M. le président. La parole est à M. Jacques Mézard, pour explication de vote.

M. Jacques Mézard. Ces propos sont extrêmement clivants, à tel point qu’ils me paraissent simplistes. Or ce débat transcende et doit transcender les habitudes politiques et politiciennes.

D’un côté, on nous dit que le projet de loi est politicien en raison de la tenue prochaine des élections régionales. De l’autre, on estime que la proposition de loi du groupe Les Républicains est politicienne pour la raison inverse.

M. Jacques Mézard. Vous avez tort tous les deux sur ce point.

Notre groupe se partage dans sa liberté : une légère majorité votera la motion et le reste ne la votera pas, car ce sujet transcende les clivages traditionnels.

Certains viennent de dire : le Sénat est l’expression des territoires et là il exprime ce que veulent les territoires. Or quand le Sénat exprime la volonté des territoires sur la réforme territoriale, vous n’en tenez aucun compte !

Mme Éliane Assassi. Très bien !

M. Jacques Mézard. Les arguments peuvent facilement être retournés.

M. Bruno Sido. Absolument !

M. Jacques Mézard. Le Sénat, il est vrai, a toujours une capacité législative. Pour combien de temps, mes chers collègues, si j’en crois le rapport de M. Bartolone ?

Mme Nathalie Goulet. Qui ? (Sourires sur les travées de l'UDI-UC.)

M. Jacques Mézard. Il faut faire extrêmement attention. Madame la garde des sceaux, vous avez eu un stock de louanges mérité. Mais au-delà, il convient de revenir à l’essentiel : le garde des sceaux nous a expliqué que le Conseil d’État se trompait. Pour ma part, je ne suis pas toujours d’accord avec un certain nombre de ses décisions et avis. Toutefois, en l’occurrence, vous nous avez dit très clairement que, dans son avis du 30 juillet 2015, il avait tort. Je trouve que c’est assez grave, même si ce n’est qu’un avis.

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. C’est assez grave pour que je réponde !

M. Jacques Mézard. Laissez-moi au moins aller jusqu’au bout, madame la garde des sceaux.

M. Dantec a eu le mérite d’exprimer sa position sur le fond. Il est favorable à l’application de la Charte, car c’est le droit de pratiquer une langue régionale dans la sphère publique.

M. Ronan Dantec. Absolument !

M. Jacques Mézard. Or c’est contraire à nos principes généraux, et ce depuis longtemps.

M. Ronan Dantec. C’est clair !

M. Bruno Retailleau. Très clair !

M. Jacques Mézard. C’est un point que les opposants à ce projet de loi ne peuvent accepter. La Constitution, on peut éventuellement la modifier.

Madame la garde des sceaux, et je terminerai par là, vous avez parlé à juste titre de laïcité, mais nous, nous attendons un projet de loi constitutionnelle sur la laïcité, qui était promis. Quand le verrons-nous ? (Applaudissements sur quelques travées du groupe Les Républicains.)

M. Bruno Sido. Bonne question !

M. le président. La parole est à Mme la garde des sceaux.

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Monsieur le président Mézard, je veux bien assumer tous les procès, on peut même considérer que je suis mithridatisée contre les procès qui me sont faits à partir de rien du tout.

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Cependant, je ne me suis pas exprimée sur l’avis du Conseil d’État. J’ai lu un extrait de la décision du Conseil constitutionnel, et j’ai fait référence aux dispositions très clairement exposées dans le rapport explicatif – le compte rendu des débats fera foi.

Pour le reste, cela fait trois ans que je suis garde des sceaux. Je pense que, indépendamment de tous mes défauts, j’ai toujours été respectueuse des institutions ; me faire le procès de vouloir porter atteinte à celles-ci, y compris au Conseil d’État, qui a entre autres missions de conseiller le Gouvernement, dans une démocratie, me surprend de votre part, monsieur Mézard. Vous, si exigeant sur la légitimité de l’exercice du pouvoir, notamment du pouvoir législatif, vous si subtil…

M. Jacques Mézard. N’en faites pas trop !

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. … sur la mission et le rôle de chaque institution, comment pouvez-vous brandir l’argument selon lequel l’avis du Conseil d’État s’imposerait au Gouvernement ?

M. Jacques Mézard. Je n’ai pas dit cela !

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Le Conseil d’État s’exprime très librement. (M. Jacques Mézard s’exclame.) Il exerce, entre autres missions, une mission de conseil du Gouvernement, dont ce dernier ne se prive pas, puisque, en de multiples occasions, il saisit spontanément le Conseil d’État, indépendamment du parcours d’examen des projets de loi.

Quoi qu’il en soit, je n’ai mis en cause ni le Conseil d’État en tant qu’institution ni l’avis de celui-ci. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain.)

M. Jean-Pierre Sueur. Absolument !

M. le président. La parole est à M. le rapporteur.

M. Philippe Bas, rapporteur. Mes chers collègues, je tiens à revenir très brièvement sur quelques points.

Tout d’abord, étant donné que l’on nous attire sur un terrain très politique, je me dois de formuler clairement ce rappel : la droite et le centre sont pour la diversité et non pour l’uniformité.

Nous l’avons prouvé à de nombreuses reprises : en 2003, lorsque l’on a révisé la Constitution pour y inscrire l’organisation décentralisée de la République et ouvrir le droit à l’expérimentation ; en 2008, lors de la révision constitutionnelle précisant que les langues régionales font partie du patrimoine de la France ; et une nouvelle fois lors de la dernière réforme régionale, pour affirmer que l’Alsace pouvait fort bien fusionner ses départements et sa région…

M. André Reichardt. Très bien !

M. Philippe Bas, rapporteur. … dans le but de constituer une collectivité à statut particulier. Lors de ce débat, les partisans de la diversité n’étaient certainement pas du côté de la gauche sénatoriale et du Gouvernement !

Ensuite, c’est une fausse habileté de vouloir contourner l’obstacle que représente la décision du Conseil constitutionnel en se référant, dans la Constitution, au complément qu’une déclaration interprétative apporterait à la ratification : il s’agit là d’un simple artifice.

Au début de la discussion générale, j’ai rappelé que cette déclaration était incomplète, qu’elle ne purgeait pas tous les problèmes de constitutionnalité.

En fait, le Gouvernement n’a pas osé prendre la seule décision qui se serait révélée cohérente et aurait permis la tenue du véritable débat politique (Mme Nicole Bricq s’exclame.) : fixer franchement, au niveau constitutionnel, une dérogation aux articles 1er et 2 de la Constitution, et assumer pleinement cette position devant nous.

M. André Reichardt. Absolument !

M. Philippe Bas, rapporteur. Certains de nos collègues ont défendu cette solution. Je songe à M. Danesi, qui s’est très bien exprimé sur ce sujet. Je pense également à Christian Kern, qui, par l’amendement qu’il a déposé, défend le choix suivant – je salue la cohérence de cette position, même si, à titre personnel, je ne voterais pas une telle réforme – : si nous devions réviser la Constitution conformément aux souhaits d’un certain nombre de mouvements régionalistes, il faudrait assumer, franchement et sans détour, le fait de déroger aux articles fondamentaux que nous avons déjà eu l’occasion de citer ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – M. Henri Tandonnet applaudit également.)

M. le président. Je mets aux voix la motion n° 1, tendant à opposer la question préalable.

Je rappelle que l'adoption de cette motion entraînerait le rejet du projet de loi constitutionnelle.

Je rappelle en outre que le Gouvernement a émis un avis défavorable.

En application de l’article 59 du règlement, le scrutin public ordinaire est de droit.

Il va y être procédé dans les conditions fixées par l’article 56 du règlement.

Le scrutin est ouvert.

(Le scrutin a lieu.)

M. le président. Personne ne demande plus à voter ?…

Le scrutin est clos.

J'invite Mmes et MM. les secrétaires à procéder au dépouillement du scrutin.

(Il est procédé au dépouillement du scrutin.)

M. le président. Voici, compte tenu de l’ensemble des délégations de vote accordées par les sénateurs aux groupes politiques et notifiées à la présidence, le résultat du scrutin n° 30 :

Nombre de votants 341
Nombre de suffrages exprimés 335
Pour l’adoption 180
Contre 155

Le Sénat a adopté.

Madame la garde des sceaux, mes chers collègues, l’adoption de la motion tendant à opposer la question préalable entraîne, en application de l’article 44, alinéa 3, du règlement du Sénat, le rejet du projet de loi constitutionnelle autorisant la ratification de la Charte européenne des langues régionales ou minoritaires.

En conséquence, les explications de vote des groupes et le vote par scrutin public en salle des conférences sur l’ensemble de ce texte, initialement prévus le mardi 3 novembre prochain dans l’après-midi, n’ont plus lieu d’être, et l’ordre du jour de la séance du mardi 3 novembre s’établit comme suit :

À 16 heures 45 :

- Questions d’actualité au Gouvernement ;

À 17 heures 45, le soir et la nuit :

- Projet de loi organique relatif à l’indépendance et l’impartialité des magistrats et à l’ouverture de la magistrature sur la société.

M. le président du Sénat va prendre contact avec le Gouvernement, la commission des lois et les présidents de groupe pour examiner l’éventualité de commencer l’examen de ce projet de loi organique avant les questions d’actualité au Gouvernement.

Question préalable (début)
Dossier législatif : projet de loi  constitutionnelle autorisant la ratification de la Charte européenne des langues régionales ou minoritaires
 

6

Commissions mixtes paritaires

M. le président. M. le président du Sénat a reçu de M. le Premier ministre deux demandes de constitution d’une commission mixte paritaire chargée de proposer un texte sur les dispositions restant en discussion, d’une part, du projet de loi relatif à la gratuité et aux modalités de la réutilisation des informations du secteur public et, d’autre part, du projet de loi portant diverses dispositions d’adaptation au droit de l’Union européenne dans le domaine de la prévention des risques.

Il sera procédé à la nomination des représentants du Sénat à ces deux commissions mixtes paritaires selon les modalités prévues par l’article 12 du règlement.

Mes chers collègues, l’ordre du jour de cet après-midi étant épuisé, nous allons maintenant interrompre nos travaux ; nous les reprendrons à vingt et une heures trente.

La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à dix-neuf heures trente-cinq, est reprise à vingt et une heures trente, sous la présidence de M. Hervé Marseille.)

PRÉSIDENCE DE M. Hervé Marseille

vice-président

M. le président. La séance est reprise.

7

 
Dossier législatif : proposition de loi relative aux mesures de surveillance des communications électroniques internationales
Discussion générale (suite)

Surveillance des communications électroniques internationales

Adoption en procédure accélérée d’une proposition de loi dans le texte de la commission modifié

M. le président. L’ordre du jour appelle la discussion de la proposition de loi, adoptée par l’Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, relative aux mesures de surveillance des communications électroniques internationales (proposition n° 6, texte de la commission n° 98, rapport n° 97, avis n° 100).

Dans la discussion générale, la parole est à M. le ministre.

Discussion générale (début)
Dossier législatif : proposition de loi relative aux mesures de surveillance des communications électroniques internationales
Article 1er

M. Jean-Yves Le Drian, ministre de la défense. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, la proposition de loi que nous examinons ce soir vient parachever le travail global que nous avons entrepris ensemble depuis 2012 sur le renseignement.

Après les députés Patricia Adam et Philippe Nauche, qui ont pris l’initiative de déposer ce texte, je tiens à remercier chaleureusement les sénateurs qui y ont apporté, par leurs travaux et leurs remarques, une contribution tout à fait essentielle. Vous me permettrez de saluer à cet égard le président et rapporteur Philippe Bas et l’ensemble de la commission des lois, le président Jean-Pierre Raffarin ainsi que la commission des affaires étrangères et de la défense, en particulier son rapporteur Michel Boutant. Ensemble, ils ont enrichi ce texte, et je me félicite qu’il existe aujourd’hui un terrain d’entente, sur l’essentiel, entre la proposition de votre commission des lois et le vote de l’Assemblée nationale.

Cette proposition de loi répond à un besoin urgent, compte tenu des enjeux de sécurité nationale que vous connaissez. Vous me permettrez de rappeler ici ce qu’elle contient.

Dans le cadre de la loi relative au renseignement, le Parlement avait voté, fin juin, une disposition qui définissait le régime légal de la surveillance des communications électroniques internationales. Ce régime est nécessairement distinct de celui des interceptions de sécurité, qui ne peut s’appliquer qu’aux personnes situées sur le territoire national. Dans sa décision du 23 juillet dernier, le Conseil constitutionnel a estimé que ce régime légal n’était pas suffisamment détaillé par le législateur et qu’il renvoyait trop largement à des textes réglementaires sur les points suivants : les conditions d’exploitation, de conservation et de destruction des renseignements collectés et les conditions du contrôle par la Commission nationale de contrôle des techniques de renseignement, la CNCTR, de la légalité des autorisations délivrées et de leurs conditions de mise en œuvre.

Le Conseil constitutionnel a donc censuré cette disposition, mais sur un motif qui ne touche pas au fond du texte que le Parlement a adopté. Il a par ailleurs donné des indications qui ont permis d’orienter le travail du législateur pour remédier à la censure. C’est tout l’objet de la proposition de loi, qui répond au grief d’« incompétence négative » en intégrant dans la loi elle-même nombre de règles qui étaient destinées à figurer dans les décrets d’application.

Au titre des conditions d’exploitation, la proposition de loi précise que la surveillance des communications internationales ne vise que des personnes ou entités situées à l’étranger. Elle explicite clairement que les communications échangées entre des numéros ou identifiants rattachables au territoire national qui seraient interceptées seront immédiatement détruites, y compris si elles transitent par des territoires étrangers. On ne peut donc soupçonner que, par ces dispositions, nous mettions en place le moyen détourné de surveiller des Français, comme je l’ai parfois lu.

Toujours pour répondre à l’exigence de précision s’agissant des conditions d’exploitation, la proposition de loi organise et détaille les trois niveaux d’intervention du Premier ministre pour décision : la désignation des systèmes ou réseaux de communications que les services sont habilités à intercepter ; les autorisations d’exploitation non individualisée des données de connexion ; les autorisations d’exploitation individualisée des communications, c’est-à-dire, comme le précise la loi, de l’ensemble formé par les correspondances et les données de connexion associées.

S’agissant des conditions de conservation, la proposition de loi fixe les durées maximales de conservation des différentes catégories de données qui peuvent être recueillies. Elle précise aussi les conditions de destruction des renseignements recueillis et des informations exploitées qui peuvent en être tirées, en renvoyant pour cela au droit commun.

En ce qui concerne le contrôle, comme l’exige le Conseil constitutionnel, le texte détaille les prérogatives qui permettront à la CNCTR de s’assurer de la légalité des autorisations délivrées par le Premier ministre – relevons au passage que le Conseil constitutionnel n’exige pas, dès lors, de contrôle préalable à la délivrance de celles-ci – ainsi que des conditions de mise en œuvre de ces autorisations.

Enfin, la proposition de loi organise un contrôle juridictionnel des mesures de surveillance internationale, en prévoyant que le Conseil d’État pourra être saisi par la CNCTR, et même par seulement trois de ses membres, si le Premier Ministre ne donnait pas suite à l’une de ses recommandations relative à un manquement au texte ou s’il n’y donnait suite que de façon insuffisante à ses yeux.

L’ensemble des garanties que le Gouvernement s’apprêtait à faire figurer dans les textes d’application de la loi relative au renseignement sont donc intégrées, grâce à la proposition de loi, au niveau législatif, ce qui remédie au vice identifié par le Conseil constitutionnel. Il était important, au vu notamment de l’urgence de la situation sécuritaire, que cette correction soit effectuée le plus rapidement possible, et je veux remercier à nouveau le Sénat d’avoir contribué à cet important travail.

Au terme des travaux de vos commissions, je me réjouis donc qu’un accord émerge entre les deux assemblées sur les grands principes de cette proposition de loi. Les différences entre la version du texte votée par l’Assemblée nationale et celle établie par votre commission des lois sont essentiellement d’ordre légistique et rédactionnel. Vous me permettrez de signaler les trois points les plus significatifs.

Le premier concerne la possibilité pour le Premier ministre de déléguer sa signature pour la désignation des réseaux de communications interceptées : votre texte supprime cette possibilité. Ce n’est pas très orthodoxe au regard du principe de séparation des pouvoirs, l’organisation administrative relevant du pouvoir exécutif. Je me souviens des propos tenus à ce sujet par le président Bas lors de l’examen du projet de loi précédent, et je sais à quel point il est attaché à ce principe.

Le Conseil d’État, dans son avis sur la proposition de loi déposée par Philippe Bas, qui présente nombre de similitudes avec la proposition de loi dont nous discutons aujourd’hui, a considéré que les décisions en cause étaient suffisamment stratégiques et peu nombreuses pour que l’exclusion de toute délégation ne pose pas de difficulté d’ordre constitutionnel. Bien que ce choix ne soit pas nécessairement le plus opportun, le Gouvernement, dans ces conditions, n’entend pas proposer d’amendement tendant à revenir au texte initial.

M. Jean-Yves Le Drian, ministre. Le deuxième point a trait à la durée de conservation des correspondances. La version de la commission la réduit à dix mois à compter de la première exploitation, au lieu des douze mois prévus dans le texte initial.

Il me semble important de rappeler que les durées retenues par la proposition de loi tiennent compte d’un équilibre entre les exigences opérationnelles et la protection de la vie privée. Cet équilibre est différent de celui retenu pour les communications nationales. Il est en outre, de façon raisonnable et proportionnée, plus favorable aux besoins de la défense et de la promotion de nos intérêts fondamentaux. C’est logique, car ce régime concerne des personnes surveillées à l’étranger et qui ne sont donc pas sous la juridiction des pouvoirs publics français, lesquels ne peuvent pas exercer sur elles les mêmes prérogatives de puissance publique que sur les personnes surveillées en France.

Il faut par ailleurs considérer que, dans le champ des communications internationales, outre les problèmes de traduction, il est normal que puisse s’écouler un temps plus long entre le recueil et la première exploitation puisqu’il n’est pas possible, pour les pouvoirs publics français, d’adresser au fil de l’eau et quand ils en ont besoin des réquisitions aux opérateurs de télécommunications utilisés par les personnes qu’on entend surveiller pour accéder à leurs communications. Il faut donc procéder autrement, et cela explique l’écart temporel entre l’interception et l’exploitation.

Enfin, il est très important, tout particulièrement s’agissant des personnes surveillées à l’étranger, de conserver les données suffisamment longtemps, afin de pouvoir reconstituer des parcours individuels et des réseaux. Les récents événements dramatiques qu’a connus notre pays nous ont montré que certaines menaces pouvaient rester dormantes pendant plusieurs années avant de redevenir actives. Le recul historique est donc essentiel. Cela étant rappelé, le Gouvernement ne fera pas un point dur de ce passage de douze à dix mois.

Le troisième point porte sur une disposition permettant d’assurer aux opérateurs de télécommunications que les opérations matérielles rendues nécessaires pour la mise en œuvre des mesures prévues par ce chapitre seront exécutées par leurs agents, lorsque cela sera pertinent. Le Gouvernement est favorable à cet ajout et le complétera d’ailleurs par un amendement visant à faire référence à l’article L. 871-7. Ainsi, les opérateurs seront assurés, mais cela résultait de toute façon de la Constitution elle-même, d’obtenir une compensation financière en cas de surcoûts nés de la mise en œuvre du présent chapitre.

Pour conclure, je tiens à souligner la grande importance de cette proposition de loi qui nous rassemble, puisqu’elle offre un cadre légal à une activité essentielle à la préservation des intérêts fondamentaux de notre pays, tout en contribuant à la défense des libertés publiques comme à la protection des agents de nos services de renseignement. (Applaudissements.)

M. le président. La parole est à M. le rapporteur.

M. Philippe Bas, président de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale, rapporteur. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, voilà un débat que nous pensions avoir achevé au mois de juillet dernier et qui a été relancé par la décision du Conseil constitutionnel.

Le Conseil constitutionnel n’a pas jugé que les choix retenus contrevenaient à des droits fondamentaux ; il a considéré que le Parlement n’était pas allé au bout de l’exercice de sa compétence législative et qu’il ne pouvait pas laisser le soin au Gouvernement de préciser par décret en Conseil d'État le régime de la collecte de renseignements concernant d’autres pays que la France. L’objet de la proposition de loi dont nous débattons ce soir est donc de combler le vide juridique créé par cette censure du Conseil constitutionnel.

Les mesures de surveillance des communications électroniques internationales recouvrent des capacités techniques déployées sur décision du pouvoir exécutif à la fin des années 2000 et mises à la disposition des services spécialisés de renseignement. Toutefois, cette technique de recueil de renseignements a été mise en œuvre sans évolution du cadre légal, à savoir la loi de 1991 sur les interceptions de sécurité. L’initiative prise par nos collègues députés Patricia Adam, présidente de la commission de la défense et des forces armées, et Philippe Nauche, est donc la bienvenue.

Afin de nous prémunir contre tout risque d’inconstitutionnalité et d’effectuer un travail sûr d’un point de vue juridique, j’ai déposé une proposition de loi tout à fait similaire à celle de nos collègues députés et proposé au président du Sénat, en application de l’article 39 de la Constitution, qu’il saisisse le Conseil d'État pour qu’un examen approfondi puisse avoir lieu dans le temps même où l’Assemblée nationale délibérait, et ainsi ne pas faire prendre de retard à la délibération parlementaire. L’avis rendu par le Conseil d'État le 15 octobre dernier a achevé de lever les doutes que nous aurions pu avoir, non seulement sur la constitutionnalité du dispositif, mais aussi sur sa conventionalité, c'est-à-dire sur sa conformité aux conventions internationales, notamment à l’article 8 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales qui porte sur le droit au respect de la vie privée et familiale.

Dans son avis, le Conseil d'État a estimé que le législateur allait jusqu’au bout de sa compétence. Il a également estimé que la différence de traitement entre les communications interceptées à l’étranger et les techniques de renseignement mises en œuvre sur le territoire national n’était pas manifestement déséquilibrée et qu’aucun principe constitutionnel n’était par conséquent violé par ces dispositions législatives.

Si la surveillance à l’étranger ne donne pas lieu aux mêmes voies de recours que les techniques de renseignement déployées sur le territoire national, le Conseil d'État a observé que des recours étaient possibles dans les deux cas. En effet, la Commission nationale de contrôle des techniques de renseignement, dont le texte prévoit qu’elle soit informée de toutes les décisions d’autorisation prises par le Premier ministre, dispose de tout pouvoir pour vérifier les conditions de mise en œuvre de ces autorisations. Elle peut également saisir le Conseil d'État en cas de doute sur la légalité d’une autorisation, cette saisine pouvant intervenir à la demande de trois de ses membres seulement.

Loin d’être dépourvu de contrôle, le système français sera donc très protecteur des droits de la personne. Je ne me suis pas livré à un examen exhaustif, mais je ne connais pas d’État étranger ayant un grand service de renseignement intervenant dans d’autres pays qui ouvre sur son territoire, à l’égard de sa propre juridiction ou d’instances de contrôle, des possibilités de faire ainsi protéger le droit au respect de la vie privée et familiale de personnes s’estimant irrégulièrement surveillées.

Ce régime est bien sûr dérogatoire, mais si l’on considère que les utilisateurs de dispositifs de communication ayant des identifiants étrangers sont moins protégés que les utilisateurs de dispositifs nationaux sur le territoire national, n’oublions pas que, à l’étranger, ils sont protégés par leur propre État. Le régime de nos interventions pour recueillir des renseignements à l’étranger se fait par hypothèse en dehors de la légalité prévue par ces pays, mais la réciproque est vraie !

M. Jean-Yves Le Drian, ministre. Eh oui !

M. Philippe Bas, rapporteur. Par conséquent, nous n’avons pas à nous préoccuper de la protection des droits des personnes surveillées à l’étranger autant que de celle de nos nationaux. Chacun chez soi, et tout ira bien, pour ne citer que partiellement le vieil adage manchois que j’ai coutume d’utiliser !

Permettez-moi également de souligner qu’un certain nombre de modifications de fond sont proposées par la commission des lois. Monsieur le ministre, j’ai apprécié que, après avoir mûrement pesé l’intérêt de ces modifications, vous soyez favorable à certains d’entre elles et que vous ne vous opposiez pas aux autres. Cela simplifie à l’évidence notre travail, mais croyez bien que si tel n’avait pas été le cas nous aurions accepté la discussion et su faire évoluer certaines de nos positions.

M. André Reichardt. Il ne fallait pas le dire ! (Sourires.)

M. Philippe Bas, rapporteur. Les deux assemblées devraient pouvoir s’entendre au cours d’une commission mixte paritaire qui pourrait être réunie rapidement. Elles s’entendront sur un dispositif simple, qui comporte trois branches.

Premièrement, lorsque les dispositifs de surveillance interceptent des flux d’échanges concernant des utilisateurs de dispositifs de télécommunication qui sont tous nationaux, ces informations ne sont tout simplement pas prélevées. Un automatisme que la CNCTR peut vérifier le garantit.

Deuxièmement, quand il s’agit d’un flux mixte, c'est-à-dire qu’au moins l’un des deux interlocuteurs utilise un émetteur ou un récepteur avec un identifiant se rattachant au territoire national, la surveillance s’effectue selon le régime de droit commun applicable aux techniques mises en œuvre sur le territoire national.

Troisièmement, le système est allégé lorsque les flux interceptés concernent deux utilisateurs et deux terminaux, téléphoniques ou informatiques, dont les identifiants sont étrangers. La surveillance est alors déclenchée par une autorisation du Premier ministre, qui, sans avis préalable de la Commission nationale de contrôle des techniques de renseignement, porte sur une zone géographique, sur des organisations, voire sur des personnes. Libre au Premier ministre d’exclure de la surveillance un certain nombre d’identifiants. Ce n’est pas parce qu’on ne dit pas que c’est possible que cela devient impossible ! C’est même parfois obligatoire, si l’on se réfère à certains engagements politiques pris par la France à l’égard des autres pays membres de l’Union européenne ou aux immunités diplomatiques relevant des conventions internationales.

Mes chers collègues, le dispositif tel qu’il a été conçu me semble assez complet. Je me suis rendu à deux reprises dans les locaux de la Direction générale de la sécurité extérieure, où j’ai pu constater que les conditions de contrôle de la CNCTR étaient bien réunies. Je vous invite donc à adopter cette proposition de loi. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et de l'UDI-UC, ainsi que sur certaines travées du groupe socialiste et républicain.)