M. Michel Canevet. Il a raison !

M. René Danesi. Que le Gouvernement prenne son courage à deux mains : qu’il nous propose une loi donnant aux langues régionales un véritable statut et organise concrètement leur promotion ! Et si le Conseil Constitutionnel s’y oppose, que le Gouvernement nous propose de modifier la Constitution. Sinon, qu’il passe à autre chose ! (Très bien ! et applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et de l'UDI-UC.)

M. le président. La parole est à M. Jean-Jacques Lasserre. (Applaudissements sur les travées de l'UDI-UC.)

M. Jean-Jacques Lasserre. Monsieur le président, madame la garde des sceaux, mes chers collègues, la signature de la charte en 1999 a été une véritable avancée. Les raisons, nous les connaissons, ne concernaient pas forcément notre pays. En tout cas, le principe retenu était de faire vivre le patrimoine culturel.

Depuis la signature de ce texte, des dispositions d’une réelle importance ont été prises.

Par l’État, tout d’abord, particulièrement en matière d’enseignement. Un grand changement s’est opéré, notamment au sein de l’éducation nationale. L’enseignement bilingue se développe. De réels progrès ont été constatés jusqu’à ce jour – je dis bien jusqu’à ce jour ; je reviendrai ultérieurement sur la réforme du collège.

Par les collectivités, ensuite, qui s’engagent et accompagnent les initiatives en matière d’enseignement, de pratique et d’utilisation des langues.

Enfin, il ne faut jamais l’oublier dans ce débat, de réelles avancées viennent du monde associatif, du militantisme des acteurs qui ont très souvent été les éléments déclencheurs des progrès publics.

S’agissant de l’enseignement par immersion, porté le plus souvent par ces associations, les difficultés tiennent principalement à la loi Falloux, qui est paralysante. Certaines initiatives sont bloquées ou dépendent des lectures interprétatives faites par les préfets sur la légalité de nos interventions.

On peut considérer à présent que l’adoption de la charte n’aura pas d’incidences notables. Cela a été dit, et je crois que c’est vrai : les engagements signés par la France sont tous quasiment appliqués.

M. François Marc. Ce n’est pas vrai !

M. Jean-Jacques Lasserre. C’est la raison pour laquelle, probablement, beaucoup d’entre nous considèrent que ce projet de loi constitutionnelle est purement de circonstance, sans incidence réelle. Cette attitude est respectable. Pour ma part, je ne la partage pas.

La situation de nos langues minoritaires – je pense au basque, bien entendu, mais mes amis bretons et alsaciens rencontrent les mêmes problèmes – demande, me semble-t-il, un regard empreint de davantage de sensibilité.

Les efforts considérables réalisés en matière d’enseignement portent leurs fruits, mais gardent un goût d’inachevé : le nombre de locuteurs n’augmente pas. Autrement dit, si la préservation de nos langues minoritaires est assurée, leur développement est compromis. Celui-ci ne peut être envisagé que sur la pratique et les usages.

Le développement des usages ne peut se concevoir que si une vraie dynamique est créée. Ce développement nécessite beaucoup de sensibilité et de volonté, ainsi qu’un dialogue responsable – j’en parle en connaissance de cause, mais je ne suis pas le seul – entre les différents acteurs. Le développement des usages ne se décrète pas ; il ne peut s’imaginer qu’à partir d’une volonté et d’attitudes partagées.

Soyons modestes : plus qu’aux législateurs, nous devons à la société civile, au monde associatif et à la passion citoyenne la plupart des progrès que nous avons constatés.

Je suis donc favorable à l’examen de ce projet de loi. Certes, son contenu relève de l’opportunité et d’un certain fléchage, mais nous avons l’obligation de donner des signes volontaristes.

M. Ronan Dantec. Absolument !

M. Jean-Jacques Lasserre. La richesse patrimoniale est évidente et reconnue. Comprenons, mes chers collègues, qu’il s’agit, lorsque nous parlons des langues régionales, d’un patrimoine tout à fait particulier, qui ne peut pas être figé, gelé, sauvegardé dans l’immobilisme. Il s’agit non pas de vieilles pierres – passez-moi l’expression –, mais d’un patrimoine vivant, qui est actuellement conservé et transmis par des couches de la société en pleine et très rapide évolution. Les locuteurs classiques, le plus souvent ruraux et âgés, doivent être remplacés par les nouvelles générations, en s’appuyant, je le redis, sur deux actions indissociables : la formation et les usages.

Si adopter cette charte ne produirait aucun effet concret, ou presque, ne pas en discuter serait un signal négatif fort et constituerait une importante régression. Cela me paraît totalement inopportun, à l’heure où la tendance est plutôt à l’affaiblissement de nos langues régionales et de la culture qui va avec elles. Tous les acteurs nous regardent, et le refus de débattre de ce projet de loi constitutionnelle serait le premier grand facteur d’affaiblissement.

Je considère que la réforme du collège, telle qu’elle est envisagée, sera un second facteur très important d’affaiblissement.

Le maintien des heures d’enseignements optionnels et des sections bilingues fait l’objet de nombreuses incertitudes. Les langues régionales semblent reléguées aux enseignements pratiques interdisciplinaires, les fameux EPI, réduisant considérablement leur temps d’apprentissage. Or cette réforme du collège aurait pu être l’occasion de donner, enfin, un véritable statut à ces langues, qui représentent un réel atout pour les enfants qui les pratiquent.

Cette réforme du collège illustre une régression qui serait concomitante au refus d’examen de ce projet de loi.

Enfin, je suis, pour ma part, favorable à l’examen de ce texte pour une raison fondamentale que je vous expose en quelques mots. Depuis plusieurs années, nous fonctionnons dans une situation de flou total : je veux parler de la fameuse déclaration interprétative que la France a produite juste après avoir signé la charte, en 1999. Un débat, je le pense sincèrement, nous permettrait d’éclaircir cette situation extrêmement ambigüe, je dirais même hypocrite. À cet égard, j’ai apprécié l’intervention de M. Vallini.

Cette déclaration interprétative est, à mon sens, une commodité rassurante, extrêmement fragile sur un plan juridique, qui dénature fondamentalement le sens de la charte et élude la question majeure, qui est posée et qui mérite le débat, de l’utilisation exclusive du français dans la sphère publique. L’ouverture d’une discussion nous permettrait, j’en suis convaincu, de sortir de cette ambiguïté.

Je voterai donc contre la motion tendant à opposer la question préalable, parce que je crois que l’on ne peut pas faire l’économie d’un véritable débat. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain, du groupe CRC et du groupe écologiste, ainsi que sur quelques travées de l’UDI-UC. – Mme Hermeline Malherbe applaudit également.)

M. le président. La parole est à M. Yannick Botrel.

M. Yannick Botrel. Monsieur le président, madame la garde des sceaux, mes chers collègues, au travers de l’examen de ce projet de loi, nous touchons manifestement à un sujet sensible, tout du moins pour certains d’entre nous, la meilleure preuve en étant la motion de rejet présentée par le groupe Les Républicains.

Personnellement, je ne crois pas vraiment sérieuses les raisons exposées pour justifier le dépôt de cette motion ; elles m’apparaissent surtout comme des prétextes.

Refuser d’entamer le débat sur cette question qui, admettons-le, divise certains partis, n’empêchera pas que celle-ci soit évoquée et devienne même un thème lors des élections régionales de décembre prochain en différents endroits de France.

M. André Reichardt. C’est même le but visé !

M. Yannick Botrel. C’est donc une question d’incompatibilité dans notre ordre juridique interne qui est soulevée par la majorité sénatoriale et qui a entraîné le dépôt de la motion de rejet que nous nous apprêtons à discuter.

Je ferai tout d’abord remarquer l’incertitude juridique dans laquelle nous nous trouvons. Les constitutionnalistes et experts consultés expriment des avis différents sur la compatibilité de la charte avec notre ordre juridique national.

Certains mobilisent l’avis négatif du Conseil d’État ou la décision rendue en 1999 par le Conseil constitutionnel, quand d’autres invoquent le rapport Carcassonne de 1998, pour ne prendre que ces exemples. Bref, nous sommes loin de l’unanimité !

La déclaration interprétative existante permet pourtant de disposer d’un certain nombre d’assurances. Tout d’abord, je veux rappeler avec force que la ratification de la charte n’entraînera pas la reconnaissance de minorités linguistiques en France, ce qui serait effectivement contraire à la Constitution.

De la même manière, les relations entre les administrés et l’administration ne seraient pas fondamentalement modifiées dans la pratique, toujours à la lumière de la déclaration interprétative.

Dès lors, où est le problème ? Celui-ci tient en réalité à une conception de la France, fondée sur une vision centralisatrice et uniformisatrice du territoire, qui a pu avoir son explication et ses raisons dans le passé, mais qui n’est plus, aujourd’hui, de saison.

Notre pays n’est plus celui du XIXe siècle, la langue française y étant parlée et comprise partout désormais ! Dès lors, est-il opportun et intellectuellement justifié de dramatiser un sujet qui n’en demande pas tant ? Je crois sincèrement qu’il est abusif de penser que, au XXIe siècle, la reconnaissance des locuteurs de nos langues régionales et minoritaires fragiliserait notre pays et ses institutions, d’autant que les langues régionales sont déjà, en elles-mêmes, reconnues par notre Constitution !

J’en veux pour preuve que l’école publique elle-même développe aujourd’hui, et avec succès, des filières bilingues dans les régions de France concernées par l’existence d’une langue vernaculaire.

Nous sommes collectivement attachés aux institutions républicaines, et personne n’est le détenteur exclusif de leur défense ni de l’intégrité nationale, que ce projet de loi ne menace en rien selon moi.

Il ne menace pas l’unité de la nation, il ne met pas en péril les institutions, et affirmer le contraire revient à vouloir instrumentaliser le droit à des fins politiques : c’est là le second élément qu’il me semble important et nécessaire de souligner.

Il ne s’agit en aucun cas de contraindre qui que ce soit à un usage linguistique contre son gré, et aucune de ces langues n’a vocation à se substituer à la langue officielle de la République, que ce soit pour des raisons institutionnelles ou pratiques, tout simplement.

Les langues dont il est question appartiennent au patrimoine national et, d’un point de vue culturel, au patrimoine mondial. À cet égard, et pour ne citer que deux exemples, le basque, par le fait que cette langue constitue un isolat linguistique, mérite d’être perpétué, comme le breton, dernière langue celtique continentale. Ne serait-ce que pour cette raison, la question mériterait un débat au fond, et non cet escamotage auquel la motion de rejet prétend nous conduire.

Sur un autre point, je souhaiterais réagir aux propos de notre collègue Bruno Retailleau. Ce dernier a cru bon d’en appeler aux dangers du communautarisme. Je le dis d’emblée, cet argument n’est pas à la hauteur : il est facile et relève de l’anathème, ce qui évite d’argumenter davantage.

Je soumets à M. Retailleau un sujet de réflexion : c’est en Bretagne, dans l’aire géographique de la langue bretonne, que le Front national réalise ses moins bons scores. C’est là aussi que de nombreuses municipalités acceptent aujourd’hui l’accueil de réfugiés du Moyen-Orient, comme nous avons accueilli en d’autres temps des réfugiés espagnols.

M. Ronan Dantec. C’est vrai !

M. Claude Bérit-Débat. Voilà une bonne remarque !

M. Yannick Botrel. Je comprends, mes chers collègues, qu’il soit confortable pour certains de ne pas aller au bout de ce débat qui les divise, a fortiori à quelques semaines des élections régionales. Le repousser une nouvelle fois, quand la possibilité de le trancher au fond nous est offerte, me semble parfaitement inepte. Le refuser revient, tout en prétendant admettre l’existence des langues régionales, à minoriser leur pratique dans nos territoires. La Charte européenne qu’il nous est proposé de ratifier ne retire de droits à personne ; elle reconnaît simplement un fait.

M. Yannick Botrel. J’en appelle donc à l’objectivité, à la raison et au refus du conformisme idéologique. J’en appelle au débat parlementaire, au débat démocratique, et je vous invite donc naturellement, mes chers collègues, à refuser la motion de rejet. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain, du groupe CRC et du groupe écologiste. – Mme Hermeline Malherbe applaudit également.)

M. le président. La parole est à M. Alain Marc.

M. Alain Marc. Monsieur le président, madame la garde des sceaux, mes chers collègues, élaborée au sein du Conseil de l’Europe après la chute du mur de Berlin, la Charte européenne des langues régionales ou minoritaires a été ouverte à la signature à Strasbourg le 5 novembre 1992.

Ce texte doit être resitué dans son contexte, celui de la fin du bloc soviétique et de la reconstitution des États d’Europe de l’Est, à l’intérieur desquels vivent de nombreuses et anciennes minorités nationales, comme la minorité hongroise en Roumanie.

C’est la question légitime de la protection des droits de ces minorités qui est à l’origine de la charte. À l’évidence, la pratique des langues régionales en France apparaît très éloignée de cette problématique.

Le 7 mai 1999, le gouvernement français signe toutefois à Budapest la Charte européenne des langues régionales ou minoritaires. Saisi quelques jours plus tard par le Président de la République, le Conseil constitutionnel a considéré que ce texte comportait des clauses contraires à la Constitution. Comme le Conseil d’État, le Conseil constitutionnel juge que le préambule et la partie II de la charte ne sont pas conformes à la Constitution.

La reconnaissance d’un droit imprescriptible pour chacun à pratiquer une langue régionale ou minoritaire dans la vie privée et publique, ainsi que l’obligation faite aux parties de tenir compte des besoins et des vœux exprimés par les groupes pratiquant ces langues ont été regardées comme conférant des droits spécifiques à des groupes particuliers, les locuteurs de langues régionales ou minoritaires.

Le Conseil constitutionnel a considéré que ces stipulations portaient atteinte aux principes constitutionnels d’indivisibilité de la République et d’égalité devant la loi – article 1er de la Constitution –, ainsi qu’au principe d’unicité du peuple français – article 3 de la Constitution.

Les dispositions exhortant les États à faciliter l’usage oral et écrit des langues régionales ou minoritaires dans la vie privée et publique ont été jugées contraires à l’article 2 de la Constitution, selon lequel la langue de la République est le français.

Dès lors, le processus de ratification a été interrompu. Néanmoins, le 31 juillet 2015, madame la ministre, vous déposiez le présent projet de loi constitutionnelle autorisant la ratification de la charte, en le soumettant en premier lieu au Sénat.

Or ce texte risque d’alimenter de nombreux contentieux, comme l’ont excellemment souligné Philippe Bas et Hugues Portelli. Une révision constitutionnelle nous conduirait à une véritable impasse juridique, aussi bien dans l’ordre juridique interne que dans l’ordre juridique international.

On peut surtout s’interroger sur vos motivations : pour quelles raisons ce projet de loi constitutionnelle intervient-il précisément maintenant, seize ans après la décision du Conseil constitutionnel, alors que la ratification de la charte est inutile pour promouvoir les langues régionales, « patrimoine de la France », conformément à l’article 75-1 de la Constitution ?

Vous confondez volontairement moyens et finalité. Oui, nous voulons conserver les langues régionales et les promouvoir ! Non, la ratification de la Charte européenne ne nous semble pas opportune : pour nous, elle apparaît comme un symbole, et surtout un leurre.

En effet, ce projet de ratification, qui ne revêt aucun caractère urgent et qui se heurte à de très importants obstacles juridiques, apparaît avant tout comme un outil politique à l’approche des élections régionales. Il s’agit de placer le Gouvernement aux avant-postes du camp des défenseurs des langues régionales et de masquer, par ce biais, les autres volets de l’action gouvernementale et ses échecs.

M. Loïc Hervé. C’est vrai !

M. Alain Marc. Ne nous y trompons pas : la défense et la promotion des langues régionales n’exigent en rien la ratification de la Charte européenne !

Par ailleurs, madame la ministre, nous ne vous avons pas attendue pour exprimer notre profond intérêt pour la valorisation des langues régionales en France : la plupart des dispositifs autorisant l’emploi des langues régionales ou favorisant leur préservation ont été mis en place par des gouvernements de droite et de gauche. Je pense notamment à la loi Haby du 11 juillet 1975, sous la présidence de Valéry Giscard d’Estaing, ou encore à la loi Toubon du 4 août 1994. Des ministres de l’éducation nationale comme Lionel Jospin ou François Bayrou – un nom qu’il faut prononcer, comme en occitan, en diphtonguant l’y ! (Sourires.) – ont aussi contribué à l’essor des langues régionales dans le domaine de l’enseignement.

Enfin, la dernière initiative parlementaire en ce domaine consiste en une proposition de loi relative à la promotion des langues régionales, dont je suis, avec d’autres, le coauteur, qui tend à donner une assise juridique plus claire à des pratiques ou usages existants et à promouvoir l’utilisation des langues régionales.

M. Didier Guillaume. Un texte électoraliste, avant les régionales !

M. Alain Marc. Madame la garde des sceaux, je suis un ardent défenseur des langues régionales, plus précisément de l’occitan. En effet, au travers de mon ancien métier de conseiller pédagogique en langues et cultures régionales – cela ne s’invente pas ! –, j’ai contribué à créer des calandretas et des sections bilingues. Je crois donc connaître quelque peu le problème.

Dans le département de l’Aveyron, dont je suis le premier vice-président – notre collègue Jean-Claude Luche, ici présent, en assure la présidence –, nous avons, en nous appuyant sur les intercommunalités, mené une action qui me semble assez exemplaire.

Des élèves sont scolarisés dans les écoles associatives calandretas ; d’autres sont scolarisés dans les sections bilingues de l’enseignement public ; quelque 9 800 élèves au total sont sensibilisés, en maternelle et en primaire, à la langue régionale. Au total, ce sont quelque 52 % des petits Aveyronnais qui reçoivent une éducation à la langue et à la culture régionales dans mon département, alors même que la Charte européenne n’est pas ratifiée. A-t-on vraiment besoin de cette dernière pour promouvoir les langues régionales ?

Je souhaiterais que tous ceux qui ergotent longuement sur la Charte européenne et qui sont détenteurs d’un mandat exécutif local accomplissent le même travail que nous en faveur des langues régionales !

Mme Hermeline Malherbe. C’est ce que nous faisons !

M. Alain Marc. De façon concrète, les obstacles au développement des langues régionales sont principalement de deux ordres. D’une part, certains directeurs académiques des services de l’éducation nationale s’opposent sur le terrain à la création de sections bilingues – je m’y suis heurté dans mon ancienne vie. D’autre part, dans l’audiovisuel public, France 3, malgré les heures d’expression en langues régionales qui ont été mentionnées, a tendance à réduire le temps d’expression dévolu à ces langues dans ses programmes.

La proposition de loi que nous avons déposée suffit à lever ces deux obstacles et ouvre d’autres pistes, comme des modules de formation au sein des écoles supérieures du professorat et de l’éducation, les ESPE.

La Charte européenne visait surtout à répondre aux problèmes que rencontraient les minorités linguistiques dans les pays d’Europe centrale et orientale après l’effondrement du communisme. De grâce, ne l’utilisons pas pour pallier des problèmes que nous pouvons régler avec notre propre système législatif !

Encore une fois, non seulement la ratification de la Charte européenne n’apporte rien par rapport à la nécessité de préserver et de valoriser les langues régionales, mais ce projet de révision constitutionnelle présente un véritable danger juridique.

Enfin, comme l’a dit le président de notre vénérable institution, Gérard Larcher, « la Constitution de la Ve République ne doit pas être une variable d’ajustement pour les gouvernements en échec ! » (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et de l'UDI-UC. – Protestations sur les travées du groupe socialiste et républicain.)

(M. Claude Bérit-Débat remplace M. Thierry Foucaud au fauteuil de la présidence.)

PRÉSIDENCE DE M. Claude Bérit-Débat

vice-président

M. le président. La parole est à M. Roland Courteau.

M. Roland Courteau. Monsieur le président, madame la garde des sceaux, mes chers collègues, il n'y a point d’ambiguïté pour Claude Bérit-Débat, Henri Cabanel, d’autres collègues ou moi-même, qui défendons l’occitan : la pluralité des langues régionales et la diversité culturelle sont une richesse, qu’il nous faut conforter, accroître, protéger et promouvoir, c’est-à-dire faire vivre. Parce que, trop longtemps, nos langues régionales ont été négligées, voire combattues, malmenées ou reléguées au rang de patois, nous soutiendrons ce texte visant à autoriser la ratification de la Charte européenne.

Des élus municipaux ou des parents d’élèves vous diront les obstacles trouvés sur leur route, comme tel maire rencontrant des problèmes pour avoir installé des panneaux de signalisation en occitan et en français à l’entrée de sa ville. J’avais même été amené à présenter ici et à faire adopter une proposition de loi en 2010, afin d’offrir, sur ce point, un cadre juridique sûr.

Soyons cohérents ! Si nous voulons soutenir la diversité des langues dans le monde, donc la position du français dans certains pays où il est minoritaire, peut-être faudrait-il, alors, ne pas hésiter à reconnaître cette diversité linguistique et culturelle chez nous, en France.

Je formulerai une autre remarque : s’il est vrai que c’est en français qu’a été proclamée la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, c’est tout de même en occitan qu’a été créé en 1792 le personnage de Marianne, symbole de la République.

Protéger et valoriser les langues régionales, patrimoine indivis de la nation, n’a aucunement pour objet de diminuer la place que le français occupe dans notre sphère publique, ni de méconnaître son rôle dans la construction de la nation. Il s’agit non pas de diviser, mais d’unir.

La République est une et indivisible, mais elle est aussi diverse, mes chers collègues, par ses cultures et par ses langues. C’est ce qui fait l’attractivité de nos territoires et qui les rend uniques. Compte tenu de la richesse et du poids des langues régionales dans notre pays, la charte apparaît comme le préalable nécessaire à l’élaboration d’un cadre législatif positif, au sein duquel nos langues régionales trouveraient à s’épanouir.

Certains, de tous bords, dont je respecte la position, mais ne partage ni l’analyse ni les arguments, trouvent nombre d’arguments pour s’opposer à la charte.

Rien n’y fait ! Ni que vingt-cinq pays comme l’Allemagne, l’Espagne ou le Royaume-Uni l’aient ratifiée. Ni que des juristes éminents l’aient soutenue. Ni que le Parlement européen ait invité tous les États, avec une majorité écrasante, à la ratifier. Ni que la convention de l’UNESCO de 2005 aille dans le même sens.

Rien n’y fait ! Même le préambule qui affirme que la protection et l’encouragement des langues régionales ne doivent pas se faire au détriment des langues officielles.

J’entends aussi certains, ici ou là, nous dire que ces langues seraient mortes, arriérées, surannées, vieillies, inadaptées à transmettre la moindre pensée.

La vérité est qu’elles comptent encore beaucoup de locuteurs, même si, malheureusement, leur nombre est en constante et rapide régression.

La vérité est qu’elles sont d’une grande richesse de vocabulaire, syntaxique et sémantique.

La vérité est qu’elles constituent un patrimoine humain et culturel exceptionnel.

N’ayez crainte, mes chers collègues ! Le pacte républicain n’est pas menacé par les langues régionales.

Mme Odette Herviaux. Tout à fait !

M. Roland Courteau. N’y a-t-il pas lieu plutôt de s’inquiéter des attaques menées contre notre langue nationale par une langue étrangère, je veux dire l’anglo-américain.

Sur ce point très précis, certains de nos compatriotes n’hésitent pas à se demander si nous ne serions pas en voie de colonisation culturelle et linguistique, tandis que d’autres évoquent la « machine de guerre à angliciser » et annoncent pour bientôt un véritable Waterloo linguistique ! (Murmures sur les travées du groupe Les Républicains.)

Mme Colette Mélot. C’est excessif !

M. Roland Courteau. La vérité est que, dans notre pays, certaines de nos langues régionales s’éteignent, peu à peu, mais inexorablement. Il nous faut donc protéger ce patrimoine, donner une impulsion aux dynamiques existantes, mieux valoriser leur enseignement et favoriser la création artistique.

Non, la ratification de la charte ne participe d’aucune logique communautariste mettant en danger le pacte républicain.

Ratifier la charte, c’est, au contraire, accomplir un acte politique fort et symbolique. C’est donner une sécurité juridique à toutes les initiatives en faveur des langues régionales, trop souvent à la merci du pouvoir réglementaire ou du zèle contentieux. C’est se doter d’un soutien institutionnel dont la charte permet, justement, la mise en œuvre.

Ratifier la charte, c’est aussi s’assurer que toutes les langues seront égales en dignité.

Tels sont nos objectifs, à Claude Bérit-Débat, à Henri Cabanel, à nos collègues du groupe socialiste et à moi-même : concilier, comme cela a été dit, la langue de la République et la République des langues. Il est dommage, vraiment dommage que l’unanimité ne puisse se faire sur de tels enjeux ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain, du groupe CRC et du groupe écologiste. – Mme Hermeline Malherbe applaudit également.)

(M. Thierry Foucaud remplace M. Claude Bérit-Débat au fauteuil de la présidence.)