on ne peut se contenter de la seule médiation ; il faut faire une place à la sanction.

Depuis 2012, le Gouvernement a souhaité agir très concrètement sur cette anomalie économique. Jean-Marc Ayrault m’avait confié une mission de six mois sur les relations entre donneurs d’ordres et sous-traitants. Nous avons fait vite : plusieurs mesures ont pu été prises à ce sujet dans la loi du 20 mars 2014 relative à la consommation. Or les décrets d’application de cette loi n’ont toujours pas été publiés.

Alors, madame la secrétaire d’État, quand donc ces décrets d’application paraîtront-ils ? La situation est très urgente : vous savez bien que les PME sont les entreprises qui, dans notre pays, créent des emplois, qui plus est des emplois souvent durables. En défendant ces entreprises, en faisant en sorte que le crédit inter-entreprises soit de bonne qualité, nous défendons l’emploi.

M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d'État.

Mme Martine Pinville, secrétaire d'État auprès du ministre de l'économie, de l'industrie et du numérique, chargée du commerce, de l'artisanat, de la consommation et de l'économie sociale et solidaire. Monsieur le sénateur, les objectifs fixés par le législateur restent d’actualité : il faut améliorer la transparence des relations entre donneurs d’ordres et sous-traitants et, ainsi, la sécurité juridique et l’équilibre des relations contractuelles entre les acteurs économiques.

Je rappelle que la loi du 17 mars 2014 relative à la consommation oblige les parties, dès lors que le montant de la transaction dépasse un certain seuil fixé par décret, à conclure un contrat écrit comportant un certain nombre de clauses obligatoires permettant de régler à l’avance les points sensibles de la relation contractuelle.

La définition de ce seuil nécessite une large concertation afin de prendre en compte les situations particulières de secteurs d’activité très divers et de veiller à la simplicité et à l’applicabilité du formalisme des contrats écrits.

Cette concertation se poursuit : en complément à l’analyse conduite par ses services, le ministre de l’économie a demandé au médiateur inter-entreprises d’identifier des voies permettant d’appliquer pleinement la mesure sans pénaliser les secteurs par excès de formalisme. En effet, les professionnels ont fait état d’usages en matière de contractualisation très divers selon les secteurs ; ils ont également exprimé le souhait que la mise en œuvre du dispositif soit simple.

Le rapport du médiateur vient d’être rendu. Les arbitrages sont en cours pour que la signature du décret intervienne dans les prochaines semaines et que le dispositif puisse donc être pleinement effectif.

Par ailleurs, nous continuerons à mobiliser la médiation inter-entreprises et la direction générale de la consommation et de la répression des fraudes, la DGCCRF, sur la question de l’équilibre des relations commerciales entre donneurs d’ordres et fournisseurs ou sous-traitants, afin de faire respecter l’ensemble des dispositions de la loi du 17 mars 2014 dans ce domaine.

M. le président. La parole est à M. Martial Bourquin.

M. Martial Bourquin. Je remercie Mme la secrétaire d’État d’avoir annoncé que ces décrets d’application pourraient être publiés rapidement. Deux d’entre eux, en particulier, sont décisifs.

Le premier concerne les commissaires aux comptes. Il faut impérativement que ces derniers, lorsqu’il y a un retard de paiement très important, alertent la DGCCRF en vue d’un contrôle. Parfois, ce retard peut résulter d’un problème que l’entreprise n’a pu résoudre : il est alors compréhensible. Mais lorsqu’il s’agit d’une façon de gérer, ou plutôt de créer, sa trésorerie, il faut que des sanctions soient prises.

M’étant renseigné auprès de la DGCCRF à ce sujet, je me suis aperçu que très peu d’alertes étaient données. J’ai par ailleurs rencontré les représentants nationaux des commissaires aux comptes, qui m’ont confié qu’il fallait préciser les modalités de l’alerte prévue par la loi de modernisation de l’économie. Eh bien, faisons en sorte que le décret relatif à ces alertes paraisse !

Le second décret particulièrement attendu a pour objet les sanctions à prendre. Quinze milliards d’euros sont en jeu et les délais de paiement sont devenus pour les groupes une façon courante de gérer leurs relations avec les PME et les TPE : il faut y mettre le holà !

Quand une telle stratégie est imaginée et mise en œuvre pour se faire du crédit gratuit, on aura beau faire de la médiation, cela n’aura aucun effet sans sanctions exemplaires ! Une fois celles-ci prises, et même publiées dans la presse, je vous assure que les choses se mettront très vite au clair.

En somme, madame la secrétaire d’État, nous sommes à la fois très contents que vous nous ayez annoncé une parution rapide de ces décrets d’application et encore impatients : le temps presse en effet ! Dans la situation économique actuelle, nos PME ont besoin de trésorerie. Or, souvent, cette trésorerie manque du fait de ces importants retards de paiement.

menaces sur l'industrie papetière

M. le président. La parole est à M. Dominique Watrin, auteur de la question n° 1215, adressée à M. le ministre de l'économie, de l'industrie et du numérique.

M. Dominique Watrin. Madame la secrétaire d’État, ma question porte sur la situation de l’industrie papetière en France, plus spécifiquement dans le Pas-de-Calais.

Ce département nous offre deux exemples de la casse de cette industrie : Stora Enso, à Corbehem, et Arjowiggins, à Wizernes. Les situations et les problèmes que traversent ces entreprises sont certes différents ; toutefois, leurs difficultés procèdent dans les deux cas de la stratégie des grands groupes papetiers internationaux : faire remonter les cours du papier en Europe en fermant des unités de production pourtant rentables.

Dès lors, ces deux sites sont en attente d’un repreneur, condition nécessaire pour relancer la production et sauvegarder l’emploi direct et indirect et les emplois induits, soit des milliers de postes dans des territoires déjà sinistrés.

Permettez-moi d’ailleurs, madame la secrétaire d’État, de saluer à ce propos le travail entrepris par le ministère de l’économie, qui est en contact avec d’éventuels repreneurs et a reçu des délégations de salariés et d’élus locaux, dont les membres de la commission économique du conseil régional de la région Nord-Pas-de-Calais, avec laquelle un partenariat a été engagé.

Néanmoins, si la situation n’est pas désespérée, elle n’en demeure pas moins très incertaine. En effet, le statut particulier de ces deux usines, qui ont en commun une capacité de production élevée et donc un capital immobilisé important, qu’il s’agisse de biens matériels ou immatériels, impose de prendre les garanties nécessaires quant à la viabilité des projets de reprise. Le délai fixé pour l’approbation d’un repreneur, de trois ans, arrive bientôt à terme à Corbehem ; il en sera de même en août prochain pour l’usine de Wizernes.

Ainsi, compte tenu des caractéristiques propres à ces usines, que je viens d’exposer, une extension de ce délai serait une garantie de sérénité pour tous, et à plus forte raison pour les services du ministère de l’économie, tant dans le cadre de l’étude des dossiers des candidats que pour permettre à d’autres repreneurs identifiés de faire acte de candidature.

Dans ces conditions, madame la secrétaire d’État, quelles dispositions le Gouvernement prendra-t-il pour étendre le délai de recherche d’un repreneur ?

M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d'État.

Mme Martine Pinville, secrétaire d'État auprès du ministre de l'économie, de l'industrie et du numérique, chargée du commerce, de l'artisanat, de la consommation et de l'économie sociale et solidaire. Monsieur le sénateur, vous avez raison : la situation économique de l’industrie papetière française s’est dégradée sensiblement, notamment depuis 2006, comme le montrent la baisse de la production et la fermeture de sites importants. Cela concerne plus particulièrement les papiers de presse et les papiers impression-écriture.

La cause principale de cette dégradation est sans doute la baisse des consommations de papier en Europe qu’a entraînée la révolution numérique. Un Français consomme en moyenne aujourd’hui 136 kilos de papier et de carton par an, contre 176 kilos il y a dix ans, soit une baisse d’environ 25 %. Cela, en soi, est une bonne chose.

Par ailleurs, comme dans tous les autres secteurs, la demande mondiale s’est déplacée vers les pays émergents. Cette modification du marché mondial a conduit la production à se déplacer, elle aussi, vers les pays émergents d’Amérique latine et d’Asie, mais aussi vers l’Europe de l’Est. En Europe, en revanche, la production de papiers graphiques a diminué en moyenne de 4,1 % par an entre 2007 et 2014.

Il n’y a pas de fatalité. C’est en montant en gamme et en se positionnant sur des segments de marché à forte valeur ajoutée que la filière se reconvertira. Ce repositionnement est déjà engagé : en témoignent, d’une part, la croissance observée dans des créneaux porteurs, comme l’emballage et l’hygiène, et, d’autre part, l’emploi croissant de technologies innovantes et la fabrication de produits biosourcés.

Le ministère de l’industrie soutient de tels efforts. Ainsi, il contribue au financement du projet BIO 3 que mène le groupe Fibre Excellence. On peut aussi citer le Centre technique du papier, qui vise à produire des composés biosourcés destinés aux industries de l’alimentaire et de la chimie.

Les imprimeurs peuvent bénéficier des appels à projets du programme d’investissements d’avenir, qui vise à développer des produits et des procédés d’impression innovants. Ils peuvent, par exemple, présenter leurs candidatures au concours d’innovation numérique et au fonds stratégique pour le développement de la presse, qui soutient les projets de modernisation industrielle assurant le rayonnement de la presse française en France et dans les pays francophones.

Le ministère de l’industrie publiera prochainement le rapport d’une étude sur la chaîne du livre, qui a été conduite en relation avec les acteurs de la profession, et proposera un plan d’action pour accroître la compétitivité de l’offre française d’impression de livres sur le territoire national.

L’État, en liaison avec les élus locaux et les organisations représentatives du personnel, a mené une politique active pour soutenir des entreprises importantes du secteur en accompagnement d’investisseurs porteurs de plans industriels crédibles.

C’est sous l’égide publique qu’un accord a été trouvé entre Papeteries de Gascogne, ses créanciers et un consortium d’investisseurs.

La puissance publique est aussi intervenue pour soutenir le groupe Sequana. Tout récemment, l’État, via la banque publique d’investissement, Bpifrance, vient de soutenir la création de la société Ecocis pour réindustrialiser l’ancien site papetier de Voreppe, dans l’Isère, dans un projet de fabrication de pâte à papier à partir de papiers usagés.

Enfin, à la suite du rapport de M. le député Bardy, nous avons confié à M. Raymond Redding une mission d’animation de la filière papier-cellulose afin de partager cette vision commune de montée en gamme.

M. le président. La parole est à M. Dominique Watrin.

M. Dominique Watrin. Madame la secrétaire d'État, je prends acte de cette réponse malheureusement un peu générale. Vous faites état d’une baisse de la consommation et d’un déplacement des productions vers les pays émergents. Comme je l’ai souligné dans ma question orale, nous avons à faire face à une véritable stratégie financière des grands groupes papetiers internationaux, qui passe par la délocalisation des productions et le recentrage des activités en France sur la commercialisation.

Je regrette que le ministre en charge des deux dossiers que j’ai évoqués n’ait pu répondre à ma question. Je rappelle qu’Arjowiggins se situe dans un bassin d’emploi sinistré, où les effectifs d’Arc International sont passés en quelques années de 13 000 salariés à 5 500 salariés. Quant à l’entreprise Stora Enso, à Corbehem, elle se situe dans la vallée de la Scarpe, territoire aujourd’hui également sinistré, qui a perdu sa sidérurgie ainsi que bon nombre d’activités industrielles.

Aussi, madame la secrétaire d’État, je compte sur vous pour transmettre à M. Emmanuel Macron, ministre de l’économie, de l’industrie et du numérique, en charge de ces deux dossiers, ma demande de délai supplémentaire. La situation est critique et il importe de mettre tous les atouts du côté du maintien dans une région déjà sinistrée de l’activité économique et des milliers d’emplois induits concernés.

situation de l'usine aperam dans le pas-de-calais

M. le président. La parole est à M. Jean-Claude Leroy, auteur de la question n° 1217, adressée à M. le ministre de l'économie, de l'industrie et du numérique.

M. Jean-Claude Leroy. Madame la secrétaire d’État, ma question porte sur la situation de l’usine Aperam, à Isbergues, dans le département du Pas-de-Calais. Ce site de production, spécialisé dans la fabrication de tôles en acier inoxydable, emploie actuellement 700 salariés. Après une mise à l’arrêt de son atelier de tôlerie classique, qui a déclenché un plan de sauvegarde de l’emploi en 2011, l’entreprise redémarre aujourd’hui une partie de ses activités de tôlerie classique.

Dans le cadre de la reprise du marché dans le secteur de l’inox, l’usine d’Isbergues a remis en marche la ligne « Inox 2 », au mois de septembre 2015, mais de façon temporaire. Parallèlement, elle investit pour moderniser sa ligne continue intégrée inox, la « LC2I », ligne de fabrication de tôles inox la plus moderne au monde : un investissement de 11 millions d’euros est prévu pour porter la capacité de production à 330 000 tonnes par an.

L’entreprise, si elle bénéficie pour l’instant d’un regain de dynamisme du secteur, doit cependant faire face à la concurrence de plus en plus importante des marchés asiatiques. En effet, en surcapacité de production, la Chine inonde le marché européen. En cinq ans, la Chine et Taïwan ont conquis 16 % du marché européen des inox en ayant recours à des pratiques de dumping. À la suite d’une enquête révélant ces pratiques que l’on pourrait qualifier de déloyales, la Commission européenne a décidé, au mois de mars dernier, d’imposer pour une durée de six mois des taxes anti-dumping – 25 % pour la Chine, 12 % pour Taïwan – sur certains produits en inox importés de ces pays.

Toutefois, si ces droits de douane n’étaient pas prorogés, l’industrie française des inox, notamment l’usine d’Isbergues, risquerait d’être de nouveau fortement affectée par les importations asiatiques : les efforts et les investissements réalisés ces derniers temps pour gagner en compétitivité pourraient alors être mis à mal. Cela aurait des effets non négligeables sur le secteur métallurgique, et des conséquences économiques et sociales importantes pour l’ensemble du bassin artésien.

Quelles mesures ou initiatives le Gouvernement entend-il donc prendre pour soutenir la production de l’inox en France et pour préserver les emplois des salariés du site Aperam, à Isbergues ?

M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d'État.

Mme Martine Pinville, secrétaire d'État auprès du ministre de l'économie, de l'industrie et du numérique, chargée du commerce, de l'artisanat, de la consommation et de l'économie sociale et solidaire. Monsieur le sénateur, la Commission européenne a été saisie de deux plaintes selon lesquelles les importations de produits plats laminés à froid en acier inoxydable originaires de la République populaire de Chine et de Taïwan feraient l’objet de pratiques de dumping et de subvention, causant ainsi un préjudice important à l’industrie de l’Union européenne.

Par avis publiés au Journal officiel de l’Union douanière, la Commission européenne a informé les opérateurs qu’une procédure anti-dumping était ouverte à l’encontre des importations de produits plats laminés à froid, en acier inoxydable, et qu’une enquête anti-subvention était instaurée sur les importations des mêmes marchandises, originaires de Chine. Ces avis ont également été publiés sur le site internet de la direction générale des douanes et droits indirects, la DGDDI.

Afin que cette situation n’entraîne pas un accroissement des préjudices économiques des industries européennes, l’importation de ces produits originaires de Chine et de Taïwan a été soumise à enregistrement par les autorités nationales compétentes à compter du 17 décembre 2014 et pendant la durée des deux procédures que j’ai mentionnées.

Par avis aux importateurs publiés sur son site internet, la DGDDI a appelé l’attention des importateurs sur la possibilité qu’une mesure de droit anti-dumping ou compensateur – anti-subvention – soit instituée à l’issue de l’enquête, avec application rétroactive de ces droits aux importations ayant été enregistrées.

Depuis le 26 mars 2015, un droit anti-dumping provisoire a été institué à l’importation de ces articles. L’enquête anti-subvention n’ayant pas permis de conclure à une pratique déloyale, il a été mis fin à l’enregistrement de ces importations sans instauration de droit compensateur.

Les services du ministère, dont la direction générale du Trésor, ont bien entendu accompagné la société Aperam tout au long de la procédure, auprès tant de la Commission européenne au stade de la formulation de ses propositions que des autres États membres au stade des consultations et votes. Aussi, lors d’une réunion du comité des instruments de défense commerciale le 23 juillet dernier, la France s’est prononcée en faveur de la proposition de la Commission européenne d’imposer des mesures anti-dumping définitives, jugées très satisfaisantes par Aperam et de nature à lui permettre de pérenniser son activité.

Dans ce cadre, le règlement européen portant mise en place définitive des droits a été publié le 26 août 2015, une majorité d’États membres s’étant prononcés en faveur de cette proposition.

M. le président. La parole est à M. Jean-Claude Leroy.

M. Jean-Claude Leroy. Je donne acte au Gouvernement de sa réponse.

dégradation de la desserte en téléphonie mobile et internet dans le cantal

M. le président. La parole est à M. Jacques Mézard, auteur de la question n° 1241, adressée à Mme la secrétaire d'État auprès du ministre de l'économie, de l'industrie et du numérique, chargée du numérique.

M. Jacques Mézard. Madame la secrétaire d’État, ma question porte sur la dégradation de la desserte en téléphonie mobile et internet ces derniers mois dans le département du Cantal, que j’ai l’honneur de représenter au Sénat.

Au-delà des discours et des déclarations de principe, la question de la desserte du territoire cantalien en matière de téléphonie mobile et de service internet, loin d’être résolue, se pose toujours avec autant d’acuité, si ce n’est plus.

Malheureusement, ces derniers mois, nombre d’habitants du Cantal ont pu constater une forte dégradation de ces services. Celle-ci s’est caractérisée par la multiplication des interruptions dans les communications, par la perte de tout réseau téléphonique et internet dans des secteurs entiers du territoire, par exemple la vallée de Brezons ou la vallée de la Jordanne. Très clairement, les opérateurs – à commencer par l’opérateur historique Orange – n’apportent pas les réponses techniques adéquates.

Les conséquences sont très négatives pour le territoire, tant pour les entreprises que pour les particuliers, et cela nuit fortement au secteur touristique. Ainsi, dans les villages de vacances, les communications familiales ont été coupées. Imaginez la réaction des parents qui n’arrivaient plus à joindre leurs enfants…

Au moment où les collectivités locales – tant le conseil départemental, la communauté d’agglomération que je préside que la région et son plan numérique – consentent des efforts financiers substantiels, cette situation est tout à fait inacceptable.

Madame la secrétaire d’État, quelles mesures urgentes le Gouvernement entend-il prendre pour qu’il soit remédié à ces dysfonctionnements perturbant la vie et le développement du territoire cantalien, déjà considéré comme l’un des plus enclavés de France ?

J’ai interpellé sur ce problème grave les opérateurs concernés, en particulier l’opérateur historique. Celui-ci n’en disconvient pas. Toutefois, une telle réponse ne saurait faire réponse...

M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d'État.

Mme Martine Pinville, secrétaire d'État auprès du ministre de l'économie, de l'industrie et du numérique, chargée du commerce, de l'artisanat, de la consommation et de l'économie sociale et solidaire. Monsieur le sénateur, le Gouvernement a engagé la France dans la modernisation de ses infrastructures numériques, pour assurer l’égalité entre les territoires. Elle y consacre des moyens très importants : 3,3 milliards d’euros d’ici à 2022, dont plus de 80 % sont déjà inscrits en loi de finances. Le Gouvernement s’est aussi engagé, lors des comités interministériels aux ruralités des mois de mars et septembre 2015, à améliorer l’accès à la téléphonie mobile au bénéfice de l’ensemble des territoires.

S’agissant du plan France Très Haut Débit, quatre-vingt-neuf départements ont conçu des projets de réseaux à très haut débit qui permettront d’apporter la fibre optique à 6 millions de foyers et d’entreprises dans les territoires ruraux. Nous visons une couverture de l’ensemble du territoire d’ici à 2022. En la matière, l’Auvergne est d’ailleurs un territoire exemplaire !

Avant que ces nouveaux réseaux ne soient déployés, il convient que les réseaux existants soient correctement entretenus. Le Gouvernement a ainsi soutenu la proposition de loi d’André Chassaigne pour mieux assurer l’entretien des réseaux téléphoniques fixes et propose d’en reprendre les dispositions dans le projet de loi pour une République numérique. L’Autorité de régulation des communications électroniques et des postes, l’ARCEP, a également engagé une action à l’encontre d’Orange, qui a pris des engagements d’investissements dans l’entretien de son réseau.

J’en viens à la couverture mobile. Emmanuel Macron et Axelle Lemaire ont engagé, par la loi, un plan visant à couvrir avant la fin 2016 en internet mobile les communes rurales encore privées de couverture et à équiper avant la mi-2017 celles qui ne disposent pas d’un accès à l’internet mobile. Le régulateur pourra sanctionner tout manquement des opérateurs.

Enfin, un guichet unique sera mis en place au début de l’année 2016 pour couvrir 800 sites, zones blanches économiques ou touristiques, en dehors des centres-bourgs, en fonction des demandes des collectivités territoriales. Les communes du Cantal qui attendent une amélioration de la couverture mobile pourront évidemment bénéficier de ce nouveau dispositif.

M. le président. La parole est à M. Jacques Mézard.

M. Jacques Mézard. Madame la secrétaire d’État, voilà l’exemple d’une non-réponse à une question précise ! Le problème est non pas la future couverture des zones blanches ou le développement du très haut débit, mais bien le fonctionnement actuel du service, qui se dégrade !

Malheureusement, sur ce sujet, je n’ai pas entendu de véritables propositions d’amélioration.

M. Bruno Sido. Moi non plus !

M. Jacques Mézard. Comment voulez-vous que nos concitoyens comprennent que le Gouvernement et les collectivités leur annoncent qu’ils consentent un effort exceptionnel dans les territoires pour la fibre optique – ce qui est très bien –, et ce alors qu’ils n’ont plus ni téléphone ni internet ? Nous n’avons là aucune réponse adéquate !

M. Jacques Mézard. Orange, à qui j’ai également posé la question, m’a répondu avoir des difficultés : depuis qu’un quatrième opérateur existe, l’entreprise n’est plus en mesure de tenir ses engagements. Voilà le problème !

Dans le même temps, depuis quelques jours, l’opérateur historique est attaqué en justice devant le tribunal de commerce de Paris par SFR, qui lui demande 540 millions d’euros. Voilà un problème de fond !

Comment expliquer à nos concitoyens que les problèmes de réception sont cette année tels qu’il leur est devenu impossible d’utiliser leur portable, alors qu’ils pouvaient le faire l’année dernière, ou que le réseau internet a subi des dizaines, voire des centaines d’interruptions en juillet et en août ?

Ma question portait sur la réalité de terrain, et j’aurais aimé une réponse en conséquence !

M. Alain Vasselle. Très bien ! C’est vrai partout : chez moi aussi, dans l’Oise, il y a des problèmes en milieu rural !

situation préoccupante des éleveurs laitiers

M. le président. La parole est à M. Alain Vasselle, auteur de la question n° 1205, adressée à M. le ministre de l'agriculture, de l'agroalimentaire et de la forêt, porte-parole du Gouvernement.

M. Alain Vasselle. Je remercie M. le ministre de l’agriculture d’être venu en personne répondre à ma question sur les éleveurs.

Comme vous le savez, monsieur le ministre, les producteurs des filières porcine, bovine et laitière sont dans une situation particulièrement difficile. Les producteurs de lait sont très préoccupés par la disparation des quotas laitiers et par les conséquences qui pourraient en résulter, la première d’entre elles étant la chute drastique des prix du lait, qui va bien évidemment les placer dans une situation économique et sociale particulièrement délicate.

La production n’étant plus plafonnée, les importations de lait risquent d’augmenter de manière importante, ce qui entraînera inévitablement une instabilité des prix et une radicalisation de la compétition pour la filière française, notamment avec les producteurs d’Europe du Nord.

Monsieur le ministre, quelles mesures le Gouvernement a-t-il l’intention de prendre pour éviter aux éleveurs de connaître cette situation particulièrement difficile ?

Certes, les producteurs de lait français pourraient peut-être bénéficier à terme de la libéralisation du marché, nous dit-on, mais la conjoncture que nous traversons étant particulièrement difficile, il est important que le Gouvernement apaise les inquiétudes des producteurs et les rassure en leur indiquant quelles mesures il compte prendre afin que le prix de vente du lait ne soit pas inférieur à son coût de production.

Je sais, monsieur le ministre, que vous allez prochainement rencontrer les éleveurs, peut-être même aujourd'hui. Vous pouvez donc dévoiler au Sénat les mesures que vous comptez leur annoncer !

M. le président. La parole est à M. le ministre.

M. Stéphane Le Foll, ministre de l'agriculture, de l'agroalimentaire et de la forêt, porte-parole du Gouvernement. Monsieur le sénateur, si vous avez évoqué la situation de l’ensemble des filières d’élevage, votre question porte plus précisément sur la filière laitière et sur la fin des quotas laitiers. Je rappelle que la décision de les supprimer a été prise en 2008. En tant que député européen, j’avais alors voté contre cette mesure.

Quelle est donc la situation aujourd'hui ? Et quels risques courons-nous ?

Il faut savoir qu’une quinzaine ou une vingtaine des 24 milliards de litres de lait produits en France aujourd'hui est exportée en Europe, mais aussi sur le marché international pour la fabrication de produits tels que la poudre de lait et le beurre, lesquels sont directement dépendants des prix du marché mondial.

Compte tenu de la fin des quotas laitiers, tous les pays européens, mais aussi des pays tels que l’Australie, les États-Unis et la Nouvelle-Zélande, se sont mis en tête d’aller conquérir le fameux marché chinois et tous ont augmenté leur production. Les pays européens l’ont tellement augmentée qu’ils ont même dépassé la hausse régulière de 1 % autorisée dans la perspective de la fin des quotas. Ils ont donc été sanctionnés et ont dû payer près de 800 millions d’euros d’amendes, cette somme ayant par ailleurs permis de financer en partie le plan européen présenté au mois de septembre par la Commission européenne.

Ce qui me préoccupe désormais, c’est qu’il n’existe plus aucun système de coordination de la production laitière. Le risque est que, tous les pays partant à la conquête des marchés à l’international, chacun d’entre eux se mette à augmenter sa production. Le problème est que, en cas de contraction des marchés internationaux, comme c’est le cas aujourd'hui, la Chine achetant moins que prévu, les excédents de production destinés à l’exportation se retrouvent sur le marché européen et font baisser les prix.

Pour ma part, j’essaie de permettre le retour à un minimum de coopération et de coordination au sein de la filière laitière à l’échelon européen. C’est très difficile, car certains pays, et vous les avez cités, monsieur le sénateur, en particulier les pays du Nord, mais aussi l’Allemagne, considèrent que le marché, c’est le marché, et que chacun doit assumer sa part de responsabilités. Le problème est que, avec la fin des quotas laitiers, disparaîtront également les sanctions financières ; or elles limitent tout de même la capacité à conquérir des marchés.

Quelle stratégie allons-nous désormais mettre en place ? Je pense que la France a un atout : elle dispose de surfaces et de capacités fourragères que d’autres n’ont pas. Les exploitations les plus résistantes face à la crise, on le voit, sont celles dont l’autonomie fourragère est la plus importante. Nous devons donc renforcer la compétitivité de la filière laitière en organisant son autonomie fourragère, en utilisant pour cela nos surfaces et nos potentialités climatiques et saisonnières, lesquelles sont très intéressantes et importantes. Telle est la stratégie mise en place avec la création des groupements d’intérêt économique et environnemental dont nous avons discuté ici au Sénat lors de l’examen de la loi d’avenir pour l’agriculture, l’alimentation et la forêt.

Nous devons également faire évoluer les systèmes de contractualisation, en créant de nouveaux contrats, tripartites, associant la grande distribution. Les grandes entreprises laitières françaises, dont certaines sont les plus importantes du monde, utilisant la production laitière française et l’image de la France en Europe et dans le monde pour exporter des produits à haute valeur ajoutée, comme le fromage, les producteurs doivent bénéficier en retour de cette stratégie. C’est cela le sujet.

J’ai parfaitement conscience que le marché mondial a un effet sur le prix du lait. La baisse du prix de la poudre de lait par exemple a un impact sur une entreprise qui exporte 30 % de sa production – dans les grandes coopératives, le lait collecté est transformé soit en produit à haute valeur ajoutée, soit en produit à faible valeur ajoutée, comme la poudre de lait et le beurre – et donc sur le prix d’achat du lait au producteur.

J’ai rencontré voilà une semaine la Fédération nationale des producteurs de lait, la FNPL. Nous allons travailler à une évolution du système contractuel afin de garantir aux producteurs des durées de collecte du lait plus longues, ainsi qu’un niveau de prix. Le pire aujourd'hui pour un producteur laitier, c’est la volatilité des prix. Rendez-vous compte : l’an dernier, le prix de la tonne de lait était en moyenne de 365 euros, contre 307 ou 310 euros cette année, malgré toutes les mesures qui ont été prises pour gérer les prix. Les prix ont donc baissé de 25 % en une année ! C’est déstabilisant à la fois pour les producteurs et pour l’industrie. Il faut donc stabiliser les prix.

Puisqu’il n’est plus possible de jouer sur les quantités, compte tenu de la disparition des quotas laitiers, la France doit être capable de s’organiser en utilisant son potentiel fourrager et en faisant évoluer le système contractuel afin de garantir la collecte et une plus grande stabilité des prix. Telles sont les propositions que je ferai.

J’ai cet après-midi une réunion avec la filière bovine, qui rencontre les mêmes problèmes. En réponse, la stratégie pour cette filière est la même : il faut davantage stabiliser les prix et éviter les variations.

À nous de jouer, de nous organiser. Tel est l’enjeu des discussions qui se déroulent depuis déjà six mois et qui vont se poursuivre.

M. le président. La parole est à M. Alain Vasselle.

M. Alain Vasselle. Je suis a priori satisfait de la réponse de M. Le Foll. Je constate que nous posons le même diagnostic.

Il est vrai que la capacité de la France en matière de production fourragère est un facteur de compétitivité pour les éleveurs. Quant à la voie contractuelle, elle peut être une solution. Je me permets toutefois de faire remarquer à M. le ministre que ses prédécesseurs ont également tenté de trouver une solution pour les éleveurs, mais également pour toutes les filières de l’agriculture – les céréaliers, les betteraviers – et de l’élevage en utilisant la voie contractuelle, mais que cette solution n’a pas eu les effets et les retombées attendus par l’ensemble de la profession.

J’espère donc, monsieur le ministre, que vous parviendrez à obtenir une garantie des prix pour les éleveurs et pour les autres producteurs afin que le prix qui leur est payé ne soit pas inférieur à leur coût de revient, afin de ne pas mettre leurs entreprises en difficulté et de ne pas conduire certains d’entre eux au dépôt de bilan. Nous comptons sur vous.

attaques du loup dont de nombreux troupeaux sont victimes

M. le président. La parole est à M. Didier Guillaume, auteur de la question n° 1232, adressée à M. le ministre de l'agriculture, de l'agroalimentaire et de la forêt, porte-parole du Gouvernement.

M. Didier Guillaume. Monsieur le ministre, je vais une nouvelle fois vous interroger sur la situation de l’élevage ovin et sur la présence du loup dans les montagnes de France.

Nous sommes tous d’accord pour considérer qu’il est indispensable de préserver la biodiversité. À ce titre, le loup, comme d’autres, est une espèce protégée par la convention de Berne. Toutefois, permettez-moi de vous faire part de nouveau du grand désarroi de la population et de la grande inquiétude de l’ensemble des élus des territoires où est implanté le loup. Permettez-moi également de vous livrer l’impression que j’ai eue sur le terrain à plusieurs reprises : les éleveurs ovins sont sur le point de lâcher prise.

Aujourd'hui, monsieur le ministre, la présence du loup dans nos territoires est un problème. Nous devons dire clairement, haut et fort, que le pastoralisme et la présence du prédateur sont incompatibles.

M. Loïc Hervé. Très bien !

M. Didier Guillaume. Pour ma part, je choisirai toujours l’éleveur face au prédateur.

M. Bruno Sido. Parfait !

M. Didier Guillaume. La situation aujourd'hui est très délicate : 10 000 brebis ont été égorgées en plus d’un an, dont plusieurs centaines dans mon département. Pardonnez-moi de vous donner des détails pratiques, mais les éleveurs sont désormais obligés de rentrer leurs brebis vers seize heures trente ou de surveiller leur troupeau des nuits entières sans dormir. Ce n’est plus possible.

Pourtant, monsieur le ministre, jamais autant d’avancées n’ont été réalisées dans la lutte contre les prédations des loups dans les troupeaux. À cet égard, le plan loup que vous avez présenté a constitué une véritable avancée. L’autorisation de prélever trente-six loups sur le territoire national a été très appréciée par nos concitoyens et par les éleveurs. Toutefois, nous n’arrivons pas à effectuer ces prélèvements. C’est une véritable difficulté.

Ne faut-il pas aller plus loin, monsieur le ministre, dans les techniques mises en œuvre pour prélever des loups ? Ne faut-il pas donner encore plus de moyens aux lieutenants de louveterie, aux fédérations départementales des chasseurs ? Les bergers titulaires d’un permis de chasse pourraient certes effectuer de tels prélèvements, mais ce n’est pas leur métier.

Monsieur le ministre, je vous demande de lancer un appel auprès de vos collègues ministres de l’agriculture européens. Si l’on ne veut pas que l’élevage ovin, qui ne se portait pas trop mal ces derniers temps, disparaisse parce que les éleveurs n’en pourront plus et parce qu’il ne sera plus possible de maintenir des élevages dans les territoires ruraux à cause de la présence du loup, il faut permettre une modification de la convention de Berne et de la directive « Habitats ». (M. Loïc Hervé applaudit.)

M. le président. La parole est à M. le ministre.

M. Stéphane Le Foll, ministre de l'agriculture, de l'agroalimentaire et de la forêt, porte-parole du Gouvernement. Monsieur le sénateur, cher Didier Guillaume, vous avez évoqué les attaques du loup dont de nombreux troupeaux sont victimes. Depuis 2012, je ne compte plus les débats auxquels j’ai participé, au Sénat comme à l’Assemblée nationale, où la question a été soulevée.

Je ne peux pas faire comme si la détresse des éleveurs que j’ai rencontrés n’existait pas. Elle est souvent l’expression du désarroi et de l’impuissance face aux dégâts provoqués par le prédateur qu’est le loup.

Je ne peux pas non plus faire comme si nous n’avions rien fait, avec Ségolène Royal. Des décisions très importantes ont été prises, notamment dans le cadre du plan loup, avec la possibilité d’autoriser des prélèvements. Ceux-ci se montent aujourd'hui à trente-six, soit un niveau qui n’avait encore jamais été atteint.

Par ailleurs, j’avais été frappé, lors de ma prise de fonctions, par la lenteur des décisions en matière d’autorisations de prélèvements. Celles-ci prenaient effet quinze jours après l’attaque, avec le risque de prélever un loup qui n’y était pas directement lié. Leur efficacité était donc ridicule. Il a fallu remanier complètement les outils de gestion et de prélèvement, afin que ces derniers soient réactifs et adaptés au terrain. Pour ce faire, les lieutenants de louveterie, mais aussi l’Office national de la chasse et de la faune sauvage, l’ONCFS, et des chasseurs, qui peuvent à présent être accrédités, ont été mobilisés. En effet, nul n’est plus efficace, dans la gestion des tirs, que des gens qui connaissent le terrain et savent où opérer les prélèvements.

Le sujet est plus que jamais d’actualité, en particulier dans votre département, monsieur le sénateur, puisque le préfet de la Drôme, sur la base de ce que vous aviez proposé lors de la discussion de la loi d’avenir pour l’agriculture, l’alimentation et la forêt, avait autorisé des tirs de prélèvements renforcés qui ont été contestés par des associations. Le tribunal a confirmé depuis lors la validité légale de cet arrêté préfectoral.

L’État et les préfets disposent désormais d’un arsenal de mesures pour aider les éleveurs à réguler les attaques de loup et à s’en protéger.

Il y a, bien sûr, la protection passive. Les ministères de l’agriculture et de l’écologie apportent l’aide nécessaire à sa mise en place et à sa gestion.

À la fin des fins, des compensations liées à la perte du troupeau sont versées, même si cela n’est guère satisfaisant.

Vous mentionnez la convention de Berne, qui excède, par définition, les responsabilités européennes puisqu’elle touche d’autres pays. Les négociations y sont donc extrêmement longues. Sur ce sujet, l’étape la plus importante, à mes yeux, est celle de la directive « Habitats ». Comme je l’avais indiqué devant le Sénat, j’ai déjà pris des contacts avec un certain nombre de ministres européens. Du côté espagnol, par exemple, mes interlocuteurs sont aujourd'hui ouverts à une rediscussion de la directive « Habitats », alors que la question du loup ne se posait pas dans leur pays voilà quelques années. Du côté italien, en revanche, les choses sont moins évidentes. Le ministre de l’agriculture italien, que j’ai saisi, n’a envie ni d’engager une négociation ni de faire pression pour renégocier cette directive.

Donc, si nous voulons agir sur la réglementation pour enrichir les possibilités de réguler la population de loups et protéger l’élevage pastoral de nos montagnes, il faut le faire, comme l’a dit Mme la ministre de l’écologie, Ségolène Royal, certes au niveau de la convention de Berne, mais surtout au niveau de la directive « Habitats ». Le loup y est classé en tant qu’espèce protégée en voie de disparition, alors qu’il n’est plus, nous le savons, malheureusement pour les éleveurs, une espèce en voie de disparition. Nous devons pouvoir adapter le classement à la réalité : oui, le loup a failli disparaître, mais ce n’est plus le cas aujourd'hui. Sa présence progresse sur une partie de plus en plus vaste de notre territoire.

Avec la ministre de l’écologie, nous sommes parfaitement conscients des enjeux. J’avais pris des contacts, mais, depuis lors, est survenue la crise de l’élevage et je n’ai pas eu le temps de poursuivre. J’aurai à nouveau des discussions avec mes interlocuteurs espagnols. Nous devons reprendre le débat de manière posée, objective, au sein de l’Europe, en particulier au sujet de la directive « Habitats ». Il s’agit simplement de constater que le loup n’est plus une espèce en voie de disparition en Europe. Dès lors, nous devons nous donner des outils pour protéger l’élevage, en particulier le pastoralisme, qui est absolument nécessaire dans les zones de montagne.

Voilà, monsieur le sénateur, la ligne qui est la nôtre : développer des outils de défense, de protection et, parallèlement, engager un travail de persuasion à l’échelle européenne pour renégocier la directive « Habitats ».

M. Bruno Sido. Très bien !

M. le président. La parole est à M. Didier Guillaume.

M. Didier Guillaume. Je vous remercie de votre réponse, monsieur le ministre, qui va totalement dans le bon sens. Effectivement, jamais autant n’a été entrepris face aux prédateurs, jamais autant de moyens n’ont été mis en œuvre, mais les résultats restent insuffisants et nous avons tous besoin, aujourd'hui, de nous serrer les coudes pour aller dans cette direction. Peut-être conviendrait-il d’envisager d’autres moyens, tels que le piégeage, pour prélever les loups.

Je me suis rendu récemment dans une petite commune, Les Prés, dans le pays Diois, dont le maire est lui-même éleveur, et j’ai vu des hommes âgés de plus de cinquante ans, qui aiment le métier qu’ils font depuis l’âge de quatorze ou quinze ans, pleurer, totalement abattus par la situation. Eh bien je vous le dis comme je le pense : cela fait mal au cœur ! Ce n’est pas l’image que nous avons de l’agriculture. Si nous voulons une belle politique d’aménagement du territoire, il faut préserver les pâturages, le pastoralisme ; il faut que des brebis, des moutons entretiennent les paysages, sous la houlette de bergers à qui nous devons donner les moyens pour ce faire.

C'est la raison pour laquelle, monsieur le ministre, j’apprécie votre réponse sur la directive « Habitats », dont il faut absolument lancer la rediscussion à l’échelle européenne et nationale. C’est la seule façon de résoudre le problème. Aujourd'hui, le loup n’est pas une espèce en voie de disparition, loin de là, mais il pourrait bien provoquer la disparition de l’élevage dans notre pays.

Monsieur le ministre, je vous fais confiance, je partage votre ligne de conduite : espérons que les choses puissent aller dans le bon sens !

contournement de langres

M. le président. La parole est à M. Bruno Sido, auteur de la question n° 1161, adressée à M. le secrétaire d'État auprès de la ministre de l'écologie, du développement durable et de l'énergie, chargé des transports, de la mer et de la pêche.

M. Bruno Sido. Ma question s’adresse à M. le secrétaire d’État auprès de la ministre de l’écologie, du développement durable et de l’énergie, chargé des transports, de la mer et de la pêche. Elle porte sur la déviation de Langres-sud, dans le cadre du prolongement de l’itinéraire autoroutier Île-de-France, Haute-Saône, Territoire de Belfort, qui s’interrompt aujourd’hui encore au sud-ouest de Langres.

Monsieur le secrétaire d’État, le contournement de Langres en direction de Vesoul revêt une importance majeure pour les acteurs économiques du sud de la Haute-Marne. Sa réalisation, dans les prochaines années, permettrait en particulier d’établir une relation fiable pour les échanges entre les entreprises des secteurs de la plasturgie et de l’automobile, pour lesquels les délais de livraison et les durées d’acheminement sont des variables déterminantes pour l’activité, et donc pour l’emploi.

Dans cette perspective, deux opérations majeures sous maîtrise d’ouvrage de l’État sont envisagées : la déviation de Port-sur-Saône, et la déviation de Langres.

La première a été récemment confirmée par une déclaration publique de M. le Président de la République ; la seconde, bien qu’inscrite au contrat de plan État-région, n’a encore à ce jour ni plan de financement ni calendrier.

Si la société des Autoroutes Paris-Rhin-Rhône, APRR, a bien prévu, dans le cadre de l’avenant au contrat de concession, d’ouvrir l’autoroute A 319 entre Langres et Vesoul, non seulement il ne s’agit pas encore d’une décision définitive, mais la période de réalisation annoncée est comprise entre 2030 et 2050.

Les entreprises régionales ne peuvent attendre aussi longtemps, monsieur le secrétaire d’État, vous l’avez bien compris.

Si cette première hypothèse n’était pas finalisée, ce qui ne doit pas être exclu a priori, il me semble déterminant que le Gouvernement prenne l’engagement d’un doublement de la RN 19 entre Port-sur-Saône et Langres.

Concernant le contournement de Langres, les études préalables à la déclaration d’utilité publique, la DUP, prévues au projet de contrat de plan État-région doivent donc être engagées rapidement. Comme président du conseil départemental de la Haute-Marne, je proposerai à mes collègues de répondre favorablement à la demande de cofinancement adressée par l’État, sous réserve du respect d’un calendrier adapté aux besoins des entreprises des départements et de la région concernés.

C’est la raison pour laquelle je vous remercie par avance, monsieur le secrétaire d’État, de bien vouloir m’informer du calendrier précis prévu pour la réalisation de cette déviation, comme pour l’ensemble de l’itinéraire Port-sur-Saône-Langres.

M. le président. La parole est à M. le secrétaire d'État.

M. Jean-Marie Le Guen, secrétaire d'État auprès du Premier ministre, chargé des relations avec le Parlement. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, monsieur le sénateur Sido, je vous prie de bien vouloir excuser l’absence de M. Alain Vidalies, qui participe en ce moment même à l’hommage aux victimes de l’accident de Puisseguin, aux côtés du Président de la République.

Le Gouvernement, monsieur le sénateur, est pleinement conscient des enjeux de la desserte des territoires ruraux, mais aussi urbains et industriels, situés entre Langres et Vesoul. L’amélioration des conditions de circulation sur la RN 19 entre Langres et Vesoul est en effet déterminante pour le développement du potentiel économique du sud de la Champagne-Ardenne et du nord de la Franche-Comté. C’est pour cette raison que l’État considère que la priorité doit être donnée à la réalisation des déviations de Langres et de Port-sur-Saône.

Pour la déviation de Port-sur-Saône, déclarée d’utilité publique en 2013, le Président de la République a rappelé à Vesoul, le 15 septembre dernier, que les procédures préalables sont en passe de s’achever pour un début effectif des travaux du viaduc de la Scyotte en 2016. Les crédits nécessaires à la réalisation de cette déviation, soit 126 millions d’euros, dont 93,5 millions d’euros apportés par l’État, figurent au projet de contrat de plan État-région de la région Franche-Comté.

S’agissant du contournement sud de Langres, comme vous le savez, le projet n’a pas bénéficié de l’accord de la Commission européenne pour l’intégration de ses études dans le plan de relance autoroutier tel que l’avait présenté l’État en 2013. Toutefois, cela ne remet aucunement en cause l’engagement de ce dernier sur ce projet. La preuve en est que l’enveloppe financière nécessaire pour la réalisation des études préalables à l’enquête publique et des acquisitions foncières, représentant un montant total de 5 millions d’euros, dont 3 millions d’euros pour l’État, a été inscrite au contrat de plan État-région 2015-2020 de la région Champagne-Ardenne.

L’ambition du Gouvernement est bien d’avancer sur ce dossier avec les collectivités intéressées, avec notamment pour objectif de pouvoir porter le projet à l’enquête préalable à la déclaration d’utilité publique dans de bonnes conditions.

Les études des différentes possibilités s’achèveront à la fin de cette année et permettront de mener une phase de concertation au cours de l’année prochaine. Le bon déroulement de cette phase permettra de lancer la production des études économiques et environnementales nécessaires à la tenue de l’enquête préalable à la déclaration d’utilité publique.

Je me réjouis du fait que le conseil départemental de la Haute-Marne pourrait apporter les 2 millions d’euros complémentaires pour la tenue des phases préalables à la DUP et les acquisitions foncières. L’engagement de tous les acteurs est en effet primordial pour permettre une concrétisation rapide de cette opération si importante pour le développement économique et industriel de toute cette région.

M. le président. La parole est à M. Bruno Sido.

M. Bruno Sido. Je vous remercie, monsieur le secrétaire d'État, de votre réponse. M. le secrétaire d’État chargé des transports est bien entendu tout à fait excusé de son absence, dont nous comprenons parfaitement la raison.

Vous avez précisé que les travaux de Port-sur-Saône seraient réalisés, pour un montant non négligeable de 126 millions d'euros. Cette déviation améliorera grandement la circulation sur la RN 19.

Pour autant, ma question porte sur le contournement sud de Langres. Effectivement, 5 millions d'euros sont prévus dans le contrat de plan État-région. Monsieur le secrétaire d'État, inutile de vous dire qu’avec 5 millions d'euros, nous pourrons tout juste réaliser – et encore – les études préalables et, éventuellement, les acquisitions foncières. Vous avez indiqué que l’étude de faisabilité se terminerait à la fin de l’année, afin de lancer la phase préalable à la DUP en 2016 ; j’en prends acte.

Je voudrais simplement attirer votre attention, monsieur le secrétaire d'État, et plus largement celle du Gouvernement, sur l’importance du calendrier pour les entreprises qui travaillent en flux tendus, voire très tendus. Lorsque ceux-ci ne sont pas suffisamment fluides, il peut se produire des retards et des arrêts d’usines, ce qui pénalise grandement l’emploi. Il est donc essentiel de réaliser cette déviation de Langres le plus rapidement possible.

avancée du dossier de la ligne à grande vitesse paris-limoges-poitiers

M. le président. La parole est à Mme Marie-Françoise Perol-Dumont, auteur de la question n° 1272, adressée à M. le secrétaire d'État auprès de la ministre de l'écologie, du développement durable et de l'énergie, chargé des transports, de la mer et de la pêche.

Mme Marie-Françoise Perol-Dumont. Nous comprenons naturellement que M. le secrétaire d'État chargé des transports ne puisse être présent parmi nous ce matin.

Ma question porte sur l’avancée du dossier de la LGV Poitiers-Limoges, une liaison qui fait partie intégrante de la ligne Sud-Europe-Atlantique.

Les récentes annonces gouvernementales sur la réalisation des lignes TGV Bordeaux-Toulouse et Bordeaux-Dax, qui avaient reçu un avis négatif de la commission d’enquête publique, confirment bien que, si la mise à niveau des axes ferroviaires traditionnels et la modernisation du matériel roulant sont nécessaires, les besoins de développement du réseau TGV en certains points du territoire aujourd’hui exclus de la grande vitesse ferroviaire restent absolument incontournables.

Avec cette décision, le Gouvernement n’a fait qu’assumer sa responsabilité en la matière, en donnant le feu vert de l’État à ces lignes à grande vitesse.

Après avoir reçu un avis positif de la commission d’enquête publique, la déclaration d’utilité publique de la ligne TGV Paris-Poitiers-Limoges a été signée par le Gouvernement en janvier 2015, décision que je le remercie encore une fois d’avoir prise.

L’engagement budgétaire des collectivités locales et territoriales, quelle que soit leur tendance politique, dans le cadre du tour de table financier, de même que l’engagement sans faille du monde socio-économique attestent, s’il en était besoin, du rôle capital de ce projet pour l’avenir d’un bassin de population de 3 millions d’habitants et de 900 000 emplois.

Aussi, monsieur le secrétaire d’État, pouvez-vous me confirmer l’engagement de l’État sur ce projet, dont la réalisation devient encore plus indispensable et urgente dans le cadre de la nouvelle belle et grande région Limousin-Poitou-Charentes-Aquitaine ? Pouvez-vous également me donner quelques informations sur les perspectives calendaires ?

M. le président. La parole est à M. le secrétaire d'État.

M. Jean-Marie Le Guen, secrétaire d'État auprès du Premier ministre, chargé des relations avec le Parlement. Je vous remercie, madame Perol-Dumont, de rappeler que la priorité du Gouvernement va à la modernisation du réseau existant. La poursuite des grands projets doit aller de pair avec l’amélioration des performances de nos lignes classiques, qui sont vieillissantes, après l’achèvement de quatre LGV en cours de réalisation.

S’agissant de la modernisation du réseau existant de la ligne « POLT », qui relie Limoges à Paris, le Gouvernement a récemment confié au préfet de la région Limousin l’élaboration d’un schéma directeur permettant de présenter les améliorations envisagées, d’une part, sur le service de train d’équilibre du territoire, ou TET, d’autre part, sur l’infrastructure.

À cet égard, le schéma directeur de la ligne « POLT » couvrira tant les opérations de renouvellement, qui doivent conduire à la mobilisation de 500 millions d’euros d’ici à 2020, que les opérations de modernisation, qui bénéficient de près de 90 millions d’euros dans le cadre des contrats de plan que vient de conclure l’État avec les régions Centre-Val-de-Loire et Limousin.

Pour ce qui concerne le dossier de la ligne nouvelle entre Poitiers et Limoges, le Gouvernement maintient la feuille de route qu’il s’était fixée à la suite des conclusions de la commission « Mobilité 21 » : signer la déclaration d’utilité publique ; mettre à profit les volets « mobilité » des nouveaux contrats de plan État-région, les CPER, pour poursuivre les études de conception détaillées du projet et élaborer un schéma de financement soutenable pour l’ensemble des partenaires.

Le décret déclarant d’utilité publique les travaux de construction de cette ligne a ainsi été signé le 10 janvier 2015.

Plusieurs recours en annulation ont été déposés auprès du Conseil d’État et sont aujourd’hui en cours d’instruction.

Une enveloppe d’un montant de 42 millions d’euros, cofinancée par l’État, SNCF Réseau et la région Limousin, figure au projet de CPER 2015-2020 de la région Limousin, signé le 28 mai par le Président de la République.

La nouvelle étape d’études détaillées qui va débuter devra permettre d’éclairer les partenaires grâce à une meilleure connaissance des coûts.

M. le président. La parole est à Mme Marie-Françoise Perol-Dumont.

Mme Marie-Françoise Perol-Dumont. Je prends acte de votre réponse, monsieur le secrétaire d’État.

Les travaux en cours sur l’axe Paris-Orléans-Limoges sont nécessaires. Pour autant, l’amélioration de cet axe ne résoudra pas la question de la connexion au réseau européen à grande vitesse.

C’est la raison pour laquelle ces travaux de modernisation sur l’axe « historique » doivent être menés parallèlement à la réalisation du barreau TGV.

Il est impératif de mener à bien ce chantier. Je me permets, monsieur le secrétaire d’État, de vous rappeler la bonne avancée des consultations sur ce dossier, le résultat favorable des négociations foncières, conduites sous l’égide de l’assemblée départementale, ainsi que le coût extrêmement contenu du projet – le moins cher au kilomètre s’agissant d’une ligne TGV. Pour toutes ces raisons, la réalisation de ce barreau doit s’affirmer comme prioritaire dans les futurs chantiers de lignes à grande vitesse.

situation des conciliateurs de justice

M. le président. La parole est à M. Yannick Botrel, auteur de la question n° 1198, adressée à Mme la garde des sceaux, ministre de la justice.

M. Yannick Botrel. Monsieur le secrétaire d’État, j’évoquerai la question des conciliateurs de justice et de leur situation. Mon intérêt pour cette question découle d’un double constat.

Par la rapidité et la simplicité de leur action, les conciliateurs de justice évitent souvent le déroulement de contentieux longs et coûteux, tant d’ailleurs pour l’État que pour les justiciables eux-mêmes. En ce sens, leur rôle est tout à fait intéressant et utile.

Je soulignerai ensuite la place grandissante prise par ces conciliateurs dans nos territoires. Leurs compétences, notamment en matière de troubles de voisinage, de conflits entre un propriétaire et un locataire, de créances impayées ou de malfaçons, ou encore, pour ne retenir que les cas les plus fréquents, de difficultés à faire exécuter un contrat, en font des interlocuteurs privilégiés pour nos concitoyens et, parfois aussi, pour les maires.

Si les affaires qu’ils traitent ne défraient pas la chronique, elles contribuent néanmoins, si vous me permettez l’expression, à « pourrir la vie » d’un nombre important de particuliers.

En ce sens, l’intérêt de l’existence d’une procédure de conciliation gratuite, plus rapide qu’une action juridictionnelle, ne me semble faire l’objet d’aucun doute.

Dans cette optique, les conciliateurs ont en quelque sorte pris la place des juges de paix d’antan et endossé le rôle qui leur était dévolu.

Cela est d’autant plus remarquable que l’exercice de ces fonctions est bénévole. Et c’est là, parfois, que le bât blesse.

En moyenne, un conciliateur de justice perçoit 232 euros par an de remboursement au titre de ses frais de fonctionnement. Soyons clairs, cela ne couvre même pas l’essence qu’ils utilisent pour aller à la rencontre des personnes qui les sollicitent, singulièrement dans les territoires ruraux.

Depuis de nombreuses années, rapport après rapport, les experts insistent sur l’utilité qu’il y aurait à développer les modes alternatifs de règlement des litiges.

Mme le garde des sceaux, ministre de la justice, s’est approprié cette analyse, comme en témoigne, notamment, la septième action de son plan « Justice 21 ».

Toutefois, et sans renoncer pour autant au principe du bénévolat des activités de conciliation, ne serait-il pas envisageable de redéfinir les règles de prise en charge des frais de fonctionnement, afin qu’elles soient mieux adaptées à la réalité que je viens de décrire ?

Pour conclure, je suis convaincu qu’il ne s’agirait pas d’une véritable dépense publique supplémentaire, car ces moyens renforcés entraîneraient par ailleurs une diminution des actions juridictionnelles engagées par nos concitoyens.

M. le président. La parole est à M. le secrétaire d'État.

M. Jean-Marie Le Guen, secrétaire d'État auprès du Premier ministre, chargé des relations avec le Parlement. Monsieur le sénateur, permettez-moi tout d’abord d’excuser l’absence de Mme Taubira, retenue en raison d’obligations liées à ses fonctions.

Je voudrais également préciser que, dans le cadre de la réforme judiciaire portée par la garde des sceaux, la proximité de la justice est une priorité. La conciliation est un outil essentiel afin de rendre la justice plus proche – vous l’avez souligné, monsieur le sénateur –, plus accessible et plus lisible. C’est pourquoi il est proposé de développer la conciliation en la rendant obligatoire pour les petits litiges du quotidien avant d’accéder au juge.

Il conviendra alors d’augmenter le nombre des conciliateurs, qui exercent une vraie mission de service public aux côtés des professionnels de la justice. À l’heure actuelle, près de 1 800 conciliateurs actifs sont recensés sur le territoire. Le besoin supplémentaire est estimé à un tiers, soit 600 conciliateurs.

Une évolution de leur statut est par ailleurs à l’étude à la Chancellerie.

Afin d’affermir leur place au sein de l’institution, il est prévu de leur donner l’opportunité de participer aux conseils de juridiction, au plan local, et de siéger au Conseil national de l’accès au droit et à la justice, au plan national. Le processus de leur recrutement sera confié à des magistrats coordonnateurs des tribunaux d’instance afin de raccourcir les délais d’instruction des candidatures.

La qualité de la mission des conciliateurs est d’autant plus louable que ce sont des bénévoles qui consacrent du temps à l’œuvre de justice. Comme vous le soulignez avec raison, ce bénévolat ne doit pas pour autant générer de frais pour les conciliateurs. C’est pourquoi, outre leurs dépenses de fonctionnement, sont également pris en charge leurs frais de déplacement. Il est envisagé un doublement des dépenses de fonctionnement – frais de téléphone, d’affranchissement postal, etc. –, actuellement forfaitisées à 232 euros par an.

S’agissant des frais de déplacement, remboursés selon le régime des personnels civils de l’État, une enquête effectuée auprès de plusieurs cours d’appel a révélé que le montant moyen remboursé s’élevait à 449 euros par an.

Enfin, une subvention de 40 000 euros a été attribuée pour l’année 2015 à la Fédération des associations des conciliateurs de justice.

Le Gouvernement entend donc donner toute leur place, y compris financièrement, aux modes alternatifs de règlement des différends, notamment la conciliation, comme en témoigne le projet de loi portant application des mesures relatives à la justice du XXIe siècle, en cours d’examen par la Haute Assemblée.

M. le président. La parole est à M. Yannick Botrel.

M. Yannick Botrel. Monsieur le secrétaire d’État, je vous remercie de cette réponse très complète et je partage un certain nombre des arguments que vous avez avancés. Il est évident, en particulier, que les conciliateurs exercent une mission de service public.

Le rôle des conciliateurs est à ce point reconnu que leur nombre va être considérablement réévalué, comme vous venez de l’indiquer.

Je note aussi avec satisfaction que le statut des conciliateurs sera amené à évoluer, et qu’ils seront mieux reconnus dans les missions qu’ils accomplissent.

Enfin, j’ai relevé que les frais seront pris en charge de façon plus réaliste qu’ils ne le sont actuellement, avec notamment un doublement des frais liés à l’exercice de la fonction.

Compte tenu du nombre de conciliateurs en exercice sur le territoire national, la dépense ne devrait pas être trop importante. Quoi qu’il en soit, elle sera sans rapport avec la qualité du service rendu par ces personnes.

indemnisation des ex-otages victimes de terrorisme

M. le président. La parole est à M. Hervé Marseille, auteur de la question n° 1212, transmise à Mme la garde des sceaux, ministre de la justice.

M. Hervé Marseille. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, ma question s’adresse en effet à Mme la garde des sceaux et porte sur l’indemnisation des ex-otages victimes de terrorisme.

Créé par la loi n°90-589 du 6 juillet 1990, le fonds de garantie des victimes des actes de terrorisme et d’autres infractions, le FGTI, est destiné à l’indemnisation des victimes. Ce sont les articles L. 422-1 à L. 422-6 et R. 422-1 à R. 422-10 du code des assurances qui traitent de l’organisation et du financement du FGTI.

Le fonds de garantie est alimenté à 75 % par une contribution forfaitaire de 3,30 euros prélevée sur chaque contrat d’assurance de biens, soit près de 285 millions d’euros, et il dispose d’un budget global de 407 millions d’euros environ.

J’observe que le FGTI est géré par un conseil d’administration de huit membres : un représentant du secteur de l’assurance, quatre représentants de divers ministères, trois membres d’associations de victimes et un président issu du Conseil d’État ou de la Cour de cassation.

Chaque année, le FGTI gère 16 000 demandes d’indemnisation, dont moins d’une centaine provenant de victimes du terrorisme.

Or, si le fonds de garantie ne semble ni manquer de ressources ni manquer d’indemniser des victimes, les règles et les critères concernant les conditions d’indemnisation sont assez mystérieux.

En effet, il convient de remarquer la différence de traitement entre le cas des deux ex-otages français qui ont été détenus en l’an 2000 sur l’île de Jolo, et qui ont obtenu 350 000 euros, après une action devant les tribunaux, au terme de 140 jours de captivité – c’est-à-dire quatre mois et vingt jours – et la situation réservée aux ex-otages d’Arlit, comme le rapporte l’un d’entre eux.

Après 1139 jours de captivité, soit plus de trois ans, cet ancien otage s’est vu proposer 50 000 euros d’indemnisation. Cette somme fut par la suite portée à 500 000 euros, puis réduite à 300 000 euros, après que son entreprise eut décidé de l’indemniser également. Aujourd’hui, les ex-otages d’Arlit ont dû prendre des avocats pour se faire entendre, ce qui n’est pas normal.

Monsieur le secrétaire d’État, alors que le FGTI est administré pour moitié par des représentants directs des ministères et présidé par une personnalité issue de l’une de nos plus hautes juridictions, il conviendrait que l’action de l’État soit la plus transparente possible afin de respecter nos concitoyens qui ont vécu l’horreur de la captivité pendant plusieurs années. L’indemnisation doit être rapide et juste.

C’est pourquoi je souhaite savoir ce que le Gouvernement entend mettre en œuvre afin que les conditions d’indemnisation des ex-otages victimes de terrorisme soient clarifiées et que ces affaires soient réglées avec la célérité et l’équité qu’elles méritent.

M. le président. La parole est à M. le secrétaire d'État.

M. Thierry Mandon, secrétaire d'État auprès de la ministre de l'éducation nationale, de l'enseignement supérieur et de la recherche, chargé de l'enseignement supérieur et de la recherche. Monsieur le sénateur, je vous prie d’excuser Mme la garde des sceaux, qui, ne pouvant être présente au Sénat ce matin, m’a chargé de répondre à sa place à votre question.

Les sommes versées aux victimes d’actes de terrorisme ne constituent pas les seuls préjudices indemnisés par le FGTI, dont vous avez parlé, créé par la loi du 9 septembre 1986. Le FGTI a en effet réglé, en 2014, les sommes de 256,2 millions d’euros aux victimes des infractions de droit commun et de 27,2 millions d’euros au titre du dispositif du service d’aide au recouvrement des indemnisations allouées aux victimes d’infractions pénales.

Comme vous l’énoncez à juste titre, ce fonds indemnise également les victimes d’actes de terrorisme et dispose, pour ce faire, de réserves suffisantes permettant de garantir la poursuite de ces indemnisations dans des conditions équitables.

En 2014, le FGTI a versé aux victimes du terrorisme la somme de 6,5 millions d’euros et, au 30 juin de cette année, 6,4 millions d’euros ont été alloués.

Il convient de rappeler que l’article L. 422-1 du code des assurances pose le principe de la réparation intégrale du dommage résultant de l’atteinte à la personne.

Les indemnisations offertes et réglées par le fonds sont donc calculées en fonction du préjudice spécifique de chacune des victimes concernées. Elles sont notamment calculées à partir d’une expertise médicale contradictoire.

Cette réparation est augmentée de l’indemnisation du préjudice exceptionnel des victimes d’actes de terrorisme, récemment créée par décision du conseil d’administration du FGTI en date du 29 avril 2014.

Les effets cumulés de ces principes peuvent aboutir à des variations dans les réparations de dommages versées.

En mentionnant un ex-otage du Sahel, vous faites probablement référence à la situation d’un ex-otage d’Arlit, qui a effectivement reçu 50 000 euros à titre de première provision. Par la suite, une deuxième provision de 500 000 euros a été envisagée, qui a été ramenée à 300 000 euros pour tenir compte des indemnités versées par son employeur, conformément à l’article R. 422-8 du code des assurances.

Cette procédure d’offre, mise en place par la loi du 9 septembre 1986, ne dispense cependant pas le demandeur d’établir l’existence et l’étendue des différents chefs de préjudice.

Concernant la situation de cet otage, une ordonnance du juge des référés du tribunal de grande instance de Créteil en date du 16 juillet 2015 a confirmé ce point, en indiquant que l’absence d’une expertise médicale – qui avait été proposée à plusieurs reprises par le fonds de garantie – faisait obstacle à ce que l’existence et le quantum de certains préjudices soient reconnus et évalués, et a, avant dire droit, ordonné cette mesure d’instruction qui permettra au fonds de faire une offre d’indemnisation.

Cet otage sollicitait par ailleurs une somme de 3 millions d’euros, en se fondant sur la jurisprudence dite « Jolo », qui aurait fixé, selon lui, le montant dû à un otage à titre de réparation par jour passé en captivité.

Tel n’est malheureusement pas le sens des dernières décisions de justice intervenues en matière d’indemnisation des victimes d’actes de terrorisme, ainsi qu’il ressort des arrêts des 23 janvier 2009 et 13 février 2012 prononcés par la cour d’appel de Paris dans deux affaires distinctes.

Ces décisions démontrent que le préjudice demeure évalué par les juridictions en fonction des circonstances de chaque cas d’espèce.

Enfin, il convient de rappeler qu’en tout état de cause, les victimes peuvent, en cas de non-acceptation des offres d’indemnisation provisionnelle ou définitive faites par le FGTI, saisir le tribunal d’une demande d’indemnisation, dans les conditions fixées par les articles L. 422-2 et L. 422-3 du code des assurances et 2226 du code civil.

M. le président. La parole est à M. Hervé Marseille.

M. Hervé Marseille. Je vous remercie, monsieur le secrétaire d’État, de ces précisions, qui sont importantes, mais qui restent très administratives… Vous conviendrez qu’après des mois voire des années de captivité, les vies de nos concitoyens sont brisées. L’un d’entre eux, qui habitait ma commune, est maintenant chez lui, ne travaille plus et son ménage n’a pas survécu. Ces otages doivent prendre des avocats pour essayer de se faire entendre, alors même qu’on envoie des soldats, qui risquent leurs vies, pour les libérer.

Il est nécessaire d’apprécier et d’évaluer chaque situation, mais on ne peut pas attendre des années avant d’indemniser des personnes dont la vie a ainsi été brisée et dont le sort a suscité une émotion nationale.

J’ai écrit à AREVA, l’entreprise gestionnaire du site d’Arlit ; je n’ai jamais eu de réponse, même pas un accusé de réception ! J’ai aussi saisi Mme Taubira, qui, aimablement, m’a fait recevoir par des membres de son cabinet.

Ainsi, les entreprises restent à l’écart et je conviens qu’il peut exister des volets sur lesquels il ne faut pas s’étendre. Néanmoins, il serait souhaitable de mettre en place des médiations pour faire avancer ces dossiers, afin d’éviter qu’ils n’aboutissent devant les juridictions et que cela ne dure finalement des années et des années.

Ces personnes gardent des séquelles et font face à de graves difficultés. L’État doit donc s’engager davantage pour y mettre un terme.

M. Jean-Claude Carle. Absolument !

prélèvement sur les fonds de roulement des universités

M. le président. La parole est à Mme Valérie Létard, auteur de la question n° 1199, adressée à M. le secrétaire d’État auprès de la ministre de l’éducation nationale, de l’enseignement supérieur et de la recherche, chargé de l’enseignement supérieur et de la recherche.

Mme Valérie Létard. Ma question s’adresse à monsieur le secrétaire d’État chargé de l’enseignement supérieur et de la recherche.

Initialement, je souhaitais vous interroger, monsieur le secrétaire d’État, sur la décision de ponctionner de 100 millions d’euros les fonds de roulement d’une dizaine d’universités et d’une vingtaine d’écoles de l’enseignement supérieur. Ces fonds de roulement permettent souvent aux établissements de compenser les désengagements financiers de l’État. Ils financent leurs investissements, notamment en matière d’entretien, de sécurité et de mise en accessibilité de leurs bâtiments.

Les établissements de la région Nord-Pas-de-Calais ont subi une ponction particulièrement lourde, puisqu’elle s’est élevée à 35 millions d’euros, ce qui représente plus d’un tiers du total prélevé et alors même que la part des étudiants dans cette région atteint seulement 7 %.

Or, comme vous le savez, cette région n’est certainement pas la mieux dotée et certaines des universités concernées sont notoirement sous-dotées en personnel. Il y a donc eu, dans le choix de cette répartition de l’effort, une double pénalisation : la pénalisation d’établissements vertueux ayant fait l’effort de se constituer des réserves et celle d’une région qui connaît avec la crise un regain de difficultés économiques et sociales.

Depuis votre arrivée au ministère, monsieur le secrétaire d’État, vous avez fait savoir que vous ne reviendriez pas sur les arbitrages de l’année 2015 – on peut comprendre que ce soit complexe dans le contexte budgétaire –, confirmant ainsi la pérennité de cette ponction. Le Premier ministre, devant les remontées extrêmement fermes du terrain, a indiqué que la reconduction de ce prélèvement pour l’année 2016 était définitivement abandonnée, ce dont nous ne pouvons que nous féliciter.

Néanmoins, et en particulier pour les universités du nord de la France, les prélèvements de 2015 vont annihiler les efforts drastiques de gestion ainsi que ceux qui ont été mis en œuvre pour développer les ressources propres, dans la logique même que vous souhaitez encourager en matière de formation continue, et pour constituer des provisions destinées à réaliser les investissements nécessaires à la qualité de service due aux étudiants.

La situation de l’université de Lille 2 est, à cet égard, emblématique. Alors que vos services reconnaissent que cet établissement souffre d’un déficit d’au moins quatre cents postes, que cette université a fait l’objet d’un écrêtement récurrent de 8 millions d’euros par an depuis trois ans et que certains de ses locaux, à la limite de l’insalubrité, nécessitent une rénovation urgente, la ponction supplémentaire opérée en 2015 va freiner des investissements indispensables.

Au moment où vous annoncez un léger desserrement de la contrainte budgétaire grâce à une augmentation de votre budget de 165 millions d’euros et où vous affichez une volonté de corriger les plus fortes disparités en matière d’encadrement des étudiants, pouvez-vous, monsieur le secrétaire d’État, prendre aujourd’hui l’engagement que les moyens supplémentaires disponibles seront aussi répartis en tenant compte des efforts déjà demandés en 2015 et en essayant de réduire l’injustice qui a été ressentie ? Beaucoup d’universités ont été sollicitées alors qu’elles n’auraient pas dû l’être !

M. le président. La parole est à M. le secrétaire d'État.

M. Thierry Mandon, secrétaire d'État auprès de la ministre de l'éducation nationale, de l'enseignement supérieur et de la recherche, chargé de l'enseignement supérieur et de la recherche. Madame la sénatrice, votre question comporte deux éléments : le prélèvement sur les fonds de roulement en 2015 et son devenir en 2016 dans le cadre des évolutions budgétaires.

Sur le prélèvement effectué en 2015, vous avez raison de rappeler que la loi de finances, qui est en cours d’application, prévoyait une participation de certains établissements d’enseignement supérieur aux économies à hauteur de 100 millions d’euros.

Dans la région Nord-Pas-de-Calais, certains établissements d’enseignement supérieur, à savoir deux universités, l’Institut d’études politiques de Lille et trois écoles d’ingénieurs, ont fait partie des quarante-sept établissements qui ont été concernés par cette mesure. Après mobilisation, leur fonds de roulement reste supérieur à soixante-douze jours de dépenses de fonctionnement au minimum, alors que le seuil prudentiel que nous avions retenu était de soixante-cinq jours.

Je tiens à le rappeler, cette mobilisation n’a par ailleurs porté que sur des crédits libres d’emploi, c’est-à-dire qu’il a été tenu compte de tous les projets d’investissement d’ores et déjà engagés. Ceux-ci ont été placés en dehors de l’opération de mobilisation. Afin d’identifier ces crédits, une méthodologie particulière, développée par l’inspection générale de l’administration de l’éducation nationale et de la recherche et par l’inspection générale des finances, a été appliquée à tous les établissements.

L’analyse des fonds de roulement, dont le montant est souvent dû aux marges dégagées par les universités du fait de leur bonne gestion, a bien entendu été faite en relation avec les services des universités, même si leur enthousiasme était naturellement limité…

L’ensemble de leurs projets d’investissements pluriannuels, notamment en matière de politique immobilière, a été pris en considération afin de garantir leur mise en œuvre.

Par ailleurs, pour observer la réalité des flux financiers entre l’État et les universités, il faut mentionner que la dotation de fonctionnement a augmenté en 2015 pour ces établissements, et ce de manière durable, en particulier pour l’université de Lille 2, qui bénéficie d’un total de moyens nouveaux par rapport à 2014 de 2,279 millions d’euros.

En outre, en ce qui concerne cette université, qui a besoin d’être soutenue, comme vous l’avez à juste titre mentionné, un rattrapage en emplois a été opéré en sa faveur au regard de son sous-encadrement relatif : vingt-cinq emplois supplémentaires ont été accordés en 2015, après trente-cinq en 2013 et quarante et un en 2014.

Cela m’amène à la seconde partie de votre question.

Je vous confirme que le Premier ministre a annoncé qu’il n’y aurait pas de reconduction du prélèvement sur les fonds de roulement en 2016, ce qui est bien inscrit dans le projet de loi de finances, que vous examinerez dans quelques semaines.

Par ailleurs, le montant de dotation supplémentaire du programme 150 destiné aux universités, que vous avez chiffré à juste titre, à cette étape de la discussion budgétaire, à 165 millions d’euros, sera attribué en fonction de trois éléments.

Au-delà des règles actuelles d’attribution des dotations aux universités dans le cadre du logiciel dénommé SYMPA, deux critères supplémentaires seront introduits.

Je souhaite tout d’abord pouvoir amorcer un rééquilibrage entre les disciplines en ce qui concerne les taux d’encadrement, certaines étant vraiment à des niveaux très faibles comparés à d’autres. Nous devons ensuite tenir compte des efforts réalisés par les universités pour accueillir les étudiants, dans le contexte actuel d’augmentation des effectifs. Ces deux critères supplémentaires pourraient être profitables, me semble-t-il, à des universités de votre territoire.

M. le président. La parole est à Mme Valérie Létard.

Mme Valérie Létard. Monsieur le secrétaire d’État, je vous remercie de ces précisions, mais je souhaite insister sur plusieurs points.

Notre région est candidate à un appel à projets dans le cadre des initiatives d’excellence – IDEX – des investissements d’avenir. Lorsqu’on s’engage dans une telle aventure, pour avoir la chance de la mener à bien, on a besoin de pouvoir investir et d’apporter des fonds propres pour aller chercher des fonds européens. Il est donc quelque peu contradictoire de nous demander d’être vertueux, d’économiser pour nous permettre d’apporter les fonds propres nécessaires et, dans le même temps, de nous les prendre pour réduire les dépenses publiques.

J’attire votre attention, monsieur le secrétaire d’État, sur la nécessité d’atteindre un double objectif : faire des investissements, notamment pour que les IUT et universités de notre région aient des locaux en bon état, et être au rendez-vous de ce programme IDEX.

Sans une université en ordre de marche, on ne pourra pas relever le défi de la reconversion économique. Dans le contexte actuel, nous avons besoin d’universités et de centres de recherche et il faut leur laisser des marges de manœuvre.

Vous êtes proche des territoires et nous comptons sur votre écoute pour que cet exercice complexe soit possible. Pour redécoller économiquement et relever le défi qui est devant elle, notre région doit pouvoir s’appuyer sur ses universités.

impact de la réforme des collèges sur l’enseignement des langues régionales vivantes

M. le président. La parole est à Mme Hermeline Malherbe, auteur de la question n° 1169, transmise à M. le secrétaire d’État auprès de la ministre de l’éducation nationale, de l’enseignement supérieur et de la recherche, chargé de l’enseignement supérieur et de la recherche.

Mme Hermeline Malherbe. Monsieur le secrétaire d’État, ma question sur l’impact de la réforme du collège sur l’enseignement des langues régionales s’adressait à vous, mais également à Mme la ministre de l’éducation nationale, de l’enseignement supérieur et de la recherche.

La loi du 8 juillet 2013 d’orientation et de programmation pour la refondation de l’école de la République, tout comme la réforme du collège, ambitionne de redonner ses lettres de noblesse à l’enseignement des langues régionales tout au long de la scolarité. Si louable que soit l’intention du législateur, des inquiétudes se font jour quant à sa mise en œuvre. En effet, il existe aussi, de l’aveu de certains enseignants et professionnels, un risque de déclassement de l’enseignement des langues régionales dans les collèges.

Ironie des agendas, ironie de l’histoire, je pose cette question orale en séance publique le jour même où doit être examiné le projet de loi constitutionnelle autorisant la ratification de la Charte européenne des langues régionales ou minoritaires. Je ne lancerai donc pas le débat sur cette question, puisqu'il aura lieu cet après-midi.

Bien entendu, le français est notre langue officielle, symbole de notre République, et la langue régionale un « plus » qui vient enrichir la culture et l’identité d’un territoire : elle mérite à ce titre respect et considération.

Les langues régionales sont donc une richesse pour notre cohésion sociale, elles sont notre patrimoine commun. Je sais, par exemple, à quel point l’apprentissage du catalan et de l’occitan, en plus du français, participe au développement personnel des élèves des classes bilingues de nos écoles publiques. Cet apprentissage est une force et une source indéniable de progrès pour les élèves.

Nous devons chérir ce bien culturel immatériel et, comme pour tout bien menacé de disparition, en assurer la préservation, la mise en valeur et le développement. Il nous faut aussi donner des gages à celles et à ceux qui, chaque jour, dans nos départements, dans nos régions, assurent la vitalité des langues régionales. Sur ces questions, la charge symbolique est forte et les réticences, les freins, les obstacles sont nombreux. Pourtant, nous devons prendre date pour l’avenir.

Monsieur le secrétaire d’État, ma question est d’une grande simplicité : quelle place voulez-vous réserver à l’enseignement des langues régionales de la maternelle au lycée ? Quelle place voulez-vous réserver aux langues régionales dans notre République ?

M. le président. La parole est à M. le secrétaire d’État.

M. Thierry Mandon, secrétaire d’État auprès de la ministre de l’éducation nationale, de l’enseignement supérieur et de la recherche, chargé de l’enseignement supérieur et de la recherche. Madame la sénatrice, je m’associe à la réponse que Mme la ministre de l’éducation nationale, de l’enseignement supérieur et de la recherche souhaitait vous faire.

Comme vous le savez, l’objectif de la réforme du collège est de renforcer l’acquisition par les élèves des savoirs fondamentaux dans toutes les matières et de leur permettre de s’approprier le socle commun de connaissances, de compétences et de culture indispensable à leur futur parcours de formation. Ce socle intègre l’apprentissage des langues régionales. Ainsi, je tiens à vous assurer des conséquences positives de cette réforme pour l’enseignement de ces langues, qu’elle contribuera même à développer et à favoriser.

Par ailleurs, je vous rappelle que cet enseignement reste régi par la circulaire n° 2001-166 du 5 septembre 2001 et, en ce qui concerne l’enseignement bilingue, par les instructions pédagogiques figurant dans l’arrêté du 12 mai 2003. La réforme du collège ne remet pas en cause les dispositions de ces textes et je peux donc vous assurer que l’existence des sections bilingues de langues régionales est garantie dans les mêmes conditions qu’aujourd’hui, ainsi que celle des dispositifs bilangues de continuité et des enseignements d’initiation et de sensibilisation en classe de sixième.

De plus, au même titre que la deuxième langue vivante, les élèves pourront apprendre une langue régionale dès la cinquième, et non plus à partir de la quatrième comme c’est le cas aujourd’hui. Le volume des heures hebdomadaires dédié à cet enseignement sera également augmenté de 25 %, soit 54 heures supplémentaires sur une année.

Enfin, l’un des thèmes des enseignements pratiques interdisciplinaires est axé autour des « langues et cultures régionales ». Il pourra être proposé aux élèves dès la classe de cinquième et se poursuivre jusqu’à la classe de troisième. En faisant figurer les langues régionales dans ces enseignements, la réforme que nous avons engagée crée les conditions concrètes de l’utilisation de ces langues et des cultures qui leur sont associées.

Ces mesures permettront à un grand nombre d’élèves de découvrir une ou plusieurs langues régionales, ainsi que leurs environnements respectifs. Ils auront la possibilité de s’initier à leur pratique, d’en avoir une approche comparative et d’élaborer des projets visant à les valoriser.

Comme vous pouvez le constater, madame la sénatrice, les langues régionales voient leur apport dans la scolarité des élèves tout à fait reconnu dans le cadre de la réforme du collège et leur enseignement disposera même de moyens renforcés.

M. le président. La parole est à Mme Hermeline Malherbe.

Mme Hermeline Malherbe. Monsieur le secrétaire d’État, je vous remercie des précisions contenues dans votre réponse. Elles répondront aux attentes de tous ceux qui œuvrent pour que l’enseignement de nos langues régionales constitue un atout pour tous les élèves, de la maternelle au lycée – en particulier au collège, puisque c’est le point que vous avez abordé –, et contribue à renforcer notre République. Je n’en dis pas plus, puisque vous avez indiqué l’ensemble des moyens qui permettent d’assurer un développement satisfaisant de cet enseignement.

situation du secteur des travaux publics et notamment des canalisateurs

M. le président. La parole est à M. Jean-Claude Carle, auteur de la question n° 1208, transmise à Mme la ministre de la décentralisation et de la fonction publique.

M. Jean-Claude Carle. Madame la ministre, permettez-moi d’appeler votre attention sur la situation très difficile à laquelle doivent faire face les opérateurs des travaux publics, en particulier les canalisateurs. Depuis un an et demi maintenant, ceux-ci ont constaté sur l’ensemble du territoire national une baisse d’activité d’une ampleur inédite. Ainsi, selon les métiers et les régions, on constate des diminutions de 5 % à 70 % de l’activité en valeur !

Dans la région Rhône-Alpes, après une baisse de 8 % sur douze mois à la fin de 2013, le chiffre d’affaires des canalisateurs a décru de 29 % à la fin de l’année 2014 ! Sur les six premiers mois de 2015, la diminution est déjà de plus de 17 %. Dans mon département, elle est de 25 % à la fin de 2014 et de près de 14 % au premier semestre de cette année !

Je me dois ici de rappeler que la clientèle de ces entreprises est très largement publique. C’est encore plus vrai pour les canalisateurs, dont plus de 93 % de l’activité émane des donneurs d’ordres publics.

Or ceux-ci, en particulier les communes et les intercommunalités, ont massivement freiné les appels à projets. En Haute-Savoie, par exemple, si l’on compare en valeur le premier trimestre de 2014 et le premier trimestre de 2015, les projets lancés par les communes ont diminué de 20 % ; ceux des intercommunalités ont baissé de 10 % ; quant à ceux de la région, ils ont « dévissé » de 69 % !

Cette chute de l’activité est directement liée aux réformes territoriales, source d’une grande incertitude pour les collectivités, notamment en termes de compétences et de finances, mais également à la baisse des dotations de l’État et à la montée en puissance du mécanisme du Fonds national de péréquation des ressources intercommunales et communales, le FPIC. Ces deux dernières mesures grèvent fortement les budgets des collectivités territoriales, et donc leurs capacités d’investissement. Or ces collectivités sont à l’origine de plus des deux tiers de l’investissement public.

Des projets annulés, reportés sine die ou revus à la baisse représentent autant d’activité en moins pour les entreprises, et donc, malheureusement, des licenciements.

Parallèlement, dans notre pays, 20 % de l’eau traitée est perdue chaque année du fait des fuites des réseaux, soit 1,3 milliard de mètres cubes, ou encore l’équivalent de la capacité de 432 000 piscines olympiques ! Chaque année, 800 millions d’euros sont investis dans le renouvellement des canalisations, au lieu des deux milliards d’euros nécessaires pour assurer un remplacement. À ce rythme, il faudrait 170 ans pour renouveler l’ensemble des canalisations, ce qui est extrêmement long !

En revanche, de 2011 à 2014, les taxes dont les consommateurs doivent s’acquitter sur l’eau du robinet ont augmenté de 14,5 %, le prix moyen augmentant, lui, de 0,8 %.

Madame la ministre, je souhaiterais que vous m’indiquiez quelles décisions le Gouvernement serait disposé à prendre afin de lever les incertitudes pesant sur les collectivités locales, ce qui permettrait de relancer l’investissement, la commande publique, et ainsi de restaurer l’activité des entreprises, les recrutements, conformément à l’esprit de la loi Macron.

M. le président. La parole est à Mme la ministre.

Mme Marylise Lebranchu, ministre de la décentralisation et de la fonction publique. Monsieur le président, je sais que vous connaissez bien ces sujets !

Monsieur le sénateur, le soutien à l’investissement est l’un des soucis du Gouvernement, pour employer les mots du vocabulaire habituel. En effet, les chiffres que vous avez indiqués sont justes : l’investissement a baissé. Ce phénomène s’observe toujours dans la période qui suit les élections municipales, avec la réécriture des plans pluriannuels d’investissement, mais cette période est derrière nous. Se pose également la question des conditions générales qui incitent les élus à investir.

Je tiens à attirer votre attention sur deux points.

Tout d’abord, il ne faut jamais oublier que les budgets consacrés à l’eau et à l’assainissement sont des budgets annexes. Par conséquent, ils ne peuvent être financés au moyen du budget principal et leurs dépenses et recettes doivent être équilibrées en fonction de la redevance demandée à l’usager, c’est-à-dire du prix, avec différentes atténuations que vous connaissez bien, monsieur le sénateur.

Par conséquent, la baisse des dotations n’a pas une incidence directe aussi forte sur les budgets consacrés à l’eau et à l’assainissement que sur l’ensemble de l’investissement. En revanche, si les services de l’eau et de l’assainissement voient leur existence justifiée par la nécessité de traquer les fuites d’eau potable ou les désordres liés à l’assainissement, leur activité est aussi liée aux travaux d’infrastructures routières. De ce point de vue, le ralentissement du rythme des travaux sur les réseaux d’eau et d’assainissement ne dépend pas uniquement du niveau des budgets qui leur sont affectés, il est également lié à la nécessité de remettre en état les infrastructures routières lorsque l’on veut rénover les canalisations.

Il s’agit donc de faire face aux problèmes tels qu’ils se posent en consentant un effort accru d’investissement. À cette fin, nous avons augmenté la dotation de solidarité urbaine, la DSU, de 180 millions d’euros et la dotation de solidarité rurale, la DSR, de 117 millions d’euros.

S’agissant du FPIC, la question est posée depuis 2010 et nous avons discuté largement avec Gilles Carrez, qui suit ce dossier depuis l’origine. Je proposerai sans doute, dans le cadre de la discussion du projet de loi de finances, de ralentir la progression de ce fonds, même si ce n’est pas une bonne nouvelle pour tout le monde.

J’ajoute que l’octroi de 1 milliard d’euros supplémentaire aux collectivités locales en faveur de l’accueil des populations, c’est-à-dire du logement et de tout ce qui va avec, leur permettra de disposer d’un peu plus de crédits d’investissement.

Enfin, outre ces grandes priorités, il faut continuer d’augmenter la dotation d’équipement des territoires ruraux, la DETR, puisque ce sont ces territoires qui devront effectuer le plus de travaux. Il faut également réfléchir, dans le cadre de la discussion du projet de loi de finances, à une meilleure prise en compte de la TVA, de l’amortissement des équipements et du FCTVA ouvert au patrimoine des collectivités locales. Si nous réussissons à avancer dans tous ces domaines, les investissements dans l’eau et l’assainissement pourront repartir, de même que l’investissement global.

En conclusion, j’insisterai sur un point. Il faut indiquer aux entrepreneurs que, parallèlement à l’effort d’économie de 50 milliards d’euros que nous avons engagé, la décision d’accorder un allègement de charges extrêmement important aux entreprises – 6 % de la masse salariale brute – pour leur permettre de retrouver des marges, a eu pour « effet miroir » une baisse des dotations des collectivités locales. Nos entrepreneurs ont bénéficié d’une aide pour restaurer leur compétitivité, à laquelle s’ajoutera, dans trois mois, une nouvelle baisse du taux des cotisations des allocations familiales pour les entreprises. Il faut donc prendre en compte l’ensemble de ces données lorsque vous discutez avec les chefs d’entreprise.

M. le président. La parole est à M. Jean-Claude Carle.

M. Jean-Claude Carle. Je remercie Mme la ministre des précisions qu’elle a bien voulu m’apporter. Je note sa volonté de soutenir l’investissement, même si ses réponses ne me satisfont pas totalement. Je crains également qu’elles ne rassurent pas totalement les entreprises qui sont, pour bon nombre, tributaires des donneurs d’ordres publics.

Chacun connaît aujourd’hui les difficultés financières rencontrées par les collectivités locales et par l’État, notamment cette dette de 2 000 milliards d’euros. Cependant, sur ce total, madame la ministre, 1 800 milliards d’euros sont imputables à l’État et 200 milliards d’euros seulement – si j’ose dire ! – aux collectivités territoriales. J’insiste sur le fait que ces deux dettes ne sont pas de même nature : la dette de l’État est une dette de « voilure », de structure, de fonctionnement, alors que la dette des collectivités territoriales est une dette d’investissement. Il serait par ailleurs dangereux d’hypothéquer la relance par l’investissement des collectivités territoriales.

Je note avec satisfaction, madame la ministre, que vous avez exprimé la volonté de revoir le fonctionnement du FPIC. Je le dis d’autant plus facilement que ce fonds a été mis en place non pas par vous, mais par le gouvernement précédent. Force est de constater que, aujourd’hui, la contribution à ce fonds atteint des niveaux extrêmement importants pour certaines communes.

Je donnerai un seul exemple : la communauté de communes de la vallée de Chamonix-Mont-Blanc devra payer 3 millions d’euros au titre du FPIC cette année. Il faut développer la solidarité, certes, mais pas au point de décourager celles et ceux qui investissent et entreprennent, sauf à voir le chômage augmenter à nouveau, ce que personne ne souhaite !

conséquences de l'afflux de migrants dans les alpes-maritimes

M. le président. La parole est à Mme Colette Giudicelli, auteur de la question n° 1223, transmise à Mme la ministre de la décentralisation et de la fonction publique.

Mme Colette Giudicelli. Le département des Alpes-Maritimes est confronté depuis plusieurs mois à une vague exceptionnelle de migrants, qui tentent de passer la frontière italienne.

Nous devons faire face à une augmentation significative du nombre de mineurs isolés étrangers. Ainsi, du 1er janvier au 15 octobre de cette année, c'est-à-dire en un peu plus de dix mois, le flux du nombre de jeunes accueillis par le département s’est élevé à 1 534, contre 173 en 2014. Nous souffrons notamment d’un manque de places d’hébergement. Le foyer de l’enfance est saturé depuis 2013, et les mineurs isolés sont aujourd’hui accueillis au centre international de Valbonne.

Par ailleurs, le budget consacré à ces mineurs est passé de 3,3 millions d’euros en 2011 à 6,2 millions d’euros en 2014, pour atteindre cette année, toujours durant la période précitée, près de 7 millions d’euros.

Il convient de comparer ce coût avec le montant de la dotation forfaitaire de l’État, qui devrait s’élever à moins de 1 million d’euros en 2015. Nous ne pouvons plus raisonnablement assumer seuls cette charge, d’autant qu’elle n’a rien à voir avec la protection de l’enfance, mais devrait plutôt relever de la solidarité nationale.

Dans ce contexte, quelles dispositions le Gouvernement entend-il adopter pour réduire le coût global de cette prise en charge qui incombe aux départements, alors que cela ne devrait pas être le cas ?

M. le président. La parole est à M. le secrétaire d'État.

M. Harlem Désir, secrétaire d'État auprès du ministre des affaires étrangères et du développement international, chargé des affaires européennes. Madame la sénatrice, tout enfant en danger sur le territoire national peut bénéficier du dispositif de protection de l’enfance, ainsi que vous l’avez rappelé.

La loi du 5 mars 2007 réformant la protection de l’enfance a expressément précisé que les enfants temporairement ou définitivement privés de la protection de leur famille relevaient de l’intervention des départements au titre de la protection de l’enfance. L’État intervient au titre de sa mission régalienne d’évaluation des situations de danger et contribue ainsi à répondre aux situations des enfants isolés étrangers.

Un protocole d’accord a été conclu le 31 mai 2013 entre l’Assemblée des départements de France et les ministères de la justice, des affaires sociales et de l’intérieur, afin d’organiser un système de solidarité entre les départements pour assurer la prise en charge de ces enfants au travers d’une répartition des accueils.

Le ministère de la justice a constitué une cellule nationale de répartition, qui recueille des données auprès de chaque département sur le nombre de mineurs isolés accueillis et propose aux tribunaux des réorientations. Ceux-ci mettent en œuvre cette réorientation si tel est l’intérêt de l’enfant.

Ce protocole prévoit également une participation financière de l’État à hauteur de 250 euros par jour et par enfant dans la limite de cinq jours de prise en charge. Le 17 octobre 2015, le Gouvernement a versé sa participation pour l’année 2015, soit 9,5 millions d’euros.

Au demeurant, les mineurs privés temporairement ou définitivement de la protection de leur famille ne sont pas toujours en mesure de prouver leur minorité.

Dans le cadre de la procédure d’assistance éducative, l’article 1183 du code de procédure civile permet à l’autorité judiciaire d’ordonner toute mesure d’information : une enquête sociale, des examens médicaux, des expertises psychiatriques et psychologiques. Ces questions sont en débat au Parlement dans le cadre de la proposition de loi relative à la protection de l’enfant, déposée le 11 septembre 2014 par la sénatrice Michelle Meunier.

Dans les Alpes-Maritimes, la direction de la protection judiciaire de la jeunesse s’est mobilisée, ainsi que les autres services de l’État et le conseil régional, pour soutenir le département face à une situation exceptionnelle.

Entre le 1er juin et le 4 septembre 2015, 453 jeunes ont demandé protection. L’évaluation effectuée conjointement par les services de la police aux frontières, le procureur de la République et le conseil départemental a permis d’établir, sans recours d’ailleurs aux tests osseux, que seuls 100 d’entre eux étaient mineurs. Le 9 septembre dernier, 32 de ces enfants étaient mis à l’abri dans un internat scolaire et 7 d’entre eux étaient accueillis dans d’autres départements.

Paradoxalement, cette situation a permis, permettez-moi de le souligner, une reprise de contact fructueuse avec le conseil départemental des Alpes-Maritimes, qui ne transmettait plus de données à la cellule nationale de répartition des mineurs isolés depuis janvier 2015. En l’espèce, nous avons progressé dans le cadre d’une solidarité effective.

Madame la sénatrice, il serait donc faux de dire que l’État ne participe pas à la prise en charge des mineurs isolés de manière régulière, comme en cas de situation exceptionnelle d’ailleurs, et ce alors qu’il s’agit d’une compétence des départements.

M. le président. La parole est à Mme Colette Giudicelli.

Mme Colette Giudicelli. Monsieur le secrétaire d'État, je savais bien que vous n’alliez pas nous annoncer des millions et des millions d’euros pour combler les dotations que vous avez supprimées.

Que dire ? Les chiffres que vous avez énoncés sont faux. Si vous en êtes d’accord, rencontrons-nous pour en reparler.

installation illégale des gens du voyage sur des terrains publics ou privés

M. le président. La parole est à Mme Chantal Deseyne, auteur de la question n° 1242, adressée à M. le ministre de l'intérieur.

Mme Chantal Deseyne. Ma question porte sur les difficultés à faire évacuer rapidement les gens du voyage qui s’installent illégalement sur des terrains publics comme privés.

La loi du 5 juillet 2000 relative à l’accueil et à l’habitat des gens du voyage impose aux communes de plus de 5 000 habitants et aux établissements publics de coopération intercommunale, qui exercent la compétence au titre de l’aménagement, de l’entretien et de la gestion des aires d’accueil, d’organiser l’accueil des gens du voyage sur leurs territoires respectifs.

Malgré la mise à disposition d’aires d’accueil, des élus de petites communes ou des particuliers sont confrontés à l’installation illégale de gens du voyage sur des terrains publics ou privés.

Face à cette situation, les élus locaux et leurs administrés se trouvent mis devant le fait accompli et disposent de peu de moyens légaux pour agir rapidement.

Le coût de ces occupations illégales n’est pas supporté par ces populations non sédentaires. Ainsi, les dépenses liées à l’eau consommée, à l’électricité utilisée, aux déchets laissés après le départ et aux éventuelles dégradations sont inévitablement répercutées par les collectivités concernées sur les impôts des contribuables.

De plus, il ne faut pas sous-estimer l’impact humain : les élus des petites communes et leurs agents communaux, souvent à temps partiel, doivent consacrer beaucoup de temps et d’énergie pour remettre en état les lieux.

Les exemples d’installations illégales ne manquent pas ; il suffit de lire la presse locale pour s’en rendre compte. Que ce soit en Alsace ou en Bretagne, de nombreux campements sauvages fleurissent sur les territoires dès les beaux jours revenus. Dernièrement, c’est à Castres que plusieurs familles se sont installées à proximité de la gare, menaçant la sécurité des voyageurs et celle des agents de la SNCF. Le trafic a même été interrompu pendant presque deux semaines ! Il arrive aussi que les maires soient pris à partie, menacés et, dans certains cas – beaucoup plus rares –, agressés physiquement.

J’ai moi-même été confrontée, à deux reprises cette année, à ces difficultés. Et, malgré l’écoute du préfet et de la gendarmerie, la situation n’a pas évolué.

L’État peine à trouver une solution pour permettre des évacuations rapides en cas d’occupation illicite. Aussi les maires et leurs administrés ont-ils un sentiment d’impuissance et d’abandon. Il est nécessaire de donner plus de moyens aux maires et aux préfets, en mettant en place des mesures relatives à l’évacuation forcée et rapide des gens du voyage des terrains occupés de manière illicite.

Ainsi, quelles mesures le Gouvernement entend-il mettre en œuvre pour faire évacuer rapidement et sanctionner les gens du voyage qui occupent illégalement des terrains publics ou privés ?

M. le président. La parole est à M. le secrétaire d'État.

M. Harlem Désir, secrétaire d'État auprès du ministre des affaires étrangères et du développement international, chargé des affaires européennes. L’objet de la loi du 5 juillet 2000 relative à l’accueil et à l’habitat des gens du voyage est de rechercher un équilibre entre les droits et les devoirs réciproques des gens du voyage et des collectivités, afin de concilier, d’une part, la liberté constitutionnelle d’aller et venir, et la possibilité des gens du voyage à pouvoir stationner dans des conditions décentes, et, d’autre part, la nécessité pour les élus locaux d’éviter des installations illicites, susceptibles de porter atteinte au droit de propriété et d’occasionner des troubles à l’ordre public.

Ce texte créé pour les communes de plus de 5 000 habitants et, le cas échéant, les établissements publics de coopération intercommunale qui exercent la compétence dans ce domaine, une obligation de création d’aires d’accueil pour les gens du voyage sur leurs territoires respectifs. La contrepartie de cette obligation réside dans la possibilité donnée au maire ou au président de l’intercommunalité d’interdire par arrêté le stationnement sur leurs territoires respectifs des résidences mobiles en dehors des aires d’accueil prévues à cet effet.

Sur ce sujet, vous avez évoqué, madame la sénatrice, les difficultés à faire évacuer rapidement les campements qui s’installent illégalement sur des terrains publics comme privés, et vous faites part des difficultés de mise en œuvre de la procédure administrative de mise en demeure et d’évacuation forcée.

Cette procédure, régie par les articles 9 et 9-1 de la loi du 5 juillet 2000, permet aux communes de plus de 5 000 habitants et aux intercommunalités compétentes en la matière ayant satisfait à leurs obligations au titre du schéma départemental d’accueil des gens du voyage, ainsi qu’aux communes de moins de 5 000 habitants non inscrites à ce schéma, de bénéficier de la procédure administrative de mise en demeure et d’évacuation forcée.

Le Gouvernement, sensible aux difficultés rencontrées par les élus qui sont confrontés sur le terrain aux stationnements illégaux, prête la plus grande attention aux réflexions des parlementaires sur ces sujets. Il entend d’ailleurs soutenir les évolutions législatives nécessaires pour donner aux élus locaux les moyens de mettre fin aux occupations illégales, notamment au travers de la proposition de loi relative au statut, à l’accueil et à l’habitat des gens du voyage présentée par le député Bruno Le Roux et dont Dominique Raimbourg est le rapporteur, qui a été adoptée, en première lecture, le 9 juin dernier par l’Assemblée nationale et a été transmise au Sénat.

Ce texte prévoit plusieurs avancées.

Premièrement, la mise en demeure initiale du préfet continuera de s’appliquer pendant un délai de sept jours, afin d’éviter qu’un groupe de caravanes ne procède à un nouveau stationnement illicite sur un même territoire, en violation de l’arrêté d’interdiction de stationnement et portant par là même atteinte à l’ordre public.

Deuxièmement, le délai laissé au tribunal administratif pour statuer sur un recours contre une mise en demeure sera fixé à quarante-huit heures au lieu de soixante-douze heures actuellement.

Troisièmement, enfin, le propriétaire ou le titulaire du droit réel d’usage d’un terrain affecté à une activité économique dans une commune de moins de 5 000 habitants pourra demander au préfet de mettre en demeure les occupants d’évacuer les lieux occupés illicitement.

Aussi, j’invite la Haute Assemblée à inscrire cette proposition de loi à l’ordre du jour de ses travaux dans le cadre d’une semaine d’initiative parlementaire.

M. le président. La parole est à Mme Chantal Deseyne.

Mme Chantal Deseyne. Monsieur le secrétaire d'État, vous avez rappelé les objectifs de la loi du 5 juillet 2000. Mais quand une procédure est engagée, vous le savez bien, comme les élus – et les gens du voyage aussi ! –, un délai d’une dizaine ou d’une quinzaine de jours court durant lequel les gens du voyage ne sont pas inquiétés et occupent de façon tout à fait irrégulière des terrains publics et privés.

Vous avez également rappelé les droits et devoirs des gens du voyage et des collectivités. En l’espèce, il me semble que les premiers ont plus de droits que de devoirs.

M. le président. Monsieur le secrétaire d'État, les gens du voyage se sédentarisent souvent dans les aires d’accueil qui leur sont réservées, ce qui pose un véritable problème aux collectivités, qui manquent alors de places.

effectifs de police à hendaye

M. le président. La parole est à M. Georges Labazée, auteur de la question n° 1253, adressée à M. le ministre de l'intérieur.

M. Georges Labazée. Ma question, qui s’adresse à M. le ministre de l’intérieur, porte sur la situation du commissariat de Saint-Jean-de-Luz et, plus particulièrement, sur celle du poste d’Hendaye.

Lors de sa visite récente sur place, M. le ministre de l’intérieur a pu apprécier la qualité du travail effectué, le dévouement des personnels et la bonne coopération avec les polices espagnoles.

Hendaye est une ville frontière comptant plus de 17 200 habitants dans une agglomération transfrontalière de plus de 100 000 habitants. Le commissariat de la ville a été supprimé en 2011 pour être transformé en poste de police rattaché au commissariat de Saint-Jean-de-Luz, une commune distante de quinze kilomètres.

La police aux frontières, qui est présente sur la commune, assure les contrôles frontaliers et intervient pour ce qui concerne les problèmes afférents à la frontière, mais aucunement en matière de sécurité publique. La brigade anticriminalité autrefois présente sur le secteur de la police de Saint-Jean-de-Luz a été depuis lors rattachée à Bayonne.

Le poste de police connaît une pénurie récurrente de personnel pour assurer la sécurité des citoyens hendayais, mais aussi des personnes de passage dans une agglomération transfrontalière, qu’il s’agisse non seulement des fortes migrations quotidiennes, mais aussi des populations étrangères en transit vers les pays de l’Union européenne. À titre d’exemple, il n’y a certains jours que deux agents « circulants » dans toute la zone côtière couverte par le commissariat.

C’est en termes de police de proximité, de service à la population, de prévention et de lutte contre la petite délinquance, et donc de présence sur le terrain, que se pose la problématique de la sécurité des personnes et des biens sur la commune d’Hendaye.

Comment peut-on accepter que, dans une ville frontalière de 17 200 habitants, la police ne soit pas en capacité, la nuit, de traiter un dépôt de plainte ou une demande d’accès à une pharmacie de nuit, sous prétexte qu’il n’y a pas d’officier de police judiciaire disponible ou que celui-ci est hors du secteur d’Hendaye ?

Dans une zone stratégique comme celle de la frontière franco-espagnole, M. le ministre de l’intérieur compte-t-il renforcer les effectifs de police pour assurer la sécurité des habitants et conforter ainsi la présence de la République sur ce territoire ?

M. le président. La parole est à M. le secrétaire d'État.

M. Harlem Désir, secrétaire d'État auprès du ministre des affaires étrangères et du développement international, chargé des affaires européennes. Monsieur Labazée, l’importance que le Gouvernement attache aux enjeux de sécurité, notamment à la question des moyens que vous soulevez à juste titre, se traduit par la création de 500 postes supplémentaires de policiers et de gendarmes chaque année depuis le début de la mandature. Par comparaison, il faut savoir que 13 700 postes ont été supprimés au cours de la mandature précédente.

D’autant qu’à ces nouveaux postes s’ajoutent les renforts exceptionnels liés au renforcement de la lutte contre le terrorisme et de la lutte contre l’immigration irrégulière. Au total, plus de 1 000 emplois seront créés en 2016 rien que dans la police nationale.

Le département des Pyrénées-Atlantiques, en raison de sa situation frontalière, fait face à des enjeux spécifiques. La police nationale y est totalement engagée et peut compter sur la collaboration de nos partenaires espagnols.

À Hendaye, les agents du commissariat subdivisionnaire assurent une présence policière active et visible sur la voie publique vingt-quatre heures sur vingt-quatre, une présence particulièrement nécessaire pour répondre aux défis de la délinquance transfrontalière.

Cette circonscription de police, dont le ressort comprend six villes, notamment Hendaye, ayant connu une légère baisse de ses effectifs, soyez certain, monsieur le sénateur, qu’elle fera l’objet de toute l’attention des services du ministère de l’intérieur.

Je dois néanmoins souligner que le nombre de gradés et de gardiens de la paix, qui représentent l’essentiel des policiers présents sur la voie publique, est, dans cette circonscription, quasiment conforme à l’effectif de référence : soixante et un au lieu de soixante-deux.

S’agissant des effectifs de la direction départementale de la police aux frontières, la DDPAF, ils ont augmenté au cours des dernières années, passant de 199 agents à la fin de 2012 à 210 agents au 1er septembre dernier.

Les effectifs de la police aux frontières ont également été renforcés à Hendaye, puisqu’ils sont passés de 164 à 174 agents au cours de la même période.

Les fonctionnaires de la police aux frontières assurent une présence constante sur la voie publique dans le cadre de leurs missions de lutte contre l’immigration clandestine ; à ce titre, ils exercent également des missions de police générale. À Hendaye, ils sont en outre chargés de l’accueil du public au commissariat subdivisionnaire, avec les policiers de la sécurité publique de jour et à titre exclusif de nuit.

L’action dans la zone frontalière repose aussi sur le centre de coopération policière et douanière d’Hendaye, composé de soixante-huit agents français et espagnols représentant les différentes forces de sécurité des deux pays, qui travaillent en parfaite coopération. Cette structure facilite tant la lutte contre l’immigration clandestine, notamment en matière de réadmissions, que la lutte contre la criminalité, en particulier par le recours à des mandats d’arrêt européens.

Soyez assuré, monsieur le sénateur, de l’entière mobilisation de forces de police et de la détermination de l’État à poursuivre et à intensifier son engagement. En particulier, la question des effectifs de police fera l’objet de la plus grande attention, s’agissant notamment du commissariat dont vous vous préoccupez.

M. le président. La parole est à M. Georges Labazée.

M. Georges Labazée. Je tiens à préciser que le maire d’Hendaye, à la suite de la visite du ministre de l’intérieur dans sa commune, a déposé un dossier en bonne et due forme, qui est remonté par la voie hiérarchique. J’espère que sa démarche et ma question convergeront de manière fructueuse !

modification du bénéficiaire de l'aide au logement temporaire

M. le président. La parole est à Mme Dominique Estrosi Sassone, auteur de la question n° 1189, adressée à Mme la ministre du logement, de l’égalité des territoires et de la ruralité.

Mme Dominique Estrosi Sassone. Monsieur le secrétaire d’État, ma question porte sur la modification du bénéficiaire de l’aide au logement temporaire, l’ALT.

Le décret du 30 décembre 2014 relatif à l’aide versée aux gestionnaires d’aires d’accueil des gens du voyage a réformé les modalités de calcul et d’attribution de l’ALT. Ce décret, précisé par l’instruction ministérielle du 4 février dernier relative à la réforme de l’aide versée aux gestionnaires d’aires d’accueil des gens du voyage, instaure un nouveau type de conventionnement avec la société gestionnaire du site ; la compétence en la matière a été transférée aux établissements publics de coopération intercommunale le 1er janvier dernier.

Au sein de la métropole Nice Côte d’Azur, la Ville de Nice a confié la gestion de son aire d’accueil à un prestataire privé, à qui l’ALT sera dorénavant versée. Un décret à paraître devrait préciser les modalités d’application du nouveau dispositif, et ainsi dissiper le flou juridique entourant la définition du gestionnaire de l’équipement, bénéficiaire de l’ALT : s’agit-il de la collectivité territoriale ou du prestataire ?

Or les modalités envisagées risquent de créer des difficultés pour les collectivités territoriales dans leurs relations contractuelles avec les prestataires. En effet, le projet de décret prévoit qu’un tiers de l’aide sera modulé en fonction de l’occupation des aires d’accueil, et que « le signataire de la convention est le gestionnaire opérationnel direct de l’aire, soit la collectivité en cas de régie directe, soit l’opérateur en cas de gestion déléguée, soit l’opérateur en cas de gestion confiée dans le cadre d’un marché public ».

L’ALT est pourtant, depuis l’origine, une subvention mensuelle de fonctionnement versée à la collectivité territoriale exerçant la compétence d’accueil des gens du voyage.

Quant à la modulation du tiers de l’aide selon le taux d’occupation, elle aura pour conséquence systématique une perte de recettes pour la collectivité territoriale, alors que les frais supportés par celle-ci sont fixes.

Par ailleurs, la signature directe de la convention d’aide à la gestion entre l’État et le prestataire gestionnaire du site, qui implique le versement des aides au profit de ce dernier, n’est pas compatible avec les marchés publics en cours. Or, au moment de la conclusion de ces marchés, les nouvelles dispositions n’étaient évidemment pas connues. D’un point de vue juridique, il est difficilement admissible que le prestataire privé encaisse sans contrepartie une recette non prévue dans le marché.

Monsieur le secrétaire d’État, compte tenu de ces nombreuses difficultés d’application, le Gouvernement entend-il modifier le dispositif pour que la convention continue, comme les années précédentes, d’être conclue entre l’État et la collectivité territoriale en cas de gestion déléguée par le biais d’un marché public ?

M. le président. La parole est à M. le secrétaire d'État.

M. Harlem Désir, secrétaire d'État auprès du ministre des affaires étrangères et du développement international, chargé des affaires européennes. Madame Estrosi Sassone, le décret n° 2014-1742 du 30 décembre 2014 relatif à l’aide versée aux gestionnaires d’aires d’accueil des gens du voyage, pris en application de la loi du 29 décembre 2013 de finances pour 2014, a, comme vous l’avez expliqué, réformé les modalités de calcul et d’attribution de l’aide au logement temporaire.

Cette réforme, explicitement recommandée par la Cour des comptes dans son rapport de 2012 sur l’accueil et l’accompagnement des gens du voyage, a notamment consisté à introduire une modulation de l’aide en fonction de l’occupation effective des aires. Cette mesure met fin à un système dans lequel l’aide, forfaitaire, était versée indifféremment aux gestionnaires d’aires peu occupées et aux gestionnaires d’aires entièrement occupées, sans que soient nullement pris en compte les coûts induits par l’occupation.

Elle renforcera l’incitation financière des gestionnaires à développer l’attractivité et l’efficience des aires.

Le versement de l’aide financière au gestionnaire direct de l’aire n’est pas une mesure nouvelle. L’instruction n° DGCS/SD5A/2015/33 du 4 février dernier relative à la réforme de l’aide versée aux gestionnaires d’aires d’accueil des gens du voyage se borne à rappeler le dispositif légal préexistant, inspiré de la quatorzième recommandation formulée par la Cour des comptes dans son rapport de 2012 : « Verser l’aide à la gestion directement au gestionnaire de l’aire conformément à la réglementation. »

La Cour des comptes a souligné que la pratique observée consistant à verser systématiquement l’aide à la collectivité territoriale ne permettait pas « d’assurer une réelle transparence des recettes des gestionnaires d’accueil, la subvention de fonctionnement de l’État n’étant pas identifiable ».

S’agissant de la modulation du tiers de l’aide selon le taux d’occupation, qui induit une baisse de recettes pour des collectivités territoriales dont les frais sont fixes, je vous signale que le Gouvernement, pleinement conscient du problème et de l’effort déjà entrepris par les collectivités territoriales sur ce sujet sensible, un effort qui reste à consolider, a veillé à préserver le caractère forfaitaire d’une part prépondérante de l’aide – les deux tiers –, pour garantir aux collectivités une couverture suffisante des charges fixes qui leur incombent.

La modulation du tiers de l’aide selon l’occupation des aires assurera une meilleure équité par la prise en compte des dépenses directement liées à l’occupation.

M. le président. La parole est à Mme Dominique Estrosi Sassone.

Mme Dominique Estrosi Sassone. Je ne puis que déplorer, monsieur le secrétaire d’État, que l’on complexifie le dispositif, d’autant plus que les communes ont réalisé des efforts pour se mettre en conformité avec la loi en créant des aires d’accueil des gens du voyage.

Dans la mesure où ces aires d’accueil, particulièrement celle de la métropole Nice Côte d’Azur, fonctionnent bien, il serait regrettable que des communes ayant consenti des efforts pour prendre à bras le corps un sujet dont vous avez souligné qu’il est sensible soient pénalisées par la réduction de l’ALT consécutive à la modulation. La gestion de ces aires entraînant des frais importants, les communes doivent avoir l’assurance, en contrepartie de leurs efforts, qu’elles n’en seront pas de leur poche !

fonds national de péréquation des ressources intercommunales et communales et territoires ruraux de montagne

M. le président. La parole est à Mme Patricia Morhet-Richaud, auteur de la question n° 1210, adressée à M. le ministre des finances et des comptes publics.

Mme Patricia Morhet-Richaud. Le fonds national de péréquation des ressources intercommunales et communales, ou FPIC, mis en place en 2012 est un mécanisme de péréquation horizontale consistant à prélever une partie des ressources des intercommunalités et des communes pour les reverser à celles d’entre elles qui sont dites moins favorisées.

Les montants prélevés augmentent depuis trois ans, et même ont explosé cette année, tandis que les dotations de l’État, qui représentent 30 % des ressources des collectivités territoriales, diminuent sans répondre à la logique de compensation pour laquelle elles ont été conçues.

Cette situation, très préjudiciable aux collectivités territoriales, est particulièrement pénalisante pour les communes et les intercommunalités des zones de montagne, qui subissent une double peine.

Ainsi, mon département, les Hautes-Alpes, contribue au FPIC à hauteur de 2,4 millions d’euros et ne perçoit que 1,2 million d’euros au titre de la redistribution. De fait, alors que les dotations de péréquation visent à réduire les inégalités de ressources entre collectivités territoriales, le FPIC aggrave les difficultés financières des collectivités territoriales de montagne, les privant de toute capacité d’investissement.

Il faut dire que le principal critère déterminant les montants prélevés repose sur le potentiel financier par habitant. Or celui des Haut-Alpins est supérieur au potentiel national moyen en raison de la valeur du foncier bâti en zone touristique de montagne.

Mon département de montagne est une deuxième fois pénalisé par les critères d’attribution, qui reposent sur le revenu fiscal par habitant et l’effort fiscal, puisque le revenu fiscal par habitant y est supérieur à la moyenne nationale.

Par ailleurs, la pondération de la population défavorise les petites intercommunalités, pourtant caractéristiques des territoires ruraux de montagne.

Pour toutes ces raisons, monsieur le secrétaire d’État, je demande au Gouvernement que le mécanisme du fonds national de péréquation des ressources intercommunales et communales soit révisé à l’échelle du territoire, afin d’intégrer dans les règles de calcul la spécificité des zones de montagne.

Je demande également que l’on étudie la possibilité de rapporter le potentiel fiscal des intercommunalités de montagne non pas seulement à leur population, mais aussi à leur surface.

M. le président. La parole est à M. le secrétaire d'État.

M. Harlem Désir, secrétaire d'État auprès du ministre des affaires étrangères et du développement international, chargé des affaires européennes. Madame Morhet-Richaud, vous souhaitez que les spécificités des zones de montagne soient prises en compte dans les modalités de répartition du fonds national de péréquation des ressources intercommunales et communales.

Vous contestez en particulier la pertinence de la mesure de la richesse des ensembles intercommunaux fondée sur le potentiel financier agrégé.

Cette donnée, utilisée à la fois pour définir les ensembles intercommunaux concernés par le prélèvement opéré au titre du FPIC et pour calculer le montant de ce prélèvement, prend en compte la quasi-totalité des ressources stables et pérennes que les collectivités peuvent percevoir sur leur territoire ; en agrégeant à l’échelon intercommunal la richesse de l’EPCI et de ses communes membres, elle permet de neutraliser les choix fiscaux des ensembles intercommunaux, et ainsi de comparer des EPCI de catégories différentes.

Le calcul du prélèvement opéré au titre du FPIC est donc fondé sur une mesure objective de la richesse des ensembles intercommunaux et des communes isolées.

Vous considérez que le FPIC est globalement défavorable aux zones de montagne. Cette impression n’est pas confirmée par l’analyse de la répartition réalisée cette année : globalement, le solde des 538 ensembles intercommunaux considérés comme situés en zone de montagne, c’est-à-dire dont un quart au moins des communes sont classées en zone de montagne, est équilibré, puisque ces ensembles ont contribué au FPIC à hauteur de 103 millions d’euros et bénéficié de 98 millions d’euros de reversements.

Au sein de ces ensembles intercommunaux situés en zone de montagne, les communes également classées en zone de revitalisation rurale sont bénéficiaires de 3,8 millions d’euros net au titre du FPIC en 2015.

Le prélèvement moyen par habitant des ensembles intercommunaux en zone de montagne, qui s’élève à 16,05 euros, est inférieur au prélèvement moyen au niveau national, qui est de 20,98 euros par habitant.

Le reversement moyen par habitant des ensembles intercommunaux en zone de montagne, qui est de 22,63 euros, est quasi équivalent à celui du reversement moyen national, à savoir 22,66 euros par habitant.

Enfin, je vous rappelle que le FPIC est un dispositif transversal de péréquation des ressources fiscales et qu’il n’a pas vocation, à ce titre, à prendre en compte des charges spécifiques.

En revanche, les communes de montagne qui accueillent des stations de sports d’hiver – même si cela ne concerne que certaines communes, elles sont tout de même nombreuses – bénéficient de recettes fiscales spécifiques, comme la taxe sur les remontées mécaniques, qui leur permettent de faire face à ces charges.

M. le président. La parole est à Mme Patricia Morhet-Richaud.

Mme Patricia Morhet-Richaud. Monsieur le secrétaire d’État, je vous remercie de ces éléments de réponse. Néanmoins, ils ne traitent pas forcément des besoins de mon territoire rural de montagne.

En effet, nous n’avons pas tout à fait les mêmes chiffres : si l’on se réfère à ceux qui ont été rendus publics par la DGCL, la Direction générale des collectivités locales, pour le département des Hautes-Alpes, un certain nombre de communes auront à prélever un impôt supplémentaire pour pouvoir s’acquitter à la fois du prélèvement du FPIC et d’une dotation globale de fonctionnement « négative », sans que cet argent profite au territoire, ce que je déplore.

diminution des crédits relatifs aux enseignements artistiques

M. le président. La parole est à M. Jean-Claude Luche, auteur de la question n° 1222, adressée à Mme la ministre de la culture et de la communication.

M. Jean-Claude Luche. Monsieur le secrétaire d’État, le projet de loi de finances pour 2016 prévoit une aide de l’État aux conservatoires en augmentation de 8 millions d’euros par rapport à 2015. Il s’agit certes d’une progression, mais cela n’est pas suffisant !

Je me réjouis toutefois que le Gouvernement ait entendu les appels des parlementaires sur les difficultés rencontrées par les conservatoires alors que, dans le même temps, les dotations versées aux collectivités territoriales baissaient.

Pour ma part, j’avais alerté sur un désengagement de l’État dans ce domaine lors de la disparition du programme 224 « Transmission des savoirs et démocratisation de la culture » de la loi de finances pour 2015.

Néanmoins, des questions subsistent, auxquelles les conservatoires attendent des réponses précises et rapides.

Comment ces nouveaux crédits seront-ils ventilés entre les conservatoires par les directions régionales des affaires culturelles, les DRAC ? Cette répartition se fera dans un contexte nouveau, celui des nouvelles régions issues des fusions. Les crédits accordés à chaque nouvelle DRAC correspondront-ils à la simple addition des crédits précédemment accordés aux anciennes DRAC qui la composent ?

Cela veut aussi dire davantage de conservatoires pour une même DRAC. Or les critères d’intervention de l’État sont, aujourd’hui, en cours de discussion. Pouvez-vous nous dire quand ils seront précisés ? Les conservatoires préparent actuellement leurs budgets et ont besoin de visibilité.

Il s’agit notamment de savoir si l’accent sera mis sur des critères de fonctionnement, comme le nombre d’élèves, ou sur des critères d’action en fonction des projets et des objectifs de chaque conservatoire. À effectif égal, par exemple, le niveau de financement atteindra-t-il celui de 2014 ? Des critères plus qualitatifs seront-ils pris en compte ? Je pense, par exemple, au critère de la présence sur le territoire : ainsi, le conservatoire départemental de l’Aveyron – mon département – dispose d’antennes locales qui facilitent l’accès de chacun aux enseignements artistiques, essentiels pour le dynamisme des zones rurales.

Certains directeurs de conservatoire s’inquiètent également du renouvellement de leur label. En effet, il est prévu que les crédits soient accordés uniquement aux conservatoires agréés, c’est-à-dire aux conservatoires à rayonnement départemental comme le mien, ou aux conservatoires à rayonnement régional.

Cependant, pour les conservatoires qui doivent renouveler leur label cette année, la question est de savoir si la réponse du ministère arrivera assez tôt pour qu’ils soient éligibles aux subventions qui y sont conditionnées.

Monsieur le secrétaire d’État, pourriez-vous nous dire quand le ministère de la culture instruira les dossiers de ces conservatoires ?

M. le président. La parole est à M. le secrétaire d'État.

M. Harlem Désir, secrétaire d'État auprès du ministre des affaires étrangères et du développement international, chargé des affaires européennes. Monsieur le sénateur, je vous remercie de me donner l’occasion de réaffirmer ici la priorité donnée à la culture par le Gouvernement dans un contexte de forte contrainte budgétaire.

Le Gouvernement est, comme vous l’êtes, particulièrement attaché à offrir à nos concitoyens un égal accès à la culture. À cet égard, je vous remercie, monsieur le sénateur, d’avoir rappelé combien les réseaux culturels de proximité – notamment les conservatoires, sur lesquels vous avez insisté – sont primordiaux pour mener à bien cette politique.

C’est la raison pour laquelle Fleur Pellerin, ministre de la culture et de la communication, a souhaité ouvrir une nouvelle page en menant une politique plus lisible, en direction de tous les jeunes et de toutes les pratiques artistiques, et pour laquelle l’État assume pleinement son rôle aux côtés des conservatoires et des collectivités territoriales.

L’objectif est de réaffirmer une nouvelle politique nationale en faveur des conservatoires s’ordonnant autour d’axes simples et clairs.

Le premier axe consiste à réengager financièrement l’État dans le fonctionnement des conservatoires en leur consacrant de nouveaux moyens budgétaires : ainsi, dès 2016, plus de 8 millions d’euros supplémentaires leur seront dédiés, qui s’ajouteront aux moyens existants, pour un montant global de près de 15 millions d’euros en faveur de l’ensemble des conservatoires classés et de leurs usagers.

Le deuxième axe, ensuite, vise à réaffirmer le rôle de l’État en matière d’expertise et d’orientation pédagogiques. Pour ce faire, Mme la ministre de la culture et de la communication a souhaité que des « schémas nationaux d’orientation pédagogique » soient inscrits dans le projet de loi relatif à la liberté de la création, à l’architecture et au patrimoine, qui vient d’être adopté en première lecture par l’Assemblée nationale. Ces schémas traduiront les attentes de l’État en matière d’innovation pédagogique, de pratiques collectives, de méthodes d’apprentissage pour attirer des jeunes toujours plus nombreux, ainsi qu’en matière de diversification de l’offre artistique.

J’en viens, enfin, au troisième axe : reprendre le dialogue avec les collectivités territoriales, qui, comme vous le soulignez à juste titre, monsieur le sénateur, ont la responsabilité première des établissements d’enseignement spécialisé.

Le chantier de la révision des critères d’intervention de l’État en faveur des conservatoires et, parallèlement, de leur classement sera ainsi mené en concertation avec les collectivités territoriales dans le cadre d’un groupe de travail sur les conservatoires au sein du conseil des collectivités territoriales pour le développement culturel, ou CCTDC.

Ce groupe s’est également vu confier un travail de consultation au terme duquel il rendra des conclusions et formulera des propositions.

En effet, le rétablissement d’une aide de l’État aux conservatoires classés dès 2016 constitue une opportunité pour redéfinir les priorités de l’enseignement artistique public spécialisé et, partant, pour une refonte des procédures de classement.

Vous le voyez, monsieur le sénateur, au travers d’un dialogue régulier et constructif avec les collectivités locales, le Gouvernement souhaite mobiliser pleinement les conservatoires afin qu’ils participent activement à la politique d’éducation artistique et culturelle et, plus largement, à la démocratisation culturelle.

M. le président. La parole est à M. Jean-Claude Luche.

M. Jean-Claude Luche. Monsieur le secrétaire d’État, votre réponse ne me satisfait pas entièrement.

Certes, je partage le fondement même de votre analyse : la culture est, comme vous l’avez rappelé, un outil de développement local. Néanmoins, le développement du secteur culturel, des activités artistiques et de la musique en province ne se résume pas à un soutien très important de la région parisienne.

Nous demandons une véritable péréquation – je suis président d’un conseil départemental – et une solidarité nationale, tant en ce qui concerne les conservatoires que les autres aspects liés au développement culturel. Nous en avons vraiment besoin !

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Communication relative à une commission mixte paritaire

M. le président. J’informe le Sénat que la commission mixte paritaire chargée de proposer un texte sur les dispositions restant en discussion du projet de loi relatif à la santé n’est pas parvenue à l’adoption d’un texte commun.

Mes chers collègues, l’ordre du jour de ce matin étant épuisé, nous allons maintenant interrompre nos travaux ; nous les reprendrons à quatorze heures quarante-cinq.

La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à douze heures vingt-cinq, est reprise à quatorze heures quarante-cinq, sous la présidence de M. Thierry Foucaud.)

PRÉSIDENCE DE M. Thierry Foucaud

vice-président

M. le président. La séance est reprise.

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Hommage aux victimes d'une catastrophe routière en Gironde

M. le président. Madame la ministre, mes chers collègues, c’est avec beaucoup d’émotion que nous avons appris le terrible accident qui a eu lieu vendredi matin dans le département de la Gironde. (Mmes et MM. les sénateurs ainsi que Mme la garde des sceaux se lèvent.)

Nous avons tous été bouleversés par cette catastrophe, la plus meurtrière depuis celle de Beaune, survenue en 1982.

M. le Président du Sénat, qui est aujourd’hui en déplacement à Strasbourg, a eu l’occasion de saluer par un communiqué de presse, en notre nom à tous, le courage de ceux qui sont intervenus sur place pour éviter un bilan humain encore plus lourd.

Le Sénat tout entier, au premier chef nos collègues sénateurs de la Gironde, Alain Anziani, Françoise Cartron, Gérard César, Marie-Hélène Des Esgaulx, Philippe Madrelle et Xavier Pintat, adresse ses plus sincères condoléances aux familles et aux proches des victimes.

Je vous demande d’observer un moment de recueillement en hommage aux victimes. (Mmes et MM. les sénateurs ainsi que Mme la garde des sceaux observent une minute de silence.)

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Dossier législatif : projet de loi  constitutionnelle autorisant la ratification de la Charte européenne des langues régionales ou minoritaires
Discussion générale (suite)

Charte européenne des langues régionales ou minoritaires

Rejet d’un projet de loi constitutionnelle

M. le président. L’ordre du jour appelle la discussion du projet de loi constitutionnelle autorisant la ratification de la Charte européenne des langues régionales ou minoritaires (projet n° 662 [2014-2015], rapport n° 52).

Dans la discussion générale, la parole est à Mme la garde des sceaux.

Discussion générale (début)
Dossier législatif : projet de loi  constitutionnelle autorisant la ratification de la Charte européenne des langues régionales ou minoritaires
Question préalable (début)

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux, ministre de la justice. Monsieur le président, monsieur le président de la commission des lois, mesdames les sénatrices, messieurs les sénateurs, il me revient de vous présenter ce projet de loi constitutionnelle visant à autoriser la ratification de la Charte européenne des langues régionales ou minoritaires, et c’est pour moi un honneur en même temps qu’un plaisir.

Cette charte, adoptée à Strasbourg le 5 novembre 1992, est entrée en application le 1er mars 1998. La France l’a signée à Budapest le 7 mai 1999, assortissant sa signature d’une déclaration interprétative. Je rappelle que vingt-cinq pays du Conseil de l’Europe l’ont déjà ratifiée, parmi lesquels l’Allemagne, l’Espagne et le Royaume-Uni. En Italie, le projet de loi de ratification est prêt à être présenté devant le parlement.

Le présent projet de loi constitutionnelle tend à créer un article 53-3 au sein de la Constitution, avec une référence explicite à la déclaration interprétative.

Cette rédaction a été retenue pour tirer enseignement de la décision du Conseil constitutionnel en date du 15 juin 1999, selon laquelle la ratification de cette charte européenne impose une révision de la Constitution.

Plutôt que de solliciter le Parlement à deux reprises – une première fois pour modifier la Constitution et une seconde fois pour ratifier la Charte –, le présent projet de loi constitutionnelle tend à autoriser directement la ratification, en dérogeant autant que de besoin à la procédure prévue aux articles 53 et 54 de la Constitution.

Il avait déjà été procédé ainsi, là encore en vertu d’une décision du Conseil constitutionnel, en vue de la ratification du traité instaurant la Cour pénale internationale, traité qui avait été signé par la France le 18 juillet 1998. Dans ce cadre, un article 53-2 avait été introduit dans la Constitution.

En vous proposant de ratifier cette charte, mesdames, messieurs les sénateurs, nous vous invitons à honorer la signature que la France avait apposée voilà un peu plus de quinze ans.

Le préambule de la Constitution de 1946, qui a été intégré à la Constitution de la Ve République, énonce que « la République française, fidèle à ses traditions, se conforme aux règles du droit public international ». La France est, en effet, liée par ses obligations internationales au nom du principe pacta sunt servanda, qui sert de fondement à cet alinéa du préambule de la Constitution de 1946, mais également à notre droit des obligations.

Le Gouvernement vous présente donc un texte de loi juridiquement solide, au regard tant de la Constitution que du droit international.

Sur le plan constitutionnel, la France est une République indivisible et sa langue est le français. Ces deux principes, posés respectivement à l’article 1er et à l’article 2 de la Constitution, n’interdisent pas de faire une place aux langues régionales, à telle enseigne que la révision constitutionnelle de 2008 y a introduit un article 75-1 qui reconnaît les langues régionales comme appartenant au patrimoine national.

En tout état de cause, il y a lieu de se souvenir que le constituant est souverain et qu’il peut décider de réviser la Constitution pour l’adapter aux nécessités des évolutions auxquelles il consent.

C’est d’ailleurs ce qu’il a fait pour la ratification du traité de Maastricht, et les transferts de décisions à l’Union européenne n’ont pas entamé le principe de souveraineté nationale en vertu duquel la France prend seule ses décisions régaliennes.

Le constituant l’a fait aussi pour inscrire la citoyenneté calédonienne dans la Constitution, en conformité avec l’accord de Nouméa, et cette inscription n’a en rien remis en cause l’indivisibilité de la République.

Le constituant l’a fait encore pour inscrire la parité dans la Constitution, ce qui n’a en aucune façon altéré le principe de l’égalité des citoyens devant la loi.

D’ailleurs, s’agissant de ces deux dispositions, le Conseil constitutionnel avait également pris une décision de non-conformité. Le constituant a alors choisi de créer les conditions de conformité. Il a procédé de même, en 2008, en introduisant l’article 75-1 dans la Constitution.

S’agissant de notre loyauté au regard du droit international, le texte que vous présente le Gouvernement procède par la méthode du renvoi. Cette méthode conditionne la constitutionnalité de la norme visée. D’où la référence à la déclaration interprétative, qui ne peut pas être détachée de la Charte.

C’est cette même méthode du renvoi qui a été utilisée dans un des cas que je viens de mentionner, à savoir lorsque le constituant a souhaité ratifier le traité reconnaissant la juridiction de la Cour pénale internationale.

Je précise ici que l’interprétation selon laquelle les locuteurs pourraient imposer l’usage des langues régionales dans leurs relations avec les autorités administratives, repose sur l’article 10 de la Charte, alors que cet article ne figure pas parmi les trente-neuf mesures que le gouvernement français, en 1999, a choisi de retenir.

Une deuxième interprétation, qui me paraît sujette à caution, et même erronée, consiste à affirmer que la Charte conférerait des droits spécifiques aux locuteurs des langues régionales. Elle est d’ailleurs contredite par le rapport explicatif même de la Charte, qui, en son point 11, indique très clairement que celle-ci ne crée pas « de droits individuels et collectifs pour les locuteurs de langues régionales ou minoritaires ».

Le regretté Guy Carcassonne, dans une étude qu’il avait effectuée en 1998 sur la compatibilité entre la Charte européenne des langues régionales ou minoritaires et la Constitution, indiquait déjà que la Charte « n’attache aucune conséquence juridique à l’existence et à l’action des groupes qu’elle mentionne ».

Dans son étude comparative entre la France, l’Espagne et l’Italie, publiée en 2008, l’universitaire Véronique Bertile observe que l’on a vu dans la Charte des droits collectifs qui n’existent pas, faisant fi des intentions de ses auteurs. Le professeur Ferdinand Mélin-Soucramanien, constitutionnaliste reconnu, fait la même analyse.

Il y a donc lieu de considérer que la déclaration interprétative annexée par la France à sa signature relève d’un souci et d’une démarche de clarification, permettant à notre pays de préciser la portée qu’il accorde aux mesures retenues par lui dans le cadre de la signature de cette charte.

Cette possibilité de clarifier la portée que l’on donne à des mesures est reconnue à tous les États : ceux-ci ont le droit de préciser dans quelles limites ils vont exécuter la mise en œuvre d’un instrument international.

Par conséquent, l’argument selon lequel la ratification de la Charte mettrait la France en situation de déloyauté au regard du droit international n’est ni démontré ni pertinent.

Ayant examiné les arguments juridiques et constitutionnels, je vous propose à présent d’étudier les arguments politiques, car c’est bien sur ce plan que se situe en réalité le cœur des divergences, et d’abord en posant quelques questions.

Qu’aurions-nous à craindre de la reconnaissance et de la vitalité de langues régionales qui contribuent à la consistance, à la pétulance du dynamisme culturel national ? Ou plutôt : que craignent ceux qui s’y opposent ? Qu’y voient-ils ? Une menace contre la langue française ? Une dérive communautariste ?

Mme Nicole Bricq. Quelle idée !

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Un risque de balkanisation linguistique qui préfigurerait une balkanisation politique ? Une remise en cause de la notion même de peuple français ? Une interrogation sur l’unité du peuple français qui, depuis la Révolution, est le creuset de la citoyenneté ?

M. Philippe Dallier. Tout est dit !

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Le modèle républicain serait-il en péril parce que nous ferions respirer le patrimoine linguistique national ?

Procédons à un rapide état des lieux et voyons quelle est la mesure de ce terrible danger.

En 1910, il existait plus d’un million de locuteurs bretons ; aujourd’hui, ils seraient 250 000. Au début du XXsiècle, tous les Alsaciens étaient réputés maîtriser l’alsacien, comme les Corses avaient tous la maîtrise de la langue corse ; aujourd’hui, sont identifiés 900 000 locuteurs alsaciens, sur une population totale de 1,7 million de personnes, et 170 000 locuteurs corses pour 250 000 insulaires. En ce qui concerne la langue basque, à peine un quart de la population du Pays basque aurait encore aujourd’hui une compétence dans cette langue. Les locuteurs occitans seraient passés de 10 millions en 1920 à 2 millions aujourd’hui. On compterait 110 000 locuteurs catalans et 80 000 locuteurs flamands, ainsi que 2 millions de créolophones.

Voilà la mesure du terrible danger qui mettrait en péril la langue française !

Cela étant, nous ne voulons pas évacuer tous les arguments politiques, ni nier la légitimité de certains d’entre eux, ni ignorer la portée symbolique de certaines inquiétudes.

Allons au fond des choses. La question principale est probablement celle de notre conception de la nation, notamment de cette nation civique capable de construire de l’harmonie sans étrangler ses diversités originelles, qui sont réelles.

Nous devons donc nous interroger sur notre conception de l’État moderne.

Peut-être faut-il commencer par rappeler que la conception d’un pouvoir central détenteur de la souveraineté exclusive ne remonte pas à la Révolution. Elle remonte à l’Ancien Régime, ainsi qu’en témoignent les travaux de Jean Bodin, en 1576, sur la nouvelle théorie de la souveraineté et l’octroi au prince du monopole de la loi positive, qu’il exerçait sans aucun contrôle.

La Révolution a transféré les prérogatives du prince à la nation. L’unité, qui est une maxime fondamentale, entraîne une homothétie entre l’égalité et l’uniformité. Les citoyens sont considérés comme identiques pour être assujettis aux mêmes lois. L’intention n’est pas contestable, mais le fait est que l’écrêtement de la diversité culturelle et identitaire aboutit à une uniformisation, donnant lieu elle-même à de l’exclusion.

Autrement dit, sans que ce soit un projet, subrepticement, l’égalité cesse d’être une ambition pour faire pièce aux inégalités et devient le moteur de la transformation du tout-en-un. La diversité et les différences sont niées, la richesse qui en résulte est amoindrie. « Le divers rétrécit, telle est la menace. » C’est ce qu’écrivait déjà Victor Segalen au début du XXe siècle.

Nous devons donc nous interroger sur la façon dont le centralisme politique s’est traduit en un centralisme linguistique. Bien sûr, il ne s’agit pas de réactiver les querelles inutiles, de ressusciter un affrontement entre jacobins et girondins, ne serait-ce que parce qu’aucun de nous ne risque plus ce qui était en jeu à l’époque. Il convient néanmoins de voir comment s’est construit ce centralisme linguistique.

C’est l’ordonnance de Villers-Cotterêts qui, signée par François Ier en 1539, impose le français, au détriment du latin, dans la rédaction des actes juridiques et administratifs. À cette aune, notre langue aurait donc à peu près 500 ans d’âge. Mais certains linguistes renvoient aux serments de Strasbourg de 842, ce qui porterait l’âge de la langue française à plus d’un millier d’années, quand d’autres linguistes préfèrent se référer à la langue qui a été stabilisée au début du XVIIIe siècle.

En tout cas, c’est également au XVIe siècle, en 1536, que l’Acte d’Union liant l’Angleterre et le Pays de Galles indique explicitement que l’anglais sera la seule langue officielle.

Pour ce qui est de l’Espagne, c’est en 1707 que Philippe V proclame que le castillan sera la seule langue officielle du royaume, y compris en Catalogne et au Pays basque.

Ce n’est donc pas seulement en France que se conçoit et s’élabore un modèle de langue unitaire, à l’exclusion des autres langues.

En 1793, l’Abbé Grégoire, qui a par ailleurs laissé une belle œuvre sur le respect de la dignité humaine, explique devant le Comité d’instruction publique qu’il faut interdire les « jargons locaux et les patois de 6 millions de Français qui ne parlent pas la langue nationale », affirmant la nécessité « d’extirper la diversité de ces idiomes grossiers ».

L’année suivante, en 1794, Barère fait sa fameuse déclaration devant la Convention : « Nous avons révolutionné le gouvernement, les lois, les usages, les mœurs, les costumes, le commerce et la pensée même; révolutionnons donc aussi la langue, qui est leur instrument journalier. […] Le fédéralisme et la superstition parlent bas-breton ; l'émigration et la haine de la République parlent allemand ; la contre-révolution parle l'italien ; et le fanatisme parle le basque. » Et d’ajouter : « Cassons ces instruments de dommage et d'erreur ! »

À cette époque, d’ailleurs, ceux qui usent des langues régionales risquent six mois de prison et la destitution lorsqu’ils sont fonctionnaires.

Pourtant, en 1714, Fénelon, s’interrogeant sur les occupations de l’Académie, écrivait à propos de la langue française : « Il me semble même qu’on l’a gênée et appauvrie, depuis environ cent ans, en voulant la purifier. »

Lorsque nous regardons aujourd’hui la beauté et la richesse de la langue française, nous pourrions y voir le signe de la victoire de ceux que j’ai cités précédemment. Toutefois, à interroger l’histoire, on se rend compte aussi que cette beauté et cette richesse doivent bien évidemment aux écrivains et aux poètes, mais aussi à l’extraordinaire développement des sciences, des arts, des techniques, des mathématiques, des sciences sociales, ainsi qu’à la traduction de nombreux ouvrages écrits en langues étrangères.

Il arrive un moment où l’apport de mots nouveaux est tel que l’Académie elle-même accepte de les accueillir. Elle distingue même entre la néologie, qu’elle considère comme bienvenue, et le néologisme qu’elle qualifie d’« affectation vicieuse ».

Cette beauté et cette richesse doivent également beaucoup aux langues régionales.

M. Ronan Dantec. Tout à fait !

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Le français doit, par exemple, l’« amour » aux troubadours provençaux, le « bijou » au breton – la « cohue », aussi ! (Sourires.) –, le « cadet » à l’occitan gascon,…

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. … le « guignol » au lyonnais, le « maquis » au corse, l’« abeille » au provençal !

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Nous savons combien la gastronomie est prodigue autant en mots qu’en saveurs ! La Vendée le sait bien (M. Bruno Retailleau s’exclame.), qui fait rivaliser la gâche, la fouace et l’alise. (Sourires.)

Frédéric Mistral a sans doute fait « chavirer » – terme provençal – tous les cœurs, en 1904, lorsqu’il a reçu le prix Nobel de littérature pour une œuvre en langue régionale.

Les auteurs sont nombreux à faire vivre les langues régionales. Je pense à Anjela Duval pour la Bretagne – je vais vous faire voyager ! –, à André Weckmann pour l’Alsace, à Jean Aritxelha pour le Pays basque, à Alfred Parépou et Élie Stephenson pour la Guyane, à Monchoachi et Jean Bernabé pour la Martinique, à Hector Poullet et Sylviane Telchid pour la Martinique, à Axel Gauvin et Davy Sicard pour la Réunion, à Nassur Attoumani pour Mayotte, parmi beaucoup d’autres…

Il nous revient donc de nous interroger sur l’inégalité des citoyens face à la langue et face aux langues.

Suffisamment de générations de linguistes se sont succédé pour nous éclairer, et nous savons grâce à eux que ce n’est pas la coexistence entre le français et une langue régionale qui crée des problèmes ; c’est au contraire le rapport de domination, lorsqu’il est instauré par la négation, la récusation et, parfois, la situation de diglossie créée par la persécution d’une langue, qui engendre des perturbations, des difficultés d’expression et d’apprentissage, ce que le grand poète Édouard Glissant appelle le tourment de langage, « l’impossible à exprimer ».

Consentir à l’enrichissement réciproque entre les langues, entre le français et les langues régionales, c’est aussi s’ouvrir à l’altérité. Nous savons à quel point la langue peut contribuer à l’épanouissement, grâce à tout ce qu’elle permet d’exprimer, grâce à l’imaginaire dans lequel il est possible de puiser et qui héberge les histoires, les cultures, les savoirs, les mémoires, les arts, les artisanats, les paysages.

Nous savons que la résidence de la langue, ce n’est pas que le sol ; c’est l’être, et l’être transporte la langue dans ses voyages. C’est cet être qui bouge, qui entre en relation, qui recherche la connaissance mutuelle, le partage, c’est cet être qui, par le dialogue et l’offrande, crée la possibilité d’une vie commune. (Vifs applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain, du groupe CRC et du groupe écologiste. – Mme Hermeline Malherbe applaudit également. )

La France puise de la vigueur dans l’enrichissement de sa langue, et cette langue s’enrichit dans le voisinage et le contact des langues régionales, dans l’échange avec elles.

La France peut ainsi conserver pour elle-même et offrir à l’Europe, aux territoires de la francophonie, au monde tout entier, ce patrimoine culturel et linguistique, à la fois riche et vivant, vivace, vigoureux.

Lorsque nous regardons l’histoire, nous voyons comment notre pays a su absorber nombre de transformations, et nous ne comprenons pas ce qui suscite aujourd’hui les craintes,…

M. Roland Courteau. Tout à fait !

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. … quand il ne s’agit que de laisser respirer ce que la Constitution reconnaît déjà comme notre patrimoine national. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain et du groupe CRC.)

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Au reste, les lois de décentralisation ont contribué à répartir les compétences et les pouvoirs non régaliens, à rapprocher les centres de décision des citoyens, pour que ces derniers participent à la vie publique à l’échelle des territoires. C’est un signe de vitalité en même temps qu’un facteur d’épanouissement de la démocratie.

Le fait de reconnaître constitutionnellement ces langues et d’organiser leur espace d’expression relève de la même logique et de la même dynamique : faire vivre les territoires, faire participer nos concitoyens à la vie commune.

M. Roland Courteau. Très bien !

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Mesdames, messieurs les sénateurs, écoutons avec attention ce que Pierre Mendès-France…

M. Jacques Mézard. Et Clemenceau ?

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. … disait déjà en 1954 : « Connaissons donc notre pays comme il est : immense et divers. C’est la République française, telle qu’elle est proclamée dans nos lois. Sur toute son étendue, s’appliquent les mêmes principes de progrès et de liberté. » (Bravo ! et applaudissements prolongés sur les travées du groupe socialiste et républicain, du groupe CRC et du groupe écologiste. – Mme Hermeline Malherbe et M. François Fortassin applaudissent également.)

M. le président. La parole est à M. le rapporteur. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et sur plusieurs travées de l'UDI-UC.)

M. Éric Doligé. Et maintenant, place à la vérité !

M. Philippe Bas, président de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d’administration générale, rapporteur. Madame la garde des sceaux, je vous ai écoutée avec attention et même avec plaisir. Tandis que vous prononciez votre discours, je me disais : quelle érudition, quel talent !

M. Philippe Bas, rapporteur. Quelle culture historique, littéraire et linguistique ! Vous avez convoqué tant de bons auteurs pour témoigner de votre engagement sincère en faveur de la langue française et des langues régionales.

Je n’ai rien à retrancher à votre propos. Comme tous mes collègues, quel que soit le groupe auquel ils appartiennent (Exclamations sur les travées du groupe socialiste et républicain.),…

M. Didier Guillaume. Certains plus que d’autres tout de même !

M. Philippe Bas, rapporteur. … j’éprouve le même amour de la langue française,…

M. Philippe Bas, rapporteur. … que je manie sans doute avec moins de talent que vous, et j’ai le même souci de défendre et de promouvoir cette richesse que représentent les langues régionales.

Pas plus aujourd’hui qu’hier ou demain, il n’y aura de désaccord entre nous quant à la nécessité, non pas, comme vous le dites, de laisser « respirer » ce patrimoine, mais bien de le faire vivre, de le développer, de l’enrichir, et d’éviter qu’il ne dépérisse.

À cet égard, il y aurait beaucoup à dire de l’action menée par votre gouvernement depuis trois ans ! Car je n’ai pas vu de grand plan français pour le développement des langues régionales ou minoritaires.

M. Jean-Claude Lenoir. Sauf pour la langue de bois ! (Rires sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. Philippe Bas, rapporteur. Je n’ai pas non plus constaté une augmentation des crédits dévolus au développement des langues régionales ou minoritaires, au contraire ! En cette année 2015, ces crédits ont même été réduits, et je doute que le projet de loi de finances pour 2016 améliore la situation.

Bref, autant nous pouvons nous rejoindre dans les discours, autant je dois vous dire mon désaccord sur cette pratique où la parole tend de plus en plus à remplacer l’action.

Pour ma part, je suis sincèrement engagé en faveur du développement de ce patrimoine que constituent les langues régionales.

M. Didier Guillaume. En la matière, on ne peut pas être plus engagé que Mme la ministre !

M. Philippe Bas, rapporteur. L’enjeu n’est autre que la coexistence de cultures différentes au sein de la République. À ce titre, quelques rappels s’imposent.

C’est en 2003 que nous avons inscrit dans la Constitution que l’organisation de la République était décentralisée.

C’est également en 2003 que nous y avons introduit un droit à l’expérimentation, un droit dont ce gouvernement n’a guère encouragé l’exercice dans les diverses réformes de l’organisation territoriale qu’il nous a soumises.

Et c’est en 2008 qu’a été ajoutée à la Constitution la phrase suivante : « Les langues régionales appartiennent au patrimoine de la France. »

Aussi, madame la garde des sceaux, vous me permettrez de vous dire que personne, ici, n’a la moindre leçon à recevoir quant à la sincérité et la vigueur de son engagement en faveur de toutes les langues de France ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et de plusieurs travées de l'UDI-UC. – M. David Assouline proteste.)

En songeant en particulier à nos compatriotes d’outre-mer, parmi lesquels figurent beaucoup d’enfants dont la langue maternelle n’est pas le français, j’ajoute qu’il est urgent de développer des pédagogies passant par la pratique du créole pour l’apprentissage de l’écriture et de la lecture. Ces méthodes ne sont pas suffisamment développées aujourd’hui.

Ah ! si nous le voulions, comme nous pourrions être efficaces pour soutenir toutes ces familles dans l’accès à la connaissance, en respectant davantage les langues régionales en tant qu’instruments de l’acquisition de nouveaux savoirs par l’enfant, dès le plus jeune âge !

Nous avons d’ailleurs déposé une proposition de loi en vue de consolider le socle juridique des langues régionales.

M. Philippe Bas, rapporteur. Cette proposition de loi comporte des mesures concrètes. J’espère que son examen nous permettra de prolonger ce large consensus, que je crois discerner entre nous, en faveur du développement des langues régionales.

M. André Reichardt. Très bien !

M. Philippe Bas, rapporteur. J’en suis sûr, notre accord en faveur des langues régionales se double d’un autre consensus, autour des principes fondamentaux de notre pacte républicain.

Madame la garde des sceaux, vous n’avez pas osé modifier ces principes de manière frontale via cette révision constitutionnelle. C’est donc que vous êtes pour l’égalité devant la loi, quelles que soient l’origine, la race, la croyance ou la religion – je me réfère à la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen –, vous êtes pour l’unité et l’indivisibilité de la République,…

M. Marc Daunis. Assez de leçons !

Mme Jacqueline Gourault. Il fallait s’attendre à la réplique…

M. Philippe Bas, rapporteur. … qui n’empêchent en rien son organisation décentralisée, vous êtes pour le fait que la langue de la République soit le français, et certainement pour cette adjonction faite à notre Constitution en 2008, adjonction aux termes de laquelle les langues régionales font partie du patrimoine culturel de la France.

À mon sens, contrairement à ce que vous disiez, le désaccord ne porte sur aucun de ces points. Il porte simplement sur la conception que révèle ce projet de révision constitutionnelle quant au respect, exigé par notre pacte fondamental, des principes constitutionnels que je viens d’énoncer et auxquels vous souscrivez certainement.

M. François Marc. L’argument est maigre !

M. Philippe Bas, rapporteur. De fait, nous vivons dans la même République.

Le désaccord porte également sur la signature de la France, qui n’est pas un enjeu secondaire.

Mme Catherine Troendlé. Tout à fait !

M. Philippe Bas, rapporteur. En ratifiant un pacte, une convention, nous nous engageons à l’appliquer loyalement, non selon l’interprétation que nous en faisons mais selon celle qu’en font ses signataires.

M. Didier Guillaume. Ce n’est pas du droit, c’est une simple diversion !

M. Philippe Bas, rapporteur. Ce n’est pas exactement la même chose, surtout lorsque cette convention exclut la possibilité d’émettre des réserves quant à son application. Or tel est précisément l’objet de l’article 21 de la Charte européenne des langues régionales ou minoritaires.

M. Philippe Bas, rapporteur. Sur ce point, notre désaccord est grave. Il me semble même irréductible.

M. François Marc. C’est tiré par les cheveux !

M. Philippe Bas, rapporteur. La révision constitutionnelle que vous préconisez ne purge pas l’inconstitutionnalité de cette charte. Cette dernière, en effet, ne se limite pas aux trente-neuf engagements auxquels vous souhaitez souscrire, et qui sont déjà entièrement appliqués par les institutions de la République ! (Exclamations sur les travées du groupe socialiste et républicain.)

Mme Maryvonne Blondin. Alors, ratifions-la !

M. Philippe Bas, rapporteur. Dès lors, ratifier la Charte n’est nullement nécessaire pour appliquer ces engagements !

Mais cette charte, c’est aussi son préambule, qui proclame le droit imprescriptible de pratiquer une langue régionale dans la vie publique ; c’est aussi sa première partie, qui prévoit que les circonscriptions administratives ne doivent pas être contraires aux aires géographiques dans lesquelles se pratiquent des langues régionales (M. Ronan Dantec proteste.) et que la République doit permettre la réunion d’instances représentatives des groupes de locuteurs de langues régionales.

M. Roger Karoutchi. Et voilà !

M. Philippe Bas, rapporteur. Sur ces points, aucune réserve n’est possible.

Du reste, la déclaration interprétative que vous avez évoquée, et qui est mentionnée dans ce projet de révision constitutionnelle, ne prévoit pas de réserves d’interprétation sur ces différents points. Elle est lacunaire. En effet, la décision du Conseil constitutionnel que vous prétendez vouloir appliquer est postérieure d’un mois à cette déclaration interprétative. Vous n’avez pas pris le temps de la relire pour la corriger ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et de l'UDI-UC.)

M. Didier Guillaume. Les leçons, ça va comme ça !

M. Claude Bérit-Débat. Le niveau monte…

M. Philippe Bas, rapporteur. Enfin, le fait que cette ratification puisse être accompagnée d’une déclaration interprétative ne purge pas le vice d’inconstitutionnalité de la Charte.

M. Didier Guillaume. Argumentation au rabais !

M. François Marc. C’est vraiment laborieux !

M. Philippe Bas, rapporteur. Si la Charte devait être appliquée, elle le serait dans un sens contraire à notre Constitution.

Cette révision constitutionnelle impliquerait l’obligation de ne pas respecter la Charte au moment même où sécherait l’encre de la signature apposée par le Président de la République sur l’acte de ratification.

Les réserves sont interdites. Le système proposé l’indique clairement : c’est aux autorités instituées par la Charte qu’il appartiendra d’interpréter les devoirs des États qui la ratifient. En conséquence, nous serions en tort, non seulement vis-à-vis des vingt-quatre autres signataires de cette charte qui l’ont ratifiée, mais aussi au regard de notre propre Constitution.

J’entends bien que cette charte a une forte portée symbolique. Mais elle est inutile pour promouvoir les langues régionales !

Je tiens à saluer le remarquable travail accompli par la délégation générale à la langue française et aux langues de France. Il est grand temps que le Gouvernement s’inspire de ses recommandations pour mener une politique réellement ambitieuse au service des langues régionales.

Mes chers collègues, cette révision est donc inutile. Pis, son adoption nous conduirait à enfreindre à la fois notre Constitution et la Charte européenne des langues régionales ou minoritaires. Voilà pourquoi il ne faut pas voter ce projet de loi constitutionnelle.

Permettez-moi d’évoquer aussi l’article 5 de la Constitution, article fondamental puisqu’il définit les missions du Président de la République, lequel nous a proposé cette révision en application de l’article 89 de la Constitution. Que dit donc cet article 5 ? Que « le Président de la République veille au respect de la Constitution » et qu’« il est le garant du respect des traités. »

Cette révision constitutionnelle conduirait à ne pas respecter la Constitution et à violer un traité, s’il était ratifié. (M. Ronan Dantec s’exclame.) En votant la question préalable, vous renverrez donc M. le Président de la République à sa mission, telle qu’elle est définie par l’article 5 de la Constitution.

Gardons à l’esprit ce proverbe créole antillais : Moun pa ka achté chat an sak. (Exclamations amusées sur les travées du groupe Les Républicains et de l'UDI-UC.)

M. André Reichardt. Très bien !

M. Marc Daunis. La prononciation n’est pas excellente… (Sourires sur les travées du groupe socialiste et républicain.)

M. Philippe Bas, rapporteur. « Un chat en sac ne doit pas être acheté »… parce qu’il vous sauterait à la figure !

Eh bien, cette révision constitutionnelle, c’est un chat en sac, et je ne l’achèterai pas ! (Bravo ! et applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et de l'UDI-UC.)

M. le président. La parole est à Mme Frédérique Espagnac.

Mme Frédérique Espagnac. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, si le débat sur la ratification de la Charte européenne sur les langues régionales ou minoritaires est inscrit aujourd’hui à l’ordre du jour de la Haute Assemblée, c’est parce que le Président de la République, dont je connais l’attachement à l’histoire, je devrais même dire aux histoires…

M. Jean-Claude Lenoir. Il est en effet familier des histoires ! (Sourires sur les travées du groupe Les Républicains.)

Mme Frédérique Espagnac. … de France, et aux cultures locales de notre pays, s’y est engagé.

Mais la question de la place des langues régionales ou minoritaires n’est pas nouvelle.

Ainsi, le 14 mars 1981, François Mitterrand déclarait : « Le temps est venu d’un statut des langues et cultures de France qui leur reconnaisse une existence réelle. Le temps est venu de leur ouvrir grandes les portes de l’école, de la radio et de la télévision permettant leur diffusion, de leur accorder toute la place qu’elles méritent dans la vie publique ». Il ajoutait souhaiter que la France cesse d’être « le dernier pays d’Europe à refuser à ses composantes les droits culturels élémentaires, reconnus dans les conventions internationales qu’elle a elle- même signées ».

Jacques Chirac, le 29 mai 1996 à Quimper, lors de son premier voyage officiel en Bretagne en tant que Président de la République, se déclarait ouvert à la signature par la France de la Charte européenne des langues régionales ou minoritaires adoptée par le Conseil de l’Europe à Strasbourg le 24 juin 1992.

M. Philippe Bas, rapporteur. C’est lui qui a saisi le Conseil constitutionnel en 1999 !

Mme Frédérique Espagnac. Il y a seize ans déjà, la France signait la Charte européenne des langues régionales ou minoritaires. Elle n’a jamais franchi le pas historique de sa ratification.

Allons-nous enfin le franchir aujourd’hui ?

Mme Frédérique Espagnac. Allons-nous enfin dépasser ces blocages constitutionnels, ou plutôt de ces arguties procédurales de mauvaise foi (Protestations sur les travées du groupe Les Républicains et de l’UDI-UC.) qui empêchent ce beau projet d’aboutir ?

M. Philippe Bas, rapporteur. Où voyez-vous donc des arguties ?

Mme Frédérique Espagnac. Vingt-cinq de nos voisins européens ont ratifié cette charte, sans que se posent des problèmes de blocages constitutionnels. Ces pays ont adopté librement et en cohérence avec leur politique linguistique nationale les dispositions de la Charte européenne, dites de droit souple, sur lesquelles ils souhaitaient s’engager.

En France, nous nous heurtons depuis trop d’années à des blocages minoritaires, animés par des peurs et du mépris, plutôt que portés par des arguments juridiquement fondés.

Car la constitutionnalité du projet de loi autorisant la ratification de la Charte européenne a été traitée très rigoureusement et avec une grande vigilance, afin d’écarter tous les risques et toutes les craintes exprimées quant à la compatibilité entre la Charte et notre Constitution. Je fais référence ici au travail remarquable qui a abouti à la formulation de la déclaration interprétative par la France, le 7 mai 1999, déclaration qui permet de répondre clairement aux interrogations et de lever toute ambiguïté sur la compatibilité entre le projet de loi et les articles 1er et 2 de notre Constitution, touchant à l’indivisibilité de notre République, à la langue française et à l’égalité de tous les citoyens devant la loi.

Mes chers collègues, le projet de loi constitutionnelle dont nous débattons aujourd’hui ne remet nullement en cause le français et les principes de notre République qui font la fierté de nos concitoyens. Bien au contraire, il renforce la cohésion sociale au sein de notre société.

M. Didier Guillaume. Évidemment !

Mme Frédérique Espagnac. Le bilinguisme n’est pas l’ennemi de la République. C’est l’école de la tolérance, du civisme et de l’ouverture à l’autre, comme vous l’avez si bien dit, madame la ministre. La France, pays des droits de l’homme, ne peut pas refuser le droit linguistique !

Nous devons nous garder de tomber dans les caricatures trop faciles qui font des langues régionales des vecteurs de propagation d’aspirations politiques, ethniques ou territoriales.

Il est même insupportable de lire que la ratification de la Charte « reviendrait à inscrire le principe du communautarisme dans la Constitution française », comme a pu l’écrire le président du groupe Les Républicains, à l’occasion du dépôt de dernière minute de votre proposition de loi, monsieur le rapporteur.

La Charte est très claire et précise qu’elle ne prend pas en compte la langue des migrants, mais seulement les langues indigènes.

Quant au risque de conflit de droit également évoqué, il s’agit d’un argument juridique sans fondement, au service d’une mauvaise foi sans nom !

Il est inacceptable, aujourd’hui, de confisquer ce débat en déposant une motion de procédure. C’est incompréhensible, quand on tient à cette institution, le Sénat, dont beaucoup d’entre nous revendiquent la défense.

Dans mon territoire, où se côtoient les langues béarnaise, occitane et basque dans la vie quotidienne des habitants, dans les crèches, dans les écoles, à l’occasion des événements culturels, sportifs et autres, il existe un profond respect de ce patrimoine linguistique, partagé par nos jeunes et nos aînés, comme par les nouvelles populations qui viennent s’y installer.

J’ai été frappée par les nombreux témoignages des anciens qui, encore aujourd’hui, restent très marqués par les souvenirs douloureux d’un temps où les langues régionales étaient combattues et mises à mal par le système éducatif français. Que répondre à ces personnes, qui craignent aujourd’hui de voir disparaître une langue qui est souvent leur langue maternelle ? Ce refus de les entendre, monsieur Mézard, s’accompagnerait-il d’une réticence à les tenir pour égaux parce que leur langue maternelle n’est pas le français ?

En même temps, j’observe chaque jour l’engouement des jeunes générations et des populations nouvellement installées sur le territoire pour apprendre et faire vivre cet héritage précieux, qui leur procure une grande fierté.

Les langues régionales ne sont pas des vestiges du passé. Elles ont un avenir, entre les mains de nos futures générations. Face à un monde globalisé, celles-ci se les approprient et les revendiquent comme leurs racines, leur identité, leur richesse !

Dans mon territoire, mais aussi dans les vôtres, chers collègues, de nombreux élus locaux, de tous les bords politiques, se sont engagés dans l’expérimentation du bilinguisme au sein de leurs collectivités, afin de répondre à la demande de leurs administrés. Cela montre bien qu’il est possible de faire coexister ces langues et le français sans que la qualité du service public en pâtisse !

M. Philippe Dallier. Eh oui ! Justement, tout cela est déjà possible !

Mme Frédérique Espagnac. Mes chers collègues, si ce débat a lieu aujourd’hui, c’est aussi parce que ces hommes et ces femmes qui respectent et défendent ces langues attendent de nous, sénateurs, représentants des territoires, de leur diversité, de leur culture, un message positif et un signe fort en faveur de ce patrimoine culturel oral et immatériel. Ces hommes et ces femmes souhaitent tout simplement bénéficier d’une loi précisant et réglementant les actions à mettre en place pour l’ensemble des langues de France. Ils ont dû faire preuve d’une grande patience, au moins égale à leur détermination !

Oui, une avancée en faveur de la reconnaissance de ce patrimoine a bien été entamée en 2008, je vous le concède. Elle est toutefois insuffisante, car elle ne précise pas nettement les contours des mesures de protection et de développement des langues régionales.

Qu’attendons-nous pour poursuivre et terminer le processus démocratique déjà engagé par nos prédécesseurs, qui dépasse les clivages politiques traditionnels ?

Qu’attendons-nous pour accorder une véritable reconnaissance, un statut juridique clair, des moyens de développement et de promotion de notre patrimoine linguistique à la hauteur de son indéniable richesse ?

Enfin, dans votre proposition de loi, monsieur le président de la commission des lois, qui n’est qu’une reprise de la proposition de loi de M. Le Fur de 2013, lequel ne souhaitait pas alors s’associer à celle que soutenait le député Armand Jung, vous ne tenez même pas compte les évolutions institutionnelles que nous avons votées – puisque vous avez entendu donner une leçon à Mme la garde des sceaux, souffrez d’en subir une à votre tour ! Il en va ainsi de certaines dispositions de la loi d’orientation et de programmation pour la refondation de l’école de la République, des modifications introduites à l’article L. 212-8 du code de l’éducation par la loi NOTRe ou de la question de la délégation pour la culture modifiée par la loi MAPTAM – loi de modernisation de l’action publique territoriale et d’affirmation des métropoles. Tout cela n’est pas bien sérieux ! (Protestations sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. le président. Vous avez épuisé votre temps de parole, ma chère collègue.

Mme Frédérique Espagnac. C’est dommage, car je voulais vous lire en conclusion, chers collègues, un beau texte que Jaurès a écrit à Saint-Jean-de-Luz en 1911. Je ne citerai donc que sa première phrase, mais je transmettrai la suite à tous ceux qui souhaiteront la connaître : « Il y a quelques semaines, j’ai eu l’occasion d’admirer en Pays basque, comment un antique langage, qu’on ne sait à quelle famille rattacher, n’avait pas disparu. »

Chers collègues de la majorité sénatoriale, votre argumentaire pour vous opposer à la ratification de la Charte des langues régionales ou minoritaires n’est pas à la hauteur de ce débat ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain, du groupe CRC et du groupe écologiste. – Mme Hermeline Malherbe applaudit également. – Exclamations sur les travées du groupe Les Républicains et de l’UDI-UC.)

M. le président. La parole est à M. Ronan Dantec.

M. Ronan Dantec. Memez, ar brezonegh zo eur yezh flour ! Depuis maintenant plusieurs décennies, cette phrase m’accompagne et nourrit mes interrogations sur la marche du monde, sur ses mutations culturelles, sur le droit redoutable que s’arrogent ceux qui portent l’action publique de décider pour autrui ce qui sera bon pour lui.

Memez, ar brezonegh zo eur yezh flour ! : « Quand même, la langue bretonne est une bien belle langue ! » Cette traduction littérale appauvrit un peu le sens du mot flour, plus riche et plus précis que « beau » ou « magnifique ». Dans flour, il y a aussi l’idée de douceur.

Cette phrase m’a un jour été adressée par la maîtresse de maison de la ferme où j’effectuais un stage d’étudiant. Sa force ne réside pas dans l’affirmation que la langue bretonne est belle – tout le monde trouve magnifique sa langue maternelle –, mais dans l’adverbe memez, « quand même ».

Pour la génération de mon interlocutrice, ce « quand même » exprime tout le désarroi, toutes les questions que suscite l’abandon de sa langue natale. Pourquoi avoir abandonné sa langue ? Pour se plier à l’injonction de l’instituteur, prompt à vous mettre autour du cou ce morceau de bois, symbole annonçant la punition, quand il vous surprenait à parler breton ? Ou parce qu’on a cédé à la pression des parents et de l’entourage, qui considéraient que le français était le passage obligé vers l’avenir, dans des sociétés marquées par l’exode rural et l’émigration ? Ou bien encore parce que l’on avait intégré les contraintes des modèles économiques libéraux, exigeant de la main-d’œuvre mobile et parlant une langue commune ? Probablement un peu de tout cela…

Ce « quand même » dit l’incompréhension, la culpabilité aussi, la colère parfois, de celles et ceux qui ont brisé la chaîne de la transmission et n’ont pas appris la langue, leur propre langue, à leurs enfants.

Mesdames, messieurs les sénateurs, chers collègues, adopter enfin la Charte européenne des langues régionales, ce serait dire enfin que notre pays a tourné la page de ce temps d’avant, celui du déracinement et des émigrations massives de Bretons, d’Auvergnats, d’Antillais vers les centres urbains, celui de la condescendance profonde vis-à-vis d’un monde rural si longtemps dépeint sous les traits de Bécassine, auquel s’opposait le lettré de la grande ville.

M. Jacques Mézard. Très bien, coupons les routes et restons tous chez nous !

M. Ronan Dantec. Ce serait dire que nous n’avons plus peur des diversités, que nous en avons fini avec les haines nationalistes et les mépris colonialistes qui marquèrent tragiquement les siècles passés.

Ratifier cette charte, ce serait donc également dire notre confiance en l’avenir et participer à la construction de sociétés plus tolérantes et apaisées.

Cet acte de ratification pose donc clairement notre responsabilité politique collective.

Hormis quelques nostalgiques du temps d’avant les tranchées de 14-18, nous aurions dû tous nous rassembler pour approuver ce texte. Le seul débat susceptible d’avoir lieu aurait dû porter sur la possibilité d’une ratification plus large que les trente-neuf articles retenus par la France.

Malheureusement, pour des raisons tenant à des tactiques politiciennes à visées immédiates et à un vieux fond conservateur, ce texte est sous la menace d’une question préalable qui me laisse, je dois le dire, atterré.

Pour nous garder des faux débats, je souhaite vous lire deux extraits du préambule tant décrié de cette charte, qui date donc de 1992.

« Considérant que le droit de pratiquer une langue régionale ou minoritaire dans la vie privée et publique constitue un droit imprescriptible, conformément aux principes contenus dans le pacte international relatif aux droits civils et politiques des Nations unies, et conformément à l’esprit de la convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales du Conseil de l’Europe ; »

Ou encore : « Soulignant la valeur de l’interculturel et du plurilinguisme, et considérant que la protection et l’encouragement des langues régionales ou minoritaires ne devraient pas se faire au détriment des langues officielles et de la nécessité de les apprendre ;

« Conscients du fait que la protection et la promotion des langues régionales ou minoritaires dans les différents pays et régions d’Europe représentent une contribution importante à la construction d’une Europe fondée sur les principes de la démocratie et de la diversité culturelle, dans le cadre de la souveraineté nationale et de l’intégrité territoriale ; »

Je ne suis pas certain que tout le monde ici ait vraiment lu ces mots. Tout y est pourtant dit : droit imprescriptible, reconnu par les Nations unies ; nulle mise en cause des langues officielles et de la souveraineté nationale.

Cela aurait dû suffire à nous rassurer et à nous rappeler que la patrie autoproclamée des droits de l’homme ne peut pas mettre un quart de siècle à ratifier un texte déclinant un droit imprescriptible reconnu par les Nations unies !

M. Philippe Bas, rapporteur. Ce n’est pas le cas !

M. Ronan Dantec. Un texte dont la ratification est même nécessaire à l’adhésion à l’Union européenne, ce qui signifie que, s’il n’était pas un membre fondateur, notre pays ne pourrait même pas rejoindre aujourd’hui l’Union européenne !

M. Philippe Bas, rapporteur. C’est inexact !

M. Ronan Dantec. Rappelons ici quelques éléments, afin de ne pas nous perdre dans des débats d’un autre siècle.

N’en déplaise au rapporteur, qui a dû déployer tout son talent pour trouver des arguties juridiques à l’appui de cette question préalable, son argumentaire reste faible, contradictoire et tient, malheureusement, plus du sophisme que du paralogisme.

Rappeler la Constitution ne nuit pas : une fois le nouvel article 53-3 adopté, c’est bien la déclaration interprétative qui prévaudra sur d’éventuelles stipulations internationales. Telle est la stricte logique du droit français !

Inventer des risques contentieux qui n’existent pas, qu’aucun pays signataire n’a jamais rencontrés, n’a d’autre objectif que d’échapper au débat de fond. La droite sénatoriale n’en voulait pas, par calcul politicien, pour s’opposer au Président de la République, mais aussi par peur d’étaler ses propres divisions, comme ce fut le cas à l’Assemblée nationale ! (Exclamations sur les travées du groupe Les Républicains.)

À l’inverse, ne pas adopter la Charte, c’est ouvrir la porte à tous les recours, y compris sur l’application des dispositions relatives aux langues régionales que nous avons votées dans la loi NOTRe et dans la loi MAPTAM.

Ce procédé de contournement est bien médiocre. Cette fuite devant le débat augure mal de la capacité de la majorité sénatoriale à affronter et à trancher demain d’autres débats. L’immobilisme, je le crains, restera sa boussole, sa seule réponse à ses propres divisions. À moins que l’emploi de certains mots que l’on brandit ici, comme « communautarisme », n’indique une direction assumée, celle de concurrencer l’extrême droite dans ses discours de repli ! (Protestations sur les travées du groupe Les Républicains et de l’UDI-UC.)

Permettez-moi de relever qu’en juillet dernier, à Genève, le comité des droits de l’homme a encore exhorté la France à retirer les réserves et clauses interprétatives habituelles des conventions internationales qu’elle ratifie. Voilà la preuve que ces clauses font la loi – sinon, nul ne s’en inquiéterait ! – et que l’image de la France n’est pas obligatoirement celle que nous imaginons.

J’aurais préféré que le rapporteur s’inquiétât davantage de cette image abîmée de la France dans le monde que de la cohésion de son groupe parlementaire. On pourrait aussi estimer que Philippe Bas et ses collègues, au premier chef le président du groupe Les Républicains, Bruno Retailleau, devraient d’abord se soucier d’éviter l’affaiblissement de la République et sa désagrégation dans les particularismes !

M. Philippe Bas, rapporteur. C’est exactement cela !

M. Ronan Dantec. Mais ce n’est pas du tout le cas ! Leur propos est finalement assez simple : pas besoin de charte, laissons faire les régions ! Que les conseils régionaux s’en occupent, financent l’enseignement, les médias... C’est une affaire locale, régionale, et non nationale ! Si l’on veut convaincre les uns et les autres qu’ils sont en périphérie de la République, c’est effectivement ainsi qu’il faut procéder, en les ramenant toujours à leur singularité !

Voter cette charte, c’est au contraire dire l’égalité des citoyens, qui ont tous droit, sur tout le territoire de la République, à la pratique des différentes langues de France. C’est une approche très différente et, je le pense profondément, bien plus républicaine.

Un sénateur du groupe socialiste et républicain. Très bon argument !

M. Ronan Dantec. Je cite Bruno Retailleau, expert en identité locale, ou du moins vendéenne : « La Vendée a développé une identité très puissante à partir d’une tragédie. » Voir disparaître sa langue dans l’indifférence, voire l’hostilité du pouvoir central est aussi une tragédie. Évitons donc de nourrir les colères identitaires !

Dès lors, voter contre la Charte constitue bien une attaque sournoise contre l’unicité de la République, une incitation au repli identitaire, et je vous exhorte, chers collègues, à vous y opposer fermement !

Regardons le monde et sortons de nos archaïsmes : la plupart des États de cette planète n’ont pas la même peur panique de leur propre diversité. Les exemples foisonnent !

Sortant des ténèbres de l’apartheid, l’Afrique du Sud, dans sa Constitution de 1996, a donné un statut officiel à onze langues sur son territoire, le xhosa à égalité avec l’afrikaans, le zoulou à côté de l’anglais, le ndébélé respecté comme le sotho. Beau symbole d’une nation vivante, s’ouvrant à un nouvel avenir !

Pourtant patrie des Lumières, la France frémit encore à l’idée de signer une Charte européenne des langues régionales ou minoritaires ! C’est dire à quel point nous sommes encore loin d’un statut officiel d’égalité entre les langues, statut qui est pourtant la norme dans la plupart des grands pays de culture ancienne. Le Maroc en reconnaît deux, l’arabe et l’amazighe berbère ; mais c’est également le cas du Canada où nous, Français, veillons à ce que notre langue reste l’égale de l’anglais ; et je ne parle pas de l’Inde, où vingt-deux langues – un cauchemar, sans doute, pour certains d’entre nous ! – sont officiellement reconnues dans la Constitution…

À contre-courant et surtout à contretemps du monde, nous affichons toujours notre logique tatillonne de l’égalité, mais, pour reprendre les mots de l’historienne Mona Ozouf, il s’agit d’une logique égarée, qui confond l’égalité avec la ressemblance, voire la similitude. Or cet égarement nous coûte cher, car il est empreint de beaucoup de mépris envers ceux qui ne sont pas dans la norme et les cadres culturels fixés. Un sénateur n’a-t-il pas déclaré en commission des lois, concernant la ratification de cette charte et la manière dont elle est ressentie, selon lui, « par le plus grand nombre de nos concitoyens » : « Il n’y a pas que des lettrés en France [...] et ce sera une catastrophe. » Que de mépris dans cette phrase ! Ces « ploucs » qui se contentent de baragouiner quelques mots de français vous remercient, monsieur le sénateur !

Chers collègues, si je vous demande de voter cette charte, c’est justement pour en finir avec ce mépris-là, avec cette arrogance des « sachants » et des élites éclairées conduisant le peuple. C’est au nom de tous ceux qui ont vécu la violence de l’abandon de leur langue. C’est pour ceux qui aujourd’hui les parlent toujours, les apprennent même, s’investissent pour sauver une parcelle de la diversité du monde, et qui n’en peuvent plus de cette injustice.

Cette charte est un message fraternel adressé à tous ceux qui, par leur origine ou leurs choix de vie, ne sont pas tout à fait à l’image de « nos ancêtres les Gaulois », ce peuple qui, vous le savez bien, n’a jamais vraiment existé au-delà des images d’Épinal et des cartes Rossignol, mythe facile pour ceux qui refusent la complexité du monde, sa « créolisation », pour reprendre l’expression magnifique d’Édouard Glissant.

Ratifier cette charte, c’est adresser un message de respect autant à mes grands-parents bretonnants disparus qu’aux jeunes élèves des écoles bilingues, c’est construire une société plus solide, car la Nation, c’est bien la volonté de vivre ensemble. Or ce « vivre ensemble » ne peut se construire sur la négation de nos diversités ! (Applaudissements sur les travées du groupe écologiste, du groupe socialiste et républicain et du groupe CRC. – Mme Hermeline Malherbe applaudit également.)

M. le président. La parole est à M. Robert Navarro.

M. Robert Navarro. Monsieur le président, madame la garde des sceaux, mes chers collègues, dès mon élection au Sénat, en 2008, je me suis mobilisé pour défendre les langues régionales de manière générale et pour la ratification de la Charte européenne des langues régionales en particulier.

M. Roland Courteau. Tout à fait !

M. Robert Navarro. Le 30 juin 2011, un débat s’est enfin tenu au Sénat sur le sujet, autour d’une proposition de loi ambitieuse. C’était un débat historique, le premier depuis 1951 !

Je me félicite que le groupe Les Républicains ait déposé une proposition de loi visant à promouvoir les langues régionales et que celle-ci reprenne une partie de mes propositions de l’époque.

J’ai également déposé, le 24 février 2012, une proposition de loi constitutionnelle qui poursuivait le même objectif que celle que nous examinons aujourd’hui.

Bien sûr, je ne suis pas dupe ! Pourquoi, à l’époque, ma proposition de loi constitutionnelle n’a-t-elle trouvé aucun soutien ? J’appartenais alors au groupe majoritaire, et mon texte visait à mettre en œuvre l’un des engagements de campagne de M. Hollande en 2012.

Pourquoi attendre la fin de 2015 pour présenter un texte, juridiquement bancal qui plus est ?

Il n’aura échappé à personne que les élections régionales approchent... Je le dis sans animosité, un tel opportunisme sur un sujet important pour nombre de nos concitoyens me semble particulièrement minable !

Néanmoins, je ne bouderai pas mon plaisir, et soutiendrai ce texte, comme celui des Républicains lorsqu’il sera examiné, car c’est l’occasion que j’attends depuis trop longtemps, avec bon nombre de nos concitoyens.

Notre responsabilité est de faire entrer pleinement les langues régionales au cœur de la République. Vous le savez, je viens du Languedoc-Roussillon. Dans cet hémicycle, d’autres viennent de Provence, d’Alsace, de Picardie, de Bretagne, d’Auvergne, de Corse, du Pays basque, de Guyane…

M. Philippe Bas, rapporteur. Ou de Normandie !

M. Robert Navarro. Ou de Normandie !

Devant cette diversité, je me remémore l’histoire de France. Je songe aux soldats de l’an II, à ceux de Victor Hugo ! Quelle langue parlaient-ils entre eux ? Je songe aux Marseillais entonnant un chant qui est aujourd’hui notre hymne national.

Mes chers collègues, comment ne pas penser aux tranchées de 14-18 et à tous ces soldats qui se retrouvaient le soir, après l’assaut meurtrier, autour d’une soupe claire et d’un patois ?

Pouvons-nous dire aujourd’hui, dans cette enceinte, que nos aînés aimaient si peu la République qu’ils s’exprimaient dans leur langue maternelle ?

Mme Odette Herviaux. Très bien !

M. Robert Navarro. Les langues régionales sont le corps de notre nation, elles ne sont ni de droite ni de gauche. Nous devons les défendre, leur donner vie dans notre République une et indivisible, mais riche, tellement riche de sa diversité !

M. Philippe Bas, rapporteur. Exactement !

M. Robert Navarro. Oui, la France est grande parce qu’elle a su, au-delà des langues, unifier un peuple autour de valeurs communes.

Je vous demande de dépasser les clivages politiques traditionnels : les langues régionales ne sont pas les adversaires de notre République et de sa langue, le français.

Nous avons une obligation : celle d’être les passeurs d’un savoir, d’un patrimoine. Nos langues et cultures régionales sont notre patrimoine commun et une partie du patrimoine de l’humanité. Il est de notre devoir d’en d’assurer l’épanouissement sur notre territoire.

La République a un rôle à jouer : gardienne des valeurs et des principes fondamentaux, elle doit être attentive à la vie de ces langues et cultures qui existent sur son territoire, en métropole comme outre-mer, aux demandes, aux attentes de ceux qui, précisément, les font vivre.

Notre pays protège bien ses monuments historiques et ses œuvres artistiques. Pourquoi ne pas porter la même attention à notre patrimoine linguistique ainsi qu’à notre diversité culturelle ?

Cette charte, je tiens à le rappeler, ne vise pas à affaiblir la langue française, qui reste le ciment de la République.

Mes chers collègues, les tergiversations n’ont que trop duré ! Il faut rejeter la question préalable proposée par la commission des lois, examiner ce texte et avancer enfin !

Si la proposition du Gouvernement n’est pas la bonne d’un point de vue juridique, trouvons une autre formulation !

M. Philippe Bas, rapporteur. Ah !

M. Robert Navarro. Je rappelle aux membres de la commission des lois que l’élu de la République a un droit formidable, celui d’amender. Selon moi, la question préalable est, au choix, un signe de lâcheté ou de fainéantise.

Je réitère la proposition qui figurait dans ma propre proposition de loi constitutionnelle, laquelle visait à modifier l’article 2 de la Constitution en complétant le premier alinéa par les mots : « dans le respect des langues et cultures régionales qui appartiennent au patrimoine de la France, conformément à l’article 75-1 de la Constitution. » (Applaudissements sur quelques travées du groupe socialiste et républicain.)

M. le président. La parole est à M. Jacques Mézard.

M. Jacques Mézard. Madame la garde des sceaux, j’aime vos discours, même quand vous ne parlez pas de droit. Mais cet amour ne saurait me rendre aveugle ! (Sourires.)

Avec plusieurs collègues du groupe RDSE, je voterai contre ce projet de loi constitutionnelle. Une autre voix, celle de notre collègue Hermeline Malherbe, exprimera une approche différente de cette question, dans la tradition de liberté et de respect des avis contraires du RDSE.

Sur les quarante-sept membres du Conseil de l’Europe – car il convient de rappeler qu’il s’agit d’une initiative du Conseil de l’Europe, non de l’Union européenne –, la France fait partie des huit nations qui ont signé la Charte européenne sans l’avoir ratifiée. À ce jour, seuls vingt-cinq pays sur quarante-sept l’ont ratifiée.

Est-il aujourd’hui opportun d’alimenter une querelle sur une question qui n’est manifestement pas primordiale aux yeux d’une très grande majorité de nos concitoyens, préoccupés par les vrais sujets ? (Applaudissements sur les travées de l'UDI-UC.)

M. Roland Courteau. Oui, c’est opportun !

M. Jacques Mézard. J’ose espérer que la date de ce débat est un hasard du calendrier. (Rires sur les travées de l'UDI-UC et du groupe Les Républicains.)

Il est fallacieusement présenté comme un débat pour ou contre les langues régionales. Ce n’est pas le cas !

Opposés à ce projet, nous ne remettons nullement en cause l’existence et la pratique des langues régionales, ni le concours que peuvent leur apporter, de par la loi, tant l’État que les collectivités locales.

En tant qu’homme du Sud-Ouest, je comprends l’attachement de nombre de nos concitoyens à leurs traditions, aux sonorités linguistiques en harmonie avec une histoire et un territoire. Et je n’oublie pas l’outre-mer, cher à notre collègue Guillaume Arnell !

Pourquoi, avec plusieurs de nos collègues, ne voterons-nous pas ce texte ? Parce qu’il est totalement irrecevable, incohérent au regard du droit constitutionnel et du droit tout court. Parce qu’il est contraire aux intérêts fondamentaux de la Nation. Parce que, sous couvert de respect de la diversité, il remet en cause l’égalité devant la loi, ce qui est tout simplement contraire à l’essence même de la République, de cette grande nation, qui, depuis deux cent vingt-trois ans, se veut « indivisible, laïque, démocratique et sociale » au sens de l’article 1er de notre Constitution, laquelle précise dans son article 2 que « la langue de la République est le français ». (Applaudissements sur les travées de l'UDI-UC, ainsi que sur plusieurs travées du groupe Les Républicains et au banc de la commission.)

La construction de la nation avait commencé bien des siècles avant la Révolution. Que de combats, de volonté pour la bâtir à partir d’une diversité géographique, ethnique et sociologique ! La France est un mouvement constant de rassemblement des diversités, avec pour ciment une langue toujours en évolution, formidable instrument de progrès et de lien entre les hommes.

Le texte que vous nous soumettez, madame la garde des sceaux, n’est pas compatible avec les articles 1er et 2 de la Constitution.

Le débat était déjà ouvert en 1999 entre, d’un côté, Jacques Chirac, Président de la République, et Jean-Pierre Chevènement, alors ministre de l’intérieur, et, de l’autre, Lionel Jospin, Premier ministre, apôtre, déjà, de la ratification, bien que l’Armée révolutionnaire bretonne eût revendiqué le plastiquage d’un bâtiment administratif en son canton de Cintegabelle après l’arrêt du Conseil constitutionnel du 14 juin 1999. (Sourires sur les mêmes travées.)

Mes chers collègues, la République des « bonnets rouges » n’est pas la mienne ! (Nouveaux sourires sur les mêmes travées.)

Je vous invite à relire, même si je pense que vous l’avez tous fait, la Charte du 5 novembre 1992. Pour ma part, je l’ai relue plusieurs fois, car il s’agit bien de l’essentiel.

Je vous en rappelle quelques paragraphes significatifs.

Le préambule considère comme un droit imprescriptible « le droit de pratiquer une langue régionale ou minoritaire dans la vie privée et publique ».

MM. Philippe Dallier et Jacques Legendre. Et voilà !

M. Jacques Mézard. L’article 7 impose comme objectif aux signataires « le respect de l’aire géographique de chaque langue régionale ou minoritaire », et ce, si nécessaire, contre les divisions administratives, ainsi que « la facilitation et l’encouragement de l’usage oral et écrit des langues régionales ou minoritaires dans la vie publique et dans la vie privée ».

En vertu de l’article 9, qui traite de la justice, madame la garde des sceaux, les parties s’engagent, s’agissant des procédures pénales, « à prévoir que les juridictions, à la demande d’une des parties, mènent la procédure dans des langues régionales ou minoritaires ». Idem pour les procédures civiles et administratives.

L’article 10, relatif aux services publics, dispose que « les parties s’engagent, dans la mesure où cela est raisonnablement possible : à veiller à ce que ces autorités administratives utilisent les langues régionales ou minoritaires ; à veiller à ce que ceux de leurs agents qui sont en contact avec le public emploient les langues régionales ou minoritaires ». Idem sur les médias, la vie économique et sociale, les échanges transfrontaliers !

Tout cela participe d’une idéologie de destruction des États-nations pour construire une Europe de grandes régions. L’exemple de la Catalogne est là pour nous le rappeler, et je n’ose décliner ce principe à l’échelon des grandes intercommunalités ! (Mme Sophie Joissains applaudit.)

Au vu du contenu de la Charte, il était inéluctable que le Conseil constitutionnel déclare, le 16 juin 1999, qu’elle comportait des clauses contraires à la Constitution et que, en conséquence, pour la ratifier, il fallait une révision préalable de la Constitution.

Le Conseil constitutionnel a dit qu’il lui appartenait de procéder au contrôle de la constitutionnalité des engagements souscrits par la France « indépendamment de la déclaration interprétative faite par le gouvernement français lors de la signature ».

Le Conseil constitutionnel, toujours, se fondant sur l’article 1er de la Constitution, a considéré que « ces principes fondamentaux s’oppos[aient] à ce que soient reconnus des droits collectifs à quelque groupe que ce soit, défini par une communauté d’origine, de culture, de langue et de croyance ».

Ensuite, en vertu de l’article 2 de la Constitution, il a considéré que « l’usage du français s’impos[ait] aux personnes morales de droit public et aux personnes de droit privé dans l’exercice d’une mission de service public ». Là est bien le problème de fond !

M. Jacques Legendre. Bien sûr !

M. Jacques Mézard. Ainsi, nous sommes en présence d’une disposition du préambule de la Charte et de trois dispositions de son article 7 qui sont contraires à la Constitution de la République française.

De surcroît, notre excellent rapporteur a relevé avec justesse que le Conseil constitutionnel avait fait état de difficultés constitutionnelles soulevées par des dispositions de la Charte qui n’étaient pas correctement prises en compte dans la déclaration interprétative !

Enfin, mes chers collègues, comment occulter l’avis du Conseil d’État du 30 juillet 2015 ? Cet avis ne souffre aucune discussion sérieuse, aucune interprétation.

M. Jacques Mézard. Il est parfaitement clair, et je m’étonne que l’exécutif s’assoie dessus, pour parler trivialement.

La haute juridiction administrative rappelle la décision du Conseil constitutionnel et dit très clairement qu’il n’est pas raisonnable d’aller dans ce sens.

En votant ce texte, nous introduirions, pour reprendre les termes du Conseil d’État, « une contradiction interne génératrice d’insécurité juridique », et produirions « une contradiction entre l’ordre juridique interne et l’ordre juridique international ». On ne peut quand même pas bafouer les fondements mêmes de notre système constitutionnel et de notre droit !

Je passe sur toutes les questions oubliées, dont le problème de la détermination de la liste desdites langues régionales ou minoritaires.

Mes chers collègues, au moment où plus de 10 % des jeunes recensés lors des journées « défense et citoyenneté » sont en situation de quasi-illettrisme, où la priorité est d’améliorer la pratique d’au moins une langue étrangère, est-il raisonnable de proposer un bouleversement constitutionnel de nature à fragiliser les principes fondamentaux de la République ? Je dis non, et je voterai contre ce texte. (Applaudissements sur les travées du RDSE, de l'UDI-UC et du groupe Les Républicains.)

M. Daniel Gremillet. Très bien !

M. le président. La parole est à Mme Jacqueline Gourault.

Mme Jacqueline Gourault. Monsieur le président, madame la garde des sceaux, nous étudions aujourd’hui le projet de loi constitutionnelle autorisant la ratification de la Charte européenne des langues régionales ou minoritaires.

On voit bien que le débat s’engage de deux manières. Il y a, d’un côté, ceux qui veulent le résumer à un positionnement pour ou contre les langues régionales.

M. Philippe Dallier. C’est absurde !

Mme Jacqueline Gourault. À cet égard, je dois dire que vous avez fait, madame la ministre, une brillante démonstration à l’appui de cette première thèse. Je dois le reconnaître, votre intervention était très belle. Toutefois, elle ne traitait pas, à nos yeux, le cœur du sujet.

M. Roland Courteau. Elle traitait quoi, alors ?

Mme Jacqueline Gourault. D’un autre côté, il y a cette tentative de nous faire croire que ce débat est complètement déconnecté du calendrier. Pour reprendre une expression cinématographique, toute ressemblance avec des situations existantes ne saurait être que fortuite… (Sourires sur les travées de l'UDI-UC et du groupe Les Républicains.)

Pour notre part, nous pensons que les principes fondamentaux régissant notre droit et notre vivre ensemble constituent le cœur du sujet.

J’appartiens à un groupe et à une famille politique qui ont de tout temps défendu les langues régionales, nos élus ayant toujours soutenu les démarches législatives et les actions locales, dont on ne parle pas assez, à mon avis, dans ce débat,…

Mme Jacqueline Gourault. … et qui permettent de développer notre patrimoine culturel et linguistique. Tel a été notamment le cas lors de la révision constitutionnelle de 2008, qui a inclus les langues régionales dans le patrimoine de la France.

En même temps, nous sommes tout aussi attachés à ce qui fait l’unité de notre peuple et de notre nation, c’est-à-dire la langue française. L’article 2 de la Constitution contient cette belle formule : « La langue de la République est le français. »

À cet égard, nous aurions aimé que le Gouvernement dans son ensemble, et pas seulement vous, madame la garde des sceaux, mette autant d’attachement à défendre les racines de la langue française, donc cette langue elle-même, au travers de l’enseignement du latin. (Applaudissements sur les travées de l'UDI-UC et du groupe Les Républicains.)

Mme Jacqueline Gourault. Venons-en au cœur du sujet. La révision constitutionnelle est-elle possible ? Nous pensons que non. Nous voterons donc très majoritairement la motion tendant à opposer la question préalable.

Élaborée par le Conseil de l’Europe en 1992, signée par le Gouvernement de Lionel Jospin, la charte, je le rappelle, concerne à la fois les langues régionales et les langues parlées par des groupes ethniques minoritaires. Si les 39 engagements concrets retenus par le Gouvernement, sur les 98 qui figurent dans le texte, ne posent en eux-mêmes aucun problème, le Conseil constitutionnel a toutefois relevé dès le départ que la charte portait atteinte aux principes constitutionnels de notre pays en ce qu’elle conférait des droits spécifiques à des groupes de locuteurs de langues régionales minoritaires.

Au-delà du problème posé par l’article 2 de la Constitution, le Conseil constitutionnel a considéré que, à l’intérieur des territoires dans lesquels ces langues sont pratiquées, la Charte européenne des langues régionales ou minoritaires portait atteinte aux principes constitutionnels d’indivisibilité de la République, d’égalité devant la loi et d’unicité du peuple français.

Pour contourner cette difficulté identifiée rapidement, le Gouvernement de Lionel Jospin, sur les conseils de Guy Carcassonne, avait complété la signature de la charte d’une déclaration interprétative ayant pour objet de lever les obstacles précédents.

Sans entrer dans le détail des remarques tant du Conseil constitutionnel que du Conseil d’État, notamment s'agissant de l’avis défavorable que ce dernier a rendu sur ce projet en juillet 2015, je rappelle que cette déclaration interprétative est inopérante en droit. En effet, elle vise à faire accepter à nos partenaires que la France choisira ce qui lui convient dans la charte. Malheureusement, cette dernière stipule en son article 21 qu’aucune réserve n’est admise.

On ne peut donc pas mettre dans une même phrase, ainsi que, excusez du peu, dans la constitution française, deux références qui se contredisent et s’annulent.

M. Philippe Bas, rapporteur. Bien sûr !

M. Jacques Mézard. Tout à fait !

Mme Jacqueline Gourault. Le Conseil d’État va même encore plus loin, puisqu’il estime que cette déclaration interprétative est contraire à l’objet de la charte, qui vise, dans ses stipulations ne pouvant faire l’objet d’aucune réserve, à donner des droits aux groupes de locuteurs de langues régionales ou minoritaires et à leur permettre d’utiliser leur langue dans la sphère publique.

Ainsi, seraient mentionnés dans le même article de la Constitution deux textes aux effets contraires, à savoir la charte et la déclaration interprétative. Il en résulterait une contradiction en droit interne, donc une insécurité juridique, ainsi qu’une contradiction entre les ordres interne et international, ce qui serait une source de contentieux et exposerait la France aux critiques du Conseil de l’Europe.

En conséquence, le Conseil d’État, s’interrogeant sur l’intention réelle du Gouvernement, ne peut que constater que le projet de loi constitutionnelle ne permet pas d’atteindre l’objectif visé.

Je ne serai pas plus longue, ce qui laissera un peu plus de temps à mes collègues. En ce qui me concerne, je ne suis pas une inconditionnelle des questions préalables à tout va – j’en vote asse peu –, mais, en l’espèce, il s’agit de la Constitution, ce qui n’est pas rien, et des langues régionales, auxquelles je suis très attachée, n’en déplaise à M. Dantec, que j’ai trouvé quelque peu excessif. (Sourires sur les travées de l'UDI-UC et du groupe Les Républicains. – M. Ronan Dantec proteste.)

Je trouve que ce projet de réforme constitutionnelle est une mauvaise manière, pour ne pas dire une mauvaise manœuvre, vis-à-vis à la fois de la Constitution et des langues régionales. (Applaudissements sur les travées de l'UDI-UC et du groupe Les Républicains, ainsi que sur la plupart des travées du RDSE.)

M. Ronan Dantec. Et vous, vous n’êtes pas excessive ?

M. le président. La parole est à Mme Éliane Assassi.

Mme Éliane Assassi. Monsieur le président, madame la garde des sceaux, mes chers collègues, le débat qui se déroule aujourd’hui revient de manière récurrente depuis une vingtaine d’années : quelle place pour les langues régionales dans la République, dans notre patrimoine culturel et dans notre histoire ?

Certes, il s’agit d’un sujet difficile, qui peut être source de polémiques vives, comme nous avons pu encore le constater en commission des lois voilà quinze jours ; néanmoins, reconnaissons-le, il peut aussi être passionnant, car, après tout, nous parlons aujourd’hui d’êtres humains.

Pour ma part, je pense que c’est par le travail que l’on peut démêler des situations inextricables et apaiser des tensions. C’est ce travail que j’ai tenté modestement de mener au nom de mon groupe, lequel est profondément engagé depuis des décennies en faveur de la diversité linguistique et pour le développement des langues régionales.

Aujourd’hui, nous examinons un projet de loi constitutionnelle autorisant la ratification de la Charte européenne des langues régionales ou minoritaires. Nous devons donc nous déterminer en examinant ce texte et ses conditions d’application éventuelles en France. Nous devons comprendre ce que la charte apporte de plus que l’article 75-1 de la Constitution, voté en 2008 dans les termes suivants : « Les langues régionales appartiennent au patrimoine de la France. »

Cette révision constitutionnelle a pour objectif premier de remédier à la contradiction entre la charte et notre Constitution qui a été constatée par le Conseil Constitutionnel dans sa décision du 15 juin 1999 et qui reste actuelle.

Le Conseil constitutionnel considère qu’« il résulte de ces dispositions combinées que la Charte européenne des langues régionales accorde des droits spécifiques à des ″groupes″ de locuteurs de langues régionales ou minoritaires à l’intérieur de ″territoires″ dans lesquels ces langues sont pratiquées portent atteinte aux principes constitutionnels d’indivisibilité de la République, d’égalité devant la loi et d’unicité du peuple français. »

Il poursuit : « En outre, en prévoyant que les États devront faciliter ou encourager l’usage des langues régionales dans la vie publique, l’article 7, paragraphe 1 est également contraire à la Constitution. La Charte rattachant la justice, les autorités administratives et les services publics à la vie publique, ses clauses sont contraires à la règle selon laquelle la langue de la République est le français. »

Pour sortir de cette contradiction, dont il faut reconnaître qu’elle est assez fondamentale, le Gouvernement propose, dans son projet de loi, que soit prise en compte dans la Constitution elle-même une déclaration interprétative, annoncée le 7 mai 1999, qui écarte l’application par la France d’un certain nombre de dispositions.

Parmi les dispositions relatives à « la vie publique » évoquée par l’article 7 précité, certaines paraissent, en effet, pleinement contradictoires avec nos principes républicains. C’est le cas, par exemple, de l’article 9-1, toujours situé dans cette deuxième partie, selon lequel « les parties s’engagent à prévoir dans les procédures pénales que les juridictions, à la demande d’une des parties, mènent la procédure dans les langues régionales et/ou minoritaires. »

Le 1-2 prévoit de « garantir à l’accusé le droit de s’exprimer dans sa langue régionale ».

Le 1-3 oblige à prévoir que « les requêtes et les preuves écrites ou orales ne soient pas considérées comme irrecevables au seul motif qu’elles sont formulées dans une langue régionale ou minoritaire. »

Il en va de même pour les procédures administratives et civiles. Ces articles sont tout à fait justifiés pour des pays, en particulier ceux de l’Est européen, où la diversité linguistique est une réalité bien établie, qui mérite une reconnaissance, y compris sur le plan institutionnel.

Pour notre pays, il s’agit d’une remise en cause de l’ordonnance de Villers-Cotterêts de 1539, que vous avez évoquée, madame la garde des sceaux, laquelle établit le français comme langue de la justice de la France.

Même si cela commence à dater et même si c’est un roi, François Ier,…

M. François Bonhomme. Un grand roi !

Mme Éliane Assassi. … qui a pris cette ordonnance, elle a permis de faire un pas en avant considérable vers l’unification de notre pays, dans la lente édification de la nation.

Remettre en cause ce texte mériterait, à mon sens, plus qu’une après-midi d’échanges. Ce serait même, me semble-t-il, au peuple d’en décider ! Le gouvernement de M. Jospin l’avait bien compris, en annonçant, en 1999, une déclaration interprétative visant à limiter pour notre pays l’application de la Charte.

D’autres domaines que la justice sont concernés frontalement, comme l’administration et l’enseignement. Là où le bât blesse, c’est sur l’analyse de la portée juridique de cette déclaration interprétative.

M. Philippe Bas, rapporteur. Exactement !

Mme Éliane Assassi. Soit elle s’impose – peu de gens soutiennent cette thèse – et notre pays se trouverait en porte à faux avec ses engagements européens, car la Charte européenne se trouverait vidée d’une partie significative de son sens. Soit elle a peu de valeur, ou n’en a aucune, et la portée de la remise en cause de certains principes républicains serait considérable.

M. Philippe Bas, rapporteur. Tout à fait !

Mme Éliane Assassi. La présentation du projet de loi constitutionnelle est en elle-même assez curieuse. La charte n’est pas jointe, et encore moins la déclaration interprétative. Madame la garde des sceaux, permettez-moi de vous dire que cela ne favorise pas la clarté de nos débats !

En revanche, l’avis du Conseil d’État du 30 juillet 2015 est limpide, quelle que soit l’opinion que l’on ait de cette juridiction.

M. Philippe Bas, rapporteur. Nous en avons une bonne opinion !

Mme Éliane Assassi. Le Conseil d'État déclare : « Cette déclaration contredit l’objet de la charte, qui vise, dans des stipulations qui, en vertu de l’article 21 de ce traité, ne peuvent faire l’objet de réserves, à donner des droits aux groupes de locuteurs d’utiliser leur langue dans la sphère publique. Sa mention dans la Constitution aurait une double conséquence.

« En premier lieu, la référence à deux textes, la Charte et la déclaration, difficilement compatibles entre eux, y introduirait une contradiction juridique.

« En second lieu, elle produirait une contradiction entre l’ordre juridique international, exposant tant à des incertitudes dans les procédures contentieuses nationales qu’à des critiques des organes émanant du Conseil de l’Europe et chargés de l’application de la charte ».

M. Philippe Bas, rapporteur. C’est limpide !

Mme Éliane Assassi. Le Conseil d’État exprime de manière assez diplomatique, je dois le dire, l’idée que cette déclaration n’a qu’une valeur toute relative dans l’échelle des normes, car, rappelons-le, les traités internationaux, en particulier européens, ont une valeur supérieure aux normes françaises.

M. Alain Anziani. Mais pas à la Constitution !

Mme Éliane Assassi. J’ai voulu être assez précise dans cette première partie de mon propos, car j’estime qu’il ne faut pas se tromper de débat. Pour l’immense majorité des défenseurs et des promoteurs de langues régionales, l’enjeu n’est pas, me semble-t-il, de remettre en cause la cohérence de la République et de dénier au français son caractère fondateur de notre nation.

Nombre de défenseurs de ces langues, dont je suis, avec un certain nombre d’élus de mon groupe, parmi lesquels notamment Éric Bocquet ou Michel Le Scouamec et d’autres encore, sont actifs et déterminés à ne pas laisser étouffer, voire mourir ces éléments essentiels de notre patrimoine culturel. Ils sont également de chauds partisans de la préservation du français face à la pression de plus en plus forte de l’anglais – ce n’est pas Éric Bocquet qui me contredira ! – comme langue de la mondialisation et symbole de domination des puissances financières.

N’opposons surtout pas les langues régionales au français ! Ce serait entraîner, à terme, l’extinction des deux.

Tout le monde peut être d’accord sur un point : les langues régionales sont en danger. Le comité consultatif pour la promotion des langues régionales, mis en place le 6 mars 2013, a d'ailleurs établi, le 15 juillet 2013, un diagnostic largement négatif sur l’état de notre patrimoine linguistique. Il constate une baisse régulière du nombre des locuteurs, y compris dans les zones transfrontalières.

Ce comité, comme de très nombreux partisans de la préservation de ces langues, s’accorde sur un élément : l’importance de la transmission et de l’enseignement.

Curieusement, une question n’est jamais abordée, ou si peu – je ne l’ai d’ailleurs pas entendue cet après-midi –, celle des moyens. Revivifier le patrimoine linguistique exige un investissement financier important, de l’État comme des collectivités territoriales.

M. Philippe Bas, rapporteur. Mais oui !

Mme Éliane Assassi. Qui peut prétendre ici que le dogme de la réduction des dépenses publiques, malheureusement largement partagé sur les travées de cet hémicycle, est conciliable avec un effort important, nécessaire et urgent de promotion de langues régionales ? Qui peut prétendre ici, mes chers collègues, qu’il va aider les élèves à affronter les grandes difficultés d’apprentissage du français ?

Les deux vont de pair, car si l’enseignement d’une langue régionale est privilégié pour un jeune enfant, les conditions d’acquisition du français devront être garanties, et cela dans un contexte d’apprentissage particulier, nécessitant une formation spécifique pour les enseignants.

Ne pas débattre des moyens quelque peu colossaux qui sont nécessaires – je ne parle pas des obligations comprises dans la charte elle-même – placerait inévitablement notre discussion dans la stratosphère.

Sur les travées du groupe CRC, bien loin de scander : « Pas de moyens, pas de sauvetage des langues régionales », nous affirmons notre volonté de placer cet objectif culturel au premier rang des choix budgétaires à venir. En la matière, madame la garde des sceaux, il faut de l’ambition, beaucoup d’ambition !

L’essor du français a nécessité, à travers les siècles, un effort considérable. Qui est prêt ici à engager aujourd’hui l’effort de la nation dans la promotion et la préservation des langues régionales ?

Des lois existent pour la promotion des langues régionales, depuis la loi Deixonne, la première en son genre, jusqu’aux dispositions relatives à l’enseignement contenues dans la récente loi relative à la refondation de l’école, ou, plus proche de nous encore, l’inscription de la promotion de ces langues dans les compétences régionales par l’article 1er de la loi de modernisation de l’action publique territoriale et d’affirmation des métropoles, dite « loi MAPTAM », qui comprend ces mots : « Pour assurer la préservation de son identité et la promotion des langues régionales ».

Nous l’affirmons sans hésitation : la diversité des langues régionales et des cultures est une richesse à l’échelle de la planète, comme à l’intérieur de chaque nation.

Pour nous, la valorisation de la richesse linguistique en France et dans le monde participe de la défense de la langue française, langue de la République et de la résistance au rouleau compresseur d’une monoculture liée à un impérialisme économique, culturel et consumériste.

Le Gouvernement a d’ailleurs envisagé 39 engagements puisés dans les 98 proposés par la troisième partie de la charte, qui, elle, à la différence de la deuxième partie, ne s’impose pas dans son intégralité.

M. Jean-Jacques Urvoas, président de la commission des lois à l’Assemblée nationale et rapporteur de la proposition de loi constitutionnelle n° 1618 visant à ratifier la Charte européenne des langues régionales ou minoritaires, faisait cette confession étonnante dans son rapport, que je vous invite à lire, mes chers collègues. Je cite la page 41 : « Les 39 engagements pris, ou plus exactement ″envisagés″, par la France lors de la signature de la charte, ce qui n’est pas la ratification, je le rappelle, peuvent donc, en dépit de l’absence de ratification, être mis en œuvre sans aucunement heurter notre loi fondamentale ».

Ce n’est pas moi qui le dis ! Je le répète, c’est écrit dans le rapport de M. Urvoas.

M. Jacques Legendre. C’est vrai !

Mme Éliane Assassi. Le comité consultatif précité, mis en place par Mme Aurélie Filipetti, alors ministre de la culture et de la communication, avait justement pour objectif de faire le point sur la mise en œuvre de ces engagements sans attendre une hypothétique révision constitutionnelle qui, d’ailleurs, n’était pas incluse dans les quatre projets constitutionnels, qui sont pour le moment mort-nés, déposés sur le bureau de l’Assemblée nationale au printemps 2013.

Pourquoi, tout à coup, reprendre le créneau de la révision constitutionnelle alors que les objectifs peuvent être atteints par d’autres voies, comme le plaide le comité consultatif ?

M. Philippe Dallier. Parce que les élections régionales approchent !

Mme Éliane Assassi. Pas seulement, monsieur Dallier ! Au reste, vous êtes un peu mal placés pour tenir ce genre de propos, car vous agissez de la même façon. J’en veux preuve la proposition de loi qui vient d’être déposée sur le bureau du Sénat !

N’est-ce pas Mme Filipetti qui, le 6 mai 2013, dans des réponses à des questions écrites sénatoriales, disait que « ce n’est pas seulement l’article 2 de la Constitution qui est en œuvre, ce sont les principes eux-mêmes sur lesquels tout notre édifice législatif est fondé. C’est aussi une haute montagne, si ce n’est infranchissable, qui est devant nous. »

Pourquoi cette obstination, qui risque d’ailleurs, par un effet boomerang, de mener à un échec préjudiciable au développement des langues régionales, alors que les 39 engagements constitueraient, une fois appliqués, des avancées très importantes de l’enseignement à la publication en langue régionale des actes administratifs, des œuvres audiovisuelles, au droit d’emploi des langues régionales dans l’entreprise ?

Je crains, madame la garde des sceaux, mes chers collègues, une fixation sur le débat constitutionnel, alors que tout peut être fait, que tout doit être fait, dans le cadre du droit commun.

Nous le savons tous ici, notre société est profondément en crise. La République et la cohésion de notre pays sont minées par l’inquiétude sociale, le chômage de masse, la précarité. Des forces tentent quotidiennement de dresser les uns contre les autres, de trouver des boucs émissaires. La Constitution d’un pays doit, selon notre lecture, être porteuse d’unicité, du vivre ensemble.

Je le répète, les sénatrices et sénateurs du groupe communiste républicain et citoyen ont, depuis des décennies, été aux côtés des défenseurs des langues régionales. Lors de la réunion de notre groupe, des avis différents se sont exprimés, non pas sur le fond, mais sur les moyens de parvenir à la valorisation de notre patrimoine linguistique.

J’espère, madame la garde des sceaux, que vous saurez nous apporter au cours du débat des éléments convaincants sur la nécessité d’intégrer dans l’ordre constitutionnel la Charte européenne des langues régionales ou minoritaires, qui, pour le moment, me semble loin d’être établie.

J’attends, dans le même temps, de connaître la nature des moyens visant à mettre en œuvre les engagements pris par la France en faveur des langues régionales.

Je souhaite, avec mon groupe, sortir des postures politiciennes – c’est l’une des raisons pour lesquelles nous ne voterons pas la question préalable –, pour que soient prises des décisions concrètes et efficaces en faveur de la diversité linguistique. C’est cela que ceux qui sont profondément attachés à ce patrimoine attendent, et rien d’autre ! (Applaudissements sur les travées du groupe CRC.)

M. le président. La parole est à M. Bruno Retailleau. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. Bruno Retailleau. Monsieur le président, madame la garde des sceaux, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, je commencerai mon propos en formulant deux observations.

Premièrement, je constate, après l’intervention de Mme Éliane Assassi, que de nombreux arguments transcendent très largement les clivages partisans habituels.

Deuxièmement, quand j’ai relu voilà quelques jours le compte rendu des travaux de la commission des lois, je me suis demandé d’où venait que, sur cette question, la raison cède trop souvent le pas aux passions. Finalement, cela me paraît assez naturel, dans la mesure où ce sujet n’est pas négligeable. La question des langues est tout sauf folklorique. Elle va bien au-delà. Je pense qu’elle porte et entremêle à la fois une dimension universelle et une dimension profondément singulière, et même profondément française.

Pour illustrer la première dimension de ce problème, je rappellerai qu’« au commencement était la parole. » (Exclamations.)

MM. Gérard Longuet et François Marc. Le verbe !

M. Bruno Retailleau. Citer cette phrase n’est pas accomplir un acte de foi ; c’est simplement reconnaître l’importance du langage dans l’histoire des hommes.

Parler – vous y avez fait allusion dans votre très belle intervention, madame la garde des sceaux –, c’est inventer de nouveau l’être et le monde, tout comme Adam, lorsqu’il nomme les espèces, s’approprie son univers. J’ai d’ailleurs toujours pensé que l’universalité du langage n’était pas blessée par la multiplicité linguistique, bien au contraire.

M. Philippe Bas, rapporteur. Très bien !

M. Bruno Retailleau. Je ne suis certainement pas le seul ici à apprécier ce grand auteur qu’est George Steiner. Professeur de littérature comparée, théoricien de la traduction et encore grand critique d’art, George Steiner a écrit plusieurs très beaux livres. Dans l’un d’entre eux, Après Babel, il montre que Babel, loin d’être une malédiction, représente plutôt une bénédiction.

Nous savons depuis longtemps que, dans le désert du Kalahari, certaines langues possèdent un subjonctif aux nuances beaucoup plus riches que celles du grec dont disposait Aristote. Vous savez également comme moi que les Esquimaux ont des dizaines de mots pour qualifier la neige, quand nous n’en avons qu’un seul.

Bien évidemment, je veux redire aujourd’hui à cette tribune que la mort d’une langue, quelle qu’elle soit, est une perte irréparable. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. Bruno Retailleau. Une langue qui meurt, à mon sens, c’est une fenêtre qui se ferme sur l’être et sur le monde. La catastrophe qu’il faut craindre, c’est non pas Babel, mais l’inverse : la réduction du discours humain à quelque novlangue formatée a priori par l’uniformisation et la mondialisation culturelle, ainsi que par les nouvelles technologies de l’information.

À cette dimension universelle répond une dimension profondément singulière et, si vous me le permettez, française. La France, c’est l’histoire des Occitans, des Catalans, des Vendéens aussi ; c’est également l’histoire des Bretons, des Alsaciens et de tant d’autres.

La France est Giono ; elle est Mauriac. La France est Pierre-Jakez Hélias. La France est Théodore Botrel et, en même temps, Frédéric Mistral. Michelet ne disait-il pas que la France n’était autre qu’une réunion de provinces qui s’étaient jadis combattues avant de parvenir à s’aimer ?

Mona Ozouf, petite Bretonne, a quant à elle écrit un très beau livre – Composition française – que vous avez peut-être lu, madame la garde des sceaux, et dont je recommande en tout cas la lecture à chacun.

Nous venons donc de ce modèle français, de cette histoire et de cette tradition que nous portons en nous. En effet, comme vous aussi l’avez rappelé, madame la garde des sceaux, la France tire son identité de ce modèle unique, de ce pacte républicain, de cet effort constant d’unification qui a traversé toutes les générations et tous les régimes ; François Furet l’a d’ailleurs magistralement montré dans Penser la Révolution française.

Or cette unification s’est faite à partir de sa langue : le français, instrument à mes yeux incomparable. Vous avez convoqué l’Espagne à l’appui de votre démonstration, madame la garde des sceaux. Ce n’est pas un bon modèle, car ce pays est loin d’être celui qui ressemble le plus au nôtre. Ce n’est pas pour rien que le français a toujours été, historiquement, la langue de la diplomatie et, officiellement, celle de l’olympisme.

Vous voyez donc, mes chers collègues, que la question n’est certainement pas manichéenne. Il s’agit non pas de se prononcer pour ou contre les langues régionales, mais de savoir si la ratification de cette charte est le meilleur moyen d’aider la diversité linguistique, tout en épargnant notre modèle républicain, auquel nous sommes bien sûr profondément attachés sur toutes les travées de notre assemblée.

Or la réponse que j’apporte à cette question est négative, et ce pour trois raisons : une raison de droit, une raison de principe et une raison pratique.

La raison de droit a été magistralement expliquée par Philippe Bas. Je n’y reviendrai donc que brièvement, pour réaffirmer que la déclaration interprétative n’est autre que du bricolage juridique. (Exclamations sur les travées du groupe socialiste et républicain et du groupe écologiste.)

Le Conseil constitutionnel a souligné qu’elle n’avait pas de portée normative. Le Conseil d’État a réitéré qu’il y avait incompatibilité entre, d’un côté, la charte et, de l’autre, cette déclaration interprétative. Un point, c’est tout ! Le reste, ce sont des mots.

M. François Marc. Et votre proposition de loi, a-t-elle une portée normative ?

Mme Frédérique Espagnac. Elle aussi est déclarative !

M. Bruno Retailleau. Tolérez, chers collègues, ces deux avis : ce sont non pas les nôtres, mais ceux de deux hautes instances juridiques françaises.

La deuxième raison de notre rejet de ce texte est, à mes yeux, plus grave : il s’agit du risque de communautarisme. (Protestations sur les travées du groupe socialiste et républicain, du groupe CRC et du groupe écologiste.)

M. Éric Doligé. Restez calmes, chers collègues !

M. Bruno Retailleau. Laissez-moi développer mon argumentation avant de vous exclamer, chers collègues ! Jusqu’à présent, nous avons tous écouté chaque orateur dans le calme, et notre groupe a offert le plus grand respect à Mme la garde des sceaux.

Qu’indiquait le Conseil constitutionnel dès 1999 ? Selon lui, la charte heurte fondamentalement notre loi fondamentale. Elle contredit des principes qui sont loin d’être négligeables, à savoir l’unité du peuple français et l’indivisibilité de la République : bref, le cœur de notre pacte républicain.

Le Conseil d’État a d’ailleurs éclairé ces profondes objections. En effet, comme il l’explique, la charte confère des droits particuliers à des groupes spécifiques. Cela, madame la garde des sceaux, constitue la définition juridique exacte du communautarisme !

Or une chose importe surtout en ce moment où la France est déchirée et où les Français ressentent une sorte de malaise identitaire qu’il ne faut pas cacher : c’est la conception que nous nous faisons du vivre ensemble.

M. Ronan Dantec. Exactement !

M. Bruno Retailleau. Notre conception de la Constitution ne s’oppose pas à la diversité – de fait, aucun des trente-neuf engagements tirés de cette charte n’est anticonstitutionnel –, mais elle s’oppose au communautarisme.

L’universalité du citoyen doit bien évidemment pouvoir s’articuler avec la spécificité de ce que j’appelle l’homme concret ou l’homme privé. Le Vendéen que je suis sait plus que quiconque l’importance des racines, et cela d’autant plus après la lecture du très beau livre de Simone Weil sur l’enracinement. Toutefois, le Français que je reste avant tout est attaché à notre modèle républicain.

Quelques mois avant sa mort, Vaclav Havel avait eu un mot pour définir la mondialisation culturelle. Nous étions selon lui menacés d’un dilemme mortifère : d’un côté, le repli ethnico-identitaire ; de l’autre, la dissolution dans le grand bain de l’uniformisation.

Notre groupe votera bien évidemment dans sa grande majorité la question préalable. En effet, à nos yeux, la citoyenneté française représente pour chacun un appel à ne pas s’enfermer dans sa communauté d’origine, fût-elle linguistique, et à ne pas se replier dans un destin que sa naissance pourrait lui imposer. Voilà ce pour quoi nous voulons lutter !

À quoi sert donc au Président de la République de lancer de grands appels à l’unité nationale en début d’année si, à la fin de la même année, il nous propose de faire entrer dans la Constitution, par la petite porte, les principes de fragmentation et de division inhérents au communautarisme ? (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – Protestations sur les travées du groupe socialiste et républicain.)

M. Didier Guillaume. Ce n’est pas au niveau !

M. Bruno Retailleau. Enfin, mes chers collègues, la troisième raison de notre opposition est que ce texte est en pratique inutile.

Je le répète : aucun des trente-neuf engagements ne suppose une modification de la Constitution. Celle-ci ne servirait à rien ! Il serait plus utile en revanche d’augmenter les crédits alloués à la défense du patrimoine linguistique au sein du projet de loi de finances pour 2016, qui doivent encore baisser cette année…

Présentez donc, mes chers collègues, des amendements tendant à relever ces crédits ou demandez au Gouvernement de le faire, afin de tenir compte de l’article 40 de la Constitution. L’obstacle, à vrai dire, n’est pas constitutionnel ; il est dans la volonté et dans les moyens que l’on consacre à la valorisation de ce patrimoine !

En conclusion, mes chers collègues, ne tombons pas dans ce piège. Les langues régionales n’y gagneront rien et la Constitution y perdra beaucoup.

D’où vient donc cet empressement ? Nous y voyons évidemment une manœuvre politique à quelques encablures des élections régionales. (Protestations sur les travées du groupe socialiste et républicain.) Laissez-moi vous assurer que, pour ma part, je préfère rester fidèle à la conception que je me fais du modèle républicain, dussé-je perdre quelques voix ! (Bravo ! et applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et de l'UDI-UC, ainsi que sur la plupart des travées du RDSE.)

M. le président. La parole est à M. Jacques Bigot.

M. Jacques Bigot. Monsieur le président, madame la garde des sceaux, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, notre discussion intervient alors que le président de la Haute Assemblée se trouve à Strasbourg, capitale tant de l’Europe que de l’Alsace, une région dont nombre d’habitants parlent encore le dialecte alsacien sans pour autant oublier qu’ils sont Français et fiers de l’être. C’est aussi Strasbourg qui accueille le Conseil de l’Europe, qui a été fondé au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, afin que l’Europe de la paix se construise après celle des déchirements.

Madame la garde des sceaux, vous avez à juste titre rappelé que, dans l’histoire, en France comme ailleurs, la constitution des États s’était accompagnée de la conviction qu’il fallait absolument casser les particularismes locaux, les cultures et les langues régionales : l’unité devait d’abord passer par la langue. C’est ainsi que la France s’est construite et que nous la vivons aujourd’hui, y compris au sein de la Haute Assemblée.

Toutefois, le Conseil de l’Europe, depuis sa création, a construit son action en fonction d’une autre logique, jusqu’à l’adoption de cette charte en 1992 : selon lui, il est indispensable que, dans cette Europe nouvelle composée aujourd'hui de quarante-sept États, les langues minoritaires soient respectées, sinon les divisions et les conflits pourraient renaître. Tel est le sens de la charte.

Ce qui est important aujourd’hui, monsieur Retailleau, c’est d’adresser un signal à l’ensemble de l’Europe, pour lui faire savoir que la France, malgré son histoire, est capable aujourd’hui d’adapter sa Constitution à cette charte, tout en ne remettant en cause ni ses valeurs ni sa Constitution.

M. André Reichardt. C’est impossible !

M. Jacques Bigot. Or, afin d’éviter le débat, vous nous présentez des arguments qui, à mon sens, ne résistent pas pleinement à l’examen.

Vous omettez de dire que la Convention de Vienne sur le droit des traités établit une distinction fondamentale entre les réserves et les déclarations interprétatives. La déclaration faite au sujet de la charte n’est pas une réserve : elle précise ce que nous pensons devoir interpréter du premier paragraphe de l’article 7 de la charte.

M. Jacques Mézard. Mais il est interdit de l’interpréter !

M. Jacques Bigot. Par ailleurs, la partie III de la charte dresse la liste des différentes mesures à adapter.

Selon vous, chers collègues, la charte imposerait d’affecter certains territoires aux langues régionales. Or ce n’est pas du tout le cas ! Elle prévoit simplement que le respect de l’aire géographique ne peut constituer un obstacle à la promotion d’une langue ; c’est cela qu’il faut vérifier. Cela ne signifie nullement qu’il faille constituer des territoires en fonction de ces langues.

La charte mentionne par ailleurs la facilitation et l’encouragement de l’usage oral et écrit des langues régionales et minoritaires. Il est notamment question de cette facilitation dans l’enseignement, sous réserve, en particulier, des pratiques familiales, des demandes des familles et d’un nombre suffisant de locuteurs.

Voilà la réalité de ce texte. Comme je l’ai déjà indiqué lors de son examen en commission des lois, c’est de manière à éviter le débat sur le fond que vous invoquez une motion d’irrecevabilité ; vous prétendez qu’il serait impossible pour le Parlement de modifier la Constitution tout en respectant ses valeurs. Tel est le débat que nous avons ; telle est la question sur laquelle nous aurons tout à l’heure à voter.

Je suis originaire de cette terre d’Alsace ; je puis donc vous dire que, au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, on punissait les enfants qui, dans la cour de l’école – non dans la classe elle-même ! –, parlaient entre eux le dialecte alsacien. Ces sanctions constituent l’une des pages dramatiques de l’histoire de notre région.

M. Philippe Bas, rapporteur. Nous n’en sommes plus tout à fait là ! (Mme Catherine Troendlé marque son approbation.)

M. Jacques Bigot. Telle est l’histoire de cette Europe que nous construisons. Or la charte, si elle avait existé, aurait empêché ce drame.

Je ne puis croire aujourd’hui que mes collègues alsaciens, qui, je le concède volontiers, sont plus nombreux dans votre groupe que dans le mien, monsieur Retailleau, envisagent l’artifice de cette motion, alors que, il y a un an, dans cette même enceinte, ils revendiquaient au nom de l’identité régionale l’Alsace unique et l’Alsace seule.

Mme Nicole Bricq. C’est vrai !

M. Jacques Bigot. On ne peut selon moi tenir un double langage : je n’en tiendrai donc qu’un ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain.)

Les langues régionales n’ont jamais constitué une frontière ; ce sont les hommes qui, hélas, constituent les frontières. Les langues sont des véhicules de relation et de contact qu’il faut maintenir en Europe, à commencer par notre langue.

Je vous exhorte donc, chers collègues : permettez-nous de débattre ! Vous êtes en train de créer, à mon grand regret, non seulement une frontière linguistique, mais aussi une frontière au débat républicain ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain.)

M. le président. La parole est à Mme Hermeline Malherbe.

Mme Hermeline Malherbe. Monsieur le président, madame la garde des sceaux, mes chers collègues, adoptée en novembre 1992 et signée le 7 mai 1999 par le gouvernement français, la Charte européenne des langues régionales ou minoritaires fait depuis lors l’objet d’une longue saga juridico-politique, qui porte sur sa ratification. Cela fait maintenant plus de seize ans que nous assistons à des tentatives, à des renoncements, à des revirements.

Mme Nicole Bricq. Pas de notre côté !

Mme Hermeline Malherbe. Il est grand temps d’aller de l’avant. Nous devons aujourd’hui saisir l’occasion qui se présente de donner un cadre juridique sécurisé à la pratique des langues régionales ou minoritaires. Il nous faut apporter à ces dernières une reconnaissance définitive.

Dans ce débat animé, j’entends les arguments de ceux qui sont opposés à la ratification et légitiment le statu quo.

Permettez-moi tout d’abord de remettre le débat dans son contexte. Les langues régionales sont aujourd’hui en voie de disparition, comme le rappelle d’ailleurs très justement le rapport de la commission des lois. Si rien n’est fait, elles tomberont très prochainement dans les oubliettes de la République.

Mme Hermeline Malherbe. Il est donc urgent d’agir aujourd'hui en faveur de la protection de nos langues régionales, qui sont partie intégrante de notre patrimoine culturel et républicain.

Non, il ne s’agit pas, au travers de la ratification de la charte, de constitutionnaliser, comme j’ai pu l’entendre ou le lire, des droits collectifs au profit de groupes déterminés, en bafouant l’article 2 de la Constitution et le caractère indivisible de notre République. Non !

Mes chers collègues, cet argument n’est pas recevable, pour la simple et bonne raison que la charte entend tout simplement protéger des droits objectifs, l’apprentissage des langues, et non des droits subjectifs, les droits des locuteurs de ces langues. En d’autres termes, plus qu’à l’histoire des Catalans, des Alsaciens, des Occitans, des Basques, des Corses ou des Bretons, nous devons nous intéresser à celle des Français qui parlent aussi le catalan, l’alsacien, l’occitan, le basque, le corse ou le breton.

M. Didier Guillaume. Très bien !

Mme Hermeline Malherbe. Oui, pour que la charte soit ratifiée, il faut une modification de la Constitution. Pour autant, la seule argumentation juridique doit-elle justifier l’inaction ? Mes chers collègues, ne rien faire n’est pas acceptable !

Soyons axurits, aurait dit Christian Bourquin, c’est-à-dire tout à la fois innovants, stratégiques et débrouillards. Montrons notre envie de travailler sur ce texte. Nous sommes le pouvoir constituant ! Nos mandats de représentants du peuple nous donnent le droit et le devoir de faire vivre la Constitution.

Vous l’aurez compris, mes chers collègues, j’aurais préféré que les dépositaires de la motion tendant à opposer la question préalable, si contrariété juridique insurmontable il y a, soient à l’initiative d’une nouvelle rédaction de ce projet de loi constitutionnelle.

M. André Reichardt. Ce n’est pas possible !

Mme Hermeline Malherbe. C’est bien notre rôle de représentants élus. En outre, nos concitoyens attendent que nous soyons capables de légiférer, même sur des sujets difficiles, et non que nous baissions les bras.

La préservation des langues régionales appelle des réponses adaptées. Il nous faut codifier le droit et modifier la Constitution, pour libérer les pratiques qui ont déjà cours dans nos départements et dans nos régions, et ce dans le cadre républicain.

Certains ont parlé du passé avec beaucoup de talent. Pour ma part, j’évoquerai l’avenir en m’appuyant sur le présent. J’en profite pour saluer le travail remarquable réalisé par les professionnels, les enseignants et les responsables associatifs, qui mettent quotidiennement en pratique l’apprentissage et l’usage des langues régionales ou minoritaires. Tous ceux qui parlent et transmettent une langue régionale ne sont pas une menace pour l’unité de notre République.

Mes chers collègues, je vous invite à venir voir comment les personnels qui enseignent le catalan dans les écoles de mon département offrent un enrichissement et une ouverture, permettent le progrès et ouvrent des perspectives à leurs élèves. Venez observer comment la passion qui les anime joue un rôle moteur dans la construction de la citoyenneté et dans le développement culturel de ces enfants et de ces jeunes. C’est bien un atout pour notre République, non une menace !

Maîtriser une langue régionale – en plus du français, notre langue officielle –, c’est assurément donner une assise culturelle inestimable, un bagage pour l’avenir.

Pourquoi ne pas regarder ce qui se fait chez nos voisins ? Déjà vingt-cinq pays ont ratifié la charte, et son application n’a posé aucun problème, notamment en Allemagne, en Norvège ou encore aux Pays-Bas. Or il s’agit bien de nations qui, comme la France, possèdent des régions à forte identité, avec des langues régionales largement usitées, sans jamais que celles-ci remettent en cause la langue nationale !

Mes chers collègues, ce débat autour des langues régionales est animé. C’est bien normal, car il renvoie à des symboles, des valeurs, des notions et des pratiques qui sont au fondement de ce qui nous est le plus cher, la République.

Notre République est une et indivisible. Notre République est généreuse, et c’est ce qui fait sa force. Notre République est aussi plurielle, riche de ses populations, de ses territoires, de ses cultures et de ses langues.

C’est pourquoi, comme l’a souligné le président de mon groupe, nous sommes plusieurs au sein du RDSE à avoir fait le choix de voter contre la motion tendant à opposer la question préalable, pour soutenir le travail législatif nécessaire à la ratification de la charte.

Mes chers collègues, en ce qui concerne ce projet de loi constitutionnelle, soyez assurés de ma totale détermination à poursuivre un combat que je crois juste, avec le soutien de toutes celles et ceux qui espèrent, de notre part, un signe pour une République fière de sa diversité et une France unie dans sa diversité. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain et du groupe CRC.)

M. le président. La parole est à M. Hugues Portelli.

M. Hugues Portelli. Monsieur le président, madame la garde des sceaux, mes chers collègues, je me placerai sur un terrain exclusivement juridique, puisqu’il est question d’un projet de loi constitutionnelle, qui a pour but de permettre l’introduction d’un traité dans l’ordre juridique français.

Mon propos s’articulera autour de trois axes : l’origine de la Charte européenne des langues régionales ou minoritaires, tout d’abord, la genèse de ce projet de loi constitutionnelle, ensuite, l’état du droit constitutionnel actuel en matière de langues régionales ou minoritaires, enfin.

Premièrement, d’où vient cette charte ? Vous le savez, le Conseil de l’Europe est une machine à fabriquer des traités – c’est sa mission –, qu’il soumet à la ratification aux États membres qui le veulent. Il n’y a aucune obligation. Les pays signent ou non ces traités. Ainsi, la France en a signé quelques-uns, mais n’en a pas signé un grand nombre d’autres.

Cette charte a été élaborée en une dizaine d’années. Sa rédaction a commencé dans les années quatre-vingt, au moment où certains États unitaires d’Europe occidentale commençaient à craquer sous l’effet de poussées régionales, dont la dimension linguistique était évidemment très importante. C’était le cas de l’Espagne, qui, d’État unitaire, venait d’être transformée en État régional. C’était également le cas de la Belgique, qui venait d’engager les premières révisions constitutionnelles la transformant en État fédéral, à partir de 1973. Voilà le point de départ.

L’élaboration définitive de la charte s’achève en 1992, au lendemain de la chute du communisme dans les États d’Europe centrale, d’Europe orientale et des Balkans. Une fois la chape communiste tombée, l’Europe a assisté au retour d’États comprenant, pour un certain nombre d’entre eux, des minorités nationales et linguistiques. D’aucuns ont évoqué la Roumanie, mais il ne faut pas non plus oublier les États des Balkans ou de l’ex-Yougoslavie.

C’est ce contexte-là qui explique la charte, rien d’autre ! Ce texte n’a pas été fait pour des États unitaires, qui, comme la France, se caractérisent par une unité normative à la fois constitutionnelle, législative et même réglementaire, des États dans lesquels il n’y a pas de minorité nationale ou linguistique bénéficiant d’un statut particulier. Voilà ce qu’est exactement cette convention qui a été élaborée en 1992 et soumise à la signature de qui voulait.

Deuxièmement, qu’en est-il de la France ? Dans notre pays, les autorités de l’État ont commencé à s’intéresser à cette charte à la toute fin des années quatre-vingt-dix. Lorsque la question de la constitutionnalité de cette charte a été posée, deux tendances se sont opposées.

D’un côté se trouvaient les plus hautes autorités juridictionnelles du droit public français. Le Conseil d’État et le Conseil constitutionnel ont ainsi souligné que la charte était contraire non seulement à la Constitution, mais même à ce que mon ami Guy Carcassonne appelait les « principes supraconstitutionnels » qui fondent l’identité constitutionnelle de la France depuis la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789. Il y avait là une incompatibilité radicale.

D’un autre côté se trouvaient ceux qui cherchaient à ménager la chèvre et le chou au sein du Gouvernement. Ils n’étaient pas nombreux : le Premier ministre de l’époque opinait plutôt dans ce sens, tandis que son ministre de l’intérieur, Jean-Pierre Chevènement, y était bien entendu hostile. Pour en avoir été témoin, je puis attester que ce dernier avait même refusé de recevoir les plénipotentiaires du Conseil de l’Europe qui étaient venus vanter les beautés de ce document. (Sourires sur les travées du groupe Les Républicains.)

Mon vieil ami Guy Carcassonne, avec lequel j’ai discuté et travaillé pendant longtemps, était un excellent constitutionnaliste, mais surtout un excellent tacticien du droit constitutionnel, qui, durant des années, a tout de même rédigé les saisines du Conseil constitutionnel pour le groupe socialiste de l’Assemblée nationale.

M. Jean-Pierre Sueur. Absolument !

M. Hugues Portelli. Il a essayé de trouver le moyen de faire passer le chameau par le trou de l’aiguille ! (Nouveaux sourires sur les mêmes travées.) Il a donc élaboré un projet de déclaration interprétative, qui a été proposé au Conseil constitutionnel en même temps que le projet de loi constitutionnelle, à la demande du Président de la République Jacques Chirac. Vous le savez, mes chers collègues, la réponse a été négative, et nous en sommes restés là.

Or, voilà peu de temps, ce texte est ressorti tel quel du placard pour enrichir nos débats, et ce dans un contexte jugé utile électoralement… (Nouveaux sourires sur les mêmes travées.)

La réponse du Conseil d’État, saisi pour avis sur tous ces projets de loi, en particulier lorsqu’ils sont de portée constitutionnelle, a été identique à celle de 1999. Il n’y avait d’ailleurs aucune raison qu’elle varie, puisque le texte n’a pas changé d’un iota. Voilà où nous en sommes aujourd’hui.

Troisièmement, qu’en est-il du droit français actuel ? Ce projet de loi constitutionnelle pose deux problèmes juridiques majeurs.

En premier lieu, ce texte pose un problème de droit international public. En effet, un traité ne peut être modifié par un État que sous la forme de réserves. La charte ne prévoyant rien de tel, le pouvoir exécutif a élaboré une déclaration interprétative.

Or une déclaration interprétative, dans un traité qui ne permet pas de réserve, ne peut pas être une réserve : elle reste une déclaration interprétative qui ne s’oppose à personne, à aucun État partie !

M. Jacques Mézard. Excellent !

M. Hugues Portelli. Madame la garde des sceaux, elle ne peut pas s’imposer aux États voisins de la France, qui ont accordé un statut constitutionnel à des populations et à des régions auxquelles nous ne donnons qu’un statut régional. Si la question se posait par exemple pour les Basques de part et d’autre de la frontière, pour les Flamands de part et d’autre de la frontière ou pour d’autres populations, comment réglerait-on ce problème ?

En second lieu, ce texte pose un problème de droit constitutionnel.

Tout d’abord, et il s’agit là d’un problème extrêmement important, en France, la seule autorité compétente en matière de pouvoir diplomatique des traités, donc de réserves, c’est le chef de l’État, c'est-à-dire le pouvoir exécutif. Ce n’est en aucun cas le Parlement, qui n’a pas le droit de formuler des réserves interprétatives sur un traité. Le fait de lui demander l’autorisation de le faire aboutit à transférer le pouvoir d’élaborer des déclarations interprétatives de l’exécutif au législatif. Or c’est contraire à toute la tradition parlementaire française depuis les origines de la République.

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. On entend des choses originales !

M. Hugues Portelli. Par ailleurs, que pourrait faire le juge français s’il devait être confronté à ce texte, dans le cas où il serait adopté ? Eh bien, comme la Cour de cassation il y a quatre ans avec la garde à vue, il pourrait faire ce qu’il voudrait !

Je vous rappelle en effet, madame la garde des sceaux, que le Conseil constitutionnel avait en partie abrogé la loi Perben en censurant ses dispositions sur la garde à vue, au titre du contrôle de constitutionnalité des lois. La chambre criminelle de la Cour de cassation, quant à elle, a ensuite déclaré inapplicable par toutes les juridictions de l’ordre judiciaire français le reste du texte, c'est-à-dire la partie que le Conseil constitutionnel avait pour sa part maintenue, au motif qu’il était contraire à la Convention européenne des droits de l’homme.

Par conséquent, le législateur français a été obligé de modifier toute la loi, à la fois la partie que le Conseil constitutionnel avait abrogée en raison de son inconstitutionnalité et celle que la Cour de cassation avait déclarée inapplicable en la jugeant contraire à un traité.

Autrement dit, pour la Cour de cassation et pour de nombreux juges français, un traité est supérieur à la Constitution. Vouloir ériger un barrage de papier entre ce traité et la Constitution ne servira à rien, car le juge français pourra, lorsqu’il le souhaitera, imposer la charte en question, en intégralité ou en partie, notamment son préambule, à tous ceux qui voudront s’y opposer.

M. Jacques Mézard. Argumentation exemplaire !

M. Hugues Portelli. Au lieu de partir sur de fausses pistes, examinons donc toutes les dispositions qui, dans le droit constitutionnel et le droit législatif français, permettent aux Français parlant des langues régionales d’exercer librement leurs droits. (Bravo ! et applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et de l'UDI-UC, ainsi que sur la plupart des travées du RDSE.)

M. le président. La parole est à Mme Catherine Morin-Desailly.

Mme Catherine Morin-Desailly. Monsieur le président, madame la garde des sceaux, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, comme le rappelle l’article 75-1 de la Constitution, nos langues régionales « appartiennent au patrimoine de la France ». Ce débat est l’occasion de réaffirmer notre attachement à la diversité culturelle et aux langues régionales, qui constituent une part essentielle de ce que l’on appelle communément notre patrimoine immatériel et notre culture et qui participent de leur côté exceptionnel.

Si nous rejetons ce projet de loi constitutionnelle, c’est parce que celui-ci, tout en se plaçant sur le terrain du symbole, pose de graves problèmes juridiques, ainsi que l’ont très clairement exposé notre collègue Philppe Bas et d’autres orateurs, en particulier Hugues Portelli il y a quelques instants. Au contraire, et sans mettre en péril des principes aussi fondamentaux que l’unicité du peuple français et l’indivisibilité de la République, nous voulons faire vivre les langues régionales, et cela grâce à des mesures tangibles et concrètes.

Il serait inexact de prétendre que les langues régionales sont aujourd’hui marginalisées ou méprisées, comme je l’ai entendu dire tout à l’heure. Au contraire, soyons objectifs et regardons le verre à demi-plein. Depuis plusieurs années, même si les choses restent perfectibles bien sûr, de nombreux progrès ont été réalisés en matière de diversité culturelle et linguistique.

Ainsi, la loi du 30 septembre 1986 charge les composantes du service public audiovisuel d’assurer la promotion de la langue française et des langues régionales, ainsi que de mettre en valeur la diversité du patrimoine culturel et linguistique de la France.

Le Conseil supérieur de l’audiovisuel, le CSA, a autorisé plus de soixante stations de radio diffusant des émissions en langues régionales.

France Télévisions joue également un rôle essentiel dans la diffusion de programmes en langues régionales. En 2013, près de 585 heures de programmes en langues régionales ont été diffusées sur les antennes de France 3, ainsi que plus de 1 100 heures sur la chaîne France 3 Corse ViaStella. La semaine dernière, lors du conseil d’administration de France Télévisions, un projet de contrat d’objectifs et de moyens entre la région Bretagne et France 3 nous a été soumis. Il s’agit d’un projet éditorial contribuant à la reconnaissance à égalité des langues et des cultures bretonnes et à l’exercice des droits culturels des Bretons.

En matière éducative, la loi d’orientation et de programmation pour la refondation de l’école de la République a été l’occasion d’avancées décisives. Je rappelle que la loi reconnaît désormais officiellement l’enseignement bilingue, en langue française et en langue régionale. Elle permet aux enseignants de « recourir aux langues régionales, dès lors qu’ils en tirent profit pour leur enseignement », comme elle autorise les collectivités à consacrer les activités complémentaires qu’elles organisent dans les établissements scolaires à « la connaissance des langues et des cultures régionales ».

Sur le terrain, l’enseignement des langues régionales connaît une forte progression, mes chers collègues. En 2012, pas moins de 272 000 élèves apprenaient une langue régionale, mobilisant près de trois mille enseignants.

Ce bilan, dont on n’a pas toujours connaissance, notre collègue Colette Mélot, qui s’exprimera tout à l’heure à la tribune, avait eu l’occasion de le dresser dès 2011, dans un excellent rapport auquel je vous renvoie.

Cependant, il est vrai que nous pouvons avoir une plus grande ambition encore pour les langues et les cultures régionales. C’est pourquoi mon collègue Philippe Bas et moi-même avons déposé une proposition de loi qui consolide le socle déjà existant en faveur des langues régionales dans la vie quotidienne, dans l’enseignement et dans les médias.

Voilà de quoi agir concrètement, mais, de grâce, évitons la gesticulation juridique et l’inscription dans la Constitution d’un droit-créance opposable, d’ailleurs inadapté, je le souligne, à la diversité des langues régionales et à leurs situations. Vous conviendrez en effet que l’on ne peut pas mettre sur le même plan le créole, langue vivante, et le cauchois, qui n’est plus guère utilisé dans ma Normandie natale. Ce n’est pas M. Bas qui me contredira à cet égard !

M. Philippe Bas, rapporteur. Certainement pas ! (Sourires.)

Mme Catherine Morin-Desailly. Lors de l’examen prochain du projet de loi relatif à la liberté de la création, à l’architecture et au patrimoine, la commission de la culture, de l'éducation et de la communication veillera, je l’ai déjà dit, à ce que la définition des objectifs des politiques culturelles donne toute sa place aux langues et aux cultures régionales, car – cherchez l’erreur ! –, de manière incompréhensible, ces dernières étaient absentes du texte initial déposé par le Gouvernement…

Surtout, les collectivités territoriales jouent un rôle essentiel dans la valorisation des langues et des cultures régionales ; elles sont certainement les mieux placées, vous en conviendrez, pour prendre la mesure des spécificités de chaque langue et des demandes de la population.

Elles ont en outre les moyens juridiques de mener ces politiques : je rappelle que l’article 1er de la loi de modernisation de l’action publique territoriale et d’affirmation des métropoles, dite « loi MAPTAM », confie au conseil régional la compétence d’« assurer la préservation de son identité et la promotion des langues régionales ». Certaines collectivités mènent déjà des actions dans ce domaine, avec succès, à l’instar de l’Alsace, qui, par l’intermédiaire de son office pour la langue et la culture d’Alsace, mène une politique dynamique, il faut le reconnaître, de valorisation de sa langue.

Faisons donc confiance aux collectivités ; donnons-leur les moyens d’agir, dans le respect des principes qui fondent la République.

Enfin, mes chers collègues, je ne voudrais pas que ce débat nous fasse oublier d’autres priorités : la maîtrise de la langue française, qui est loin d’être acquise pour un grand nombre de nos concitoyens, et celle des langues vivantes étrangères, lesquelles sont toujours plus nécessaires pour l’insertion professionnelle et les échanges internationaux.

Ce n’est pas, hélas, la suppression des classes bilangues et européennes voulue par le Gouvernement dans le cadre de la réforme du collège qui va améliorer la situation ! (Applaudissements sur les travées de l'UDI-UC et du groupe Les Républicains.) La linguiste que je suis y voit même un paradoxe et une contradiction avec ce qui est prétendument défendu aujourd'hui.

M. Alain Vasselle. Le Gouvernement n’est pas à une contradiction près !

Mme Catherine Morin-Desailly. Faire reculer l’illettrisme est selon moi aujourd'hui la priorité des priorités. Faute de maîtriser la langue française, quelque 2,5 millions de nos concitoyens ne sont pas en mesure de faire face aux exigences de la vie quotidienne et de participer à la vie publique.

Enfin, j’évoquerai un autre enjeu de taille, mes chers collègues : la pérennité de la francophonie. Dans un monde toujours plus globalisé, le français est lui-même, si nous n’y prenons garde, en passe de devenir une langue régionale. Dans son Discours sur l’universalité de la langue française, Rivarol écrivait : « Tout ce qui n’est pas clair n’est pas français ».

En votant la motion tendant à opposer la question préalable, exprimons donc clairement, mes chers collègues, notre attachement à la fois à la langue française et aux langues de France – ce n’est pas contradictoire –, et surtout notre refus de leur instrumentalisation. (Applaudissements sur les travées de l'UDI-UC et du groupe Les Républicains.)

M. le président. La parole est à M. Serge Larcher.

M. Serge Larcher. Monsieur le président, madame la garde des sceaux, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, je suis très heureux de prendre la parole devant vous à l’occasion de l’examen du projet de loi constitutionnelle autorisant la ratification de la Charte européenne des langues régionales ou minoritaires, au nom des 2 millions de créolophones que compte la République et des peuples autochtones dont la langue était celle de leur territoire avant l’arrivée des Européens. Je pense en particulier aux Kanaks de Nouvelle-Calédonie et aux Amérindiens de la Guyane.

À la veille de la journée internationale de la langue et de la culture créoles, je suis heureux en effet que nous examinions ici ce texte qui inscrit l’Europe et la République dans leur réalité territoriale. Souvent, les citoyens considèrent, et parfois à juste titre, que les institutions politiques sont des objets lointains, distants de leur vie quotidienne. Il en est ainsi de la France et plus encore de l’Europe.

En refusant toute conception jacobine, nous devons développer la capacité de nos institutions à prendre en compte l’histoire, la démographie, l’économie, la sociologie, la culture, les traditions et les croyances qui caractérisent chaque espace de vie.

Ce texte illustre parfaitement la vocation de la Haute Assemblée : être le lieu qui représente les territoires de la République dans toute leur diversité. Il correspond en effet à l’âme de cette maison, à son esprit d’ouverture et de tolérance, qui permet de construire la loi commune sans dilution des identités régionales. À cet égard, je suis extrêmement déçu, monsieur le rapporteur, par le rapport d’une grande hostilité à ce texte que vous avez produit.

M. Philippe Bas, rapporteur. Vous m’en voyez désolé !

M. Serge Larcher. Je suis heureux d’intervenir sur ce texte en tant que sénateur de la République et en tant qu’élu de la Martinique, dépositaire et défenseur de deux langues natales : le français et le créole.

Je suis heureux également de défendre ce texte, car il est immanent au message de tolérance et d’humanisme que la France a historiquement porté et doit continuer de défendre.

Ce texte est une façon de reconnaître que l’universel et le particulier ne sont pas exclusifs l’un de l’autre. Il est une manière de dire que l’égalité n’est pas l’uniformité. Il est une façon d’affirmer que le combat pour la reconnaissance des spécificités n’est en aucune façon exclusif de l’ouverture à l’autre. Se battre pour défendre son identité, ce n’est pas rejeter l’autre, c’est au contraire le reconnaître dans la richesse de son altérité.

La France doit donc s’honorer d’avoir signé cette charte en 1999 et elle doit désormais avancer sur la voie de sa ratification. C’est une question de principe.

La France est une République décentralisée. Elle reconnaît en son sein des territoires et des peuples.

M. Philippe Bas, rapporteur. Des territoires, oui. Des peuples, non !

M. Serge Larcher. Nous en discuterons plus tard si vous le souhaitez, monsieur le rapporteur !

La France doit assumer sa dimension territorialisée en respectant et en promouvant les langues qui sont pratiquées et plus encore en étant active dans leur préservation et leur transmission.

Cette charte s’inscrit également dans le droit fil de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, qui comporte un engagement à respecter la diversité linguistique. Dès lors, comment imaginer que nous pourrions être signataires de la Charte des droits fondamentaux tout en renonçant à ratifier celle des langues régionales ? Alors que 25 pays ont déjà ratifié la Charte européenne des langues régionales ou minoritaires, serons-nous les mauvais élèves, campant sur nos positions, vivant dans le mythe d’une langue unique qui fonderait en tant que telle l’unité de la République ?

La ratification ne portera que sur trente-neuf engagements, qui sont déjà appliqués, et elle sera accompagnée, dans la Constitution, d’une déclaration interprétative : cela me semble bien suffisant pour que nous l’adoptions.

J’entends que la déclaration interprétative serait irrecevable par nos partenaires européens. Mais dans ce cas, comment l’Allemagne a-t-elle pu en introduire deux, le 16 septembre 1998 et le 17 mars 2003, précisant que les mesures énumérées par la charte doivent être compatibles avec le droit des Länder ?

Le Conseil constitutionnel a d’ores et déjà déclaré conformes à la Constitution les trente-neuf engagements pris par la France. La déclaration interprétative résout le problème de constitutionnalité du préambule et de la deuxième partie de la charte.

En réalité, le combat contre cette ratification est non pas un combat de juristes, mais un combat d’arrière-garde. Il est le combat de ceux qui considèrent la langue française comme une citadelle assiégée et qui sont incapables de la voir comme une langue vivante évoluant au fil des contacts des civilisations. Chers collègues, restez donc dans cette position de repli et de frilosité si vous le souhaitez : pour ma part, je voterai résolument en faveur de cette ratification !

Monsieur le rapporteur, vous avez terminé vos propos en citant de façon malheureuse une formule créole : le créole est une langue riche, subtile ; il faut bien la maîtriser pour l’employer. (Sourires.)

Je ne veux pas vous faire la leçon ce soir,…

M. Philippe Bas, rapporteur. Je suis prêt à en prendre, cher collègue.

M. Serge Larcher. … mais, en l’occurrence, vous êtes tombé à côté. Je suis prêt à discuter avec vous, sur ce point et sur quelques autres. (Sourires et applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain, du groupe CRC et du groupe écologiste.)

M. le président. La parole est à M. René Danesi.

M. René Danesi. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, à partir de 1945, l’État français a mis en cause la spécificité linguistique de l’Alsace. L’alsacien et l’allemand, qui est son expression écrite, étaient interdits à l’école primaire. Pour beaucoup d’Alsaciens, la langue maternelle avait pris une connotation négative. Leur loyalisme envers la France retrouvée s’est accompagné du renoncement à la langue maternelle. Il était chic de parler français.

Ce n’est qu’à la fin des années soixante que les Alsaciens firent le constat que beaucoup d’entre eux s’exprimaient mal en alsacien, mal en français et mal en allemand. On assista alors à la lente prise de conscience que l’alsacien est un élément identitaire et un atout pour bien maîtriser l’allemand.

Dans les années soixante-dix, les deux conseils généraux, puis le conseil régional, ont commencé à multiplier les initiatives et les soutiens à la langue et à la culture régionales dans tous les domaines : éducatifs, sociaux et économiques.

Les trois assemblées rhénanes ont accentué leur collaboration avec l’éducation nationale, par la signature de conventions pour la multiplication de sites scolaires bilingues. À l’éducation et à la culture s’est ajouté au fil des années un impératif économique : l’Alsace compte aujourd’hui quelque 63 000 frontaliers qui travaillent en Allemagne et en Suisse alémanique.

C’est ainsi que, en juin dernier, le préfet a signé avec les présidents de la région et des deux départements rhénans une convention-cadre portant sur la politique régionale linguistique 2015-2030, ainsi qu’une convention opérationnelle pour 2015-2018. Chaque collectivité signataire apporte à l’éducation nationale un fonds de concours annuel d’un million d’euros pour ses actions pédagogiques spécifiques à l’enseignement de la langue régionale.

Où en sommes-nous maintenant en ce qui concerne la langue et la culture régionales ?

M. Roland Courteau. C’est une bonne question !

M. René Danesi. Nous disposons en Alsace-Moselle d’un grand nombre d’associations très actives dans les domaines de la langue, de la culture et de l’identité régionales. En tant qu’elles l’estiment nécessaire, elles descendent assez volontiers dans la rue et fréquentent les réunions électorales pour faire connaître leurs revendications.

Ainsi, quelque 43 % de la population se déclarent dialectophones et 33 % affirment comprendre et parler un peu l’alsacien. Pour 91 % des habitants, parler l’alsacien n’est plus perçu comme ringard. On revient de loin ! Une autre satisfaction est le constat que l’école primaire, dont l’alsacien et l’allemand étaient exclus dans ma jeunesse, est devenue l’école la plus bilingue de France, puisque 17 % des écoliers suivent un cursus paritaire français allemand.

Compte tenu de ce que je viens de décrire, beaucoup d’Alsaciens, dont moi-même, suivent avec attention le lent cheminement de la Charte européenne des langues régionales ou minoritaires depuis son élaboration en 1992.

À vrai dire, les militants de l’identité alsacienne vont de déception en déception : déception quand le gouvernement Jospin n’a accepté que 39 engagements concrets sur les 98 recensés par le traité ; déception au vu de la déclaration interprétative du 7 mai 1999 accompagnant la signature du traité par ce même gouvernement ; déception au vu de la décision du Conseil constitutionnel du 15 juin 1999 imposant une révision de la Constitution préalablement à la ratification de la charte ; déception devant le long silence sur cette charte qui s’est ensuivi.

Puis, en 2015, l’espoir renaît avec l’annonce d’un projet de loi constitutionnelle qui permettra à la France de ratifier enfin ce traité après vingt-cinq autres pays. Certaines associations militantes sortent immédiatement l’encensoir et préparent les tracts pour la campagne des élections régionales. D’autres, devenues méfiantes, font appel aux juristes, lesquels découvrent le pot aux roses, si je puis ainsi m’exprimer.

Premier constat : on peut très bien appliquer les 39 engagements retenus en 1999 sans modifier la Constitution.

M. André Reichardt. Tout à fait !

M. René Danesi. C’est ainsi que, en Alsace, nous avons pris en 2014 une initiative originale : une « charte régionalisée », rédigée par l’association Culture et bilinguisme d’Alsace-Moselle, est proposée à toutes les collectivités locales. Elle reprend la Charte européenne, mais en supprimant tout ce qui concerne l’État. Les collectivités locales sont invitées à choisir 35 des engagements énumérés. Le conseil régional, les deux départements, ainsi que de nombreuses communes, ont d’ores et déjà adhéré à cette charte régionalisée.

J’en viens au deuxième constat. En ce qui concerne les langues régionales proprement dites, la révision de la Constitution qui est proposée est dépourvue de toute portée juridique et pratique, à tel point que le Comité fédéral pour la langue et la culture régionales en Alsace et en Moselle propose aux parlementaires d’amender le texte gouvernemental en ajoutant la phrase suivante : « La République encourage l’usage des langues régionales de France et ne s’oppose pas à leur utilisation à titre complémentaire par les services publics. »

Le troisième constat est aussi le plus grave : ce projet de loi prévoit d’inscrire dans la Constitution la déclaration interprétative de 1999. Selon l’éminent juriste, ancien président du tribunal administratif, qui préside l’association Culture et bilinguisme, René Schickele Gesellschaft, le résultat « risque tout simplement d’être catastrophique. En effet, cette déclaration interprétative comporte un ensemble de réserves et de restrictions quant aux mesures de soutien aux langues régionales. En les ancrant dans la Constitution, elles feront obstacle à ce que les langues régionales puissent accéder à un véritable statut protecteur ».

Je fais mienne cette analyse juridique et, par conséquent, je voterai contre un projet de loi qui prend pour des naïfs les régionalistes authentiques, dont je suis.

M. Michel Canevet. Il a raison !

M. René Danesi. Que le Gouvernement prenne son courage à deux mains : qu’il nous propose une loi donnant aux langues régionales un véritable statut et organise concrètement leur promotion ! Et si le Conseil Constitutionnel s’y oppose, que le Gouvernement nous propose de modifier la Constitution. Sinon, qu’il passe à autre chose ! (Très bien ! et applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et de l'UDI-UC.)

M. le président. La parole est à M. Jean-Jacques Lasserre. (Applaudissements sur les travées de l'UDI-UC.)

M. Jean-Jacques Lasserre. Monsieur le président, madame la garde des sceaux, mes chers collègues, la signature de la charte en 1999 a été une véritable avancée. Les raisons, nous les connaissons, ne concernaient pas forcément notre pays. En tout cas, le principe retenu était de faire vivre le patrimoine culturel.

Depuis la signature de ce texte, des dispositions d’une réelle importance ont été prises.

Par l’État, tout d’abord, particulièrement en matière d’enseignement. Un grand changement s’est opéré, notamment au sein de l’éducation nationale. L’enseignement bilingue se développe. De réels progrès ont été constatés jusqu’à ce jour – je dis bien jusqu’à ce jour ; je reviendrai ultérieurement sur la réforme du collège.

Par les collectivités, ensuite, qui s’engagent et accompagnent les initiatives en matière d’enseignement, de pratique et d’utilisation des langues.

Enfin, il ne faut jamais l’oublier dans ce débat, de réelles avancées viennent du monde associatif, du militantisme des acteurs qui ont très souvent été les éléments déclencheurs des progrès publics.

S’agissant de l’enseignement par immersion, porté le plus souvent par ces associations, les difficultés tiennent principalement à la loi Falloux, qui est paralysante. Certaines initiatives sont bloquées ou dépendent des lectures interprétatives faites par les préfets sur la légalité de nos interventions.

On peut considérer à présent que l’adoption de la charte n’aura pas d’incidences notables. Cela a été dit, et je crois que c’est vrai : les engagements signés par la France sont tous quasiment appliqués.

M. François Marc. Ce n’est pas vrai !

M. Jean-Jacques Lasserre. C’est la raison pour laquelle, probablement, beaucoup d’entre nous considèrent que ce projet de loi constitutionnelle est purement de circonstance, sans incidence réelle. Cette attitude est respectable. Pour ma part, je ne la partage pas.

La situation de nos langues minoritaires – je pense au basque, bien entendu, mais mes amis bretons et alsaciens rencontrent les mêmes problèmes – demande, me semble-t-il, un regard empreint de davantage de sensibilité.

Les efforts considérables réalisés en matière d’enseignement portent leurs fruits, mais gardent un goût d’inachevé : le nombre de locuteurs n’augmente pas. Autrement dit, si la préservation de nos langues minoritaires est assurée, leur développement est compromis. Celui-ci ne peut être envisagé que sur la pratique et les usages.

Le développement des usages ne peut se concevoir que si une vraie dynamique est créée. Ce développement nécessite beaucoup de sensibilité et de volonté, ainsi qu’un dialogue responsable – j’en parle en connaissance de cause, mais je ne suis pas le seul – entre les différents acteurs. Le développement des usages ne se décrète pas ; il ne peut s’imaginer qu’à partir d’une volonté et d’attitudes partagées.

Soyons modestes : plus qu’aux législateurs, nous devons à la société civile, au monde associatif et à la passion citoyenne la plupart des progrès que nous avons constatés.

Je suis donc favorable à l’examen de ce projet de loi. Certes, son contenu relève de l’opportunité et d’un certain fléchage, mais nous avons l’obligation de donner des signes volontaristes.

M. Ronan Dantec. Absolument !

M. Jean-Jacques Lasserre. La richesse patrimoniale est évidente et reconnue. Comprenons, mes chers collègues, qu’il s’agit, lorsque nous parlons des langues régionales, d’un patrimoine tout à fait particulier, qui ne peut pas être figé, gelé, sauvegardé dans l’immobilisme. Il s’agit non pas de vieilles pierres – passez-moi l’expression –, mais d’un patrimoine vivant, qui est actuellement conservé et transmis par des couches de la société en pleine et très rapide évolution. Les locuteurs classiques, le plus souvent ruraux et âgés, doivent être remplacés par les nouvelles générations, en s’appuyant, je le redis, sur deux actions indissociables : la formation et les usages.

Si adopter cette charte ne produirait aucun effet concret, ou presque, ne pas en discuter serait un signal négatif fort et constituerait une importante régression. Cela me paraît totalement inopportun, à l’heure où la tendance est plutôt à l’affaiblissement de nos langues régionales et de la culture qui va avec elles. Tous les acteurs nous regardent, et le refus de débattre de ce projet de loi constitutionnelle serait le premier grand facteur d’affaiblissement.

Je considère que la réforme du collège, telle qu’elle est envisagée, sera un second facteur très important d’affaiblissement.

Le maintien des heures d’enseignements optionnels et des sections bilingues fait l’objet de nombreuses incertitudes. Les langues régionales semblent reléguées aux enseignements pratiques interdisciplinaires, les fameux EPI, réduisant considérablement leur temps d’apprentissage. Or cette réforme du collège aurait pu être l’occasion de donner, enfin, un véritable statut à ces langues, qui représentent un réel atout pour les enfants qui les pratiquent.

Cette réforme du collège illustre une régression qui serait concomitante au refus d’examen de ce projet de loi.

Enfin, je suis, pour ma part, favorable à l’examen de ce texte pour une raison fondamentale que je vous expose en quelques mots. Depuis plusieurs années, nous fonctionnons dans une situation de flou total : je veux parler de la fameuse déclaration interprétative que la France a produite juste après avoir signé la charte, en 1999. Un débat, je le pense sincèrement, nous permettrait d’éclaircir cette situation extrêmement ambigüe, je dirais même hypocrite. À cet égard, j’ai apprécié l’intervention de M. Vallini.

Cette déclaration interprétative est, à mon sens, une commodité rassurante, extrêmement fragile sur un plan juridique, qui dénature fondamentalement le sens de la charte et élude la question majeure, qui est posée et qui mérite le débat, de l’utilisation exclusive du français dans la sphère publique. L’ouverture d’une discussion nous permettrait, j’en suis convaincu, de sortir de cette ambiguïté.

Je voterai donc contre la motion tendant à opposer la question préalable, parce que je crois que l’on ne peut pas faire l’économie d’un véritable débat. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain, du groupe CRC et du groupe écologiste, ainsi que sur quelques travées de l’UDI-UC. – Mme Hermeline Malherbe applaudit également.)

M. le président. La parole est à M. Yannick Botrel.

M. Yannick Botrel. Monsieur le président, madame la garde des sceaux, mes chers collègues, au travers de l’examen de ce projet de loi, nous touchons manifestement à un sujet sensible, tout du moins pour certains d’entre nous, la meilleure preuve en étant la motion de rejet présentée par le groupe Les Républicains.

Personnellement, je ne crois pas vraiment sérieuses les raisons exposées pour justifier le dépôt de cette motion ; elles m’apparaissent surtout comme des prétextes.

Refuser d’entamer le débat sur cette question qui, admettons-le, divise certains partis, n’empêchera pas que celle-ci soit évoquée et devienne même un thème lors des élections régionales de décembre prochain en différents endroits de France.

M. André Reichardt. C’est même le but visé !

M. Yannick Botrel. C’est donc une question d’incompatibilité dans notre ordre juridique interne qui est soulevée par la majorité sénatoriale et qui a entraîné le dépôt de la motion de rejet que nous nous apprêtons à discuter.

Je ferai tout d’abord remarquer l’incertitude juridique dans laquelle nous nous trouvons. Les constitutionnalistes et experts consultés expriment des avis différents sur la compatibilité de la charte avec notre ordre juridique national.

Certains mobilisent l’avis négatif du Conseil d’État ou la décision rendue en 1999 par le Conseil constitutionnel, quand d’autres invoquent le rapport Carcassonne de 1998, pour ne prendre que ces exemples. Bref, nous sommes loin de l’unanimité !

La déclaration interprétative existante permet pourtant de disposer d’un certain nombre d’assurances. Tout d’abord, je veux rappeler avec force que la ratification de la charte n’entraînera pas la reconnaissance de minorités linguistiques en France, ce qui serait effectivement contraire à la Constitution.

De la même manière, les relations entre les administrés et l’administration ne seraient pas fondamentalement modifiées dans la pratique, toujours à la lumière de la déclaration interprétative.

Dès lors, où est le problème ? Celui-ci tient en réalité à une conception de la France, fondée sur une vision centralisatrice et uniformisatrice du territoire, qui a pu avoir son explication et ses raisons dans le passé, mais qui n’est plus, aujourd’hui, de saison.

Notre pays n’est plus celui du XIXe siècle, la langue française y étant parlée et comprise partout désormais ! Dès lors, est-il opportun et intellectuellement justifié de dramatiser un sujet qui n’en demande pas tant ? Je crois sincèrement qu’il est abusif de penser que, au XXIe siècle, la reconnaissance des locuteurs de nos langues régionales et minoritaires fragiliserait notre pays et ses institutions, d’autant que les langues régionales sont déjà, en elles-mêmes, reconnues par notre Constitution !

J’en veux pour preuve que l’école publique elle-même développe aujourd’hui, et avec succès, des filières bilingues dans les régions de France concernées par l’existence d’une langue vernaculaire.

Nous sommes collectivement attachés aux institutions républicaines, et personne n’est le détenteur exclusif de leur défense ni de l’intégrité nationale, que ce projet de loi ne menace en rien selon moi.

Il ne menace pas l’unité de la nation, il ne met pas en péril les institutions, et affirmer le contraire revient à vouloir instrumentaliser le droit à des fins politiques : c’est là le second élément qu’il me semble important et nécessaire de souligner.

Il ne s’agit en aucun cas de contraindre qui que ce soit à un usage linguistique contre son gré, et aucune de ces langues n’a vocation à se substituer à la langue officielle de la République, que ce soit pour des raisons institutionnelles ou pratiques, tout simplement.

Les langues dont il est question appartiennent au patrimoine national et, d’un point de vue culturel, au patrimoine mondial. À cet égard, et pour ne citer que deux exemples, le basque, par le fait que cette langue constitue un isolat linguistique, mérite d’être perpétué, comme le breton, dernière langue celtique continentale. Ne serait-ce que pour cette raison, la question mériterait un débat au fond, et non cet escamotage auquel la motion de rejet prétend nous conduire.

Sur un autre point, je souhaiterais réagir aux propos de notre collègue Bruno Retailleau. Ce dernier a cru bon d’en appeler aux dangers du communautarisme. Je le dis d’emblée, cet argument n’est pas à la hauteur : il est facile et relève de l’anathème, ce qui évite d’argumenter davantage.

Je soumets à M. Retailleau un sujet de réflexion : c’est en Bretagne, dans l’aire géographique de la langue bretonne, que le Front national réalise ses moins bons scores. C’est là aussi que de nombreuses municipalités acceptent aujourd’hui l’accueil de réfugiés du Moyen-Orient, comme nous avons accueilli en d’autres temps des réfugiés espagnols.

M. Ronan Dantec. C’est vrai !

M. Claude Bérit-Débat. Voilà une bonne remarque !

M. Yannick Botrel. Je comprends, mes chers collègues, qu’il soit confortable pour certains de ne pas aller au bout de ce débat qui les divise, a fortiori à quelques semaines des élections régionales. Le repousser une nouvelle fois, quand la possibilité de le trancher au fond nous est offerte, me semble parfaitement inepte. Le refuser revient, tout en prétendant admettre l’existence des langues régionales, à minoriser leur pratique dans nos territoires. La Charte européenne qu’il nous est proposé de ratifier ne retire de droits à personne ; elle reconnaît simplement un fait.

M. Yannick Botrel. J’en appelle donc à l’objectivité, à la raison et au refus du conformisme idéologique. J’en appelle au débat parlementaire, au débat démocratique, et je vous invite donc naturellement, mes chers collègues, à refuser la motion de rejet. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain, du groupe CRC et du groupe écologiste. – Mme Hermeline Malherbe applaudit également.)

M. le président. La parole est à M. Alain Marc.

M. Alain Marc. Monsieur le président, madame la garde des sceaux, mes chers collègues, élaborée au sein du Conseil de l’Europe après la chute du mur de Berlin, la Charte européenne des langues régionales ou minoritaires a été ouverte à la signature à Strasbourg le 5 novembre 1992.

Ce texte doit être resitué dans son contexte, celui de la fin du bloc soviétique et de la reconstitution des États d’Europe de l’Est, à l’intérieur desquels vivent de nombreuses et anciennes minorités nationales, comme la minorité hongroise en Roumanie.

C’est la question légitime de la protection des droits de ces minorités qui est à l’origine de la charte. À l’évidence, la pratique des langues régionales en France apparaît très éloignée de cette problématique.

Le 7 mai 1999, le gouvernement français signe toutefois à Budapest la Charte européenne des langues régionales ou minoritaires. Saisi quelques jours plus tard par le Président de la République, le Conseil constitutionnel a considéré que ce texte comportait des clauses contraires à la Constitution. Comme le Conseil d’État, le Conseil constitutionnel juge que le préambule et la partie II de la charte ne sont pas conformes à la Constitution.

La reconnaissance d’un droit imprescriptible pour chacun à pratiquer une langue régionale ou minoritaire dans la vie privée et publique, ainsi que l’obligation faite aux parties de tenir compte des besoins et des vœux exprimés par les groupes pratiquant ces langues ont été regardées comme conférant des droits spécifiques à des groupes particuliers, les locuteurs de langues régionales ou minoritaires.

Le Conseil constitutionnel a considéré que ces stipulations portaient atteinte aux principes constitutionnels d’indivisibilité de la République et d’égalité devant la loi – article 1er de la Constitution –, ainsi qu’au principe d’unicité du peuple français – article 3 de la Constitution.

Les dispositions exhortant les États à faciliter l’usage oral et écrit des langues régionales ou minoritaires dans la vie privée et publique ont été jugées contraires à l’article 2 de la Constitution, selon lequel la langue de la République est le français.

Dès lors, le processus de ratification a été interrompu. Néanmoins, le 31 juillet 2015, madame la ministre, vous déposiez le présent projet de loi constitutionnelle autorisant la ratification de la charte, en le soumettant en premier lieu au Sénat.

Or ce texte risque d’alimenter de nombreux contentieux, comme l’ont excellemment souligné Philippe Bas et Hugues Portelli. Une révision constitutionnelle nous conduirait à une véritable impasse juridique, aussi bien dans l’ordre juridique interne que dans l’ordre juridique international.

On peut surtout s’interroger sur vos motivations : pour quelles raisons ce projet de loi constitutionnelle intervient-il précisément maintenant, seize ans après la décision du Conseil constitutionnel, alors que la ratification de la charte est inutile pour promouvoir les langues régionales, « patrimoine de la France », conformément à l’article 75-1 de la Constitution ?

Vous confondez volontairement moyens et finalité. Oui, nous voulons conserver les langues régionales et les promouvoir ! Non, la ratification de la Charte européenne ne nous semble pas opportune : pour nous, elle apparaît comme un symbole, et surtout un leurre.

En effet, ce projet de ratification, qui ne revêt aucun caractère urgent et qui se heurte à de très importants obstacles juridiques, apparaît avant tout comme un outil politique à l’approche des élections régionales. Il s’agit de placer le Gouvernement aux avant-postes du camp des défenseurs des langues régionales et de masquer, par ce biais, les autres volets de l’action gouvernementale et ses échecs.

M. Loïc Hervé. C’est vrai !

M. Alain Marc. Ne nous y trompons pas : la défense et la promotion des langues régionales n’exigent en rien la ratification de la Charte européenne !

Par ailleurs, madame la ministre, nous ne vous avons pas attendue pour exprimer notre profond intérêt pour la valorisation des langues régionales en France : la plupart des dispositifs autorisant l’emploi des langues régionales ou favorisant leur préservation ont été mis en place par des gouvernements de droite et de gauche. Je pense notamment à la loi Haby du 11 juillet 1975, sous la présidence de Valéry Giscard d’Estaing, ou encore à la loi Toubon du 4 août 1994. Des ministres de l’éducation nationale comme Lionel Jospin ou François Bayrou – un nom qu’il faut prononcer, comme en occitan, en diphtonguant l’y ! (Sourires.) – ont aussi contribué à l’essor des langues régionales dans le domaine de l’enseignement.

Enfin, la dernière initiative parlementaire en ce domaine consiste en une proposition de loi relative à la promotion des langues régionales, dont je suis, avec d’autres, le coauteur, qui tend à donner une assise juridique plus claire à des pratiques ou usages existants et à promouvoir l’utilisation des langues régionales.

M. Didier Guillaume. Un texte électoraliste, avant les régionales !

M. Alain Marc. Madame la garde des sceaux, je suis un ardent défenseur des langues régionales, plus précisément de l’occitan. En effet, au travers de mon ancien métier de conseiller pédagogique en langues et cultures régionales – cela ne s’invente pas ! –, j’ai contribué à créer des calandretas et des sections bilingues. Je crois donc connaître quelque peu le problème.

Dans le département de l’Aveyron, dont je suis le premier vice-président – notre collègue Jean-Claude Luche, ici présent, en assure la présidence –, nous avons, en nous appuyant sur les intercommunalités, mené une action qui me semble assez exemplaire.

Des élèves sont scolarisés dans les écoles associatives calandretas ; d’autres sont scolarisés dans les sections bilingues de l’enseignement public ; quelque 9 800 élèves au total sont sensibilisés, en maternelle et en primaire, à la langue régionale. Au total, ce sont quelque 52 % des petits Aveyronnais qui reçoivent une éducation à la langue et à la culture régionales dans mon département, alors même que la Charte européenne n’est pas ratifiée. A-t-on vraiment besoin de cette dernière pour promouvoir les langues régionales ?

Je souhaiterais que tous ceux qui ergotent longuement sur la Charte européenne et qui sont détenteurs d’un mandat exécutif local accomplissent le même travail que nous en faveur des langues régionales !

Mme Hermeline Malherbe. C’est ce que nous faisons !

M. Alain Marc. De façon concrète, les obstacles au développement des langues régionales sont principalement de deux ordres. D’une part, certains directeurs académiques des services de l’éducation nationale s’opposent sur le terrain à la création de sections bilingues – je m’y suis heurté dans mon ancienne vie. D’autre part, dans l’audiovisuel public, France 3, malgré les heures d’expression en langues régionales qui ont été mentionnées, a tendance à réduire le temps d’expression dévolu à ces langues dans ses programmes.

La proposition de loi que nous avons déposée suffit à lever ces deux obstacles et ouvre d’autres pistes, comme des modules de formation au sein des écoles supérieures du professorat et de l’éducation, les ESPE.

La Charte européenne visait surtout à répondre aux problèmes que rencontraient les minorités linguistiques dans les pays d’Europe centrale et orientale après l’effondrement du communisme. De grâce, ne l’utilisons pas pour pallier des problèmes que nous pouvons régler avec notre propre système législatif !

Encore une fois, non seulement la ratification de la Charte européenne n’apporte rien par rapport à la nécessité de préserver et de valoriser les langues régionales, mais ce projet de révision constitutionnelle présente un véritable danger juridique.

Enfin, comme l’a dit le président de notre vénérable institution, Gérard Larcher, « la Constitution de la Ve République ne doit pas être une variable d’ajustement pour les gouvernements en échec ! » (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et de l'UDI-UC. – Protestations sur les travées du groupe socialiste et républicain.)

(M. Claude Bérit-Débat remplace M. Thierry Foucaud au fauteuil de la présidence.)

PRÉSIDENCE DE M. Claude Bérit-Débat

vice-président

M. le président. La parole est à M. Roland Courteau.

M. Roland Courteau. Monsieur le président, madame la garde des sceaux, mes chers collègues, il n'y a point d’ambiguïté pour Claude Bérit-Débat, Henri Cabanel, d’autres collègues ou moi-même, qui défendons l’occitan : la pluralité des langues régionales et la diversité culturelle sont une richesse, qu’il nous faut conforter, accroître, protéger et promouvoir, c’est-à-dire faire vivre. Parce que, trop longtemps, nos langues régionales ont été négligées, voire combattues, malmenées ou reléguées au rang de patois, nous soutiendrons ce texte visant à autoriser la ratification de la Charte européenne.

Des élus municipaux ou des parents d’élèves vous diront les obstacles trouvés sur leur route, comme tel maire rencontrant des problèmes pour avoir installé des panneaux de signalisation en occitan et en français à l’entrée de sa ville. J’avais même été amené à présenter ici et à faire adopter une proposition de loi en 2010, afin d’offrir, sur ce point, un cadre juridique sûr.

Soyons cohérents ! Si nous voulons soutenir la diversité des langues dans le monde, donc la position du français dans certains pays où il est minoritaire, peut-être faudrait-il, alors, ne pas hésiter à reconnaître cette diversité linguistique et culturelle chez nous, en France.

Je formulerai une autre remarque : s’il est vrai que c’est en français qu’a été proclamée la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, c’est tout de même en occitan qu’a été créé en 1792 le personnage de Marianne, symbole de la République.

Protéger et valoriser les langues régionales, patrimoine indivis de la nation, n’a aucunement pour objet de diminuer la place que le français occupe dans notre sphère publique, ni de méconnaître son rôle dans la construction de la nation. Il s’agit non pas de diviser, mais d’unir.

La République est une et indivisible, mais elle est aussi diverse, mes chers collègues, par ses cultures et par ses langues. C’est ce qui fait l’attractivité de nos territoires et qui les rend uniques. Compte tenu de la richesse et du poids des langues régionales dans notre pays, la charte apparaît comme le préalable nécessaire à l’élaboration d’un cadre législatif positif, au sein duquel nos langues régionales trouveraient à s’épanouir.

Certains, de tous bords, dont je respecte la position, mais ne partage ni l’analyse ni les arguments, trouvent nombre d’arguments pour s’opposer à la charte.

Rien n’y fait ! Ni que vingt-cinq pays comme l’Allemagne, l’Espagne ou le Royaume-Uni l’aient ratifiée. Ni que des juristes éminents l’aient soutenue. Ni que le Parlement européen ait invité tous les États, avec une majorité écrasante, à la ratifier. Ni que la convention de l’UNESCO de 2005 aille dans le même sens.

Rien n’y fait ! Même le préambule qui affirme que la protection et l’encouragement des langues régionales ne doivent pas se faire au détriment des langues officielles.

J’entends aussi certains, ici ou là, nous dire que ces langues seraient mortes, arriérées, surannées, vieillies, inadaptées à transmettre la moindre pensée.

La vérité est qu’elles comptent encore beaucoup de locuteurs, même si, malheureusement, leur nombre est en constante et rapide régression.

La vérité est qu’elles sont d’une grande richesse de vocabulaire, syntaxique et sémantique.

La vérité est qu’elles constituent un patrimoine humain et culturel exceptionnel.

N’ayez crainte, mes chers collègues ! Le pacte républicain n’est pas menacé par les langues régionales.

Mme Odette Herviaux. Tout à fait !

M. Roland Courteau. N’y a-t-il pas lieu plutôt de s’inquiéter des attaques menées contre notre langue nationale par une langue étrangère, je veux dire l’anglo-américain.

Sur ce point très précis, certains de nos compatriotes n’hésitent pas à se demander si nous ne serions pas en voie de colonisation culturelle et linguistique, tandis que d’autres évoquent la « machine de guerre à angliciser » et annoncent pour bientôt un véritable Waterloo linguistique ! (Murmures sur les travées du groupe Les Républicains.)

Mme Colette Mélot. C’est excessif !

M. Roland Courteau. La vérité est que, dans notre pays, certaines de nos langues régionales s’éteignent, peu à peu, mais inexorablement. Il nous faut donc protéger ce patrimoine, donner une impulsion aux dynamiques existantes, mieux valoriser leur enseignement et favoriser la création artistique.

Non, la ratification de la charte ne participe d’aucune logique communautariste mettant en danger le pacte républicain.

Ratifier la charte, c’est, au contraire, accomplir un acte politique fort et symbolique. C’est donner une sécurité juridique à toutes les initiatives en faveur des langues régionales, trop souvent à la merci du pouvoir réglementaire ou du zèle contentieux. C’est se doter d’un soutien institutionnel dont la charte permet, justement, la mise en œuvre.

Ratifier la charte, c’est aussi s’assurer que toutes les langues seront égales en dignité.

Tels sont nos objectifs, à Claude Bérit-Débat, à Henri Cabanel, à nos collègues du groupe socialiste et à moi-même : concilier, comme cela a été dit, la langue de la République et la République des langues. Il est dommage, vraiment dommage que l’unanimité ne puisse se faire sur de tels enjeux ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain, du groupe CRC et du groupe écologiste. – Mme Hermeline Malherbe applaudit également.)

(M. Thierry Foucaud remplace M. Claude Bérit-Débat au fauteuil de la présidence.)

PRÉSIDENCE DE M. Thierry Foucaud

vice-président

M. le président. La parole est à M. André Reichardt.

M. André Reichardt. Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, je suis donc le troisième sénateur alsacien à intervenir cette après-midi. Si je le fais, c’est pour affirmer, à mon tour, mon attachement à ma langue régionale, à sa pratique quotidienne, à sa promotion et à son développement, mais également pour indiquer pourquoi je ne peux pas, à mon vif regret, voter le projet de loi constitutionnel qui nous est proposé.

Je tiens à affirmer mon attachement à ma langue régionale, tout d’abord. De fait, bien que l’alsacien ne soit pas ma langue maternelle – mon père était belfortain et on ne parlait donc que le français à la maison –, j’ai appris au fil des années, dans la rue tout d’abord avec mes jeunes amis, puis avec des amis de moins en moins jeunes dans les différents cercles associatifs, professionnels, puis d’élus que je fréquentais, à pratiquer cette langue, à en découvrir la finesse et la richesse, à m’émerveiller de la multiplicité de ses accents et intonations, à la promouvoir, pour tout dire à l’aimer.

Dès que je l’ai pu, en qualité d’élu communal, puis de maire, j’ai contribué à sa valorisation en encourageant la pratique théâtrale et en soutenant la création d’un site bilingue paritaire dans une école maternelle de ma commune, puis à l’école élémentaire, en affectant, bien entendu, les moyens matériels adéquats, et même plus encore.

En qualité de président du conseil économique et social d’Alsace, tout d’abord, puis de vice-président, enfin de président du conseil régional d’Alsace, avec mes différents collègues, pendant plus de vingt ans j’ai contribué au développement de cette pratique dialectale et de projets en langue régionale, que ce soit en milieu scolaire et périscolaire, avec notamment la promotion de l’option « langue et culture régionales », par le soutien à l’écriture et à la réalisation de pièces de théâtre en alsacien ou encore par le cofinancement de plaques de rues bilingues, et même par l’édition de dictionnaires professionnels franco-alsaciens pour toute une série de métiers.

Tout cela pour dire que je ne peux pas être suspect de réserve à l’égard de notre langue régionale,…

M. André Reichardt. … que je considère, de même certainement que les 900 000 locuteurs des différentes formes de dialecte en Alsace et en Moselle, comme un élément fort et indissociable de notre identité alsacienne et mosellane, qui a été forgée par notre histoire et notre géographie, mais également par nos spécificités – faut-il le rappeler ?

À côté de notre droit local, dont le financement des cultes reconnus, nos deux jours fériés supplémentaires et notre régime local d’assurance maladie…

M. André Trillard. Excellent régime !

M. André Reichardt. … sont, en particulier, les éléments les plus connus, l’alsacien joue un rôle essentiel.

Souvent appris dans un cadre familial, il est une langue truculente, savoureuse : savez-vous, mes chers collègues, qu’il existe plus de quatre-vingts expressions pour dire des mots doux à une femme ? (Sourires.)

M. Philippe Bas, rapporteur. Seulement quatre-vingts ?

M. Loïc Hervé. Des exemples, des exemples !

M. André Reichardt. Je suis prêt à donner des cours aux plus assidus d’entre vous… (Nouveaux sourires.)

Savez-vous qu’il y a plus de quarante expressions pour dire que l’on a marqué un but en football ? Cette langue est pleine de subtilités : un même mot peut avoir plusieurs significations. Nous, les Alsaciens, sommes les seuls à la comprendre et sommes les seuls à la parler. C’est la raison pour laquelle nous voulons la garder et la promouvoir.

Pour autant, et malgré cet attachement fort à ma langue régionale, je ne puis voter le projet de loi constitutionnelle qui nous est proposé et, je le répète, c’est à mon grand regret. Pourquoi ? Parce que c’est inutile et parce que c’est impossible. C’est aussi clair que cela !

M. Jacques Bigot. Impossible n’est pas français ! (Sourires sur les travées du groupe socialiste et républicain.)

M. André Reichardt. C’est inutile, parce que la Charte européenne des langues régionales et minoritaires qu’il s’agit ici de ratifier dans la version limitée qu’a signée la France, avec 39 engagements qu’elle propose sur les 98 possibles, soit à peine quatre de plus que le minimum exigé, n’apporte rien de plus que ce que nous faisons déjà dans ma région et que toute autre région peut d’ores et déjà faire.

M. Ronan Dantec. Votez-la, alors !

M. André Reichardt. J’ai dit précédemment tout ce qui avait été entrepris à cet égard ces dernières années, sans qu’il ait été besoin de charte européenne. En Alsace, on l’a cité tout à l’heure, l’office pour la langue et la culture d’Alsace, l’OLCA, a été créé en 1994, soit cinq ans avant que la France ne signe la charte !

M. Jacques Bigot. Il faut donc la voter !

M. André Reichardt. Au fil des années, cet OLCA, massivement financé par le conseil régional d’Alsace, n’a cessé de développer et d’enrichir son activité, et il est reconnu par tous comme un animateur essentiel de notre patrimoine linguistique.

Plus récemment, comme l’a dit mon ami René Danesi, c’est même, au cours des assises de la langue et de la culture régionales organisées par la région, une charte d’Alsace pour la promotion de la langue régionale, fondée précisément sur la charte européenne qu’il nous est proposé de ratifier aujourd’hui, qui a été approuvée par le conseil régional et les deux conseils départementaux du Bas-Rhin et du Haut-Rhin. Elle traduit concrètement notre volonté de faire avancer et de pérenniser la langue et la culture régionales, avec une déclinaison d’objectifs opérationnels, notamment à destination des communes.

Pour ce faire, nous n’avons nullement eu besoin de la ratification qui nous est proposée aujourd’hui. De la même manière, la charte européenne peut d’ores et déjà, en tant que de besoin, se décliner efficacement, partout dans notre pays, si les populations concernées et leurs représentants le souhaitent.

Toutefois, et surtout, je ne vais pas voter ce projet de loi constitutionnelle, parce que c’est impossible. Le président de la commission des lois, également rapporteur de ce texte, nous a indiqué les raisons pour lesquelles la ratification qui nous est proposée n’est pas possible. Même affublée de la déclaration interprétative proposée par le Gouvernement, cette charte européenne est contraire à la Constitution. Je n’y reviendrai pas.

M. Ronan Dantec. On peut supprimer cette déclaration, si vous préférez !

M. André Reichardt. Reste alors la force du symbole, que les partisans de cette constitutionnalisation entendent mettre en avant. À ceux-ci, je voudrais juste répondre que la révision constitutionnelle du 23 juillet 2008 a d’ores et déjà ajouté l’article 75-1 à la Constitution et que celui-ci indique que « les langues régionales appartiennent au patrimoine de la France » !

En conclusion, et sans nier, une nouvelle fois, toute l’importance à accorder aux langues régionales et minoritaires, il me semble qu’il y a bien lieu pour le Sénat de rejeter ce projet de loi, en votant la question préalable qui nous est proposée par la commission des lois, et de lui préférer le vote d’une proposition de loi donnant un véritable statut aux langues régionales, comme le groupe Les Républicains envisage de le proposer dans les prochaines semaines. Je le répète, c’est tout à fait possible, indépendamment de la ratification de cette charte. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et de l'UDI-UC.)

M. le président. La parole est à M. Christian Manable.

M. Christian Manable. Monsieur le président, madame la garde des sceaux, mes chers collègues, la République est une et indivisible. Et c’est son patrimoine culturel dense et divers, complété au fil du temps, qui fait la France d’aujourd’hui, dans toute sa diversité. Les langues régionales participent à cette richesse de notre pays. Une République forte n’a pas à craindre la diversité linguistique.

Mme Maryvonne Blondin. Au contraire !

M. Christian Manable. Je suis l’un des représentants de la nation, comme vous mes chers collègues. Je suis parlementaire, donc au service de l’intérêt général. Je ne suis pas l’avocat d’un territoire ou le VRP de spécificités locales. Pourtant, je suis un ardent militant des cultures et langues régionales – de toutes les cultures et de toutes les langues régionales !

Nous devons saisir l’occasion de cette ratification, notamment pour soutenir cette richesse culturelle de la France et les diversités locales. C’est un débat important, qui ne doit pas être évacué par je ne sais quelle acrobatie ou pirouette technique.

Durant toute l’après-midi, j’ai entendu parler du basque, de l’alsacien, du breton… Qu’il me soit permis de vous parler du picard !

M. Philippe Bas, rapporteur. Oui, cela manquait !

M. Christian Manable. Au XIIIe siècle, à une époque où il existait une « nation picarde », la langue picarde était fréquemment utilisée par les universitaires du Moyen Âge, à la Sorbonne, à deux pas d’ici.

La langue picarde fait partie intégrante de la richesse culturelle de la France. Le picard est reconnu comme une langue par le ministère de la culture : en 1999, quand la France a signé la Charte européenne des langues régionales, le Premier ministre Lionel Jospin a demandé à Bernard Cerquiglini, linguiste, qui avait été délégué général à la langue française, d’établir la liste des langues de France. Or le picard en fait partie. Il est officiellement reconnu comme étant l’une des soixante-quinze langues de France, qui comprennent aussi les langues d’outre-mer.

Cependant, en 2013, dans la perspective de l’éventuelle ratification alors déjà évoquée et de la mise en œuvre des dispositions de la Charte en faveur des langues régionales et minoritaires, Aurélie Filippetti, ministre de la culture avait installé un comité consultatif pour la promotion des langues régionales et de la pluralité linguistique interne avec pour mission « d’éclairer le Gouvernement sur les modalités d’application des trente-neuf engagements pris par la France en signant la Charte européenne, et plus généralement de formuler des recommandations visant à favoriser la pluralité linguistique interne à notre pays ».

Le rapport de ce comité consultatif cite le picard tantôt, correctement, comme une langue – appartenant comme le français au groupe des langues d’oïl –, tantôt en laissant entendre qu’il serait une « variété dialectale du français », niant ainsi le fait que, linguistiquement, historiquement et d’un point de vue littéraire, le picard est une langue proche, mais aussi distincte du français que l’occitan peut l’être du catalan ou le néerlandais de l’allemand. Cette ambiguïté a bien évidemment nourri des inquiétudes chez tous les promoteurs du picard, dont je suis.

Nous avions en effet constaté qu’aucun représentant ni spécialiste de la langue picarde ne figurait parmi les membres de ce comité ou parmi les personnes qualifiées et associations auditionnées par celui-ci.

Enfin, les données mentionnées en annexe du rapport nous semblent inexactes. Le nombre de locuteurs avancé nous apparaît fantaisiste et ne s’appuie sur aucune référence sérieuse. De plus, il globalise l’ensemble des langues dites d’oïl sans distinguer les différences très profondes qui existent entre elles.

Or la réalité du picard recouvre cinq départements – l’Oise, l’Aisne, la Somme, le Pas-de-Calais, le Nord – et même une partie de la Belgique jusqu’à Tournai : le picard se parle entre le nord de Paris et le sud de Bruxelles. On considère que deux millions de personnes sont au moins capables de le comprendre et, je le rappelle, il s’écrit depuis le Moyen Âge.

En effet, la plupart des grands textes du Moyen Âge sont écrits en langue picarde et ce que l’on qualifie d’ancien français est objectivement de l’ancien picard. L’existence d’une littérature originale très importante et millénaire en langue picarde est une réalité, tout comme le fait que le picard dispose d’une orthographe communément acceptée et très largement répandue, ainsi que d’une importante présence en milieu scolaire. Plusieurs méthodes d’enseignement du picard ont déjà été publiées, notamment celle qui a été réalisée par l’Agence pour le picard en 2013.

D’ailleurs, sans faire injure à mes collègues du Nord et du Pas-de-Calais, le ch’ti est du picard, mais du picard qui a réussi, grâce au film ! (Sourires.) Il ne s’agit même pas d’une variante, mais d’une appellation. Le ch’ti n’a pas d’autonomie par rapport au picard, il n’existe que depuis la guerre de 1914-1918, car c’est de l’argot des tranchées. Il s’est formé à partir de sonorités que les soldats entendaient dans la bouche de leurs camarades qui parlaient picard. Comme les soldats du Nord étaient nombreux à parler picard, ils ont été désignés comme étant les Ch’timis.

De nos jours, on publie régulièrement en picard, dans tout le domaine linguistique picard. Astérix en picard, c’est quand même plus de 100 000 exemplaires, beaucoup plus que les traductions dans les autres langues régionales de France !

M. Hugues Portelli. C’est fini !

M. Christian Manable. Le picard est aujourd’hui un élément culturel fort de notre grande région Nord–Pas-de-Calais–Picardie, sauf pour certaines candidates aux élections régionales qui ne connaissent cette grande région qu’au travers des vitres du TGV qui les emmène de Saint-Cloud à Bruxelles.

Dans l’éventualité où la procédure de révision de la Constitution indispensable à la ratification de la Charte européenne des langues régionales ou minoritaires aboutirait, il est indispensable que la langue picarde soit concernée et entre dans le périmètre de ce processus.

M. Thierry Foucaud. Veuillez conclure, mon cher collègue !

M. Christian Manable. Monsieur le président, mais tous les orateurs qui m’ont précédé ont dépassé le temps de parole qui leur était imparti ! (Protestations sur plusieurs travées du groupe Les Républicains.)

M. Éric Doligé. Ce n’est pas une raison !

M. Christian Manable. Pour conclure, permettez-moi de citer quelques extraits de la lettre adressée par Marius Touron au ministre, le 16 septembre 1910 : « Mossieu l’ministre, cha s’roit i jamoés vrai, môssieu l’ministre ? I péroit qué d’vant qui fuche longtemps chés poysans comme nous n’éront plus l’droit d’pérleu ein patois. […] Les viux mots d’no patois, os z’avons chuché aveuc l’lait d’no mère, est einé deins no sang, a n’peut mi s’ertireu comme o. »

M. Hugues Portelli. C’est fini !

M. Christian Manable. Si je traduis, cela signifie : « Monsieur le ministre, cela serait-il vrai ? Il paraîtrait que les gens comme nous qui furent longtemps des paysans n’auraient plus le droit de parler en patois. Les vieux mots de notre patois, avec lesquels nous avons bu le lait de notre mère, sont entrés dans notre sang,…

M. Hugues Portelli. Le règlement !

M. Christian Manable. … cela ne peut disparaître comme ça. » Merci de votre attention et de votre grande patience ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain. – M. Éric Bocquet applaudit également.)

M. le président. La parole est à Mme Colette Mélot.

Mme Colette Mélot. Monsieur le président, madame la garde des sceaux, monsieur le président de la commission des lois, mes chers collègues, la révision constitutionnelle de 2008 a permis d’introduire par la Constitution un article 75–1 qui dispose que « les langues régionales appartiennent au patrimoine de la France ».

De nombreuses initiatives parlementaires, plusieurs propositions de loi, des questions orales ou écrites posées sur le sujet témoignent de l’intérêt manifesté par l’ensemble du Sénat pour les questions de langues et cultures régionales.

Je suis pourtant convaincue, après avoir conduit de nombreuses auditions dans le cadre de la rédaction d’un rapport fait au nom de la commission de la culture, de l’éducation et de la communication en 2011, que le temps des « guerres linguistiques » est révolu. Certes, il faut conserver un statut prééminent au français, qui est notre langue nationale commune, la langue de la vie publique et de la République, un des piliers de l’unification de notre pays, mais les langues régionales n’en constituent pas moins une des richesses culturelles qui honorent notre pays. Elles ne sont pas une menace pour le français, qui doit plutôt lutter sur le plan international pour conserver sa place.

L’appellation de « langues régionales », si elle constitue un terme générique commode d’emploi, a l’inconvénient de masquer la grande diversité des situations locales. Il y a peu en commun entre les situations des langues comme le basque, le breton, l’occitan et ses variétés, l’alsacien, le catalan, le corse, le flamand occidental – et je ne saurais oublier le picard ! –, les créoles, le tahitien, les langues kanakes et amérindiennes. Elles diffèrent par le nombre de locuteurs, dont l’estimation est d’ailleurs difficile, d’autant qu’il faudrait distinguer entre la compréhension passive et l’expression active, la maîtrise de l’oral et de l’écrit. Beaucoup d’entre elles, en outre-mer, connaissent encore une transmission naturelle dans les familles. En revanche, celle-ci s’est complètement étiolée en métropole où les langues régionales survivent grâce à l’école, contrairement à un préjugé répandu.

Je voudrais apporter un éclairage issu des travaux et des auditions que j’ai pu mener. Nous ne pouvons que nous féliciter du sérieux avec lequel l’éducation nationale aborde l’enseignement des langues régionales. L’article L. 121–1 du code de l’éducation prévoit que la formation dispensée au sein des écoles, des collèges, des lycées et des établissements d’enseignement supérieur « peut comprendre un enseignement, à tous les niveaux, de langues et cultures régionales ». Par ailleurs, le service public de l’enseignement supérieur, en application de l’article L. 123–6 du code de l’éducation, « veille à la promotion et à l’enrichissement de la langue française et des langues et cultures régionales ».

Dans sa rédaction issue de la loi du 8 juillet 2013 d’orientation et de programmation pour la refondation de l’école de la République, l’article L. 312–10 du code de l’éducation prévoit que « Les langues et cultures régionales appartenant au patrimoine de la France, leur enseignement est favorisé prioritairement dans les régions où elles sont en usage. Cet enseignement peut être dispensé tout au long de la scolarité selon des modalités définies par voie de convention entre l’État et les collectivités territoriales où ces langues sont en usage. »

Par ailleurs, l’enseignement de la langue régionale peut permettre de déroger aux règles normales d’affectation des élèves dans l’enseignement primaire. Il ressort des dispositions de l’article L. 212–8 du code de l’éducation, dans sa rédaction issue de la loi « NOTRe », que « le maire de la commune de résidence dont les écoles ne dispensent pas un enseignement de langue régionale ne peut s’opposer, y compris lorsque la capacité d’accueil de ces écoles permet de scolariser les enfants concernés, à la scolarisation d’enfants dans une école d’une autre commune proposant un enseignement de langue régionale et disposant de places disponibles. » (M. Ronan Dantec s’exclame.)

Il faut également souligner la situation spécifique des langues régionales dans les outre-mer. L’article L. 321–4 du code de l’éducation, dans sa rédaction issue de la loi de refondation de l’école, prévoit que « dans les académies d’outre-mer, des approches pédagogiques spécifiques sont prévues dans l’enseignement de l’expression orale ou écrite et de la lecture au profit des élèves issus de milieux principalement créolophone ou amérindien. » Compte tenu du caractère vernaculaire de ces langues, le « schéma d’accompagnement à la valorisation de l’enseignement des langues d’origine dans les outre-mer », élaboré en 2012, encourage les enseignants à s’appuyer sur la langue d’origine des élèves pour favoriser l’apprentissage du français.

Mes chers collègues, si les engagements auxquels la France a souscrit sont en grande partie réalisés, une éventuelle ratification de la Charte européenne des langues régionales n’irait pas sans poser certaines difficultés. Au-delà du coût de ces mesures, les dispositions de la Charte pourraient empêcher, par exemple, la réduction du nombre d’options dans l’enseignement secondaire, prônée de longue date par la Cour des comptes et qui est envisagée comme un des leviers d’une réorientation des crédits vers l’enseignement primaire.

Je dirai également quelques mots sur la promotion des langues et cultures régionales dans les médias, déjà largement prévue par la loi relative à la liberté de communication, qui trouve de nombreuses applications. J’appelle votre attention sur des pistes d’amélioration possibles : il faudrait par exemple élargir les compétences du Conseil supérieur de l’audiovisuel ; Radio France pourrait favoriser l’expression régionale sur ses antennes décentralisées sur l’ensemble du territoire ; il paraît important de favoriser davantage la diffusion audiovisuelle des langues régionales dans les médias et la création cinématographique ; un travail pourrait être mené par l’Institut national de l’audiovisuel, l’INA, pour la conservation et la diffusion d’archives en langue régionale.

Enfin, dernier volet de mon intervention, je voudrais évoquer la signalétique des noms des communes ou autres lieux publics. Là encore, le texte de l’article unique de la proposition de loi adoptée par le Sénat en février 2011, dont j’avais été le rapporteur et que M. Courteau a évoqué voilà quelques instants, n’a pas été inscrit depuis à l’ordre du jour de l’Assemblée nationale. Il pourrait être repris, car cette pratique mérite d’être consolidée. Il est intéressant de relever que la Charte européenne des langues régionales, dans l’une de ses dispositions, préconise l’adoption des formes traditionnelles et correctes de la toponymie, conjointement à la dénomination dans la langue nationale. Cette disposition figure d’ailleurs parmi les 39 mesures retenues par la France dans la Charte, et qui ont été jugées constitutionnelles, contrairement au préambule qui en interdit la ratification.

Je tiens à rappeler, pour conclure, que la politique française est exemplaire concernant l’enseignement des langues régionales. J’estime que la difficulté majeure reste le manque chronique d’enseignants spécialisés, et non la ratification de la Charte européenne. Notre groupe, lors du quinquennat précédent, a donné des preuves de son profond attachement à la défense des langues régionales et nous allons poursuivre notre action par le dépôt d’une proposition de loi. Nul besoin, par conséquent, d’une ratification de la Charte européenne, alors que celle-ci soulève les sérieuses difficultés d’ordre juridique et constitutionnel qui viennent d’être exposées.

Je voterai la motion tendant à opposer la question préalable au présent texte et j’espère que les partisans de son adoption, prompts à défendre les langues régionales à la veille d’élections concernant les régions, mettront prochainement la même ferveur à voter nos propositions, qui constituent selon moi un moyen plus sûr pour préserver nos traditions. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – Mmes Sylvie Goy-Chavent et Catherine Morin-Desailly applaudissent également.)

M. le président. La parole est à M. Georges Labazée.

M. Georges Labazée. Monsieur le président, madame la ministre, vous vous en souvenez, un collègue de mon département s’était mis à chanter dans sa langue natale à la tribune de l’Assemblée nationale. Vous connaissez son nom,…

M. André Reichardt. Un marcheur !

M. Georges Labazée. … sinon vous pourrez le retrouver dans les archives. Je ne vais pas chanter en béarnais ou en occitan, mais je voudrais commencer mon propos en disant : « Mosssu lo president, dauna Taubira, daunas et mestes »… Vous avez compris ?

M. Henri de Raincourt. Évidemment ! (Rires.)

M. Georges Labazée. Intervenir après deux heures et demie de débats autour des langues et cultures régionales à propos de ce projet de loi constitutionnelle autorisant la ratification de la Charte européenne des langues régionales ou minoritaires m’amènerait à rappeler ce qui a déjà été dit à de nombreuses reprises dans l’après-midi. Je pourrais, par exemple, mentionner les dates, de l’adoption de la Charte en 1992 en passant par la décision du gouvernement Jospin de la signer en 1999. Depuis, seize années ont passé et rien n’a été fait. Je vais donc oser une métaphore : cette charte serait-elle un caillou dans la chaussure de la France ?

D’ailleurs, les pays nouvellement admis dans l’Union européenne se voient contraints de la signer et, de surcroît, de la ratifier. La majorité des grandes nations européennes – le Royaume Uni, l’Allemagne, l’Espagne et bien d’autres – l’ont ratifiée.

La Charte, quoi qu’en disent les souverainistes de tout poil, ne menace en rien l’unité de la nation, donc de la République. Elle ne crée pas un droit spécifique pour les groupes ou communautés, distincts de la communauté nationale.

Cela a été dit, la République peut être une politiquement et diverse linguistiquement et, par conséquent, culturellement. Si elle veut vivre encore et toujours, elle se doit de ne pas être oublieuse de ce qui l’a constituée et la constitue aujourd’hui encore : les langues régionales sont consubstantielles à la République et doivent donc être considérées comme telles.

La plupart de ces langues, cela a été répété, et tout particulièrement l’occitan, sont menacées d’extinction dans les vingt ans à venir. Ce ne sont pas les militants enfiévrés qui le disent, c’est l’UNESCO !

Que veut-on au juste ? Les voir mourir lentement, mais sûrement,…

M. Ronan Dantec. Absolument !

M. Georges Labazée. … et donner ainsi à notre République l’image d’un système politique incapable d’accepter la diversité linguistique qui lui a été octroyée par l’histoire ? L’occitan a plus de mille ans d’existence, et le basque encore plus.

Ou veut-on qu’elle s’offre enfin la possibilité de se grandir et d’exister au-delà de toutes les crispations « nationalistes », ce terme a été utilisé au cours de l’après-midi ?

Car, à exclure ces langues de la maison France, la République s’ampute d’une partie de son histoire, de son identité, de son dynamisme.

Avec mes parents, durant toute leur vie, je n’ai parlé qu’en béarnais, une déclinaison de l’occitan. Pourtant, cela ne m’a pas empêché d’exercer mon métier d’enseignant au service de l’éducation nationale, ni d’épouser une carrière politique et de m’exprimer en français devant vous.

Ces langues ont non seulement des primo-locuteurs, des nouveaux locuteurs, que l’enseignement certes chaotique fait naître – je pense ici à toutes les écoles immersives –, mais elles possèdent aussi des écrivains, des poètes, des artistes, créateurs de renommée internationale – je ne citerai que Bernard Manciet. Elles sont, par essence, universelles.

Mossu lo president de la comissio de las leys, qu’abeth compres

M. Philippe Bas, rapporteur. Oui !

M. Georges Labazée. Que vau paosa ue questio ? Vous comprenez ?

M. Philippe Bas, rapporteur. Oui !

M. Éric Doligé. Encore ! On progresse ! (Sourires.)

M. Georges Labazée. Ço qu’abeth dit en l’hora ey vertat o pas ? [ce que vous avez dit tout à l’heure… est-ce vrai ou pas ?]

Plusieurs sénateurs du groupe Les Républicains. C’est vrai !

M. Georges Labazée. Qu’em comprenet ? Vous me comprenez ? (Oui ! sur les travées du groupe Les Républicains.) Quep trufat de nosauts [vous vous moquez de nous…] – mais gentiment.

M. Philippe Bas, rapporteur. Qui se moque de l’autre actuellement ? (Sourires.)

M. Georges Labazée. Permo qué hie encoero que yabé 20 000 personas a Montpellieret aillos ta defende la lengua. [parce que hier encore il y avait 20 000 personnes à Montpellier… et ailleurs pour défendre la langue.]

Je pourrais continuer encore, mais le temps qui m’est imparti est pratiquement épuisé.

Mme Françoise Férat. Oui, ça suffit ! (Nouveaux sourires.)

M. le président. Veuillez conclure, mon cher collègue !

M. Georges Labazée. J’en termine, monsieur le président, mais comme je me suis exprimé en deux langues, cela m’a pris quelques secondes supplémentaires. (Sourires.)

Madame la ministre, pour clore mon propos et cette discussion qui dure depuis trois heures, permettez-moi de citer Patrick Chamoiseau, prix Goncourt en 1992.

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Pour son livre intitulé Texaco !

M. Georges Labazée. En effet, un hymne au créole, sa langue maternelle : « C’était un temps où la langue créole avait de la ressource dans l’affaire d’injurier.

M. Bruno Retailleau. Il a dépassé son temps de parole de une minute et vingt-trois secondes !

M. Georges Labazée. « Elle nous fascinait, comme tous les enfants du pays, par son aptitude à contester l’ordre français régnant dans la parole. Elle s’était comme racornie autour de l’indicible, là où les convenances du parler perdaient pied dans les mangroves du sentiment.

M. Bruno Retailleau. Maintenant, une minute et cinquante secondes !

M. Georges Labazée. « Avec elle, on existait rageusement, agressivement, de manière iconoclaste et détournée. » (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain. – M. Michel Le Scouarnec et Mme Hermeline Malherbe applaudissent également.)

M. Bruno Retailleau. Deux minutes de dépassement !

M. le président. La discussion générale est close.

Nous passons à la discussion de la motion tendant à opposer la question préalable.

Question préalable

Discussion générale (suite)
Dossier législatif : projet de loi  constitutionnelle autorisant la ratification de la Charte européenne des langues régionales ou minoritaires
Question préalable (fin)

M. le président. Je suis saisi, par M. Bas, au nom de la commission, d'une motion n° 1.

Cette motion est ainsi rédigée :

En application de l’article 44, alinéa 3, du règlement, le Sénat décide qu’il n’y a pas lieu de poursuivre la délibération sur le projet de loi constitutionnelle autorisant la ratification de la Charte européenne des langues régionales ou minoritaires (n° 662, 2014–2015).

Je rappelle que, en application de l’article 44, alinéa 8, du règlement du Sénat, ont seuls droit à la parole sur cette motion l’auteur de l’initiative ou son représentant, pour dix minutes, un orateur d’opinion contraire, pour dix minutes également, le président ou le rapporteur de la commission saisie au fond et le Gouvernement.

En outre, la parole peut être accordée pour explication de vote, pour une durée n’excédant pas deux minutes et demie, à un représentant de chaque groupe.

La parole est à M. le rapporteur, pour la motion.

M. Philippe Bas, rapporteur. Je n’abuserai pas de mon temps de parole, monsieur le président.

Le débat que nous venons d’avoir a été, pour moi, riche d’enseignements. Il confirme totalement l’engagement que nous avons tous, nous sénateurs de la République, de sauver, défendre et promouvoir les langues régionales. Et c’est heureux, car ces langues ne menacent nullement ni l’unité de la République ni la langue française.

En revanche, tel n’est pas le cas de la Charte européenne des langues régionales ou minoritaires.

Pour répondre à certains de nos collègues, je dirai que l’on ne peut mettre sur le même plan les opinions, aussi stimulantes soient-elles, d’universitaires, qui peuvent venir utilement enrichir le débat juridique et donner lieu à des articles de doctrine, lesquels peuvent être ensuite contredits par d’autres universitaires, et des décisions ou des avis rendus par nos institutions, telles que le Conseil constitutionnel ou le Conseil d’État, que notre Constitution charge de dire le droit. Il y a, d’un côté, les opinions et, de l’autre, du droit. Et nous vivons, fort heureusement, dans un État de droit.

Le débat constitutionnel est tranché, et ce depuis 1999. Que ceux qui s’étonnent de l’absence de ratification depuis la signature de la Charte par le gouvernement Jospin veuillent bien comprendre que, du fait de la décision du Conseil constitutionnel – c’est non pas une opinion, mais le droit ! –, il n’était pas possible de soumettre un projet de loi de ratification au Parlement. La procédure engagée par le Président de la République ne permet pas davantage de faire échec aux prescriptions de notre Constitution, pas plus qu’elle ne permettrait d’honorer la signature de la France si nous devions, sur ce fondement, accepter la ratification de la Charte européenne des langues régionales ou minoritaires.

Permettez-moi de rappeler en quoi cette ratification serait contraire à la Constitution.

Il s’agit – ce sont les termes mêmes du projet de loi constitutionnelle ! – d’autoriser par la Constitution directement la ratification de la Charte européenne des langues régionales ou minoritaires, complétée – c’est le verbe employé – par la déclaration interprétative annoncée lors de la signature de celle-ci, voilà maintenant plus de quinze ans.

La déclaration interprétative n’a pas de valeur constitutionnelle, même si la Constitution y fait référence : elle peut être elle-même complétée, réduite, étendue ou modifiée.

Qui plus est, cette déclaration a deux défauts, qui sont, à mon avis, dirimants.

Tout d’abord, elle est incomplète, et pour cause ! Rédigée un mois avant la décision du Conseil constitutionnel, elle n’a pas pris en compte tous les obstacles que ce dernier a relevés.

M. Roland Courteau. Vous l’avez déjà dit !

M. Philippe Bas, rapporteur. De ce fait, si cette déclaration devait être respectée – mais nous verrons dans un instant que cela n’est pas possible –, elle ne couvrirait de toute façon qu’une partie des griefs d’inconstitutionnalité arrêtés par le Conseil constitutionnel.

C’est donc un coup d’épée dans l’eau qu’on nous propose ici de donner, et ce rien de moins qu’avec une révision constitutionnelle, ce qui n’est malgré tout pas de même niveau qu’un arrêté préfectoral. Il s’agit de notre loi fondamentale, celle que nous partageons tous, quel que soit le groupe politique auquel nous appartenons !

La déclaration interprétative est tout simplement incomplète parce qu’elle ne comporte aucune réserve sur le droit imprescriptible de s’exprimer dans la vie publique dans une langue régionale, ce qui est tout à fait incompatible avec notre Constitution, ainsi que l’a relevé le Conseil constitutionnel.

Elle ne comporte aucune réserve non plus sur le fait qu’il nous faudra alors répondre à des demandes d’ajustement des circonscriptions administratives, et donc des collectivités territoriales de la France, aux aires géographiques dans lesquelles on parle des langues régionales. Là aussi, le Conseil constitutionnel l’a relevé, c’est gravement contraire à la Constitution.

En outre, cette déclaration interprétative n’empêcherait nullement l’application des stipulations de la Charte qui prévoient, de manière très nette, la mise en place par les pouvoirs publics d’instances de représentation des groupes de locuteurs de langues régionales ou minoritaires.

Par conséquent, cette déclaration interprétative, fortement lacunaire, ne règle pas les problèmes de constitutionnalité. Ces problèmes ne sont pas des arguties juridiques. La Constitution, c’est l’acte fondamental qui organise la vie en société, sur le fondement d’un certain nombre de principes hérités de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, et c’est aussi l’acte fondamental qui régit les rapports entre les pouvoirs publics constitutionnels et démocratiques.

Ensuite, la déclaration interprétative, si lacunaire, je le répète, ne permettrait pas non plus de respecter la Charte. C’est l’autre aspect fondamental de la révision constitutionnelle que de ne pas permettre à la France de respecter sa signature et d’empêcher le respect de cette signature avec un acte de portée constitutionnelle, ce qui est tout de même singulier. Il n’y a pas, me semble-t-il, de précédent dans l’histoire de la République d’une telle tentative de passage en force pour réviser la Constitution, en portant atteinte à la fois à ses principes fondamentaux et à la signature de notre pays.

M. André Reichardt. Très bien !

M. Philippe Bas, rapporteur. Permettez-moi d’expliquer pourquoi la déclaration interprétative ne permet pas le respect de la Charte.

C’est simple : la Charte exclut les réserves, en son article 21.

Il n’y a pas besoin de réserves pour faire son marché parmi les 98 paragraphes qui comportent des mesures que la France choisirait d’appliquer ! Nous en avons choisi trente-neuf, cosmétiques : toutes sont déjà conformes à notre droit. Dès lors, pourquoi vouloir modifier la Constitution, alors que nous pouvons appliquer spontanément les 39 paragraphes retenus par le gouvernement français depuis plus de quinze ans, sans avoir à modifier notre ordre juridique ?

Il n’est pas douteux que ce que nous avons qualifié, ou plutôt, ce que vous avez qualifié – je m’adresse au Gouvernement – de « déclaration interprétative », ce sont en réalité des réserves, lesquelles ne sont pas conformes aux stipulations de la Charte.

Qu’arrivera-t-il si nous ratifions la Charte dans ces conditions ?

C’est très simple : la Charte, dans ses parties IV et V, organise les conditions de la surveillance du respect, par les différentes parties signataires, des stipulations qu’elle comporte. Aux termes de la Charte, un comité d’experts présente des rapports sur la politique suivie et le comité des ministres du Conseil de l’Europe pourra formuler des recommandations.

Or, dans la mesure où la France refuse des stipulations essentielles de la Charte au moment de la ratification, la première chose que fera le comité des ministres – il y sera obligé ; comment pourrait-il en être autrement ? –, c’est constater qu’elle est en infraction et il lui demandera de se mettre en conformité.

Cela prouve tout simplement que l’on veut nous conduire dans une voie sans issue, une double impasse constitutionnelle et conventionnelle.

M. Roland Courteau. Il ne faut pas exagérer !

M. Philippe Bas, rapporteur. Dans ces conditions, l’affaire est tranchée :…

M. Bruno Sido. Eh oui !

M. Philippe Bas, rapporteur. … nous ne pouvons que renvoyer au Président de la République son projet de révision constitutionnelle, en lui demandant, cette fois, d’être plus attentif au respect de ses obligations constitutionnelles, à savoir, d’une part, le respect de la Constitution et, d’autre part, le respect des engagements internationaux de la France. Je n’invente rien : c’est l’article 5 de notre Constitution ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et sur quelques travées de l’UDI-UC.)

M. le président. La parole est à M. Alain Anziani, contre la motion.

M. Alain Anziani. Monsieur le président, madame la garde des sceaux, mes chers collègues, M. le rapporteur a constaté à juste raison que, dans le long débat qui a occupé notre après-midi, il y avait eu le droit et des opinions. Monsieur Bas, je suis d’accord avec vous : il y a eu beaucoup d’opinions.

Ainsi, certains ont soutenu que le projet de loi constitutionnelle porterait atteinte à l’unité de la République ; c’est une opinion. D’autres n’ont pas craint d’affirmer qu’il favoriserait le communautarisme ; encore une opinion, et excessive !

M. Roland Courteau. Sans aucun doute !

M. Alain Anziani. D’autres encore ont prétendu que le projet de loi constitutionnelle bafouerait les fondements de notre droit ; toujours une opinion, je vous l’affirme !

Pour répondre à M. le rapporteur, j’examinerai deux questions.

La première est celle qui nous est le plus immédiatement posée : la Charte européenne des langues régionales ou minoritaires est-elle compatible avec notre Constitution ? Pour moi, comme pour Mme la garde des sceaux, la réponse est : à l’évidence, oui !

À ceux qui en douteraient, permettez-moi de présenter une observation, d’ailleurs suggérée par notre garde des sceaux dans son intervention liminaire : quel est notre pouvoir, à nous qui sommes le constituant, et quel est, au-delà de nous, celui du peuple souverain ? Chers collègues qui êtes hostiles à la ratification de la Charte, posez-vous un instant cette question ! Sommes-nous subordonnés au pouvoir judiciaire, voulons-nous être subordonnés aux traités européens, ou bien avons-nous le pouvoir d’affirmer la primauté des grandes règles de notre République, auxquelles nous sommes tous attachés : l’indivisibilité de la République, l’égalité devant la loi et le choix du français pour langue de la République, conformément à l’article 2 de la Constitution ?

M. Marc Daunis. Très bien !

M. Alain Anziani. Quelle est la réponse apportée par notre droit ? Notre droit affirme la suprématie de la Constitution sur les traités européens ! Il suffit d’ouvrir n’importe quel manuel pour s’en assurer.

M. Philippe Bas, rapporteur. En effet, ce n’est pas une bien grande découverte !

M. Alain Anziani. J’ai même été consulter l’excellent manuel de notre collègue Hugues Portelli (Exclamations et sourires.) : on y lit, évidemment, que la Constitution a une valeur supérieure à celle des traités.

M. Hugues Portelli. Dans l’ordre interne seulement !

M. Alain Anziani. Dès lors, personne ne doit douter que toutes les dispositions du bloc constitutionnel, préambule compris, en particulier celles qui affirment la souveraineté nationale, l’égalité et le choix du français pour langue de la République, primeront nécessairement la Charte européenne des langues régionales ou minoritaires.

Cette certitude est renforcée par deux précautions prises par le gouvernement de notre pays lors de la signature de la Charte.

On rappelle trop peu que la France n’a pas signé la totalité de la Charte : elle n’a souscrit qu’à 39 engagements sur 98, ainsi qu’elle en avait le droit et à l’instar d’autres pays. Or, au moment de choisir les engagements auxquels nous souscririons, nous avons bien entendu écarté tous ceux qui nous paraissaient contraires à nos règles, en particulier le droit imprescriptible pour le locuteur d’une langue régionale d’en faire usage, dont M. le rapporteur vient encore de parler.

M. Philippe Bas, rapporteur. Cela n’est pas dans la déclaration interprétative !

M. Alain Anziani. On nous objecte que, sans doute, la France n’a pas signé l’ensemble de la Charte, mais que la question ne doit pas être posée dans ces termes ; le problème viendrait non pas de ce que la France a accepté, mais de ce qu’elle n’a pas accepté : du préambule de la Charte et de l’article 2 de celle-ci, qui pourraient nous être imposés contre notre volonté.

Or ce risque est écarté par la seconde précaution que nous avons prise au moment de la signature de la Charte. De fait, sur les conseils d’un éminent professeur de droit, Guy Carcassonne, la France a déposé une déclaration interprétative, qui fixe la lecture qu’elle fait de cette charte et la manière dont elle entend l’appliquer. Dans ce document, qu’il faut examiner de façon sérieuse, la France affirme en particulier qu’il n’y aura pas lieu de reconnaître des droits spécifiques aux locuteurs de langues minoritaires ni d’imposer une autre langue que le français dans les relations avec l’administration.

Poussons le débat jusqu’au bout. Le dépôt d’une telle déclaration interprétative est-il une spécificité française ? Non pas ! À la vérité, tous les pays qui ont signé la Charte européenne en ont déposé une, et l’Allemagne en a même déposé deux !

M. Roland Courteau. Vous avez raison de le rappeler !

M. Alain Anziani. Cette déclaration interprétative constitue-t-elle une réserve ? Telle est la seconde question à laquelle je souhaite m’attacher, étant entendu que la réserve est interdite d’une façon générale par la convention de Vienne, en plus de l’être par la Charte. Mes chers collègues, je vais tâcher de vous démontrer qu’elle n’en est pas une.

Pour une raison trop rarement citée, la Charte européenne des langues régionales ou minoritaires est précédée d’un rapport explicatif, qui fournit les clés de lecture de tous les points délicats. Un rapport dont personne n’a parlé, hormis vous, madame la garde des sceaux ! Il précise pourtant que la Charte a une vocation culturelle, de sorte qu’elle ne saurait remettre en cause les principes de souveraineté nationale et d’intégrité territoriale des États. (M. Jacques Mézard s’exclame.) Notre déclaration interprétative ne disant pas autre chose, elle est profondément en accord avec l’esprit de la Charte. Dès lors, elle ne peut pas être tenue pour une réserve.

M. Philippe Bas, rapporteur. C’est inexact !

M. Alain Anziani. Monsieur le rapporteur, ce raisonnement est confirmé par un certain nombre d’ouvrages, en particulier par celui du professeur Gicquel, dont je vous recommande la lecture.

M. Philippe Bas, rapporteur. Le Conseil constitutionnel a rendu une décision !

M. Alain Anziani. Monsieur le président, vous voudrez bien augmenter un peu mon temps de parole, puisque je suis constamment interrompu.

Reste l’opposition formée par le Conseil constitutionnel et par le Conseil d’État, que l’on présente comme une sorte d’Himalaya d’inconstitutionnalité.

Qu’a conclu, au juste, le Conseil constitutionnel ? Qu’une révision de la Constitution était nécessaire à la ratification de la Charte européenne des langues régionales ou minoritaires. Eh bien, tel est précisément l’objet du présent projet de loi constitutionnelle !

M. Ronan Dantec. Et voilà !

M. Alain Anziani. Certes, monsieur le rapporteur, le Conseil constitutionnel a estimé que la déclaration interprétative n’était pas une norme suffisante ; mais il nous est précisément proposé de lui donner une force constitutionnelle en la mentionnant au nouvel article 53–3 de la Constitution, afin qu’elle ait toute l’autorité nécessaire pour régler l’interprétation de la Charte.

M. Jean-Pierre Sueur. Absolument !

M. Alain Anziani. Le Conseil constitutionnel n’aura plus à s’interroger sur la constitutionnalité du dispositif, puisqu’il ne lui appartient pas, en vertu de sa propre jurisprudence, de juger d’une loi constitutionnelle : le pouvoir constituant s’impose au juge constitutionnel.

Du reste, ce débat s’est tenu à de multiples reprises, par exemple au sujet de la parité entre les hommes et les femmes sur les listes électorales : après que le Conseil constitutionnel eut jugé ce principe contraire à la Constitution, une révision constitutionnelle est intervenue, dont le Conseil constitutionnel n’a pu que prendre acte.

S’agissant des incertitudes juridiques soulevées par le Conseil d’État, je soutiens que, la Constitution ayant été révisée, si un Basque, un Corse ou un Breton prétend plaider devant un tribunal dans sa langue régionale, la réponse du juge sera évidente : appliquant la Constitution, et la déclaration interprétative qui y sera mentionnée, il opposera à ce justiciable une fin de non-recevoir.

Quant au juge européen, il devra faire de même. Au demeurant, je rappelle que la Charte européenne des langues régionales ou minoritaires ne fait pas partie des normes de référence de la Cour européenne des droits de l’homme, ce qui est une précision importante. Surtout, il n’appartient pas au juge européen de faire prévaloir une quelconque norme sur notre Constitution. Nous qui sommes le pouvoir constituant, comment pourrions-nous seulement concevoir qu’il le puisse ?

Mes chers collègues, que se passe-t-il donc dans les vingt-cinq pays qui ont ratifié la charte européenne des langues régionales ou minoritaires ? On n’assiste pas davantage à l’effacement de l’allemand en Allemagne qu’à celui de l’anglais au Royaume-Uni. À la vérité, on n’assiste à aucune révolution linguistique ni à aucun bouleversement. La raison en est simple, quoiqu’elle n’ait pas été suffisamment signalée : l’article 5 de la Charte – cette fois je parle bien, monsieur Mézard, d’une stipulation de la Charte elle-même – prévoit que rien dans la Charte ne pourra remettre en question le principe de la souveraineté et de l’intégrité territoriale des États.

M. Ronan Dantec. Et voilà !

M. Alain Anziani. Sans compter que le rapport explicatif précise : « L’approche retenue par la charte respecte les principes de souveraineté nationale et d’intégrité territoriale. Il s’agit, dans chaque État, de prendre en compte une réalité culturelle et sociale, et non de remettre en cause un ordre politique ou institutionnel. »

Mes chers collègues, l’Assemblée nationale a donné sa réponse : elle a adopté le projet de loi constitutionnelle à une majorité supérieure aux trois cinquièmes, une majorité de 71 %. En d’autres termes, chers collègues de droite, nombre de vos collègues députés ont voté une révision constitutionnelle de cette nature ! (Mme Patricia Schillinger applaudit.)

Mme Maryvonne Blondin. Tout à fait !

M. Philippe Bas, rapporteur. Pas celle-ci !

M. Alain Anziani. Aujourd’hui, il appartient au Sénat de décider s’il s’opposera à une aspiration légitime de nos territoires (M. Jacques Mézard s’exclame.) en se repliant, oublieux de ce qu’il représente, sur une tentation jacobine ! (Vifs applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain. – Mmes Hermeline Malherbe et Marie-Christine Blandin ainsi que M. Ronan Dantec applaudissent également.)

M. le président. La parole est à Mme la garde des sceaux.

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Je voudrais tout d’abord féliciter les oratrices et les orateurs qui se sont exprimés dans la discussion générale pour la haute tenue de leurs propos. Tous, quelque position qu’ils aient défendue, ont situé le débat au niveau qu’il mérite, en examinant les arguments juridiques mais en osant aussi se demander comment nous pouvons ouvrir un espace pour une partie importante du patrimoine non seulement linguistique, mais aussi culturel et artistique, créatif et ingénieux de la France, ce qui est le cœur de la question.

J’ai écouté tous les orateurs avec la plus grande attention et, à plusieurs reprises, avec joie. J’avais prévu de répondre à chacune et à chacun à l’issue de la discussion générale, mais j’ai réalisé que cette méthode ne serait pas pertinente. Je souhaite revenir à présent sur les arguments juridiques qui ont été avancés, car il ne suffit pas de répéter un argument pour lui donner ni de la vraisemblance ni de la vérité.

Une sénatrice du groupe socialiste et républicain. En effet.

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Monsieur Mézard, vous avez reproché à la garde des sceaux de ne pas faire du droit. Que vous ne vouliez pas entendre mon argumentation, je puis le concevoir, mais il n’en reste pas moins que j’ai fait du droit tout au long de mon intervention liminaire. J’ai bien présenté le projet de loi constitutionnelle, la manière dont il a été rédigé et les raisons de cette rédaction ; j’ai expliqué quel était le précédent et pour quelle raison il avait été conçu et rédigé ainsi ; j’ai exposé les principes sur lesquels repose la rédaction qui a été choisie et ce qu’implique la référence à la déclaration interprétative.

J’ai également insisté, ainsi que M. Anziani vient de le souligner, sur la souveraineté du constituant. À cet égard, je dois reconnaître que j’ai été surprise par la manière dont certains d’entre vous, les constituants, négligent et sous-estiment leur propre pouvoir. (Mmes Maryvonne Blondin et Frédérique Espagnac opinent.)

Mesdames, messieurs les sénateurs, c’est à vous qu’il revient de choisir de réviser ou non notre loi fondamentale selon les règles de la Constitution (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain. – Mme Hermeline Malherbe et M. Ronan Dantec applaudissent également.), c’est-à-dire à la majorité des trois cinquièmes !

Comme je l’ai indiqué dans mon propos liminaire, le constituant a le droit de considérer que certaines nécessités surviennent en raison d’évolutions auxquelles il consent. Dès lors qu’il y consent, il peut donc modifier la loi fondamentale.

Reste la question – et je peux l’entendre – de savoir si le constituant fragiliserait certains principes fondamentaux de la Constitution en adoptant ce texte. Autant la souveraineté du pouvoir constituant est incontestable – il dispose du droit de modifier la loi fondamentale –, autant il n’est pas question de mettre en péril les principes fondamentaux de la Constitution.

Qu’en est-il vraiment ? Il a été fait référence à plusieurs reprises au Conseil constitutionnel qui aurait alerté sur le risque pesant sur les principes essentiels auxquels nous sommes tous profondément attachés, à savoir l’indivisibilité de la République, l’unicité du peuple français et l’égalité de tous les citoyens devant la loi.

Je vais vous donner lecture d’un passage de la décision dans laquelle le Conseil constitutionnel évoque ces principes, car vous savez parfaitement, monsieur le président de la commission des lois, qu’il existe, certes, les analyses des constitutionnalistes – nous leur sommes du reste reconnaissants d’accepter de se pencher sur nos interrogations et de nous éclairer –, mais qu’il ne faut pas mettre sur le même plan ces analyses et les avis rendus par les institutions que sont le Conseil d’État ou le Conseil constitutionnel.

Plutôt que de faire l’exégèse sans référence précise de la décision du Conseil constitutionnel relative à la Charte européenne des langues régionales ou minoritaires, en voici l’un des considérants : « Considérant qu'il résulte de ces dispositions combinées que la Charte européenne des langues régionales ou minoritaires, en ce qu'elle confère des droits spécifiques à des “groupes” de locuteurs de langues régionales ou minoritaires, à l'intérieur de “territoires” dans lesquels ces langues sont pratiquées, porte atteinte aux principes constitutionnels d'indivisibilité de la République, d'égalité devant la loi et d'unicité du peuple français ; »

Tout cela est cohérent, sauf que ces droits spécifiques n’existent pas ! (Mme Frédérique Espagnac opine.) Certes, s’ils existaient, nous risquerions incontestablement de mettre en péril l’indivisibilité de la République. Cependant, le rapport explicatif de la Charte – indépendamment des analyses des constitutionnalistes, en particulier de celles de très grande qualité émises par feu Guy Carcassonne, qui me semblent avoir été entendues ici avec la plus grande considération – précise lui-même que « la Charte vise à protéger et à promouvoir les langues régionales ou minoritaires, non les minorités linguistiques », que « pour cette raison, l’accent est mis sur la dimension culturelle et l’emploi d’une langue régionale ou minoritaire dans tous les aspects de la vie de ses locuteurs » et, enfin, que « la Charte ne crée pas de droits individuels ou collectifs pour les locuteurs de langues régionales ou minoritaires ».

M. Jacques Mézard. Non, ce n’est pas ce que ce rapport nous apprend !

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Si la déclaration interprétative ne vous suffit pas, il y a donc le rapport explicatif de la Charte lui-même, c’est-à-dire l’explication des auteurs. C’est la question que j’abordais tout à l’heure lorsque j’évoquais une étude comparative qui indique que l’on trouve dans cette charte des droits collectifs qui n’existent pas, faisant fi de l’intention de ses auteurs.

Si vous estimez que la déclaration interprétative précisant qu’il n’est pas question d’octroyer des droits spécifiques aux groupes de locuteurs n’est pas suffisante ou que l’analyse de Guy Carcassonne, selon laquelle la Charte n’attache aucune conséquence juridique à l’existence et à l’action des groupes qu’elle mentionne, ne l’est pas non plus et que vous souhaitez les évacuer, vous ne pouvez tout de même pas écarter un rapport aussi précis et explicite que celui de la Charte !

La crainte d’une fragilisation du principe d’indivisibilité de la République en raison de l’octroi de droits spécifiques – individuels ou collectifs – à des groupes de locuteurs doit disparaître, car ce rapport explicatif nous garantit, presque de façon redondante, qu’il n’est pas question d’octroyer de tels droits.

Monsieur Bas, s’agissant de ce texte, vous avez parlé d’un passage en force. Comment peut-il y avoir passage en force puisque c’est le constituant qui vote ?

M. Philippe Bas, rapporteur. Je vous en donne acte !

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Voilà, c’est tout à fait impossible ! Cela fait partie des éléments qu’il était indispensable de clarifier.

Certains ont également dit que la déclaration interprétative était en fait une réserve.

Un tel débat n’est pas possible ici, mesdames, messieurs les sénateurs ! Pas au Sénat où la maîtrise du droit ainsi que la capacité à distinguer ce qui est formel de ce qui est simplement littéral sont des évidences ! Je peux d’ailleurs en témoigner, moi qui, avant même ma nomination comme garde des sceaux, suis très souvent et pendant de nombreuses années venue suivre les travaux du Sénat lorsque j’étais députée – vous l’ignoriez sans doute –, et qui ai lu avec une très grande régularité les rapports élaborés par le Sénat.

En réalité, il n’y a pas de confusion possible entre une déclaration interprétative – instrument de souveraineté d’un État – qui précise la portée que l’État donne aux dispositions contenues dans l’instrument international qu’il signe et qu’il s’engage à ratifier, et les réserves qui, elles, modifient ou excluent les conséquences juridiques de dispositions.

Monsieur le président Bas, nous ne sommes donc pas déloyaux au regard du droit international, ainsi que je l’ai expliqué au cours de la partie juridique de mon intervention. La France respecte ses obligations internationales. Cette déclaration interprétative – comme son nom l’indique – ne peut pas être une réserve, alors que nous savons bien que les réserves sont interdites, même si des dérogations et des exceptions sont possibles.

J’évoquerai très brièvement la question de la hiérarchie des normes. Nous avons entendu des hésitations et des interprétations sur ce sujet mais, d’une façon générale, les parlementaires qui se sont exprimés ont très clairement fait la part des choses.

Aucune ambiguïté n’existe en la matière depuis l’arrêt Sarran du Conseil d’État en 1998 et l’arrêt Fraisse de la Cour de Cassation en 2000. Il n’y a donc pas d’interprétation possible, pas de doute à avoir,…

MM. Bruno Retailleau et Hugues Portelli. En droit interne !

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Absolument !

… pas d’inquiétudes à s’inventer !

À mon grand regret, je ne pourrai pas répondre à chacun d’entre vous. Je souhaite cependant revenir de façon transversale sur un certain nombre de sujets.

Monsieur le président Mézard, vous nous conseillez de faire du droit. Or nous faisons du droit, mais pas seulement ! Le droit, ce sont des règles qui portent sur des sujets concernant notre vie commune. C’est pourquoi il me semble qu’il faut que nous osions traiter du sujet sur lequel les textes importants posent des règles. La question n’est donc pas simplement celle du droit.

Je souhaite également revenir sur vos propos, monsieur Reichardt. J’ai entendu comme une espèce de Minnesang à l’alsacien, une sorte de chant d’amour à l’alsacien.

M. André Reichardt. Absolument !

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Lorsque le président Retailleau dit qu’il faut faire attention au communautarisme, je me demande pourquoi il faudrait faire preuve d’une suspicion systématique à l’égard des langues alors que les territoires ont de belles identités, ont tellement enrichi le patrimoine commun par la variété sémantique de la langue, par l’originalité de la construction de la langue et, au-delà, par les expressions artistiques diverses ou la production littéraire

M. Bruno Retailleau. Ce n’est pas de cela qu’il s’agit !

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Pourquoi une telle suspicion ? Vous allez comprendre pourquoi je fais le lien avec l’intervention de M. Reichardt. J’affirme que faire vivre ces belles identités – qui sont souvent liées aux territoires et parfois aux paysages – n’est absolument pas du communautarisme !

M. Bruno Retailleau. Oui bien sûr !

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Lorsque je disais au sénateur Reichardt qu’il a fait un Minnesang sur…

M. André Reichardt. Un Liebeslied ! (Sourires.)

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Oui, un Liebeslied, cela doit faire partie de la liste des expressions dont vous nous avez parlé… J’ai vu que cette liste était très riche, mais je trouve malgré tout que quatre-vingts expressions ne font pas nécessairement un amour éternel ! (Nouveaux sourires.)

Au-delà de ce que l’alsacien a réalisé, pourquoi refuser un effet d’émulation, un cadre plus large pour ces langues ? C’est en ne l’acceptant pas que nous courons le risque d’être soupçonnés de communautarisme. Pour ma part, je ne pense absolument pas que nous en souffrions.

La défense des langues minoritaires ne consiste pas pour autant à dire qu’il faut protéger l’alsacien ou le picard ! Notre démarche consiste à dire que nous avons un vaste patrimoine, extrêmement riche et vivant, mais qu’il a perdu des forces et de l’énergie au travers du temps en raison du cadre, de l’histoire, des politiques publiques, des mesures, des attitudes, des conditions d’ascension sociale, de mille et un critères en somme.

Notre souci est de revigorer ce patrimoine et non de créer des enclaves, de fragmenter et de segmenter ! Il s’agit d’affirmer que c’est notre patrimoine commun. Nous nous enrichissons les uns les autres en prenant en charge ce patrimoine !

M. André Reichardt. Mais nous sommes d’accord à ce sujet !

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. C’est ainsi que l’on sert l’indivisibilité de la République et l’unicité du peuple français.

M. Didier Guillaume. Absolument !

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. L’unité du même n’est pas bien compliquée à réaliser, sauf que le même n’existe nulle part. Y compris lorsque l’on a fait croire que le monde était binaire, le monde a toujours été pluriel et complexe ! Les sociétés ont toujours été plurielles et complexes !

M. Bruno Retailleau. C’est cela qui est important !

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. La société française n’a pas échappé à cette réalité. Il s’agit d’une vertu extraordinaire de l’humanité.

La question est donc celle de l’unité d’un tel monde. C’est la laïcité, en tant que principe de concorde, qui nous permet de faire destin ensemble, de faire destin commun. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain. – Mme Hermeline Malherbe et M. Ronan Dantec applaudissent également.) C’est pour cela que la laïcité nous lie ! La laïcité est ce qui nous permet de vivre ensemble, quelles que soient nos apparences, nos appartenances multiples, nos croyances – y compris notre liberté de conscience –, quel que soit ce qui fait de nous des êtres singuliers. C’est ce qui fait la force, l’importance, j’oserais même dire la pérennité, sinon l’éternité de ce principe laïc !

M. Jacques Mézard. La laïcité ne figure pas dans le texte !

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Ce principe nous permet, quelles que soient la diversité et la multiplicité des appartenances singulières et des diversités,…

M. Didier Guillaume. Évidemment !

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. … de vivre ensemble et d’écrire ensemble un destin commun !

M. Bruno Sido. Ce n’est pas du droit tout cela !

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. C’est bien parce que le monde est divers, disparate, différent que la laïcité dispose de ce pouvoir-là. En effet, la laïcité est sociale…

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Si, il y a une démarche sociale dans le fait de reconnaître l’égalité de tous les citoyens sur le territoire, le fait de ne pas encourager, de ne pas créer des enclaves, de ne pas provoquer des exclusions ou des marginalisations !

Je terminerai mon intervention en abordant la question des moyens, puisqu’elle a été évoquée à plusieurs reprises. Je crois qu’il ne faut pas confondre les sujets : les moyens sont certes indispensables – on a l’habitude d’en débattre ici et je sais que vous exercez la vigilance nécessaire pour que les lois ne restent pas lettre morte, que les dispositions adoptées par le Parlement puissent être mises en œuvre –, mais le Gouvernement présente, aujourd’hui, un projet de loi constitutionnelle. C’est la raison pour laquelle ce texte ne comporte pas de volet sur les moyens. Madame la présidente Assassi, cela n’enlève rien à la légitimité de votre interrogation et de votre interpellation. Je veux seulement y répondre très précisément, M. Bas ayant lui-même déclaré que le Gouvernement ne faisait rien depuis longtemps.

M. Philippe Bas, rapporteur. Il ne fait pas assez !

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Tout d’abord, j’ai du mal à comprendre pourquoi certains sénateurs refusent la norme constitutionnelle.

Je n’arrive pas à saisir la cohérence de certains discours reposant sur l’importance de la loi.

Il m’a semblé que les différentes interventions s’inscrivaient plus dans le maximalisme - le superlatif – que dans le minimalisme. J’ai plutôt entendu un attachement aux langues, une volonté de les faire vivre, et le souci de permettre à ces langues, concrètement, à l’échelle des territoires, d’apporter leur part dans le rayonnement de notre pays.

Mais j’ai du mal à entendre, dans le même argumentaire, que la norme constitutionnelle serait infondée et qu’il faudrait éventuellement s’en remettre à une loi. Ou bien la norme constitutionnelle est infondée et le constituant peut la changer, ou bien on refuse de modifier la Constitution et les dispositions de la Charte sont inapplicables !

À plusieurs reprises, j’ai entendu des orateurs expliquer que les 39 dispositions étaient déjà applicables et, dans le même temps, qu’il fallait passer par la loi, la charte étant contraire à la Constitution. Donc, nous élaborerions une loi contraire à la Constitution ! Cela relève un peu du syllogisme !

M. Jean-Pierre Sueur. Très bien !

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. S’agissant des moyens, si ce gouvernement a agi et si, précédemment, j’évoquais la « norme constitutionnelle », c’est parce que, pour les langues régionales d’une façon générale, la norme est justement infra-légale. La loi Deixonne de 1951 mise à part, elle se situe au niveau du décret, de l’arrêté, de la circulaire.

C’est ce gouvernement qui a introduit dans la loi, notamment à travers la loi du 8 juillet 2013 d’orientation et de programmation pour la refondation de l’école de la République, des dispositions concernant les langues régionales.

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Donc, oui, nous avons déjà élevé le niveau normatif,…

Mme Maryvonne Blondin. Effectivement !

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. … puisque nous avons fait adopter des mesures au plan légal ! Nous proposons désormais de faire évoluer la Constitution.

Plus concrètement, voici quelques indications budgétaires. Le budget relatif à la promotion de la langue française et des langues régionales s’élève, cette année, à 2,85 millions d’euros. Il affiche une augmentation régulière, puisqu’il s’établissait à 2,6 millions d’euros en 2013 et à 2,497 millions d’euros en 2010. C’est donc un budget que nous avons fait croître depuis notre arrivée aux responsabilités. (Mme Frédérique Espagnac opine.)

Par ailleurs, dans le cadre d’un travail qui lui a été confié, le délégué interministériel à la promotion des langues a produit un guide, édité dans la collection Dalloz. (Mme la garde des sceaux montre un exemplaire de cet ouvrage.) Cette publication rassemble tous les textes et références – essentiellement réglementaires, d’ailleurs – concernant les langues régionales.

Il existe également un programme intitulé « Dis-moi dix mots », que vous devez connaître, mesdames, messieurs les sénateurs, puisqu’il se décline sur tout le territoire, dans tous les établissements scolaires.

S’agissant maintenant du droit des personnes, il a été dit à plusieurs reprises que les locuteurs auraient la possibilité d’imposer leur langue régionale dans leurs relations avec les autorités. Cette disposition, déclinée à l’article 10 de la Charte, ne fait pas partie des 39 mesures retenues par la France. L’affirmation peut être répétée à l’envi, il n’empêche qu’une telle possibilité ne figure pas parmi les 39 mesures !

J’ai également été interpellée sur la question de la justice.

Pardonnez-moi de vous rappeler ce que notre code de procédure pénale prévoit déjà : la possibilité pour un magistrat de ne pas avoir recours à un interprète s’il comprend la langue de la personne jugée et, dans le cas contraire, l’obligation d’y avoir recours, au motif que les personnes doivent être jugées dans la langue qu’elles comprennent. C’est une obligation que nous respectons.

Ni dans la charte, ni dans les mesures qui ont été retenues ne figure une obligation de juger dans les langues régionales ! Cela n’est écrit nulle part ! Par conséquent, n’inventons pas ; constatons cependant que notre droit est suffisamment élaboré pour permettre, déjà, le recours à des interprètes.

Mais ce n’est même pas le sujet… Simplement, ne faisons pas comme si nous allions introduire un bouleversement absolument inconcevable !

J’en termine vraiment, mesdames, messieurs les sénateurs, en vous remerciant de votre attention et de la très grande qualité de ce débat.

Je rappellerai cette très belle phrase d’Édouard Glissant : « J’écris en présence de toutes les langues du monde ».

L’écrivain voulait ainsi témoigner de l’imprégnation qu’il y avait dans l’attention à l’autre, la curiosité vis-à-vis de l’autre, de l’agilité avec laquelle on peut entendre l’autre et, surtout, réagir et se mouvoir soi-même dans des univers très différents, justement parce que l’on a déjà combiné en soi des langues différentes, des cultures différentes, des expressions différentes. Chacune ou chacun d’entre nous peut donc s’exprimer en présence de toutes les langues du monde.

Vous me pardonnerez de conclure avec Aimé Césaire, qui n’a pas écrit en créole, qui a été un poète de l’universel au sens où il a montré à quel point l’enracinement profond peut permettre à l’individu de se stabiliser, de s’équilibrer et, ainsi, de se hisser à la hauteur de l’ensemble du monde, de se porter jusqu’aux cimes que lui offre le monde.

Aimé Césaire écrivait :

Je veux le seul, le pur trésor,

celui qui fait largesse des autres.

Il me semble qu’en revigorant ces langues régionales, en leur permettant d’être à notre portée à tous, nous avons la possibilité de faire « largesse des autres » ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain et du groupe CRC. – Mme Hermeline Malherbe et M. Ronan Dantec applaudissent également.)

M. le président. La parole est à M. Jacques Legendre, pour explication de vote.

M. Jacques Legendre. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, ce débat était-il vraiment nécessaire ?

M. Jacques Legendre. Ceux qui aiment la langue française et les langues de France sont bien sûr des partisans déterminés de la diversité des langues et de la protection de cette diversité.

Nous aurions pu, aujourd'hui, parler des dispositions à prendre, de l’application des 39 mesures issues de la Charte européenne des langues régionales ou minoritaires, que le Gouvernement français déclare vouloir mettre en œuvre. Au lieu de cela, nous voilà pris dans un débat juridique, sans doute intéressant et essentiel au vu des risques que comporte cette charte ou, à tout le moins, de ses ambiguïtés profondes.

Je crois donc, mes chers collègues, qu’il est nécessaire d’abréger un débat qui ne sert pas les langues, pour avoir le temps, bientôt, à l’occasion de l’examen d’une proposition de loi, de discuter concrètement de ce que nous pourrons faire en leur faveur.

Philippe Bas vient de nous présenter une motion tendant à opposer la question préalable. La grande majorité du groupe Les Républicains y souscrit.

En effet, outre qu’elle serait sans incidence dans les faits et, en particulier, sans utilité pour les langues régionales, dont la promotion ne trouve pas d’obstacle dans l’état actuel de notre droit, la révision constitutionnelle proposée aurait pour effet de créer un conflit de droit qu’aucun argument valable ne saurait écarter.

Cette révision constitutionnelle mettrait la France dans une situation étrange, parfaitement inédite, puisque la Constitution interdirait l’application de stipulations qu’en droit international la ratification de la Charte nous ferait obligation d’appliquer, le préambule et le chapitre II de la Charte européenne des langues régionales ou minoritaires exigeant clairement de souscrire à ce que notre Constitution interdit.

Dans ces conditions, vous comprendrez bien, madame la ministre, que mes collègues et moi-même voterons en faveur de la motion tendant à opposer la question préalable présentée par la commission des lois.

Nous le ferons en émettant le souhait qu’après cet après-midi où nous avons été – je prends un terme picard – des « diseux », nous soyons bientôt des « faiseux », c’est-à-dire les auteurs d’une grande loi, permettant de donner toute leur place à nos langues régionales, que nous aimons et respectons. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – MM. Henri Tandonnet et François Zocchetto applaudissent également.)

M. le président. La parole est à M. François Marc, pour explication de vote.

M. François Marc. De quoi ont-ils peur ?... Telle est la question que nous avons tous entendue autour de nous au cours des dernières semaines, depuis cette annonce que la majorité de droite au Sénat allait présenter une motion tendant à opposer la question préalable.

De quoi ont-ils peur ?

M. Philippe Bas, rapporteur. De rien !

M. François Marc. Va-t-on mettre à mal l’unité nationale en autorisation la ratification de cette charte ? Nul ne le croit ici réellement !

Je vous remercie, madame la ministre, de nous avoir apporté tous les éclairages utiles.

Sur le plan du droit, vous avez été tout à fait pertinente sur l’ensemble des sujets. Mais, je tiens aussi à vous le faire savoir, nous avons été très heureux de vous entendre élever le débat, en apportant, sur ce sujet, une vision véritablement indispensable.

Vous avez cité un certain nombre d’auteurs, notamment Victor Segalen, grand médecin de la Marine et poète, que je connais par tradition brestoise. Vous avez souligné à quel point le fait d’honorer les hommes à travers cette diversité devait être le leitmotiv qui nous guide.

Face à cette préoccupation, la droite sénatoriale affiche une position qui, incontestablement, est aujourd'hui incomprise dans le pays. Il faut bien le dire !

La majorité sénatoriale refuse ce vote, au profit d’une future proposition de loi. S’il doit y avoir « bricolage » – le terme a été évoqué à propos de la Charte –, il me semble que c’est plutôt au niveau de cette proposition de loi, « bricolée » en toute hâte, déposée au dernier moment, pour une raison que l’on sait être fondamentalement politicienne !

Mes chers collègues, un récent rapport des Nations unies nous annonce qu’au XXIe siècle 90 % des langues vont disparaître de la planète.

M. Bruno Retailleau. Ce n’est pas en ratifiant la Charte que l’on changera quoi que ce soit !

M. François Marc. Nous devons être mobilisés contre cette évolution tout à fait inacceptable.

Le Sénat, chambre des collectivités, sera-t-il à la hauteur pour respecter les attentes de nos territoires s’agissant des langues régionales ? C’est la question qui nous est posée !

Voilà pourquoi il nous faut absolument rejeter cette motion tendant à opposer la question préalable, afin que le débat aille à son terme et que le Sénat puisse autoriser la ratification de cette charte. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain. – M. Michel Le Scouarnec applaudit également.)

M. Marc Daunis. Très bien !

M. le président. La parole est à M. Christian Favier, pour explication de vote.

M. Christian Favier. Lors de la discussion générale, ma collègue Éliane Assassi a, d’une part, précisé quelle appréciation nous portions sur la Charte européenne des langues régionales ou minoritaires et, d’autre part, réaffirmé sans ambiguïté notre soutien de longue date à la promotion des langues régionales - langues profondément populaires, qui sont le ferment de la langue française.

À nos yeux, mes chers collègues, le fait de soutenir la démarche de préservation du patrimoine linguistique n’entre certainement pas en contradiction avec les principes républicains d’unicité et de respect de la langue française comme langue de notre Nation.

La discussion générale l’a montré, les uns et les autres ont des lectures très différentes de la Charte européenne, mais une chose est sûre : cette charte va beaucoup plus loin que la simple reconnaissance des langues régionales ou qu’un encouragement à leur préservation.

Un vrai débat existe sur sa portée juridique, en particulier dans la sphère dite de la vie publique, c’est-à-dire dans les domaines judiciaires ou administratifs. Ce débat, monsieur le rapporteur, vous ne pouvez pas nous en priver !

Il n’est pas bon, estimons-nous, d’y mettre un terme d’entrée de jeu. La discussion sur le contenu du projet de loi constitutionnelle doit avoir lieu pour apporter les éclaircissements et la sérénité nécessaires, et sortir de postures idéologiques bien éloignées des préoccupations de l’immense majorité des populations.

Nous voterons donc contre la motion tendant à opposer la question préalable en soulignant, comme Éliane Assassi l’a déjà fait, que le débat sur les moyens à mettre en œuvre pour une réelle sauvegarde et promotion des langues régionales doit également avoir lieu.

J’ai bien entendu, madame la garde des sceaux, les précisions que vous avez apportées quant aux moyens actuellement consacrés au sujet par le Gouvernement. On peut malgré tout considérer que le niveau auquel ces moyens sont portés demeure relativement modeste au regard de l’ambition affichée dans ce projet de loi constitutionnelle. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC et sur quelques travées du groupe socialiste et républicain.)

M. le président. La parole est à M. François Zocchetto, pour explication de vote.

M. François Zocchetto. Nous sommes tous, dans cet hémicycle, attachés à la défense et à la mise en valeur des langues régionales. Par conséquent, le débat ne porte absolument pas sur le fait de savoir si l’on est pour ou contre la diversité linguistique. Il s’agit plutôt de déterminer comment nous pouvons assurer la pérennité, voire le développement de cette diversité, qui fait partie, nous y souscrivons tous, de notre patrimoine.

Force est de constater que ce projet de loi constitutionnelle n’apporte aucune plus-value en matière de défense et de développement des langues régionales. Cela a déjà été expliqué.

Force est de constater aussi que le texte crée beaucoup d’incertitudes juridiques et qu’il est susceptible de mettre en cause ces langues elles-mêmes.

Personne ne pourra non plus nier la lecture qu’en fait le Conseil constitutionnel : celui-ci indique très clairement qu’une ratification intégrale de la Charte reviendrait à renier les principes fondamentaux de notre droit constitutionnel, à savoir l’unicité du peuple français et l’indivisibilité de la République, principes auxquels nous pourrions ajouter l’égalité des citoyens devant la loi.

Madame la garde des sceaux, aucune réponse probante n’a été apportée aux arguments de droit qui ont été développés. En outre, à l’évocation du rapport explicatif mis en parallèle avec des décisions du Conseil constitutionnel, permettez-nous de douter du sens de la hiérarchie des normes, qui pourtant s’impose à chacun ici.

Je pense aussi à ceux de nos collègues qui sont issus de territoires régionalistes et ressentent le douloureux sentiment d’être pris en otages et d’intervenir dans un débat tronqué.

Vous l’aurez compris, le présent texte n’apportant rien de nouveau, hormis de l’insécurité juridique et des divisions partisanes à quelques semaines des élections régionales, notre groupe, dans sa très grande majorité, votera la motion tendant à opposer la question préalable. (Applaudissements sur les travées de l'UDI-UC et du groupe Les Républicains.)

M. le président. La parole est à M. Ronan Dantec, pour explication de vote.

M. Ronan Dantec. Nous venons d’écrire un nouvel épisode de ce long feuilleton, et j’en suis très triste.

Voilà soixante-quatre ans, nous avions réussi à voter la loi Deixonne. Pourtant, la droite avait trouvé le moyen d’empêcher son application en ne publiant pas les décrets. Chaque fois que la question est sur la table, la droite trouve une argutie contre les langues régionales, tout en disant la main sur le cœur qu’elle défend les langues régionales. Que nenni ! (Exclamations sur les travées du groupe Les Républicains.)

Il s’agit au contraire d’empêcher l’usage de ces langues dans l’espace public et au cours de la vie publique et de les laisser s’éteindre en raison de l’arrêt de la transmission. Telle est la stratégie qu’a retenue la droite depuis des décennies, tout en l’accompagnant systématiquement d’un discours favorable à l’utilisation des langues régionales. C’est totalement faux, et c’était éminemment politique aujourd’hui.

J’ai écouté avec attention les propos de M. le rapporteur qui me semblaient très compliqués et je viens enfin de comprendre à la fin du débat. Cette fois, il nous a inventé un nouveau principe qui devrait s’appliquer lors de la discussion d’une loi constitutionnelle au Sénat : Ne touche pas à la Constitution !

M. André Reichardt. Il n’a pas compris !

M. Ronan Dantec. Cette règle réduit le débat, qui, si celle-ci nous avait été présentée dès le début, aurait pu s’achever beaucoup plus tôt.

Tel est le nouveau principe de M. le rapporteur : « Ne touche pas à la Constitution », ou plutôt « Ne touche pas à ma Constitution », car je l’ai trouvé très possessif lorsqu’il a donné sa définition de la Constitution et l’a défendue.

Une fois encore, la droite ne progresse pas sur ce sujet. C’est plutôt une mauvaise surprise.

À l’inverse, je dois le dire, nombre d’interventions à gauche ont suscité ma fierté. Je m’investis, comme d’autres ici, sur ce sujet depuis des décennies, et j’ai aussi connu des débats très difficiles à gauche. Néanmoins, j’ai trouvé que, sur ce texte porté avec ardeur par Mme la garde des sceaux, la gauche avait beaucoup progressé dans sa compréhension (MM. Rémy Pointereau et Bruno Retailleau s’esclaffent.), je dirai même dans son intelligence du monde, dans cette compréhension de la diversité de nos sociétés qui doivent se doter de symboles pour conforter le vivre-ensemble. Voilà le débat qui est sur la table aujourd’hui !

À l’inverse, au travers des propos de Bruno Retailleau, on a agité le spectre du communautarisme. Ce n’était pas digne, ce n’était pas à la hauteur du débat. Agiter là le spectre du communautarisme, c’est annoncer une droite qui va vouloir revenir au pouvoir sur le mythe d’une France uniforme qui n’est pas à la hauteur des défis. C’est ce qui s’est dit dans ce débat. C’était un débat extrêmement politique – les arguties juridiques ne trompent personne. Un clivage très fort entre la droite et la gauche est apparu, et je suis très fier, ce soir, d’être à gauche ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain. – Mme Hermeline Malherbe et M. Michel Le Scouarnec applaudissent également.)

M. le président. La parole est à M. Jacques Mézard, pour explication de vote.

M. Jacques Mézard. Ces propos sont extrêmement clivants, à tel point qu’ils me paraissent simplistes. Or ce débat transcende et doit transcender les habitudes politiques et politiciennes.

D’un côté, on nous dit que le projet de loi est politicien en raison de la tenue prochaine des élections régionales. De l’autre, on estime que la proposition de loi du groupe Les Républicains est politicienne pour la raison inverse.

M. Jacques Mézard. Vous avez tort tous les deux sur ce point.

Notre groupe se partage dans sa liberté : une légère majorité votera la motion et le reste ne la votera pas, car ce sujet transcende les clivages traditionnels.

Certains viennent de dire : le Sénat est l’expression des territoires et là il exprime ce que veulent les territoires. Or quand le Sénat exprime la volonté des territoires sur la réforme territoriale, vous n’en tenez aucun compte !

Mme Éliane Assassi. Très bien !

M. Jacques Mézard. Les arguments peuvent facilement être retournés.

M. Bruno Sido. Absolument !

M. Jacques Mézard. Le Sénat, il est vrai, a toujours une capacité législative. Pour combien de temps, mes chers collègues, si j’en crois le rapport de M. Bartolone ?

Mme Nathalie Goulet. Qui ? (Sourires sur les travées de l'UDI-UC.)

M. Jacques Mézard. Il faut faire extrêmement attention. Madame la garde des sceaux, vous avez eu un stock de louanges mérité. Mais au-delà, il convient de revenir à l’essentiel : le garde des sceaux nous a expliqué que le Conseil d’État se trompait. Pour ma part, je ne suis pas toujours d’accord avec un certain nombre de ses décisions et avis. Toutefois, en l’occurrence, vous nous avez dit très clairement que, dans son avis du 30 juillet 2015, il avait tort. Je trouve que c’est assez grave, même si ce n’est qu’un avis.

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. C’est assez grave pour que je réponde !

M. Jacques Mézard. Laissez-moi au moins aller jusqu’au bout, madame la garde des sceaux.

M. Dantec a eu le mérite d’exprimer sa position sur le fond. Il est favorable à l’application de la Charte, car c’est le droit de pratiquer une langue régionale dans la sphère publique.

M. Ronan Dantec. Absolument !

M. Jacques Mézard. Or c’est contraire à nos principes généraux, et ce depuis longtemps.

M. Ronan Dantec. C’est clair !

M. Bruno Retailleau. Très clair !

M. Jacques Mézard. C’est un point que les opposants à ce projet de loi ne peuvent accepter. La Constitution, on peut éventuellement la modifier.

Madame la garde des sceaux, et je terminerai par là, vous avez parlé à juste titre de laïcité, mais nous, nous attendons un projet de loi constitutionnelle sur la laïcité, qui était promis. Quand le verrons-nous ? (Applaudissements sur quelques travées du groupe Les Républicains.)

M. Bruno Sido. Bonne question !

M. le président. La parole est à Mme la garde des sceaux.

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Monsieur le président Mézard, je veux bien assumer tous les procès, on peut même considérer que je suis mithridatisée contre les procès qui me sont faits à partir de rien du tout.

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Cependant, je ne me suis pas exprimée sur l’avis du Conseil d’État. J’ai lu un extrait de la décision du Conseil constitutionnel, et j’ai fait référence aux dispositions très clairement exposées dans le rapport explicatif – le compte rendu des débats fera foi.

Pour le reste, cela fait trois ans que je suis garde des sceaux. Je pense que, indépendamment de tous mes défauts, j’ai toujours été respectueuse des institutions ; me faire le procès de vouloir porter atteinte à celles-ci, y compris au Conseil d’État, qui a entre autres missions de conseiller le Gouvernement, dans une démocratie, me surprend de votre part, monsieur Mézard. Vous, si exigeant sur la légitimité de l’exercice du pouvoir, notamment du pouvoir législatif, vous si subtil…

M. Jacques Mézard. N’en faites pas trop !

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. … sur la mission et le rôle de chaque institution, comment pouvez-vous brandir l’argument selon lequel l’avis du Conseil d’État s’imposerait au Gouvernement ?

M. Jacques Mézard. Je n’ai pas dit cela !

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Le Conseil d’État s’exprime très librement. (M. Jacques Mézard s’exclame.) Il exerce, entre autres missions, une mission de conseil du Gouvernement, dont ce dernier ne se prive pas, puisque, en de multiples occasions, il saisit spontanément le Conseil d’État, indépendamment du parcours d’examen des projets de loi.

Quoi qu’il en soit, je n’ai mis en cause ni le Conseil d’État en tant qu’institution ni l’avis de celui-ci. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain.)

M. Jean-Pierre Sueur. Absolument !

M. le président. La parole est à M. le rapporteur.

M. Philippe Bas, rapporteur. Mes chers collègues, je tiens à revenir très brièvement sur quelques points.

Tout d’abord, étant donné que l’on nous attire sur un terrain très politique, je me dois de formuler clairement ce rappel : la droite et le centre sont pour la diversité et non pour l’uniformité.

Nous l’avons prouvé à de nombreuses reprises : en 2003, lorsque l’on a révisé la Constitution pour y inscrire l’organisation décentralisée de la République et ouvrir le droit à l’expérimentation ; en 2008, lors de la révision constitutionnelle précisant que les langues régionales font partie du patrimoine de la France ; et une nouvelle fois lors de la dernière réforme régionale, pour affirmer que l’Alsace pouvait fort bien fusionner ses départements et sa région…

M. André Reichardt. Très bien !

M. Philippe Bas, rapporteur. … dans le but de constituer une collectivité à statut particulier. Lors de ce débat, les partisans de la diversité n’étaient certainement pas du côté de la gauche sénatoriale et du Gouvernement !

Ensuite, c’est une fausse habileté de vouloir contourner l’obstacle que représente la décision du Conseil constitutionnel en se référant, dans la Constitution, au complément qu’une déclaration interprétative apporterait à la ratification : il s’agit là d’un simple artifice.

Au début de la discussion générale, j’ai rappelé que cette déclaration était incomplète, qu’elle ne purgeait pas tous les problèmes de constitutionnalité.

En fait, le Gouvernement n’a pas osé prendre la seule décision qui se serait révélée cohérente et aurait permis la tenue du véritable débat politique (Mme Nicole Bricq s’exclame.) : fixer franchement, au niveau constitutionnel, une dérogation aux articles 1er et 2 de la Constitution, et assumer pleinement cette position devant nous.

M. André Reichardt. Absolument !

M. Philippe Bas, rapporteur. Certains de nos collègues ont défendu cette solution. Je songe à M. Danesi, qui s’est très bien exprimé sur ce sujet. Je pense également à Christian Kern, qui, par l’amendement qu’il a déposé, défend le choix suivant – je salue la cohérence de cette position, même si, à titre personnel, je ne voterais pas une telle réforme – : si nous devions réviser la Constitution conformément aux souhaits d’un certain nombre de mouvements régionalistes, il faudrait assumer, franchement et sans détour, le fait de déroger aux articles fondamentaux que nous avons déjà eu l’occasion de citer ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – M. Henri Tandonnet applaudit également.)

M. le président. Je mets aux voix la motion n° 1, tendant à opposer la question préalable.

Je rappelle que l'adoption de cette motion entraînerait le rejet du projet de loi constitutionnelle.

Je rappelle en outre que le Gouvernement a émis un avis défavorable.

En application de l’article 59 du règlement, le scrutin public ordinaire est de droit.

Il va y être procédé dans les conditions fixées par l’article 56 du règlement.

Le scrutin est ouvert.

(Le scrutin a lieu.)

M. le président. Personne ne demande plus à voter ?…

Le scrutin est clos.

J'invite Mmes et MM. les secrétaires à procéder au dépouillement du scrutin.

(Il est procédé au dépouillement du scrutin.)

M. le président. Voici, compte tenu de l’ensemble des délégations de vote accordées par les sénateurs aux groupes politiques et notifiées à la présidence, le résultat du scrutin n° 30 :

Nombre de votants 341
Nombre de suffrages exprimés 335
Pour l’adoption 180
Contre 155

Le Sénat a adopté.

Madame la garde des sceaux, mes chers collègues, l’adoption de la motion tendant à opposer la question préalable entraîne, en application de l’article 44, alinéa 3, du règlement du Sénat, le rejet du projet de loi constitutionnelle autorisant la ratification de la Charte européenne des langues régionales ou minoritaires.

En conséquence, les explications de vote des groupes et le vote par scrutin public en salle des conférences sur l’ensemble de ce texte, initialement prévus le mardi 3 novembre prochain dans l’après-midi, n’ont plus lieu d’être, et l’ordre du jour de la séance du mardi 3 novembre s’établit comme suit :

À 16 heures 45 :

- Questions d’actualité au Gouvernement ;

À 17 heures 45, le soir et la nuit :

- Projet de loi organique relatif à l’indépendance et l’impartialité des magistrats et à l’ouverture de la magistrature sur la société.

M. le président du Sénat va prendre contact avec le Gouvernement, la commission des lois et les présidents de groupe pour examiner l’éventualité de commencer l’examen de ce projet de loi organique avant les questions d’actualité au Gouvernement.

Question préalable (début)
Dossier législatif : projet de loi  constitutionnelle autorisant la ratification de la Charte européenne des langues régionales ou minoritaires
 

6

Commissions mixtes paritaires

M. le président. M. le président du Sénat a reçu de M. le Premier ministre deux demandes de constitution d’une commission mixte paritaire chargée de proposer un texte sur les dispositions restant en discussion, d’une part, du projet de loi relatif à la gratuité et aux modalités de la réutilisation des informations du secteur public et, d’autre part, du projet de loi portant diverses dispositions d’adaptation au droit de l’Union européenne dans le domaine de la prévention des risques.

Il sera procédé à la nomination des représentants du Sénat à ces deux commissions mixtes paritaires selon les modalités prévues par l’article 12 du règlement.

Mes chers collègues, l’ordre du jour de cet après-midi étant épuisé, nous allons maintenant interrompre nos travaux ; nous les reprendrons à vingt et une heures trente.

La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à dix-neuf heures trente-cinq, est reprise à vingt et une heures trente, sous la présidence de M. Hervé Marseille.)

PRÉSIDENCE DE M. Hervé Marseille

vice-président

M. le président. La séance est reprise.

7

 
Dossier législatif : proposition de loi relative aux mesures de surveillance des communications électroniques internationales
Discussion générale (suite)

Surveillance des communications électroniques internationales

Adoption en procédure accélérée d’une proposition de loi dans le texte de la commission modifié

M. le président. L’ordre du jour appelle la discussion de la proposition de loi, adoptée par l’Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, relative aux mesures de surveillance des communications électroniques internationales (proposition n° 6, texte de la commission n° 98, rapport n° 97, avis n° 100).

Dans la discussion générale, la parole est à M. le ministre.

Discussion générale (début)
Dossier législatif : proposition de loi relative aux mesures de surveillance des communications électroniques internationales
Article 1er

M. Jean-Yves Le Drian, ministre de la défense. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, la proposition de loi que nous examinons ce soir vient parachever le travail global que nous avons entrepris ensemble depuis 2012 sur le renseignement.

Après les députés Patricia Adam et Philippe Nauche, qui ont pris l’initiative de déposer ce texte, je tiens à remercier chaleureusement les sénateurs qui y ont apporté, par leurs travaux et leurs remarques, une contribution tout à fait essentielle. Vous me permettrez de saluer à cet égard le président et rapporteur Philippe Bas et l’ensemble de la commission des lois, le président Jean-Pierre Raffarin ainsi que la commission des affaires étrangères et de la défense, en particulier son rapporteur Michel Boutant. Ensemble, ils ont enrichi ce texte, et je me félicite qu’il existe aujourd’hui un terrain d’entente, sur l’essentiel, entre la proposition de votre commission des lois et le vote de l’Assemblée nationale.

Cette proposition de loi répond à un besoin urgent, compte tenu des enjeux de sécurité nationale que vous connaissez. Vous me permettrez de rappeler ici ce qu’elle contient.

Dans le cadre de la loi relative au renseignement, le Parlement avait voté, fin juin, une disposition qui définissait le régime légal de la surveillance des communications électroniques internationales. Ce régime est nécessairement distinct de celui des interceptions de sécurité, qui ne peut s’appliquer qu’aux personnes situées sur le territoire national. Dans sa décision du 23 juillet dernier, le Conseil constitutionnel a estimé que ce régime légal n’était pas suffisamment détaillé par le législateur et qu’il renvoyait trop largement à des textes réglementaires sur les points suivants : les conditions d’exploitation, de conservation et de destruction des renseignements collectés et les conditions du contrôle par la Commission nationale de contrôle des techniques de renseignement, la CNCTR, de la légalité des autorisations délivrées et de leurs conditions de mise en œuvre.

Le Conseil constitutionnel a donc censuré cette disposition, mais sur un motif qui ne touche pas au fond du texte que le Parlement a adopté. Il a par ailleurs donné des indications qui ont permis d’orienter le travail du législateur pour remédier à la censure. C’est tout l’objet de la proposition de loi, qui répond au grief d’« incompétence négative » en intégrant dans la loi elle-même nombre de règles qui étaient destinées à figurer dans les décrets d’application.

Au titre des conditions d’exploitation, la proposition de loi précise que la surveillance des communications internationales ne vise que des personnes ou entités situées à l’étranger. Elle explicite clairement que les communications échangées entre des numéros ou identifiants rattachables au territoire national qui seraient interceptées seront immédiatement détruites, y compris si elles transitent par des territoires étrangers. On ne peut donc soupçonner que, par ces dispositions, nous mettions en place le moyen détourné de surveiller des Français, comme je l’ai parfois lu.

Toujours pour répondre à l’exigence de précision s’agissant des conditions d’exploitation, la proposition de loi organise et détaille les trois niveaux d’intervention du Premier ministre pour décision : la désignation des systèmes ou réseaux de communications que les services sont habilités à intercepter ; les autorisations d’exploitation non individualisée des données de connexion ; les autorisations d’exploitation individualisée des communications, c’est-à-dire, comme le précise la loi, de l’ensemble formé par les correspondances et les données de connexion associées.

S’agissant des conditions de conservation, la proposition de loi fixe les durées maximales de conservation des différentes catégories de données qui peuvent être recueillies. Elle précise aussi les conditions de destruction des renseignements recueillis et des informations exploitées qui peuvent en être tirées, en renvoyant pour cela au droit commun.

En ce qui concerne le contrôle, comme l’exige le Conseil constitutionnel, le texte détaille les prérogatives qui permettront à la CNCTR de s’assurer de la légalité des autorisations délivrées par le Premier ministre – relevons au passage que le Conseil constitutionnel n’exige pas, dès lors, de contrôle préalable à la délivrance de celles-ci – ainsi que des conditions de mise en œuvre de ces autorisations.

Enfin, la proposition de loi organise un contrôle juridictionnel des mesures de surveillance internationale, en prévoyant que le Conseil d’État pourra être saisi par la CNCTR, et même par seulement trois de ses membres, si le Premier Ministre ne donnait pas suite à l’une de ses recommandations relative à un manquement au texte ou s’il n’y donnait suite que de façon insuffisante à ses yeux.

L’ensemble des garanties que le Gouvernement s’apprêtait à faire figurer dans les textes d’application de la loi relative au renseignement sont donc intégrées, grâce à la proposition de loi, au niveau législatif, ce qui remédie au vice identifié par le Conseil constitutionnel. Il était important, au vu notamment de l’urgence de la situation sécuritaire, que cette correction soit effectuée le plus rapidement possible, et je veux remercier à nouveau le Sénat d’avoir contribué à cet important travail.

Au terme des travaux de vos commissions, je me réjouis donc qu’un accord émerge entre les deux assemblées sur les grands principes de cette proposition de loi. Les différences entre la version du texte votée par l’Assemblée nationale et celle établie par votre commission des lois sont essentiellement d’ordre légistique et rédactionnel. Vous me permettrez de signaler les trois points les plus significatifs.

Le premier concerne la possibilité pour le Premier ministre de déléguer sa signature pour la désignation des réseaux de communications interceptées : votre texte supprime cette possibilité. Ce n’est pas très orthodoxe au regard du principe de séparation des pouvoirs, l’organisation administrative relevant du pouvoir exécutif. Je me souviens des propos tenus à ce sujet par le président Bas lors de l’examen du projet de loi précédent, et je sais à quel point il est attaché à ce principe.

Le Conseil d’État, dans son avis sur la proposition de loi déposée par Philippe Bas, qui présente nombre de similitudes avec la proposition de loi dont nous discutons aujourd’hui, a considéré que les décisions en cause étaient suffisamment stratégiques et peu nombreuses pour que l’exclusion de toute délégation ne pose pas de difficulté d’ordre constitutionnel. Bien que ce choix ne soit pas nécessairement le plus opportun, le Gouvernement, dans ces conditions, n’entend pas proposer d’amendement tendant à revenir au texte initial.

M. Jean-Yves Le Drian, ministre. Le deuxième point a trait à la durée de conservation des correspondances. La version de la commission la réduit à dix mois à compter de la première exploitation, au lieu des douze mois prévus dans le texte initial.

Il me semble important de rappeler que les durées retenues par la proposition de loi tiennent compte d’un équilibre entre les exigences opérationnelles et la protection de la vie privée. Cet équilibre est différent de celui retenu pour les communications nationales. Il est en outre, de façon raisonnable et proportionnée, plus favorable aux besoins de la défense et de la promotion de nos intérêts fondamentaux. C’est logique, car ce régime concerne des personnes surveillées à l’étranger et qui ne sont donc pas sous la juridiction des pouvoirs publics français, lesquels ne peuvent pas exercer sur elles les mêmes prérogatives de puissance publique que sur les personnes surveillées en France.

Il faut par ailleurs considérer que, dans le champ des communications internationales, outre les problèmes de traduction, il est normal que puisse s’écouler un temps plus long entre le recueil et la première exploitation puisqu’il n’est pas possible, pour les pouvoirs publics français, d’adresser au fil de l’eau et quand ils en ont besoin des réquisitions aux opérateurs de télécommunications utilisés par les personnes qu’on entend surveiller pour accéder à leurs communications. Il faut donc procéder autrement, et cela explique l’écart temporel entre l’interception et l’exploitation.

Enfin, il est très important, tout particulièrement s’agissant des personnes surveillées à l’étranger, de conserver les données suffisamment longtemps, afin de pouvoir reconstituer des parcours individuels et des réseaux. Les récents événements dramatiques qu’a connus notre pays nous ont montré que certaines menaces pouvaient rester dormantes pendant plusieurs années avant de redevenir actives. Le recul historique est donc essentiel. Cela étant rappelé, le Gouvernement ne fera pas un point dur de ce passage de douze à dix mois.

Le troisième point porte sur une disposition permettant d’assurer aux opérateurs de télécommunications que les opérations matérielles rendues nécessaires pour la mise en œuvre des mesures prévues par ce chapitre seront exécutées par leurs agents, lorsque cela sera pertinent. Le Gouvernement est favorable à cet ajout et le complétera d’ailleurs par un amendement visant à faire référence à l’article L. 871-7. Ainsi, les opérateurs seront assurés, mais cela résultait de toute façon de la Constitution elle-même, d’obtenir une compensation financière en cas de surcoûts nés de la mise en œuvre du présent chapitre.

Pour conclure, je tiens à souligner la grande importance de cette proposition de loi qui nous rassemble, puisqu’elle offre un cadre légal à une activité essentielle à la préservation des intérêts fondamentaux de notre pays, tout en contribuant à la défense des libertés publiques comme à la protection des agents de nos services de renseignement. (Applaudissements.)

M. le président. La parole est à M. le rapporteur.

M. Philippe Bas, président de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale, rapporteur. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, voilà un débat que nous pensions avoir achevé au mois de juillet dernier et qui a été relancé par la décision du Conseil constitutionnel.

Le Conseil constitutionnel n’a pas jugé que les choix retenus contrevenaient à des droits fondamentaux ; il a considéré que le Parlement n’était pas allé au bout de l’exercice de sa compétence législative et qu’il ne pouvait pas laisser le soin au Gouvernement de préciser par décret en Conseil d'État le régime de la collecte de renseignements concernant d’autres pays que la France. L’objet de la proposition de loi dont nous débattons ce soir est donc de combler le vide juridique créé par cette censure du Conseil constitutionnel.

Les mesures de surveillance des communications électroniques internationales recouvrent des capacités techniques déployées sur décision du pouvoir exécutif à la fin des années 2000 et mises à la disposition des services spécialisés de renseignement. Toutefois, cette technique de recueil de renseignements a été mise en œuvre sans évolution du cadre légal, à savoir la loi de 1991 sur les interceptions de sécurité. L’initiative prise par nos collègues députés Patricia Adam, présidente de la commission de la défense et des forces armées, et Philippe Nauche, est donc la bienvenue.

Afin de nous prémunir contre tout risque d’inconstitutionnalité et d’effectuer un travail sûr d’un point de vue juridique, j’ai déposé une proposition de loi tout à fait similaire à celle de nos collègues députés et proposé au président du Sénat, en application de l’article 39 de la Constitution, qu’il saisisse le Conseil d'État pour qu’un examen approfondi puisse avoir lieu dans le temps même où l’Assemblée nationale délibérait, et ainsi ne pas faire prendre de retard à la délibération parlementaire. L’avis rendu par le Conseil d'État le 15 octobre dernier a achevé de lever les doutes que nous aurions pu avoir, non seulement sur la constitutionnalité du dispositif, mais aussi sur sa conventionalité, c'est-à-dire sur sa conformité aux conventions internationales, notamment à l’article 8 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales qui porte sur le droit au respect de la vie privée et familiale.

Dans son avis, le Conseil d'État a estimé que le législateur allait jusqu’au bout de sa compétence. Il a également estimé que la différence de traitement entre les communications interceptées à l’étranger et les techniques de renseignement mises en œuvre sur le territoire national n’était pas manifestement déséquilibrée et qu’aucun principe constitutionnel n’était par conséquent violé par ces dispositions législatives.

Si la surveillance à l’étranger ne donne pas lieu aux mêmes voies de recours que les techniques de renseignement déployées sur le territoire national, le Conseil d'État a observé que des recours étaient possibles dans les deux cas. En effet, la Commission nationale de contrôle des techniques de renseignement, dont le texte prévoit qu’elle soit informée de toutes les décisions d’autorisation prises par le Premier ministre, dispose de tout pouvoir pour vérifier les conditions de mise en œuvre de ces autorisations. Elle peut également saisir le Conseil d'État en cas de doute sur la légalité d’une autorisation, cette saisine pouvant intervenir à la demande de trois de ses membres seulement.

Loin d’être dépourvu de contrôle, le système français sera donc très protecteur des droits de la personne. Je ne me suis pas livré à un examen exhaustif, mais je ne connais pas d’État étranger ayant un grand service de renseignement intervenant dans d’autres pays qui ouvre sur son territoire, à l’égard de sa propre juridiction ou d’instances de contrôle, des possibilités de faire ainsi protéger le droit au respect de la vie privée et familiale de personnes s’estimant irrégulièrement surveillées.

Ce régime est bien sûr dérogatoire, mais si l’on considère que les utilisateurs de dispositifs de communication ayant des identifiants étrangers sont moins protégés que les utilisateurs de dispositifs nationaux sur le territoire national, n’oublions pas que, à l’étranger, ils sont protégés par leur propre État. Le régime de nos interventions pour recueillir des renseignements à l’étranger se fait par hypothèse en dehors de la légalité prévue par ces pays, mais la réciproque est vraie !

M. Jean-Yves Le Drian, ministre. Eh oui !

M. Philippe Bas, rapporteur. Par conséquent, nous n’avons pas à nous préoccuper de la protection des droits des personnes surveillées à l’étranger autant que de celle de nos nationaux. Chacun chez soi, et tout ira bien, pour ne citer que partiellement le vieil adage manchois que j’ai coutume d’utiliser !

Permettez-moi également de souligner qu’un certain nombre de modifications de fond sont proposées par la commission des lois. Monsieur le ministre, j’ai apprécié que, après avoir mûrement pesé l’intérêt de ces modifications, vous soyez favorable à certains d’entre elles et que vous ne vous opposiez pas aux autres. Cela simplifie à l’évidence notre travail, mais croyez bien que si tel n’avait pas été le cas nous aurions accepté la discussion et su faire évoluer certaines de nos positions.

M. André Reichardt. Il ne fallait pas le dire ! (Sourires.)

M. Philippe Bas, rapporteur. Les deux assemblées devraient pouvoir s’entendre au cours d’une commission mixte paritaire qui pourrait être réunie rapidement. Elles s’entendront sur un dispositif simple, qui comporte trois branches.

Premièrement, lorsque les dispositifs de surveillance interceptent des flux d’échanges concernant des utilisateurs de dispositifs de télécommunication qui sont tous nationaux, ces informations ne sont tout simplement pas prélevées. Un automatisme que la CNCTR peut vérifier le garantit.

Deuxièmement, quand il s’agit d’un flux mixte, c'est-à-dire qu’au moins l’un des deux interlocuteurs utilise un émetteur ou un récepteur avec un identifiant se rattachant au territoire national, la surveillance s’effectue selon le régime de droit commun applicable aux techniques mises en œuvre sur le territoire national.

Troisièmement, le système est allégé lorsque les flux interceptés concernent deux utilisateurs et deux terminaux, téléphoniques ou informatiques, dont les identifiants sont étrangers. La surveillance est alors déclenchée par une autorisation du Premier ministre, qui, sans avis préalable de la Commission nationale de contrôle des techniques de renseignement, porte sur une zone géographique, sur des organisations, voire sur des personnes. Libre au Premier ministre d’exclure de la surveillance un certain nombre d’identifiants. Ce n’est pas parce qu’on ne dit pas que c’est possible que cela devient impossible ! C’est même parfois obligatoire, si l’on se réfère à certains engagements politiques pris par la France à l’égard des autres pays membres de l’Union européenne ou aux immunités diplomatiques relevant des conventions internationales.

Mes chers collègues, le dispositif tel qu’il a été conçu me semble assez complet. Je me suis rendu à deux reprises dans les locaux de la Direction générale de la sécurité extérieure, où j’ai pu constater que les conditions de contrôle de la CNCTR étaient bien réunies. Je vous invite donc à adopter cette proposition de loi. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et de l'UDI-UC, ainsi que sur certaines travées du groupe socialiste et républicain.)

M. le président. La parole est à M. le rapporteur pour avis.

M. Michel Boutant, rapporteur pour avis de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, en me confiant la préparation d’un avis sur la proposition de loi relative aux mesures de surveillance des communications électroniques internationales, la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées, dans l’esprit du principe qui a imprégné ses travaux sur le projet de loi relatif au renseignement – principe de juste équilibre entre la protection de la vie privée et des libertés de nos concitoyens, d’une part, et la garantie de leur sécurité, d’autre part – m’a demandé de vérifier deux points.

Premièrement, la proposition de loi répond-elle aux exigences posées par le Conseil constitutionnel dans sa décision du 23 juillet dernier annulant les dispositions de la loi relative au renseignement consacrées à la surveillance internationale, au motif, comme l’a rappelé le rapporteur, que, en laissant trop de latitude au pouvoir réglementaire, le législateur n’était pas allé au bout de ses compétences ?

Deuxièmement, la réponse apportée par la proposition de loi ne réduit-elle pas à l’excès les capacités des services spécialisés de renseignement pour exécuter leur mission, dont on connaît l’importance pour prévenir, déjouer et empêcher les actions hostiles aux intérêts fondamentaux de notre pays et assurer ainsi la sécurité nationale ?

S’agissant du premier point, le dépôt parallèle d’une proposition de loi au Sénat par le rapporteur Philippe Bas, qui reprenait à quelques détails près le texte déposé à l’Assemblée nationale, et la décision du président du Sénat de demander un avis au Conseil d’État ont facilité cette vérification.

Le Conseil d’État, dans son avis rendu le 15 octobre en assemblée générale, note que la proposition de loi – celle de Philippe Bas, mais on peut raisonner par analogie – répond aux exigences de la décision du Conseil constitutionnel, car elle définit tant « les conditions d’exploitation, de conservation et de destruction des renseignements collectés en application de l’article L. 854-1 » du code de la sécurité intérieure que « les conditions de contrôle par la CNCTR de la légalité des autorisations délivrées en application de cet article et de leurs conditions de mises en œuvre ». Les « différences substantielles » du régime proposé pour la surveillance des communications électroniques internationales par rapport au régime de surveillance des communications nationales « sont justifiées à la fois par la différence de situation entre les personnes résidant sur le territoire français et celles résidant à l’étranger, par la différence corrélative des techniques de surveillance qui doivent être employées, ainsi que par la nature propre des missions de surveillance qui sont exercées à l’étranger ». Ce régime n’en assortit pas moins « la surveillance internationale de nombreuses conditions et garanties ».

Le Conseil d’État considère dès lors que « la proposition de loi assure, sur le plan constitutionnel, une conciliation qui n’est pas manifestement déséquilibrée entre, d’une part, les nécessités propres aux objectifs poursuivis, notamment celui de la protection de la sécurité nationale, et, d’autre part, le respect de la vie privée et le secret des correspondances protégés […] par la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen ». Ces garanties permettent de « regarder l’ingérence dans la vie privée » occasionnée par les mesures prévues « comme étant nécessaire, dans une société démocratique, à la sécurité nationale et à la prévention des infractions pénales au sens de l’article 8 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales ». Il admet de surcroît que l’absence de règles indifférenciées selon la nationalité des personnes situées en dehors du territoire français, à l’exception du cas de celles qui utilisent des numéros d’abonnement ou des identifiants techniques rattachables au territoire national, ne méconnaît pas des exigences constitutionnelles ou conventionnelles.

Le Conseil d’État observe que, « eu égard aux exigences inhérentes à tout système de surveillance, […] eu égard par suite à la nécessité d’instituer une intermédiation préservant le secret de ces activités, eu égard enfin à la circonstance que la procédure juridictionnelle est pleinement contradictoire à l’égard de la CNCTR », le texte institue « une conciliation, qui n’est pas manifestement déséquilibrée, entre le droit des personnes intéressées à exercer un recours effectif et les exigences constitutionnelles inhérentes à la sauvegarde des intérêts fondamentaux de la nation, dont participe le secret de la défense nationale ». Il juge enfin qu’il ne méconnaît pas davantage le droit reconnu par l’article 13 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales.

Vous noterez le rôle important de la CNCTR dans ce régime, puisque toutes les autorisations délivrées lui sont communiquées. Un accès permanent, complet et direct aux dispositifs de traçabilité, ainsi qu’aux renseignements collectés, aux transcriptions et aux extractions lui est ouvert. La CNCTR peut ainsi procéder à toutes les vérifications nécessaires. En cas d’irrégularité, elle adressera une recommandation au Premier ministre pour mettre fin à cette surveillance et, s’il n’y donne pas suite, le Conseil d’État pourra être saisi.

S’agissant du second point, relatif aux capacités des services spécialisés de renseignement, trois aspects méritent votre attention.

Tout d’abord, le texte comporte deux mesures absolument nécessaires pour rechercher les profils et comportements suspects et cartographier des réseaux, avant de passer à la troisième phase plus classique, mais aussi plus intrusive, d’exploitation des correspondances et des données de connexion : la présence d’un système différent d’autorisation, comprenant des autorisations collectives pour ce qui concerne la désignation des réseaux de communication sur lesquels les interceptions seront réalisées ; l’exploitation non individualisée des données de connexion interceptées pour une durée d’un an renouvelable, désignant notamment les traitements automatisés pouvant être mis en œuvre, en précisant leur objet.

Ensuite, il m’apparaît important que le texte reprenne la position du Conseil d’État, qui, dans son avis, a précisé que la référence aux termes « réseaux de communications électroniques » n’avait ni pour objet ni pour effet de modifier le champ d’application des mesures de surveillance, tel qu’il avait été défini par la loi relative au renseignement, sur laquelle nous nous sommes prononcés en juin dernier. Cela permet notamment de maintenir les mesures prises pour assurer, aux seules fins de la défense des intérêts nationaux, la surveillance et le contrôle des transmissions empruntant la voie hertzienne hors du champ d’application de ces dispositions, comme c’était déjà le cas dans la législation applicable antérieurement, c’est-à-dire la loi de 1991. En effet, ces mesures sont nécessaires à notre posture de défense et au contrôle des théâtres d’opération où sont engagées nos armées.

Enfin, il était indispensable, compte tenu de la nature des données collectées, que les durées de conservation soient plus longues que dans le régime mis en œuvre pour le territoire national. En effet, la surveillance des communications électroniques est le seul moyen d’obtenir ou de confirmer des informations, alors que des moyens complémentaires d’investigation peuvent être engagés sur le territoire national. En outre, il se trouve que les données collectées sont souvent en langue étrangère, parfois dans des langues rares, et des délais de traduction sont nécessaires pour les exploiter. Les données doivent permettre de reconstituer a posteriori des parcours individuels et des réseaux. Ces analyses demandent du temps et du recul, notamment lorsque l’on a affaire à des ennemis qui savent utiliser toutes les techniques de la dissimulation, et dont il ne faut sous-estimer ni l’intelligence ni la détermination.

Les conditions posées étant vérifiées, la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées a donné un avis favorable à l’adoption par le Sénat de cette proposition de loi.

La commission des lois a par la suite estimé utile d’apporter des modifications sur quelques points, qui ont été rappelés à l’instant par le président-rapporteur Philippe Bas et M. le ministre de la défense. Ces modifications sont la limitation au seul Premier ministre de la possibilité de délivrer les autorisations désignant les réseaux sur lesquels les interceptions peuvent être réalisées, la réduction de douze à dix mois de la durée de conservation des correspondances, la suppression de la possibilité pour le Premier ministre d’exclure certains numéros d’abonnement ou identifiants techniques de toute surveillance ou encore la mise en place pour certains d’entre eux de conditions particulières d’accès aux communications. Enfin, la commission a souhaité prévoir le régime des opérations matérielles pour la mise en œuvre des mesures d’interception quand elles sont effectuées par les opérateurs de communications électroniques.

Il ne s’agit pas de différences insurmontables, comme l’a indiqué M. le ministre lui-même. Même si je n’ai pas eu l’occasion de consulter de nouveau la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées sur ce point, il ne me semble pas, à titre personnel, que ces modifications puissent changer le sens de son avis.

Au terme de ce travail législatif, que l’on peut qualifier de constructif, et pour lequel l’initiative parlementaire n’aura pas fait défaut, la France disposera d’une législation moderne, complète et équilibrée, respectueuse des droits et libertés. Ce dispositif fournira à nos services spécialisés de renseignement la sécurité juridique nécessaire à leurs actions et un cadre clair pour l’exercice de leur mission de service public, témoignant ainsi de la maturité de notre démocratie, qui pourra s’en prévaloir sur la scène internationale. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain, de l’UDI-UC et du groupe Les Républicains.)

M. le président. La parole est à Mme Esther Benbassa.

Mme Esther Benbassa. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous examinons aujourd’hui un texte de nos collègues du groupe socialiste, républicain et citoyen de l’Assemblée nationale, Patricia Adam et Philippe Nauche, consacré à la surveillance des communications électroniques internationales et dont l’objet est de corriger des dispositions de la loi relative au renseignement censurées par le Conseil constitutionnel. Ces dispositions ont été censurées, je le rappelle, au motif qu’elles ne comportaient pas suffisamment de garanties pour les citoyens, s’agissant notamment des conditions d’exploitation, de conservation et de destruction des renseignements collectés, ainsi que du contrôle par la Commission nationale de contrôle des techniques de renseignement.

Comme pour le projet de loi relatif au renseignement, le Gouvernement a décidé d’engager la procédure accélérée, conduisant ainsi à un examen expéditif de cette proposition de loi, sans véritable discussion. Or ce texte menace incontestablement les droits fondamentaux de nos concitoyens et des citoyens étrangers, notamment le droit au respect de leur vie privée et de leurs correspondances.

Le président-rapporteur de la commission des lois a décidé de déposer une proposition de loi ayant le même objet. M. le président du Sénat, quant à lui, a décidé d’interroger le Conseil d’État sur ce texte, afin que celui-ci en évalue les risques constitutionnels. Beau paradoxe ! Quand la gauche suit sans s’interroger la pente glissante ouverte par la loi relative au renseignement, au nom de la lutte contre le terrorisme, c’est la droite sénatoriale qui s’inquiète de la sauvegarde de nos libertés...

M. Philippe Bas, rapporteur. Eh oui !

Mme Esther Benbassa. Le texte dont nous débattons confère un cadre juridique officiel à des pratiques de surveillance internationale déjà en cours. Rappelons ne serait-ce que le décret secret de Nicolas Sarkozy autorisant, en 2008, la DGSE à espionner les communications internationales transitant par les câbles sous-marins reliant l’Europe au reste du monde.

M. Philippe Bas, rapporteur. Quel décret ?

Mme Esther Benbassa. Ce texte confie également au Premier ministre le pouvoir d’autoriser la surveillance de certaines communications émises ou reçues à l’étranger, comme c’est le cas dans la loi relative au renseignement pour les communications nationales.

Le groupe écologiste considère que le champ d’application de ces dispositions est bien trop large et que celles-ci donnent aux services de renseignement une marge de manœuvre excessive. Ces derniers pourront en effet collecter massivement des données de connexion et des communications émises ou reçues à l’étranger, au motif, notamment, de la défense des intérêts majeurs de la politique étrangère, des intérêts économiques ou industriels de la France ou encore de la prévention du terrorisme.

Ce dispositif concerne en outre un nombre considérable d’individus et de communications. Il implique la collecte par défaut des communications entre les personnes dont les identifiants sont rattachables au territoire national, mais dont les communications passent par l’étranger, via Google, Skype, Hotmail, WhatsApp, que nous utilisons quotidiennement. De plus, les renseignements collectés seront détruits à l’issue de délais contestables, pouvant atteindre six ans pour les données de connexion et huit ans pour les données chiffrées.

La CNCTR dispose d’un mince pouvoir. En effet, elle ne sera informée des mesures de surveillance qu’a posteriori. Le Défenseur des droits a pourtant insisté sur la nécessaire mise en place d’un contrôle effectif a priori, lequel, pense-t-il, « constituerait indéniablement une garantie supplémentaire permettant d’écarter, en amont, la mise en œuvre de toute atteinte qui serait disproportionnée au droit au respect de la vie privée, ainsi que tout risque d’abus de la part de l’exécutif ».

Plusieurs associations, dont Amnesty International France, ont, elles aussi, critiqué ce texte. Le commissaire aux droits de l’homme du Conseil de l’Europe a lui-même émis des craintes et des réserves dans une interview accordée à la radiotélévision suisse SRF.

Difficile à amender, tant ses dispositions sont délibérément floues, cette proposition de loi, au lieu de protéger la sécurité de nos concitoyens, risque plutôt de conduire à l’instauration d’un climat social délétère, faisant de chacun d’entre nous un suspect potentiel et justifiant la mise en place d’une surveillance de masse, que nous avions pourtant tous dénoncée après les révélations d’Edward Snowden.

Les écologistes voteront donc contre ce texte au potentiel liberticide patent. D’aucuns pourraient en effet un jour l’utiliser à d’autres fins que la lutte contre le terrorisme. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC.)

M. Jean-Pierre Sueur. Quelle modération !

M. le président. La parole est à M. Yves Détraigne.

M. Yves Détraigne. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous revenons aujourd’hui sur un texte dont l’intérêt pour notre pays est fondamental, puisqu’il concerne la sécurité de nos concitoyens et la sauvegarde des intérêts fondamentaux de la nation.

En juin dernier, nous avons adopté la loi relative au renseignement, un texte que notre pays attendait depuis longtemps, tant notre législation avait besoin d’évoluer pour permettre à nos services de renseignement de remplir efficacement leurs missions face aux nouveaux modes de communication et d’interception, ainsi qu’aux nouvelles menaces qui se font jour. Il faut le reconnaître, l’exercice était difficile, l’adoption d’un tel texte soulevant des craintes légitimes quant à la protection des libertés individuelles et des données personnelles de nos concitoyens. Cependant, nos méthodes de travail d’alors, qui ont consisté à encadrer toutes les mesures de garde-fous d’autant plus importants que lesdites mesures étaient intrusives, ont permis de voter, je le crois, un texte équilibré. La grande majorité de ces dispositions a d'ailleurs été jugée conforme à la Constitution par le Conseil constitutionnel, à l’exception de l’article relatif aux mesures de surveillance internationale. C’est la raison pour laquelle nous examinons, ce soir, cette proposition de loi.

Force est de le constater, en estimant « que le législateur n’avait pas déterminé les règles concernant les garanties fondamentales accordées aux citoyens pour l’exercice des libertés publiques », les Sages de la rue Montpensier ont censuré la forme, mais pas le fond du texte. Il revient donc aujourd'hui au législateur de définir dans la loi les dispositions concernant les communications internationales qui devaient l’être par décret. Plus précisément, il nous faut énoncer les conditions d’exploitation, de conservation et de destruction de ces renseignements, ainsi que les conditions du contrôle de la légalité des autorisations délivrées et de leur mise en œuvre par la Commission nationale de contrôle des techniques de renseignement. C’est ce à quoi s’attache cette proposition de loi, qui reprend, tout en les précisant, les principes édictés dans la loi que nous avions votée afin de répondre aux exigences du Conseil constitutionnel.

Il est essentiel que notre appareil juridique couvre de manière précise la surveillance des communications électroniques internationales. Les interventions de nos forces armées pour lutter contre le terrorisme au Sahel et au Proche-Orient ont suscité une agressivité accrue à l’encontre de notre pays. Les menaces se sont multipliées, et la France doit se donner tous les moyens d’y faire face.

Les individus actifs à l’étranger qui représentent une menace pour le territoire national pourront être surveillés, qu’ils soient Français ou non. Cela autorisera la surveillance de nos ressortissants partis rejoindre les rangs de Daech et dont le nombre a, malheureusement, plus que doublé au cours des quinze derniers mois.

La proposition de loi reprend aussi les principaux garde-fous prévus dans la loi relative au renseignement. Comme pour les communications nationales, la procédure et le contenu des autorisations de mise en œuvre des mesures de surveillance internationale délivrées par le Premier Ministre sont explicitement détaillés. La commission a ajouté que seul le Premier ministre désignerait les réseaux de communications électroniques pouvant faire l’objet d’une interception.

Les conditions de conservation des données sont, cette fois, clairement énoncées. La durée est, certes, supérieure à celle qui est applicable aux communications nationales, mais cela s’explique par les difficultés inhérentes au traitement de données en langues étrangères, parfois rares, et par l’absence d’alternative pour vérifier ou croiser les informations.

La commission des lois et son président-rapporteur Philippe Bas ont proposé de réduire de douze à dix mois la durée de conservation des correspondances interceptées, jugée excessive. Cela montre une nouvelle fois l’attachement de la Haute Assemblée à la défense des libertés individuelles.

Enfin, les modalités du contrôle exercé par la CNCTR sur les surveillances internationales sont clairement définies dans la proposition de loi. Si son contrôle ne s’exerce qu’après la délivrance de l’autorisation du Premier ministre, contrairement au régime de droit commun, ses prérogatives significatives témoignent de notre attachement au contrôle nécessaire exercé par cette commission indépendante.

Ce texte répond donc à un véritable besoin de nos services de renseignement et vient combler le vide juridique laissé par la censure du Conseil constitutionnel. Dans la mesure où cette proposition de loi répond dans le détail aux attentes du Conseil constitutionnel et qu’elle respecte l’esprit d’équilibre atteint pour la loi relative au renseignement, les sénateurs du groupe UDI-UC, dans leur majorité, la soutiendront. (Applaudissements sur les travées de l'UDI-UC et du groupe Les Républicains.)

M. le président. La parole est à Mme Cécile Cukierman.

Mme Cécile Cukierman. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, la proposition de loi relative aux mesures de surveillance des communications électroniques internationales connaît un parcours parlementaire assez singulier. En effet, elle a pour origine une décision du Conseil constitutionnel, qui, au mois de juillet dernier, a censuré l’article de la loi relative au renseignement consacré aux mesures de surveillance des communications « émises ou reçues à l’étranger ».

Nous pouvons comprendre que, face à la gravité et à l’ampleur des menaces terroristes, le Gouvernement ait eu besoin de trouver rapidement – avant la publication des décrets d’application – une parade à cette censure pour permettre une entrée en vigueur rapide de l’ensemble du dispositif. Néanmoins, nous lui reprochons d’avoir utilisé le biais d’une proposition de loi sur une matière aussi régalienne que l’action de l’État à l’étranger, qui relève donc du pouvoir exécutif, pour éviter, finalement, une étude d’impact juridique et économique qui nous aurait certainement éclairés. Nous déplorons également le recours à la procédure accélérée s’agissant d’un texte qui a trait aux libertés fondamentales.

J’ai voulu rappeler les raisons et l’enchaînement qui ont conduit au dépôt de cette proposition de loi pour faire comprendre que l’hostilité de notre groupe à son encontre ne tient pas à la forme – encore que certains points soient tout à fait contestables. Comme nous l’avons rappelé en commission la semaine dernière, notre désaccord porte essentiellement sur le fond, c’est-à-dire sur les questions posées et sur la façon dont la proposition de loi y répond.

Ainsi, avec ce texte sur la surveillance des communications internationales, plus encore qu’avec la loi relative au renseignement qui s’applique au territoire national, les techniques choisies et autorisées de collecte massive et indiscriminée des données entraînent de facto une surveillance de masse disproportionnée par rapport aux besoins. Nous estimons, en conséquence, que cette collecte massive de données est dangereuse pour les libertés fondamentales et individuelles.

Nous trouvons pertinent de parler à nouveau de surveillance de masse – que nous avions évoquée lors du débat sur la loi relative au renseignement –, car ces techniques et cette méthode, que certains spécialistes des services appellent « pêche au chalut », nous font bel et bien passer à une autre conception du recueil de renseignements pour défendre l’intérêt national !

L’un des reproches que nous pouvons adresser à ce système de surveillance est de ne pas discriminer suffisamment, voire pas du tout, ses cibles. Il est, de surcroît, peu fiable et d’une efficacité douteuse dans la lutte contre le terrorisme.

Par ailleurs, quand on sait qu’une grande partie du trafic internet mondial passe par les câbles sous-marins français, on comprend facilement que notre pays s’inscrirait de facto dans un système de surveillance mondial.

J’appuierai mon argumentation sur deux exemples.

Le premier se réfère à une discussion en commission des lois au cours de laquelle notre président-rapporteur Philippe Bas a justifié la longueur des délais de conservation des données recueillies par le fait que, la masse d’informations étant excessive par rapport aux besoins réels, il fallait appliquer de nombreux filtres afin d’arriver à des informations réellement utiles. Cela nous paraît de nature à nous interroger sur la fiabilité de ces systèmes qui utilisent des algorithmes permettant peut-être d’identifier ce que l’on cherche mais parmi une masse de données considérables et exploitées dans des conditions tout à fait discutables.

Mon second exemple, encore plus concret, vient du système dit « Skynet », dont se servent les États-Unis pour abattre, au moyen de drones, des individus soupçonnés de terrorisme au Pakistan. Ce programme, utilisé par l’une des multiples agences américaines de renseignement, la NSA, fonctionne sur une très complexe analyse algorithmique de données collectées par les compagnies de téléphonie mobile. Au-delà de l’éthique et de la légitimité de telles pratiques, il faut, en plus, constater que, en matière de lutte contre le terrorisme, les résultats du programme Skynet sont loin d’être efficaces et ont surtout occasionné – malheureusement ! – des erreurs de cibles, des dommages collatéraux irrémédiables. Ce système est de même nature que celui qui serait mis en œuvre si le texte soumis à notre examen était adopté.

Enfin, si l’on raisonne en termes d’efficacité de lutte contre le terrorisme, la collecte massive de données personnelles est tout à fait aléatoire. Or les praticiens du renseignement sont nombreux à considérer que, en matière de recueil des données, la clé de la réussite est avant tout la capacité d’analyse. J’estime donc que, de ce point de vue, cette proposition de loi, qui repose sur une autre logique du renseignement, n’augmente en rien nos capacités dans le domaine de l’analyse.

Un autre point de critique porte sur le fait que ce texte étendrait la surveillance de masse dans des conditions floues, dépourvues de garanties – ou de recours –, ce qui serait extrêmement dangereux pour les libertés fondamentales et individuelles.

Je ne ferai qu’évoquer les aspects les plus contestables de ce texte. Par exemple, il ne détaille pas les modalités d’interceptions autorisées. Ainsi, les contrôles sont plus faibles que pour les données collectées sur le territoire national, ce que le Conseil d’État n’a d’ailleurs pas manqué de relever dans son avis, et ce qui risque – peut-être – de poser des problèmes au regard du droit européen.

À ce propos, ayons présent à l’esprit que la jurisprudence européenne s’est prononcée sur l’accord Safe Harbor, qui régissait l’exploitation commerciale des données privées des Européens vers les États-Unis. Elle en a suspendu la mise en œuvre en indiquant que le régime de protection des données n’était pas satisfaisant. On peut craindre qu’il en soit de même en l’absence de contrôle a priori et de contrôle portant sur le fonctionnement des fichiers. Je pense donc que le mécanisme de contrôle instauré par le texte est insuffisant puisque la CNCTR ne pourra agir qu’après la décision unique du Premier ministre.

Les communications reçues à l’étranger, depuis le territoire national vers un identifiant étranger, le moteur de recherche Google, par exemple, pourront être surveillées sur la base du régime défini dans la proposition de loi. Or chacun utilise quotidiennement ces outils. Toutes les communications sont donc concernées. J’estime que cela donne à nos services de renseignement des pouvoirs trop étendus et disproportionnés par rapport aux missions qui sont les leurs.

Enfin, la durée de conservation des données est injustifiée. Elle est excessive et semble contredire les principes posés par la Cour de justice de l’Union européenne dans son arrêt du 8 avril 2014 invalidant la directive sur la conservation des données.

D’une façon générale, suivant la même démarche que la loi relative au renseignement, ce texte vise à légitimer des pratiques mises en place par les services de renseignement, notamment aux États-Unis et au Royaume-Uni, que nous pensons contraires aux droits civils humains. Notre groupe votera donc contre la proposition de loi, parce qu’il estime que celle-ci porte une atteinte disproportionnée aux libertés publiques au regard des impératifs de la sécurité nationale. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC. – Mme Esther Benbassa applaudit également.)

M. le président. La parole est à M. André Reichardt.

M. André Reichardt. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, la proposition de loi relative aux mesures de surveillance des communications électroniques internationales vient parachever le texte relatif au renseignement, dont nos assemblées ont largement débattu au printemps.

L’ensemble des dispositions de la loi du 24 juillet 2015 a été validé par le Conseil constitutionnel, à l’exception d’un point : le renvoi à un décret au Conseil d’État des dispositions relatives aux conditions d’exploitation, de conservation et de destruction des renseignements collectés en matière de communications électroniques internationales, ainsi que les conditions de contrôle de la CNCTR. L’article 34 de la Constitution prévoit en effet que la fixation des règles concernant les garanties fondamentales accordées aux citoyens pour l’exercice des libertés publiques relève du domaine de la loi.

La nouvelle rédaction qui nous est proposée doit, dès lors, répondre aux exigences du Conseil constitutionnel. Qu’en est-il réellement ?

Avant toute chose, j’aimerais rendre un hommage appuyé à la démarche du président Philippe Bas.

M. Philippe Bas, rapporteur. Merci !

M. André Reichardt. En déposant lui-même une proposition de loi identique à celle de Mme la présidente de la commission des affaires étrangères de l’Assemblée nationale, il a fait le nécessaire auprès de M. le président Gérard Larcher pour que nous puissions bénéficier d’un avis du Conseil d’État sur un texte touchant à un sujet particulièrement sensible, à savoir les libertés publiques. L’analyse juridique du Conseil d’État ne nous exonère en aucun cas de notre travail législatif, mais nous pouvons avec plus de sérénité examiner les tenants et aboutissants de ce texte, sachant qu’ils sont plutôt conformes à nos principes constitutionnels et aux engagements internationaux de notre pays.

La proposition de loi a pour objet de permettre de prélever des informations sur des systèmes de communications internationales auxquels la France est reliée. Ne sont concernées que les communications électroniques internationales : il ne s’agit que de pouvoir surveiller les identifiants dont la source comme la réception sont étrangères. Seuls ces identifiants répondent au dispositif de la proposition de loi, qui est inspiré du régime des interceptions de sécurité mais s’en distingue en quelques points cruciaux du fait de l’échelle internationale du champ d’intervention.

Certes, une complémentarité indéniable existe entre ces deux outils. Pour autant, une interception de sécurité vise une personne en particulier, sur le territoire national et sur le fondement d’éléments connus. En revanche, la surveillance des communications internationales a plutôt pour objet de surveiller des individus dont on ne connaît pas à l’origine les noms, des zones dans lesquelles agissent des groupes qui menacent notre pays ou encore des organisations terroristes identifiées. La distinction entre ces deux types de contrôle implique donc des aménagements évidents, auxquels nous avons prêté attention.

La commission des lois a apporté au texte quelques modifications substantielles qui ne posent pas de souci majeur. Celles-ci ont déjà été évoquées ; je n’y reviendrai donc pas trop longuement.

Outre quelques amendements purement rédactionnels, la commission a adopté une mesure visant à remplacer la notion de « systèmes de communication » par celle de « réseaux de communications », semble-t-il plus précise. Elle a également confié au seul Premier ministre la faculté de désigner les réseaux sur lesquels les interceptions sont autorisées et elle a diminué de douze à dix mois la durée de conservation des correspondances interceptées au titre de la surveillance internationale. Enfin, elle a rendu applicable le régime juridique des opérations matérielles à la mise en œuvre des interceptions de communications électroniques internationales quand celles-ci sont effectuées par des opérateurs de communications électroniques.

À titre personnel, face aux grands dangers auxquels notre pays est confronté, à l’heure de la menace terroriste que nous connaissons toutes et tous et compte tenu des ramifications internationales des réseaux djihadistes, je ne peux que me féliciter de cette mesure de surveillance internationale que nous appelions de nos vœux dans les conclusions de la commission d’enquête sur l’organisation et les moyens de la lutte contre les réseaux djihadistes, que j’ai eu l’honneur de coprésider avec ma collègue Nathalie Goulet.

M. Philippe Bas, rapporteur. Excellente collègue !

M. André Reichardt. Le rapport rédigé par notre excellent collègue Jean-Pierre Sueur au nom de cette commission avait été présenté en séance le 12 mai dernier. Nous y préconisions un renforcement des moyens d’action accordés aux acteurs de la lutte antiterroriste.

Après la loi relative au renseignement, je me félicite que cette proposition de loi y contribue. Elle répond d’autant plus à cette attente que nous savons tous à quel point cette problématique dépasse largement le cadre de nos frontières nationales, le phénomène terroriste étant désormais largement mondialisé, tout comme d’ailleurs d’autres menaces auxquelles notre pays peut être amené à faire face, telles que les trafics internationaux de marchandises en tout genre – stupéfiants, armes, biens culturels, contrefaçons –, voire les trafics de données dans les secteurs de l’industrie, de la recherche et de l’informatique avec le développement des nouvelles technologies.

Pour avoir rencontré dans le cadre de cette commission d’enquête, à Washington, le directeur de la CIA, M. John Brennan, je peux attester de la formidable attente exprimée par ce dernier à l’égard de la convention qui devait lier – à l’époque, elle n’avait pas encore été signée – les États-Unis et la France en matière de lutte contre le terrorisme et de l’échange de données que cette convention impliquait en la matière. Je me réjouis donc personnellement, formellement et sincèrement du dispositif que nous examinons aujourd’hui : il propose un cadre juridique clair et apporte toutes les garanties nécessaires en matière de libertés publiques, tout autant pour les agents des services de renseignement que pour l’ensemble des citoyens.

Pour toutes ces raisons, cela ne posera aucun souci au groupe auquel j’appartiens de soutenir et de voter cette proposition de loi importante et, au final, consensuelle. Il ne s’agit certes que d’une clarification juridique rendue nécessaire par la censure de forme du Conseil constitutionnel – elle ne révèle rien de fondamentalement nouveau, les grands principes ayant été largement débattus dans notre hémicycle et à l’Assemblée nationale au printemps et expliqués ultérieurement à nos concitoyens –, mais il était indispensable d’effectuer une telle clarification pour que nos services de renseignements puissent disposer d’un panel large et complet d’interventions au service de la surveillance du territoire et des intérêts fondamentaux de la nation. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et de l'UDI-UC.)

M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Sueur.

M. Jean-Pierre Sueur. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, rappelons d’abord l’horreur du terrorisme : si l’on ne commence pas ainsi, on ne peut pas comprendre pourquoi ces textes sont proposés.

M. Philippe Bas, rapporteur. C’est vrai !

M. Jean-Pierre Sueur. André Reichardt a fait allusion à l’instant au rapport que nous avons rédigé ensemble dans le cadre de la commission d’enquête sur l’organisation et les moyens de la lutte contre les réseaux djihadistes. Il est clairement apparu au terme de nos travaux que le renseignement était sans doute l’une de nos meilleures armes pour combattre le terrorisme, qui peut frapper quiconque, partout, n’importe quand.

Face à ce fléau terrible, les démocraties doivent réagir, tout en protégeant les libertés. Ce serait en effet la victoire des terroristes que de nous faire renoncer à nos libertés. Je tiens d’ailleurs à rendre hommage à tous ceux, militaires et civils, qui œuvrent dans les services de renseignement, souvent dans des conditions extrêmement difficiles. Nos collègues qui siègent au sein de la délégation parlementaire au renseignement le savent bien.

M. Philippe Bas, rapporteur. Tout à fait !

M. Jean-Pierre Sueur. Cette proposition de loi est nécessaire dans la mesure où elle vient compléter la loi relative au renseignement. Le groupe socialiste pense donc qu’il convient de l’adopter dans le même esprit. Nous considérons en particulier que les finalités de la surveillance internationale relèvent strictement de l’article L. 811–3 du code de la sécurité intérieure, créé par l’article 2 de la loi relative au renseignement.

J’ai entendu l’une de nos collègues, parlant au nom du groupe écologiste, déclarer que ce texte créait un « climat social délétère » et qu’il était « liberticide ». Je ne sais pas si l’on peut dire aux victimes des attentats que ce texte crée un climat délétère... Ne serait-ce pas plutôt le terrorisme ?

Je tiens à saluer les garanties présentes dans ce texte, qu’il s’agisse des autorisations, des conditions d’exploitation, de la conservation et de la destruction des données. Il est vrai que nous avons rencontré le directeur de la CIA, mais les logiques à l’œuvre sont à l’évidence différentes : nous mettons en œuvre des procédures extrêmement respectueuses des libertés tout en tenant l’autre bout de la chaîne, à savoir l’indispensable efficacité des services de renseignement.

M. le ministre Le Drian a annoncé au Sénat, lors du débat sur la loi relative au renseignement, que la plate-forme nationale de cryptage et de décryptement serait contrôlée par la CNCTR. Cela n’avait jamais été dit auparavant. Je tiens aussi à rappeler que la DGSE fonctionnait jadis sans qu’il y eût l’encadrement législatif que nous proposons aujourd’hui.

M. Daniel Reiner. Bien sûr !

M. Jean-Pierre Sueur. Je ne sais pas si cette absence de législation, et donc de contrôle, était liberticide ou si elle créait une situation délétère. À chacun de réfléchir à cette question...

De même, je rappelle que, dans le texte qui nous est soumis ce soir, la protection des magistrats, des avocats, des journalistes et des parlementaires est explicitement prévue.

Pour ce qui est des algorithmes – ce n’est pas un mot diabolique ! –, il est prévu que tout ce qui ne serait pas nécessaire à la surveillance organisée dans les conditions de la loi serait détruit. À l’évidence, lorsqu’on fait appel à des algorithmes, on peut détecter des données qui ne relèvent pas de l’objet même de la surveillance.

Je veux aussi rappeler que la CNCTR disposera d’un accès permanent, complet et direct – cela est issu d’un amendement adopté au Sénat, ne l’oublions pas ! – aux dispositifs de traçabilité portant sur les communications internationales interceptées ainsi qu’aux renseignements collectés et aux transcriptions et extractions réalisées ou relevées. Tout cela est très important !

À ceux qui se demandent à quoi bon lutter contre le terrorisme, puisqu’il peut frapper partout et n’importe quand, et qui considèrent que c’est presque un travail de Sisyphe, je répondrai en citant un auteur auquel je suis très attaché, comme sans doute beaucoup d’entre vous.

À la fin de La Peste, Albert Camus écrit que ce livre est « le témoignage de ce qu’il avait fallu accomplir et que, sans doute, devraient accomplir encore, contre la terreur et son arme inlassable […], tous les hommes qui, ne pouvant être des saints et refusant d’admettre les fléaux, s’efforcent cependant d’être des médecins ». À nous de faire tout notre possible, dans le respect des libertés, pour lutter contre le fléau du terrorisme ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain, ainsi que sur certaines travées de l’UDI-UC. – MM. Jacques Mézard et André Reichardt applaudissent également.)

M. le président. La parole est à M. Daniel Reiner.

M. Daniel Reiner. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, avant d’en venir à la proposition de loi à proprement parler, je formulerai quelques observations.

Il faut espérer – c’est la première observation – que ce texte représente le dernier jalon d’un processus qui modernise un cadre législatif jusqu’alors plutôt léger. Le Livre blanc de la défense de 2008 et celui de 2013 ainsi que les lois de programmation avaient besoin d’une traduction législative spécifique pour prendre le relais de la loi de 1991 sur les interceptions de sécurité. Cette loi était devenue obsolète : elle ne couvrait plus qu’une faible partie d’un champ très élargi par les différentes innovations technologiques de ces vingt-cinq dernières années.

L’objectif de la loi relative au renseignement que nous avons votée assez unanimement le 24 juin dernier répondait donc à une quadruple exigence : passer le cap imposé par les révolutions technologiques en matière de technique de renseignement, notamment la prise en compte du cyberespace ; tirer les conséquences d’un contexte où la menace sécuritaire est devenue plus que jamais transnationale – la situation que nous vivons valide évidemment le concept de continuum entre sécurité intérieure et sécurité extérieure, toutes deux indissociablement liées aujourd'hui aux yeux de tous, et impose une force nouvelle à la fonction stratégique connaissance-anticipation, et par là aux questions liées au renseignement – ; poser un cadre législatif aux services de renseignement ; garantir – ce n’est pas le plus simple – un équilibre entre impératifs de sécurité, découlant d’une situation qui, hélas ! ne relève plus de l’exception, et nos libertés publiques, véritable sel de notre régime républicain.

Sur ces deux derniers points, contrairement à ce que l’on peut lire ou entendre çà et là, le Parlement – c’est la deuxième observation – consolide et œuvre en faveur de l’État de droit qui est le nôtre.

D’ailleurs – c’est la troisième observation –, le Conseil constitutionnel, dans sa décision à laquelle répond la proposition de loi que nous examinons aujourd'hui, rappelle qu’il appartient au législateur d’autoriser et d’encadrer les techniques de renseignement : le législateur n’a pas déterminé « les règles concernant les garanties fondamentales accordées aux citoyens pour l’exercice des libertés publiques ». Je note au passage que les Sages ont validé le reste de la loi relative au renseignement, mais qu’ils ont considéré, pour une fois, que le législateur n’était pas suffisamment intervenu en matière de surveillance internationale, afin que l’État de droit puisse être garanti. D’habitude, ce sont plutôt les empiètements sur le domaine réglementaire qui sont reprochés...

Venons-en aux garanties. Nous considérons que cette mise en forme législative de ce qui était prévu dans les décrets offre précisément des garanties supplémentaires.

Il en va ainsi de l’exclusion du champ de la surveillance internationale des communications ou identifiants rattachables à l’échelon national, à l’exception des personnes faisant d’ores et déjà l’objet d’une autorisation d’interception de sécurité dans le cadre de leur présence sur le territoire national ou présentant un danger avéré pour les intérêts nationaux.

Il en va également ainsi des délais de conservation précisés, car ces délais doivent être nécessairement plus longs : dix mois au moins, comme le préconise le rapporteur de la commission des lois, ou douze mois selon le texte initial. Les difficultés liées à l’exploitation de ces données les justifient largement. C’est non pas un luxe, mais une question de pragmatisme.

Il en va encore ainsi du rôle du Premier ministre, dont la qualité d’autorité est précisée, d’une part, dans la délivrance des autorisations visant la surveillance de tel ou tel système de communication, pour une durée d’un an renouvelable, mais aussi en tant qu’autorité organisatrice des dispositifs d’interception, et, d’autre part, du point de vue organique avec la possibilité qui lui est donnée de déléguer ou non sa signature à un nombre limité de collaborateurs. La délégation ne retire rien à la responsabilité engagée du Premier ministre.

Il en va en outre ainsi du contrôle exercé a posteriori par la Commission nationale de contrôle des techniques de renseignement sur les décisions du Premier ministre. En recevant toutes les autorisations délivrées par le Premier ministre, en disposant d’un accès aux renseignements collectés, cette instance est en mesure de veiller à ce que les techniques employées le soient dans les conditions fixées par le législateur. En cas de refus du Premier ministre de suivre sa recommandation, elle pourra opérer une saisine du Conseil d’État.

Il en va enfin ainsi de l’existence pour le justiciable du droit de saisir en dernier ressort la CNCTR.

Une fois effectives, ces dispositions constitueront un faisceau de garanties consolidant l’État de droit dans un domaine où celui-ci était jusqu’alors pratiquement inexistant.

En résumé, ce texte parachève un édifice qui construit peu à peu une politique publique du renseignement. Alors qu’elle avait accusé un retard considérable sur le plan législatif, en trouvant un savant équilibre entre impératif de sécurité et respect des libertés publiques, la France fait non seulement œuvre utile pour elle-même, mais également pour les autres États européens ; des collègues parlementaires, notamment ceux de l’Assemblée parlementaire de l’OTAN, observent avec attention le travail que nous sommes en train d’accomplir sur le plan législatif en matière de renseignement. Elle évite aussi les excès engendrés aux États-Unis par le Patriot Act à la suite des attentats du 11 septembre 2001.

Je salue le travail accompli en commission des lois, qui a eu le mérite d’améliorer notablement la rédaction de ce texte et de débattre de manière salutaire sur des points tels que les délais de conservation des données ou la délégation ou non de la signature du Premier ministre.

Naturellement, le groupe socialiste votera ce texte. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain, ainsi que sur certaines travées du RDSE et de l'UDI-UC.)

Mme Catherine Troendlé, vice-présidente de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale. Très bien !

M. le président. La parole est à M. Jacques Mézard.

M. Jacques Mézard. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, alors qu’il est souvent reproché au Parlement d’empiéter sur le pouvoir réglementaire, il nous est au aujourd’hui permis de réparer l’incompétence négative du législateur.

Cela a été souligné, le Conseil constitutionnel a censuré l’article L. 854-1 du code de la sécurité intérieure instauré par la loi relative au renseignement, qui concerne les mesures de surveillance des communications électroniques internationales, mesures renvoyées jusque-là à deux décrets en Conseil d’État. Plus précisément, les Sages ont considéré que cette lacune contrevenait à l’article 34 de la Constitution, le législateur n’ayant pas, aux termes de la décision du 23 juillet dernier, « déterminé les règles concernant les garanties fondamentales accordées aux citoyens pour l’exercice des libertés publiques ».

Pour ma part, soucieux du respect des prérogatives du Parlement, ce motif pourrait suffire à emporter mon adhésion, ainsi que celle du RDSE, à cette proposition de loi. C’est en effet un bel exemple qui poursuit une jurisprudence visant à faire respecter « la réserve de la loi ». Par conséquent, ce texte est sans aucun doute bienveillant sur la forme, car il redonne au législateur la plénitude de ses compétences, de surcroît sur un sujet sensible.

Sur le fond, il s’agit avant tout d’étoffer un régime spécifique pour les activités de surveillance des communications électroniques internationales, dont les grandes lignes avaient été posées par la loi relative au renseignement votée au mois de juin dernier. Je souligne que ce régime diffère de celui des interceptions de sécurité, ce dernier ne s’appliquant qu’aux personnes situées sur le territoire national, tandis que le premier vise par nature les communications électroniques émises ou reçues à l’étranger.

Du fait de son champ opérationnel international, le dispositif a été aménagé en conséquence. L’Assemblée nationale, puis la commission des lois du Sénat ont conservé l’essentiel des dispositions de l’article L. 851-1 tout en répondant aux griefs du Conseil constitutionnel. L’objet des mesures de surveillance est détaillé. Les modalités de déclenchement des autorisations et les conditions de leur contrôle sont précisées. La traçabilité des actions est renforcée.

Je me réjouis de deux apports nouveaux de la proposition de loi.

Le premier concerne la protection de l’exercice des professions dites « protégées » et des mandats parlementaires. Nous avons largement insisté sur ce point au mois de juin dernier…

Le second apport a trait à l’extension des conditions dans lesquelles la CNCTR peut saisir la justice administrative, même si, comme j’ai eu l’occasion de le dire lors de précédents débats, je regrette que ce soit le juge administratif qui soit chargé de la protection des libertés individuelles, devenant ainsi le juge de droit commun en matière de voies de fait.

Mes chers collègues, toutes ces mesures participent du projet global qui consiste in fine à garantir la sécurité de nos concitoyens. On ne peut que les soutenir au regard, d’une part, des évolutions technologiques facilitant la cybercriminalité et, d’autre part, du nouveau contexte de menaces, notamment le développement de filières djihadistes et la radicalisation de citoyens français, entraînant des attentats dramatiques sur notre sol.

En 2013, la prévention du terrorisme a représenté 28 % des interceptions réalisées. Si la lutte antiterroriste n’est qu’une des sept finalités définies par la loi qui autorisent les services spécialisés de renseignement à mettre en œuvre les techniques de renseignement, elle n’en constitue pas moins un axe majeur de la politique de sécurité nationale.

Dans cette perspective, le Livre blanc de 2013 et la loi de programmation militaire ont fait du renseignement une priorité. Les ressources humaines, qu’elles soient civiles ou militaires, ont été abondées. Pour autant, si je partage la volonté générale d’améliorer le cadre juridique d’exercice des activités de renseignement, je ne retire pas les réserves que j’ai exprimées avant l’été. Elles intéressent d’autant plus le volet des communications électroniques internationales que celui-ci peut être davantage sujet au rempart du secret-défense, l’instrument ultime d’un arrangement avec la légalité.

Bien sûr, je ne méconnais pas la difficulté à trouver le juste point d’équilibre entre le respect des libertés individuelles et les impératifs de sécurité, entre le principe de protection de la vie privée et le besoin d’efficacité des services. Toutefois, il me semble que l’on aurait pu faire plus s’agissant des garde-fous que l’on est en droit d’attendre quand il s’agit d’encadrer par le droit des activités qui flirtent par contrainte avec les fondamentaux de la démocratie. Je pense en particulier au fait qu’un avis préalable de la Commission nationale de contrôle des techniques de renseignement n’est pas requis pour l’autorisation de surveillance délivrée par le Premier ministre en matière de surveillance internationale ; il s’agit d’un contrôle a posteriori, donc un régime distinct de celui qui est prévu pour les interceptions intérieures. Ne pouvait-on pas lier un peu plus la responsabilité du Premier ministre aux recommandations de la CNCTR ?

Et que dire des limites du caractère consultatif de l’avis de la CNCTR, qui régit l’ensemble des interceptions, qu’elles soient nationales ou internationales ? Car s’il y a le droit qui encadre, il y a aussi la pratique ! Or celle-ci peut se révéler plus ou moins soucieuse du respect des libertés, d’où la nécessité d’avoir un avis pesant sur l’exécutif. À cet égard, je fais miens les propos de Jean-Marie Delarue, président de la Commission nationale de contrôle des interceptions de sécurité, que j’ai eu le plaisir d’auditionner récemment dans le cadre de la commission d’enquête sur le bilan et le contrôle de la création, de l’organisation, de l’activité et de la gestion des autorités administratives indépendantes. Il a affirmé que la loi relative au renseignement, d’une part, et les techniques de saisine, d’autre part, ne donnaient pas les garanties d’un contrôle suffisant. Je n’en dirai pas plus...

Mes chers collègues, monsieur le ministre, vous connaissez l’attachement du RDSE aux valeurs qui fondent le pacte républicain, parmi lesquelles se trouve le respect des libertés publiques. Cependant, nos concitoyens ont aussi droit à une sécurité qui leur permette justement d’éprouver cette liberté sans entrave, sans risque. Aussi, parce qu’il y a peu de marge entre le possible et le souhaitable, la majorité des membres du RDSE votera la proposition de loi. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain, ainsi que sur certaines travées de l'UDI-UC.)

Mme Catherine Troendlé, vice-présidente de la commission des lois. Très bien !

M. le président. La discussion générale est close.

Nous passons à la discussion du texte de la commission.

proposition de loi relative aux mesures de surveillance des communications électroniques internationales

Discussion générale (suite)
Dossier législatif : proposition de loi relative aux mesures de surveillance des communications électroniques internationales
Article 2 (début)

Article 1er

Le code de la sécurité intérieure est ainsi modifié :

1° Le chapitre IV du titre V du livre VIII est ainsi rédigé :

« Chapitre IV

« Des mesures de surveillance des communications électroniques internationales

« Art. L. 854-1. – Dans les conditions prévues au présent chapitre, peut être autorisée, aux seules fins de défense et de promotion des intérêts fondamentaux de la Nation mentionnés à l’article L. 811-3, la surveillance des communications qui sont émises ou reçues à l’étranger.

« Cette surveillance, qu’elle porte sur des correspondances ou sur des données de connexion, est exclusivement régie par le présent chapitre.

« Les mesures prises à ce titre ne peuvent avoir pour objet d’assurer la surveillance individuelle des communications de personnes utilisant des numéros d’abonnement ou des identifiants techniques rattachables au territoire national, à l’exception du cas où ces personnes communiquent depuis l’étranger et, soit faisaient l’objet d’une autorisation d’interception de sécurité, délivrée en application de l’article L. 852-1, à la date à laquelle elles ont quitté le territoire national, soit sont identifiées comme présentant une menace au regard des intérêts fondamentaux de la Nation mentionnés à l’article L. 811-3.

« Sous réserve des dispositions particulières du troisième alinéa du présent article, lorsqu’il apparaît que des communications électroniques interceptées sont échangées entre des personnes ou des équipements utilisant des numéros d’abonnement ou des identifiants techniques rattachables au territoire national, y compris lorsque ces communications transitent par des équipements non rattachables à ce territoire, celles-ci sont instantanément détruites.

« Art. L. 854-2. – I. – Le Premier ministre désigne, par une décision motivée, les réseaux de communications électroniques sur lesquels il autorise l’interception des communications émises ou reçues à l’étranger, dans les limites fixées à l’article L. 854-1.

« II. – Sur demande motivée des ministres, ou de leurs délégués, mentionnés au premier alinéa de l’article L. 821-2, le Premier ministre, ou l’une des personnes déléguées mentionnées à l’article L. 821-4, peut autoriser l’exploitation non individualisée des données de connexion interceptées.

« L’autorisation désigne :

« 1° La ou les finalités poursuivies parmi celles mentionnées à l’article L. 811-3 ;

« 2° Le ou les motifs des mesures ;

« 3° Le ou les services mentionnés à l’article L. 811-2 en charge de cette exploitation ;

« 4° Le type de traitements automatisés pouvant être mis en œuvre, en précisant leur objet.

« L’autorisation, renouvelable dans les mêmes conditions que celles prévues au présent II, est délivrée pour une durée maximale d’un an.

« III. – Sur demande motivée des ministres, ou de leurs délégués, mentionnés au premier alinéa de l’article L. 821-2, le Premier ministre ou l’un de ses délégués peut également délivrer une autorisation d’exploitation de communications, ou de seules données de connexion, interceptées.

« L’autorisation désigne :

« 1° La ou les finalités poursuivies parmi celles mentionnées à l’article L. 811-3 ;

« 2° Le ou les motifs des mesures ;

« 3° Les zones géographiques ou les organisations, groupes de personnes ou personnes concernés ;

« 4° Le ou les services mentionnés à l’article L. 811-2 en charge de cette exploitation.

« L’autorisation, renouvelable dans les mêmes conditions que celles prévues au présent III, est délivrée pour une durée maximale de quatre mois.

« Art. L. 854-3. – Les personnes qui exercent en France un mandat ou une profession mentionné à l’article L. 821-7 ne peuvent faire l’objet d’une surveillance individuelle de leurs communications à raison de l’exercice du mandat ou de la profession concernée.

« Art. L. 854-4. – L’interception et l’exploitation des communications en application du présent chapitre font l’objet de dispositifs de traçabilité organisés par le Premier ministre après avis de la Commission nationale de contrôle des techniques de renseignement. Le Premier ministre définit les modalités de la centralisation des renseignements collectés.

« Art. L. 854-5. – Sous réserve des dispositions particulières de l’article L. 854-8, les renseignements collectés en application du présent chapitre sont détruits à l’issue d’une durée de :

« 1° Dix mois, à compter de leur première exploitation, pour les correspondances, dans la limite d’une durée de quatre ans à compter de leur recueil ;

« 2° Six ans à compter de leur recueil pour les données de connexion.

« Pour ceux des renseignements qui sont chiffrés, le délai court à compter de leur déchiffrement. Ils ne peuvent être conservés plus de huit ans à compter de leur recueil.

« Dans une mesure strictement nécessaire aux besoins de l’analyse technique et à l’exclusion de toute utilisation pour la surveillance des personnes concernées, les renseignements collectés au titre du présent chapitre qui contiennent des éléments de cyberattaque ou qui sont chiffrés, ainsi que les renseignements déchiffrés associés à ces derniers, peuvent être conservés au-delà des durées mentionnées au présent article.

« Par dérogation au présent article, les renseignements qui concernent une requête dont le Conseil d’État a été saisi ne peuvent être détruits. À l’expiration des délais prévus au même article, ils sont conservés pour les seuls besoins de la procédure devant le Conseil d’État.

« Art L. 854-6. – Sous réserve des dispositions particulières de l’article L. 854-8, les renseignements collectés en application du présent chapitre sont exploités par le ou les services mentionnés à l’article L. 811-2 désignés par l’autorisation.

« Les renseignements ne peuvent être collectés, transcrits ou extraits pour d’autres finalités que celles mentionnées à l’article L. 811-3.

« Les transcriptions ou les extractions doivent être détruites dès que leur conservation n’est plus indispensable à la poursuite des finalités mentionnées à l’article L. 811-3.

« Les opérations de destruction des renseignements collectés, les transcriptions et les extractions sont effectuées par des agents individuellement désignés et habilités et font l’objet de relevés.

« Art. L. 854-7. – Les conditions prévues à l’article L. 871-6 sont applicables aux opérations matérielles effectuées par les opérateurs de communications électroniques pour la mise en œuvre des mesures prévues au I de l’article L. 854-2.

« Art. L. 854-8. – Lorsque les correspondances interceptées renvoient à des numéros d’abonnement ou à des identifiants techniques rattachables au territoire national, elles sont exploitées dans les conditions prévues aux IV et V de l’article L. 852-1 et conservées et détruites dans les conditions prévues aux articles L. 822-2 à L. 822-4, sous le contrôle de la Commission nationale de contrôle des techniques de renseignement. Le délai de conservation des correspondances court toutefois à compter de leur première exploitation mais ne peut excéder six mois à compter de leur recueil. Les données de connexion associées à ces correspondances sont conservées et détruites dans les conditions prévues aux mêmes articles L. 822-2 à L. 822-4.

« Art. L. 854-9. – La Commission nationale de contrôle des techniques de renseignement reçoit communication de toutes les décisions et autorisations mentionnées à l’article L. 854-2. Elle dispose d’un accès permanent, complet et direct aux dispositifs de traçabilité mentionnés à l’article L. 854-4, aux renseignements collectés, aux transcriptions et extractions réalisées ainsi qu’aux relevés mentionnés à l’article L. 854-6. À sa demande, elle peut contrôler les dispositifs techniques nécessaires à l’exécution des décisions et autorisations. Si la surveillance des personnes mentionnées au troisième alinéa de l’article L. 854-1 n’a pas déjà fait l’objet d’une autorisation spécifique, leur identité est portée sans délai à la connaissance de la commission.

« La commission peut solliciter du Premier ministre tous les éléments nécessaires à l’accomplissement de ses missions.

« L’article L. 833-3 est applicable aux contrôles effectués par la commission en application du présent article.

« De sa propre initiative ou sur réclamation de toute personne souhaitant vérifier qu’aucune mesure de surveillance n’est irrégulièrement mise en œuvre à son égard, la commission s’assure que les mesures mises en œuvre au titre du présent chapitre respectent les conditions qu’il fixe ainsi que celles définies par les textes pris pour son application et par les décisions et autorisations du Premier ministre ou de ses délégués. Elle notifie à l’auteur de la réclamation qu’il a été procédé aux vérifications nécessaires, sans confirmer ni infirmer la mise en œuvre de mesures de surveillance.

« Lorsqu’elle constate un manquement au présent chapitre, la commission adresse au Premier ministre une recommandation tendant à ce que le manquement cesse et que les renseignements collectés soient, le cas échéant, détruits. Lorsque le Premier ministre ne donne pas suite à cette recommandation ou que les suites qui y sont données sont estimées insuffisantes, le Conseil d’État, statuant dans les conditions prévues au chapitre III bis du titre VII du livre VII du code de justice administrative, peut être saisi par le président ou par au moins trois membres de la commission.

« La commission peut adresser à tout moment au Premier ministre les recommandations et les observations qu’elle juge nécessaires au titre du contrôle qu’elle exerce sur l’application du présent chapitre. » ;

2° Au début du premier alinéa de l’article L. 841-1, sont ajoutés les mots : « Sous réserve des dispositions particulières prévues à l’article L. 854-9 du présent code, ».

M. le président. La parole est à M. Alain Duran, sur l'article.

M. Alain Duran. Au début du mois de juin dernier, dans le cadre de l’examen du projet de loi relatif au renseignement, j’ai déposé un amendement visant à restreindre le champ des communications pouvant être rattachées au régime de la surveillance internationale, au motif que ce régime international comprenait moins de garanties et était imprécis concernant les contrôles des activités des services de renseignement. C’est sur ce dernier point que l'article du projet de loi relatif au renseignement a été censuré par le Conseil constitutionnel. Il revient aujourd’hui sous la forme de cette proposition de loi. Je tiens dès lors à effectuer quelques remarques avant l’examen des amendements.

Tout d’abord, il ne s’agit aucunement d’empêcher les services de renseignement de mettre en œuvre des techniques de surveillance lorsqu’ils ont des raisons légitimes de le faire. Il est indispensable qu’ils en aient les moyens, et cela ne saurait être remis en question lorsque les intérêts fondamentaux de la nation sont menacés. Il s’agit néanmoins, au regard de l’importance de l’atteinte à la vie privée que le texte autorise, à la fois de promouvoir les garanties permettant de s’assurer d’une stricte proportionnalité dans l’usage de ces techniques et de prévenir les usages dévoyés qui pourraient en être faits. En effet, tous les citoyens français sont concernés par cette loi. À partir du moment où ils se connectent à un site hébergé à l’étranger ou échangent un mail avec une personne installée dans un autre pays, leurs communications peuvent être surveillées sous ce régime international. Seules les communications et navigations sur internet strictement franco-françaises ne seront pas concernées par ce texte.

Ensuite, ce régime international est caractérisé par un contrôle allégé, qui ne s’effectue qu’a posteriori, c'est-à-dire après l’atteinte à la vie privée et au secret des correspondances.

Par ailleurs, les personnes qui exercent un mandat ou une profession sensible – les parlementaires, les journalistes, les avocats et les magistrats – peuvent faire l’objet d’une surveillance sous ce régime de contrôle allégé. Certes, le texte prévoit un principe général protecteur, mais il n’empêche pas les autorisations de surveillance très problématiques. Nous y reviendrons lors de l’examen des amendements.

Enfin, et c’est là la principale nouveauté de ce texte par rapport à la loi relative au renseignement, l’utilisation des algorithmes, ces fameuses « boîtes noires », n’est plus limitée à la seule lutte contre la menace terroriste. Elle devient possible pour toutes les autres finalités. Ce point mérite d’être souligné et débattu avec attention, compte tenu du changement de paradigme qu’il instaure. En effet, ce dispositif permet la recherche de comportements suspects sur la base de traitements automatiques par analyse de régularités statistiques dans les données de citoyens qui ne sont pourtant pas identifiés comme présentant une menace.

Les amendements que plusieurs de mes collègues et moi-même présenterons viseront à discuter de ces problématiques.

M. le président. L'amendement n° 1 rectifié, présenté par M. Duran, Mmes Bonnefoy et Bataille, MM. Cabanel et Durain, Mme Jourda, MM. Lalande et Leconte et Mmes Lienemann et Lepage, est ainsi libellé :

Alinéa 8

Après les mots :

communications transitent

insérer les mots :

ou sont stockées

La parole est à M. Alain Duran.

M. Alain Duran. Le texte prévoit la destruction instantanée des communications interceptées lorsqu’elles sont de bout en bout franco-françaises. Dans ce cas, elles ne doivent pas être rattachées au régime international. Le texte précise pour cela que les communications transitant à l’étranger sont exclues de cette catégorie.

Par cohérence, il convient d’ajouter que les communications franco-françaises qui sont stockées par des équipements situés à l’étranger sont également exclues de la catégorie des communications internationales. Compte tenu des usages et de la structure d’internet, une part considérable des communications des citoyens français est en effet stockée sur des serveurs installés à l’étranger. C’est ainsi le cas de nos mails, qui peuvent être conservés sur un webmail, nos données, qui peuvent être sauvegardées sur un cloud, et de nos échanges sur les réseaux sociaux. Tel qu’il est actuellement rédigé, le texte ne couvre pas nécessairement ces situations.

« Transiter » désigne le fait de traverser un espace géographique sans s’y arrêter, mais non le fait de s’arrêter sur un territoire étranger, ce qui est le cas d’une donnée stockée sur un serveur hébergé à l’étranger. La précision du transit n’est pas exclusive, mais les auteurs de la proposition de loi ont tenu à l’ajouter afin de dissiper les doutes. De la même façon, assurons-nous que les situations dans lesquelles les communications sont stockées sur un serveur étranger sont également couvertes. Cette précision est conforme à l’esprit du texte et au projet des auteurs de ne rattacher au régime international que les communications franco-étrangères et celles qui sont de bout en bout étrangères.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

M. Philippe Bas, rapporteur. L’alinéa 8 englobe nécessairement le stockage. Par conséquent, je vous demande, mon cher collègue, de bien vouloir retirer votre amendement ; à défaut, l’avis sera défavorable.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Jean-Yves Le Drian, ministre. le Gouvernement émet le même avis, pour les mêmes raisons.

M. le président. Monsieur Duran, l'amendement n° 1 rectifié est-il maintenu ?

M. Alain Duran. Oui, monsieur le président.

M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° 1 rectifié.

(L'amendement n'est pas adopté.)

M. le président. Je suis saisi de quatre amendements faisant l'objet d'une discussion commune.

L'amendement n° 7, présenté par Mme Benbassa et les membres du groupe écologiste, est ainsi libellé :

Alinéas 10 à 23

Supprimer ces alinéas.

La parole est à Mme Esther Benbassa.

Mme Esther Benbassa. Les alinéas 10 à 23 visent notamment à prévoir que le Premier ministre peut autoriser l’exploitation non individualisée des données de connexion interceptées, sur demande motivée des ministres compétents. Il s’agit de prévoir des mécanismes d’interception massifs de données. Contrairement à ce qui était prévu dans la loi relative au renseignement, l’utilisation de ces mécanismes n’est plus limitée à la seule détection de menaces terroristes. Elle est étendue à l’ensemble des finalités.

Les systèmes de captation massifs de correspondances autorisés dans ces alinéas n’étaient pas prévus dans l’article de la loi relative au renseignement censuré par le Conseil constitutionnel. Ces dispositions sont un détournement du régime de droit commun. L’exploitation non individualisée des données de connexion associées à des communications internationales sera beaucoup plus largement autorisée que celle des données associées à des communications nationales. Ce n’est pas acceptable !

M. le président. L'amendement n° 2 rectifié, présenté par M. Duran, Mmes Bonnefoy et Bataille, MM. Cabanel et Lalande et Mmes Lienemann et Lepage, est ainsi libellé :

Alinéa 15

Avant les mots :

Le type

insérer les mots :

Pour les seuls besoins de la prévention du terrorisme,

La parole est à M. Alain Duran.

M. Alain Duran. Comme vient de le rappeler ma collègue Benbassa, l’autorisation de traitement automatisé des données personnelles pour des finalités autres que la prévention du terrorisme n’était pas prévue dans la loi relative au renseignement.

Le texte prévoit la possibilité d’intercepter des données personnelles et de les analyser par un traitement automatisé basé sur des régularités statistiques. Ce traitement par algorithmes visant à détecter des comportements suspects pourra notamment être appliqué aux données des citoyens français dès lors qu’elles sont échangées à l’international, ce qui n’est pas rare compte tenu de nos usages et du fonctionnement d’internet.

Cet amendement vise donc à limiter l’utilisation de ces techniques à la seule fin de prévenir des actes terroristes. Il vise à rappeler que de tels dispositifs n’ont été admis par le Parlement, après de longs débats, que face à la gravité des menaces terroristes, tant ils laissent craindre des dérives problématiques en termes de respect de la vie privée et des libertés individuelles.

À cet égard, permettez-moi de rappeler les dispositions de l’article 10 de la loi relative à l’informatique, aux fichiers et aux libertés de 1978 : « Aucune décision de justice impliquant une appréciation sur le comportement d’une personne ne peut avoir pour fondement un traitement automatisé de données à caractère personnel destiné à évaluer certains aspects de sa personnalité. Aucune autre décision produisant des effets juridiques à l’égard d’une personne ne peut être prise sur le seul fondement d’un traitement automatisé de données destiné à définir le profil de l’intéressé ou à évaluer certains aspects de sa personnalité. »

M. le président. L'amendement n° 6 rectifié bis, présenté par MM. Leconte et Duran et Mmes Lienemann et Bonnefoy, est ainsi libellé :

Après l'alinéa 22

Insérer un alinéa ainsi rédigé :

« Cette autorisation peut prévoir l'exclusion de certains numéros d'abonnement ou identifiants techniques de toute surveillance ou, pour certains numéros ou identifiants, des conditions particulières d'accès aux communications.

La parole est à M. Jean-Yves Leconte.

M. Jean-Yves Leconte. Cet amendement vise à permettre que l’autorisation d’exploitation de communications ou de seules données de connexion, interceptées, peut « prévoir l’exclusion de certains numéros d’abonnement ou identifiants techniques de toute surveillance ou, pour certains numéros ou identifiants, des conditions particulières d’accès aux communications ».

Cette possibilité, qui figurait dans le texte issu de l’Assemblée nationale, a été supprimée par la commission des lois du Sénat. Le présent amendement vise donc à la réintroduire. En effet, elle permettrait de garantir le cadre des captations autorisées par le Premier ministre dans une zone géographique donnée et de ne pas y intercepter les communications de personnes qu’il souhaite exclure de cette surveillance.

Le principe de base dans les relations internationales étant la réciprocité, il est préférable de prévoir ce type de garanties pour l’action de nos services de renseignement.

M. le président. L'amendement n° 8, présenté par Mme Benbassa et les membres du groupe écologiste, est ainsi libellé :

I. – Après l’alinéa 23

Insérer six alinéas ainsi rédigés :

« Art. L. 854-2-1– Sur demande motivée des ministres, ou de leurs délégués, mentionnés au premier alinéa de l'article L. 821-2, le Premier ministre, ou l’un de ses délégués, autorise la surveillance individualisée d'une personne.

« L'autorisation désigne :

« 1° La ou les finalités poursuivies parmi celles mentionnées à l'article L. 811-3 ;

« 2° Le ou les motifs justifiant cette surveillance ;

« 3° Sa durée de validité ;

« 4° Le ou les services mentionnés à l'article L. 811-2 en charge de cette surveillance.

II. – Alinéa 38, première phrase

Compléter cette phrase par les mots :

et à l’article L. 854-2-1.

La parole est à Mme Esther Benbassa.

Mme Esther Benbassa. Cet amendement a pour objet de prévoir une procédure d'autorisation des mesures de surveillance individualisée. Si la surveillance individualisée est prévue par la proposition de loi, aux alinéas 7 et 24, aucun encadrement ni aucune mesure d'autorisation ne figure dans le texte, comme c’est le cas pour les mesures de surveillance non individualisées. Dès lors, le contrôle a posteriori prévu par la CNCTR sera rendu très difficile, pour ne pas dire totalement impossible.

Un tel vide n’est pas acceptable dans une proposition de loi ayant pour objet de donner un cadre législatif à l'activité des services de renseignement à l'étranger. C'est pourquoi cet amendement tend à prévoir que les mesures de surveillance individualisées sont prises sur autorisation du Premier ministre ou de l'un de ses délégués. L’amendement tend en outre à préciser que l’autorisation doit désigner la ou les finalités poursuivies, le ou les motifs justifiant cette surveillance, la durée de validité de l’autorisation et le ou les services mentionnés à l’article L. 811-2 en charge de cette surveillance.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

M. Philippe Bas, rapporteur. L’adoption de l’amendement n° 7 remettrait en cause l’objet même de ce texte, qui est de fournir un cadre légal à la mise en œuvre de techniques permettant d’intercepter de très nombreuses communications, non pas pour l’intérêt qu’elles pourraient toutes représenter, mais parce que c’est le moyen d’effectuer une sorte de zoom et de se rapprocher progressivement d’une réalité afin d’obtenir des renseignements utiles à la réalisation d’objectifs fondamentaux de la nation. La surveillance de communications non individualisées a priori traduit une exigence à la fois de sécurité et de recherche d’informations utiles, par exemple dans le domaine économique. Or il faut bien l’encadrer. C’est la raison pour laquelle nous ne pouvons pas accepter cet amendement.

Restreindre, comme tend à le prévoir l’amendement n° 2 rectifié, aux seuls besoins de la prévention du terrorisme la mise en œuvre des techniques de renseignement de données non individualisées, c’est affaiblir les chances de la France de défendre ses intérêts. La commission des lois est hostile à une telle restriction dès lors que ces dispositifs sont encadrés et préservent le droit des nationaux au respect de leur vie privée.

L’amendement n° 6 rectifié bis vise à rétablir le texte de l’Assemblée nationale. Or nous n’avons pas souhaité reprendre ce dispositif, parce que nous considérons qu’il va sans dire que le Premier ministre peut écarter de la surveillance un certain nombre d’identifiants ou de numéros d’abonnement. Je pense par exemple à l’application de la convention de Vienne, qui protège le secret des correspondances des diplomates. Nul n’est donc besoin d’apporter une précision qui pourrait donner lieu à une interprétation a contrario.

Enfin, la commission a émis un avis défavorable sur l’amendement n° 8, qui est en réalité la conséquence de l’amendement n° 7. Mme Benbassa souhaite empêcher la mise en œuvre de systèmes permettant de procéder à l’interception de très nombreuses communications, mais elle accepterait la mise en place de systèmes d’interception individualisés. Pour notre part, nous pensons que de tels dispositifs ne sont pas suffisants pour défendre nos intérêts nationaux.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Jean-Yves Le Drian, ministre. Les auteurs des amendements nos 7 et 2 rectifié ont raison de souligner que l’exploitation non individualisée des données de connexion associées à des communications internationales est permise plus largement que celle des données associées aux communications nationales. En effet, les traitements automatisés qui servent à l’exploitation non individualisée – laquelle est donc, je le souligne, moins attentatoire à la vie privée que l’exploitation individualisée – doivent avoir, s’agissant des communications nationales, pour seule finalité la lutte contre le terrorisme alors qu’ils peuvent répondre à d’autres fins pour les communications internationales.

Oui, c’est vrai, mais le Gouvernement assume, de même que les auteurs de la proposition de loi, ainsi que, manifestement, M. le rapporteur et la commission des lois du Sénat !

Sur ces points, comme sur d’autres, par exemple les durées de conservation ou le moment de l’intervention de la CNCTR, le régime de surveillance des communications internationales vise à préserver un équilibre entre exigences opérationnelles et protection de la vie privée plus favorable aux besoins des services que celui qui s’applique aux communications nationales. La justification en est simple : les personnes surveillées à l’étranger sont dans une situation différente de celle des personnes surveillées en France, comme l’a confirmé le Conseil d’État. Or il est très utile de pouvoir exploiter les données de connexion pour d’autres finalités que la prévention du terrorisme.

Il est essentiel de mettre en place des traitements automatisés des communications internationales afin d’identifier leur routage et de pouvoir effectuer ensuite des écoutes ciblées permettant de répondre à l’ensemble des finalités prévues par l’article L. 811-3 du code de la sécurité intérieure issu de la loi du 24 juillet dernier. C’est l’une des raisons pour lesquelles le cantonnement des algorithmes à la seule prévention du terrorisme dans le champ des communications internationales n’est pas pertinent.

Le Gouvernement est donc défavorable à ces deux amendements. Je voudrais d’ailleurs préciser à Mme Benbassa qu’elle se trompe lorsqu’elle dit que la précédente version de la loi n’offrait pas cette possibilité d’exploitation non individualisée des données de connexion aux services. Cette possibilité était offerte, mais elle était moins encadrée. En effet, dans la version votée en juin, seuls deux niveaux d’autorisation étaient prévus, et l’exploitation des données de connexion était attachée à la première autorisation de captation des données. Le texte décompose désormais trois étapes d’autorisation. Le dispositif initial permettait cette possibilité, mais il est désormais plus encadré.

L’amendement n° 6 rectifié bis reprend le texte issu des travaux de l’Assemblée nationale, sur lequel le Gouvernement avait émis un avis favorable. Étant donné la position de la commission des lois, je m’en remets à la sagesse du Sénat.

En ce qui concerne l’amendement n° 8, je rejoins la position de la commission des lois.

M. le président. La parole est à M. Alain Fouché, pour explication de vote.

M. Alain Fouché. Il est clair, tout le monde l’a expliqué, que le terrorisme se développe et que les risques sont de plus en plus importants. Il est indispensable de recueillir des renseignements, il y va de la sécurité des Français.

Globalement, je voterai cette proposition de loi, mais il faudra vraiment prévoir un contrôle très strict des pratiques afin d’éviter les dérives, car les risques de dérive sont réels. Dans ce contexte, l’amendement n° 2 rectifié me paraît intéressant ; je m’abstiendrai.

L’amendement n° 6 rectifié bis vise à permettre que l’autorisation puisse prévoir l’exclusion de certains numéros d’abonnement ou identifiants techniques de toute surveillance ou, pour certains numéros ou identifiants, des conditions particulières d’accès aux communications. Cette disposition assurerait une meilleure sécurité. Le président Bas nous indique que c’est prévu, mais cela irait encore mieux en le disant. Pour ma part, je voterai cet amendement.

M. le président. La parole est à Mme Nicole Bonnefoy, pour explication de vote.

Mme Nicole Bonnefoy. En tant que cosignataire des amendements déposés par mon collègue Alain Duran, je souhaite insister sur l’importance de l’amendement n° 2 rectifié.

Cet amendement permet de mettre en exergue un point essentiel de la proposition de loi, qui représente une nouveauté majeure par rapport à la loi relative au renseignement et qui n’a pas encore été débattu.

L’utilisation de traitements automatisés pour l’analyse des données personnelles des citoyens est désormais autorisée pour toutes les finalités prévues dans la loi relative au renseignement, et non plus seulement pour les seuls besoins de la prévention du terrorisme. À l’époque, les débats avaient pourtant été intenses lorsqu’il s’était agi de savoir s’il était préférable ou non d’entrer dans un paradigme nouveau, qui autorise désormais la recherche prédictive de comportements suspects sur le fondement de régularités statistiques. Il avait finalement été décidé qu’un tel dispositif, si contestable soit-il, constituait certainement un « mal nécessaire » au regard de la férocité des menaces terroristes qui pèsent actuellement sur notre pays.

Le 3 juin dernier, dans cet hémicycle, vous aviez indiqué, monsieur le ministre, que « seule la finalité de prévention du terrorisme justifie l’usage de ces dispositifs ».

M. Jean-Yves Le Drian, ministre. Au niveau national !

Mme Nicole Bonnefoy. Souhaitons-nous désormais étendre l’utilisation de tels algorithmes pour repérer les comportements suspects au regard des engagements internationaux de la France ou de ses intérêts économiques ?

La question se pose lorsque l’on considère que ces algorithmes pourront être utilisés pour la surveillance des communications de tous les citoyens français, à partir du moment où ils se connectent à un site hébergé à l’étranger, appellent ou échangent un mail avec un correspondant étranger.

L’argument selon lequel les autres pays le font aussi ne suffit pas à épuiser le débat. Ce n’est pas être naïf que de le rappeler, c’est être respectueux des principes qui constituent un État de droit.

À ceux qui avanceront qu’il n’y a plus de débat dès lors que le Conseil constitutionnel a validé l’essentiel de la loi relative au renseignement ou que le Conseil d’État n’a pas émis d’avis défavorable sur le dispositif similaire prévu dans la proposition de loi déposée par Philippe Bas, je répondrai : à quoi bon sert le Sénat ?

Enfin, peut-on techniquement faire autrement au niveau international ? Je n’ai certainement pas les moyens de le dire, mais si la réponse est négative, il sera difficile de plaider que la collecte de nos données n’est pas effectuée de manière massive.

M. le président. La parole est à M. Alain Richard, pour explication de vote.

M. Alain Richard. Je souhaite suggérer à mes collègues et amis de groupe qu’une partie au moins de la motivation de leurs amendements présente une fragilité. Notre collègue Duran évoque les principes de la loi relative à l’informatique, aux fichiers et aux libertés, conçus voilà quarante ans, pour refuser d’accorder des pouvoirs à la CNCTR. Je rappelle que ladite loi a toujours fait réserve des considérations de sécurité nationale ; il n’y a donc pas d’incohérence.

Quant à notre collègue et ami Jean-Yves Leconte, qui espère une réciprocité entre puissances internationales en matière d’encadrement des activités des services de renseignement, il me semble que son expérience gagnerait à être complétée. (Sourires.)

M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° 7.

(L'amendement n'est pas adopté.)

M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° 2 rectifié.

(L'amendement n'est pas adopté.)

M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° 6 rectifié bis.

(L'amendement n'est pas adopté.)

M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° 8.

(L'amendement n'est pas adopté.)

M. le président. Je suis saisi de trois amendements faisant l'objet d'une discussion commune.

L'amendement n° 5 rectifié, présenté par M. Leconte, Mme Lepage, M. Yung et Mme Conway-Mouret, est ainsi libellé :

Alinéa 24

1° Remplacer les mots :

en France

par les mots :

soit en France soit à l’étranger pour le compte d’intérêts français

2° Après le mot :

communications

rédiger ainsi la fin de la phrase :

que dans les conditions les concernant sur le territoire national prévues au titre II du présent livre

3° Compléter cet alinéa par trois phrases ainsi rédigées :

La captation des communications des personnes qui exercent soit en France soit à l’étranger pour le compte d’intérêts français un mandat ou une profession mentionné à l’article L. 821–7 doit faire l’objet d’une information de la Commission nationale de contrôle des techniques de renseignement dans un délai de vingt-quatre heures. La Commission transmet alors un avis au Premier ministre qui, soit autorise la poursuite de cette captation soit ordonne la destruction immédiate de l’ensemble des données collectées relatives à ces personnes. La Commission et le Premier ministre ont respectivement chacun vingt-quatre heures afin de rendre leurs avis et décision.

La parole est à M. Jean-Yves Leconte.

M. Jean-Yves Leconte. Il est logique, j’en conviens, monsieur le ministre, que les conditions de contrôle pour les interceptions de communications internationales ne soient pas les mêmes que pour les communications nationales. Toutefois, cela a été dit par notre collègue Duran, il existe des communications via Skype, les réseaux sociaux et certaines messageries dont on ne sait pas exactement si elles sont exclusivement nationales ou internationales. Les personnes qui travaillent à l’étranger ou qui se rendent à l’étranger de temps en temps méritent également des mesures de sécurité spécifiques.

C'est la raison pour laquelle cet amendement vise à mieux protéger les personnes exerçant un mandat ou une profession dite sensible dans le cadre d’une surveillance internationale de leurs communications, qu’elle concerne un groupe de personnes dans le cadre d’une captation « globale », qui ne s’opère pas sur le territoire national de la même manière, ou qu’elle soit individuelle. Dans les deux cas, nous proposons d’étendre cette protection aux personnes exerçant à l’étranger pour le compte d’intérêts français, car il ne faut pas que la France fragilise ceux qui travaillent pour elle à l’étranger dans le cadre de leurs obligations de secret professionnel par rapport au pays où ils exercent leur activité.

L’amendement tend donc à aligner pour ces personnes le régime relatif à la surveillance individuelle des communications internationales sur celui des communications émises ou reçues sur le territoire national, dès lors qu’aucune raison ne préside à ce qu’une distinction soit opérée, compte tenu de ce que j’ai dit au début de mon intervention.

Enfin, ce dispositif permet de ne pas laisser sans information de la CNCTR et sans autorisation du Premier ministre une captation de communications internationales englobant, après constatation, celle d’une personne exerçant en France une profession protégée dans le cadre d’une communication internationale ou une profession protégée exerçant pour des intérêts français, mais à l’étranger. Je pense en particulier à des journalistes enquêtant à l’international pour des journaux français, à des avocats inscrits dans un barreau français qui exercent aussi à l’étranger et interviennent dans des procédures en France. Si une captation globale conduisait à des interceptions concernant ce type de professions, il conviendrait d’en informer automatiquement la CNCTR et d’obtenir l’autorisation du Premier ministre pour continuer ces interceptions.

M. le président. L'amendement n° 9, présenté par Mme Benbassa et les membres du groupe écologiste, est ainsi libellé :

Alinéa 24

Après le mot :

communications

rédiger ainsi la fin de cet alinéa :

qu'après une autorisation préalable du Premier ministre, délivrée après l'avis de la Commission nationale de contrôle des techniques de renseignement mentionné à l'article L. 821–1. Elles ne peuvent faire l’objet d’une surveillance individuelle de leurs communications à raison de l’exercice du mandat ou de la profession concernée.

La parole est à Mme Esther Benbassa.

Mme Esther Benbassa. Cet amendement a pour objet de prévoir la protection des personnes exerçant en France un mandat de parlementaire, la profession d'avocat, de magistrat ou de journaliste. Sont notamment concernés les avocats inscrits à plusieurs barreaux ou des journalistes travaillant en partie en France et en partie à l’étranger.

Ces personnes ne doivent pas être soumises aux mesures de surveillance internationale sans avis préalable de la CNCTR, dès lors qu'elles exercent habituellement sur le territoire français. Il s'agirait sinon d'un véritable détournement de procédure.

M. le président. L'amendement n° 3, présenté par M. Duran, Mmes Bonnefoy et Bataille, M. Lalande et Mme Lienemann, est ainsi libellé :

Après l'alinéa 24

Insérer un alinéa ainsi rédigé :

« Les personnes exerçant en France ou hors du territoire national un mandat ou une profession mentionné à l'article L. 821-7 ne peuvent faire l'objet d'une surveillance qu'après une autorisation préalable du Premier ministre, délivrée après l'avis de la Commission nationale de contrôle des techniques de renseignement mentionné à l'article L. 821-1.

La parole est à M. Alain Duran.

M. Alain Duran. La proposition de loi prévoit un principe général protecteur pour les professions sensibles les excluant de la surveillance. Toutefois, ce principe comporte des conditions qui laissent ouvertes des possibilités de surveillance lorsque les personnes n’exercent pas en France, lorsqu’elles font l’objet d’une surveillance qui n’est pas menée individuellement, mais sur plusieurs personnes, ou lorsque la surveillance n’est pas motivée en raison de l’exercice de leur profession.

Si ces conditions peuvent être fondées, elles peuvent aussi s’avérer problématiques dans certains cas. Il est nécessaire que les services de renseignement, lorsque le Premier ministre leur en fait la demande, ne puissent pas être empêchés de surveiller des individus dangereux au motif qu’ils exercent des professions particulières. Le ministre a cité, à l’Assemblée nationale, le cas d’un journaliste nord-coréen. On pourrait penser à celui d’un avocat lié à l’État islamique ou à celui d’un parlementaire d’un pays belliqueux à l’égard de la France. Il n’y a pas de débat sur ce point.

Néanmoins, en tant que législateurs, nous avons la responsabilité de ne pas aborder un texte sous un seul angle. Nous devons aussi avoir à l’esprit que l’utilisation dévoyée des moyens de renseignement existe même en France. Ces dernières années, la justice française a établi que des méthodes de surveillance irrégulières avaient été mises en œuvre dans l’affaire des écoutes de l’Élysée ou dans celle des fadettes du quotidien Le Monde.

Il importe dès lors de considérer les possibilités de surveillance qui persistent pour les professions sensibles. Je pense notamment aux citoyens français qui n’exercent pas en France. Mon collègue a cité le député européen exerçant à Bruxelles, qu’il soit français ou allemand, le correspondant de RFI ou de l’AFP à Londres ou à Bangui, l’avocat français travaillant pour une ONG basée à l’étranger.

L’écriture de l’alinéa 24 sous-tend que l’on puisse distinguer les communications privées des communications professionnelles. Or cela est techniquement impossible à moins de définir une méthode arbitraire qui risquerait de ne pas recouper la réalité des situations consistant, par exemple, à opérer une distinction sur des horaires de travail et de temps libre.

On peut aussi penser au cas où serait délivrée une autorisation-prétexte sur un motif d’ordre non professionnel pour mener une surveillance en réalité dirigée vers des informations liées à l’activité sensible.

Dans le cadre actuel, lorsque le contrôle de la CNCTR sera mis en œuvre et que l’irrégularité sera éventuellement constatée, l’atteinte au secret aura déjà été effectuée. C’est pourquoi cet amendement vise à instaurer un contrôle préalable de la CNCTR lorsque les techniques de renseignement visent, à l’international comme sur le territoire national, des personnes exerçant des professions sensibles. Ce contrôle sera non contraignant et n’empêchera pas le Premier ministre d’autoriser la mise en œuvre des techniques de surveillance.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

M. Philippe Bas, rapporteur. L'amendement n° 5 rectifié vise notamment les avocats ou les journalistes exerçant leur profession à l’étranger pour le compte d’intérêts français.

Il faut savoir que si ces professionnels utilisent des micro-ordinateurs ou des téléphones avec des identifiants techniques ou des numéros d’abonnement français, ou bien s’ils communiquent avec les détenteurs de terminaux ayant des identifiants français, ils tombent soit dans le régime de droit commun, soit dans le régime supposant une autorisation spécifique.

La commission ne voit donc pas l’utilité de cet amendement, qui risque en revanche d’avoir des effets pervers. Protéger une profession est une bonne chose ; l’exposer à des intérêts opposés aux intérêts nationaux serait tout autre. Trop de protection finirait par se retourner contre ces professions. Dans ces conditions, la commission émet un avis défavorable.

Elle est également défavorable à l’amendement n° 9. Nous savons que la présente proposition de loi est déjà très protectrice pour lesdites professions et il ne semble pas utile d’ajouter davantage de contraintes.

Pour des raisons analogues, la commission émet le même avis sur l’amendement n° 3.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Jean-Yves Le Drian, ministre. Le Gouvernement est défavorable à ces trois amendements.

Comme je l’expliquais tout à l’heure, il existe une différence forte entre le régime des communications nationales et celui des communications internationales, et je ne vois pas pourquoi la loi devrait protéger spécifiquement les avocats ou les journalistes n’exerçant pas en France.

Je ne vois pas davantage de raisons de faire, pour ces professions, une entorse à la règle que la proposition de loi fixe, et qui figurait déjà dans le texte adopté au mois de juin, selon laquelle la CNCTR n’intervient pas, en amont des autorisations, dans le champ des communications internationales.

M. le président. La parole est à M. Alain Fouché, pour explication de vote.

M. Alain Fouché. J’ai quelques inquiétudes au sujet de la profession d’avocat, que j’ai exercée pendant trente-cinq ans. N’oublions pas la nécessité de préserver le secret de l’instruction et la confidentialité de certaines informations. J’espère que les contrôles seront suffisants et que des garanties seront apportées pour cette profession qui reste « à part », monsieur le ministre.

Récemment, en France, nous avons connu des cas d’écoutes téléphoniques de conversations d’avocats, ce qui est tout de même problématique.

M. Jean-Yves Le Drian, ministre. Nous parlons de communications internationales, ce n’est pas la même réglementation !

M. Alain Fouché. S’agissant de l’amendement n° 3, nous gardons évidemment tous en mémoire les affaires des écoutes téléphoniques de l’Élysée ou des fadettes du journal Le Monde.

Pour ma part, je pense que les écoutes téléphoniques existent depuis longtemps, et qu’elles demeurent encore. J’espère qu’elles disparaîtront s’agissant des communications internationales. J’insiste toutefois sur la nécessité de mettre en place un contrôle très fort, puis de faire un bilan.

M. le président. La parole est à M. Jean-Yves Leconte, pour explication de vote.

M. Jean-Yves Leconte. Je voudrais réagir aux propos de M. le rapporteur.

Nous devons protéger l’intimité de certaines personnes et de certaines professions en général, et pas simplement certaines de leurs communications, parce qu’elles auraient lieu avec telle ou telle personne. Vouloir protéger un type de télécommunications seulement ou toutes les communications d’une personne, ce n’est pas la même chose !

C’est la raison pour laquelle nous avons déposé l’amendement n° 5 rectifié : j’y insiste, nous ne voulons pas que certaines communications soient protégées, et d’autres non ; nous voulons protéger les communications de certaines personnes par principe et soumettre la surveillance éventuelle de celles-ci au préalable à l’avis de la CNCTR.

Dans le cadre de captations plus globales, qui pourraient permettre l’accès aux communications des personnes en question sans que cet accès ait été a priori recherché, nous voulons que la CNCTR soit obligatoirement informée, de manière qu’elle puisse transmettre un avis au Premier ministre qui prendra alors une décision.

Dès lors que l’on commence à distinguer différents types de communications, il n’y a plus de protection, puisqu’il faut d’abord avoir réalisé des interceptions pour constater qu’elles étaient hors du champ d’autorisation.

Il convient donc de protéger par principe un certain nombre de professions, même lorsqu’elles sont exercées à l’étranger, sauf à affaiblir les personnes qui travaillent au service de la France.

M. Alain Fouché. Nous sommes d’accord !

M. le président. La parole est à M. Alain Richard, pour explication de vote.

M. Alain Richard. Je veux souligner un petit paradoxe dans votre position, mes chers collègues : concrètement, il n’existe aucun moyen, pour le service intéressé, de détecter qu’une communication internationale, au milieu du foisonnement immense des communications, émane d’un avocat français travaillant à l’étranger.

Pour que le système que vous proposez soit applicable, il faudrait en réalité que les avocats, les journalistes ou les parlementaires exerçant une partie de leur mission à l’étranger fassent une déclaration préventive auprès de la CNCTR, ce qui paraîtrait curieux…

M. Jean-Yves Leconte. Non, l’amendement n’est pas rédigé en ce sens !

M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° 5 rectifié.

(L'amendement n'est pas adopté.)

M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° 9.

(L'amendement n'est pas adopté.)

M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° 3.

(L'amendement n'est pas adopté.)

M. le président. L'amendement n° 10, présenté par Mme Benbassa et les membres du groupe écologiste, est ainsi libellé :

Alinéa 27

Après la première occurrence du mot :

leur

rédiger ainsi la fin de cet alinéa :

recueil, pour les correspondances ;

La parole est à Mme Esther Benbassa.

Mme Esther Benbassa. Cet amendement vise à réduire les durées de conservation des données de correspondances prévues par la proposition de loi. Une période de quatre ans après le recueil de tels éléments paraît bien trop longue. Rien ne la justifie, notamment si on la compare à la durée de conservation des correspondances recueillies sur le territoire national prévue par la loi relative au renseignement, laquelle s’étale de trente jours à quatre mois après le recueil des correspondances.

Nous proposons donc, à travers cet amendement, de limiter à dix mois la conservation des données de correspondances internationales après leur recueil, et non après leur première exploitation.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

M. Philippe Bas, rapporteur. Défavorable, monsieur le président. Le contexte est différent de celui du recueil de renseignements sur le territoire national. Les renseignements collectés sont, évidemment, beaucoup plus nombreux et les impératifs de traduction, notamment, exigent une durée de conservation des matériaux recueillis plus longue que sur le territoire national.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Jean-Yves Le Drian, ministre. Même avis défavorable.

M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° 10.

(L'amendement n'est pas adopté.)

M. le président. L'amendement n° 13, présenté par le Gouvernement, est ainsi libellé :

Alinéa 36

Remplacer la référence :

à l’article L. 871-6

par la référence :

aux articles L. 871-6 et L. 871-7

La parole est à M. le ministre.

M. Jean-Yves Le Drian, ministre. Cet amendement a pour objet de rappeler l’exigence constitutionnelle selon laquelle les surcoûts que supporteraient les opérateurs du fait de la mise en œuvre des mesures prévues par le chapitre IV du titre V du livre VIII du code de la sécurité intérieure font l’objet d’une compensation de la part de l’État.

M. Alain Fouché. Encore heureux !

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

M. Philippe Bas, rapporteur. Avis favorable.

M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° 13.

(L'amendement est adopté.)

M. le président. L'amendement n° 4 rectifié, présenté par M. Duran, Mmes Bonnefoy et Bataille, MM. Lalande et Leconte et Mmes Lienemann et Lepage, est ainsi libellé :

Alinéa 38, première phrase

Compléter cette phrase par les mots :

dans un délai rapproché suivant leur délivrance, qui ne peut excéder sept jours

La parole est à M. Alain Duran.

M. Alain Duran. Le présent texte prévoit, au regard des spécificités propres aux communications internationales et aux mesures de surveillance qui s’y appliquent, un dispositif de contrôle allégé de la CNCTR.

Pour mémoire, ce dispositif ne comporte pas d’avis préalable à la mise en œuvre des techniques de recueil de renseignements, contrairement à la procédure applicable aux mesures de surveillance effectuées sur les communications franco-françaises qui reposent pour leur part sur un double contrôle, a priori et a posteriori.

Dans le cas de la surveillance internationale, le contrôle de la CNCTR est uniquement effectué a posteriori. Dès lors, il est important que cette commission soit prévenue rapidement après l’engagement des mesures de surveillance et l’atteinte à la vie privée.

Cet amendement vise donc à préciser que les autorisations de surveillance délivrées par le Premier ministre seront transmises à la CNCTR dans un délai rapproché après leur délivrance, lequel ne pourra excéder une semaine.

Cette précision tend à garantir à la CNCTR la possibilité de procéder rapidement à des vérifications de conformité. Par omission, la loi ne doit pas permettre une rétention de l’information sur laquelle doit s’exercer le contrôle.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

M. Philippe Bas, rapporteur. Le texte prévoit déjà un accès permanent, complet et direct aux renseignements collectés.

Par ailleurs, lorsqu’un délai maximal de sept jours est fixé, les services peuvent être tentés d’attendre le septième jour, alors que, dans bien des cas, un contrôle beaucoup plus précoce serait possible, voire même, parfois, nécessaire.

Cela étant, la commission souhaite obtenir l’avis du Gouvernement avant de se prononcer.

M. le président. Quel est donc l’avis du Gouvernement ?

M. Jean-Yves Le Drian, ministre. Si la Commission tardait à recevoir les décisions et autorisations, elle ne pourrait pas effectuer correctement son contrôle. Le système de contrôle retenu par la proposition de loi implique la communication immédiate ou quasi immédiate de ces informations.

Certes, le Gouvernement comprend l’intention des auteurs de cet amendement, mais il ne me semble pas que cet amendement serve la volonté qu’ils affichent. Comme l’a souligné M. le rapporteur, si l’on fait référence à un délai ne pouvant excéder sept jours, cette durée servira de référence alors que, dans la plupart des cas, la transmission des informations doit être plus rapide.

Par conséquent, je vous suggère, monsieur Duran, de retirer cet amendement. À défaut, j’émettrai un avis défavorable.

M. le président. Quel est finalement l’avis de la commission ?

M. Philippe Bas, rapporteur. Défavorable.

M. le président. Monsieur Duran, l’amendement n° 4 rectifié est-il maintenu ?

M. Alain Duran. Oui, monsieur le président.

M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° 4 rectifié.

(L'amendement n'est pas adopté.)

M. le président. Je suis saisi de deux amendements faisant l'objet d'une discussion commune.

L'amendement n° 11, présenté par Mme Benbassa et les membres du groupe écologiste, est ainsi libellé :

Après l’alinéa 38

Insérer un alinéa ainsi rédigé :

« La Commission nationale de contrôle des techniques de renseignement reçoit communication des accords de coopération ou d'échange d'informations et de données entre les services mentionnés à l'article L. 811–2. Elle dispose d’un accès permanent, complet et direct aux informations et échanges d'informations opérés dans le cadre de ces accords.

La parole est à Mme Esther Benbassa.

Mme Esther Benbassa. L’importance croissante de la coopération entre les services de renseignement implique un contrôle de la part de la CNCTR et une information systématique sur tout nouvel accord. La CNCTR doit également disposer d’un accès permanent, complet et direct aux informations et échanges d’informations opérés dans le cadre de ces accords.

M. le président. L'amendement n° 12, présenté par Mme Benbassa et les membres du groupe écologiste, est ainsi libellé :

Après l’alinéa 38

Insérer un alinéa ainsi rédigé :

« La Commission nationale de contrôle des techniques de renseignement reçoit communication des accords de coopération ou d'échange d'informations et de données entre les services mentionnés à l'article L. 811–2.

La parole est à Mme Esther Benbassa.

Mme Esther Benbassa. Cet amendement vise uniquement un contrôle de la part de la CNCTR et une information systématique sur tout nouvel accord. Il s’agit d’une position de repli.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

M. Philippe Bas, rapporteur. La commission a estimé que la mission de la Commission nationale de contrôle des techniques de renseignement était de vérifier la légalité des autorisations qui sont délivrées par le Premier ministre pour mettre en œuvre des techniques de renseignement.

Avec ces amendements, il s’agirait d’une tout autre mission, qui consisterait à contrôler les accords d’État à État en matière de renseignement et à vérifier leur mise en œuvre. Cette mission n’a pas du tout été envisagée au moment où nous avons créé la CNCTR, dont la composition aurait dû, dans un tel cas, être nettement différente. De toutes les manières, les accords en cause, dont il n’est pas besoin de souligner le caractère secret – qu’il s’agisse de l’accord lui-même ou du contenu des informations échangées –, ne peuvent en aucun cas être examinés par une commission composée pour l’essentiel de magistrats et de parlementaires. Ce n’est pas le rôle de cette instance qui, de surcroît, serait inefficace pour exercer un contrôle sur des informations de cette nature.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Jean-Yves Le Drian, ministre. Je n’ai pas la même interprétation des amendements que M. le rapporteur. Je crois comprendre qu’il s’agit de permettre à la CNCTR de recevoir communication des accords entre services du premier cercle national.

Cependant, ces amendements laissent entendre que les services du premier cercle pourraient s’échanger les données recueillies grâce aux autorisations dont ils bénéficieraient en application de l’article L. 854-1 que la présente proposition de loi tend à insérer dans le code de la sécurité intérieure. Or si nous prenons le soin de nous assurer que les autorisations sont accordées à des services spécifiques à des fins elles-mêmes spécifiques, ce n’est pas pour permettre ensuite à ces services de s’échanger des données brutes comme ils le souhaitent, en toute illégalité.

En fait, la mesure proposée reviendrait à faire contrôler par la CNCTR une illégalité en quelque sorte autorisée. Ce n’est pas acceptable ! Par conséquent, je suis défavorable à l’amendement n° 11, comme à l’amendement n° 12.

M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° 11.

(L'amendement n'est pas adopté.)

M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° 12.

(L'amendement n'est pas adopté.)

M. le président. Je mets aux voix l'article 1er, modifié.

(L'article 1er est adopté.)

Article 1er
Dossier législatif : proposition de loi relative aux mesures de surveillance des communications électroniques internationales
Article 2 (fin)

Article 2

L’article L. 773-1 du code de justice administrative est complété par la référence : « et du chapitre IV du titre V du livre VIII du code de la sécurité intérieure ». – (Adopté.)

M. le président. Personne ne demande la parole ?...

Je mets aux voix, dans le texte de la commission, modifié, l’ensemble de la proposition de loi relative aux mesures de surveillance des communications électroniques internationales.

(La proposition de loi est adoptée.)

Article 2 (début)
Dossier législatif : proposition de loi relative aux mesures de surveillance des communications électroniques internationales
 

8

Ordre du jour

M. le président. Voici quel sera l’ordre du jour de la prochaine séance publique, précédemment fixée au mercredi 28 octobre 2015, à quatorze heures trente, le soir et la nuit :

Projet de loi, adopté avec modifications par l’Assemblée nationale en deuxième lecture, relatif à l’adaptation de la société au vieillissement (n° 694, 2014-2015) ;

Rapport de MM. Georges Labazée et Gérard Roche, fait au nom de la commission des affaires sociales (n° 101, 2015-2016) ;

Texte de la commission (n° 102, 2015-2016).

Personne ne demande la parole ?…

La séance est levée.

(La séance est levée à vingt-trois heures quarante-cinq.)

Le Directeur du Compte rendu intégral

FRANÇOISE WIART