Sommaire

Présidence de M. Gérard Larcher

Secrétaires :

MM. Serge Larcher, Philippe Nachbar, Mme Valérie Létard.

1. Procès-verbal

2. Hommage aux victimes des intempéries dans les Alpes-Maritimes

3. Souhaits de bienvenue à une délégation parlementaire

4. Modernisation de notre système de santé. – Suite de la discussion en procédure accélérée et adoption d’un projet de loi dans le texte de la commission modifié

Explications de vote sur l’ensemble

Mme Laurence Cohen

Mme Catherine Génisson

Mme Aline Archimbaud

M. Robert Navarro

M. Gilbert Barbier

M. Alain Milon

M. Jean-Marie Vanlerenberghe

Ouverture du scrutin public

Suspension et reprise de la séance

Proclamation du résultat du scrutin public

Adoption, par scrutin public, du projet de loi dans le texte de la commission, modifié.

Mme Pascale Boistard, secrétaire d'État auprès de la ministre des affaires sociales, de la santé et des droits des femmes, chargée des droits des femmes

Suspension et reprise de la séance

5. Questions d'actualité au Gouvernement

situation d'air france

M. Vincent Capo-Canellas ; M. Manuel Valls, Premier ministre.

intempéries dans les alpes-maritimes

Mme Dominique Estrosi Sassone ; M. Bernard Cazeneuve, ministre de l'intérieur.

fin de vie

M. Michel Amiel ; M. Jean-Marie Le Guen, secrétaire d'État auprès du Premier ministre, chargé des relations avec le Parlement.

fiscalité du diesel

M. Ronan Dantec ; M. Christian Eckert, secrétaire d'État auprès du ministre des finances et des comptes publics, chargé du budget ; M. Ronan Dantec.

situation d'air france et rôle de l'état

Mme Éliane Assassi ; M. Alain Vidalies, secrétaire d'État auprès de la ministre de l'écologie, du développement durable et de l'énergie, chargé des transports, de la mer et de la pêche ; Mme Éliane Assassi ; M. Manuel Valls, Premier ministre.

intempéries dans les alpes-maritimes

M. Marc Daunis ; M. Bernard Cazeneuve, ministre de l'intérieur.

policier blessé en seine-saint-denis par un multirécidiviste

M. François Baroin ; M. Bernard Cazeneuve, ministre de l'intérieur.

rentrée universitaire

Mme Corinne Féret ; M. Jean-Marie Le Guen, secrétaire d'État auprès du Premier ministre, chargé des relations avec le Parlement.

situation des migrants

Mme Natacha Bouchart ; M. Bernard Cazeneuve, ministre de l’intérieur ; Mme Natacha Bouchart ; M. Manuel Valls, Premier ministre.

les soixante-dix ans de la sécurité sociale

M. Yves Daudigny ; M. Jean-Marie Le Guen, secrétaire d'État auprès du Premier ministre, chargé des relations avec le Parlement.

Suspension et reprise de la séance

6. Situation et avenir de l'agriculture. – Déclaration du Gouvernement suivie d’un débat

M. Stéphane Le Foll, ministre de l'agriculture, de l'agroalimentaire et de la forêt, porte-parole du Gouvernement

M. Didier Guillaume

M. Joël Labbé

M. David Rachline

M. Jacques Mézard

M. Jean-Claude Lenoir

M. Daniel Dubois

M. Michel Le Scouarnec

M. Henri Cabanel

M. Jean Bizet

M. Jean-Jacques Lasserre

M. Gérard Bailly

M. Daniel Gremillet

M. Stéphane Le Foll, ministre

Suspension et reprise de la séance

PRÉSIDENCE DE Mme Jacqueline Gourault

7. Mise au point au sujet d’un vote

8. Rappel au règlement

Mme Esther Benbassa ; M. Bernard Cazeneuve, ministre de l'intérieur.

9. Droit des étrangers en France. – Discussion en procédure accélérée d’un projet de loi dans le texte de la commission

Discussion générale :

M. Bernard Cazeneuve, ministre de l'intérieur

M. François-Noël Buffet, rapporteur de la commission des lois

M. Guy-Dominique Kennel, rapporteur pour avis de la commission de la culture

Question préalable

Motion n° 11 de Mme Éliane Assassi. – Rejet par scrutin public.

Discussion générale (suite)

Mme Esther Benbassa

M. Stéphane Ravier

M. Jacques Mézard

M. Michel Mercier

M. Christian Favier

M. Philippe Kaltenbach

M. Roger Karoutchi

Mme Natacha Bouchart

M. Jean-Yves Leconte

Mme Colette Giudicelli

Mme Catherine Tasca

Mme Dominique Gillot

M. Bernard Cazeneuve, ministre

Clôture de la discussion générale.

Renvoi de la suite de la discussion.

10. Ordre du jour

compte rendu intégral

Présidence de M. Gérard Larcher

Secrétaires :

M. Serge Larcher,

M. Philippe Nachbar,

Mme Valérie Létard.

M. le président. La séance est ouverte.

(La séance est ouverte à quinze heures quinze.)

1

Procès-verbal

M. le président. Le compte rendu analytique de la précédente séance a été distribué.

Il n’y a pas d’observation ?…

Le procès-verbal est adopté sous les réserves d’usage.

2

Hommage aux victimes des intempéries dans les Alpes-Maritimes

M. le président. Madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, au nom du Sénat tout entier, je voudrais exprimer notre émotion et notre compassion à l’égard des trop nombreuses victimes de la catastrophe qui s’est abattue, dans la nuit de samedi à dimanche, sur le département des Alpes-Maritimes. (Mme la secrétaire d’État, ainsi que Mmes et MM. les sénateurs se lèvent.)

Nos pensées vont aux familles des victimes et à tous ceux qui ont été touchés par le déferlement des eaux.

Je tiens à exprimer notre solidarité à nos collègues du département ainsi qu’à tous les élus des territoires concernés.

Je réunirai ce soir l’ensemble des collègues de ce département pour faire le point de la situation, à la suite des différents contacts que j’ai eus avec le président du conseil départemental et certains des maires concernés. Ayons une pensée pour tous ceux qui ont vécu ce drame. (Mmes et MM. les sénateurs, Mme la secrétaire d’État observent un instant de silence.)

3

Souhaits de bienvenue à une délégation parlementaire

M. le président. Madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, je suis heureux de saluer la présence dans notre tribune d’honneur de M. Asser Kuveri Kapere, président du Parlement de Namibie, accompagné de son collègue, M. Johannes Nakwafila. (Mmes et MM. les sénateurs se lèvent et applaudissent.)

Leur présence parmi nous fait suite au déplacement, en 2013, d’une délégation du groupe interparlementaire d’amitié France-Afrique australe, présidé par notre collègue Antoine Lefèvre, que je salue, de même que René Danesi, présent à ses côtés.

Au cours de leur séjour, nos collègues namibiens auront de nombreux entretiens de haut niveau sur les thèmes sensibles des ressources énergétiques et de l’élevage. Ils visiteront notamment un centre de recherche sur l’eau, un parc éolien ainsi que des établissements d’élevage.

Nous connaissons tous les enjeux liés à la lutte contre le changement climatique et savons à quel point la Namibie est affectée par ses conséquences. Nous connaissons et apprécions aussi la détermination de ce pays pour remédier aux effets des dérèglements climatiques.

Nous souhaitons, dans ce contexte, la plus cordiale bienvenue et de fructueux travaux à M. Kapere, et à la délégation qui l’accompagne. Nous espérons vivement pouvoir les accueillir de nouveau, le 6 décembre prochain, à l’occasion du volet parlementaire de la Conférence des Parties, la COP 21, qui se tiendra, sous l’égide de l’Union interparlementaire, au Sénat. (Applaudissements.)

4

Article additionnel après l'article 58 (interruption de la discussion)
Dossier législatif : projet de loi de modernisation de notre système de santé
Explications de vote sur l'ensemble (début)

Modernisation de notre système de santé

Suite de la discussion en procédure accélérée et adoption d’un projet de loi dans le texte de la commission modifié

M. le président. L’ordre du jour appelle les explications de vote des groupes et le vote solennel par scrutin public sur le projet de loi de modernisation de notre système de santé (projet n° 406, texte de la commission n° 654, rapport n° 653 [tomes I et II], avis nos 627 et 628).

Avant de passer au vote, je vais donner la parole à ceux de nos collègues qui ont été inscrits pour expliquer leur vote.

Je vous inviterai ensuite, mes chers collègues, à vous rendre en salle des Conférences pour voter et suspendrai la séance pendant la durée du scrutin, prévue pour une demi-heure maximum.

Je proclamerai enfin le résultat à l’issue du dépouillement, à seize heures trente, puis je donnerai la parole au Gouvernement.

Explications de vote sur l’ensemble

Discussion générale
Dossier législatif : projet de loi de modernisation de notre système de santé
Explications de vote sur l'ensemble (fin)

M. le président. J’indique au Sénat que la conférence des présidents a fixé, à raison d’un orateur par groupe, à sept minutes le temps attribué à chaque groupe politique, les sénateurs ne figurant sur la liste d’aucun groupe disposant de trois minutes.

La parole est à Mme Laurence Cohen, pour le groupe CRC. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC.)

Mme Laurence Cohen. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, durant deux semaines, nous avons examiné un projet de loi ayant pour ambition de moderniser notre système de santé.

Nous avions un défi considérable à relever compte tenu de la situation de la santé publique, notamment en termes d’offre de soins au regard des besoins de santé sur l’ensemble du territoire.

Or la logique qui nous a été imposée dès le départ a été le redéploiement et l’aménagement de l’offre de soins dans une enveloppe contrainte. En effet, le postulat qui fait consensus dans cet hémicycle, à l’exception de notre groupe, est qu’il faut restreindre les dépenses en matière de santé publique.

L’une des pistes privilégiées pour y parvenir est l’instauration des groupements hospitaliers de territoire ou GHT, de même que le développement de l’ambulatoire, qui serait moderne et efficace face à l’immobilisme de l’hospitalisation classique, sans compter l’encadrement de la médecine de ville par les agences régionales de santé, les ARS. Mais c’est un leurre de dire que les groupements hospitaliers de territoire sont destinés à éviter la disparition des établissements au profit de leurs regroupements.

C’est faire fi du lien de proximité indispensable à une médecine humaine. Je rappelle qu’il s’agit, après déjà de nombreuses fermetures, de passer de 1 300 hôpitaux sur l’ensemble de notre territoire à environ 150 GHT !

Pour la psychiatrie, qui a été la première discipline à s’ouvrir au travail en réseau et aux collaborations interdisciplinaires, c’est la mort annoncée de la politique de secteur et la poursuite d’une vision sécuritaire de cette discipline, autant de raisons qui nous ont conduits à voter contre l’article 13 du projet de loi.

Pourquoi vouloir en réalité rendre obligatoires ces GHT, qui plus est à marche forcée ? En effet, les directeurs des ARS les mettent déjà en place, sans même attendre le vote de la loi !

N’est-ce pas essentiellement par souci de restreindre les budgets, puisque cette réforme se traduirait par environ 400 millions d’euros de dépenses en moins sur trois ans ?

Comment imaginer, dans ces conditions, répondre aux besoins de la population et aux souffrances des personnels de santé ?

Par ailleurs, vouloir opposer l’ambulatoire à l’hospitalisation sous prétexte de réduire les inégalités d’accès aux soins est, là encore, bien illusoire. Cela revient à demander plus aux familles en termes d’assistance, de relais… Or, vous le savez pertinemment, tous les patients ne peuvent s’appuyer sur des parents vivants, disponibles, capables financièrement et moralement de s’occuper d’eux.

Cela revient également à privatiser une partie de l’activité hospitalière tout en multipliant des soins infirmiers et de kinésithérapie, ce que dénonce la Cour des comptes.

Quant aux déserts médicaux, pensez-vous régler le problème en permettant aux médecins hospitaliers d’exercer jusqu’à soixante-douze ans ?

Toutes ces mesures s’inscrivent, de surcroît, dans un déni de démocratie puisque vous refusez l’instauration de contre-pouvoirs à ceux des directeurs d’ARS qui deviennent hégémoniques !

Les quelques mesures positives – ouverture de salles de consommation à moindre risque, suppression du délai de réflexion pour l’IVG, reconnaissance des centres de santé dans le parcours de soins, effort de transparence quant aux liens d’intérêt… – sont loin de suffire pour changer la donne, à savoir transformer cette loi en une loi-cadre de santé publique. D’autant que la majorité de droite a refusé un certain nombre de propositions qui allaient dans le bon sens et que nous avons soutenues.

Je pense, bien évidemment, au tiers payant généralisé en 2017, qui est une aide utile à l’accès aux soins, même si, dans les conditions d’aujourd’hui, c’est aussi une incitation à la généralisation des complémentaires, donc des assurances.

Je pense, également, à l’inscription, dans chaque région, d’un plan d’action pour l’accès à l’interruption volontaire de grossesse, élaboré par les ARS.

À ce propos, je voudrais dénoncer la manœuvre de la majorité de droite, qui a consisté à refuser de voter les mesures en faveur de l’avortement sous le prétexte qu’elles relevaient de la bioéthique ! (Vives protestations sur les travées du groupe Les Républicains et de l'UDI-UC.) Je laisse nos concitoyennes et concitoyens en juger.

Si nous sommes contre ce projet de loi, nous n’oublions pas la responsabilité de la droite dans la « casse » de la santé publique. (Exclamations sur les travées du groupe Les Républicains et de l'UDI-UC.) Nous ne mêlons donc pas nos voix aux leurs, eux qui défendent la loi « HPST » ou « Bachelot », et qui soutiennent toujours davantage de restrictions budgétaires. (Protestations sur les travées du groupe Les Républicains et de l'UDI-UC.)

Nos critiques sont diamétralement opposées, comme nous l’avons clairement exprimé au cours de ces deux semaines de débat. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC.)

Je le redis ici, pour mon groupe, la région est bien le niveau pertinent concernant les questions de santé, tout comme le département l’est pour celles de la perte d’autonomie et de la petite enfance. C’est aussi le niveau de l’organisation de la formation professionnelle médicale et paramédicale.

Mais cela suppose de partir des besoins de santé de la population, à l’opposé de la recherche prioritaire par le Gouvernement de la répartition de l’offre de soins la moins-disante.

Le moteur de notre projet est la démocratie concrétisée à tous les niveaux. Elle doit permettre d’exprimer les besoins de santé, mais aussi d’assurer un contrôle démocratique des décisions et de la mise en œuvre des réponses à ces besoins.

Ainsi, madame la secrétaire d’État, nous aurions souhaité voir figurer dans ce projet de loi l’arrêt immédiat des suppressions d’activité et des fermetures de services de santé, donc le renoncement aux GHT, la relance des services d’urgence dans chaque bassin de vie, la suppression des franchises, des forfaits et des dépassements d’honoraires, l’attribution de moyens spécifiques aux missions des centres de santé, la relance d’une médecine préventive avec le développement de la médecine scolaire et de la médecine du travail, qui nécessite des moyens humains et financiers, un pôle public du médicament, une loi de santé mentale digne de ce nom, ainsi que l’affirmation d’un soutien au remboursement par la sécurité sociale des soins prescrits, avec le retour à 80 % tout de suite et à 100 % pour les jeunes de moins de vingt-cinq ans et les étudiants, avant d’atteindre 100 % pour tous et pour tous les soins prescrits.

Évidemment, pour cela, il faut des moyens, et nous allons à présent vous donner quelques idées de recettes supplémentaires.

M. Hubert Falco. Heureusement que vous êtes là !

Mme Laurence Cohen. Ainsi, pourquoi ne pas soumettre au taux actuel des cotisations sociales employeurs les profits financiers ? Cela pourrait générer plus de 87 milliards d’euros de recettes et, en rendant moins profitable la finance, on ouvrirait la voie à une réorientation de l’économie vers la production de richesses réelles.

De manière plus pérenne, nous proposons de supprimer la CSG et de combiner cette suppression avec un mouvement général de hausse des cotisations patronales, associé à un dispositif de modulation des cotisations sociales employeurs incitant l’entreprise à adopter une gestion vertueuse à l’égard de l’emploi et des salaires. (Exclamations ironiques sur les travées du groupe Les Républicains et de l'UDI-UC.)

M. François Grosdidier. Il n’y a pas assez de chômage ?

Mme Laurence Cohen. Ces propositions constituent de véritables marqueurs de gauche qui font défaut dans ce projet de loi. C’est pourquoi nous voterons contre ce texte. (Nouvelles exclamations sur les travées du groupe Les Républicains et de l'UDI-UC.)

Pour finir, mes chers collègues, j’ai davantage eu l’impression, durant ces quelques minutes, de me trouver dans une classe d’école maternelle…

M. François Grosdidier. Et nous devant une institutrice désagréable !

Mme Laurence Cohen.… ou dans un hall de gare que dans l’hémicycle… Mais il est vrai que vous êtes très nombreux aujourd’hui ! (Applaudissements sur les travées du groupe CRC et sur certaines travées du groupe socialiste et républicain. –Brouhaha sur les travées du groupe Les Républicains et de l'UDI-UC.)

M. le président. La parole est à Mme Catherine Génisson, pour le groupe socialiste et républicain. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain.)

Mme Catherine Génisson. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, pendant quinze jours, la Haute Assemblée a beaucoup travaillé sur le sujet de l’organisation de notre système de santé.

Au nom du groupe d’opposition sénatoriale, je remercie chaleureusement Mme la ministre de son écoute et de son engagement à défendre une République sociale : mieux prévenir, mieux soigner dans la proximité, renforcer les droits en intégrant le progrès médical, la recherche et l’innovation.

Je remercie également les rapporteurs, quand bien même nous avons été peu entendus sur le sujet de la modernisation sociale de notre système de santé.

Nos rapporteurs, d’ailleurs, n’ont pas toujours été suivis par une partie de la majorité sénatoriale – je pense, par exemple, à l’interruption volontaire de grossesse –, mais je dois aussi prendre acte du fait qu’ils se sont impliqués sur des enjeux de santé publique contre la majorité sénatoriale – je fais référence à leur soutien à l’expérimentation des salles de consommation à moindre risque.

Concernant l’analyse plus précise des débats, notre groupe acte la réécriture de l’article 1er qui, au-delà des principes généraux de prévention et de promotion de la santé, insiste sur la gestion du « risque santé » et met en évidence la notion de parcours de santé. Nous nous félicitons de la réintroduction de l’égalité entre les femmes et les hommes dans l’analyse des politiques de santé, ainsi que de celle des enjeux de santé environnementale et de la référence aux exposomes.

Nous pensons importante l’introduction du concept de prévention partagée, qui doit permettre aux non-spécialistes de la prévention et aux publics cibles d’être responsabilisés en tant qu’acteurs force de proposition.

Nous regrettons que la majorité sénatoriale, en refusant le rétablissement de l’article 2, ne reconnaisse pas que l’école est un lieu privilégié de prévention.

La lutte contre le tabac a beaucoup occupé nos débats. À côté de plusieurs dispositions permettant une meilleure prévention, en particulier le rétablissement de mesures de lutte contre la fraude, nos débats ont porté sur la mise en place du paquet neutre. Notre groupe a affirmé avec force que cette mesure trouve sa légitimité dès lors que la recherche d’une harmonisation fiscale du prix du tabac au niveau européen est voulue, ce qui doit permettre de lutter contre les marchés parallèles. Nous connaissons l’engagement de Mme la ministre de la santé sur cette question. Par ailleurs, le Gouvernement a également la responsabilité de traiter la question du maintien de la situation des buralistes ; nous sommes attentifs aux propositions de notre collègue député Fréderic Barbier sur cette question.

Nécessité de synthèse oblige, j’en viens au chapitre relatif à la prévention. Notre groupe acte le rétablissement de la non-discrimination relative à l’orientation sexuelle concernant le don du sang et, je le répète, l’expérimentation des salles de consommation à moindre risque.

Nous avons eu de longs échanges concernant l’organisation de la médecine de proximité, articulée autour du médecin traitant. Notre groupe déplore le conservatisme de notre président-rapporteur (Exclamations sur les travées du groupe Les Républicains.), qui a dénigré la mise en place de communautés professionnelles territoriales de santé, alors même que cette disposition entérine le rôle premier des médecins, des acteurs de santé de terrain, qui sont les promoteurs de leur organisation territoriale, les agences régionales de santé ayant un rôle de validation.

De même, si le groupe socialiste se félicite du rétablissement du pacte territoire-santé permettant de proposer des solutions de rééquilibrage dans l’implantation des médecins sur nos territoires, il regrette le non-rétablissement du service public hospitalier. Cette absence constitue un point négatif lourd pour l’organisation de notre système de santé quand il s’agit de maintenir des garanties fondamentales – accessibilité financière, égal accès et permanence des soins – et quand l’ensemble des établissements de santé sont éligibles au service public hospitalier, dès lors qu’ils répondent aux garanties exigées.

Nous actons aussi le maintien des groupements hospitaliers de territoire, contrairement à nos collègues. La mutualisation de projets médicaux hospitaliers doit être au service de l’optimisation qualitative des soins.

M. Didier Guillaume. Très bien !

Mme Catherine Génisson. Le groupe socialiste et républicain note positivement la décision de la Haute Assemblée de supprimer le délai de réflexion de sept jours pour accéder à l’interruption volontaire de grossesse, d’autoriser la possibilité pour les sages-femmes de pratiquer une IVG médicamenteuse et d’ouvrir la possibilité aux centres de santé, dès lors qu’existe un environnement chirurgical, de pratiquer les IVG instrumentales.

Nous nous félicitons que, grâce à un amendement du Gouvernement, soient précisés les moyens de proposer en permanence des solutions adaptées aux personnes handicapées et à leur famille afin, notamment, d’éviter les ruptures de parcours.

Nous soutenons aussi avec intérêt la proposition du Gouvernement d’expérimenter l’organisation de la filière visuelle : médecins ophtalmologistes, orthoptistes, opticiens, la spécialité d’optométrie n’ayant pas été reconnue en tant que telle. Nous serons très attentifs à l’évaluation de cette expérimentation.

Par ailleurs, nous avons salué la volonté du Gouvernement de reconnaître un nouveau droit : l’accès de nos concitoyens au droit à l’oubli, à la suite de la guérison de pathologies cancéreuses. Le débat a été passionné, et si la loi a obligation de prendre en compte les résultats du progrès médical, elle ne doit pas pour autant en être le prescripteur.

Notre groupe regrette que la majorité sénatoriale n’ait pas accepté un amendement gouvernemental délimitant les conditions du don d’organe. Si le principe de « consentement présumé » est acté par la majorité de nos collègues, beaucoup d’interrogations ont été soulevées concernant l’information ou la place de la famille, quand bien même le sujet de la famille n’est pas traité dans la loi actuellement. Il est dommage que la majorité sénatoriale n’ait pas accepté que l’année 2016 soit une année de débat d’autant plus nécessaire que la demande de greffons est très prégnante.

Mais c’est sur le sujet de l’organisation de la médecine de proximité que nous avons exprimé une opposition frontale avec les rapporteurs et la majorité sénatoriale, je veux parler de la généralisation du tiers payant, qui constitue une mesure technique, mais aussi une mesure de justice sociale.

L’enjeu essentiel de cette disposition est de garantir, ou du moins de favoriser, l’accès aux soins de certains de nos concitoyens qui peuvent être amenés à y renoncer pour des raisons financières.

Nous connaissons les pratiques de certains médecins généralistes qui trouvent des solutions pour que l’argument financier ne soit pas un obstacle à la consultation. Mais l’absence de recours aux soins se situe souvent en amont de l’entrée dans le cabinet du médecin.

Nous écoutons les arguments des médecins généralistes quand ils expriment leur inquiétude face à la surcharge administrative que cette mesure peut engendrer. Cependant, Mme la ministre a été catégorique quant aux conditions d’application de cette disposition, mettant en particulier en avant la production d’un rapport le 31 octobre 2015. Ce rapport doit présenter un état des lieux de la situation actuelle et dégager des propositions pour la mise en place d’un dispositif permettant un paiement rapide du ticket modérateur.

M. le président. Veuillez conclure, ma chère collègue.

Mme Catherine Génisson. Enfin, la médecine ambulatoire est et reste un exercice libéral dans un cadre socialisé.

Je termine en indiquant que nous aurions pu traiter de nombreux sujets. Nous avons notamment apprécié les dispositions relatives à la démocratie sanitaire.

Au-delà du constat d’un certain nombre d’acquis, notre groupe estime que le compte n’y est pas au vu de tout ce qui n’a pas été accepté par la majorité sénatoriale ! Forts de ce constat, nous ne pouvons pas voter le texte tel qu’il est issu des travaux de la Haute Assemblée et nous nous abstiendrons. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain.)

M. le président. La parole est à Mme Aline Archimbaud, pour le groupe écologiste.

Mme Aline Archimbaud. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, chers collègues, nous tirons un bilan en demi-teinte de l’examen en première lecture au Sénat de ce projet de loi.

D’un côté, notre groupe se félicite du caractère très constructif du débat et du fait que la défense de la santé publique ait pu rassembler, à de nombreuses reprises, par-delà les appartenances politiques. Le texte adopté en juillet par la commission des affaires sociales a été nettement amélioré en séance plénière.

Avec vingt-cinq amendements adoptés, le groupe écologiste du Sénat se satisfait d’avoir fait progresser le débat sur un certain nombre de points.

Concernant la santé environnementale, tout d’abord, alors qu’en France plus de 80 % des dépenses remboursées par l’assurance maladie sont consécutives à des affections chroniques dont l’apparition et l’aggravation sont, le plus souvent, liées à nos modes de vie et à la pollution de notre environnement, il est salutaire que le Sénat ait rétabli, à l’article 1er, la mention de l’exposome et qu’il ait permis que le plan national « santé environnement » soit placé au cœur de la stratégie nationale de santé.

Notre groupe se réjouit également de l’adoption de l’amendement « amiante », qui permettra la mise à disposition du public, sur un site internet en accès libre, de la liste des rapports annuels d’activité des diagnostiqueurs de présence d’amiante, ainsi que des résultats de leurs analyses. Nous nous félicitons aussi que l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail, l’ANSES, soit désormais appelée à remettre au Gouvernement un rapport sur l’identification des substances ayant un effet de perturbateur endocrinien et sur leurs effets cumulatifs.

L’adoption d’une demande de rapport sur la présence de nanomatériaux dans les médicaments et les dispositifs médicaux, le rétablissement de l’interdiction du bisphénol A –bien qu’elle soit désormais plus circonscrite – dans les jouets ou encore l’extension à l’ensemble des causes de pollution atmosphérique de la possibilité, pour le Gouvernement, de fixer par décret des règles générales d’hygiène sont également des avancées à saluer.

Sur le plan de l’accès aux droits, ensuite, le Sénat a, sur notre proposition, rendu automatiques l’ouverture et le renouvellement des droits à la couverture maladie universelle complémentaire pour les allocataires du RSA socle. Il s’agit d’une victoire non négligeable, qui était très attendue, étant donné que plus de 36 % des personnes éligibles à la CMU complémentaire n’y ont pas recours, parce qu’elles sont confrontées à une double procédure extrêmement complexe.

Je me félicite à mon tour du travail intergroupes que nous avons pu mener sur le droit à l’oubli, lequel doit permettre aux anciens malades du cancer de souscrire des emprunts bancaires. Grâce à deux amendements que nous avons déposés avec plusieurs autres groupes, le Sénat en a élargi la portée : l’avenant à la convention Aeras signé fin mars par le Gouvernement et les assureurs de santé pour mettre en œuvre le droit à l’oubli a désormais valeur législative et des décrets d’application sont prévus pour définir les sanctions en cas de manquement à cette obligation. Par ailleurs, le délai maximal au-delà duquel aucune information médicale ne peut être recueillie en cas de pathologie cancéreuse est désormais fixé à dix ans au lieu de quinze, et même à cinq ans pour les enfants.

La réintroduction du programme régional d’accès à la prévention et aux soins – le PRAPS – dans le schéma régional de santé, conformément aux objectifs du plan pluriannuel de lutte contre la pauvreté, est également une bonne nouvelle en matière d’accès aux soins. Il en va de même de la meilleure évaluation par le Gouvernement des risques psychosociaux et des pathologies auxquels sont confrontés les aidants familiaux.

Enfin, sur le sujet de l’égalité quels que soient le genre et l’orientation sexuelle, notre groupe se félicite de la réintroduction de l’objectif d’égalité entre les femmes et les hommes dans la définition des politiques de santé, mais aussi du rétablissement de diverses mesures importantes relatives à l’IVG et de la possibilité ouverte aux homosexuels de donner leur sang dans les mêmes conditions que le reste de la population.

Sur tous les thèmes que je viens d’évoquer, notre groupe souhaite vivement que la poursuite du parcours législatif de ce texte permette de préserver les acquis en matière de santé environnementale et de lutte contre la précarité.

Sur le don d’organes, sujet crucial sachant que 20 000 malades sont en attente d’une greffe, nous espérons que la suite de la navette permettra de trouver un compromis satisfaisant, dans la sérénité.

D’un autre côté, notre groupe regrette très fortement que, à l’issue des débats au Sénat, le projet de loi marque, sur plusieurs points très importants, un recul par rapport au texte adopté par l’Assemblée nationale.

Par exemple, nous déplorons que l’on ait profité de l’examen d’un texte relatif à la santé pour donner un coup de canif à la loi Évin, au travers d’un amendement qui fait fortement reculer l’encadrement de la publicité pour l’alcool, alors que celui-ci est responsable de 50 000 morts par an. (Protestations sur les travées du groupe Les Républicains.)

De même, le recul sur le paquet de cigarettes neutre nous paraît très négatif. La mise en place de ce dispositif dans d’autres pays a significativement réduit l’attractivité du paquet de cigarettes et des marques de tabac, et par là même l’envie de fumer, notamment chez les jeunes. On le sait, un tiers des fumeurs réguliers sont des jeunes.

Sur ces points, chacun a pris ses responsabilités ! Ces deux amendements sont pour nous inacceptables. Nous regrettons aussi fortement le rejet de la généralisation du tiers payant, dans une société en pleine crise, où les ruptures de situation sont rapides, imprévisibles et peuvent concerner tous les citoyens, y compris ceux qui se sentent à l’abri des difficultés.

En conclusion, le texte adopté en séance plénière présente des avancées, mais trois décisions concernant le tabac, l’alcool et le tiers payant font que nous ne pouvons pas le voter. Les écologistes se mobiliseront à l’Assemblée nationale pour maintenir ces avancées, mais aussi pour soutenir le rétablissement du tiers payant, de l’intégralité du dispositif de la loi Évin et de la mise en place du paquet neutre.

Le groupe écologiste du Sénat s’abstiendra. (Applaudissements sur les travées du groupe écologiste et du groupe socialiste et républicain.)

M. le président. La parole est à M. Robert Navarro, pour la réunion administrative des sénateurs ne figurant sur la liste d’aucun groupe.

M. Robert Navarro. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, c’est avec plaisir que je voterai en faveur de l’adoption de ce projet de loi « santé » tel qu’il est issu de nos travaux au Sénat. Alors que certains rêvent de supprimer le Sénat dans un proche avenir, à gauche comme à droite,…

M. Jacques Mézard. Ce n’est pas bien !

M. Robert Navarro. … nous faisons, une fois de plus, la démonstration de notre utilité : nous ne sommes soumis ni à un gouvernement ni à la bien-pensance de je ne sais quel parti et de ses cadres parisiens !

Mme Isabelle Debré et M. Hubert Falco. Très bien !

M. Robert Navarro. J’en veux pour preuve deux modifications apportées par le Sénat au projet de loi de modernisation de notre système de santé.

Il s’agit, tout d’abord, de la clarification de la législation existante afin de favoriser la promotion touristique de nos paysages viticoles. Tout le monde le sait, la prohibition, l’interdit n’améliorent rien, bien au contraire !

L’encadrement de la publicité en faveur des boissons alcooliques, tel qu’il existe aujourd’hui, était la cause d’un flou juridique insupportable : au gré des jurisprudences, un contenu journalistique, culturel ou œnotouristique devenait de la publicité et était interdit. Si la lutte contre l’alcoolisme justifie que des restrictions soient apportées à la publicité, il est essentiel d’opérer une distinction claire entre publicité, d’une part, et contenus journalistiques informatifs tels qu’on en trouve dans les reportages, d’autre part.

Je le dis à mes collègues députés : il faudrait être fou pour revenir là-dessus ! Partout dans le monde, la France est vue comme le pays du vin et de la viticulture : n’allons pas scier la branche sur laquelle nous sommes assis ! Nous devons, au contraire, tout faire pour promouvoir nos terroirs et nos paysages viticoles, ainsi que nos produits et savoir-faire, qui contribuent aussi au rayonnement de la France dans le monde.

Par ailleurs, concernant le tabac, je me réjouis également de l’adoption de l’amendement relatif au remplacement du dispositif du « paquet neutre » par une stricte transposition de la directive européenne prévoyant de porter à 65 % la surface des paquets de cigarettes consacrée aux avertissements sanitaires.

Pourquoi faire des excès de zèle dans beaucoup de domaines et chercher à « surtransposer », au risque d’agacer profondément nos compatriotes, quand il s’agit, simplement, de transposer ? Aller plus loin n’entraînerait que lourdeur et surcharge législatives. Plus que les paquets neutres, qui compliqueraient considérablement le quotidien des buralistes, déjà difficile, les messages sanitaires constituent un frein parfait à l’excès de tabac et à ses conséquences pour la santé.

Entre le tout et le rien, il y a un point d’équilibre sain, qui s’appelle la modération. C’est dans cet esprit que nous devons faire œuvre de pédagogie, pour le vin, le tabac, mais aussi pour toute l’alimentation, toutes les activités, notamment sportives, et y compris celle de législateur ! (Applaudissements sur certaines travées du RDSE et du groupe Les Républicains.)

M. le président. La parole est à M. Gilbert Barbier, pour le groupe du RDSE.

M. Gilbert Barbier. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, ce projet de loi à l’intitulé ambitieux recouvre, de fait, une attaque en règle contre le corps médical en général et le système libéral en particulier. (Protestations sur les travées du groupe socialiste et républicain. – Marques d’approbation sur les travées du groupe Les Républicains.) Pourquoi vouloir réformer sans concertation avec les acteurs concernés ? (Très bien ! et applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.) Que veut le Gouvernement ? Une médecine étatisée ? (Protestations sur les travées du groupe socialiste et républicain.) En revenir aux officiers de santé d’antan ? (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

L’éminent professeur américain Albert Lyons soulignait, il y a quelque temps, la contradiction entre le rôle essentiel dévolu au médecin et la volonté de l’assimiler à un commerçant, à un fournisseur de soins gratuits, de le taxer comme un chef d’entreprise et de soumettre ses actes au contrôle de groupes de pression extérieurs à la profession.

Madame la secrétaire d’État, les médecins en ont assez !

MM. Roger Karoutchi et Bruno Sido. Oui!

M. Gilbert Barbier. Si, aujourd’hui, d’une manière quasiment unanime – fait exceptionnel dans la profession – les médecins se rebellent, c’est certes du fait de l’accumulation des contraintes pesant sur l’exercice, mais c’est aussi en raison du risque majeur de voir se rompre le dialogue singulier entre médecin et patient, fondé sur le respect mutuel.

M. Philippe Bas. Très juste !

M. Gilbert Barbier. Ainsi, à ce jour, on n’avait jamais vu autant de médecins, jeunes ou moins jeunes, se détourner de l’exercice libéral. Il ne sert à rien de se lamenter sur la désertification médicale, qu’elle soit rurale ou périurbaine, si l’on ne recrée pas des conditions d’exercice plus acceptables.

Le Gouvernement a voulu faire du tiers payant généralisé l’emblème, la devise, l’étendard de son projet ; c’est en quelque sorte son trophée. Il a focalisé tous les mécontentements sur ce point, rendant inaudible le reste du texte, dont il faut constater, sinon la vacuité, à tout le moins l’insuffisance, notamment en matière de mesures propres à résoudre les difficultés actuelles du système : rien sur le numerus clausus, rien sur la restructuration de la codification, rien sur la réorganisation hospitalière publique, rien sur l’inégalité flagrante entre nos concitoyens, inégalité territoriale, mais aussi qualitative !

Cette loi a-t-elle pour objet de casser ce qui a fait depuis près de cent cinquante ans la valeur et la grandeur de la médecine française, fondée avant tout sur la liberté du médecin et la liberté du patient ? Telle n’est sans doute pas la volonté de Mme la ministre des affaires sociales, mais ce texte avalise un modèle idéologique extrême, tenant pour intolérable que plus du tiers des soins hospitaliers aigus soient dispensés dans le secteur privé. Nous avons davantage affaire à une idéologie dévastatrice qu’à un pragmatisme de bon aloi !

De fait, ce projet de loi manque cruellement de fil conducteur et les chapitres aux titres ronflants apparaissent viser davantage à un impact médiatique qu’à l’efficacité, et sont sous-tendus par des positions souvent surprenantes, voire contradictoires.

Par exemple, il est très bien de vouloir lutter contre le tabagisme, mais pourquoi refuser de prendre des mesures efficaces pour lutter contre la consommation de cannabis ? On cherche à comprendre… (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et de l'UDI-UC.)

Vous voulez lutter contre la drogue et, parallèlement, ouvrir des salles de consommation, dans un déni du droit de notre pays : quel message pour le public ! (Très bien ! et applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

Vous voulez imposer une norme hexagonale avec le paquet neutre, en contradiction avec le règlement européen : pourquoi pas ? Mais vous refusez la limitation du dosage du 4-méthylimidazole dans les sodas au nom du respect de ce même droit européen : allez comprendre !

Nos rapporteurs, au prix d’un très gros travail, ont profondément modifié la version de l’Assemblée nationale, dont Mme la ministre des affaires sociales a fait valoir, tout au long de la discussion, qu’elle était l’alpha et l’oméga, le commencement et la fin pour une modernisation idyllique du système de santé. Le texte initial me paraissait pourtant déjà plus compréhensible, sinon plus raisonnable.

Cependant, je regrette que le texte dit « de la commission » soit un peu trop le texte des rapporteurs. Je le sais, les aléas du calendrier n’ont pas permis une concertation qui aurait peut-être évité à la majorité de cette assemblée d’avoir à déposer plusieurs centaines amendements en séance publique. Cette concertation aurait aussi permis d’éviter les décisions pour le moins surprenantes d’une majorité s’engouffrant, par exemple, dans l’adoption de mesures coercitives pour lutter contre la désertification médicale, ou encore attaquant violemment les experts médicaux, qui, certes, ne sont pas tous des saints, mais dont la très grande majorité effectuent consciencieusement leur travail.

M. Yves Daudigny. C’est vrai !

M. Gilbert Barbier. Plusieurs sujets délicats auraient mérité un meilleur sort qu’une simple évocation au détour de l’examen d’un amendement : je veux parler des problèmes touchant à l’éthique, à la bioéthique, à l’interruption volontaire de grossesse. On a alors, à gauche de l’hémicycle, invoqué Simone Veil, en oubliant que si sa détermination a certes été fondamentale, elle a agi avec l’accord du Président de la République de l’époque et de deux de ses Premiers ministres. Monsieur Mézard, votre père a suffisamment défendu ce projet de loi pour que vous puissiez en parler !

Pour moi, ce texte reste très insuffisant au regard du défi de la modernisation nécessaire. Il a été sur plusieurs points toiletté et amélioré, mais, compte tenu de l’ampleur du sujet, il aurait mérité au moins de faire l’objet de la procédure normale, plutôt que de la procédure accélérée. Nous avons bien ressenti que Mme la ministre des affaires sociales entendait faire rétablir par les députés beaucoup des articles que nous avons supprimés. Soit, mais je crains que, par là même, les grands défis ne restent à relever.

Alors, quelle est la position des membres du groupe RDSE au moment du vote de ce texte, qui comporte des mesures pouvant être considérées comme positives et d’autres comme négatives ou insuffisantes ? Cette position sera déterminée essentiellement par l’appréciation que chacun d’entre nous porte sur le sujet phare, celui qui nous divise : le tiers payant généralisé.

Assistant à notre débat du haut de son piédestal, Michel de L’Hospital a dû penser que l’esprit de tolérance qu’il défendait en son siècle n’avait pas fait beaucoup de progrès dans la société moderne ! (Applaudissements sur les travées du RDSE et du groupe Les Républicains, ainsi que sur certaines travées de l’UDI-UC.)

M. le président. La parole est à M. Alain Milon, pour le groupe Les Républicains. (Vifs applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. Alain Milon. Monsieur le président, madame la secrétaire d'État, mes chers collègues, je voudrais d’abord saluer le travail accompli en tant que rapporteurs par Mmes Deroche et Doineau, MM. Reichardt et Longeot, trop peu souvent cités dans ce débat.

Le groupe Les Républicains du Sénat a clairement marqué sa position, en soutien à celle de la commission des affaires sociales. Confronté à un texte portant diverses dispositions d’ordre sanitaire, notre groupe a fait le choix de se concentrer sur les enjeux réellement importants pour l’organisation des soins sur notre territoire.

Ce choix imposait notamment de ne pas traiter, à l’occasion de l’examen de ce projet de loi, les questions qui relèvent à nos yeux des débats sur la bioéthique : je pense en particulier au don d’organes. On ne peut aborder sereinement ces sujets graves et complexes que dans le cadre de débats spécifiques et cohérents, et non pas au milieu de l’examen de mesures techniques portant sur divers sujets. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

Mme Isabelle Debré. Très bien !

M. Alain Milon. Le groupe Les Républicains a également souhaité s’opposer aux dispositions purement déclaratoires ou redondantes par rapport au droit existant, ainsi qu’aux très nombreuses – cinquante-trois en tout – demandes de rapport.

La loi doit disposer pour tous les Français sur l’ensemble du territoire national. Multiplier les approches partielles, c’est prendre le risque d’affirmer que la santé des uns est plus importante que celle des autres. Répéter des dispositions existantes, au motif qu’elles ne sont pas suffisamment appliquées, c’est décrédibiliser la loi et le travail du législateur. Oui, l’action du Gouvernement pour l’application des textes est insuffisante dans plusieurs domaines essentiels. Oui, plusieurs sujets méritent débat. C’est pour cette raison que le Parlement dispose d’un pouvoir de contrôle, qu’il nous appartient d’utiliser dans toute son étendue.

Le groupe Les Républicains a fait le choix de construire notre système de santé avec les professionnels de santé, et non pas contre eux, comme cela est fait, par exemple, avec la généralisation du tiers payant.

De même, nous avons jugé indispensable de prendre davantage en compte les initiatives de terrain, sans lesquelles rien ne peut se faire. C’est pourquoi nous soutenons le renforcement des pôles de santé, tel que l’a voulu le Sénat, plutôt que la création, madame Génisson, de nouvelles structures, à savoir les communautés professionnelles territoriales de santé. Il ne semble pas opportun, en effet, de remettre en cause, à l’occasion de l’élaboration de chaque nouvelle loi de santé, des dispositifs qui ont à peine eu le temps de se mettre en place, d’autant plus lorsque ceux-ci fonctionnent bien, comme plusieurs de nos collègues ont pu le constater sur leur territoire.

Nous estimons que tous les acteurs de santé, publics et privés, sont indispensables pour répondre aux besoins de la population. Si nous sommes favorables au rétablissement du service public hospitalier, nous estimons nécessaire de maintenir des missions de service public susceptibles d’être exercées par les cliniques privées. Les réalités de terrain ne se plient pas aux approches idéologiques.

Nos choix concernant ce texte s’inscrivent dans la continuité de ceux que nous avions faits lors de l’élaboration de la loi de 2009 portant réforme de l’hôpital et relative aux patients, à la santé et aux territoires, dite loi HPST. Six ans après son adoption, des adaptations étaient nécessaires, et nous les avons accompagnées par le biais de nos amendements, notamment au sujet des groupements hospitaliers de territoire. La loi HPST n’était donc pas si mauvaise, puisque aujourd’hui le Gouvernement reprend son cadre et renforce le pouvoir des agences régionales de santé.

Le texte élaboré par le Sénat reflète, pour l’essentiel, les choix de cohérence et de responsabilité du groupe Les Républicains et la confiance que celui-ci place dans les acteurs de terrain pour relever les défis que pose la santé des Français. Concernant, par exemple, le droit à l’oubli, je rappellerai que la première convention Aeras date de 1991, et non de 2015, une nouvelle convention ayant été signée en 2001.

Le groupe Les Républicains considère que ce texte, tel qu’il a été largement remanié par le Sénat, marque une amélioration notable par rapport tant à la version initiale du Gouvernement, qui faisait contre elle l’unanimité des professionnels de santé, qu’à celle de l’Assemblée nationale. Nous le voterons donc résolument.

Enfin, madame la secrétaire d’État, je voudrais le redire, il m’apparaît que l’on ne peut aujourd’hui discuter d’une loi de santé publique sans engager parallèlement une réforme permettant de financer durablement l’accès aux soins de tous. La réflexion ne devra pas porter uniquement sur les sources de financement des dépenses sociales, mais également sur l’architecture même de la sécurité sociale.

Du fait qu’il n’aborde pas la question du financement pérenne des soins, le projet de loi demeure nécessairement incomplet, et nous devrons donc poursuivre nos débats, notamment à l’occasion de l’examen du PLFSS. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et sur de nombreuses travées de l'UDI-UC.)

M. le président. La parole est à M. Jean-Marie Vanlerenberghe, pour le groupe UDI-UC. (Applaudissements sur les travées de l'UDI-UC.)

M. Jean-Marie Vanlerenberghe. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, lors de la discussion générale, notre collègue Gérard Roche saluait le travail de coproduction auquel l’examen de ce texte avait donné lieu.

C’est dans le même état d’esprit, que nous mettons au crédit de nos rapporteurs, avec une mention particulière pour notre collègue Élisabeth Doineau, dont c’était le premier rapport (Applaudissements sur les travées de l'UDI-UC.), que les membres du groupe UDI-UC achèvent cette première lecture.

Nos débats ont aussi permis de nourrir le dialogue avec le Gouvernement. En tant que centristes, nous ne pouvons que nous en réjouir.

Sur le plan des principes généraux, par exemple, notre commission a souhaité simplifier et clarifier.

C’est le cas au sujet de l’affirmation du droit à donner son sang, quelle que soit son orientation sexuelle.

C’est aussi le cas de la suppression du délai de sept jours entre deux rendez-vous pour accéder à l’IVG : quarante ans après son vote, la loi Veil est parvenue à l’âge adulte, et il a semblé opportun à une majorité des membres de mon groupe de simplifier sa mise en œuvre.

La même recherche de tempérance a présidé à nos travaux en matière de prévention.

Par exemple, l’article 5 bis A, qui interdit les fontaines à boissons sucrées proposant une offre à volonté, nécessitait un délai d’application. Je me félicite donc d’avoir fait adopter, avec l’accord de Mme la ministre, un amendement qui fixe une période transitoire de douze mois.

Dans le même ordre d’idées, les industriels du jouet se sont vivement émus du contenu de l’article 11 quater, qui interdit le bisphénol A dans les jouets et amusettes. Là encore, l’amendement du Gouvernement liant cette interdiction à des seuils de concentration et de migration du bisphénol A permet d’atteindre l’objectif de santé publique sans mettre en danger toute une filière de production.

Un dernier exemple, et non des moindres, pour ce qui concerne le volet prévention, a trait au tabac. Certes, il s’agit d’un fléau sanitaire contre lequel il ne faut pas désarmer. Pour autant, les mesures prises doivent avoir du sens. Qu’aurait apporté une « surtransposition » hexagonale de la directive européenne sur le paquet neutre ? Rien de plus au regard des éléments sanitaires dont nous disposons actuellement, sinon un probable accroissement du trafic clandestin et frontalier.

Le dialogue législatif a aussi porté sur le parcours de santé et la structuration de l’offre de soins.

Nous sommes parvenus à une rédaction équilibrée de l’article 27, qui met en œuvre les groupements hospitaliers de territoire, en donnant notamment une plus grande place aux élus.

Le constat est identique pour ce qui concerne le dossier médical partagé et, plus globalement, la lettre de liaison ville-hôpital, qui, dématérialisée et obligatoire, a maintenant valeur législative.

Tels sont, à nos yeux, les aspects du texte les plus porteurs d’avenir.

Cependant, il demeure encore, bien sûr, des divergences de fond entre le Gouvernement et la Haute Assemblée.

Elles portent, évidemment, sur le tiers payant généralisé. Nous partageons l’objectif de faciliter l’accès aux soins pour tous ; il s’agit d’un acquis social essentiel, que l’on ne saurait remettre en cause au moment où la sécurité sociale fête ses soixante-dix ans. Soit dit entre parenthèses, cela soulève la question de la place de plus en plus importante des assurances complémentaires santé et du désengagement de l’assurance maladie.

La généralisation du tiers payant pose deux questions, une fausse et une vraie, la fausse ayant eu tendance à éclipser la vraie.

La fausse question est celle des délais de remboursement des médecins par la sécurité sociale et les complémentaires en cas de mise en place du dispositif. Nous savons que, techniquement, cela ne poserait pas de difficultés majeures et ne serait pas coûteux.

La vraie question porte sur la crainte qu’ont les médecins de passer insidieusement d’un système libéral à un salariat qui ne dit pas son nom.

Nous regrettons que, pour l’heure, le doute subsiste et que l’adhésion des professionnels de santé fasse défaut. Madame la secrétaire d’État, comme le disait Michel Crozier il y a très longtemps, « on ne change pas la société par décret ».

C’est d’ailleurs exactement la même logique qui a structuré nos débats sur la désertification médicale et l’offre de soins conventionnée. Le Sénat parie sur la négociation, en demandant que cette dernière ait lieu dans le cadre de la convention nationale entre les médecins et l’assurance maladie.

Le dernier point de divergence que je souhaite évoquer porte sur le don d’organes.

Personne ne remet en cause le don d’organes automatique en l’absence de refus exprimé par la personne concernée, mais sa mise en œuvre soulève une double question.

Sur le plan pratique, les chiffres cités lors du débat par Alain Milon sont édifiants : il n’est pas normal que le refus de prélèvement d’organes soit de 20 % à Nantes et de 40 % en Île-de-France. De tels chiffres montrent bien qu’il s’agit d’une question non pas de loi, mais de pédagogie, de formation des praticiens et d’information du public.

En revanche, une question de droit se pose, s’agissant de la relation du corps médical avec la famille. Elle doit être résolue au plus vite, car des milliers de vies sont en jeu.

Coiffant ma casquette de rapporteur général du PLFSS, je conclurai en souhaitant que les orientations les plus prometteuses du présent texte contribuent à l’amélioration non seulement de la qualité des soins, mais aussi des soldes sociaux.

Au bénéfice de ces observations, le groupe UDI-UC votera en faveur de l’adoption du texte issu de nos débats, sans doute imparfait, mais équilibré. (Applaudissements sur les travées de l'UDI-UC et du groupe Les Républicains.)

M. Alain Milon. Nul n’est parfait ! (Sourires.)

Ouverture du scrutin public

M. le président. Il va être procédé, dans les conditions prévues par l’article 56 du règlement, au scrutin public sur l’ensemble du projet de loi.

Ce scrutin sera ouvert dans quelques instants.

Il aura lieu en salle des conférences, conformément aux dispositions du chapitre 15 bis de l’Instruction générale du Bureau.

Je remercie nos collègues M. Serge Larcher, Mme Valérie Létard et M. Philippe Nachbar, secrétaires du Sénat, qui vont superviser ce scrutin.

Je rappelle qu’une seule délégation de vote est admise par sénateur.

Je déclare le scrutin ouvert pour une demi-heure et vais suspendre la séance jusqu’à seize heures trente, heure à laquelle je proclamerai le résultat.

La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à seize heures dix, est reprise à seize heures trente.)

M. le président. La séance est reprise.

Proclamation du résultat du scrutin public

M. le président. Voici, compte tenu de l’ensemble des délégations de vote accordées par les sénateurs aux groupes politiques et notifiées à la présidence, le résultat du scrutin n° 3 :

Nombre de votants 346
Nombre de suffrages exprimés 215
Pour l’adoption 185
Contre 30

Le Sénat a adopté le projet de loi relatif à la santé dans le texte de la commission, modifié. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et de l'UDI-UC.)

Monsieur le président de la commission des affaires sociales, mesdames, messieurs les rapporteurs, je vous remercie du travail effectué au cours des deux dernières semaines.

La parole est à Mme la secrétaire d'État.

Mme Pascale Boistard, secrétaire d'État auprès de la ministre des affaires sociales, de la santé et des droits des femmes, chargée des droits des femmes. Monsieur le président, mesdames, messieurs les rapporteurs, mesdames les sénatrices, messieurs les sénateurs, je vous demande en premier lieu de bien vouloir excuser l’absence de Marisol Touraine, qui participe actuellement à la célébration des soixante-dix ans de la sécurité sociale, manifestation à laquelle je vais d’ailleurs me rendre dans quelques instants.

La ministre des affaires sociales a eu l’occasion de le dire jeudi dernier, les débats autour de ce texte ont été de grande qualité et toujours respectueux. Chacun a pu faire valoir son point de vue et défendre ses convictions.

Vous le savez, l’ambition de ce texte est de moderniser notre système de santé pour lui permettre de répondre aux grands défis qui en bouleversent les équilibres.

Le vieillissement de la population, le développement des maladies chroniques, les inégalités en matière de santé : tous ces enjeux appellent une action déterminée. Les débats ont montré que ce constat était très largement partagé, même si l’accord sur les moyens propres à concrétiser l’ambition d’un système modernisé est parfois moins large.

Deux mesures phares, la généralisation du tiers payant pour renforcer l’accès aux soins et la mise en place du paquet neutre pour lutter contre le tabagisme, ne figurent plus dans le texte que vous avez adopté. Marisol Touraine a dit sa détermination à réintroduire ces mesures à l’occasion de l’examen du texte par l’Assemblée nationale (Exclamations sur les travées du groupe Les Républicains.), et je sais que le débat parlementaire se poursuivra sereinement.

Enfin, vous me permettrez de me réjouir, en tant que secrétaire d’État chargée des droits des femmes, de l’adoption par votre assemblée de plusieurs mesures issues du plan IVG que nous avions présenté en janvier dernier, Marisol Touraine et moi-même.

M. Alain Milon, président de la commission des affaires sociales. Très bien !

Mme Pascale Boistard, secrétaire d'État. Ce sont là des avancées majeures pour les femmes et le Sénat peut être fier d’avoir permis leur adoption.

Je ne doute pas, au vu de la qualité des débats et de nos échanges, que cette même assemblée aura à cœur, la semaine prochaine, de défendre à nouveau les droits des femmes en faisant encore progresser la lutte contre les violences faites aux femmes. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain et du groupe CRC.)

M. le président. Merci, madame la secrétaire d'État.

Je souhaite, bien sûr, un bon soixante-dixième anniversaire à la sécurité sociale ! Du reste, j’ai moi-même participé ce matin, dans le cadre de cette célébration, à un débat à la Mutualité.

Mes chers collègues, nous allons interrompre nos travaux pour quelques instants.

La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à seize heures trente-cinq, est reprise à seize heures quarante-cinq.)

M. le président. La séance est reprise.

Explications de vote sur l'ensemble (début)
Dossier législatif : projet de loi de modernisation de notre système de santé
 

5

Questions d'actualité au Gouvernement

M. le président. L’ordre du jour appelle les questions d’actualité au Gouvernement.

Monsieur le Premier ministre, mesdames, messieurs les ministres, mes chers collègues, cette séance du mardi est véritablement une première. Je remercie, une nouvelle fois, le Gouvernement et vous en particulier, monsieur le Premier ministre, monsieur le secrétaire d’État chargé des relations avec le Parlement, d’avoir compris notre démarche et de l’avoir acceptée.

Je rappelle que la séance est retransmise en direct sur Public Sénat et sur le site internet du Sénat.

L’auteur de chaque question dispose de deux minutes, y compris la réplique.

La durée de deux minutes s’applique également à la réponse des membres du Gouvernement, même si M. le Premier ministre bénéficie d’une horloge spéciale… (Sourires.)

situation d'air france

M. le président. La parole est à M. Vincent Capo-Canellas, pour le groupe UDI-UC. (Applaudissements sur les travées de l'UDI-UC.)

M. Vincent Capo-Canellas. Monsieur le Premier ministre, la France a découvert hier des images ahurissantes, saisies à l’occasion de la réunion du comité central d’entreprise d’Air France. Ces images ont fait le tour du monde : des dirigeants molestés, presque lynchés, obligés de fuir sous les insultes d’un groupe minoritaire de salariés agissant au mépris des lois et du simple respect de la personne humaine.

Ces actes méritent la plus ferme des réprobations et appellent des poursuites pénales.

Les auteurs de ces délits ne sauraient engager la compagnie Air France, qui est au cœur du patrimoine français, qui a toujours porté haut les valeurs de travail d’équipe, de solidarité et de respect, et qui a su relever le défi de la conquête des passagers du monde entier.

Air France est et restera une source de fierté pour nos concitoyens, une compagnie fidèle aux standards internationaux les plus élevés du transport aérien. Mais Air France doit aussi s’adapter à une nouvelle donne, redevenir pleinement compétitive, après plusieurs plans de performance, baisser ses coûts et renégocier son pacte social.

Le principal syndicat de pilotes est pointé du doigt, à juste titre, pour avoir refusé les propositions de la direction. L’ensemble du personnel est inquiet devant les mesures sociales annoncées, qui incluent des réductions très nettes de capacité et des licenciements en grand nombre.

L’émotion, comme vous le savez, monsieur le Premier ministre, est considérable ; la situation est bloquée.

Que compte faire le Gouvernement pour aider Air France à franchir cette étape, parmi les plus rudes de son histoire ? Chacun a connaissance des difficultés très graves du secteur du transport aérien français.

Détenteur de 17 % du capital de la compagnie, l’État ne peut pas en rester au stade de la condamnation des délits.

Allez-vous, monsieur le Premier ministre, agir pour favoriser le dialogue. Certes, il faut amener les pilotes à « bouger », mais aussi répondre aux problèmes spécifiques du transport aérien français, qui se trouve malheureusement à l’écart de l’augmentation mondiale du trafic.

Certaines rigidités du transport aérien français découlent de notre réglementation : souhaitez-vous y répondre en même temps que vous renouerez le dialogue social ? (Applaudissements sur les travées de l'UDI-UC et du groupe Les Républicains.)

M. le président. La parole est à M. le Premier ministre.

M. Manuel Valls, Premier ministre. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, je voudrais tout d’abord, à mon tour, puisque je sais que vous l’avez fait tout à l'heure, rendre hommage à toutes les victimes des intempéries que les Alpes-Maritimes ont connues ce week-end.

Le Président de la République et le ministre de l’intérieur étaient sur place dimanche pour saluer l’engagement de tous ceux qui sont venus au secours des populations affectées par ces terribles inondations : sapeurs-pompiers, policiers et des gendarmes, agents de l’État et des collectivités territoriales, élus et citoyens. Nous aurons l’occasion de revenir sur ce sujet au cours de cette séance de questions au Gouvernement.

Monsieur le sénateur Capo-Canellas, Air France est une très grande compagnie aérienne, la cinquième du monde. Elle porte nos couleurs, mais sa situation n’est pas bonne, confrontée qu’elle est depuis plusieurs années à des défis majeurs : l’émergence des compagnies low cost et la concurrence de grandes compagnies – celles du Golfe, certes, mais d’autres aussi – qui ont su se restructurer.

Pour survivre, pour se redresser, la compagnie doit impérativement renforcer sa compétitivité : il n’y a pas d’autre choix, comme M. Alain Vidalies et moi-même avons déjà eu l’occasion de le dire. L’État soutient donc cette seule voie possible, cet effort indispensable vers le redressement. Le statu quo ne saurait être une option quand l’avenir de l’entreprise est véritablement en jeu.

Comme vous le savez, les discussions engagées entre la direction et les syndicats de pilotes sur la réalisation, par les pilotes, des engagements du plan Transform 2015 et du plan de productivité Perform 2020 ont échoué mercredi soir. Ce dernier plan vise des gains de compétitivité à hauteur de 17 %.

L’effort de productivité demandé est un passage obligé pour restaurer la compétitivité. Chacun doit y participer, à commencer par les pilotes.

Je veux donc lancer aux pilotes un appel à la responsabilité et à la lucidité : ils ont, parmi d’autres acteurs, l’avenir de la compagnie entre leurs mains et doivent, par conséquent, s’engager. Je demande à leurs syndicats de prendre leurs responsabilités.

J’étais ce matin à Roissy pour rencontrer les dirigeants d’Air France-KLM et d’Air France, ainsi que les deux hommes qui ont été humiliés et agressés par une foule. Ces actes sont intolérables : ils devront être punis avec la plus grande des sévérités. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, puis de l'UDI-UC, du groupe socialiste et républicain et du RDSE, ainsi que sur quelques travées du groupe écologiste. – Murmures de réprobation sur les travées du groupe CRC)

M. Jean-Pierre Bosino. Quand on licencie…

M. Manuel Valls, Premier ministre. Rien ne peut justifier de tels actes, qui doivent être condamnés de manière absolue.

Je veux aussi saluer la dignité des victimes.

J’ai également rencontré trois secrétaires des instances représentatives du personnel, trois syndicalistes de la CFDT, de la CFE-CGC et de la CGT. Je tiens d’ailleurs à rappeler aussi que, hier, des syndicalistes ont protégé les hommes qui étaient frappés.

Quoi qu'il en soit, il ne saurait y avoir quelque ambiguïté, quelque confusion que ce soit : la violence d’un conflit social ne peut être assimilée à celle qu’ont subie des hommes dont la mission est précisément d’entretenir le dialogue social.

Les images qui ont été diffusées sont terribles pour la compagnie elle-même et, bien évidemment, pour notre pays. Des sanctions lourdes doivent donc être prises contre des actes qui relèvent du droit pénal.

Bien sûr, j’ai voulu exprimer la solidarité du Gouvernement à l’égard de ces hommes, des vigiles qui se sont interposés et de la direction de l’entreprise. En effet, nous assumons pleinement nos responsabilités.

L’urgente priorité, comme vous l’avez rappelé, monsieur le sénateur, est de reprendre le dialogue. La solution aux problèmes de l’entreprise devra être trouvée en son sein. L’État, actionnaire à hauteur de 17 %, assume et assumera toujours pleinement son rôle. C’est pourquoi nos représentants soutiennent les plans de la direction et, notamment, ce qu’on a appelé le plan A. C’est en effet celui qui doit permettre de faire reposer l’effort sur l’ensemble des salariés. (M. Vincent Capo-Canellas acquiesce.)

J’en appelle donc, comme je l’ai déjà fait ce matin, comme M. Vidalies a déjà eu l’occasion de le faire, à la reprise du dialogue.

Monsieur le sénateur, je crois comme vous aux vertus du dialogue social ; je ne pense pas qu’on puisse mettre de côté les syndicats, représentants des salariés. Notre pays, au contraire, a besoin d’un dialogue constructif, à condition que chacun prenne ses responsabilités et condamne la violence.

Il est encore temps de redresser la compagnie : tel est l’appel que je veux ici relayer. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, de l'UDI-UC, du RDSE et du groupe socialiste.)

intempéries dans les alpes-maritimes

M. le président. La parole est à Mme Dominique Estrosi Sassone, pour le groupe Les Républicains.

Mme Dominique Estrosi Sassone. Monsieur le président, mesdames, messieurs les ministres, mes chers collègues, ma question s'adresse à M. le ministre de l'intérieur et porte sur les conséquences des dramatiques intempéries survenues dans le département des Alpes-Maritimes, qui ont causé vingt et un morts et provoqué de lourds dégâts.

Je tiens à exprimer toute ma tristesse et ma compassion à l’égard des familles des victimes. Je veux également exprimer tout mon soutien aux milliers de sinistrés. Je me dois aussi de saluer la mobilisation exceptionnelle des services de secours, qui a permis d’éviter que le bilan du drame ne soit plus lourd.

Monsieur le ministre, le Président de la République et vous-même vous êtes rendus sur place pour constater le désastre humain et matériel. L’état de catastrophe naturelle a été annoncé par le Président de la République. Néanmoins, les exemples passés de La Faute-sur-Mer ou de Draguignan montrent que les procédures sont lentes et que seul l’État a la main pour venir en aide aux élus locaux, en publiant rapidement les arrêtés interministériels et en mettant tout en œuvre pour que la mobilisation des experts et des assureurs soit totale.

Monsieur le ministre, les communes des Alpes-Maritimes pourront-elles compter sur la parole de l’État et sur sa réactivité pour mobiliser le fonds de soutien aux collectivités ?

M. Didier Guillaume. Bien sûr ! Quelle question !

Mme Dominique Estrosi Sassone. Face à de tels drames, aucune question taboue ne doit être éludée. Quand l’État mettra-t-il en œuvre une vraie politique de prévention des inondations ? (Exclamations ironiques sur les travées du groupe socialiste et républicain.)

La facture du déluge qui s’est abattu sur la Côte d’Azur pourrait atteindre 500 millions d’euros ; or le budget annuel consacré à la prévention des crues ne dépasse pas 300 millions d’euros !

Quand les pouvoirs publics arrêteront-ils leurs discours schizophrènes ? Quand cesseront-ils de dire tout et son contraire, de dénoncer les ravages de la « bétonisation » tout en exigeant des communes qu’elles construisent toujours plus, au péril de la vie de leurs administrés ? (Brouhaha sur les mêmes travées.)

Les élus locaux ne cessent de subir la pression de l’État pour construire : durcissement de la loi SRU, préemption des terrains prévue par la loi ALUR, surtaxe foncière pour les terrains constructibles mais non bâtis.

M. Dominique Bailly. Qu’ont-ils fait, les élus locaux ? Qui a signé les permis ?

Mme Dominique Estrosi Sassone. Il est temps, monsieur le ministre, de mettre un terme à l’application uniforme de telles lois et de tenir compte des spécificités de nos territoires. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – Mme Sophie Joissains applaudit également.)

M. le président. La parole est à M. le ministre de l’intérieur.

M. Bernard Cazeneuve, ministre de l'intérieur. Madame la sénatrice, vous demandez quel est l’engagement de l’État après le drame qui s’est produit dans les Alpes-Maritimes ce week-end et qui a conduit le Président de la République à se rendre sur place. Vous souhaitez savoir si la mobilisation de l’État sera à la hauteur du drame. Je veux vous apporter des réponses extrêmement précises.

Tout d’abord, le Président de la République a indiqué que l’état de catastrophe naturelle serait évoqué en conseil des ministres dès demain. À la demande du Président de la République et du Premier ministre, j’y ferai une communication, et l’arrêté sera publié dès jeudi.

Par ailleurs, dès la fin de cette séance de questions, je vais réunir des représentants de l’ensemble des administrations qui concourent au déblocage des fonds de soutien aux collectivités locales, auxquels se joindra le président de la Fédération française des sociétés d’assurance. Il s’agit, d’une part, de déterminer dans quelles conditions des avances peuvent être versées avant le délai de trois mois qui s’impose en règle générale et, d’autre part, de mobiliser dès les prochaines semaines, voire les prochains jours, le fonds de solidarité en faveur des collectivités territoriales touchées par des catastrophes naturelles, afin que ces collectivités puissent procéder aux travaux en avance de phase et remettre en état les équipements publics du ressort de leur territoire.

Vous vous inquiétez de la longueur potentielle des délais. Ils ne seront pas longs du fait de la réforme – réalisée par ce gouvernement – du dispositif d’accompagnement des collectivités locales après une catastrophe naturelle. On a réduit le temps des inspections ; on a simplifié les procédures ouvrant droit à indemnisation ; enfin, on a fusionné les fonds qui viennent en aide aux collectivités locales pour faciliter l’indemnisation. J’ai d’ailleurs rehaussé le niveau des avances pour éviter que les collectivités locales ne soient confrontées aux problèmes rencontrés dans le passé.

Vous évoquez enfin les problèmes d’urbanisme. J’ai pu me rendre sur place avec le Président de la République : à mes yeux, la sururbanisation observée n’est pas due aux conséquences de la loi SRU ou de la loi ALUR. En effet, les bâtiments atteints par ces inondations avaient été construits, dans leur majorité, dans les années 1970 et 1980. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain et du RDSE, ainsi que sur quelques travées du groupe écologiste.)

fin de vie

M. le président. La parole est à M. Michel Amiel, pour le groupe du RDSE.

M. Michel Amiel. Au moment où la loi sur les nouveaux droits des patients en fin de vie revient à l’Assemblée nationale, une question reste en suspens : celle de la tarification des soins palliatifs et des soins en fin de vie dans le cadre rigide de la T2A, sigle un peu barbare qui signifie « tarification à l’activité ». Selon les propres termes de Mme la ministre de la santé, cette tarification n’est pas une fin en soi.

Au-delà de la réflexion globale sur cet outil de gestion financière, se pose la question de l’articulation entre soins palliatifs et tarification ; je parle bien de soins palliatifs et non pas seulement de soins en fin de vie.

Dès 2007, la Cour des comptes alertait sur la misère des soins palliatifs et un possible effet pervers de la tarification. En 2015, elle notait encore une absence de valorisation spécifique des soins palliatifs en moyen et long séjours.

Seul un malade sur trois bénéficiaires potentiels de soins palliatifs y a réellement accès. Le remboursement des douze premiers jours est basé sur un forfait de 6 100 euros, qui est dû même si le patient décède après le premier jour. En étant cynique et en poussant le raisonnement à son terme, je dirai que, plus vite le patient décède après son admission en unité de soins palliatifs, mieux c’est pour l’équilibre financier de l’établissement !

Cette vision de la tarification à l’acte est complètement délétère pour l’accompagnement en fin de vie. Bien pis, elle cantonne le concept de soins palliatifs aux derniers jours de vie du patient.

Alors que la culture palliative fait cruellement défaut dans notre pays par manque de formation des professionnels, comment expliquer à des patients qui sont orientés vers les soins palliatifs qu’il ne s’agit pas de la fin de leur accompagnement ?

Je souhaite donc connaître les propositions de Mme la ministre des affaires sociales en vue de favoriser une meilleure prise en charge des soins palliatifs, s’agissant notamment de la tarification des soins prodigués aux patients en fin de vie. (Applaudissements sur les travées du RDSE, de l'UDI-UC et du groupe Les Républicains.)

M. Jean-Pierre Raffarin. Très bonne question !

M. le président. La parole est à M. le secrétaire d'État chargé des relations avec le Parlement.

M. Jean-Marie Le Guen, secrétaire d'État auprès du Premier ministre, chargé des relations avec le Parlement. Monsieur le sénateur, permettez-moi d’excuser tout d’abord Marisol Touraine, qui participe en ce moment à la célébration du soixante-dixième anniversaire de la création de la sécurité sociale. (Exclamations sur les travées du groupe Les Républicains.) Il s’agit évidemment d’une avancée extrêmement importante, qui a permis l’ouverture d’un certain nombre de droits.

Elle a aussi rendu possibles, notamment grâce à votre travail – le vôtre, monsieur Amiel, mais aussi celui de votre collègue Gérard Dériot –, un certain nombre d’améliorations à la proposition de loi créant de nouveaux droits pour les personnes malades en fin de vie, notamment en matière de soins palliatifs. Vous avez ainsi permis que soit reconnu à toute personne, sur l’ensemble du territoire, le droit à l’accès à des soins palliatifs.

Vous soulevez de façon très pertinente la question de la tarification à l’activité, la fameuse T2A, qui, vous en avez fait la démonstration, n’est absolument pas adaptée aux conditions de la prise en charge des soins palliatifs.

Vous le savez, la T2A participe aussi à d’autres éléments de financement de la vie hospitalière, sur lesquels le Gouvernement est déjà revenu, concernant les petits hôpitaux de proximité, l’amélioration de la qualité des soins, etc. Il nous faut néanmoins aller plus loin. C’est pourquoi le Président de la République s’est engagé à renforcer directement, c'est-à-dire par des crédits fléchés, les moyens mobilisés pour les soins palliatifs, et ce dans le cadre d’un plan triennal. Se tiendra très prochainement une réunion avec les admirations concernées pour faire évoluer le financement des soins palliatifs.

Tel est l’engagement du Gouvernement.

Monsieur le sénateur, sur ce sujet, je tiens à saluer votre implication, comme celle de la Haute Assemblée tout entière. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain.)

M. Alain Fouché. C’est la fin du Moyen-Âge !

fiscalité du diesel

M. le président. La parole est à M. Ronan Dantec, pour le groupe écologiste.

M. Ronan Dantec. Ma question s'adresse à M. le secrétaire d'État chargé du budget.

Monsieur le secrétaire d'État, le scandale Volkswagen est très grave. Toutes les enquêtes épidémiologiques – un rapport sénatorial l’a confirmé – ont montré que, chaque année, des enfants et des personnes fragiles mouraient prématurément d’une concentration dangereuse dans l’air d’oxydes d’azote, phénomène auquel ont donc sciemment contribué les ingénieurs et dirigeants d’une entreprise qui se disait exemplaire.

Face à des consommateurs de plus en plus défavorables à une technologie qui ne répond pas aux défis environnementaux, agir de façon résolue est aujourd’hui une urgence, y compris pour l’avenir de l’industrie automobile française et européenne.

Les écologistes se félicitent tout d’abord de la volonté affirmée de la ministre de l’écologie quant au rattrapage de la fiscalité du diesel sur celle de l’essence. C’est une mesure nécessaire. Toutefois, il faut une cohérence d’ensemble.

Aussi vous poserai-je deux questions très précises, monsieur le secrétaire d'État.

Pour accélérer cette transition, d'une part, êtes-vous prêt à remédier à l’absurdité d’une situation où l’exonération de TVA sur les carburants diesel, et uniquement diesel, des véhicules professionnels rend l’achat d’un véhicule à essence prohibitif, par exemple pour les taxis parisiens ? Êtes-vous favorable, d'autre part, au renforcement du bonus automobile sur les petites cylindrées, bonus réduit aujourd’hui à un montant quasi symbolique, alors qu’il s’agit presque exclusivement de véhicules à essence peu polluants ?

Ces deux mesures simples et ciblées favoriseront les constructeurs français, très bien positionnés sur le segment des petites cylindrées à essence, véhicules qui émettent aussi le moins de gaz à effet de serre. (Applaudissements sur les travées du groupe écologiste.)

M. le président. La parole est à M. le secrétaire d'État chargé du budget.

M. Christian Eckert, secrétaire d'État auprès du ministre des finances et des comptes publics, chargé du budget. Monsieur le sénateur, à la suite de la publication d’un rapport de la Haute Assemblée sur le coût économique et financier de la pollution de l’air et après le scandale Volkswagen, mais aussi à l’approche de la COP 21, votre question a toute sa légitimité. Il convient de la resituer dans un contexte plus général.

La fiscalité environnementale a de multiples composantes. Il faut citer la CSPE, la contribution au service public de l’électricité, qui atteint plus de 5 milliards d’euros et est en forte augmentation ; la TICPE, la taxe intérieure de consommation sur les produits énergétiques, que vous avez évoquée, la contribution climat-énergie, qui a été mise en place avec succès par le Gouvernement, et diverses mesures fiscales que vous avez rappelées. (Exclamations sur les travées du groupe Les Républicains.)

Pour autant, des évolutions doivent avoir lieu. Ainsi, s’agissant de la CSPE, Bruxelles nous met en demeure d’en modifier le dispositif pour des questions de compatibilité par rapport aux aides aux entreprises, notamment en ce qui concerne les énergies renouvelables.

M. Ronan Dantec. Cela n’a aucun rapport !

M. Christian Eckert, secrétaire d'État. Si, cela a un rapport : aujourd'hui, la CSPE ne porte que sur l’électricité,...

Mme Fabienne Keller. Il ne répond pas à la question !

M. Christian Eckert, secrétaire d'État. ... alors qu’un certain nombre de membres du Gouvernement et de parlementaires souhaiteraient en élargir l’assiette pour diversifier les sources d’énergie.

On peut également citer les interférences entre les différents dispositifs, par exemple la contribution climat-énergie et l’exonération de la TVA sur le diesel.

Pour y remédier, il faut aborder ces questions de façon globale. Le Gouvernement s’engage à le faire lors de l’examen du prochain projet de loi de finances rectificative. Ce travail est en cours. Le Sénat, l’Assemblée nationale, vous-même, y serez associés. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain.)

M. le président. La parole est à M. Ronan Dantec, pour la réplique.

M. Ronan Dantec. Je ne peux que m’étonner de cette réponse sur la CSPE, alors que ma question portait sur la TVA sur le diesel.

M. Christian Eckert, secrétaire d'État. Cela a un rapport !

M. Ronan Dantec. Nous formulons des questions très précises qui appellent des réponses tout aussi précises.

Je regrette vivement que M. le secrétaire d’État n’ait pas confirmé la dynamique engagée cette semaine par la ministre de l’écologie (Exclamations ironiques sur les travées du groupe Les Républicains.), qui a affirmé qu’il était temps d’opérer un rattrapage entre les fiscalités. Ma question avait trait à cette cohérence d’ensemble, mais nous y reviendrons en loi de finances. (Applaudissements sur les travées du groupe écologiste.)

situation d'air france et rôle de l'état

M. le président. La parole est à Mme Éliane Assassi, pour le groupe CRC.

Mme Éliane Assassi. Monsieur le Premier ministre, des violences inadmissibles, que mon groupe et moi condamnons sans réserve, ont été perpétrées contre des salariés d’Air France, dont deux dirigeants. Leur dignité humaine a été mise en cause et nous ne l’acceptons pas. Je l’affirme d’emblée, cette colère incontrôlée est une impasse pour les salariés.

Un sénateur du groupe Les Républicains. Ce n’est pas ce que vous avez dit tout à l’heure !

Mme Éliane Assassi. C’est un piège redoutable. Les organisations syndicales et l’immense majorité des salariés de l’entreprise le savent.

Ceux qui ont toujours combattu le monde salarial s’en donnent à cœur joie, du MEDEF à M. Sarkozy, qui assène : « C’est la chienlit ! » (Exclamations sur les travées du groupe Les Républicains.)

Ce qui me dérange, c’est cette indignation à sens unique, surjouée.

Mme Brigitte Gonthier-Maurin. Oui, à sens unique !

Mme Éliane Assassi. N’y a-t-il pas des responsables de cette situation ? Pourquoi ne pas mettre en avant l’incurie de la direction, Qui n’a pas de stratégie, qui a déjà sacrifié 5 500 emplois depuis 2012, avec le plan Perform 2020, et qui a annoncé hier la suppression de 2 900 autres emplois ?

Monsieur le Premier ministre, ne croyez-vous pas qu’il est temps d’avoir un mot pour ces milliers de drames humains, ces milliers de violences, certes hors écran, infligées par des décideurs qui servent non l’intérêt national, mais celui des actionnaires privés ?

Le choc, c’est la violence des images d’hier.

M. François Grosdidier. Le choc, c’est le crash d’Air France !

Mme Éliane Assassi. Mais le choc, c’est aussi de voir un pays comme la France, quatrième puissance économique mondiale, incapable de préserver sa compagnie nationale.

L’État actionnaire ne peut laisser ainsi enterrer Air France, en particulier face à la concurrence des compagnies hors droit. Comment l’État actionnaire, l’État responsable, va-t-il agir en ce sens ? (Bravo ! et applaudissements sur les travées du groupe CRC.)

M. le président. La parole est à M. le secrétaire d'État chargé des transports.

M. Alain Vidalies, secrétaire d'État auprès de la ministre de l'écologie, du développement durable et de l'énergie, chargé des transports, de la mer et de la pêche. Madame la présidente Assassi, hier, après les incidents, chacun a trouvé les mots justes, de manière qu’aucune confusion ne soit possible entre l’action syndicale et ce qui s’est passé. Il ne faut pas tomber dans le piège des commentateurs qui continuent à faire des assimilations. Tout le monde ici s’est exprimé clairement : il s’agit d’agissements inacceptables, de violences dont la seule issue envisageable est la sanction pénale.

Vous interrogez le Gouvernement sur sa stratégie. Le Premier ministre a répondu sur le rôle de l’État actionnaire et rappelé cette réalité incontestable : la compagnie perd de l’argent sur les longs courriers. C’est pourquoi, aujourd’hui, le projet est de supprimer une quinzaine d’avions. Un avion, c’est 320 salariés. Voilà la réalité.

Pour atteindre cet objectif, il n’y a que deux voies possibles. La première, c’est celle de la négociation, et c’est celle que la compagnie a proposée. Cela veut dire que l’effort est partagé entre tous les salariés, y compris les pilotes, puisque c’est de leur décision que dépend la possibilité de négocier avec les autres salariés. Si cette solution est retenue, il n’y aura aucun licenciement.

Comme il y a eu échec du dialogue, la compagnie a annoncé 2 900 licenciements. C’est la seconde voie.

Cela étant, le temps du dialogue n’est jamais terminé.

M. Pierre Laurent. La direction méprise les salariés. Il suffit de voir les images d’hier !

M. Alain Vidalies, secrétaire d'État. On peut trouver les moyens d’atteindre l’objectif fixé et faire en sorte que la compagnie poursuive son activité.

L’État, en tant que régulateur, a modifié la redevance sur les passagers en correspondance. Cela a représenté 28 millions d’euros l’année dernière et représentera 63 millions d’euros cette année. En d’autres termes, 90 millions d’euros de fonds publics ont été octroyés à la compagnie aérienne.

S’agissant des compagnies du Golfe, la France a, sur mon initiative et avec l’aide de l’Allemagne, demandé à la Commission européenne d’engager une procédure, ce que la Commission a accepté.

L’État ne reste pas immobile. Même en tant que régulateur, il défend la compagnie française. Encore faut-il aujourd’hui que le principe de réalité nous guide tous pour trouver ensemble des solutions permettant de garantir l’avenir d’Air France. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain.)

M. le président. La parole est à Mme Éliane Assassi, pour la réplique.

Mme Éliane Assassi. Monsieur le secrétaire d’État, oui, l’avenir d’Air France est en jeu et c’est d’autant plus vrai quand cette entreprise contribue pour 1,4 % au PIB français. L’État, qui en est actionnaire à hauteur de 17 %, ne peut laisser mourir cette grande entreprise et, de facto, faire perdre leur emploi à des milliers de salariés.

Oui, le dialogue doit exister. Encore faut-il qu’il s’agisse d’un vrai dialogue social et non d’un dialogue à sens unique. Comme le disait Jaurès, « le patronat n’a pas besoin, lui, pour exercer une action violente, de gestes désordonnés et de paroles tumultueuses ». (Applaudissements sur les travées du groupe CRC.)

M. le président. La parole est à M. le Premier ministre. (Marques d’étonnement et protestations sur les travées du groupe Les Républicains.) Je rappelle que le Premier ministre a droit à une horloge spéciale… (Sourires.)

M. Manuel Valls, Premier ministre. Monsieur le président, puisque nous sommes dans un…

Mme Éliane Assassi. … dialogue !

M. Manuel Valls, Premier ministre. … exercice nouveau, je me permets de m’exprimer de nouveau sur ce sujet et je vous remercie de m’en donner la possibilité.

Madame la sénatrice, nous appelons au dialogue social. Nous l’avons rappelé chaque fois et à tous les salariés. (M. Pierre Laurent s’exclame.) Il faut à tout prix que les pilotes entament ce dialogue, monsieur Laurent. Sinon, ce sont tous les autres salariés qui seront pénalisés. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain et du groupe Les Républicains, ainsi que sur plusieurs travées du groupe écologiste.)

Ce matin, j’ai rencontré trois organisations syndicales. Elles disent exactement la même chose.

M. Pierre Laurent. C’est la direction qui doit dialoguer !

M. Manuel Valls, Premier ministre. Nous avons demandé et nous continuerons à demander à chacun d’avancer.

Toutefois, parce que nous partageons le même but, au moment où ces images choquent le monde, choquent les Français et choquent d’abord tous les salariés d’Air France, je ne confonds pas les violences. S’attaquer ainsi à la dignité de ces hommes, comme vous l’avez dit, madame la sénatrice, est intolérable. Il ne peut pas y avoir de confusion dans les propos. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain et du groupe Les Républicains, ainsi que sur plusieurs travées du groupe écologiste.)

intempéries dans les alpes-maritimes

M. le président. La parole est à M. Marc Daunis, pour le groupe socialiste et républicain.

M. Marc Daunis. Ma question s'adresse à M. le ministre de l'intérieur.

Dans la nuit de samedi à dimanche, nous avons vécu dans les Alpes-Maritimes un véritable déluge, et ce n’était pas un mythe : plus de vingt morts, des écoles et des entreprises saccagées, des routes broyées, des ponts emportés, des habitations lourdement endommagées, mais surtout des hommes et des femmes traumatisés.

En tant que maire de Valbonne Sophia Antipolis, j’ai vécu ces pluies diluviennes sur le terrain. Élus, personnels municipaux et territoriaux, policiers, pompiers, citoyens : la solidarité s’exprime. Elle est remarquable, chaleureuse et réconfortante. Elle tranche d’ailleurs fort heureusement avec la teneur de certaines déclarations, y compris aujourd'hui dans cet hémicycle. (Mme Marie-Noëlle Lienemann applaudit.)

M. Roland Courteau. Très bien !

M. Marc Daunis. Face à de tels événements, la retenue s’impose. (Bravo ! et applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain. – Exclamations sur les travées du groupe Les Républicains.)

Ayons la décence de ne pas nous laisser aller à des polémiques stériles – qui, parfois, fleurent bon la politique politicienne – sur la couleur de l’alerte, gardons-nous de tirer des conclusions hâtives sous le coup d’une légitime émotion concernant des sujets aussi complexes que l’urbanisme, la prévention des risques ou encore l’application de la loi ALUR. Du reste, au jeu des responsabilités, il ne faut pas exclure le risque de voir l’arroseur arrosé…

Dès dimanche midi, le Président de la République et vous-même, monsieur le ministre de l’intérieur, vous vous êtes rendus sur place – de même que, lundi, Mme Rossignol – et vous avez constaté l’ampleur de la catastrophe. Des mesures d’urgence ont été prises ; je m’en félicite. Néanmoins, l’inquiétude est vive pour aujourd'hui et pour demain.

Monsieur le ministre, comment comptez-vous procéder pour que les engagements pris soient efficaces le plus rapidement possible et pour qu’ils soient scrupuleusement tenus à moyen et à plus long termes ?

Je le répète, l’inquiétude est très grande chez les élus locaux et dans la population. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain et du RDSE.)

M. le président. La parole est à M. le ministre de l’intérieur.

M. Bernard Cazeneuve, ministre de l'intérieur. Monsieur le sénateur, vous étiez présent, comme les élus de toutes sensibilités, qu’ils soient maires ou parlementaires, lors de la visite du Président de la République. Comme vous, j’ai pu constater sur le terrain la belle unité des élus, qui manifestaient bien légitimement leurs préoccupations face au drame terrible qui venait de se produire. Tous ceux qui étaient présents, quel que soit leur niveau de responsabilité, ont fait part de leur compassion.

Nous y avons également vu les pompiers des services départementaux d’incendie et de secours, valeureux, courageux, qui avaient travaillé toute la nuit pour sauver des vies, et qui en ont sauvé en nombre, les marins-pompiers de Marseille, les sapeurs-sauveteurs des formations militaires de la sécurité civile, les FORMISC, 300 policiers et gendarmes qui ont, eux aussi, apporté leur concours.

Nous le constatons tous, lorsque des épreuves terribles, qui sont de véritables tragédies, surviennent dans notre pays, des hommes et des femmes représentant le service public s’unissent et donnent le meilleur d’eux-mêmes. Cela justifie que, dans cette enceinte, nous leur adressions nos remerciements, nous leur faisions part de toute notre reconnaissance et de notre profonde gratitude.

M. Bernard Cazeneuve, ministre. Aujourd'hui, nous nous mobilisons pour que les réparations interviennent très vite. L’état de catastrophe naturelle sera déclaré demain en conseil des ministres ; l’arrêté sera publié dès jeudi. Un fonds de calamité nationale sera débloqué dans la foulée. La durée des inspections sera réduite le plus possible de manière que les fonds soient versés dans les meilleurs délais.

Je réunis les compagnies d’assurance tout à l’heure pour examiner les conditions dans lesquelles il sera possible de procéder au versement des avances dans un laps de temps extrêmement court.

La mobilisation est donc générale afin que les indemnisations soient rapidement versées, que les réparations puissent intervenir, que les collectivités locales et les particuliers puissent être aidés. C’est ainsi que nous honorerons les engagements qui ont été pris dimanche dans le département des Alpes-Maritimes. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain et du RDSE, ainsi que sur quelques travées du groupe écologiste.)

policier blessé en seine-saint-denis par un multirécidiviste

M. le président. La parole est à M. François Baroin, pour le groupe Les Républicains. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. François Baroin. Ma question s'adresse à M. le Premier ministre.

À l’heure de cette séance de questions d’actualité au Gouvernement, un policier de trente-six ans se trouve entre la vie et la mort. Cet homme a déjà payé un lourd tribut, les médecins évoquant un cas de détresse vitale. Qu’il me soit permis, au nom du groupe au nom duquel je m’exprime, Les Républicains, mais aussi de la représentation nationale, d’adresser nos pensées les plus émues à sa famille, à ses proches, à ses collègues de la brigade anti-criminalité, ainsi qu’à l’ensemble des forces de l’ordre – policiers et gendarmes – de notre territoire qui, dans un contexte de terrorisme développé, s’efforcent, vingt-quatre heures sur vingt-quatre, de garantir la sécurité de nos compatriotes.

Nous avons appris que le meurtrier faisait l’objet d’une surveillance, d’une fiche S, cette classification n’étant pas anodine puisqu’elle renvoie à la sûreté de l’État. Nous avons également appris qu’il avait obtenu une permission de sortie le 27 mai, mais qu’il n’avait pas réintégré sa prison. Plusieurs mois se sont écoulés depuis.

Monsieur le Premier ministre, pourriez-vous nous confirmer que cet individu, dont le casier judiciaire était long comme le bras, faisait bien l’objet d’une fiche S en raison de ses relations avec une mouvance islamiste ?

Par ailleurs, pourriez-vous nous indiquer comment travaillent les services de la Direction générale de la sécurité intérieure, la DGSI, avec les juges d’application des peines ? Comment se fait-il qu’un individu de cette nature, surveillé à ce titre, ait pu bénéficier d’une permission ?

Enfin, quelles mesures comptez-vous prendre pour lever l’incompréhension qu’a suscitée cette affaire dans le pays et apaiser la colère qui gronde ? (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et de l'UDI-UC.)

M. le président. La parole est à M. le ministre de l’intérieur.

M. Bernard Cazeneuve, ministre de l'intérieur. Monsieur Baroin, je me suis rendu hier après-midi auprès des policiers de Seine-Saint-Denis pour leur faire part de ma solidarité et de ma tristesse et pour être auprès d’eux, comme le Premier ministre et moi avons été à leurs côtés lorsque des policiers du service de protection des hautes personnalités sont tombés au mois de janvier et lorsqu’un policier, Ahmed Merabet, a trouvé la mort, froidement abattu par des barbares. Cette solidarité est normale : elle est un devoir d’État.

Que s’est-il passé précisément ? Dans les conditions qu’a précisées la garde des sceaux tout à l’heure…

M. Alain Fouché. On ne nous a rien dit, à nous !

M. Bernard Cazeneuve, ministre. … et conformément aux dispositions législatives en vigueur, un détenu a bénéficié d’une permission (Vives exclamations sur les travées du groupe Les Républicains.) pour accomplir des formalités après le décès de son père. Moi, je n’ai pas à me prononcer sur une décision ayant été prise par un juge, parce que la séparation des pouvoirs existe. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain.) Les principes de droit doivent être appliqués, y compris lorsque surviennent des drames suscitant une légitime émotion.

M. François Grosdidier. Le procureur a-t-il fait appel ?

M. Bernard Cazeneuve, ministre. Après son évasion, cet individu a été signalé comme s’étant radicalisé. C’est à ce moment-là qu’une fiche S a été établie le concernant, donc seulement après qu’il n’eut pas regagné son lieu de détention, non pas avant. Il était normal que cet individu soit inscrit au fichier des personnes recherchées et qu’une fiche S soit établie, car c’était la seule manière de pouvoir le récupérer dans le cas où il aurait tenté de quitter le territoire national.

L’ensemble des services de l’État se sont ensuite mobilisés pour procéder à la récupération de cet individu.

M. le président. Veuillez conclure, monsieur le ministre.

M. Bernard Cazeneuve, ministre. Hier, les services de police ont payé un lourd tribut lorsqu’ils ont procédé à la neutralisation de cet individu, qui était extrêmement dangereux.

Je veux rendre hommage aux policiers, car, dans ces circonstances (Brouhaha sur les travées du groupe Les Républicains.),

M. Christian Cambon. Ce n’est pas la question !

M. Jérôme Bignon. Pourquoi était-il dehors ?

M. Bernard Cazeneuve, ministre. … ils ont effectué un travail absolument remarquable, qui mérite toute notre considération. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain.)

rentrée universitaire

M. le président. La parole est à Mme Corinne Féret, pour le groupe socialiste et républicain.

Mme Corinne Féret. Ma question s'adresse à M. le secrétaire d'État chargé de l'enseignement supérieur et de la recherche.

La rentrée universitaire confirme l’attractivité croissante de nos établissements d’enseignement supérieur : alors que le nombre d’étudiants qu’ils accueillent avait augmenté de 30 000 par an en 2013 et 2014, il a crû de 65 000 en 2015.

Ces chiffres sont la manifestation tangible du succès de nos universités et de nos écoles. Plus généralement, ils attestent que le double mouvement de démocratisation de notre enseignement supérieur et d’élévation des qualifications et des diplômes est désormais engagé. Cette évolution s’est accompagnée d’efforts renforcés et continus depuis trois ans en matière de qualité des enseignements, de soutien à la vie étudiante et d’amélioration des conditions matérielles et humaines d’accueil des étudiants.

Néanmoins, certaines inquiétudes demeurent. À la fin du mois de septembre, des étudiants manifestaient pour réclamer une meilleure lisibilité des formations dans le domaine du sport et la fin du tirage au sort instauré à l’entrée dans les études, faute de places suffisantes. Une journée de mobilisation de tous les acteurs de l’enseignement supérieur et de la recherche est prévue le 16 octobre prochain.

Monsieur le secrétaire d’État, le comité d’expertise chargé de définir la stratégie nationale pour l’enseignement supérieur propose d’accroître le niveau général de qualification dans notre pays en fixant à l’horizon de dix ans un objectif de 60 % d’une classe d’âge diplômée de l’enseignement supérieur. Cette ambition soulève une double question : comment et avec quels moyens ? Elle est centrale et suscite des controverses dans un contexte marqué par une baisse des investissements destinés à l’enseignement supérieur et à la recherche dans les contrats de plan État-région pour les années 2015-2020.

La semaine dernière, lors d’un déplacement à Avignon, M. le Premier ministre a annoncé qu’il n’y aurait pas de ponction des fonds de roulement des universités, comme cela avait été le cas dans le budget de 2015. Il a pris l’engagement qu’un « effort exceptionnel » de 100 millions d’euros supplémentaires serait fait pour le budget de l’enseignement supérieur et de la recherche pour 2016.

M. le président. Veuillez poser votre question.

Mme Corinne Féret. Ma question est donc la suivante : les 100 millions d’euros annoncés par M. le Premier ministre sont-ils des crédits nouveaux ou sont-ils le résultat de la « non-ponction » sur les fonds de roulement des universités ? Ces 100 millions d’euros seront-ils affectés uniquement au programme 150, donc aux universités, ou concerneront-ils l’éducation nationale dans son ensemble ? (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain.)

M. le président. La parole est à M. le secrétaire d'État chargé des relations avec le Parlement.

M. Jean-Marie Le Guen, secrétaire d'État auprès du Premier ministre, chargé des relations avec le Parlement. Madame la sénatrice Corinne Féret, la rentrée 2015 confirme et amplifie la tendance enregistrée depuis 2012, c'est-à-dire un accroissement sans précédent du nombre d’étudiants inscrits. C’est une chance pour notre pays, le diplôme restant l’une des meilleures protections contre le chômage.

L’année 2015-2016 marque une nouvelle étape dans l’amélioration de la situation sociale des étudiants. Après la mobilisation de près de 500 millions d’euros en faveur des bourses sur critères sociaux depuis 2012, le Président de la République a présenté la semaine dernière un plan national de la vie étudiante visant à simplifier les démarches, à renforcer la vie du campus et à permettre l’accès au droit à la santé pour tous les étudiants. Nous poursuivons également l’effort de construction de 40 000 nouveaux logements d’ici à la fin de l’année 2017. Ces mesures illustrent bien notre volonté de renforcer les moyens.

Je vous confirme que les dotations des établissements d’enseignement supérieur progresseront de 165 millions d’euros en 2016. Cet investissement permettra notamment de financer une nouvelle vague de 1 000 créations d’emplois, d’accompagner les établissements qui doivent faire face à une augmentation du nombre d’étudiants et de favoriser la réussite en premier cycle.

Grâce à ces moyens, nous serons en mesure de prendre dans les prochaines semaines des décisions tendant à développer la formation professionnelle continue à l’université. Nous apporterons également des réponses concrètes aux difficultés d’orientation des jeunes.

C’est à ces conditions que nous pourrons parvenir à l’objectif fixé par le Président de la République (M. Francis Delattre s’exclame.), qui est d’atteindre le taux de 60 % de diplômés de l’enseignement supérieur dans une classe d’âge. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain.)

situation des migrants

M. le président. La parole est à Mme Natacha Bouchart, pour le groupe Les Républicains.

Mme Natacha Bouchart. Ma question s'adresse à M. le Premier ministre et porte sur le problème des migrations.

Monsieur le Premier ministre, la justice vient de nous infliger un nouveau camouflet. Ce week-end, pour la énième fois, des migrants se sont rués sur le site d’Eurotunnel, provoquant des dégâts très importants. Seuls vingt-trois des cent treize migrants qui se sont introduits par effraction dans le tunnel ont pu être interpellés par la police et placés en garde à vue.

Or, à la surprise générale, le procureur a décidé de ne pas engager de poursuites pour ces faits graves, survenus sur un site aussi sensible que le tunnel sous la Manche. Selon le procureur, ces vingt-trois personnes ne peuvent être considérées comme les instigateurs de cette action ni être légitimement poursuivies dès lors qu’une majeure partie des coupables n’a pas été interpellée.

Monsieur le Premier ministre, de qui se moque-t-on ?

Quand la justice prendra-t-elle enfin au sérieux les troubles à l’ordre public que cause le phénomène migratoire à Calais ?

En refusant de sanctionner ces personnes, en renonçant à leur faire quitter le territoire français, l’État donne le sentiment d’abandonner le Calaisis. Car cette situation a des effets catastrophiques pour l’économie locale : chute de la fréquentation touristique, délocalisations, découragement des investisseurs.

On n’admet plus le laxisme de l’autorité judiciaire !

Monsieur le Premier ministre, quand la justice et l’État vont-ils enfin se décider à faire respecter l’ordre public à Calais ? Les Calaisiens, comme tous les Français, y ont droit ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et de l'UDI-UC.)

M. le président. La parole est à M. le ministre de l’intérieur.

M. Bernard Cazeneuve, ministre de l’intérieur. Madame la sénatrice, vous évoquez la justice et l’État. Je ne veux pas vous compromettre, mais je vous rappelle que nous discutons vous et moi très régulièrement des questions de sécurité à Calais. Comme vous le savez, j’ai délégué à Calais près de 550 personnels à titre de forces supplémentaires. En outre, alors que Calais compte 7,5 unités de forces mobiles, j’ai décidé ce week-end d’accroître le nombre de ces forces compte tenu des intrusions auxquelles vous faites référence. (Exclamations sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. François Grosdidier. C’est encore à Mme Taubira de répondre ! La question porte sur la justice !

M. Bernard Cazeneuve, ministre. Si j’ai pris cette décision, c’est parce qu’il y a des violences, des migrants qui perdent la vie, qu’il y a des risques pour les infrastructures de transport, mais surtout parce qu’il y a des risques pour les migrants eux-mêmes – c’est ce qui me préoccupe le plus – et un trafic organisé par des passeurs, que nous démantelons.

M. François Grosdidier. Y a-t-il un garde des sceaux ?

M. Bernard Cazeneuve, ministre. Vous demandez ce que fait l’État pour ce qui concerne le démantèlement des réseaux de passeurs, mais vous le savez parfaitement : nous avons démantelé en France 190 réseaux de passeurs représentant près de 3 300 personnes. Une trentaine de ces 190 réseaux opèrent à Calais et à Dunkerque et représentent 800 personnes.

Donc, nous agissons. (Nouvelles exclamations sur les mêmes travées.)

M. François Grosdidier. Pourquoi n’y a-t-il pas de poursuites ?

M. Bernard Cazeneuve, ministre. Vous m’interrogez sur la décision prise par le procureur concernant les vingt-trois migrants qui ont été récupérés dans le tunnel et qui n’ont pas fait l’objet de poursuites judiciaires. Je vous le redis, même si cela doit susciter les hauts cris sur vos travées : en tant que ministre de l’intérieur, par respect pour l’État de droit et pour les principes constitutionnels, je ne commente pas les décisions de justice. (Exclamations renouvelées sur les travées du groupe Les Républicains. – Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain.)

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx. Où est Mme Taubira ?

M. François Grosdidier. Il n’y a pas d’État de droit sans garde des sceaux !

M. Bernard Cazeneuve, ministre. Cela étant, j’ai pris des dispositions ce week-end, dont je vous ai fait part, madame Bouchart, en demandant à la préfète du Pas-de-Calais de se mettre en contact, dans le respect de l’indépendance de la justice, avec le procureur de la République, de manière que nous puissions judiciariser avec beaucoup de fermeté le comportement de ceux qui font usage de violences à Calais et dans les infrastructures de transports. Cette réunion a eu lieu ce matin, précisément, et je suis convaincu que la fermeté dont fait preuve le ministère de l’intérieur sur ces sujets sera suivie d’effet. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain.)

M. François Grosdidier. Ce n’est pas la position du parquet !

M. le président. La parole est à Mme Natacha Bouchart, pour la réplique.

Mme Natacha Bouchart. Monsieur le ministre, vous avez bien compris ma question. Les officiers de police judiciaire, les forces de l’ordre font un travail remarquable, et je tiens à les saluer. Il n’empêche qu’ils sont épuisés parce que le représentant de la justice porte des jugements subjectifs. (Marques d’approbation sur les travées du groupe Les Républicains.)

Par conséquent, ne pourrait-on pas saisir, dans ce type de situation, une instance qui reste à définir,…

M. le président. Veuillez conclure.

Mme Natacha Bouchart. … premièrement, quand on relâche des personnes prises en flagrant délit, deuxièmement, quand on convoque des personnes en situation irrégulière non identifiées deux ou trois mois après, sachant que, entre-temps, elles se seront évaporées dans la nature ? (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et sur quelques travées de l'UDI-UC.)

M. le président. La parole est à M. le Premier ministre. (Vives exclamations sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. Manuel Valls, Premier ministre. Un mot, et je pense que le message sera entendu : dans le strict respect de l’indépendance de la justice, chacun doit se comporter avec une totale responsabilité dans cette affaire, et donc assumer ses responsabilités. (Exclamations sur les mêmes travées. – Mme Françoise Laborde, M. Michel Mercier et Mme Valérie Létard applaudissent.)

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx. Y compris la garde des sceaux !

M. François Grosdidier. Il n’y a plus de politique pénale !

les soixante-dix ans de la sécurité sociale

M. le président. La parole est à M. Yves Daudigny, pour le groupe socialiste et républicain.

M. Yves Daudigny. Ma question s'adressait à Mme Marisol Touraine, ministre des affaires sociales, de la santé et des droits des femmes (Elle n’est pas là ! sur les plusieurs travées du groupe Les Républicains.), mais je sais qu’elle est absente parce qu’elle célèbre actuellement un formidable anniversaire.

Oui, mes chers collègues, notre sécurité sociale fête soixante-dix ans d’existence. Cet anniversaire confirme la justesse de la vision de ses pères fondateurs. Depuis soixante-dix ans, elle assure, comme nulle part ailleurs, la meilleure couverture des risques, de la manière la plus juste, au plus grand nombre et au moindre coût.

La gestion du régime général représente moins de 4 % des prestations versées : c’est presque trois fois moins que toute autre assurance. Le reste à charge est parmi le plus faible de l’OCDE et il s’est encore réduit cette année.

Cela mérite d’être dit et répété parce que, comme en chaque période difficile, les voix conservatrices de l’ancien système, celles qui avaient baissé le ton en 1945, se font de nouveau entendre, jusqu’à susciter des désaffiliations. Il est donc d’autant plus important de marquer avec solennité ce jour anniversaire.

À cette occasion, seront récompensés les lauréats du concours « Les jeunes et la sécurité sociale ». L’un des groupes de lycéens a écrit : « L’absence d’une véritable sécurité sociale lors de la grande dépression d’avant-guerre a probablement été un facteur aggravant parmi toutes les causes qui ont conduit à l’horreur. »

La sécurité sociale constitue un filet de sécurité sans lequel l’affaiblissement du lien social et l’exclusion seraient bien pires.

Afin que vive la sécurité sociale, notre gouvernement en a proposé une nouvelle approche de long terme à travers la stratégie nationale de santé.

Merci de nous rappeler les réformes déjà mises en œuvre et celles qui sont programmées au service de ce projet d’avenir…

M. le président. Il faut conclure !

M. Yves Daudigny. … par ceux qui entendent la modernité comme l’expression de la solidarité, de la justice et de la responsabilité. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain.)

M. Alain Gournac. Question téléguidée !

M. le président. La parole est à M. le secrétaire d'État chargé des relations avec le Parlement.

M. Jean-Marie Le Guen, secrétaire d'État auprès du Premier ministre, chargé des relations avec le Parlement. Monsieur le sénateur, nous célébrons effectivement aujourd'hui le soixante-dixième anniversaire de la sécurité sociale. Nous faisons partie de ceux qui veulent non seulement la célébrer, mais aussi la défendre et la promouvoir (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain. –M. Alain Bertrand applaudit également.) Nous savons en effet que c’est une des valeurs fondamentales de notre société, un capital essentiel pour l’ensemble de nos concitoyens.

Monsieur Daudigny, ainsi que vous l’avez rappelé, depuis 2012, nous avons agi, et d’abord pour défendre les prestations sociales, faire en sorte qu’elles cessent de reculer et que nos compatriotes puissent enfin bénéficier, dans tous les domaines, d’une égale qualité d’accès aux soins et aux prestations.

Nous avons aussi avancé sur de nouveaux droits. Nous avons réformé, qu’il s’agisse des retraites (Mme Catherine Deroche s’exclame.), avec le compte personnel de prévention de la pénibilité, qu’il s’agisse de la modernisation de nos prestations familiales, qu’il s’agisse du domaine de la santé. Ainsi, dans le cadre du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2016, nous allons développer la « protection universelle maladie », qui permettra effectivement, avec la complémentaire, dans le prolongement de l’accord national interprofessionnel, l’ANI, une véritable prise en charge de l’ensemble de nos concitoyens.

Mais nous n’avons pas fait que défendre et améliorer les droits, moderniser la gestion. Nous avons aussi réduit les déficits. Depuis 2012, plus de 40 % des déficits ont diminué grâce à la gestion de la majorité (Exclamations sur les travées du groupe Les Républicains. – Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain et du groupe CRC.), qui a fait en sorte que l’avenir de notre protection sociale, de notre sécurité sociale soit assuré par des financements et une gestion qui le garantissent.

Voilà comment et pourquoi nous sommes les défenseurs de cette sécurité sociale : parce que nous la construisons, nous la modernisons et nous la défendons en lui donnant une bonne gestion. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain et du RDSE.)

M. le président. Nous en avons terminé avec les questions d’actualité au Gouvernement.

Mes chers collègues, avant d’aborder le point suivant de l’ordre du jour, nous allons interrompre nos travaux pendant quelques instants.

La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à dix-sept heures trente-cinq, est reprise à dix-sept heures cinquante.)

M. le président. La séance est reprise.

6

Situation et avenir de l'agriculture

Déclaration du Gouvernement suivie d’un débat

M. le président. L’ordre du jour appelle une déclaration du Gouvernement, suivie d’un débat, sur la situation et l’avenir de l’agriculture, en application de l’article 50-1, de la Constitution.

La parole est à M. le ministre.

M. Stéphane Le Foll, ministre de l'agriculture, de l'agroalimentaire et de la forêt, porte-parole du Gouvernement. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, le Sénat a souhaité - et c’était légitime - organiser un débat sur la situation de l’agriculture et de l’agroalimentaire, compte tenu des crises que nous traversons et qui sont très difficilement vécues, en particulier par les éleveurs de notre pays.

Nous subissons effectivement une crise de grande ampleur, affectant simultanément trois secteurs de l’élevage : le secteur laitier, le secteur bovin et le secteur porcin.

S’agissant du secteur laitier, cette crise est mondiale. S’agissant des secteurs bovin et porcin, elle a des aspects spécifiquement européens, l’embargo russe ayant des effets à la fois diplomatiques, économiques et sanitaires. C’est d’ailleurs pourquoi, j’en informe la représentation nationale, je me rendrai en Russie jeudi matin, pour deux jours, afin de renouer des contacts sur le sujet.

La crise mondiale affectant le secteur laitier est liée à une surproduction laitière et, surtout, à des débouchés, notamment au niveau de la Chine, qui se sont révélés, en 2015, bien moindres que ce que de nombreux pays, en particulier tous les acteurs économiques européens et français, avaient pu anticiper. D’où, comme dans le secteur porcin, une offre excédentaire, qui se traduit par une baisse des prix.

Je voudrais rappeler les décisions importantes qui avaient été prises concernant ce marché en 2008, à l’occasion du bilan de santé de la politique agricole commune – la PAC –, qui, à l’époque, prévoyait des quotas laitiers. La suppression de ces quotas avait été adoptée, marquant la fin d’une gestion de l’offre laitière.

Pour autant, je le dis de façon tout à fait transparente, une gestion de l’offre au niveau européen ne nous prémunirait pas contre les effets de la situation mondiale puisque les prix de la poudre de lait et du beurre sont désormais établis à partir d’un prix spot, largement dépendant du marché asiatique, qui comprend de grands producteurs comme la Nouvelle-Zélande.

Mais le sujet prête à discussion et j’imagine, mesdames, messieurs les sénateurs, que vous ne manquerez pas de porter ce débat.

En ce qui concerne l’Europe, je rappelle que le budget consacré à la politique agricole commune a baissé d’environ 12 %, mais que la part de ce budget attribué à la France a seulement diminué de 2 %. La négociation conduite par le Président de la République à l’époque a d’ailleurs été largement saluée par l’ensemble des syndicats professionnels, qui en ont reconnu les bons résultats.

La France a défendu la politique agricole commune ! La France a défendu son agriculture !

La problématique des choix en matière de verdissement a aussi souvent été évoquée.

De manière tout à fait logique, j’ai entendu à de nombreuses reprises les agriculteurs, mais aussi de nombreux parlementaires, évoquer la question de l’harmonisation fiscale, sociale et environnementale. Le choix qui fut le mien, à l’époque, de défendre dans le cadre de la négociation de la PAC un verdissement sur le premier pilier était précisément un choix en faveur d’une harmonisation environnementale à l’échelle de tous les pays européens, et ce afin d’éviter ce que l’on appelle le dumping environnemental.

J’assume ce choix, qui a aujourd'hui des conséquences, mais qui était absolument nécessaire pour lever les ambigüités sur cette question.

J’ai également relancé le débat avec l’Europe concernant la convergence des aides et le couplage des aides pour l’élevage, débat qui était très mal engagé.

Je me suis toujours opposé, même quand j’étais député européen, à la disparition annoncée des aides couplées et, pour reprendre le terme consacré, au découplage total des aides. En effet, je n’ai jamais cessé de considérer que, dès lors que l’agriculteur pouvait choisir entre production céréalière ou élevage, la suppression d’aides spécifiques à l’élevage, d’aides directement liées aux animaux, faisait courir le risque d’une disparition de cette activité.

Non seulement les aides couplées ont été maintenues, mais elles ont été portées à 13 % du montant des aides relevant du premier pilier, avec, grâce au Parlement européen, et dans le cadre du développement de l’autonomie fourragère de l’Europe, donc de la France, la possibilité d’augmenter ce taux de 2 points.

La compétitivité compte également parmi les sujets souvent évoqués.

J’ai lu avec attention l’interview que vous avez donnée à Agrafil, monsieur le président Larcher. Je n’ai jamais changé d’avis sur cette question !

La perte de parts de marché de l’agriculture et du secteur agroalimentaire français est, je le rappelle, parfaitement datée : elle remonte à 2003. En outre, les dernières mesures prises par les majorités précédentes en matière de baisse des charges datent de 2006. Il s’agit des réductions dites « Fillon », qui s’appliquent toujours aujourd'hui.

Or je tiens à souligner que le crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi, le CICE, et le pacte de responsabilité et de solidarité représentent un montant de 4 milliards d’euros pour l’ensemble de la filière agricole et agroalimentaire, soit exactement le double de ce que dégageaient les mesures existantes à notre arrivée aux responsabilités.

Donc, sur la question de la compétitivité et de l’allégement des charges globales affectant les activités agricole et agroalimentaire, nous fournissons un effort deux fois plus important que celui que les majorités précédentes avaient consenti. Mais c’était absolument nécessaire !

Cela nous renvoie aux grandes questions liées à un maillon actuellement très faible en France : le secteur de l’abattage et de la découpe. Je pense en particulier à la concurrence que l’Allemagne a pu mettre en place grâce à une utilisation abusive du travail détaché, sans salaire minimum ni règles d’application stricte de la directive correspondante. Pendant des années, ces pratiques illégales ont donné de nombreux avantages compétitifs à l’industrie allemande de la découpe et de l’abattage. Mais nous sommes en train de combler notre retard, grâce, à la fois, au CICE, aux mesures contenues dans le pacte de responsabilité et de solidarité et aux engagements à hauteur de 50 millions d’euros que nous avons pris pour investir dans l’abattage en France et permettre au secteur d’être compétitif et productif.

Nous avons donc opéré des changements et fait des choix stratégiques en termes de compétitivité.

Les éléments dont nous disposons montrent que l’écart entre la France, l’Espagne et l’Allemagne, en particulier dans le domaine porcin, s’est creusé à partir de 2003 et qu’il faudra un peu de temps pour le réduire.

Au-delà de ces aspects se posent également des questions structurelles. Ce débat, nous ne pourrons pas l’évacuer ! Dès 2012, quand j’ai pris mes fonctions, j’ai demandé des rapports, rendus publics en 2013, à la fois sur la filière porcine, dont j’ai tout de suite mesuré les difficultés, et sur la filière volailles. Cette dernière, après la fermeture et la liquidation de Doux et de Tilly-Sabco, est aujourd’hui en voie de redressement et l’ensemble de ses acteurs sont en train, comme je l’avais souhaité et même demandé, de mettre en place une interprofession.

J’annonce également devant la représentation nationale que, comme pour la filière porcine, nous avons mis en place voilà trois jours une procédure d’enregistrement, qui facilitera les investissements productifs dans cette filière.

Comme je l’avais annoncé, ce que nous avions fait avec le porc, nous le ferions avec la volaille ! C’est maintenant chose faite.

Précisément, la filière porcine a fait l’objet de bien des débats, et j’ai entendu beaucoup de choses à ce sujet. Fondamentalement, elle est confrontée à des problèmes avant tout structurels.

Notre production porcine nous assure une autosuffisance à hauteur de 107 % ; en revanche, les exploitations porcines françaises ne valorisent que 60 % de leur production. Autrement dit, nous ne valorisons pas la totalité des carcasses, et cette valorisation insuffisante de notre production porcine explique fondamentalement à la fois les difficultés du secteur de l’abattage et de la découpe et la faiblesse globale de la filière.

Comme je l’ai fait avec la filière bovine et avec la filière laitière, j’ai engagé des négociations afin de trouver un accord entre la grande distribution, les industriels et les producteurs pour relever le prix du marché payé au producteur.

Cette politique, que j’ai donc conduite dans les secteurs laitier, bovin et porcin, a abouti à un relèvement significatif du prix du porc fixé au fameux marché de Plérin. Toutefois, les unions et groupements de producteurs, considérant que ce prix était trop élevé par rapport à la concurrence allemande, en ont décidé autrement et ont souhaité que le prix baisse de nouveau. C’est ce qui s’est passé.

Chacun prendra ses responsabilités, mais, pour ma part, je ne changerai ni de ligne ni de stratégie. C’est pourquoi, s’agissant tant de la filière bovine que de la filière porcine, nous avons fait des propositions de contractualisation de manière à les organiser et à les structurer en fonction des débouchés et des capacités à valoriser l’ensemble de la carcasse.

À cette fin, nous avons fait une proposition spécifique, à savoir créer une caisse de sécurisation, afin d’offrir aux contractants des moyens défiscalisés destinés à assurer la gestion des contrats et à garantir aux producteurs un niveau de prix pour des durées plus longues. Cela doit permettre aux uns et aux autres de passer le cap de périodes difficiles, quand les prix sont élevés – cela concerne les industriels – ou quand ils sont très bas – cela concerne les producteurs.

Ces caisses de sécurisation sont à la disposition de tous les acteurs de la filière. Et c’est là la nouveauté, soit dit en passant : ces contrats concernent non plus seulement les producteurs et les industriels de la transformation, mais aussi, potentiellement, la grande distribution, qui doit prendre ses responsabilités – elle les a prises dans les négociations que nous avons menées – dans les grands choix stratégiques qui devront être faits en matière de contractualisation, pour faire en sorte que les producteurs bénéficient de prix rémunérateurs et, surtout, pour que les carcasses soient mieux valorisées dans notre pays !

De fait, nous avons besoin de développer des stratégies de filières et de valorisation de la matière première agricole, porcine et bovine. C’est un travail de moyen et de long terme, qui nécessite que chacune des parties au contrat prenne ses responsabilités. Telle est la ligne que je suivrai.

Le 22 octobre prochain se tiendra une réunion spécifique sur la complète modification du système de cotation de la viande bovine et des critères qualitatifs applicables à cette dernière. En même temps, de nouvelles propositions de contractualisation seront formulées.

En effet, je souhaite que ce débat soit aussi l’occasion d’envisager la manière dont ces filières pourront aborder l’avenir, pour leur donner toutes les chances non seulement de reconquérir le marché national, mais aussi d’être présentes et conquérantes à l’international.

L’exportation reste un objectif. Aujourd’hui, en dépit de la crise consécutive à la fièvre catarrhale ovine, la FCO, nous négocions – difficilement – avec nos partenaires pour maintenir notre capacité à l’exportation avec des certificats sanitaires. Nous faisons en sorte d’aller vite et de répondre à ce besoin et à cette demande des producteurs.

Nos exportations se redressent doucement. Pour regagner nos parts de marché, nous avons un travail à mener, qui passe par des mesures conjoncturelles et par des mesures structurelles.

Parmi les mesures structurelles, citons le logo « Viande de France », que nous avons promu dès 2014 – c’est cette année-là qu’il a été présenté au salon de l’agriculture. Citons également la mise en place de la traçabilité pour valoriser la production française, avec un logo repérable par les consommateurs qui, on le sait, sont demandeurs en la matière.

Nous nous sommes engagés dans une démarche volontariste, parce que les règles d’étiquetage sont fixées par l’Europe. À cet égard, compte tenu du temps que prendra la négociation d’une nouvelle directive, je crains que nous n’ayons perdu que trop de temps pour répondre aux besoins immédiats des filières laitière, porcine et bovine.

Nous avons également engagé une démarche en faveur de l’approvisionnement local, qui dépend bien sûr de l’État et de ses administrations, mais aussi des collectivités locales. Sur le terrain, les choses bougent, avec en particulier la mise en place partout des projets alimentaires territoriaux, et d’abord au niveau régional.

À cet égard, le débat précédant les élections régionales sera intéressant : chacun doit aujourd’hui s’engager à favoriser, partout, l’approvisionnement local.

Un guide spécifique a été mis à la disposition des collectivités territoriales. Des expériences ont été conduites il y a longtemps, en particulier dans la Drôme, avec ce qu’on a appelé le projet Agrilocal. Celui-ci fait partie des plates-formes que nous avons mises à la disposition des collectivités locales départementales, des chambres d’agriculture et de la Fédération nationale d’agriculture biologique en faveur de l’approvisionnement local, dans le développement duquel, je le répète, chacun doit avoir sa part de responsabilité.

Cette crise a également mis au jour des besoins conjoncturels auxquels il fallait répondre. C’est pourquoi a été mis en place en juillet dernier, par le Président de la République et le Premier ministre, le plan de soutien à l’élevage, lequel a fait l’objet d’un réajustement en septembre. Ce plan vise à alléger une nouvelle fois les charges qui pèsent sur les exploitations en difficulté qui ne peuvent pas faire face au paiement de leurs charges, en particulier le remboursement des annuités d’emprunt.

Le Premier ministre et moi-même avons décidé ce qu’on appelle une année blanche : 100 millions d’euros pour le fond d’allégement de charges, 50 millions d’euros pour les allégements de charges au titre de la mutualité sociale agricole, la MSA. Cette année blanche doit permettre aux agriculteurs non pas d’obtenir de nouveaux prêts de trésorerie, mais de « reprofiler » l’ensemble de leurs remboursements de dette.

C’est ce que demandaient les agriculteurs et c’est ce que nous avons fait, même si je constate que, auprès des banques, en particulier de celle qui devrait être la plus à même de traiter ces questions, nous avons quelques difficultés à traduire cette décision… Cela étant, nous ferons en sorte que cette année blanche s’applique partout.

Nous y avons ajouté des mesures fiscales consistant en des allégements et des remises de taxe foncière sur les propriétés non bâties et de taxe d’habitation pour les fermiers, en des reports et des remises d’impôt sur le revenu et d’impôt sur les sociétés, et en des mesures relatives à l’encaissement anticipé de TVA.

Quelque 8 000 dossiers sont aujourd’hui traités dans les cellules d’urgences que nous avons mises en place, sans attendre la crise, dès le mois de février 2015 – nous en avions parlé ici même, au Sénat. Elles constituent un guichet unique au sein duquel il appartient désormais à l’administration fiscale, à la MSA, aux banques et aux services déconcentrés de l’État de traiter les dossiers qu’y déposent les agriculteurs.

Ces cellules d’urgence seront actives jusqu’à la fin de l’année, et tous les dossiers qui ont été traités avant le 30 septembre devront aboutir au versement des aides dont les agriculteurs ont besoin pour franchir cette étape.

Nous avons également décidé des baisses de cotisations sociales, en particulier des cotisations maladie, au profit des très petites exploitations, et ce au titre de l’année 2015. Pour vous indiquer un ordre de grandeur, mesdames, messieurs les sénateurs, cela représente une économie de 400 euros environ. C’est un élément important du plan de soutien.

S’agissant des prix, j’ai veillé, dans la négociation, à ce que chacun prenne sa part de l’effort nécessaire devant permettre aux agriculteurs de passer ce moment difficile.

Ce n’est pas moi qui ai remis en cause l’accord qui avait été passé dans la filière porcine. Chacun peut en mesurer les conséquences aujourd’hui. Contrairement à ce que j’ai cru entendre, les prix qui avaient été définis n’étaient pas des prix politiques ; ces prix étaient ceux qui étaient demandés par les éleveurs et les producteurs ! La négociation avait pour objectif de conduire les acteurs de la filière – la grande distribution et les industriels – à relever les prix payés aux producteurs en les répercutant sur l’ensemble de la filière.

C’est ce à quoi je me suis employé et ce à quoi je continuerai de m’employer, en particulier avec la filière bovine, avec laquelle le résultat que nous avons obtenu s’est révélé être en deçà de l’engagement qui avait été pris le 17 juin dernier. Comme je l’ai indiqué à l’instant, le 22 octobre prochain, nous allons entièrement modifier le système des cotations et la prise en compte des carcasses bovines, de même que nous introduirons de nouveaux indices, en particulier en ce qui concerne le steak haché.

Des discussions ont lieu aussi au niveau européen. Je le rappelle, c’est sur l’initiative de la France que s’est tenu un conseil extraordinaire « agriculture et pêche », le 7 septembre dernier. Je rappelle également que le commissaire européen à l’agriculture et au développement rural considérait au mois de juillet qu’il n’était pas forcément utile de se réunir, estimant alors qu’il n’y avait pas de crise.

Les choses ont depuis lors évolué, l’Europe ayant débloqué 500 millions d’euros. Pour autant, j’aurais préféré que cette aide soit structurée différemment et qu’elle soit orientée vers des mesures de marché – en particulier un relèvement du prix d’intervention sur le lait –, plutôt qu’elle ne prenne la forme d’aides directes et de mesures de stockage.

Nous avions trouvé un accord en ce sens avec quatre autres pays – l’Espagne, où je m’étais rendu, le Portugal, l’Italie et l’Irlande. Toujours est-il que nous n’avons pu réunir une majorité qualifiée pour aller à l’encontre la proposition de la Commission, qui ne voulait pas relever le prix d’intervention.

L’Europe a donc mis en place son plan d’aide de 500 millions d’euros, sur lesquels la France disposera de 63 millions d’euros, qui s’ajouteront – je le dis très clairement – au plan de soutien à l’élevage. Cela nous permettra en particulier d’aller encore plus loin dans les mesures décidées au titre de l’année blanche, auxquelles sont consacrés 150 millions d’euros, fonds d’allégement des charges et allégements MSA compris. Il faut pouvoir débloquer les situations et faire en sorte que cette demande prioritaire des agriculteurs et des éleveurs devienne enfin réalité. Il y a urgence !

Quelque 30 millions d’euros supplémentaires seront mobilisés – l’objectif étant de parvenir à 50 millions d’euros – en faveur de l’investissement dans les abattoirs. Cela représente deux fois les montants investis entre 2002 et 2012 ! Deux fois !

M. Éric Doligé. Tout va bien, alors !

M. Stéphane Le Foll, ministre. Je ne dis pas que tout va bien, monsieur le sénateur, mais ces investissements, il faudra les faire et ils auront un impact. Par ailleurs, il était nécessaire de rappeler ces chiffres et la faiblesse de l’investissement dans la découpe pendant des années.

Pour terminer, j’évoquerai un certain nombre de choix que nous avons opérés pour demain, qui sont liés plus particulièrement à la loi d’avenir pour l’agriculture et aux nombreuses mesures, souvent critiquées, dont nous avons débattu alors au Sénat, notamment s'agissant des groupements d’intérêt économique et environnemental, et qui sont aujourd’hui mis en application.

Ainsi, s’agissant de l’élevage et de la question essentielle de l’autonomie fourragère, nous trouverons des outils pour préparer l’avenir et assurer la compétitivité de demain, dont l’alimentation des animaux d’élevage sera l’un des éléments.

Je citerai également notre capacité à mettre en place 128 GIEE – 200 d’ici à la fin de l’année –, couvrant plus de 250 000 hectares, avec des stratégies d’autonomie fourragère qui sont au cœur des grands enjeux de la compétitivité de demain.

En outre, plus de 6 000 GAEC, ou Groupements agricoles d’exploitation en commun, vont être agréés en 2015, après les 2 000 de 2014. Ce choix stratégique a été opéré dans le cadre de la négociation de la PAC, afin de regrouper et de mutualiser les moyens, pour que nous soyons capables de répondre aux difficultés, de ne pas laisser les agriculteurs et les éleveurs seuls décideurs, et de créer des dynamiques collectives. Il s’agit de donner à l’agriculture, ensemble, la capacité de répondre aux défis de demain.

Pour ce qui est des mesures agroenvironnementales et climatiques, les MAE, près de 23 000 demandes ont été formulées, pour couvrir 1,5 million d’hectares, contre à peine 800 000 hectares lors de la précédente PAC. Ces mesures intéressent les agriculteurs, qui sont eux-mêmes demandeurs. Tous ces éléments doivent être versés au débat.

Nous avons besoin, en termes stratégiques, de lutter contre la volatilité des prix, de renforcer, dans certains pays, la déduction fiscale pour aléas, ou DPA, de mettre en place le contrat socle pour que les agriculteurs puissent faire des provisions lorsque les prix sont élevés et les utiliser lors des périodes plus délicates, lorsque les prix sont plus bas.

Ce principe des caisses de sécurisation, consistant à mettre de l’argent de côté, permet d’assurer à terme des prix plus stables pour les producteurs. Vous le savez, mesdames, messieurs les sénateurs, le prix de vente moyen du lait, de 365 euros les mille litres l’an dernier, est tombé à 305 ou 307 euros – nous travaillons à sa remontée –, soit 30 % de moins pour les producteurs laitiers en l’espace de sept à huit mois. Telle est la réalité du marché qu’il faut intégrer, mais contre laquelle il convient de lutter.

Lors de ce débat, l’État et le ministre concerné ont toujours été à l’écoute. À cet égard, je n’ai jamais changé d’avis et laissé penser que j’aurais pris conscience de la crise seulement au moment où elle est arrivée. Je vous l’ai dit, qu’il s’agisse du rapport sur la viande porcine ou de celui sur la viande de volaille, une médiation a été mise en œuvre dès 2014. Pour les questions laitières, il a été question dès 2013 d’augmenter de 25 centimes par litre le prix du lait et d’anticiper ainsi l’évolution du prix constatée auparavant.

Au demeurant, je ne conteste en aucun cas la difficulté rencontrée aujourd’hui, car elle est lourde de conséquences pour nombre d’agriculteurs. Nous avions besoin, je le sais, de mobiliser plus d’argent pour apporter un soutien immédiat et conjoncturel.

Toutefois, si nous voulons redresser la situation de l’agriculture et de l’agroalimentaire sur le moyen et le long terme, avec les atouts qui sont les nôtres, nous devons être capables de mettre en œuvre des réformes structurelles, d’apporter des réponses plus collectives, d’organiser les choses en vue de créer de la valeur ajoutée et de viser la compétitivité hors prix, et pas simplement la compétitivité prix, même si cette dernière est nécessaire.

C’est ainsi que l’on assurera l’avenir de l’agriculture, de l’industrie agroalimentaire et, surtout, la belle idée que l’on se fait de l’agriculture française en Europe et dans le monde. (Bravo ! et applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain, du groupe écologiste et du RDSE.)

M. le président. Acte est donné de la déclaration du Gouvernement.

Dans le débat, la parole est à M. Didier Guillaume, pour le groupe socialiste et républicain.

M. Didier Guillaume. Monsieur le ministre, vous venez de terminer votre intervention en évoquant « la belle idée que l’on se fait de l’agriculture française en Europe et dans le monde ». Je voudrais commencer par là, car, sur toutes les travées de cet hémicycle, nous avons une belle idée de l’agriculture, de son histoire et de son avenir, et les crises qu’elle traverse en ce moment suscitent chez nous des interrogations.

Monsieur le président, mes chers collègues, je voudrais tout d'abord insister sur le fait que certains secteurs de l’agriculture fonctionnent bien et bénéficient de prix rémunérateurs. (Exclamations ironiques sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. Bruno Sido. Vraiment ?

M. Didier Guillaume. Oui, cher collègue, la viticulture enregistre une année exceptionnelle, et c’est tant mieux ! Quant à l’arboriculture, même si ses résultats n’ont pas compensé les pertes des années antérieures, elle a connu une belle année. De plus, comme l’a dit M. le ministre, le secteur de la volaille se redresse.

Malheureusement, les crises et les difficultés sont nombreuses. Les agriculteurs et les éleveurs souffrent dans nos territoires.

Mme Sylvie Goy-Chavent. C’est la profession qui déplore le plus de suicides !

M. Didier Guillaume. Le Gouvernement a répondu par l’intermédiaire du ministre, de façon conjoncturelle et structurelle, à la crise qu’a traversée notre élevage.

Permettez-moi tout d’abord de remercier Stéphane Le Foll, ministre de l’agriculture, de son engagement sans faille durant tout l’été, aux côtés des éleveurs et des agriculteurs qui souffrent.

Mes chers collègues, nous sommes face à une situation difficile, et il me semble que nous pourrions tous nous rassembler, sans posture politique ou politicienne, quelles que soient nos orientations politiques ou notre histoire, liée ou non au milieu de l’agriculture, sur quelques orientations simples et claires.

Il faut d’abord répondre de façon conjoncturelle à cette crise, qui vient de très loin – elle remonte à dix ou quinze ans. Henri Cabanel interviendra tout à l’heure sur la situation dans le Languedoc-Roussillon et sur les évolutions de la viticulture languedocienne, qui est passée de la médiocrité à l’excellence.

Les majorités successives ont édicté des lois, qui doivent chaque fois tout régler, avant que l’on ne s’aperçoive que la situation est plus compliquée.

M. Didier Guillaume. C’est pourquoi les procès qui ont été intentés à ce gouvernement et à ce ministre étaient à mon sens exagérés.

M. François Marc. Infondés !

M. Alain Bertrand. C’est un bon ministre !

M. Didier Guillaume. En effet, la loi d’avenir pour l’agriculture a été votée, qui portera peut-être ses fruits dans quelque temps ; en tout cas, nous l’espérons.

Quel modèle voulons-nous ? Nous nous dirigeons vers l’agroécologie : la mise en place des GIEE, au nombre de 100, se poursuit.

Nous avons par ailleurs eu de nombreux débats dans cet hémicycle sur la compétitivité et sur l’augmentation des efforts en matière d’enseignement supérieur et de recherche, car c’est la seule solution. Je me bats toujours contre toutes les postures, contre ceux qui veulent sans cesse favoriser le bio en circuit court – c’est bien ! –, et à l’autre extrémité, ceux qui ne veulent que des circuits longs et de l’export – c’est indispensable. En agriculture, il ne faut jamais opposer les uns et les autres, ni les différents types d’agriculture : c’est tout le secteur qui doit avancer et qui est indispensable. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain.)

Lorsque nous avons voté ici la loi de modernisation de l’agriculture et de la pêche, nous pensions que l’Observatoire de la formation des prix et des marges des produits alimentaires réglerait le problème des prix, notamment celui de la viande. Cela n’a pas fonctionné !

Lorsque nous avons voulu mettre en place, par le biais de ce texte, la contractualisation d’amont en aval, pour régler les problèmes, ce n’est pas ce qui s’est produit.

Nous avons défendu certaines orientations de la loi de modernisation de l’économie qui ont eu des effets positifs, dans un certain nombre d’entreprises, sur l’économie d’industrie, mais nous nous sommes aperçus que d’autres dispositions de la LME étaient négatives pour l’agriculture.

C’est la raison pour laquelle chacun s’aperçoit, après avoir élaboré des lois sur l’agriculture, que la situation est beaucoup plus complexe. Pourquoi ? Parce qu’il faut repenser de fond en comble le système agricole français, à l’échelle du marché français, du marché européen et du marché mondial.

C’est dans ce cadre que le Gouvernement a pris de nombreuses mesures – M. le ministre les a évoquées –, comme le crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi, l’année blanche, les 3 milliards d’euros sur trois ans qui ont été mis en place à la demande du puissant syndicat majoritaire. Nous verrons si ces mesures portent leurs fruits dans les années à venir.

M. François Bonhomme. Ce n’est pas gagné !

M. Didier Guillaume. Peut-être, cher collègue, mais il faut avancer dans cette direction. Jusqu’à maintenant, les idées des uns et des autres ont été mises sur la table, et les principales propositions présentées par la profession ont été reprises par le Gouvernement. Or, pour l’instant, hormis ces propositions et la réponse du Gouvernement, il n’y a rien.

Monsieur le président du Sénat, dans l’interview que vous avez accordée aujourd’hui même à Agra Presse, vous avez déclaré que vous étiez en train de rédiger une proposition de loi pour préparer – sans naïveté – les enjeux de demain.

Notre groupe est prêt à vous suivre,…

M. Claude Bérit-Débat. Sans naïveté ! (Sourires.)

M. Didier Guillaume. … si tel est le cas dans ce texte, auquel nous espérons d’ailleurs être associés le plus tôt possible. Toutefois, il faut d’abord répondre aux enjeux d’aujourd’hui. C’est un lieu commun de dire que les agriculteurs veulent vivre des fruits de leur travail, et non de subventions. Cependant, c’est plus facile à dire qu’à faire.

Aujourd’hui, lorsque nous regardons l’état de la politique agricole commune pour les années 2014-2020, nous pouvons tous reconnaître que le travail du Président de la République et du ministre concerné a permis d’engranger pour la France, alors que personne n’aurait cru cela possible avant la fin des négociations, une enveloppe de 9,1 milliards d’euros, soit deux fois le budget de la France !

Je tiens à saluer M. le ministre, ainsi que le Gouvernement, car la réduction de 2 % du budget de l’agriculture, fixé à 4,5 milliards d’euros dans le projet de loi de finances qui nous sera présenté dans les semaines à venir, portera seulement sur le fonctionnement, et non sur les interventions directes du premier et du deuxième pilier en faveur de l’agriculture, qui ne perdront pas un centime. Grâce aux aides de la PAC et au budget national, la France va pouvoir intervenir auprès des filières et des agriculteurs, ce qui est essentiel à mes yeux.

Monsieur le président, sans naïveté, vous allez recevoir M. le commissaire européen Phil Hogan. Dans la discussion que vous aurez avec lui, même si je ne me permettrai pas de vous donner le moindre conseil,…

M. le président. Je vous écoute !

M. Didier Guillaume. … il faudra sûrement lui faire prendre conscience de son aveuglement et de son incapacité à régler les problèmes de l’agriculture et de l’élevage en Europe, notamment en raison de son refus de relever le prix du lait.

M. Bruno Retailleau. C’est au Gouvernement de le faire !

M. Didier Guillaume. Il n’existe aucune possibilité, tout le monde le sait bien, d’obtenir sur ce point une majorité qualifiée en Europe, mais nous ne pouvons pas accepter qu’un commissaire européen chargé de l’agriculture déclare : « L’Europe, c’est le libéralisme. En aucun cas, nous ne devons avoir des prix d’aide pour les États. » Ce n’est pas cette Europe-là que nous voulons !

L’Europe que nous appelons de nos vœux aidera solidairement l’ensemble des pays et des élevages de nos pays. Voilà la réalité. Depuis des mois, M. le ministre formule une demande très forte, qui devra être relayée par le Sénat, en direction de M. Hogan : « Si nous comprenons la règle que vous fixez, elle ne nous convient pas ; il faut la dépasser, sans quoi il n’y aura pas d’avenir, avec ou sans naïveté, pour notre agriculture. »

Cette triple crise du porc, du bœuf et du lait n’est sûrement pas terminée. Aujourd’hui, des mesures conjoncturelles ont été prises, qui sont très fortes. Toutefois, nous devrons absolument travailler, les uns avec les autres – je suis certain que M. le ministre s’y emploie –, à réorganiser les filières en lien avec les professionnels. Si nous conservons la physionomie actuelle de l’agriculture, nous ne nous en sortirons pas. Pour espérer construire un avenir – et il y en aura un –, nous devons repenser l’organisation de ces filières, et ce avec les professionnels. Ce point est absolument prioritaire.

Lors de la table ronde du 17 juin dernier, des mesures ont été prises. Lors de la rencontre très intéressante organisée sous votre autorité, monsieur le président, nous avons engagé un certain nombre d’initiatives. Nous nous sommes aperçus ensuite que les prix annoncés par le ministre et acceptés par l’ensemble de la profession étaient passés par pertes et profits. Lorsque la profession elle-même a décidé de redémarrer le marché au cadran et de ne pas accepter le prix de 1,40 euro, nous avons dû constater que les choses ne pouvaient pas fonctionner.

Nous sommes tiraillés, d’un côté, par les éleveurs qui veulent des prix, et, de l’autre, par les grands distributeurs, les abatteurs, les metteurs en marché, pour qui cela ne peut pas fonctionner à l’échelle européenne.

C’est la raison pour laquelle aujourd’hui, on le sait très bien, la réponse à cette crise est évidemment nationale, franco-française – le Gouvernement y travaille –, mais surtout européenne. Il faut travailler encore, avec la Russie, avec d’autres pays – M. le ministre s’est rendu en Iran – pour obtenir d’autres marchés, qui sont indispensables.

Je conclurai, monsieur le président, par une note plus positive. Je crois en effet que nous pouvons être optimistes pour notre agriculture, parce que les femmes et les hommes qui travaillent au cœur de la ruralité, dans toutes les filières agricoles, notamment l’élevage, apprécient leur métier, aiment leur territoire et pensent qu’ils peuvent s’en sortir. Ils travaillent beaucoup, sept jours sur sept.

M. Bruno Sido. C’est vrai !

M. Jean-François Husson. Mais ils ne vivent pas de leur travail !

M. Didier Guillaume. Mes chers collègues, nous sommes à la croisée des chemins. On peut se contenter de dire : « Il n’y a qu’à, il faut qu’on, ce qui est fait est insuffisant » – tel n’est pas d'ailleurs le propos de la Haute Assemblée. On peut également dire : « Trouvons ensemble la bonne voie ».

On peut, à des fins politiques notamment, estimer qu’il est judicieux de taper sur le Gouvernement ou sur M. le ministre… (Protestations amusées sur les travées du groupe socialiste.)

M. François Marc. Ce n’est pas intéressant !

M. Didier Guillaume. Toutefois, tel n’est pas le sujet. Ce n’est pas ainsi que l’on fera avancer les choses.

Que l’on soit dans l’opposition ou dans la majorité, il y a une chose à faire. Avec les organisations professionnelles agricoles – non seulement avec le syndicat majoritaire, mais aussi avec tous les autres – nous devons nous réunir autour d’une table, y poser une feuille blanche et aboutir à un accord nous permettant d’avancer, pour faire gagner l’agriculture.

M. Didier Guillaume. Or nous ne disposons pas encore d’un accord de cette nature. C’est le constat que je dresse aujourd’hui.

Dès lors, les membres du groupe socialiste et républicain soutiennent, sans la moindre incertitude, l’action menée par le Gouvernement.

M. Jean-François Husson. Quelle surprise !

M. Didier Guillaume. Certes, cher collègue, ce n’est pas une surprise… (Exclamations sur les travées du groupe Les Républicains et de l'UDI-UC.)

M. Claude Haut. M. Husson ne s’y attendait pas !

M. Didier Guillaume. Après les négociations menées avec les autorités de l’État, le président de la Fédération nationale des syndicats d’exploitants agricoles, la FNSEA, a accepté le plan préparé par le ministre de l’agriculture et présenté par le Premier ministre. Or, pour ma part, ce qui me surprend, c’est que l’ensemble des parlementaires de droite ne soutient pas ce plan, peut-être pour des raisons que j’ignore…

Chers collègues de la majorité, le débat d’aujourd’hui vous conduira sans doute à émettre des propositions. J’espère qu’elles seront constructives.

Je le dis et je le répète : il y a un avenir pour l’agriculture,…

M. Bruno Sido. C’est déjà ça !

M. Didier Guillaume. … si, sans posture politicienne, nous avançons, non seulement pour élaborer des aides conjoncturelles, comme le Gouvernement l’a fait, en vue d’aider les exploitations et de maintenir les prix, mais, surtout, pour préparer l’agriculture de demain.

Monsieur le président, les sénateurs socialistes et républicains seront à vos côtés, sans naïveté, pour vous aider à définir la voie de l’avenir pour l’agriculture, en France et en Europe ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain et du RDSE.)

M. le président. La parole est à M. Joël Labbé, pour le groupe écologiste.

M. Bruno Sido. C’est parti ! Les petits oiseaux, les petites fleurs… (Sourires.)

M. Joël Labbé. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, l’heure est trop grave pour que l’on parle des petits oiseaux et des petites fleurs, quoiqu’ils aient leur importance ! (Applaudissements sur plusieurs travées du groupe socialiste et républicain. – M. Alain Bertrand applaudit également.)

À mon tour, je tiens à vous exprimer la belle idée que je me fais de l’agriculture et de son avenir, à condition que l’on remette en cause la domination de l’agrobusiness…

M. Joël Labbé. … et que l’on refuse les diktats du syndicat majoritaire, qui sévit depuis trop longtemps dans notre pays. (Protestations sur plusieurs travées du groupe Les Républicains.)

M. Rémy Pointereau. Et que faites-vous de la démocratie ?

M. Joël Labbé. C’est la raison pour laquelle j’ai pris l’initiative d’inviter jeudi dernier les représentants des syndicats minoritaires à s’exprimer en toute liberté, ici, au Sénat.

Aujourd’hui, nous sommes appelés à débattre une nouvelle fois de la situation et de l’avenir de notre agriculture.

Il est temps que l’on cesse de se raconter des histoires : le monde agricole est dans une situation de profond malaise. Les crises s’y succèdent. On ne peut que dresser le constat de la faillite d’un système et d’un modèle, à savoir le modèle productiviste, qui, après un demi-siècle de fuite en avant, a dépassé ses limites.

Nos campagnes connaissent une profonde détresse morale. Dans le monde agricole, le taux de suicide est désormais supérieur de 20 % à la moyenne nationale.

M. Bruno Sido. C’est vrai.

M. Joël Labbé. On ne peut l’ignorer. En outre, comme M. le ministre l’a affirmé cet été, plus de 20 000 exploitations sont actuellement au bord de la faillite.

Aussi, les réponses d’urgence qui ont été apportées étaient nécessaires et salutaires.

À présent, il s’agit d’envisager un avenir stable pour notre agriculture et de donner des perspectives à celles et ceux qui ont depuis toujours la noble fonction de nous nourrir. Il s’agit de construire avec eux cet avenir, en reliant de manière systématique l’agriculture, l’alimentation et les territoires, en renouant des liens étroits entre les agriculteurs et les populations qu’ils nourrissent, mais aussi en réconciliant l’agriculture avec le sol, un sol fertile, riche en matières organiques – nos terres en ont perdu ! –, un sol ménagé et respecté, un sol bien vivant qui, en plus de nourrir, apporte une réponse essentielle à la régulation climatique.

J’insisterai encore à l’avenir pour dénoncer ce modèle productiviste, qui présente un bilan accablant. Un grand nombre d’agriculteurs sont les premières victimes de ce système. Ils sont enserrés dans des trajectoires dont il est, pour eux, difficile, sinon impossible de sortir.

Il faut le reconnaître, les crises successives sont le fruit des orientations qui ont été imprimées à l’agriculture au cours des dernières décennies : le nombre d’exploitations a été divisé par quatre en quarante ans, et la part des actifs agricoles n’a cessé de se réduire, au point de ne plus représenter que 3 % de la population active.

Dans un contexte de chômage de masse, l’équivalent de 20 000 emplois disparaît chaque année dans les fermes de France. À ce jour, ces pertes ne sont plus compensées par la création d’emplois nouveaux.

Pourtant, certains leaders particulièrement influents et liés à l’agrobusiness voudraient encore étendre notre modèle à la planète entière. Ils osent affirmer que leur but est de lutter contre la faim, d’assurer l’alimentation de la population mondiale.

C’est sans scrupule qu’ils voient les bouches à nourrir comme autant de nouvelles parts de marché !

M. Joël Labbé. N’oublions pas que, aujourd’hui encore, les paysans représentent près de la moitié des travailleurs dans le monde, et que, en valeur, l’agriculture familiale et paysanne fournit encore, selon la FAO, l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture, plus de 80 % des productions alimentaires mondiales.

Cette agriculture résiliente doit être préservée et renforcée. Elle est l’une des solutions essentielles d’adaptation au changement climatique.

Toutefois, les forces contraires sont très puissantes. Dans l’immense marché planétaire qui met en concurrence les économies du monde entier, cette agriculture familiale et paysanne est touchée de plein fouet, partout dans le monde, au nord et, plus encore, au sud.

Dès lors, si on laisse libre cours à cette logique infernale, nombre de nos fermes sont condamnées, soit à disparaître, soit à se concentrer, à s’agrandir toujours plus, à se mécaniser davantage, voire à se robotiser et, de ce fait, à s’endetter plus encore – la compétitivité l’exige.

Toujours accroître le rendement par vache ou par hectare, avec toujours moins d’agriculteurs : voilà la logique de la compétitivité. Est-ce cela que l’on appelle maintenant « l’agriculture intelligente » ? Aujourd’hui, on entend même parler d’une agriculture climato-intelligente !

M. Jacques Mézard. C’est intelligent tout cela… (Sourires sur les travées du RDSE.)

M. Joël Labbé. Mes chers collègues, de qui se moque-t-on ?

Dès lors, comment faire ? Didier Guillaume l’a souligné à l’instant, ce n’est pas avec de grands discours simplistes, dans un sens ou dans l’autre, que nous trouverons des solutions.

M. Bruno Sido. Très bien !

M. Joël Labbé. Il s’agit de transformer à grande échelle, en profondeur et progressivement nos manières de produire et de consommer.

Monsieur le ministre, nous avons longuement débattu, dans cet hémicycle, du projet de loi d’avenir pour l’agriculture, l’alimentation et la forêt, que vous avez conçu comme un instrument de transition vers l’agroécologie.

Nombre d’outils sont inscrits dans ce texte. Je pense aux groupements d’intérêt économique et environnemental, ou GIEE, qui ont été précédemment évoqués. Je songe également aux projets alimentaires territoriaux qui relient producteurs et consommateurs. Ces dispositifs ont été élaborés avec l’objectif affiché de mettre en œuvre les principes fondamentaux de l’agroécologie. À présent, il faut faire converger, en cohérence, les soutiens publics communautaires, nationaux et régionaux allant dans ce sens.

Accélérons la mise en œuvre de notre plan « Protéines végétales », afin de rendre nos fermes plus autonomes, en les libérant de la dépendance au soja sud-américain. Évoluons vers des productions de qualité, pour plus de valeur ajoutée. Autour de l’agriculture familiale, restaurons un développement local à même de revivifier les territoires ruraux.

La loi d’avenir pour l’agroécologie doit marquer la reprise en main de l’avenir de l’agriculture par les politiques que nous sommes. Nous en avons la responsabilité devant nos concitoyens.

M. le président. Il faut songer à conclure, mon cher collègue.

M. Joël Labbé. Il convient de programmer, de planifier, de donner des perspectives à moyen et long termes.

Enfin, en cette veille de COP 21, il faudra veiller à la mise en œuvre d’une véritable gouvernance mondiale de l’alimentation : l’avenir de la planète en dépend ! (Applaudissements sur les travées du groupe écologiste, du groupe socialiste et républicain et du groupe CRC.)

M. le président. La parole est à M. David Rachline, pour la réunion administrative des sénateurs ne figurant sur la liste d’aucun groupe.

M. David Rachline. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, la grave crise agricole que nous traversons met en lumière la folle politique agricole que vous menez depuis trente ans. Aussi, c’est à un changement radical que je vous invite.

Tout d’abord, il s’agit de ne pas aggraver la situation actuelle, ce qui passe par l’abrogation impérative du traité transatlantique en cours de négociation. Un tel texte serait une catastrophe pour notre agriculture. La levée des droits de douane aurait des répercussions terribles pour les Français. En définitive, l’ensemble de ce traité se résume par l’alignement de l’Europe sur la déréglementation du marché américain. Rien ne serait pire !

Ensuite, il faut lutter contre le dumping social au sein de l’Union européenne. À cette fin, il faut abroger la directive relative au détachement des travailleurs, qui permet aux grandes entreprises de l’agroalimentaire de recourir à une main-d’œuvre étrangère. Ces travailleurs sont payés 4 euros de l’heure, ce qui représente deux à trois fois moins que les salaires pratiqués en France. Cette directive européenne est un fléau.

Introduisons dans le code des marchés publics, comme critère d’attribution des marchés, des clauses environnementales et sociales favorisant enfin l’emploi français.

M. François Marc. « Y’a qu’à, faut qu’on » !

M. David Rachline. De plus, il faut arrêter les règlements absurdes et les normes européennes sans cesse durcies qui étouffent nos agriculteurs. Passons des paroles aux actes, pour mettre en œuvre un grand patriotisme de consommation.

Créons un label « Viande française », destiné à valoriser les productions à l’export.

M. Stéphane Le Foll, ministre. Cela existe !

M. David Rachline. Votons une grande loi « Achetons français », pour manger français dans les établissements de l’État, des collectivités territoriales et des entreprises publiques, y compris les cantines scolaires. Aujourd’hui, quelque 75 % des fruits, des légumes et de la viande bovine consommés dans les établissements publics sont importés.

Élaborons des seuils d’achat de produits français pour les administrations publiques et les restaurations hors foyer.

Néanmoins, pour agir en ce sens, il nous faut bien entendu nous libérer du carcan européen. Par ailleurs, la levée des sanctions contre la Russie est une nécessité.

M. David Rachline. L’embargo russe est une absurdité totale. Il aggrave un peu plus encore la ruine de nos agriculteurs. Les fonds débloqués par la Commission européenne, à hauteur de 344 millions d’euros, pèsent peu face au milliard d’euros de débouchés perdus à ce titre par l’agriculture et par l’agroalimentaire français.

Enfin, l’essentiel est d’en finir avec la PAC,…

M. Didier Guillaume. Mais bien sûr !

M. David Rachline. … cette fameuse politique agricole commune qui tue à petit feu notre agriculture.

Si la France est le premier pays bénéficiaire des reversements de la PAC, n’oublions pas de préciser que, contre les 21 milliards d’euros que nous versons à l’Union européenne – cette somme est même de 22 milliards d’euros cette année –, nous n’en recevons, en retour, que 13.

Le principe absurde de sectoriser les agricultures entre pays a tué notre spécificité française. D’immenses ensembles agricoles ont ainsi été poussés au détriment des petites exploitations, qui maillaient notre territoire et qui animaient nos campagnes. Produire toujours plus et, ainsi, faire baisser les prix : cette logique imposée par la grande distribution a conduit notre monde agricole à ne plus vivre que de subventions, puisque la PAC est là pour financer les pertes programmées de la surproduction.

Nous devons inverser ce système et lutter contre les ententes sur les prix dans la grande distribution et les centrales d’achat, pratiqués au détriment de la qualité des produits et contre les intérêts des consommateurs. C’est au producteur de fixer le prix de sa production !

Écoutons la détresse de ceux qui travaillent sans relâche, nuit et jour, pour un salaire de misère ; de ceux qui travaillent sans jamais avoir un jour de repos ni de vacances et qui doivent dépenser les quelques sous qui leur restent pour répondre à je ne sais quelle norme imbécile.

M. le président. Il faut conclure.

M. David Rachline. À quand une politique agricole française ? Vous mentez à la France. Vous mentez à nos agriculteurs en faisant croire que vous êtes capables d’arranger la situation. En réalité, ce qui tue notre agriculture, c’est l’Union européenne, mais vous ne voulez pas le voir. Agissez avant qu’il ne soit trop tard ! (M. Stéphane Ravier applaudit longuement et fait un signe de victoire.)

M. le président. La parole est à M. Jacques Mézard, pour le groupe du RDSE.

M. Jacques Mézard. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, si la France a besoin de maintenir et de développer une capacité de production industrielle, il lui est également impératif de donner à son agriculture et à son industrie agroalimentaire les moyens nécessaires à leur vie.

Notre agriculture, les femmes et les hommes qui s’y consacrent, le plus souvent avec passion, ont un rôle et une importance particuliers. De nos territoires, ils sont la substance même.

Aujourd’hui, d’aucuns voudraient supprimer les communes.

Mme Jacqueline Gourault. Ça y est, M. Mézard recommence ! (Sourires.)

M. Jacques Mézard. Sachez que c’est avant tout la disparition de nos exploitations agricoles qui, hélas, leur permettra d’arriver à leurs fins.

J’ai déjà eu l’occasion de le dire à cette tribune : chaque fois qu’une exploitation s’arrête et qu’une lumière s’éteint dans une ferme, chez nous, c’est la vie qui s’en va. La crise laitière a déjà conduit à la disparition de centaines d’exploitations depuis cet été. (Applaudissements sur les travées de l'UDI-UC. – M. Bruno Sido applaudit également.)

Dans nombre de nos territoires ruraux, le fragile équilibre qui subsistait est en train de se rompre. Je crains que cette rupture ne soit durable, si ce n’est irrémédiable. Dans nos communes, quand il n’y a plus d’agriculteurs et que ne subsistent que quelques grands ranchs, les écoles disparaissent, les médecins ne sont pas remplacés, les boulangeries, les bureaux de postes, les gendarmeries et les trésoreries ferment.

La responsabilité de cette faillite, provoquée par l’absence de politique d’aménagement du territoire, elle-même abandonnée au profit d’une décentralisation ratée, n’incombe pas seulement à l’actuel gouvernement : elle est collective. Quand, de surcroît, la crise économique frappe durablement, il est encore plus difficile de réagir, en vertu de la formule célèbre de Choiseul : « Quand le feu est à la maison, on ne s’occupe pas de la grange ».

Il faut être sourd pour ne pas entendre la colère des éleveurs, dont la filière est la plus directement et la plus lourdement frappée par l’accumulation des difficultés tant conjoncturelles que structurelles.

Monsieur le ministre, au Sénat ou dans mon département, j’ai souvent défendu la négociation que vous avez menée dans le cadre de la politique agricole commune, la PAC. Elle a été efficace et favorable aux éleveurs français.

M. Bruno Retailleau. Pas à tous !

M. Jacques Mézard. À une grande partie d’entre eux. Dont acte ! Imaginons ce que serait la situation dans le cas contraire. Toutefois, la négociation de la PAC est une chose, l’anticipation des crises en est une autre.

Au sein des filières bovine, porcine et laitière, la dégradation alarmante des prix à la production a fortement fragilisé la rémunération des éleveurs et la trésorerie de leurs exploitations. Ces difficultés ont révélé le mal-être général d’une profession à qui l’on demande de faire toujours mieux pour gagner moins. Les crises sont devenues cycliques, compte tenu des différents aléas, parfois cumulés, qui frappent l’agriculture : sanitaire, climatique, de marché, voire diplomatique – songeons aux conséquences extrêmement néfastes de l’embargo russe.

À court terme, la réponse est toujours la même : on colmate, de plan de soutien en plan de soutien. C’est ainsi que le Gouvernement, acculé par la gronde à laquelle nous avons assistée, a adopté des plans d’urgence, dans l’urgence ! Pourtant, cette dernière semblait prévisible.

Ces plans étaient nécessaires, en particulier pour secourir les exploitations au bord de la cessation d’activité. La plupart des mesures prises allaient dans le bon sens, même si elles ont donné lieu à quelques effets d’annonce quant aux montants réellement débloqués.

Les pouvoirs publics doivent cependant travailler sur le long terme, pour redonner espoir à nos agriculteurs. Nous savons en effet que, au-delà de la crise des prix, se joue une crise de modèle agricole. L’agriculture française a des qualités incontestables. Pourtant, non seulement nombre de nos agriculteurs vivent mal de leur métier, mais, à l’échelle internationale, le secteur perd régulièrement des parts de marché. Deuxième nation agricole il y a encore dix ans, la France occupe aujourd’hui le cinquième rang.

Cette baisse de compétitivité ne tient pas au manque d’ambition ou de savoir-faire de nos exploitants. Au contraire, les agriculteurs ont toujours été capables de se moderniser. Aujourd’hui, le monde agricole est composé d’hommes et de femmes courageux, investis et passionnés, qui souhaitent seulement avoir un avenir et vivre dignement de leur travail. À cette fin, ils doivent pouvoir exercer leur activité dans un cadre normatif équitable, sécurisé et clair. (Très bien ! sur les travées du groupe Les Républicains.)

Or tel n’est pas vraiment le cas. Entre les distorsions de concurrence à l'échelle mondiale et les exigences contradictoires des pouvoirs publics, comment peuvent-ils s’en sortir ?

Est-il équitable de demander à l’agriculture française et européenne de subir à l’excès des normes environnementales, certaines utiles, d’autres déraisonnables, quand une grande partie du reste du monde produit selon les standards du moins-disant social et environnemental ?

Est-il équitable de priver les producteurs de lait européens, au travers de la nouvelle PAC, des mécanismes de régulation de la production, alors que le Canada et les États-Unis font l’inverse ? Le comble, c’est que ce sont ces mêmes pays qui négocient le TAFTA – le Transatlantic Free Trade Area – et le CETA – le Comprehensive Economic and Trade Agreement –, des accords de libre-échange. Monsieur le ministre, l’Europe ferait mieux de ne pas systématiquement adopter le rôle de la bonne élève en se faisant hara-kiri, quand ses partenaires ne jouent pas la carte de la transparence.

M. Jean Bizet. Très bien !

M. Jacques Mézard. Est-il équitable de voir figurer parmi les plus grandes fortunes françaises les géants de la distribution, qui captent une partie de la valeur ajoutée des agriculteurs, alors qu’il faut toute la pression du Gouvernement pour augmenter les prix à la production de la viande de cinq centimes ?

M. Bruno Sido. C’est vrai !

M. Jacques Mézard. Monsieur le ministre, nous avons besoin de nouvelles prospectives, d’un plan pour l’agriculture et de décisions, afin d’empêcher que les agriculteurs ne soient systématiquement les victimes des marchandages entre grande distribution et transformateurs.

Les aléas des marchés et les baisses de prix ne sont pas toujours prévisibles à court terme dans une économie mondialisée. Il en va de même des aléas climatiques ou des épidémies, comme la fièvre catarrhale ovine, la FCO, aujourd’hui. En revanche, nous savons que ces crises sont cycliques. Pour y faire face, des politiques de lissage sont indispensables, afin de gérer ces phénomènes en équilibrant les bonnes et les mauvaises années. De la même manière, il faut davantage réfléchir, selon nous, à la généralisation de systèmes assurantiels.

De plus, monsieur le ministre, il est indispensable que, lorsqu’il n’a pu, ou su, prévoir, l’État soit capable de réagir dans l’urgence. Ce n’est pas propre au gouvernement actuel, mais, concernant la fièvre catarrhale, nous venons encore de constater que les jours perdus ne se rattrapent pas, ou difficilement. Ces épidémies sont récurrentes, nous devons donc être prêts dès leur déclenchement et ne pas nous trouver à court de vaccin. Cela n’a pas été le cas pour l’épidémie actuelle, et vous vous en rendrez compte encore en vous rendant au sommet de l’élevage de Cournon.

M. Bruno Sido. Eh oui !

M. Jacques Mézard. Il est nécessaire d’accélérer les vaccinations, d’instaurer des tests, de fusionner les zones d’interdiction, bref, de prévoir qu’un tel épisode peut se produire, voire qu’il se produira.

Nous savons les combats que vous menez, monsieur le ministre. Nous savons que vous regrettez que la négociation européenne n’ait pas retenu, le 15 septembre dernier, l’intervention publique. Toutefois, il convient au moins que, en France, tout soit fait pour faire face à cette situation de crise ! (Applaudissements sur les travées du RDSE, de l'UDI-UC et du groupe Les Républicains. – M. Didier Guillaume applaudit également.)

M. le président. La parole est à M. Jean-Claude Lenoir, pour le groupe Les Républicains.

M. Jean-Claude Lenoir. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, ce débat se tient à l’initiative de notre président Gérard Larcher, et je l’en remercie. Le Gouvernement en organisait un à l’Assemblée nationale et, compte tenu de la forte mobilisation du Sénat sur ces sujets, il était naturel qu’il vînt également devant nous. C’est chose faite. Merci, monsieur le président, de ce débat comme de votre engagement en faveur de l'agriculture ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et de l'UDI-UC.)

Ce débat est une étape pour la Haute Assemblée. Monsieur le ministre, j’avais sollicité votre présence le 1er juin dernier devant la commission des affaires économiques, car nous savions, par de nombreux témoignages, que la situation de l’élevage devenait dramatique. Vous êtes venu, et nous vous en remercions.

En relisant votre intervention avant de monter à la tribune, j’ai perçu un décalage entre ce que vous disiez alors et ce que vous dites aujourd’hui. Entre-temps, il me semble que vous avez pris la pleine mesure de la crise profonde que connaît l’élevage français.

M. Bruno Sido. Mieux vaut tard que jamais !

M. Jean-Claude Lenoir. Ensuite, le président Gérard Larcher a pris l’initiative d’organiser l’importante réunion du 16 juillet dernier, à laquelle ont participé, en particulier, l’ensemble des acteurs des filières, depuis la production jusqu’à la distribution. Nous avons organisé une nouvelle réunion de la commission des affaires économiques le 22 septembre, en dehors de la session extraordinaire, et nous allons recevoir dans deux jours le commissaire européen Phil Hogan, que vous avez déjà rencontré, monsieur le ministre.

À cet égard, je note que vous semblez n’avoir pas entendu exactement ce que les observateurs de cette rencontre ont retenu. Je relirai vos propos au Journal officiel, mais vous sembliez porter une appréciation plutôt sympathique sur cette rencontre avec M. Hogan, alors que tout le monde avait noté qu’il n’y avait pas été question de la crise de l’élevage français. Je vous renverrai sur ce point à un certain nombre d’observations qui ont été publiées dans la presse.

Aujourd’hui, nous sommes confrontés à une grave crise. Monsieur le ministre, vous avez répété les propos que vous aviez tenus devant l’Assemblée nationale : « Les autres majorités, les autres gouvernements, n’ont pas fait autant que nous ! » Cet argument est réversible, car il reste à expliquer pourquoi la crise est aujourd’hui plus profonde, malgré les engagements pris par l’État !

Au sujet des éleveurs, monsieur le ministre, il faut à mon sens cesser de polémiquer et de tirer le débat vers un terrain politicien.

M. Didier Guillaume. C’est ce que vous devriez faire !

M. Jean-Claude Lenoir. Cher collègue, il vous suffit de m’écouter pour le vérifier !

Force est de le constater, ce débat est utile – la preuve, il a lieu – pour permettre à l’ensemble de nos compatriotes de mesurer la gravité de la situation, ses conséquences sur les territoires ruraux, qui ont été rappelées par le préopinant, mais également les conséquences que cette crise emporte pour l’économie en général.

Des mesures ont bien sûr été prises, vous les avez rappelées, monsieur le ministre : diminution ou suppression des taxes foncières, recours au fonds social de la mutualité sociale agricole et année blanche pour les éleveurs les plus endettés.

Une véritable stratégie est maintenant nécessaire, qui doit permettre de fixer des caps en faveur des filières de l’élevage. Un mot s’impose, qui a déjà été prononcé à plusieurs reprises : compétitivité. La France agricole n’est plus suffisamment compétitive.

Le sujet a été traité à plusieurs reprises, la dernière fois à l’occasion de la loi d’avenir pour l’agriculture de 2014. Avouons-le, monsieur le ministre, nous sommes alors quelque peu passés à côté de cette problématique, tant les esprits étaient préoccupés par des questions agroenvironnementales. (M. Bruno Retailleau applaudit.)

M. Didier Guillaume. Ce n’est pas vrai !

M. Jean-Claude Lenoir. Je n’en conteste pas l’importance,…

M. Bruno Sido. Moi, si !

M. Jean-Claude Lenoir. … mais il me semble parfois que l’expression publique révèle un décalage entre l’attente des éleveurs et ce que vous en pensez.

Un agriculteur m’appelait tout à l'heure, pour partager ce qu’il avait lu sur le site du ministère de l’agriculture à propos d’agroécologie : « L’agroécologie est une façon de pratiquer l’agriculture en utilisant au mieux les ressources de la nature tout en préservant ses capacités de renouvellement. En maintenant un haut niveau de production et en réduisant ses coûts […], l’agriculteur sécurise son revenu et peut améliorer la performance économique de son exploitation. » (Sourires sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. Joël Labbé. Je trouve cela très bien !

M. Jean-Claude Lenoir. Voilà un robinet d’eau tiède qui n’apporte aucune bonne réponse à ceux qui se posent des questions ! Disons-le vertement, monsieur le ministre, aujourd’hui, les agriculteurs ont la tête ailleurs.

Nous avons besoin de renforcer la compétitivité, d’améliorer les financements en faveur des entreprises agricoles, d’alléger les charges qui pèsent sur l’agriculture – financières, mais également administratives –, liées aux nombreuses normes qui se sont empilées notamment au cours des derniers mois, voire des deux ou trois dernières années.

Je crois comprendre que vous niez cette évidence, monsieur le ministre, mais le Sénat a pris ses responsabilités. Nous avons d’abord confié à notre collègue Daniel Dubois la présidence d’un groupe de travail sur les normes agricoles, dont nous recevrons les résultats prochainement.

Comme cela a été annoncé par le président du Sénat, nous allons également bientôt déposer une proposition de loi, laquelle doit beaucoup à sa persévérance et au travail que Gérard Larcher a accompli avec d’autres – dont je suis – pendant l’été.

Vous n’êtes pas le seul à avoir travaillé cet été, monsieur le ministre ! Nous nous sommes rendus au plus près des agriculteurs et des responsables agricoles, de façon à pouvoir proposer à la Haute Assemblée un texte cohérent auquel, j’en suis persuadé, d’autres parlementaires que ceux qui appartiennent à mon groupe pourront se joindre.

Quels sont les objectifs de cette proposition de loi ? Il s’agit de faire en sorte que la transparence soit mieux garantie sur les produits carnés, que l’accès aux financements nécessaires pour les investissements, nécessaires pour restaurer la compétitivité des entreprises agricoles, soit amélioré, que les déductions pour aléas et pour amortissement soient facilitées, dans la mesure où des difficultés se font jour qui retardent les résultats attendus.

Nous souhaitons également que la France n’en fasse pas plus que ce que demande l’Europe. Parmi les textes qui ont été adoptés, certaines mesures, notamment à caractère environnemental, sont excessives. Je pense par exemple aux dispositions concernant les établissements classés.

M. Bruno Sido. Très bien !

M. Jean-Claude Lenoir. Monsieur le ministre, je voudrais pour terminer dire un mot des normes et des charges au sujet desquelles nous allons vous proposer un certain nombre de mesures qui, je l’espère, mériteront votre intérêt.

M. Bruno Sido. Des moratoires !

M. Jean-Claude Lenoir. J’étais le week-end dernier dans la ville d’Alençon, à laquelle s’adosse en quelque sorte la lisière du pays sarthois. Il s’y tenait un festival de l’élevage tenant lieu de salon régional de l’agriculture et dont le nom, depuis des années, est La Ferme en fête.

En me promenant dans les allées, j’ai été frappé par le contraste entre les produits extraordinaires qui font l’honneur de notre élevage – ils sont d’ailleurs souvent retenus parmi les meilleurs au Salon international de l’agriculture – et l’attitude d’un certain nombre d’agriculteurs et d’éleveurs, qui sont inquiets, soucieux, interrogatifs et pourtant déterminés.

M. le président. Il vaut conclure, mon cher collègue.

M. Jean-Claude Lenoir. Pour répondre à cette détermination extraordinaire de nos éleveurs malgré les difficultés, je veux le dire, en écho aux propos de M. le président du Sénat dans la presse de ce matin, nous sommes de ceux qui veulent les aider ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et de l'UDI-UC.)

M. Bruno Retailleau. Très bien !

M. le président. La parole est à M. Daniel Dubois, pour le groupe UDI-UC. (Applaudissements sur les travées de l'UDI-UC.)

M. Daniel Dubois. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je souscris assez largement à l’état des lieux qui vient d’être dressé par les précédents intervenants.

Après une crise conjoncturelle, l’agriculture française souffre d’une crise structurelle. Les plans d’aide d’urgence peuvent être des « bouffées d’oxygène », mais ils n’apporteront pas de solution durable à nos agriculteurs. L’Europe ne fait plus de régulation, et cela a déstabilisé notre modèle.

Je voudrais, pour ma part, aborder plus spécifiquement la question des normes, qui constituent un véritable frein à la compétitivité du secteur. Le constat est simple : les procédures administratives sont trop complexes et trop longues. Elles rigidifient un système qui devrait être assoupli.

C’est pourquoi, comme je l’avais proposé lors de l’examen du projet de loi pour l’avenir de l’agriculture, nous animons, au sein de la commission des affaires économiques, un groupe de travail sénatorial sur l’excès de normes agricoles.

Dès nos premières auditions, un point nous est apparu essentiel : avec l’abandon des quotas, les agriculteurs sont devenus des acteurs économiques à part entière. Ils sont donc confrontés à une concurrence mondiale, face à laquelle nous ne pouvons pas les désarmer. Ce sont des acteurs économiques responsables, pleinement conscients de l’impact de leur activité sur leur écosystème. Ils sont bien formés, et leurs pratiques évoluent. Dès lors, nous devons leur faire confiance, cesser de les présumer coupables – en l’occurrence, de les présumer pollueurs.

Faire confiance à nos agriculteurs, c’est engager systématiquement un réel dialogue avec la profession avant l’établissement de toute nouvelle norme. Je souhaite, a minima, une concertation préalable et approfondie. C’est important pour la compréhension et l’acceptation des normes par les agriculteurs.

Aujourd’hui, certains documents indispensables ne sont pas renvoyés à cause d’une indigestion de paperasse parfois superflue. Les demandes d’avances au titre de la PAC en sont un bel exemple. Il faudrait aussi, pour simplifier, diminuer les délais de recours auprès des autorités administratives.

Faire confiance à nos agriculteurs, c’est ne pas se satisfaire d’un moratoire sur les normes jusqu’en mars 2016, tel que l’a annoncé le Premier ministre. Faire confiance à nos agriculteurs, c’est oser remettre à plat la réglementation actuelle. Nous devons identifier tous les cas de surtransposition des directives européennes et annuler toute surenchère. (Applaudissements sur les travées de l'UDI-UC.)

M. Bruno Sido. Exact !

M. Daniel Dubois. Je voudrais citer quelques exemples : lorsque la législation européenne en matière d’installations classées pour la protection de l’environnement, les ICPE, ne fixe pas de seuil pour les veaux de boucherie, la France, elle, en fixe !

M. Bruno Sido. Bien entendu !

M. Daniel Dubois. Lorsque la législation européenne en matière d’ICPE ne fixe pas de seuil pour les vaches laitières, la France, elle, en fixe ! Et bien sûr, la complexité dans les procédures d’autorisation des élevages s’accentue et suit naturellement ces contraintes.

Lorsqu’une directive européenne impose des plans de réduction d’impact des produits phytosanitaires, la France traduit « impact » par « réductions d’usage ». Nous sommes donc face à des problèmes essentiels de transposition. Je le répète, on ne peut plus appliquer à l’agriculture française des normes plus strictes que celles qui sont définies au sein de l’Union européenne. Cela crée une réelle distorsion de concurrence, qui la tire vers le bas : la France est passée du deuxième au cinquième rang mondial en moins de vingt ans.

Si on lance un vaste plan de modernisation des établissements d’élevage, comme cela a été envisagé, grâce à des fonds publics, j’invite le Gouvernement à se poser la question suivante : allons-nous engager ce plan de modernisation sur les normes actuelles ou aurons-nous le courage de reposer et de réétudier les difficultés soulevées par les normes ?

Je regrette que, ces cinq dernières années, le Parlement ait adopté deux textes majeurs concernant l’agriculture sans aborder la question de la compétitivité. Lors de la création de l’Observatoire de la formation des prix et des marges des produits alimentaires, j’avais proposé qu’il soit aussi celui de la compétitivité, via l’analyse des normes, sans succès malheureusement.

Faire confiance à nos agriculteurs, c’est réfléchir à un nouveau système de régulation interne qui puisse anticiper les crises. Les institutions européennes manquent de réactivité en cas de chute des prix. Elles interviennent trop tard, à des prix de retrait en dessous de 20 % du prix d’équilibre pour nos agriculteurs. Nous ne pouvons pas continuer à demander à nos agriculteurs de travailler à perte !

Je ne vous apprends pas, monsieur le ministre, mes chers collègues, que, en agriculture, les années sont parfois bonnes, parfois moins bonnes et parfois catastrophiques. Le régime assurantiel présente donc des limites.

Cette nouvelle régulation pourrait prendre la forme d’une exonération fiscale d’une partie des bénéfices, les bonnes années compensant les mauvaises, sur un roulement de sept ans. Il faut que nous ayons une approche souple des risques et aléas agricoles, que nous soyons dans la prévention des crises, et non dans le curatif !

J’invite le Gouvernement à examiner avec beaucoup d’attention la proposition de loi qui sera déposée prochainement au Sénat. (Applaudissements sur les travées de l'UDI-UC et du groupe Les Républicains.)

M. Bruno Sido. Très bien !

M. le président. La parole est à M. Michel Le Scouarnec, pour le groupe CRC.

M. Michel Le Scouarnec. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, jamais l’angoisse du lendemain n’a été si forte pour nos agriculteurs et les 800 000 emplois du secteur agricole. Leur combat est juste et légitime.

Si nous ne sommes pas capables de défendre et de promouvoir ce secteur vital, notre pays risque de connaître un avenir bien sombre. Lait, viande bovine, porc : voilà trois secteurs essentiels gravement touchés, qui pourraient enregistrer une perte d’au moins 10 % du nombre d’éleveurs, soit plus de 20 000 au total.

Monsieur le ministre, malgré les aides de la PAC couplées qui ont été maintenues grâce à vous, l’abandon des quotas, auquel vous étiez opposé, menace des filières agricoles entières. Victimes de la dégradation rapide des prix d’achat des productions, les agriculteurs ne s’en sortent plus.

La déréglementation des relations commerciales entre producteurs, abatteurs et distributeurs et la consécration du principe de libre négociation des conditions générales de vente ont ruiné bon nombre de producteurs.

Les grandes centrales concentrent désormais plus de 90 % des achats. Jamais elles n’ont été aussi puissantes. Les Bigard, Cooperl, Lactalis, Savencia, Carrefour, Intermarché, Auchan, Leclerc, etc., poursuivront leur politique de prix bas, l’État se contentant visiblement d’un rôle d’observateur, certes à l’écoute, mais impuissant, car aucune mesure d’encadrement des relations commerciales n’est prévue. À Plérin, j’ai vu Cooperl et Bigard refuser de participer au marché au cadran pour montrer à quel point ils sont puissants et ne se soucient pas de l’État.

Les marges pour les producteurs sont en régression, alors qu’elles éclatent pour la grande distribution. En 2014, le résultat net du groupe Carrefour, par exemple, s’élevait à 1,2 milliard d’euros. Pourtant, aucune mesure législative n’a été proposée, alors que nous attendions la remise en cause de la loi Chatel.

L’urgence est de garantir un prix de vente rémunérateur pour l’ensemble des producteurs. Je trouve anormal qu’un éleveur disposant d’un cheptel de cinquante bovins ne gagne que l’équivalent du SMIC, comme on l’a vu récemment à la télévision.

Nous proposons d’encadrer les pouvoirs exorbitants et destructeurs des grands groupes. Nous demandons depuis des années l’instauration d’un coefficient multiplicateur élargi à tous les produits agricoles périssables. Ainsi, un lien direct entre le prix payé au producteur et le prix vendu au consommateur serait créé.

Toutefois, ce n’est pas suffisant. Il faut des mécanismes de régulation permettant aux interprofessions de définir des prix minimums indicatifs pour chaque filière agricole, dans le cadre d’une conférence bisannuelle rassemblant les producteurs, les fournisseurs, les distributeurs, ainsi que l’ensemble des syndicats agricoles.

Au Québec et aux États-Unis, un tel mécanisme existe, garantissant une juste rémunération aux producteurs. Le gouvernement américain subventionne l’écart entre le prix du marché et le prix objectif, qui tient compte des coûts de production.

En France, le coefficient multiplicateur est inscrit dans la loi pour les fruits et les légumes, mais il faudrait l’actionner. Ce serait un filet de sécurité pour une profession en détresse !

De plus, au fil des années les outils de gestion des marchés ont été supprimés. Le libéralisme effréné provoque la course sans fin à l’agrandissement des exploitations, à la compétitivité exacerbée entre États membres, qui ouvre la voie au dumping social, à la main-d’œuvre bon marché et aux prix tirés vers le bas.

Tout au long de l’été, monsieur le ministre, vous avez multiplié les déplacements et les annonces de moyens chiffrés comme remèdes. Cependant, lors du débat sur le dernier projet de loi de finances, nous avions dénoncé les coupes budgétaires qui relativisent les aides ponctuelles apportées aujourd’hui aux éleveurs.

Les aides européennes sont utiles dans l’urgence, mais probablement pas dans la durée, car, comme vous l’avez dit tout à l’heure, des réformes structurelles s’imposent. Quelque 600 millions d’euros d’aides supplémentaires sur trois ans, cela vaut mieux que rien, mais cela ne réglera pas la crise. En effet, les problèmes sont non pas conjoncturels, mais structurels.

Depuis la première loi de finances du quinquennat, le budget de l’agriculture aura baissé de 756 millions d’euros ! Le projet de loi de finances pour 2016 entérine malheureusement la baisse programmée dans le plan triennal 2015-2017, avec près de 200 millions d’euros de moins qu’en 2015.

Alors que la plupart des filières connaissent des difficultés importantes, il est anormal que l’État ne conforte pas les leviers qui ont vocation à favoriser le redressement de certaines exploitations. Il est urgent de réinvestir dans l’agriculture, par rapport à des politiques budgétairement restrictives.

Par ailleurs, monsieur le ministre, je souhaitais attirer votre attention sur la filière de la canne à sucre réunionnaise. Les quotas de production, ainsi que le prix garanti, seront supprimés à partir du 1er octobre 2017, mettant en péril près de 20 000 producteurs à la Réunion. Dès lors, quelles mesures comptez-vous prendre ? Encore une fois, on nous parle d’un plan d’aide, mais, vous le savez, ce ne sera pas suffisant. C’est d’un soutien pérenne, de l’ordre de 120 millions d’euros par an de subventions à compter de 2017, que la filière a besoin !

Enfin, la concentration des secteurs de la collecte, de la transformation et de la distribution place les petits et moyens paysans dans un rapport de subordination qui les élimine implacablement. C’est conforme à la logique de la politique européenne, qui a abandonné les mécanismes de régulation pour laisser cours à la « concurrence libre et non faussée », moteur de la compétitivité sans fin qui tire tout vers le bas. Cette logique lamine les travailleurs de la terre et les territoires ruraux.

En matière d’agriculture et d’alimentation, le libéralisme sans limites, à la recherche de toujours plus de compétitivité, nous conduit droit dans le mur. Nous pensons qu’il faut le soustraire de manière raisonnable, pragmatique et efficace aux logiques purement marchandes.

Les négociations sur l’accord transatlantique de libre-échange, mais aussi sur l’accord France-Canada, nous font craindre le pire. L’accord transatlantique de libre-échange nous amènerait loin de l’agroécologie que vous défendez, monsieur le ministre ! C’est pourquoi il faut tracer de nouvelles perspectives pour la grande distribution et prendre des engagements dans la durée pour réinventer notre modèle agricole.

Prenons le cas des restaurants scolaires – cet exemple a été évoqué précédemment – et des cuisines centrales intercommunales, dont les élus locaux ont la charge. Nous pourrions envisager de nouveaux critères, afin de faciliter les appels d’offres, en vue de favoriser l’alimentation bio, l’agriculture raisonnée et les circuits courts, avec une mise valeur de la traçabilité. C’est un gage de la qualité des produits et cela évite toute la logistique du transport des denrées. En effet, pourquoi acheter un poireau à un grossiste en Espagne alors que l’agriculteur de la commune ou de la commune voisine peine à vendre le sien ?

La dernière mutation agricole était fondée sur le « forçage » de la production et entraînait le gaspillage : excès d’engrais, de pesticides souvent et d’irrigation, entre autres. L’évolution actuelle doit modifier complètement cette situation. D’ailleurs, nombre agriculteurs en sont conscients, et il y a eu de nombreuses tentatives visant à changer de logique, afin de recourir aux propriétés de production de la nature elle-même.

Monsieur le ministre, mes chers collègues, il n’y aura pas de développement durable et solidaire sans une orientation nouvelle, construite avec l’ensemble des acteurs. Le Gouvernement doit prendre ses responsabilités pour exiger des prix minimums européens, rétablir les quotas et défendre un modèle agricole vertueux. C’est un changement de modèle qu’il faut opérer d’urgence, avant qu’il ne soit trop tard.

C’est pourquoi le groupe CRC croit en un nouveau modèle d’exploitation, qui devra respecter cinq conditions : favoriser l’installation et le renouvellement des agriculteurs, assurer un revenu décent aux exploitants en activité, répondre aux enjeux alimentaires de la planète, affirmer la double performance économique et écologique et assurer la traçabilité de tous les produits.

M. le président. Veuillez conclure, mon cher collègue.

M. Michel Le Scouarnec. Un autre avenir est à construire. Notre devoir est de protéger nos territoires, comme l’a relevé précédemment notre collègue Jacques Mézard, ainsi que nos filières agricoles, tout en assurant un vrai développement durable et solidaire. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC et du groupe écologiste.)

M. le président. La parole est à M. Henri Cabanel, pour le groupe socialiste et républicain. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain.)

M. Claude Bérit-Débat. Les agriculteurs parlent aux agriculteurs ! (Sourires.)

M. Henri Cabanel. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, mon intervention est celle d’un sénateur paysan, qui a des rêves pour l’agriculture. Toutefois, entre les rêves et la réalité, il y a surtout la volonté, celle d’y voir clair, de ne pas se voiler la face, de changer la donne, de ne pas sombrer dans des querelles et des débats politiciens stériles qui opposent systématiquement l’entreprise à l’État, les agriculteurs à l’État.

Aujourd'hui, l’agriculture française doit faire face à de nombreux défis, et elle doit d’abord compter sur elle-même pour y répondre : concurrence à l’export, mais aussi sur le marché national, réchauffement climatique, nouvelle PAC, exigences sociales, santé publique, aménagement du territoire, mutation des besoins et des goûts des consommateurs.

Pour répondre à ces enjeux, vous avez proposé, monsieur le ministre, des axes forts autour d’un même objectif : une agriculture durable, qui s’inscrit dans le temps. Ces deux mots – « agriculture durable » – recouvrent toutes les questions que se posent nos agriculteurs sur l’avenir de leur activité. Et on ne peut, sous couvert de déclarations politiciennes, se jouer d’eux, en surfant sur leur mal-être et leur désespoir pour s’opposer à l’action du Gouvernement. Ce n’est ni responsable ni raisonnable face à des femmes et des hommes qui exercent l’un des métiers les plus beaux, mais aussi l’un des plus rudes, en ce qu’il dépend des aléas climatiques et des conditions sanitaires.

M. Roland Courteau. Très bien !

M. Henri Cabanel. Pour les éleveurs, s’ajoute à ces paramètres l’obligation de nourrir les animaux et de s’occuper d’eux 365 jours sur 365.

Les éleveurs sont frappés une fois encore par une crise. Celle de 2009, sous une autre majorité,…

Mme Françoise Férat. Encore l’héritage ! (Sourires sur les travées de l'UDI-UC et du groupe Les Républicains.)

M. Henri Cabanel. … avait bouleversé les producteurs de lait et de viande. Quelles conséquences en a-t-on tirées ? Six ans plus tard, cette même filière est de nouveau touchée. Il est donc temps d’admettre que cette crise est non pas seulement conjoncturelle, mais aussi structurelle. Il importe de se poser les bonnes questions, avec courage et détermination.

Sans jouer la provocation, il faut s’interroger sur l’organisation de la filière, sur le fonctionnement de nos exploitations, sur la guerre des prix à laquelle se livrent les transformateurs et les grandes surfaces, asphyxiant ainsi les producteurs, sur les organisations professionnelles qui ne cessent de prôner le libéralisme tout en demandant toujours plus de protection de l’État.

Pour être très clair, je regrette la position de la FNSEA, la Fédération nationale des syndicats d’exploitants agricoles, notamment, qui alterne entre le libéralisme à tous crins pour conquérir des marchés à l’export et un protectionnisme supposé justifier la négociation d’un prix minimum. Je dois l’avouer, j’ai du mal à comprendre comment on peut vouloir vendre à l’export tout en exigeant un prix au kilo sur le marché national… C’est contradictoire.

La nécessité pour notre agriculture aujourd’hui, c’est de faire un constat partagé et d’établir une stratégie à long terme.

Il faut engager une restructuration profonde de notre modèle pour permettre à toutes les formes d’agriculture – grande, moyenne, petite – de trouver leur place. On ne peut raisonnablement penser que l’on va toujours vendre moins cher : cela ne correspond pas à l’image de la France et, à ce jeu-là, nous trouverons toujours une concurrence déloyale sur notre chemin. Optons plutôt pour des signes de qualité.

La mutation vers l’agroécologie choisie par le Gouvernement constitue ainsi une voie à suivre. Elle revêt de nombreuses formes : la biodiversité, l’agriculture raisonnée – j’aime souvent parler d’« agriculture raisonnable » –, l’agriculture bio, les circuits courts, qui transmettent une image positive et des valeurs aux consommateurs.

Lors d’une réunion organisée récemment par le préfet de l’Hérault, les filières et les collectivités territoriales ont constaté combien il est compliqué d’organiser, par exemple, un approvisionnement local pour la restauration collective. Je veux cependant citer en exemple les démarches engagées par l’association Agrilocal, que vous avez citée, monsieur le ministre. Toutefois, il faut simplifier la réglementation des marchés publics.

En effet, n’est-il pas choquant de constater que quelque 80 % de la viande servie dans la restauration hors domicile sont importés ? Comme l’a rappelé Interbev, l’interprofession bétail et viande, la restauration collective draine près de 300 000 tonnes sur 1,5 million de tonnes de viandes consommées en France. Il y a là un chantier important à développer.

Pour réussir cette agriculture durable, définie dans le cadre de la loi d’avenir pour l’agriculture, l’alimentation et la forêt, il va falloir accepter de travailler ensemble, sans œillères ni partis pris.

Comme vous, monsieur le ministre, je pense que la solution n’émergera que d’un consensus trouvé de manière collective par filière à tous les niveaux de la chaîne. Néanmoins, ceux qui doivent mouiller la chemise, si je puis dire, ce sont les agriculteurs eux-mêmes et, surtout, leurs responsables professionnels, avec, bien sûr, l’aide de l’État.

Contrairement à certains agriculteurs qui estiment que notre agriculture française a été sacrifiée sur l’autel de l’Europe, je veux espérer.

Monsieur le ministre, vous avez évoqué la semaine dernière l’exemple des vins du Languedoc devant les députés. La transition exemplaire de la viticulture du Languedoc avait également été abordée lors de la réunion organisée, en juillet dernier, par le président Gérard Larcher au Sénat.

À cet égard, je souhaite, moi aussi, témoigner, car je crois en l’avenir de notre agriculture, comme j’ai cru, en tant qu’acteur, en l’avenir de la viticulture du Languedoc. La mutation fondamentale et réussie qu’a connue notre filière doit donner espoir à la filière de l’élevage.

Jusqu’en 1976, avec 30 millions d’hectolitres, les vins de la région du Languedoc-Roussillon représentaient quelque 45 % de la production française. J’avais vingt et un ans en 1980, quand la crise de la viticulture, qui a touché de front notre région, s’est amplifiée. Je venais de reprendre l’exploitation familiale. Il a fallu faire un constat. Il a fallu faire des choix. Il a fallu décider. Il a fallu composer. Il a fallu faire preuve de courage en arrachant définitivement des vignes et en perdant ainsi un certain potentiel. Il a fallu se diversifier, face aux doutes et à l’incompréhension de nombreux vignerons. Et il a fallu, pour certains, tout arrêter.

Les viticulteurs de notre région ont fait face à trois défis : la baisse de la consommation, qui est passée de 165 litres par an et par personne en 1965 à 75 litres en 1996, puis à 44 litres aujourd'hui ; une extension de la concurrence européenne, avec la libre circulation des vins italiens et espagnols, qui étaient moins chers ; enfin, l’arrivée des vins du Nouveau Monde, avec la diffusion internationale des cépages.

Ces trois défis ont eu pour conséquence un véritable séisme sur les prix, avec une chute qui n’est pas sans rappeler certaines courbes contemporaines, surtout après la suppression des systèmes de régulation voulue par cette Europe libérale.

La réponse s’est incarnée dans la création des vins de pays d’oc, symbole du virage vers la recherche de davantage de qualité, avec, notamment, un réencépagement de grande ampleur, puis dans celle de l’IGP « Pays d’oc » en 2009. Cette indication géographique protégée représente la reconnaissance d’un savoir-faire lié à un territoire, une constante qualitative, une typicité aromatique et des contrôles rigoureux.

En quelques années, c’est une véritable révolution qui s’est opérée au travers d’un véritable changement de modèle économique : la diminution du poids de la viticulture avec un développement des services et du tourisme.

Aujourd’hui, les volumes ne sont plus de la même ampleur : la production représentera 13 millions d’hectolitres environ en 2015, ce qui correspond à une diminution de 60 % des volumes et implique la disparition d’un grand nombre de viticulteurs. Des terres ont été sacrifiées, des familles ont fait le choix d’abandonner. En effet, on ne décide pas de réorganiser des filières, de les restructurer, sans en accepter le prix. Il faut le savoir dès le départ, pour anticiper les conséquences humaines.

Il faut du courage et, surtout, une stratégie commune pour ne laisser tomber personne et pour accompagner les mutations. Toutefois, le parti pris de la qualité, de l’identification, de la labellisation paye toujours. Nos vins ont changé d’image : ils sont reconnus. C’est tout un art de vivre qui s’exporte, ce qui permet à nos vignerons de diversifier leur activité grâce à l’écotourisme. C’est certainement un exemple à suivre.

En juillet dernier, le Gouvernement a mis en place un plan exceptionnel de soutien. De nombreuses dispositions ont ainsi été adoptées pour apporter un soutien financier et fiscal à l’ensemble des éleveurs français : allégement de trésorerie, restructuration des dettes, remboursement accéléré de la TVA, mobilisation du Fonds d’allégement des charges et du Fonds national de gestion des risques en agriculture ou encore accompagnement des prêts auprès des banques.

Face à la persistance de la crise, et afin de satisfaire les attentes du monde agricole, le Premier ministre a présenté le 3 septembre dernier des mesures complémentaires à ce plan de soutien. Ces dernières portent à 3 milliards d’euros en trois ans les aides qui pourront être investies dans l’agriculture et l’élevage français.

Toutefois, au-delà de ces mesures, il y a des engagements à tenir pour ne pas cumuler les charges des entreprises et des exploitations.

Depuis 2012, il n’y a pas eu de normes de surtransposition des directives européennes. Dans le plan annoncé par le Premier ministre, il y aura un point d’étape avec la profession en 2016 pour connaître les normes à supprimer, en vue d’une meilleure compétitivité.

J’en suis convaincu, mes chers collègues, notre agriculture, dans sa globalité, doit opérer une mutation semblable à celle de la viticulture languedocienne. Cela se fera grâce à l’action de l’État, dans l’urgence, mais aussi au travers de la loi d’avenir pour l’agriculture, l’alimentation et la forêt.

Toutefois, cette action ne pourra être entreprise qu’avec les filières concernées et les responsables professionnels. Ces dernières doivent s’emparer de la coconstruction de leur avenir. C’est de leur responsabilité, car on ne peut tout attendre de l’État. Je suis sûr que nous pouvons faire confiance à nos agriculteurs pour trouver des solutions.

L’agriculture, la France y croit ! Et le sénateur paysan que je suis veut garder ses rêves d’une agriculture fière des défis qu’elle a relevés, des mutations qu’elle a réussies, pour que nous puissions conserver l’image d’une agriculture humaine, d’une agriculture forte, d’une agriculture de qualité et, donc, d’une agriculture durable. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain, du groupe écologiste et du groupe CRC.)

M. le président. La parole est à M. Jean Bizet, pour le groupe Les Républicains.

M. Jean Bizet. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, les agriculteurs français sont désabusés, souvent en colère, en proie au désespoir. Ils ont le sentiment que, quoi qu’ils fassent, ce n’est jamais assez ! Ils ont les compétences, les équipements, les atouts, mais la crise que traverse notre agriculture trouve son origine dans le manque d’adaptation de ce secteur à la nouvelle donne européenne et mondiale.

Les quotas laitiers étaient le dernier symbole de la régulation administrative de la production. La PAC plaisait aux Français, parce qu’elle était conçue par eux et pour eux, mais elle a tant évolué qu’elle n’est plus que l’ombre de ce qu’elle fut. Les agriculteurs français espèrent des régulations dont nos partenaires ne veulent plus. Et pendant qu’ils attendent un avenir qui ressemble au passé, nos compétiteurs, eux, avancent et se préparent sans doute mieux que nous.

Le débat d’aujourd’hui doit être politique, dans le sens noble de ce terme, et responsable.

Ma première réflexion porte sur les outils de régulation. Inutile de s’accuser réciproquement et de demander une fois encore le retour des quotas. Je suis désolé de le dire à l’adresse de Michel Le Scouarnec, les quotas, c’est fini ! À vingt-huit, personne n’en veut plus.

M. Claude Bérit-Débat. Même en France, certains n’en voulaient pas !

M. Jean Bizet. Certains mêmes de nos partenaires sont bien décidés à produire beaucoup plus qu’avant. Toutefois, nous avions réussi à faire accepter à Bruxelles un ersatz de régulation par le biais de la contractualisation…

M. Hubert Falco. Tout à fait !

M. Jean Bizet. … et des organisations de producteurs, les OP.

Pas une fois pendant la crise, il ne fut fait mention des OP, ni par les agriculteurs, ni par les syndicats, ni par les autorités publiques. Or il me semble qu’il s’agit là d’un outil utile, qui est malheureusement encore délaissé. Selon moi, l’appropriation de cette nouvelle approche de gestion est vraiment encore insuffisante aujourd'hui. (M. Michel Raison applaudit.)

Dans un an, nous préparerons les contrats laitiers de deuxième génération. C’est un rendez-vous qu’il ne faut pas manquer. Comment comptez-vous, monsieur le ministre, favoriser cette négociation contractuelle ? À entendre votre intervention liminaire, j’ai senti certaines évolutions et j’ai le sentiment que vous avez pris quelques engagements. Comment favoriser les regroupements, même par le biais des organisations de producteurs de bassin, qui donneraient du poids – davantage de poids – aux éleveurs ?

Certains industriels seraient disposés à faire figurer dans les contrats des références aux coûts de production, qui compléteraient les indices de tendance bien connus : il s’agit à mes yeux d’une évolution capitale, qu’il faut encourager.

Ma deuxième série d’observations a trait aux choix stratégiques.

Il n’est pas possible d’admettre sans rien faire que notre agriculture, année après année, soit dépassée par nos concurrents. C’est pourtant bien ce qui se produit, et si le phénomène est à l’œuvre depuis quelques années – je vous le concède, monsieur le ministre –, il prend aujourd’hui une ampleur considérable. (M. Hubert Falco opine.) C’est donc que quelque chose ne va pas. À la vérité, c’est d’un cap, d’une véritable stratégie que nous avons besoin : non pas d’une stratégie fourre-tout, de celles auxquelles nous nous sommes habitués, mais d’une stratégie claire et déterminée, qui impose des choix douloureux.

Les deux voies du succès sont de gagner en compétitivité et de gagner en valeur ajoutée. À plusieurs reprises, monsieur le ministre, vous avez prononcé les mots « compétitivité » et « productivité » ; mais s’il est bon de parler, il est beaucoup mieux d’agir !

Pour y parvenir, je pense qu’il faut accepter des concentrations. Comme nos collègues Michel Raison et Claude Haut nous y invitent dans leur excellent rapport, osons certains regroupements : des regroupements techniques, industriels, des regroupements d’exploitations agricoles, toutes évolutions qui doivent faire l’objet d’expérimentations inspirées de ce que font d’autres pays, qui, eux, gagnent sur les marchés.

M. Joël Labbé. Ce ne sont pas des exemples !

M. Jean Bizet. Certaines régions ont tous les atouts pour être de grandes régions agricoles et pour réussir à s’imposer dans la compétition européenne. Néanmoins, il faut admettre qu’il n’y aura pas d’élevage laitier partout, comme aujourd’hui – sauf si les régions investissent massivement, ce qui n’est pas vraiment le cas.

Ma troisième et dernière série d’observations se rapporte à la politique agricole commune, qui est à bout de souffle, au bout de son exercice.

La PAC d’origine, qualifiée de productiviste, avait des effets pervers, qui ont été corrigés ; la PAC réformée des paiements directs en a tout autant, mais je pense que la PAC compliquée d’aujourd’hui en a encore davantage ! De fait, il est incompréhensible que l’on puisse dépenser 50 milliards d’euros par an pour un tel résultat, en faisant de si nombreux mécontents.

La dernière réforme a été une occasion manquée. D’une part, tous les pays ont tendance à privilégier ce qu’ils ont aujourd’hui plutôt que de se lancer dans des réformes sans savoir ce qu’ils auront demain. D’autre part, on avait promis aux États entrés dans l’Union européenne en 2004 des paiements directs à taux plein à partir de 2013, de sorte qu’il n’était pas possible de leur dire : maintenant que vous y avez droit, on va changer de régime ! Il y a donc une réelle inertie.

Je ne condamne personne, mais cette inertie n’est plus possible : il faut s’atteler à une véritable réforme de la PAC, loin des idéologies dépassées ou dévastatrices.

Je l’ai dit et écrit : paiement unique, paiement inique. Chacun peut comprendre qu’il n’est pas pertinent d’aider l’agriculture lorsque les prix sont rémunérateurs. En revanche, les subventions sont nettement insuffisantes dans une période de crise comparable à celle que nous traversons. À la vérité, l’aide directe doit être de plus en plus conçue de manière contracyclique. Je vais même plus loin : il faut évoluer vers une PAC à connotation assurantielle, comme nos amis américains l’ont fait dans le cadre du Farm bill.

Cette approche me semble beaucoup plus pertinente aujourd’hui, dans l’hypothèse où le traité transatlantique serait signé demain matin. (M. Joël Labbé s’exclame.) La révision à mi-parcours de la PAC doit être l’occasion de l’envisager clairement et de la programmer à l’horizon de 2020.

Telles sont les questions que nous souhaitons aborder avec vous, monsieur le ministre, lorsque sera examinée, dans quelques semaines, la proposition de loi à laquelle certains d’entre nous ont commencé de travailler.

Je répète que je vous ai entendu nommer les deux exigences qui devraient remettre l’agriculture française en compétition avec, notamment, les agricultures allemande, néerlandaise et danoise : compétitivité et productivité. De même, je prends acte des propos de Didier Guillaume et de sa main tendue. Pourquoi pas ? Au Sénat, nous pouvons mener une réflexion qui transcende les clivages politiques.

Monsieur le ministre, mes chers collègues, l’agriculture est trop importante pour qu’on en fasse de la petite politique ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et de l'UDI-UC, ainsi que sur quelques travées du groupe socialiste et républicain.)

M. le président. La parole est à M. Jean-Jacques Lasserre, pour le groupe UDI-UC. (Applaudissements sur les travées de l'UDI-UC.)

M. Jean-Jacques Lasserre. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je sais bien que la critique est aisée et l’art difficile. Il reste que votre satisfaction, monsieur le ministre, n’est vraiment pas justifiée par l’état de notre agriculture. Je n’insisterai d’ailleurs pas sur le tableau très préoccupant que les orateurs précédents en ont brossé ; je me bornerai à présenter quatre observations.

Monsieur le président, le principal objectif de la proposition de loi sur laquelle nous travaillerons avec vous devrait être de favoriser un changement du regard dominant porté sur l’agriculture. Je puis vous assurer qu’elle en a grandement besoin !

Voici ma première observation : de grâce, n’opposons pas les solutions. Au contraire, valorisons-les ! En d’autres termes, sortons des procès paralysants qui opposent les différentes solutions s’offrant à nous. Ces oppositions souvent professionnelles, très souvent politiques, sont l’une des causes de la paralysie qui affecte le développement de notre agriculture.

Des solutions très variées et très différentes existent. Ainsi, on oppose beaucoup trop souvent les circuits courts et l’agriculture biologique, solutions que nous jugeons tout à fait convenables, mais dont on sait que la généralisation ne serait pas un remède efficace pour toute l’agriculture, à l’agriculture dite « de production de masse ». Nous devons permettre à ces deux modèles de s’épanouir de concert en se respectant, et surtout en respectant les contraintes environnantes qui s’imposent à eux. Je persiste à penser que c’est possible. Chacune de ces agricultures présente ses inconvénients, qu’il faut surmonter ; à nous de trouver les solutions correspondantes.

Ainsi, les circuits courts, quelles que soient leurs formes, entrent dans une phase qui nécessitera d’autres modes d’organisation, d’autres moyens de mise en marché et des dispositifs de respect de la certification des produits.

Quant à l’agriculture de production de masse, elle a fait d’incontestables efforts : même si tout n’est pas réglé, la profession agricole a bien montré son aptitude à respecter les contraintes environnantes. Nous gagnerions désormais à examiner très concrètement et très lucidement au plan législatif les différents cadres de production que nous pourrions non seulement accepter, mais aussi promouvoir, en matière, par exemple, d’utilisation des intrants et de l’eau.

Il faut réconcilier cette agriculture avec l’opinion ! De fait, les procès qui lui ont été intentés, les mots qui ont été employés à son égard, parfois fondés, le plus souvent démagogiques, ont été beaucoup trop fréquemment destructeurs de notre économie agricole.

Ma deuxième observation porte sur l’agroalimentaire, un secteur qui était un fleuron de notre économie et qui le reste dans certains domaines.

Dans nombre de filières, notamment celles du lait et de la viande, les risques sont réels que l’industrie agroalimentaire rencontre des difficultés d’approvisionnement. L’abandon du métier d’agriculteur est la cause principale de cette situation. Nous devons restaurer les relations de confiance avec l’industrie agroalimentaire, afin de déterminer avec elle les meilleures conditions possible pour assurer le maintien de l’agriculture.

En particulier, nous devons travailler en profondeur sur la notion de contrats. Nous connaissons, monsieur le ministre, la pugnacité avec laquelle vous agissez dans ce domaine. Seulement, nous pensons qu’il faut donner ses chances à chacun des contractants : il est bien évident que des contrats ne peuvent pas tenir si tous les contractants, notamment les agriculteurs, ne sont pas en situation de les négocier et de les honorer.

Par ailleurs, la relation entre l’agroalimentaire et la distribution, abordée jusqu’ici sans grand résultat, doit être redéfinie et codifiée ; à cet égard, j’attends beaucoup de la proposition de loi en cours d’élaboration. Il y a sur ce plan un réel débat politique, non abouti. Cette régulation devra s’appuyer sur une utilisation beaucoup plus encadrée des différents signes de qualité. Sortons le plus vite possible des stratégies trop envahissantes de marketing et d’usage abusif, pour nous recentrer sur les véritables signes de qualité – Dieu sait si, en France, nous en avons ! L’agriculture gagnerait à une telle clarification, tout comme les consommateurs, qui pourraient enfin s’y retrouver.

Ma troisième observation a trait à la sauvegarde des outils de production, qu’ils soient individuels ou collectifs.

Monsieur le ministre, vous savez que, dans toutes les régions de France, il y a extrême urgence. Des points de non-retour sont d’ores et déjà atteints. La population agricole vieillit et, dans le même temps, les outils de production individuels et collectifs deviennent totalement obsolètes, tandis que toute initiative en matière de développement devient de plus en plus difficile.

J’aborderai seulement deux sujets : l’hydraulique et les bâtiments d’élevage.

En ce qui concerne l’hydraulique, sortons, par pitié, des clichés paralysants et de l’exploitation émotionnelle ! L’utilisation de l’eau et la gestion de sa ressource sont actuellement bien maîtrisées sur le plan technique. L’eau restera toujours un facteur de développement et de garantie de celui-ci. Faisons preuve de lucidité et de dynamisme et cessons d’instrumentaliser ces questions à des fins politiques ! (Applaudissements sur les travées de l’UDI-UC. – Mme Sophie Primas applaudit également.)

Pour ce qui est des bâtiments d’élevage, vous savez tous que les contraintes environnementales rendent quasiment impossibles les équipements des exploitations agricoles. Profitons des circonstances présentes pour mettre en cohérence l’intervention de l’État, celle des régions, qui sont désormais renforcées en matière économique et responsables de la gestion des fonds européens, et celle des départements, qui conserveront bien quelques responsabilités.

Ma quatrième observation touche aux coûts de production. Le développement de la compétitivité, laquelle devrait cesser d’être un gros mot, passera forcément par une action sur ces coûts.

M. le président. Veuillez conclure, mon cher collègue.

M. Jean-Jacques Lasserre. Examinons-les donc, en particulier ceux qui sont liés à la fiscalité, à la parafiscalité et aux charges sociales.

Tel est, monsieur le président, l’état d’esprit dans lequel les membres de mon groupe travailleront à vos côtés pour préparer la future loi, sur laquelle ils fondent de grandes espérances. Changeons l’état d’esprit au sujet de l’agriculture en nous appuyant sur des éléments que nous avons jusqu’ici trop souvent bannis ! (Applaudissements sur les travées de l'UDI-UC et du groupe Les Républicains.)

M. le président. La parole est à M. Gérard Bailly, pour le groupe Les Républicains.

M. Gérard Bailly. Monsieur le président, je tiens à vous remercier d’avoir suscité ce débat fort intéressant, qui nous a permis d’entendre M. le ministre, lequel, sans doute, reprendra la parole dans quelques instants pour répondre à nos questions.

Monsieur le ministre, vous êtes convenu que tout le secteur de l’élevage était en crise. Sur ma tablette, j’ai consulté une plaquette émanant de votre ministère, selon laquelle quelque 25 000 exploitations d’élevage pourraient déposer le bilan. De fait, la trésorerie de nombre d’éleveurs est dégradée. Il faut dire que, aujourd’hui, les prix de vente sont souvent inférieurs aux coûts de production. Une telle situation ne peut pas durer longtemps. C’est dire si la crise est grave !

Or, malheureusement, cette crise va durer au moins plusieurs mois. En effet, à l’heure où l’on rentre les troupeaux dans les étables, la mévente est complète. Pas plus tard qu’hier, j’ai encore rencontré un marchand de bestiaux : il m’a dit qu’il n’y avait pas de demande et qu’il fallait absolument que les exportations reprennent. Nous espérons vraiment qu’elles vont repartir ! Et je vous remercie, monsieur le ministre, pour tous les efforts que vous accomplissez. Toutefois, il faudrait qu’ils soient plus importants encore pour que la demande se redresse !

Vous savez que, de surcroît, de nombreux territoires ont été frappés par la sécheresse. Aussi, il y a peu de fourrage dans un certain nombre d’exploitations.

De nombreux animaux, peu de fourrage, des prix très bas : dans ces conditions, la situation ne risque pas de s’améliorer, ce qui provoque une vive angoisse et même une désespérance dans le monde agricole.

Quelles sont les causes de cette situation ? Il y a, bien entendu, la fin des exportations vers la Russie ; c’est bien le monde agricole qui paie cette décision politique. Quant aux exportations vers la Chine, elles sont en baisse. La question de la viande dans les cantines a déjà été abordée.

Ce qui nous préoccupe aussi, ce sont toutes ces campagnes de promotion du régime végétarien, qui incitent à manger moins de viande.

M. François Bonhomme. Il ne manquait plus que cela ! (Sourires.)

M. Gérard Bailly. Et par-dessus le marché, voici la fièvre catarrhale ovine ! Vous avez affirmé, monsieur le ministre, qu’elle n’aurait pas de conséquences sur les exportations. Pourtant, on me dit que, dans le Massif central, quelque 25 000 animaux attendent de partir. Pouvez-vous nous donner des éclaircissements à cet égard ?

Ensuite, j’évoquerai – c’est un peu mon dada ! – la course aux prix bas. Mes chers collègues, sachez que les produits agricoles – je ne parle pas des produits alimentaires, mais uniquement des produits agricoles – ne représentent plus aujourd'hui que 4 % des dépenses des ménages.

En lisant, hier, Le Progrès, j’ai encore eu une illustration de cette course aux prix bas à laquelle se livre toute la grande distribution. (M. Gérard Bailly brandit un article de journal.) Leclerc y faisait la publicité de ses produits en affirmant que ceux qu’il proposait étaient 12 % plus chers chez Carrefour et même 17 % plus coûteux chez Casino...

M. Gérard Bailly. Monsieur le ministre, je ne doute pas que vous souhaitiez personnellement la remontée des prix agricoles. Toutefois, comme un certain nombre d’entre nous, je me pose une question : en est-il de même pour le Gouvernement dans son ensemble ? Ces prix bas ne l’arrangent-ils pas ?

M. Claude Bérit-Débat. Mais non ! C’est l’économie de marché.

M. Gérard Bailly. Après tout, avec des prix bas dans le secteur alimentaire, ce sont les pensions de retraite que l’on n’est pas obligé de revaloriser et le SMIC que l’on n’est pas obligé d’augmenter !

Monsieur le ministre, il faudrait que vous tapiez davantage sur la table ! En 2014, les marges des grandes et moyennes surfaces, les GMS, ont augmenté. La même année, alors que le prix du porc a baissé de 33 centimes d’euros à l’entrée des abattoirs, il a augmenté de 28 centimes d’euros dans le réseau de la distribution. Il existe bien un Observatoire de la formation des prix et des marges des produits agricoles et un Médiateur des relations commerciales agricoles, mais on se demande ce qu’ils font réellement.

Les agriculteurs souhaiteraient obtenir des réponses à d’autres questions qu’ils se posent.

Tout d’abord, ils s’interrogent sur l’aide de l’Europe, comme sur celle – trop modeste – de la France, même si chacun connaît la situation financière de notre pays. Monsieur le ministre, quand ces aides seront-elles perceptibles au niveau des exploitations agricoles ?

Par ailleurs, je me suis laissé dire – peut-être n’ai-je pas les bonnes informations – qu’en Rhône-Alpes, pour compléter un dossier, il faut remplir vingt-quatre pages ! (M. le ministre le conteste.) Monsieur le ministre, c’est ce que j’ai pu lire, même si vous me direz peut-être que c’est faux, et c’est la preuve d’une trop grande complexité.

Ensuite se pose la question des vaccins, dont on sait qu’elle aura des incidences sur les exportations. Quand les agriculteurs pourront-ils disposer de suffisamment de vaccins pour leurs exploitations ?

J’ai également souvent évoqué à cette tribune le feuilleton burlesque des loups. Quel est son coût ? N’existe-t-il pas d’autres priorités ? On perçoit un découragement des éleveurs, qui sont méprisés, voire condamnés. Quand reverra-t-on la convention de Berne ?

Monsieur le ministre, vous avez tenu de belles paroles sur l’agriculture, et je vous crois d’ailleurs sincère. Cependant, le budget de l’agriculture baissera tout de même de 2,8 % en 2016 ! Comment trouvera-t-on, dans les semaines à venir, les moyens nécessaires pour développer l’énergie biomasse ou l’énergie photovoltaïque dans les exploitations, ainsi que pour tous les outils de transformation ? Comment favoriser l’adaptation de la fiscalité à l’agriculture ?

Par ailleurs, monsieur le ministre, à quand une Europe avec des salaires harmonisés ? Mes chers collègues, nos agriculteurs auront bien du mal à faire la différence par rapport à la concurrence s’ils paient le double, en France, du prix acquitté ailleurs pour transformer leurs produits !

Il y a également l’exemple de l’Espagne, qui verse 300 euros par vache laitière. Si nous vous avions demandé une telle aide, monsieur le ministre, vous nous auriez sûrement répondu que l’Europe n’autorise pas le versement de primes directes pour des raisons de concurrence. Pourtant, il semblerait que l’Europe le permette en Espagne ! (M. le ministre le conteste.)

Enfin, j’aimerais que vous fassiez le point sur la question du stockage de la viande et du lait.

M. le président. Veuillez conclure, mon cher collègue.

M. Gérard Bailly. Je conclurai, monsieur le président, en indiquant que l’Europe s’est d’abord construite sur le fondement de sa politique agricole commune. Or celle-ci est peut-être aujourd'hui agonisante.

Sachez que, dans les élevages agonisants, la foi en l’Europe est malheureusement bien éteinte, comme l’est la foi dans tous les décideurs, en vous, monsieur le ministre, comme en nous tous, élus. C’est donc à nous tous qu’il appartient de réagir plus vigoureusement encore, et vite ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et de l'UDI-UC.)

M. le président. La parole est à M. Daniel Gremillet, pour le groupe Les Républicains. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. Daniel Gremillet. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, notre débat d’aujourd’hui prend, en effet, tout son sens au Sénat, compte tenu des incidences de l’agriculture sur l’aménagement du territoire dans l’ensemble de nos régions.

Premièrement, l’enjeu alimentaire n’a jamais été aussi présent. C’est pourquoi nous souhaiterions, monsieur le ministre, que la France affirme davantage sa volonté et sa détermination d’exister en la matière à l’horizon 2020-2030 et jusque dans les années 2050. En effet, c’est maintenant que cela se prépare !

Deuxièmement, s’il existe un secteur stratégique en matière d’aménagement du territoire – nous l’avons tous évoqué –, c’est bien celui de l’élevage.

M. François Marc. Oui, on le sait !

M. Daniel Gremillet. Mesurons bien les conséquences de nos décisions si nous ne sommes plus capables, demain, de donner des perspectives économiques et de bonnes conditions d’existence aux exploitants sur nos différents territoires : combien tout cela coûtera-t-il à la société ? Quel en sera le coût pour la vie locale, pour le monde rural – certains d’entre nous se sont interrogés sur ce sujet –, pour les racines, en quelque sorte, de notre pays ? Il s’agit du fameux principe des « 80-20 » : quelque 20 % de la population ont la charge de 80 % du territoire. Quelles en seront les conséquences financières ?

Troisièmement, toujours en matière d’aménagement du territoire – sur ce sujet, vous n’avez pas de chance, monsieur le ministre –, dont le Sénat a d'ailleurs récemment débattu dans le cadre de la réforme territoriale, nous aurions besoin d’une clarification des compétences entre l’État, l’Union européenne et les régions,…

M. Claude Bérit-Débat. On le fait déjà !

M. Daniel Gremillet. … surtout à l’heure où l’on attribue une compétence économique à ces dernières.

Mes chers collègues, dans les semaines et les mois à venir, la capacité d’intervention des régions aux côtés de l’État sur le plan stratégique, notamment en ce qui concerne les financements, sera significativement perturbée. (M. le ministre le conteste.) Pour les régions qui vont se mettre en place, qu’on ne me dise pas que les choses seront aussi simples que cela ! Nous sommes confrontés à une véritable situation de rupture.

Mes chers collègues, je souhaiterais que vous relisiez, lorsque vous en aurez le temps, le traité de Rome signé le 25 mars 1957, surtout son article 39, qui prévoit que la politique agricole commune doit assurer « un niveau de vie équitable à la population agricole ».

M. Jean Bizet. C’est exact !

M. Daniel Gremillet. À cet égard, comme l’a rappelé Jean Bizet, nous vivons véritablement une rupture : depuis que l’Europe existe, c’est la première fois que les agriculteurs se trouvent seuls face au marché. Quand on se bat, mais que l’on ne réussit pas à gagner, comme sur le dossier laitier, il n’y a plus rien !

M. François Marc. Mais quelles sont vos propositions ?

M. Daniel Gremillet. Elles sont simples, cher collègue !

Monsieur le ministre, lorsque vous avez réuni une table ronde sur le secteur laitier le 24 juillet dernier, vous n’avez apporté une réponse que pour 16 % de l’ensemble des produits. Pour le reste de la filière laitière, ce sont les propositions retenues lors de l’accord du mois de février 2015 qui s’appliquent, à savoir une baisse des prix !

Lorsque vous décidez de demander à la grande distribution de maintenir un statu quo pour l’année 2016 lors de la réunion du 1er octobre dernier, cela veut dire que vous entérinez progressivement une baisse de 5 % des prix pour les 84 % des produits laitiers qui ne sont pas concernés par l’accord du 24 juillet.

Monsieur le ministre, nous estimons que vos propositions conduisent à intégrer la grande distribution dans l’interprofession laitière et le monde paysan.

M. Stéphane Le Foll, ministre. Je vais vous répondre sur ce point !

M. Daniel Gremillet. De grâce, soyez très prudent sur ce dossier.

M. Stéphane Le Foll, ministre. Rassurez-vous, je le serai !

M. Daniel Gremillet. C’est l’une des recommandations que nous vous faisons, car nous constatons aujourd’hui une situation de grande fragilité.

Monsieur le ministre, le prix n’induit pas forcément le revenu. Prenons l’exemple de l’Allemagne, où 2 % du chiffre d’affaires sont liés au différentiel de TVA. J’aurai d’autres exemples, et les réponses ne peuvent se limiter à la mise en œuvre des circuits courts. Certes, il faut développer ces derniers, mais il faut également travailler sur le dossier de la restauration collective, car les questions de fond se posent aussi au niveau structurel.

Quand seulement 57 % des agriculteurs ont confiance dans notre agriculture, c’est inquiétant.

M. le président. Veuillez conclure, mon cher collègue.

M. Daniel Gremillet. Cela montre bien leur ras-le-bol. Pourtant, l’enjeu est très simple. Nous avons besoin, aujourd’hui, de travailler sur le renouvellement des générations. On ne peut continuer avec la politique d’installation actuelle. Il faut imaginer des prêts sur une plus longue durée, mais aussi travailler sur le dossier de l’emploi et sur la fiscalité.

Je terminerai, mes chers collègues, en rappelant le titre du rapport de Michel Raison et de Claude Haut : La France sera-t-elle encore demain un grand pays laitier ? Monsieur le ministre, vous avez rendez-vous avec l’Histoire. En tant que ministre de l’agriculture, mais aussi porte-parole du Gouvernement, vous avez une grande responsabilité : il vous faut imaginer une France qui a de l’ambition pour son agriculture et qui fait confiance aux hommes et aux femmes travaillant sur l’ensemble de ses territoires. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et de l'UDI-UC.)

M. le président. La parole est à M. le ministre.

M. Stéphane Le Foll, ministre. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, je voudrais tout d’abord me féliciter de ce débat.

Au-delà même des questions de fond qui ont été soulevées – auxquelles je vais bien entendu répondre –, avouez tout de même que, compte tenu de la crise dans laquelle nous nous trouvons et que vivent avant tout les éleveurs, nous essayons d’apporter des réponses à la fois conjoncturelles et structurelles, en prenant des mesures sur les allégements de charges, en mobilisant 350 millions d’euros par an et en créant ainsi un effet de levier de 1 milliard d’euros sur les 3 milliards d’euros investis au total pour les trois ans qui viennent !

Je souhaiterais répondre à plusieurs interventions.

Monsieur Gremillet, vous avez évoqué l’accord sur le lait. Oui, il concernait entre 25 % et 30 % du volume de la collecte laitière.

M. Daniel Gremillet. Non, quelque 16 % !

M. Stéphane Le Foll, ministre. Cependant, je tiens à vous le dire : je parviens à de tels accords en négociant !

Si le Gouvernement a négocié un tel accord, c’est parce que, à la demande de la Fédération nationale des producteurs de lait, la FNPL, il visait de manière spécifique tous les produits sous marque de distributeur, ou MDD, notamment les crèmes fraîches, les yaourts nature et le lait de consommation. Il s’agissait aussi de déterminer si les industriels possédant de grandes marques – je ne les citerai pas – devaient relever leurs prix, une mesure qui, par définition, n’allait vraiment pas de soi pour eux.

Monsieur Gremillet, j’ai étudié les chiffres depuis le début de l’année : certaines grandes entreprises et grandes laiteries ont réalisé des bénéfices ! En réalité, ceux qui n’en font pas, aujourd’hui, ce sont les producteurs.

Certes, notre discussion n’a porté que sur 30 % de la collecte. Néanmoins, contrairement à ce que vous affirmez, c’est parce que nous le souhaitions ! Je vous renvoie aux discussions qui ont eu lieu avec les professionnels du secteur. Pour ma part, je n’invente pas ces stratégies, je les construis et les négocie.

Lorsque nous avons abordé l’autre partie de la discussion, en particulier la question de ce qui est collecté et porte sur des marques, il y a bien eu négociation. C’est à cette occasion que, le 1er octobre dernier, j’ai indiqué aux industriels qu’ils devaient faire un effort en direction des producteurs, car on ne peut pas tout demander à la grande distribution.

Si l’on veut surmonter la crise actuelle, il faut que tout le monde s’y mette. C’est vrai, par exemple, pour l’application des allégements de charge, notamment pendant l’année blanche, puisque les banques doivent faire un effort à ce titre. En effet, c’est la capacité des banques à pérenniser les activités des éleveurs et à assurer le futur remboursement d’un certain nombre de prêts qu’elles ont pu consentir qui est en jeu. Chacun doit donc faire des efforts ! Sur la question laitière, les négociations ont donc bien eu lieu avec les professionnels.

Monsieur Gremillet, vous avez également évoqué les organisations de producteurs, les OP, et la logique contractuelle que la loi de modernisation de l'agriculture et de la pêche, la LMAP, a mis en place.

Il est vrai que, aux termes de la LMAP, la sortie des quotas devait aboutir à un système de contractualisation. Toutefois, lors des débats sur la loi d'avenir pour l'agriculture, l'alimentation et la forêt – c’est ce texte qui a soutenu et conforté les organisations de producteurs –, il a bien été question de contrats, mais pas au niveau des OP.

Dans cette loi d’avenir, que certains d’entre vous – pas tous – ont voté, figurait la possibilité pour les organisations de producteurs de saisir un tribunal si les prix ou les modalités de la collecte n’étaient pas respectés. Mesdames, messieurs les sénateurs, soyez conscients que cette disposition a des incidences : auparavant, rien de tout cela n’existait ! Je salue donc tous ceux qui ont voté en faveur de cette loi.

Nous avons renforcé le rôle des OP, et ce n’est pas fini. Vous avez raison de dire qu’il va falloir franchir une étape en matière de contractualisation laitière, monsieur le sénateur. On le fera parce qu’on aura proposé de nouvelles formes de contractualisation pour les filières porcine et bovine.

Vous me dites également de faire attention à la grande distribution, que j’ai en effet souhaité faire entrer dans la négociation menée dans le cadre de contrats tripartites. J’en profite pour le dire au passage : c’est la loi de modernisation de l’économie, la LME, que vous avez votée, qui le permet ! C’est une loi sur laquelle on pourrait revenir, et j’attends d’ailleurs vos propositions, monsieur le président du Sénat, sur ce sujet.

Cette loi permet d’intégrer les critères de rémunération du producteur dans une négociation entre un grand distributeur et un industriel. Aussi, pourquoi s’en priver ? Serait-ce une bonne chose ? Non, trois fois non !

Par ailleurs, oui, j’ai bien demandé que l’on intègre la grande distribution dans l’interprofession laitière. Parce que les deux négociations distinctes, entre les industriels et les producteurs d’une part, entre les industriels et la grande distribution d’autre part, avec des producteurs qui ne sont jamais au courant du contenu réel de la seconde négociation, cela ne peut plus durer !

Si l’on veut stabiliser notre marché, si l’on veut, en particulier, se donner les moyens de favoriser l’origine française des productions, évoquée tout à l’heure par le sénateur non inscrit, cela passe par des accords de valorisation de cette production.

Le label « Viande de France », je n’ai pas attendu des propos de tribune pour le mettre en œuvre ! Pour la première fois, depuis février 2014, nous avons mis en place, de manière volontaire, une traçabilité sur l’origine de la viande et même dans les produits transformés.

Aujourd’hui, en Bretagne, certains me demandent de prendre un décret pour rendre ce label obligatoire, les mêmes d’ailleurs qui, coopératives ou industriels, ne l’appliquent toujours pas de manière volontaire. C’est toujours facile de venir voir le ministre ! Mais encore faut-il que chacun assume sa part de responsabilité !

Vous prétendez, monsieur, qu’il n’y a plus besoin d’Europe, plus besoin de PAC !

M. Michel Raison. Pour notre part, nous n’avons pas dit cela !

M. Stéphane Le Foll, ministre. Mais avant de faire cela, sachez tout de même que la France agricole et agroalimentaire est en tête sur les marchés mondiaux. Et si nous avons ainsi la première industrie mondiale, c’est parce que nous exportons !

Le jour où vous prétendrez que la fermeture des frontières permettra de redresser notre agriculture, vous verrez débarquer les mêmes que ceux qui sont venus me voir pour d’autres raisons… Et ils vous diront : Ne faites surtout pas cela, vous ne vous rendez pas compte que nous sommes aujourd’hui une puissance agricole parce que nous exportons !

D’ailleurs, la plupart de vos interventions disaient en substance : nous avons besoin d’exporter, mais nous devrions nous extraire des règles européennes afin de mettre en œuvre des stratégies différentes. Croyez-vous réellement que l’on puisse réussir de cette manière ?

Au moins, les propos de M. Bizet ont le mérite de la cohérence. Il a rappelé à M. Le Scouarnec que les quotas, c’était fini. Je suis obligé de faire le constat avec vous, monsieur Bizet. Mais ensuite, quelle conclusion en tirez-vous ?

J’ai en tête l’exemple d’un groupement d’intérêt économique et environnemental, ou GIEE, qui s’est mis en place dans le Gers, permettant de réunir trente-cinq exploitations, soit 5 000 hectares. Mais, derrière ce regroupement, il y a aussi trente-cinq agriculteurs. La stratégie collective ne remet pas en cause notre volonté de conserver des agriculteurs, des éleveurs et des exploitants, mais elle permet dans le même temps d’enclencher des dynamiques de groupe. Au fond, sur le point qui consiste à ne pas refuser de regroupements, nous n’avons pas de divergence, monsieur Bizet, au contraire ! Je vous invite toutefois à être objectif et à accomplir le saut culturel nécessaire. Les regroupements, ce ne sont pas seulement de grands bâtiments, ce sont aussi des dynamiques collectives. Si j’annonçais que des exploitations de 5 000 hectares allaient se créer en France, vous diriez que le ministre a perdu la tête. Mais je vous rassure, il sait très bien où il va !

D’ici à la fin de l’année, le rapport « Agriculture – innovation 2025 » sera remis. Nous devons être capables d’innover dans le domaine technique, scientifique, mais aussi social. Car la condition de l’acceptation et de l’appropriation de l’évolution technique et de l’innovation réside aussi dans la dimension sociale de l’organisation collective.

L’autonomie fourragère constitue l’un des enjeux de demain, car la compétitivité de la France passera aussi par sa capacité à avoir un coût des aliments plus bas qu’ailleurs. Réfléchissez, monsieur Bizet, et, surtout, ne vous bloquez pas culturellement !

M. Jean Bizet. Je suis très ouvert !

M. Stéphane Le Foll, ministre. L’autonomie fourragère permettra d’assurer la compétitivité de l’élevage français de demain. Les Danois, les Néerlandais, et même les Allemands sont obligés d’importer des protéines végétales sur le marché mondial. J’attends le jour où les prix de ces protéines végétales vont augmenter. C’est d’ailleurs déjà le cas ! Nous avons donc un avantage compétitif, mais encore faut-il l’organiser.

Sur le problème de la taille, il s’agit simplement de savoir comment nous devons nous y prendre. Je veux garder des agriculteurs, mais que n’ai-je entendu quand nous avons fait le choix des groupements agricoles d’exploitation en commun, ou GAEC !

Monsieur Gremillet, nous nous accordons pour dire qu’il sera nécessaire, demain, de réaliser des investissements et d’avoir des exploitations agricoles fortement capitalisées. Mais comment fait-on pour renouveler ce capital s’il est tellement important que plus personne n’a les moyens d’investir, en particulier les jeunes agriculteurs ? La seule voie pour réussir à garder des agriculteurs tout en ayant des tailles d’exploitations économiquement viables à l’échelle de l’Europe et du monde, c’est de mettre en place des organisations collectives permettant de séparer la part du capital revenant à chacun tout en lui assurant un renouvellement régulier, avec l’installation de jeunes agriculteurs.

C’est exactement le sens de la ligne que j’ai choisie, au niveau européen comme dans la loi d’avenir. C’est en effet le cœur du sujet, mais ne dites pas que je n’y ai pas pensé avant. Au contraire, nous en avons débattu et c’est en train de voir le jour.

Je ne suis pas satisfait pour autant, car la crise, une crise de marché, est bien là. Elle a d’ailleurs été très bien décrite, en particulier pour le lait, avec un marché chinois qui n’a pas été à la hauteur des anticipations faites par les acteurs économiques.

Je voudrais également répondre à M. Bailly sur la question des aides versées en Espagne. Les éleveurs espagnols ont demandé que la ministre espagnole prenne les mêmes mesures que celles que nous avons prises en France, réclamant des avancées sur la revalorisation des prix et la négociation. Vous parlez de 300 euros par exploitation, pour des exploitations de 10 à 25 vaches en Galice. Faites le calcul ! Nous donnons bien plus, et heureusement, en soutien au plan d’élevage. Je n’ai jamais dit que baisser les charges posait un problème, et je n’ai jamais prétendu qu’il était impossible de verser des aides. Elles sont absolument nécessaires, et nous allons les verser. Pourquoi avons-nous toujours l’impression, en France, de ne pas mieux faire qu’ailleurs ? En l’occurrence, nous faisons mieux qu’ailleurs, et j’en veux pour preuve que nous avons été amplement copiés. Beaucoup de pays, dont l’Allemagne, sont d’ailleurs venus me voir pour me demander comment fonctionnait le système de la médiation. Je leur ai répondu que l’on en discuterait si l’on se mettait d’accord sur l’augmentation du prix d’intervention. Finalement, nous n’avons discuté ni du prix d’intervention ni de la médiation, mais cela viendra sans doute le jour où l’on aura surmonté cette crise.

Sur la question des normes, seul M. Dubois a été précis, lorsqu’il a évoqué notamment celles qui sont relatives aux installations classées pour la protection de l’environnement, les ICPE, sur les veaux de boucherie et les vaches laitières. Nous avons vérifié : ces normes ont été adoptées en 2011, à la satisfaction d’ailleurs de la FNSEA s’agissant des vaches laitières. Nous appliquons donc des règles que vous avez vous-mêmes fixées, mesdames, messieurs les sénateurs de la majorité. (M. Yannick Botrel opine. – M. Jean-Yves Roux sourit.)

M. Claude Bérit-Débat. Il est important de le rappeler !

M. Stéphane Le Foll, ministre. De notre côté, nous avons fait en sorte d’assouplir les procédures d’enregistrement relatives aux IPCE sur le porc, et nous allons également le faire, comme je l’ai annoncé mais vous n’avez pas écouté, pour la volaille, puis nous poursuivons pour les vaches laitières, revenant ainsi sur ce que vous aviez décidé – je reconnais toutefois que les normes arrêtées en 2011 représentaient déjà une amélioration par rapport à la situation antérieure. Nous progressons donc, mais il est faux de prétendre que l’on aurait « surtransposé » depuis 2012.

La fièvre catarrhale ovine, ou FCO, vient ajouter une difficulté sanitaire au tableau. Pour les sérotypes auxquels nous sommes confrontés, les vaccins n’existaient presque plus. Nous en avons commandé plus de 3 millions et nous pouvons aujourd’hui vacciner quelque 900 000 bêtes – nous en exportons 600 000 à 700 000.

Ce n’est pas un problème de réactivité. Lorsque nous avons pris connaissance des cas, nous sommes, dès la semaine suivante, partis à la recherche des doses. Nous avons déjà passé un contrat afin de pouvoir les produire. En effet, pour ce genre de virus, chaque vaccin doit être produit, puisque personne ne réalise de stocks dans l’attente d’un éventuel problème. La relance des contrats de production prend du temps, et je n’ignore pas que c’est autant de temps perdu pour les éleveurs.

De plus, quand on a découvert ces cas de FCO, nous avons été obligés de renégocier les contrats sanitaires avec les pays qui importaient les animaux vivants. Cela se passe bien avec l’Espagne, mais l’accord est plus difficile à trouver avec l’Italie. Nous avons également rencontré l’ambassadeur de Turquie en France afin d’engager des négociations. Nos acheteurs doivent avoir confiance en nos productions et c’est pourquoi j’ai toujours recherché la transparence, sans nier les difficultés.

Pour le ministre qui accueillait, aux quatre jours du Mans, le concours national charolais, apprendre la veille qu’il y avait un cas de FCO, ce n’était pas agréable, croyez-moi ! Et j’ai vu la détresse dans les yeux des éleveurs, comme s’ils se disaient : « Décidément, cela ne va jamais s’arrêter ! » Pourtant, face à une difficulté de cet ordre, il faut apporter des réponses avec célérité et transparence. En effet, pour pouvoir continuer à exporter, les acheteurs doivent avoir confiance : il ne faut donc rien leur cacher et essayer de trouver des solutions.

Nous avons aussi engagé des discussions avec l’Europe pour obtenir que la réglementation sur la FCO, et d’autres maladies du même ordre, soit légèrement assouplie. La maladie est peu contagieuse et, même si l’on observe une mortalité, en particulier chez les ovins, la maladie n’a aucune conséquence sur la qualité de la viande pour le consommateur.

Je poursuivrai donc mes efforts pour tenter de dégager quelques marges supplémentaires à l’échelle européenne. Et, justement parce que nous avons joué la transparence, l’Europe est prête à discuter.

Sur le fond, on constate que le débat est souvent posé de la même manière : je ne reviendrai pas sur le problème de la compétitivité, mais je n’ai pas peur d’aborder cette question.

La semaine prochaine, nous présenterons le plan « Innovation 2025 ». Dans la foulée, nous organiserons un grand colloque sur l’innovation technique, scientifique, agro-écologique, génétique, économique, mais aussi dans le domaine du machinisme agricole. Nous avons besoin d’une stratégie globale, en effet. Nous rassemblerons les conclusions en neuf grands points, seize ou dix-sept grands objectifs et donnerons à lire ces pistes pour l’avenir de l’agriculture à l’ensemble des agriculteurs.

Malgré la crise, malgré le doute qui peut s’installer, malgré les difficultés, la responsabilité du politique est de se projeter, pour essayer de donner un sens et un avenir à l’agriculture. Ce que je souhaite le plus ardemment, dans ce moment difficile, c’est que l’on puisse, comme l’a dit Didier Guillaume, trouver les voies et moyens de redresser la barre et d’offrir un avenir à notre agriculture. Elle est la première d’Europe et elle doit le rester ! C’est une fierté, ainsi qu’un enjeu économique, social et territorial, qui mérite que l’on se mobilise. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain. – MM. Michel Le Scouarnec et Joël Labbé applaudissent également.)

M. le président. Nous en avons terminé avec le débat sur la situation et l’avenir de l’agriculture.

Nous allons maintenant interrompre nos travaux ; nous les reprendrons à vingt et une heures quarante-cinq.

(La séance, suspendue à vingt heures quinze, est reprise à vingt et une heures cinquante, sous la présidence de Mme Jacqueline Gourault.)

PRÉSIDENCE DE Mme Jacqueline Gourault

vice-présidente

Mme la présidente. La séance est reprise.

7

Mise au point au sujet d’un vote

Mme la présidente. La parole est à Mme Esther Benbassa.

Mme Esther Benbassa. Madame la présidente, lors du scrutin n° 3 sur l’ensemble du projet de loi relatif à la santé, j’ai été inscrite comme ayant voté pour, alors que je souhaitais m’abstenir.

Mme la présidente. Acte est donné de votre mise au point, ma chère collègue. Elle sera publiée au Journal officiel et figurera dans l’analyse politique du scrutin.

8

Rappel au règlement

Mme la présidente. La parole est à Mme Esther Benbassa, pour un rappel au règlement.

Mme Esther Benbassa. Monsieur le ministre, le 16 septembre au soir, lors du débat en séance sur la question des réfugiés, après que j’avais évoqué le retard pris par l’exécutif pour faire face à cette crise humanitaire majeure, à court d’arguments, vous n’avez trouvé rien de mieux que de chercher à m’humilier publiquement.

Vous m’avez réduite à une marionnette télévisuelle, courant frénétiquement les plateaux, y débitant des inexactitudes, voire des mensonges, histoire de faire avancer mon petit plan de communication personnel. Vous m’avez reproché de théoriser dans la presse, à longueur de colonnes, sur ce « Waterloo moral » qui vous gêne tant, oubliant que la formule est de Cécile Duflot, et pas de moi.

Ce n’est pas tout. Avec une grossièreté que je ne vous connaissais pas, vous avez achevé par ces mots : « Du reste, je pense même que, le soir, certains qui ne passent pas à la télévision après avoir fait de telles déclarations parlent aux caméras de surveillance de leur parking pour être sûrs de figurer sur un écran. »

Dois-je vous rappeler les propos tenus récemment par le directeur des études politiques du parti socialiste, l’historien Alain Bergougnioux ? Il déclarait : « Les problèmes qui se posaient en Méditerranée étaient suffisamment graves pour agiter les consciences. On aurait peut-être dû être plus actifs. » Comptez-vous, monsieur le ministre, le ridiculiser lui aussi ? J’en doute.

Avec une petite sénatrice écologiste, on pourrait donc tout se permettre. Je ne suis pas prête, voyez-vous, à renoncer à mon droit de critique. Et j’ai, comme chaque personne assise sur ces travées, le respect de mon métier de parlementaire. J’aurais seulement aimé qu’un éminent représentant de notre exécutif l’ait aussi, ce respect. C’est le seul moyen d’assurer un débat nécessaire à la démocratie elle-même.

Monsieur le ministre, vous avez, ce 16 septembre, proféré des paroles peu dignes de votre fonction et peu respectueuses de notre Haute Assemblée. Je pense humblement que cela justifie des excuses.

Mme la présidente. La parole est à M. le ministre.

M. Bernard Cazeneuve, ministre de l’intérieur. Madame la sénatrice, pendant des semaines, à ce banc, sur la question de l’immigration et sur d’autres, j’ai dû subir silencieusement des propos constamment réitérés qui étaient autant de contre-vérités. J’ai éprouvé, à un moment donné, le besoin de rétablir, après des semaines et des mois d’écoute de ces propos, une certaine forme de vérité.

Quand on est en politique, on peut en permanence mettre en cause l’action d’un gouvernement. Mais, puisque si souvent vous aviez proféré ces attaques avec des arguments que j’estimais ne pas être justes, j’ai considéré à un moment donné qu’il était de mon droit de vous répondre. Et si, quand on profère des attaques réitérées, un ministre à un moment donné éprouve le besoin de rétablir la vérité, c’est une insulte, alors il n’y a plus de place pour le débat démocratique.

Aussi longtemps que j’entendrai dans cet hémicycle des contre-vérités qui mettent gravement en cause et l’honneur et l’action du Gouvernement, j’estimerai qu’il est non seulement de mon droit, mais aussi de mon devoir d’y répondre.

Mme la présidente. Madame Benbassa, acte vous est donné de votre rappel au règlement.

9

 
Dossier législatif : projet de loi relatif au droit des étrangers en France
Discussion générale (suite)

Droit des étrangers en France

Discussion en procédure accélérée d’un projet de loi dans le texte de la commission

Mme la présidente. L’ordre du jour appelle la discussion du projet de loi, adopté par l’Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, relatif au droit des étrangers en France (projet n° 655 [2014–2015], texte de la commission n° 717 [2014–2015], rapport n° 716 [2014–2015], avis n° 2).

Dans la discussion générale, la parole est à M. le ministre.

Discussion générale (début)
Dossier législatif : projet de loi relatif au droit des étrangers en France
Question préalable

M. Bernard Cazeneuve, ministre de l'intérieur. Madame la présidente, mesdames, messieurs les sénateurs, nous débattons ce soir d’un sujet qui a fait l’objet d’une discussion approfondie en commission des lois il y a quelques jours et qui vient consécutivement à un autre texte adopté par le Parlement, dont nous avons débattu en juillet dernier et qui était relatif à l’asile.

Le texte que nous examinons ce soir est relatif au droit des étrangers en France. Il s’agit, après que nous avons pris de nouvelles dispositions sur l’asile à propos desquelles je reviendrai dans quelques instants, de mettre en œuvre un ensemble de dispositions qui reposent sur trois principes simples : mieux accueillir ceux que nous avons vocation à accueillir en France et aussi mieux intégrer ces personnes ; accueillir davantage de talents, notamment dans nos universités et nos centres de recherche ; enfin, lutter résolument contre l’immigration irrégulière, car tout ce que nous faisons en matière d’amélioration de l’accueil et d’attractivité des talents n’est pas soutenable si nous ne procédons pas à la reconduite à la frontière de tous ceux qui n’ont pas vocation à rester sur le territoire national parce qu’ils relèvent de l’immigration économique irrégulière.

Avant d’aborder le contenu du texte et de faire quelques remarques sur les modifications qui y ont été apportées à l’occasion des débats en commission des lois, je voudrais profiter de notre échange de ce soir pour revenir sur un certain nombre de propos, d’excès, d’outrances, d’amalgames, qui circulent sur la question migratoire en France et qui contribuent à convoquer davantage les instincts que la raison,…

M. Michel Mercier. C’est vrai !

M. Bernard Cazeneuve, ministre. … sur un sujet qui mériterait qu’on convoque davantage la raison que les instincts. Ils consistent d’ailleurs à susciter des peurs qui ne se justifient pas, compte tenu de ce que sont les flux migratoires auxquels notre pays est confronté, et donnent parfois de l’action des pouvoirs publics, sur ces sujets compliqués qui appelleraient qu’on prenne le temps de l’analyse plutôt que de convoquer des idées simplificatrices, une image fausse.

Le premier point sur lequel je voudrais dire quelques mots, c’est sur la réalité des flux migratoires dans notre pays.

Est-ce que nous assistons, compte tenu de la crise migratoire à laquelle l’Union européenne est confrontée, à une augmentation sensible de la demande d’asile en France et à un déferlement sur le territoire français, y compris de ceux qui auraient vocation à y être accueillis et qui relèvent du statut de réfugié en France et en Europe ?

Lorsque je regarde l’évolution de la demande d’asile en 2014, je constate qu’elle a baissé de près de 2,34 %. Lorsque je regarde l’évolution de la demande d’asile depuis le début de l’année 2015, alors qu’il y a une pression très forte qui s’exerce sur un certain nombre de pays de l’Union européenne – je renvoie notamment à la situation en Allemagne et en Autriche –, je constate qu’il n’y a pas d’augmentation de la demande d’asile en France.

La raison ne tient pas à ce que la France n’est pas disposée à accueillir ceux qui pourraient bénéficier du statut de réfugié sur son sol. Elle tient tout simplement au fait que, pour des raisons liées à la géographie, parfois à la démographie et à l’économie, les flux conduisent les migrants qui arrivent sur le territoire de l’Union européenne après avoir franchi ses frontières extérieures soit en Grèce, soit en Italie, à se diriger vers l’Allemagne ou vers la Grande-Bretagne. Les réseaux de passeurs, qui sont de véritables réseaux de traite des êtres humains, incitent ces migrants à aller vers ces pays, non sans avoir préalablement prélevé sur eux, notamment sur les plus vulnérables d’entre eux, des sommes absolument considérables. Ces sommes considérables ne les conduisent pas nécessairement vers la Grande-Bretagne ou vers l’Allemagne, mais parfois aussi vers la mort, comme en témoignent les milliers de personnes qui ont perdu la vie en Méditerranée centrale ou orientale depuis le début de l’année 2015. En 2014, ils étaient 3 000 à avoir ainsi perdu la vie.

Est-ce que l’immigration légale, c’est-à-dire des migrants auxquels des titres de séjour sont octroyés chaque année, explose ?

Ce n’est pas le cas. Lorsque l’on regarde ce qu’est l’immigration en France, on se rend compte que depuis des années, voire des décennies, le nombre de ceux qui bénéficient de titres de séjour n’excède pas en moyenne 200 000. Ils se répartissent de la manière suivante : 45 % d’entre eux, soit 90 000, relèvent de la politique familiale, dont 20 000 procèdent du regroupement familial. Ces 20 000 personnes représentent seulement 10 % du nombre de ceux que nous accueillons et auxquels est attribué un titre de séjour. Donc, penser que le cantonnement du regroupement familial, qui, je le répète, représente 10 % de ceux auxquels on attribue un titre de séjour, est la solution pour procéder à la maîtrise des flux migratoires est, compte tenu des proportions que je viens d’indiquer, tout simplement illusoire.

Sur les 200 000 titres de séjour délivrés chaque année, 65 000 le sont à des étudiants. Nous avons souhaité que ceux-ci puissent être accueillis dans nos universités et centres de recherche en procédant à une modification de la circulaire Guéant de 2011, qui avait considérablement contingenté le nombre d’étudiants étrangers accueillis dans nos universités. En même temps, cette circulaire avait envoyé un signal quant à l’image que la France entendait donner d’elle-même dans le monde, qui n’était conforme ni aux intérêts économiques de notre pays ni à son image historique.

Par conséquent, nous accueillons dans nos universités 65 000 étudiants étrangers, ingénieurs, chercheurs ou sociologues. Pour avoir rencontré ces étudiants, avec la ministre de l’éducation nationale et le secrétaire d’État chargé de l’enseignement supérieur et de la recherche, j’ai pu constater qu’ils reconnaissaient la qualité de l’accueil qui leur est réservé. Ils sont une chance pour notre système éducatif et pour notre économie (M. Stéphane Ravier s’exclame.), parce que tous les pays accueillant des étudiants étrangers qui créent ensuite des entreprises et développent des capacités d’innovation sont parmi les plus dynamiques et connaissent des taux de croissance parmi les plus importants.

Enfin, parmi les 200 000 titres que nous attribuons, 20 000 personnes bénéficient d’un titre de séjour pour des raisons de santé.

Le nombre des titres de séjour délivrés reste assez constant : on ne constate donc pas d’explosion de l’immigration légale en France, qui représente 0,3 % de la population totale. Quant aux étrangers présents en France, ils représentent 6 % de la population totale : ce chiffre est exactement le même que celui qui était observé au début du XXe siècle et il est nettement inférieur au pourcentage de présence d’étrangers enregistré dans les autres pays de l’Union européenne.

Je souhaitais rappeler cette réalité statistique incontestable, car ces chiffres ne sont pas produits par un service du ministère de l’intérieur : ils sont élaborés par l’INSEE et communiqués annuellement en toute transparence. Ils infirment donc l’idée d’une vague de migrants arrivant sur le territoire français, contrairement à ce que certaines images convoquées, certains discours tenus ou certaines peurs suscitées pourraient laisser penser.

Ensuite, je tiens à insister sur le fait que la politique de la France s’est considérablement affermie à l’égard des migrants économiques en situation irrégulière qui ont décidé de s’installer sur notre territoire en pensant qu’ils pourraient y bénéficier d’une totale impunité et que rien ne leur imposerait de retourner dans leur pays en application du droit.

Je veux vous indiquer des chiffres extrêmement précis. En effet, si je ne conteste pas les chiffres figurant dans le rapport de votre commission, leur présentation me paraît biaisée et ne me semble pas de nature à rendre compte de la réalité.

M. Roger Karoutchi. Allons donc !

M. Bernard Cazeneuve, ministre. Votre rapporteur englobe dans un même ensemble statistique les personnes ayant fait l’objet d’une reconduite forcée à la frontière extérieure de l’Union européenne – les véritables reconduites forcées – et celles – pour l’essentiel des Roumains et des Bulgares – qui ont bénéficié d’une prime de mille euros pour retourner dans leur pays d’origine, dans le cadre d’une politique fortement dispendieuse de l’argent public et dépourvue d’efficacité, puisque les intéressés revenaient sur le territoire national pour bénéficier une deuxième fois de la prime. Dans ce dernier cas, il ne s’agissait plus d’une politique de reconduite à la frontière, mais d’une dépense inutile et assez peu sérieuse de l’argent public. Nous avons supprimé cette prime, parce que nous considérons que les véritables reconduites à la frontière sont les reconduites forcées hors de l’Union européenne, qui exigent un véritable accompagnement de la part de l’administration.

Enfin, les statistiques présentées par votre rapporteur comportent une troisième catégorie de reconduites à la frontière, vraisemblablement les plus intéressantes à étudier, parce qu’elles correspondent le moins à de véritables reconduites : il s’agit de ce que l’on appelle les OQTF « flash ». Des migrants irréguliers qui décidaient de repartir d’eux-mêmes dans leur pays d’origine se voyaient remettre une obligation de quitter le territoire français, ou OQTF, au moment de leur départ, ce qui permettait d’augmenter très significativement le volume des statistiques des reconduites à la frontière.

Ces chiffres ne correspondent donc absolument pas à la réalité de la politique d’un gouvernement qui a la volonté de lutter effectivement contre l’immigration irrégulière et de procéder à la reconduite forcée de ceux qui doivent l’être. De façon extrêmement précise, les reconduites forcées s’élevaient à 13 000 en 2009, il y a eu un point bas à 11 000 en 2011 et, à la fin de l’année 2015, ce nombre s’élèvera à 17 000. Nous avons donc augmenté en quelques années de près de 13 % le nombre des reconduites forcées à la frontière qui correspondent à des vraies reconduites.

Ces chiffres sont ceux de l’INSEE, ils ne sont pas contestables (M. Roger Karoutchi s’exclame.) et témoignent du caractère curieusement agrégé des chiffres qui, pour des raisons de communication politique que je comprends bien, figurent dans le rapport. Je demande donc que l’on sorte des statistiques les fausses reconduites et les OQTF « flash » et que l’on me dise ensuite si les chiffres que je viens d’indiquer sont vrais ou faux.

À cette remarque, M. le rapporteur me répond que nous donnons les mêmes chiffres, mais que nous ne les regardons pas du même point de vue. Il a raison : les chiffres qu’ils donnent existent bien, ils correspondent à la réalité que je viens de décrire, mais cette réalité ne correspond pas à ce que sont les véritables reconduites à la frontière.

La lutte contre l’immigration irrégulière se mesure également à l’aune du démantèlement des filières auquel nous procédons : ce chiffre a un certain sens et prouve la cohérence d’une politique. En 2014, le nombre de filières démantelées était supérieur de 25 % à celui de 2013. En 2015, ce nombre sera supérieur de 25 % à celui de 2014. En chiffres bruts, depuis le début de l’année 2015, nous avons démantelé 190 filières correspondant à 3 300 personnes interpellées, arrêtées ou reconduites à la frontière. Dans le même temps, l’Allemagne qui dit être confrontée à un flux de migrants de 800 000 personnes à 1,2 million de personnes a démantelé des filières correspondant à un effectif de 1 800 personnes, c’est-à-dire la moitié de l’effort que nous avons fait nous-mêmes.

On peut donc continuer à aller de tribune en tribune, de micro en micro, d’émission en émission, pour dire que les reconduites à la frontière ont baissé et que l’effort de lutte contre l’immigration irrégulière n’est pas à la hauteur de l’enjeu. On peut le dire, mais cela ne correspond pas à la réalité. Je voulais donc profiter du débat qui nous rassemble pour rappeler la réalité des chiffres et de l’action du Gouvernement.

Nous sommes d’autant plus en situation de procéder à ces reconduites et de mener une politique de fermeté que nous avons recréé des postes dans les services chargés de cette politique. Je veux rappeler, parce que c’est une réalité assez difficilement contestable, que 13 000 postes ont été supprimés dans les services de police et de gendarmerie entre 2007 et 2012. De ce fait, 15 unités de forces mobiles ont été dissoutes, qui font aujourd’hui cruellement défaut. C’est la raison pour laquelle le Premier ministre a annoncé, à l’occasion du débat sur les migrations qui a eu lieu il y a plus de quinze jours dans cet hémicycle, la création de 900 postes pour reconstituer une partie de ces unités.

Par conséquent, si l’on devait mesurer l’action d’un gouvernement à l’aune des postes créés, des reconduites effectuées et des résultats obtenus dans la lutte contre l’immigration irrégulière, on pourrait difficilement contester que ce gouvernement a consenti des efforts très significatifs pour rééquilibrer notre politique migratoire. Voilà pour les faits et les chiffres.

Je voudrais maintenant insister sur les actes que nous avons déjà posés et les décisions que nous avons déjà prises. Je voudrais rappeler à l’ensemble des sénateurs – je n’ai pas besoin de le rappeler au rapporteur, puisqu’il a été l’excellent rapporteur de la loi sur l’asile et qu’il connaît parfaitement le sujet – que, au cours des dernières années précédant la mise en chantier de cette loi, le nombre des demandes d’asile en France avait considérablement augmenté. Les moyens consacrés à la politique de l’asile avaient, au mieux, été maintenus et même parfois diminués. Pendant le quinquennat précédent, alors que les demandes d’asile avaient plus que doublé, les effectifs de l’Office français de protection des réfugiés et apatrides, l’OFPRA, n’avaient augmenté que de 40 emplois. Pendant la même période, le nombre de places en centres d’accueil pour demandeurs d’asile, les CADA, était de 2 500. À la fin du quinquennat en cours, nous aurons créé 18 500 places en CADA et près de 250 postes au sein de l’OFPRA.

Je ne vois pas comment nous pourrions « déstocker » les dossiers de demande d’asile et ramener leur durée de traitement de 24 mois à 9 mois, si nous ne faisions pas cet effort au sein de l’OFPRA, de l’Office français de l’immigration et de l’intégration, l’OFII, et au sein des préfectures. Je ne vois pas non plus, si nous ne créions pas ces places en CADA, comment la France pourrait être au niveau des meilleurs standards de l’Union européenne en remplissant son devoir pour être en conformité avec l’esprit de la directive européenne. On ne peut pas être la France, avoir une tradition d’accueil des réfugiés, et considérer que le système antérieur était digne au point qu’il fallait continuer de ne rien faire !

Nous avons donc fait tous ces efforts et c’est la raison pour laquelle, madame Benbassa, il est faux de dire que nous avons attendu que le flux de réfugiés se présente pour réagir. Ce gouvernement a inscrit 18 500 places en CADA dans le budget : ce n’est pas rien ! (Mme Esther Benbassa proteste.) Ce gouvernement a décidé, à l’occasion du plan présenté en conseil des ministres au mois de juin dernier, de créer près de 11 000 places, en plus de celles créées en CADA, pour accueillir en urgence tous ceux qui ont vocation à être accueillis sur notre territoire : 5 000 places dans le logement de droit commun, 1 500 places en hébergement d’urgence, 4 000 places supplémentaires en ATSA – ou accueil temporaire service de l’asile. Toutes ces places ont été créées au cours des derniers exercices budgétaires, la loi a été discutée à l’Assemblée nationale et au Sénat à partir de l’hiver et a été adoptée au mois de juillet.

C’est pourquoi, lorsque j’entends dire que ce gouvernement aurait été passif sur ces questions et qu’il aurait attendu les photos les plus émouvantes et les flux migratoires les plus importants pour agir, je répète que ces appréciations ne correspondent absolument pas à la réalité de notre action. Le Gouvernement a rehaussé notre dispositif d’asile pour le mettre au niveau des meilleurs standards européens et c’est à son honneur…

M. Philippe Bas, président de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d’administration générale. Puisque vous le dites !

M. Philippe Kaltenbach. Nous en sommes fiers.

M. Bernard Cazeneuve, ministre. Nous avons donné des éléments précis sur la réalité des flux migratoires. Nous avons également donné des éléments précis sur nos actes dans le cadre de la politique d’asile. Maintenant, nous traitons du droit au séjour des étrangers…

M. Roger Karoutchi. Tout va bien !

M. Bernard Cazeneuve, ministre. Non, monsieur Karoutchi. Vous conviendrez avec moi que ce commentaire est un peu facile !

M. Bernard Cazeneuve, ministre. C’est précisément parce que la situation est extraordinairement compliquée que tous les pays européens s’y trouvent confrontés, que certains, qui pensent bien, se trouvent confrontés à des problèmes encore plus importants que les nôtres – je pense à l’Allemagne dont le gouvernement est en partie composé de chrétiens-démocrates…

M. Roger Karoutchi. Une coalition !

M. Bernard Cazeneuve, ministre. … et connaît bien des difficultés de politique migratoire. Or nous n’avons pas à traiter le même flux et, en même temps, nous avons remis à niveau notre politique d’asile, dans un contexte extraordinairement difficile et complexe, qui conduirait n’importe quel gouvernement à faire des efforts pour affronter cette situation difficile.

Pour ces raisons, j’émets le vœu que, lorsque nous abordons cette question, nous fassions abstraction de la politique politicienne et lui accordions un traitement plus rigoureux,…

M. Roland Courteau. Très bien !

M. Bernard Cazeneuve, ministre. … en convoquant les vrais chiffres et les vrais faits et en essayant de bâtir une politique qui tienne compte de la dimension humanitaire du drame auquel nous sommes confrontés. En effet, des enfants, des femmes, des familles meurent parce qu’ils sont persécutés dans leur pays ou parce qu’ils ont pris le chemin de l’exode : ils attendent des pays de l’Union européenne qu’ils se comportent conformément aux valeurs des pères fondateurs de l’Europe.

Je ne cherche pas à faire des commentaires à l’emporte-pièce sur de tels sujets : ils ne me font pas sourire, parce qu’ils sont graves et parce que j’en perçois la complexité. Alors que je sais la difficulté de la situation, j’essaie de mettre en œuvre des solutions qui, jusqu’à présent, n’ont pas été appliquées, de faire des efforts budgétaires qui, jusqu’à présent, n’ont pas été consentis et de faire adopter des dispositions législatives qui, jusqu’à présent, n’ont pas été discutées ni votées.

Le texte qui nous rassemble ce soir vise plusieurs objectifs.

Tout d’abord, mieux accueillir ceux qui doivent l’être et mieux les intégrer.

Mieux les accueillir, c’est la mise en place du titre pluriannuel de séjour. Chaque année, quelque 2,8 millions d’étrangers passent en préfecture, pour 5 millions de passages au total, car ces personnes, qui bénéficient ou ont vocation à bénéficier d’un titre de séjour, sont appelées à se rendre plusieurs fois dans les préfectures.

Ces procédures sont non seulement très dispendieuses de l’argent public, car elles mobilisent nombre d’équivalents temps plein dans les préfectures, mais elles obèrent aussi la capacité de ces étrangers à s’intégrer dans la République, le temps passé en formalités n’étant pas consacré à l’apprentissage de la langue française ou à l’intégration par le travail.

Par conséquent, nous avons décidé d’instituer ce titre pluriannuel de séjour, qui permettra aux étrangers en France depuis au moins un an de bénéficier d’un titre de trois ou quatre 4 ans plutôt que d’avoir à faire plusieurs démarches chaque année, ce qui devrait leur permettre de pouvoir s’intégrer dans les meilleures conditions dans la société française.

J’ai lu dans le communiqué de la commission des lois rendant compte de ses travaux qu’elle avait décidé de supprimer ce titre pluriannuel. Fort heureusement, elle ne l’a pas fait,…

M. Bernard Cazeneuve, ministre. … et ce titre pluriannuel demeure dans le chapitre II du titre Ier du projet de loi. C’est pourquoi j’ai été étonné d’apprendre qu’il avait été supprimé. Peut-être était-ce un désir, mais il n’a pas été à son terme… (M. Michel Mercier sourit.)

En tout cas, vous avez eu raison de le maintenir, car il s’agit d’une excellente mesure, qui permettra de procéder à une simplification utile.

M. Roland Courteau. Très bien !

M. Bernard Cazeneuve, ministre. Nous avons aussi décidé de rehausser le niveau d’apprentissage de la langue. François Fillon, en 2003, lorsqu’il était ministre des affaires sociales, avait mis en place le contrat d’intégration, qui, à partir d’un certain niveau de langue, permettait aux étrangers de s’intégrer en France dès lors qu’ils bénéficiaient d’un titre de séjour. Nous avons choisi de relever l’exigence en la matière.

Nous avons également décidé de rehausser le niveau du contrat d’intégration, par des allocations de moyens supplémentaires au profit de l’OFII et par un dispositif de suivi de l’étranger beaucoup plus fin que celui qui existait jusqu’à présent.

Ensuite, si nous souhaitons mieux accueillir, nous souhaitons aussi accueillir les talents. C’est la raison pour laquelle nous avons prévu la mise en place du « passeport talent », d’une durée de quatre ans, destiné aux chercheurs, intellectuels et artistes étrangers venant sur le territoire national. Nous avons aussi souhaité que les étudiants de niveau master ayant bénéficié de ce passeport voient leur accès à l’emploi facilité. En effet, il est plus utile pour la croissance de laisser des étudiants étrangers de très haut niveau créer des entreprises en France que de chercher à les faire partir au moment où ils peuvent capitaliser dans notre pays la formation dont ils ont bénéficié grâce à nos universités ou à nos centres de recherche.

Enfin, il convient de lutter contre l’immigration irrégulière. Sans revenir sur les chiffres de la lutte contre ce phénomène, je veux simplement rappeler trois dispositions du texte auxquelles nous tenons, car elles permettent d’être beaucoup plus efficaces en la matière.

La première mesure vise à obtenir une meilleure application de la directive Retour, qui n’est pas suffisamment appliquée en France. Nous en souhaitons une mise en œuvre systématique, c’est-à-dire que ceux qui ont été renvoyés vers leur pays d’origine ne doivent pas être en situation de pouvoir revenir en France pendant une durée pouvant aller jusqu’à trois ans. Ainsi, les administrations préfectorales ne seront pas contraintes de reproduire les formalités de reconduite à la frontière, lesquelles sont extraordinairement lourdes, chaque fois que l’étranger revient.

Je pense que l’application de cette directive, souhaitée par l’Union européenne, est une excellente manière de maîtriser les flux migratoires. Je le répète avec gravité devant vous : il n’y aura aucune soutenabilité de ce que nous voulons faire pour l’accueil des réfugiés si nous ne sommes pas capables de maîtriser les flux et de lutter de façon extrêmement efficace et volontariste contre les filières de l’immigration irrégulière et contre l’immigration irrégulière.

La deuxième mesure vise, conformément à l’esprit du rapport d’information élaboré au Sénat par M. Buffet et Mme Assassi, à substituer, autant que faire se peut, l’assignation à résidence à la rétention. En effet, l’assignation doit être précisée en droit ; les conditions d’intervention des forces de l’ordre au moment de la reconduite à la frontière dans les lieux d’assignation à résidence doivent être précisées si l’on veut être efficace dans les reconduites à la frontière ; l’assignation à résidence est une manière beaucoup plus digne d’accompagner les familles qui doivent être reconduites vers la reconduite, par un dispositif d’accompagnement beaucoup plus individualisé et beaucoup plus efficace ; enfin, l’assignation à résidence permet aussi d’éviter, notamment pour les enfants, des conditions de rétention dont nous n’avons que trop dit qu’elles étaient, à nos yeux, inhumaines. Il s’agit d’un dispositif fort, à la fois sur le plan humanitaire et en termes d’efficacité pour les reconduites, et je souhaite, bien entendu, que le Sénat puisse le faire sien.

La troisième mesure est une clarification, dans le texte issu de l’Assemblée nationale, des compétences respectives du juge administratif et du juge judiciaire en matière de rétention et de reconduite à la frontière.

Dans le dispositif de 2011, ces deux autorités avaient une compétence commune sur des matières communes, l’un, à savoir le juge judiciaire, étant le juge de la proportionnalité de la rétention, l’autre étant le juge de la légalité de la rétention.

Nous avons décidé de clarifier les compétences, le juge judiciaire demeurant seul compétent sur la rétention, le juge administratif traitant seul de l’éloignement. Nous pensons que cette clarification était utile.

L’Assemblée nationale avait rétabli la possibilité pour le juge judiciaire d’intervenir dans les quarante-huit heures après que la rétention avait débuté. À l’issue de ce délai, nous avions souhaité que la rétention puisse se prolonger vingt-huit jours dans un premier temps, puis quinze jours, ce qui n’augmentait pas la durée totale, mais permettait, pour les éloignements les plus compliqués, au juge et à l’administration d’avoir les moyens de la reconduite dans de bonnes conditions.

Je ne peux que regretter que la commission des lois du Sénat soit revenue sur cette avancée importante, en recréant de la confusion dans les compétences et en revenant sur la durée de quarante-huit heures. En effet, c’est moins de nature à reconnaître les droits de la personne éloignée, qui peut difficilement concevoir que l’éloignement intervienne avant que le juge ne soit lui-même intervenu. De plus, les capacités d’éloignement s’en ressentiront, cette confusion entre les compétences des juges ayant donné des résultats assez peu efficaces au cours des dernières années. La clarification à laquelle nous avons procédé nous paraissait utile de ce point de vue.

Je voudrais terminer par deux sujets.

Le premier sujet concerne la présence de la presse dans les lieux de rétention. Le Gouvernement a souhaité la plus grande transparence sur les conditions dans lesquelles la rétention s’opère. À cet égard, nous regrettons que la presse, qui s’était vu reconnaître la possibilité d’accéder aux centres par une loi d’avril 2015 sur les prérogatives et les droits de la presse, se voie privée de cette possibilité.

À nos yeux, la présence de la presse, dès lors que nous sommes à un haut niveau d’exigence quant aux conditions de rétention, était une garantie de transparence permettant incontestablement d’assurer sérénité et efficacité dans le fonctionnement de l’administration. Il n’y a aucune raison que la France ait honte de ce qu’elle fait et, par conséquent, il n’y a aucune raison que la France dissimule ce qu’elle met en œuvre. Je ne vois aucune raison d’être dans cette opacité, qui remet en cause les droits de la presse et met en œuvre sur les centres de rétention des dispositions qui sont par trop restrictives.

Enfin, second sujet, j’évoquerai les étrangers malades.

C’est l’honneur de notre pays d’apporter protection à ceux qui ne peuvent pas être soignés chez eux, et pour être soigné chez soi, il ne suffit pas qu’un traitement existe, encore faut-il que le traitement soit accessible. (M. Stéphane Ravier s’exclame.) Monsieur Ravier, je comprends que ce n’est pas l’une de vos préoccupations premières,…

M. Stéphane Ravier. Effectivement !

M. Bernard Cazeneuve, ministre. … mais il y va de l’honneur de ce gouvernement d’être dans la préoccupation de voir tous ceux qui doivent bénéficier de protection soignés demain, et ce dans des conditions d’équité et dans des conditions qui garantissent le libre accès aux soins de tous ceux qui ont besoin d’être soignés. (M. Stéphane Ravier proteste.)

Mme Éliane Assassi. Monsieur Ravier, vous parlerez à votre tour !

Mme Natacha Bouchart. Il faut soigner ces gens !

M. Bernard Cazeneuve, ministre. C’est la raison pour laquelle le Gouvernement, sur la base d’un rapport conjoint de l’Inspection générale des affaires sociales et de l’Inspection générale de l’administration, a proposé que soit rétablie l’égalité d’accès aux soins grâce à un dispositif uniforme piloté par l’OFII, dont c’est une compétence déjà éprouvée.

Je comprends les craintes, relayées notamment en commission des lois par Éliane Assassi, qui s’est demandée si le fait que les médecins qui procéderont à ces soins soient plutôt dans l’orbite du ministère de l’intérieur ne les conduira pas à soigner moins bien. Madame la sénatrice, ils sont tous soumis au même serment et aux mêmes règles déontologiques, et soyez assurée que le ministère de l’intérieur a aussi une préoccupation d’humanité, qui nous mobilise sur de nombreux théâtres où sont des migrants en situation de vulnérabilité. Je souhaite vous convaincre de la sincérité de notre démarche.

En tout état de cause, le Parlement, compte tenu de ses pouvoirs d’investigation et de contrôle, n’aura aucune difficulté à vérifier l’adéquation, ou l’inadéquation, qui pourra apparaître, à terme, entre les objectifs que j’assigne à cette mesure et les résultats effectivement obtenus.

Voilà, mesdames, messieurs les sénateurs, ce que je voulais dire. Je forme le vœu que, sur la question migratoire, le débat s’apaise, que l’on ne cherche pas à instrumentaliser ce sujet, douloureux pour des milliers d’hommes et de femmes, à des fins de politique intérieure, que l’on ne préempte pas ce sujet pour faire peur. Nous devons plutôt essayer de le traiter avec des dispositifs qui fonctionnent. Le souci opérationnel et humanitaire doit être la première de nos préoccupations.

J’essaierai de conduire ce débat avec cette seule et unique préoccupation : la rigueur dans les faits, la rigueur dans les chiffres, la rigueur dans les procédures, la rigueur dans la constitutionnalité et la conventionalité des mesures que nous proposons.

En effet, contrairement à ce qui s’est passé depuis près de trois décennies dans notre pays, la question migratoire, qui est suffisamment grave sur le plan humanitaire, ne devrait pas nous diviser. Elle devrait, comme les grands sujets de société et les grands sujets d’intérêt national, nous rassembler. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain. – MM. Jean-Claude Requier et Jacques Mézard applaudissent également.)

Mme la présidente. La parole est à M. le rapporteur.

M. François-Noël Buffet, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale. Madame le président, monsieur le ministre, monsieur le président de la commission, mes chers collègues, j’entame ce débat avec un handicap : je n’ai que dix minutes de temps de parole. Je ne pourrai donc pas répondre dans le détail à tout ce que vient de dire M. le ministre. Cependant, la discussion des articles me permettra de défendre pied à pied la position de la commission des lois devant la Haute Assemblée.

Rappelons quand même que notre commission a été appelée à se prononcer sur un texte, adopté au mois de juillet dernier par l’Assemblée nationale, après engagement de la procédure accélérée le 19 juin 2015, alors même qu’il a été préparé en 2013. Il devait être initialement confondu avec le projet de loi réformant le droit d’asile, mais il en a été séparé. Nous l’avons regretté, monsieur le ministre.

M. François-Noël Buffet, rapporteur. En effet, si nous étions d’accord pour partager les objectifs de simplification de la procédure d’étude des demandes d’asile pour en réduire les délais, nous voulions aussi absolument régler le problème des déboutés, qui alimentent les effectifs des étrangers en situation irrégulière, mais le Gouvernement, à l’époque, a refusé de nous suivre. (M. Roger Karoutchi opine.)

Je suis d’accord avec vous, monsieur le ministre, pour tenir un discours de vérité et de rigueur. J’en prends l’engagement à cette tribune.

Le texte, à ce stade, essaie d’améliorer un peu la situation, mais il ne résoudra pas tous les problèmes, car il se contente de quelques réformes à la marge sur le nombre de titres de séjour. Cependant, il ne va pas au bout du problème majeur qu’est le traitement de l’immigration irrégulière, et donc de l’éloignement des étrangers se trouvant dans cette situation.

Peut-être faut-il rappeler que le droit des étrangers a fait l’objet d’une trentaine de réformes législatives depuis les années quatre-vingt, soit quasiment un texte par an.

Aussi, la démarche que je vous propose est d’abord de simplifier le texte issu de l’Assemblée nationale, de le rendre plus efficace s’agissant des dispositifs proposés et de maintenir les équilibres que nous avions trouvés dans le texte de 2011 relatif à l’immigration, à l’intégration et à la nationalité.

Puisque nous évoquons les statistiques, monsieur le ministre, je leur préfère – je le dis sincèrement – la réalité des chiffres produits par nos services, et singulièrement par les services de la police aux frontières.

Nous le savons, cette affaire d’immigration comporte, en réalité, trois grands blocs : d’abord, le bloc de l’asile, qui doit être traité efficacement afin de protéger au plus vite ceux qui le méritent ; ensuite, le bloc des réseaux mafieux, qui alimentent cette procédure d’asile et que nous devons combattre ; enfin, les déboutés du droit d’asile, que nous devons éloigner rapidement.

Sur l’immigration régulière, nous partageons les chiffres, monsieur le ministre : nous constatons vous et moi que, en 2014, sur 210 000 titres, 92 257, soit 43 %, ont été délivrés pour un motif familial.

Monsieur le ministre, puisque vous avez mentionné le regroupement familial, permettez-moi de rappeler la réalité des chiffres : ils s’élèvent à 16 280 et le pourcentage est très précisément de 17,65 %.

Les documents produits au sein du rapport de la commission des lois puisent leur source, s’agissant des présents chiffres, dans la réponse ministérielle au questionnaire budgétaire « immigration » pour l’année 2013. Nous ne les avons pas inventés et vous les retrouverez dans l’ensemble des documents officiels !

Ce que je veux dire par là, c’est que l’immigration familiale représente la moitié de l’immigration régulière, tandis que l’immigration économique représente simplement 9 % des titres délivrés en 2014. (M. Philippe Kaltenbach s’exclame.)

Telle est la réalité de l’immigration régulière sur notre territoire, à laquelle il faut évidemment ajouter les 14 000 demandeurs d’asile qui ont obtenu le statut de réfugié en 2014.

Nous nous rejoignons sur les chiffres. Au demeurant, je ne conteste pas les vôtres. La seule nuance entre nous, c’est que vous livrez des statistiques alors que je cite les chiffres émanant de vos propres services.

M. Philippe Kaltenbach. Tirez-en les conclusions !

M. François-Noël Buffet, rapporteur. J’en viens à l’immigration irrégulière, à propos de laquelle une discussion sur l’éloignement est engagée, nous le savons tous.

Monsieur le ministre, je n’ai jamais dit à cette tribune – pas plus que n’importe où ailleurs ! – que le nombre d’éloignements avait diminué. J’ai simplement dit qu’il n’avait pas augmenté et qu’il était constant depuis plusieurs années. C’est la seule chose que j’ai dite !

Il faut savoir que le taux d’exécution de nos mesures d’éloignement est, en réalité, très faible. Il s’établit, en moyenne, à 15 % pour les ressortissants des pays tiers et à 50 % pour les pays de l’Union européenne.

Le tableau qui figure au rapport de la commission des lois prend sa source à la Direction centrale de la police aux frontières, la DCPAF, et à la Direction générale des étrangers en France, la DGEF. C’est un document tout à fait officiel, qui mentionne des chiffres eux-mêmes tout à fait officiels.

Ce qu’on y lit, ce n’est pas que vous avez fait moins bien que les autres. Simplement, on y lit que vous n’avez pas fait mieux (M. Bruno Retailleau s’exclame.) et que, depuis 2010 jusqu’à maintenant, le taux d’exécution des mesures d’éloignement prononcées est constant. En 2010, nous étions à 23,3 %, toutes mesures d’éloignement confondues ; en 2011, ce chiffre s’établissait à 24,4 % ; en 2012, il était de 29,5 % ; en 2013, il était de 23,4 % et en 2014, il était de 22,3 %.

Comment interpréter ce tableau ? Je pense, pour ma part, que l’on n’éloigne pas suffisamment. Car l’immigration irrégulière est, quant à elle, très importante. Nous savons qu’elle est de l’ordre de 400 000 à 450 000 personnes. Elle est évidemment assez difficile à chiffrer avec précision. Toutefois, force est de constater que, depuis 2010, le nombre d’éloignements n’évolue pas – en tout cas, le pourcentage est à peu près constant. C’est la raison pour laquelle je demanderai que l’on modifie le texte qui nous est proposé pour renforcer les mesures d’éloignement.

À peine ai-je terminé ces constats rapides que mon temps de parole est presque écoulé. Je ne pourrai donc pas répondre aux propos que vous avez développés il y a quelques instants à cette tribune, monsieur le ministre.

Je mentionnerai quand même que la commission a adopté 120 amendements. Elle a estimé nécessaire de prévoir la possibilité d’un débat annuel au Parlement sur les orientations pluriannuelles de la politique d’immigration et d’intégration afin de disposer de la meilleure information sur cette question.

Les conditions d’accès à la carte de séjour pluriannuelle ont été, en outre, restreintes, en excluant en particulier de son bénéfice les salariés titulaires d’un contrat à durée déterminée et les étrangers faisant l’objet d’une admission exceptionnelle au séjour. La commission a également renforcé les conditions dans lesquelles l’administration peut exercer un contrôle afin de vérifier que les bénéficiaires remplissent toujours les conditions pour en bénéficier. En outre, elle a précisé les circonstances dans lesquelles le titre peut être refusé ou retiré. Par ailleurs, les conditions relatives à la durée de présence régulière sur le territoire national pour pouvoir bénéficier du regroupement familial ont été étendues de dix-huit à vingt-quatre mois. Le titre pluriannuel cesse d’être un principe pour devenir une exception. Le principe, c’est le titre annuel.

De plus, le pouvoir d’appréciation du préfet pour délivrer les titres de séjour a été rétabli. La commission des lois n’a pas souhaité que des titres soient obtenus de plein droit, elle a voulu préserver en la matière le pouvoir d’appréciation du préfet.

Enfin, la commission a maintenu le critère actuellement applicable pour délivrer une carte de séjour à un étranger malade, fondé sur l’existence des soins nécessaires dans le pays, et non sur l’accès effectif à ceux-ci par l’étranger concerné.

Je me souviens du débat de 2011 et des propos qui ont été tenus. En tous les cas, je n’ai pas le sentiment d’être moins respectueux de la santé des étrangers malades en situation irrégulière. J’ai simplement souhaité – et nous avons souhaité – répondre à des circonstances en respectant les principes de droit de notre pays tout en prenant en compte la maladie des étrangers qui doivent être éloignés.

Soucieuse d’améliorer les mécanismes proposés dans le projet de loi pour renforcer l’effectivité des mesures d’éloignement, la commission des lois a précisé les dispositions relatives à l’assignation à résidence par l’harmonisation des sanctions pénales, mais aussi en demandant des garanties de représentation qui n’étaient pas prévues dans le texte d’origine, à savoir la validation du maire pour une attestation d’hébergement et la mise en place d’un cautionnement qui garantit la représentation.

Nous avons également modifié la réglementation sur les obligations de quitter le territoire français, OQTF, en abaissant le délai de départ volontaire de trente à sept jours et en allongeant la durée maximale des mesures d’interdiction de retour à cinq ans. Nous avons modifié la procédure d’obligation de quitter le territoire français pour les déboutés du droit d’asile afin de disposer d’une procédure efficace à l’endroit de ceux que l’on doit absolument éloigner après qu’ils ont été définitivement déboutés.

Il y a bien sûr d’autres procédures. Vous avez parlé de l’intervention du juge des libertés et de la détention à partir de quarante-huit heures. Nous souhaitons rester sur le dispositif de 2011, lequel prévoit l’intervention du juge au bout de cinq jours.

Mme la présidente. Il faut conclure, monsieur le rapporteur.

M. François-Noël Buffet, rapporteur. Nous avons spécialisé les fonctions des magistrats.

Nous avons rétabli le forfait de l’aide médicale d’État.

Je dirai, puisqu’il me faut conclure, que nous avons donné un peu de corps à ce texte, lui apportant quelque d’efficacité pour remplir des objectifs que je crois partagés : une immigration régulière parfaitement contenue, une immigration irrégulière parfaitement combattue, un éloignement plus efficace que ne le prévoyait le texte dans la rédaction qui nous est parvenue. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

Mme la présidente. La parole est à M. le rapporteur pour avis.

M. Guy-Dominique Kennel, rapporteur pour avis de la commission de la culture, de l’éducation et de la communication. Madame la présidente, monsieur le ministre, monsieur le président de la commission des lois, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, François-Noël Buffet ayant quelque peu dépassé les dix minutes qui lui étaient imparties, je serai bref. Il a été brillamment exhaustif et la commission des lois, sous l’égide de son président M. Philippe Bas, nous propose un texte équilibré, très largement amélioré par rapport au texte issu de l’Assemblée nationale. (M. Philippe Kaltenbach s’exclame.) Permettez-moi de les remercier l’un et l’autre pour le remarquable travail qu’ils ont accompli.

Je m’exprimerai rapidement au nom de la commission de la culture. Deux points ont tout particulièrement retenu notre attention. Il s’agit de sujets de préoccupation constante de notre commission, et tout particulièrement de sa présidente Mme Catherine Morin-Desailly : d’une part, l’apprentissage de la langue française par les étrangers venant en France ; d’autre part, l’attractivité de notre pays pour les étudiants et les talents.

L’apprentissage de la langue française est, aux yeux de notre commission, fondamental dans le parcours d’intégration des étrangers. Notre langue est le vecteur de notre histoire, de notre culture, de nos valeurs. Monsieur le ministre, être laxiste sur l’apprentissage du français pour les étrangers, ce n’est rendre service à personne ! On ne rend pas service aux étrangers eux-mêmes, car comment s’intégrer dans un pays dont on ne parle ni ne comprend la langue ? Comment même espérer y décrocher un emploi et y vivre dignement ?

Ce n’est pas rendre service non plus à la société française dans son ensemble, car la méconnaissance de la langue du pays d’accueil favorise le repli sur soi, le communautarisme et, bien souvent, contribue à faire régresser la condition des femmes !

Toutefois, les exigences posées aujourd’hui aux étrangers en matière de connaissance de la langue française sont dérisoires. Le niveau qu’il est demandé d’atteindre à l’issue du contrat – je dis bien à l’issue du contrat ! – est ridiculement bas : il s’agit d’un niveau dit A1.1, qui n’existe même pas dans le cadre européen commun de référence pour les langues dont le niveau le plus bas est le A1. La France est le seul pays européen dont l’objectif de maîtrise de sa langue par les migrants est aussi faible !

Apprendre le français lorsque l’on arrive en France, c’est un droit, certes, mais c’est aussi un devoir. Et si nous mettons les moyens pour permettre aux étrangers arrivant régulièrement sur notre territoire d’apprendre les bases du français, eux doivent aussi, en retour, prouver leur bonne volonté et passer, un à un, les niveaux de langue qui sont le gage de leur bonne intégration.

Le Gouvernement envisage, par voie réglementaire, de rehausser le niveau que l’étranger devra avoir atteint à l’issue – je dis bien à l’issue ! – de son contrat d’intégration : il devrait s’agir désormais du niveau A1 – le niveau « découverte » de la langue, le plus bas niveau. Quatre ans plus tard, pour obtenir la délivrance d’une première carte de résident, il devrait avoir atteint un niveau A2 – qui est un niveau de « conversation simple ».

Ces dispositions vont, certes, dans le bon sens, mais nous devons être beaucoup plus ambitieux encore ! Sans exiger pour autant l’agrégation de lettres – comme j’ai pu l’entendre dernièrement –, ne devrait-on pas exiger de l’étranger qu’il puisse mener une « conversation simple » pour accéder à une carte pluriannuelle de séjour ? Ne devrait-on pas exiger qu’il sache « exprimer ses idées » en français pour accéder à une carte de résident ?

Enfin, ne devrait-on pas exiger qu’il puisse être considéré comme un « interlocuteur indépendant » pour prétendre à une naturalisation ?

Ces exigences me semblent relever du simple bon sens, qui fait malheureusement défaut. Le parcours d’intégration d’un étranger en France doit être équilibré, dans ses droits, comme dans ses devoirs : il y va de sa bonne intégration dans notre pays.

Il me paraît indispensable que nous ayons tous à l’esprit l’adage suivant : « Quand on n’a pas les mots, on a la violence ».

Sur l’attractivité de la France, ensuite, à l’égard des étudiants étrangers, nous serons tous d’accord, je pense, pour soutenir cet objectif d’attractivité qui contribue au rayonnement économique, scientifique, culturel et même moral de notre pays. Les talents étrangers que nous accueillons en France seront ensuite nos meilleurs ambassadeurs à travers le monde.

Au-delà de la qualité de l’accueil que notre pays se doit de réserver aux étudiants étrangers, je veux plaider pour le développement d’une politique plus volontariste d’accueil des étudiants étrangers sur des filières d’avenir et des spécialités déficitaires. Car si la France est aujourd’hui le cinquième pays d’accueil en nombre d’étudiants étrangers, elle perd régulièrement du terrain – elle était troisième voilà encore quelques années – et les meilleurs étudiants mondiaux se détournent, hélas! de la destination France.

M. Philippe Kaltenbach. La faute de qui ?

M. Guy-Dominique Kennel, rapporteur pour avis. Cette nouvelle ambition, que j’appelle de mes vœux, passe par une exigence renforcée à l’égard des étudiants étrangers entrants, car qui dit « exigence » dit « qualité » et même « excellence », et c’est ce que nous devons viser pour notre pays : exigence au moment de l’admission – exigence sur le niveau académique des étudiants, diversification des zones géographiques de provenance, priorisation sur certaines filières et spécialisations –, mais aussi exigence au cours des études – contrôle du « caractère réel et sérieux » des études et attention portée au taux de réussite et d’échec des étudiants étrangers.

Monsieur le ministre, la question du « juste niveau » des droits d’inscription dans nos établissements d’enseignement supérieur restera toujours en suspens. À cet égard, la « stratégie nationale de l’enseignement supérieur » que le Gouvernement va prochainement présenter au Parlement me semble singulièrement timide : on y préconise l’accueil d’étudiants étrangers, mais sans aucune logique de filière ; on y préconise, surtout, de ne pas toucher aux frais d’inscription !

Où est l’ambition, monsieur le ministre ? Où est tout simplement la « politique » ? Où est la hauteur de vues, que vous préconisez sans cesse ? Ayez le courage de sortir d’une logique de « guichet » pour bâtir une véritable politique volontariste de recrutement d’étudiants talentueux qui stimuleront à leur tour nos propres étudiants et notre système d’enseignement supérieur : nous avons tous et toutes à y gagner ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et sur plusieurs travées de l'UDI-UC.)

Mme la présidente. Nous passons à la discussion de la motion tendant à opposer la question préalable.

Question préalable

Discussion générale (suite)
Dossier législatif : projet de loi relatif au droit des étrangers en France
Discussion générale (début)

Mme la présidente. Je suis saisie, par Mmes Assassi et Cukierman, M. Favier et les membres du groupe communiste républicain et citoyen, d'une motion n° 11.

Cette motion est ainsi rédigée :

En application de l’article 44, alinéa 3, du règlement, le Sénat décide qu’il n’y a pas lieu de poursuivre la délibération sur le projet de loi, adopté par l’Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, relatif au droit des étrangers en France (n° 717, 2014-2015).

Je rappelle que, en application de l’article 44, alinéa 8, du règlement du Sénat, ont seuls droit à la parole sur cette motion l’auteur de l’initiative ou son représentant, pour dix minutes, un orateur d’opinion contraire, pour dix minutes également, le président ou le rapporteur de la commission saisie au fond et le Gouvernement.

En outre, la parole peut être accordée pour explication de vote, pour une durée n’excédant pas deux minutes et demie, à un représentant de chaque groupe.

La parole est à Mme Éliane Assassi, pour la motion.

Mme Éliane Assassi. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, le groupe communiste républicain et citoyen a souhaité déposer cette motion tendant à opposer la question préalable afin que soit rejeté l’ensemble de ce projet de loi relatif au droit des étrangers, revu par la majorité de droite de la commission des lois et désormais intitulé : « projet de loi portant diverses dispositions relatives à la maîtrise de l’immigration ».

Il suffit d’écouter M. le rapporteur pour comprendre que cette nouvelle mouture aggrave la précarité de la situation des personnes en situation régulière et réoriente les dispositions sur la maîtrise de l’immigration irrégulière en renforçant les dispositifs de contrôle et en facilitant l’éloignement. Vous comprendrez bien que nous ne pouvons l’accepter.

Monsieur le ministre, dans la continuité des réformes passées sur le sujet, votre projet de loi maintien l’inversion de la logique de l’intégration, logique selon laquelle les personnes étrangères ont besoin de droits pour s’intégrer, et non de s’intégrer pour mériter des droits. L’immigration autorisée est ainsi maintenue dans une situation administrative précaire qui empêche celles et ceux qu’elle concerne de trouver leur place en France.

Après le projet de loi relatif au droit d’asile, débattu ici il y a quelques semaines, le texte qui nous occupe aujourd’hui permet un renforcement des contrôles et donc un affaiblissement des possibilités de recours, sous couvert de la multiplication supposée des demandes « abusives ».

Pourtant, le nombre de décisions de protection reste stable. En 2007, sur 35 500 demandeurs d’asile, 8 800 l’ont obtenu, 26 700 ont donc été déboutés. En 2013, sur 65 900 demandeurs, 11 400 seulement ont obtenu le titre de réfugié, contre 54 500 déboutés. Comment peut-on donc sérieusement penser que le nombre de demandes abusives a doublé d’une période à l’autre ?

Le droit d’asile, comme le droit des étrangers, ne se résume pas à des flux et des stocks d’étrangers à gérer. La crise des réfugiés actuelle en témoigne bien : il s’agit avant tout d’une question de géopolitique et de responsabilité internationale.

Les conflits internationaux et l’ordre économique établi font de notre monde un monde de réfugiés. On dénombrerait déjà 163 millions de personnes ayant dû quitter leur foyer à la suite de conflits, de catastrophes naturelles ou de grands projets de développement. Entre 2000 et 2050, ce sont au moins un milliard de personnes qui devraient migrer dans le monde, dont plus de la moitié pour s’adapter au réchauffement climatique ou en fuir les conséquences : inondations, sécheresses, pénuries d’eau et d’aliments, maladies émergentes.

Qu’allons-nous faire de ces personnes ? Les laisser à la dérive d’un monde dérégulé ? Les renvoyer chez eux, même en cas de guerre, comme le stipule agressivement Mme Le Pen ?

M. Stéphane Ravier. Bonne idée !

Mme Éliane Assassi. Les défenseurs de la « forteresse Europe » sont catégoriques : si l’Europe abolit le contrôle de l’immigration, elle sera envahie par les étrangers. Cela paraît relever d’une peur profondément ancrée. Pourtant, la plupart des gens n’ont aucune envie de quitter leur pays, et encore moins définitivement. Comme l’écrit le romancier et dramaturge Laurent Gaudé dans Eldorado : « Aucune frontière ne vous laisse passer sereinement. Elles blessent toutes. »

Il ne s’agit pas ici de verser dans l’angélisme, mais de mettre en garde contre les idées toutes faites et les faux débats.

En effet, depuis plus de trente ans, l’immigration est presque exclusivement considérée comme une menace ; de nombreux discours martèlent que la fermeture des frontières et la répression sont la seule politique possible.

M. Stéphane Ravier. Absolument !

Mme Éliane Assassi. Faut-il le rappeler, ce ne sont pas les immigrés qui sont responsables de la crise économique et du fléau du chômage !

Évidemment, les solidarités ne peuvent se cantonner au niveau national et l’ouverture des frontières de notre pays ne répondra pas aux maux de notre planète. Un nouvel ordre économique mondial doit être repensé. Ni le gouvernement actuel, ni l’opposition, ni, a fortiori, le Front national n’apportent d’ailleurs leur contribution à cette réflexion pourtant essentielle. Pour notre part, nous souhaitons prendre le contre-pied des logiques étroites et des logiques de peur en essayant d’élever le débat.

La crise migratoire, mes chers collègues, met en évidence la nécessité de combattre l’anarchie libérale. La mondialisation financière, en fin de compte, n’est autre que la mise en concurrence des peuples et des individus, et in fine c’est la guerre.

Je vous rappelle cependant que l’accroissement des ressources au Nord s’est fait au détriment des pays du Sud. À cet égard, nous faisons nôtre le plaidoyer du juriste Robert Charvin pour « une vaste et solennelle négociation Nord-Sud dans le cadre de l’ONU, neutralisant les ingérences multiformes, sources de la plupart des conflits et interdisant les spoliations. Un nouvel esprit et de nouvelles règles doivent révolutionner le droit économique international et fonder un modèle de rapports égalitaires avec tous les peuples, faisant de l’étranger non un ennemi mais un partenaire. »

Il faut mettre un terme au jeu détestable des multinationales qui ont pris le pouvoir dans bien des régions du monde. Les sommes colossales qui alimentent les circuits financiers doivent aller au développement. Un ordre nouveau, avec une Organisation des Nations unies refondée, c’est la voie du progrès et de la coopération pacifique.

Le manque d’engagement et de perspectives transformatrices en la matière laisse donc le champ libre au Front national,…

M. Stéphane Ravier. Je le confirme !

Mme Éliane Assassi. … qui diffuse son discours de haine (M. Stéphane Ravier s’exclame.), joue avec les peurs et crée le doute dans les esprits de certains de nos concitoyens.

En prétendant que la France ne peut, faute de moyens, accueillir plus de réfugiés, ce parti joue aujourd’hui, comme hier, la concurrence entre démunis, entre réfugiés, migrants et citoyens français. Il use à cette fin de raccourcis biaisés, de propagande et d’intoxication, et il profère les inepties les plus éhontées pour tenter de tirer profit de cette situation.

Pourtant, dans un monde où les distances se franchissent facilement et où le fossé entre les pays riches et les pays pauvres est énorme, ne faut-il pas, tout en insistant sur les aspects positifs des migrations, les considérer comme une donnée inéluctable ?

Face à tous ces enjeux, je ne pense pas qu’il suffise de répondre avec une réforme visant à gérer le quotidien : trop ou pas assez d’immigrés ? Telle est la question... Et ce faisant, on fait prévaloir la suspicion et la répression sur le respect et l’effectivité des droits.

Ainsi, de nombreuses dispositions du présent projet de loi facilitent l’éloignement et réduisent les délais de recours ; le dispositif d’évaluation médicale est transféré des médecins des agences régionales de santé, ou ARS, à ceux de l’Office français de l'immigration et de l'intégration, ou OFII, qui relève du ministère de l’intérieur. À ce sujet, monsieur le ministre, que les choses soient claires : un médecin de l’OFII vaut un médecin de l’ARS et inversement. Ce qui nous gêne, c’est que ce dispositif alimente la confusion entre santé publique et contrôle de l’immigration. Encore maintenant, monsieur le ministre, j’avoue ne pas avoir été convaincue du contraire.

Toutes ces mesures ont bien évidemment été renforcées et durcies par la droite sénatoriale en commission.

MM. Michel Forissier et Roger Karoutchi. Oh là là !

Mme Éliane Assassi. J’ose dire que l’occasion était trop belle.

Monsieur le ministre, vous avez déclaré lors de votre audition par la commission des lois du Sénat que des consignes très fortes et des moyens nouveaux étaient donnés aux services de lutte contre l’immigration irrégulière ; vous exprimiez ainsi la volonté du Gouvernement de renforcer cette lutte par la création, annoncée mi-septembre par M. le Premier ministre, de 900 postes supplémentaires dans les forces de l’ordre.

Cependant, monsieur le ministre, la responsabilité du patronat, qui, depuis des décennies, joue avec cette main-d’œuvre et met en concurrence les salariés, vous ne la pointez pas. Croyez bien que je le regrette !

Vous le savez, et à la veille des élections régionales il serait risqué de le nier, le problème n’est pas d’ordre migratoire, il est économique, et c’est bien l’incapacité à apporter des réponses concrètes aux préoccupations que sont le chômage et l’emploi qui alimente les discours de rejet de l’autre.

Il convient donc de le rappeler et d’affirmer qu’en dépit des fantasmes les immigrés ne menacent ni nos emplois, ni nos « identités », ni nos systèmes sociaux. Tous ne rêvent pas de s’installer dans les pays riches, loin de là,…

Mme Éliane Assassi. … à moins que l’on ne continue de les y obliger en renforçant nos politiques prédatrices et sécuritaires.

Nous ne nous faisons pas d’illusion sur le sort de notre motion tendant à opposer la question préalable : elle sera bien évidemment rejetée. Nous souhaitions toutefois attirer votre attention sur ces points. Nous participerons bien sûr au débat, en insistant particulièrement sur le caractère universel du principe constitutionnel d’égalité : quand il s’agit de la garantie des droits fondamentaux attachés à la personne humaine, aucune distinction ne saurait être tolérée entre ressortissants nationaux et ressortissants étrangers. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC.)

Mme la présidente. La parole est à M. le rapporteur.

M. François-Noël Buffet, rapporteur. La commission a émis un avis défavorable sur cette motion.

Mme la présidente. La parole est à M. le ministre.

M. Bernard Cazeneuve, ministre. Le Gouvernement a également émis un avis défavorable.

Mme la présidente. La parole est à M. Philippe Kaltenbach, pour explication de vote.

M. Philippe Kaltenbach. Le groupe socialiste votera contre cette motion tendant à opposer la question préalable, qui a été brillamment défendue à la tribune par notre collègue Éliane Assassi.

Malgré ce beau discours général, nous demeurons convaincus que ce projet de loi, tel qu’il a été présenté par le Gouvernement, constitue une avancée considérable pour le droit des étrangers. Ainsi, le titre pluriannuel, qui pourra être obtenu pour une durée de quatre ans, facilitera la vie des étrangers. De nombreuses mesures visent également à améliorer la situation des étudiants étrangers et des personnes qui viennent en France pour se faire soigner. Enfin, en parallèle, ce texte permettra aussi de mieux lutter contre l’immigration clandestine.

Pour toutes ces raisons, nous pensons qu’il y a vraiment lieu de débattre de ce texte, qui permettra d’améliorer notre législation. Aussi, nous voterons contre cette motion.

Mme la présidente. Je mets aux voix la motion n° 11, tendant à opposer la question préalable.

Je rappelle que l'adoption de cette motion entraînerait le rejet du projet de loi.

J'ai été saisie d'une demande de scrutin public émanant du groupe Les Républicains.

Je rappelle que l'avis de la commission est défavorable, de même que celui du Gouvernement.

Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l'article 56 du règlement.

Le scrutin est ouvert.

(Le scrutin a lieu.)

Mme la présidente. Personne ne demande plus à voter ?…

Le scrutin est clos.

J'invite Mmes et MM. les secrétaires à procéder au dépouillement du scrutin.

(Il est procédé au dépouillement du scrutin.)

Mme la présidente. Voici, compte tenu de l’ensemble des délégations de vote accordées par les sénateurs aux groupes politiques et notifiées à la présidence, le résultat du scrutin n° 4 :

Nombre de votants 342
Nombre de suffrages exprimés 342
Pour l’adoption 19
Contre 323

Le Sénat n'a pas adopté.

Discussion générale (suite)

Question préalable
Dossier législatif : projet de loi relatif au droit des étrangers en France
Discussion générale (interruption de la discussion)

Mme la présidente. Dans la suite de la discussion générale, la parole est à Mme Esther Benbassa.

Mme Esther Benbassa. Madame la présidente, monsieur le ministre, monsieur le président de la commission des lois, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, ce projet de loi relatif au droit des étrangers visait à l’origine, d’une part, à améliorer l’accueil et l’intégration des ressortissants étrangers en sécurisant leur parcours et, d’autre part, à lutter plus efficacement contre l’immigration irrégulière. Il s’agissait donc d’assurer dans un même élan protection des libertés individuelles et efficacité des décisions administratives d’éloignement, dans le respect des directives européennes.

Des diverses initiatives heureuses, une mesure phare se distingue, la création d’une carte de séjour pluriannuelle d’une durée maximale de quatre ans, à mi-chemin entre l’actuelle autorisation d’un an et la carte de résident de dix ans. Même si elle est encadrée par de nombreuses restrictions et élargit les pouvoirs des préfets, une telle disposition facilite le parcours de l’étranger en quête de son document de séjour.

En revanche, ce projet de loi instaure une préoccupante interdiction de circulation sur le territoire français aux Européens abusant de leur liberté de circuler ou constituant une menace à l’encontre d’un intérêt fondamental. Cette mesure cible en particulier les Roms, ainsi que le Défenseur des droits l’a plusieurs fois souligné.

Certes, il restait des marges de négociation pour améliorer ce texte et les députés s’y étaient déjà attelés. Hélas ! notre commission des lois n’a eu d’autre but que de le réécrire dans le pire des sens. Déjà à l’Assemblée nationale, le groupe Les Républicains avait ressorti les mesures que l’UMP, lorsqu’elle était au pouvoir, avait mises en œuvre sans résultat ou qu’elle avait renoncé à faire adopter parce qu’elles étaient incompatibles avec le droit international ou constitutionnel.

Nous voilà donc revenus en arrière. Regroupement familial, intégration dès le pays d’origine, prestations sociales, aide médicale d’État, etc. : tout cela a été remis sur le tapis, ramenant le débat à ce qu’il était il y a dix ans.

L’obsession de nombres de nos collègues du groupe Les Républicains est patente : ne pas abandonner à Marine Le Pen l’exclusivité d’un programme politique qui n’en est pas un, mais qui entretient un populisme régressif imprégnant chaque jour davantage notre société – il y aurait trop d’immigrés.

Mme Esther Benbassa. Rien à faire, voilà à quoi une partie de la droite à court d’idées s’accroche pour essayer de sauver son mince capital électoral. (Rires sur plusieurs les travées du groupe Les Républicains.)

M. Philippe Bas, président de la commission des lois. C’est l’hôpital qui se moque de la Charité !

M. Roger Karoutchi. Et le capital électoral des écologistes ?

Mme Esther Benbassa. Vous pourriez respecter celui qui s’exprime depuis cette tribune : C’est le minimum !

Pourtant, on sait ce que vaut cette affirmation et de quelle manière répétitive le quinquennat précédent a dénoncé une immigration prétendument massive, sans réduire le moins du monde un nombre d’entrées légales qui, d’une année sur l’autre, varie peu et reste bas. Si l’on fait abstraction des réfugiés, qui ne relèvent pas de ce texte, les flux migratoires réguliers avoisinent 200 000 par an, soit 0,3 % de la population française, situant la France à un niveau inférieur à la moyenne des pays de l’OCDE. (M. Stéphane Ravier s’exclame.)

L’offensive menée contre le regroupement familial a la même fin : faire peur aux Français avec l’immigration et leur faire croire qu’en en tarissant le flux on va miraculeusement résoudre tous leurs problèmes. Le FN doit vous remercier, mes chers collègues de la majorité sénatoriale. (M. Alain Marc s’exclame.)

Or de quoi parle-t-on ? Sur les 200 000 entrées légales annuelles, 90 000 concernent l’immigration familiale, dont seulement 20 000 relèvent du regroupement familial proprement dit, les autres étant principalement des Français faisant venir leur conjoint étranger.

M. Stéphane Ravier. Conjoint avec un « s » !

Mme Esther Benbassa. L’Assemblée nationale a réintroduit la notion d’effectivité de l’accès aux soins dans le pays d’où est originaire l’étranger malade pour l’obtention d’un droit au séjour temporaire pour raisons médicales en France. À peine le texte est-il arrivé au Sénat que cette disposition a été supprimée. Le même sort a été réservé à un article prévoyant la délivrance de plein droit de la carte de séjour temporaire aux personnes victimes de violences familiales ou conjugales. Et je n’oublie pas le durcissement des dispositions relatives à l’assignation à résidence pour expulser plus facilement les déboutés.

La liste des reculs est longue et nous y reviendrons lors de l’examen des amendements en séance.

Mme Esther Benbassa. Je demande à ceux qui ne voient les immigrés que comme des intrus s’ils savent seulement ce qu’est l’immigration. Croyez-vous que l’on quitte son pays avec autant de légèreté que vous, vous abordez cette question sous ces lambris dorés ?

M. Philippe Bas, président de la commission des lois. Oh !

Mme Esther Benbassa. Une France refermée sur elle-même à l’ère de la mondialisation est une régression. Faire croire que l’on va arrêter l’immigration d’un coup de baguette magique dans ce monde aux frontières qui se virtualisent est un mensonge. Un pays qui sait accueillir les immigrés est aussi un pays qui finit par s’enrichir de leur apport.

Regardez aux États-Unis le nombre de prix Nobel, de médailles Fields dont les récipiendaires portent des noms à consonance étrangère. Il était un temps où c’était le cas pour la France. Oublié tout cela ! Même les meilleurs étudiants étrangers ne viennent plus chez nous.

M. Stéphane Ravier. Chez moi, oui !

Mme Esther Benbassa. Même les réfugiés rêvent d’une autre destination.

Nous avons aussi besoin d’une immigration pour faire tourner l’économie. Mes chers collègues, qui ramassera nos poubelles,…

M. Stéphane Ravier. C’est insupportable !

Mme Esther Benbassa. … nettoiera nos bureaux, fera notre gardiennage, gardera nos enfants en bas âge, travaillera dans les restaurants à bas prix, dans le bâtiment, etc. ? (Exclamations sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. Stéphane Ravier. Des Français !

M. Guy-Dominique Kennel, rapporteur pour avis. C’est à cela que vous les destinez ?

Mme Esther Benbassa. Quand votre tour sera venu, vous pourrez parler ! Laissez-moi terminer, je vous prie !

Mme Natacha Bouchart. Il ne faut pas dire n’importe quoi !

Mme Esther Benbassa. Non, les immigrés ne sont pas des ennemis. Ce sont juste les alliés du pays qui leur ouvre ses portes. N’est-pas, monsieur Karoutchi… (Applaudissements sur quelques travées du groupe socialiste et républicain et du groupe CRC.)

Mme Natacha Bouchart. Respectez tout le monde !

Mme la présidente. La parole est à M. Stéphane Ravier.

M. Stéphane Ravier. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, dans un contexte où l’Europe est confrontée à une déferlante migratoire sans précédent, à l’heure où des organisations supranationales imposent aux États l’accueil de centaines de milliers de clandestins démunis de tout (Oh ! sur les travées du groupe socialiste et républicain.), à l’heure où les adeptes de la xénophilie trouvent dans le Gouvernement, quoi qu’ils en disent, un partenaire zélé, au point d’essayer de nous aveugler par ses mirages statistiques ce soir et qui ne correspondent en rien à la réalité, et même si le Gotha artistico-cultureux se manifeste (M. Roger Karoutchi s’esclaffe.) par quelques idiots utiles (Oh là là ! sur les travées du groupe socialiste et républicain.),…

M. Stéphane Ravier. … ce projet de loi sur le droit des étrangers en France est pour le moins décalé.

Et ce ne sont pas les amendements de la majorité sénatoriale prétendument de droite qui vont changer la loi, alors même que le rapporteur en dénonce les aberrations.

Vu le temps imparti, j’en citerai brièvement quelques-unes. Votre rapport l’affirme, l’immigration de travail ne représentait que 9 % l’an dernier, le reste n’étant constitué que par cet interminable regroupement familial ou volet familial. Le tout représente en réalité un coût colossal pour la Nation : quelque 70 milliards d’euros par an !

M. Philippe Kaltenbach. Propos fantaisistes !

M. Stéphane Ravier. On apprend également que la carte de résident pour contribution économique exceptionnelle est une exception, puisqu’elle n’a concerné que trois personnes !

Le taux d’exécution des mesures d’éloignement est très faible : il s’établit en moyenne à 15 % pour les non-Européens.

Enfin, la fraude est massive : « trois titres de séjour font l’objet d’un contentieux important : les cartes de séjour “vie privée et familiale”, “étrangers malades” et “étudiant”. »

Ce n’est pas parce que nous sommes le pays de Molière, et donc du malade imaginaire, qu’il faut faire venir davantage de malades imaginaires dans notre pays (Mme Cécile Cukierman s’exclame.), car la facture, elle, est bien réelle !

Mme Cécile Cukierman. C’est n’importe quoi ! Scandaleux !

M. Stéphane Ravier. L’Inspection générale des affaires sociales, l’IGAS, révèle qu’une proportion importante des étrangers qui présentent une première demande d’admission au séjour pour des raisons médicales sont des déboutés définitifs de la procédure d’asile. Cette proportion atteint jusqu’à 90 % dans une ville comme Metz.

Quand on n’arrive pas à entrer par la porte dans la maison France, beaucoup réussissent à y entrer par la fenêtre. D’ailleurs, « les critères tirés des ressources personnelles […] ne sont susceptibles d’aucune appréciation objectivable – langage technocratique – pour l’administration et compliquent singulièrement la tâche de celle-ci ».

Face à ce scandale et à cette injustice dont nos compatriotes sont victimes depuis des décennies, il est urgent de changer de cap, en imposant aux étrangers d’avancer les frais médicaux, en exigeant une caution pour financer les reconduites à la frontière et, au lieu de la prétendue assignation à résidence, qui permet surtout aux expulsables de s’évaporer dans la nature (Mme Cécile Cukierman hoche la tête en signe de dénégation.), mettons tout en œuvre pour leur expulsion rapide sous vingt-quatre heures ou quarante-huit heures, comme le font tant de pays dans le monde. (Mme Cécile Cukierman hoche de nouveau la tête en signe de dénégation.)

M. Stéphane Ravier. « Mieux accueillir », « mieux intégrer », avez-vous répété, monsieur le ministre. Tout à fait d’accord avec vous, mais que cela concerne nos compatriotes d’abord (Mme Dominique Gillot s’exclame.),…

Mme Catherine Tasca. Ils sont déjà là !

M. Stéphane Ravier. … qui sont des millions à être exclus dans leur propre pays, sans emploi, sans toit, sans couverture sociale, en fin de droits, alors que nous continuons à dépenser des milliards d’euros pour entretenir toute la misère du monde.

Mme la présidente. Merci, monsieur Ravier, c’est terminé !

M. Stéphane Ravier. Si vous le permettez, je termine car il me reste deux phrases très courtes.

S’occuper des nôtres avant les autres, telle devrait être la ligne conductrice de l’action des parlementaires. Pourtant, force est de constater que, avec ce gouvernement, comme avec les précédents, ce n’est pas pour demain !

Mme la présidente. La parole est à M. Jacques Mézard.

M. Jacques Mézard. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, l’heure n’est pas spécialement propice à la discussion d’un projet de loi relatif au droit des étrangers dans une acception large.

Mme Catherine Tasca. C’est vrai !

M. Philippe Kaltenbach. C’est sûr !

M. Jacques Mézard. L’afflux de migrants sur nos rivages européens, qui s’ajoute aux crispations de notre société sur les questions de laïcité, d’identité ou de valeurs essentielles de la République, ne favorise pas un débat apaisé, lequel est pourtant nécessaire. Nous venons d’en avoir la démonstration il y a quelques secondes. (M. Stéphane Ravier s’exclame.)

Des polémistes, reprenant le rôle joué par les ligues de la IIIe République, se sont emparés de ce sujet, damant le pion aux représentants de l’intérêt général que nous sommes, car les majorités successives ont en réalité été bien incapables de montrer le chemin collectif de la raison.

Nous apporterons notre soutien à l’esprit du texte proposé par le ministre de l’intérieur.

M. Jacques Mézard. Monsieur le ministre, vous faites face, avec talent et détermination, à un contexte politique national et international particulièrement complexe,…

M. Philippe Kaltenbach. C’est vrai !

M. Jacques Mézard. … parfois délétère, qui nuit à la qualité des débats et contribue à faire monter la peur de l’autre dans notre pays. Et c’est pour cela que, sur ce texte, nous vous soutenons sans ambiguïté.

« Étrangement, l’étranger nous habite. [...] De le reconnaître en nous, nous nous épargnons de le détester en lui-même », écrivait Julia Kristeva. L’altérité nous met face à nous-mêmes et à nos responsabilités.

Sur un sujet aussi sensible, nous aurions ainsi souhaité que cette question ne soit pas une nouvelle fois une variable électoraliste, mais qu’au contraire soit élaboré un cadre législatif consensuel, réaliste et donc plus stable, en ce qu’il serait le fruit d’une concertation entre les différentes sensibilités politiques.

Nous savons que nous pouvons nous entendre sur les principes les plus essentiels de l’accueil des étrangers en France. Il suffit pour cela de ne pas céder aux sirènes des extrêmes, qu’elles soient sécuritaires ou angélistes. Tant que ce sujet sera traité sans le recul nécessaire, en réaction à l’actualité la plus immédiate, la plus médiatique et la plus populiste, nous n’avancerons pas. Par ce jeu malsain, nous prenons le risque de devenir étrangers à nous-mêmes, à nos valeurs républicaines d’ouverture et de tolérance.

Or que souhaitent nos concitoyens ? Nous le savons pertinemment : ils veulent une politique qui allie l’accueil des étrangers en situation régulière et la fermeté à l’égard de l’immigration irrégulière. Cette dernière constitue un facteur de déstabilisation de notre société en ce qu’elle alimente un fort sentiment de défiance à l’égard des pouvoirs publics et d’impuissance de leur part. La loi doit donc en la matière être plus simple et plus stable, pour être effectivement appliquée. Pour cela, des moyens humains et financiers doivent être mis en place.

Nous ne sommes pas de ceux qui pensent que l’on peut accueillir tout le monde et à n’importe quelle condition. Nous sommes profondément attachés à la tradition d’ouverture et d’accueil à l’étranger et son étrangeté, qui n’est pas toujours inquiétante – loin de là ! et qui a construit notre nation dans l’histoire.

Notre position pourrait se résumer ainsi : le syncrétisme d’individus d’origines et de cultures diverses dans le creuset républicain que nous ne confondons pas avec la dissolution de la nation dans le communautarisme ; le devoir d’intégration qui oblige aussi bien ces individus que la communauté nationale, dans sa capacité à respecter les différences ; et bien sûr, par-dessus, tout le respect intangible des droits fondamentaux de la personne humaine, à commencer par la dignité.

Le projet de loi répond à ces principes, en ce qu’il met en œuvre une simplification appréciable du droit des étrangers et renforce, dans le même temps, les moyens légaux d’expulsion des personnes en situation irrégulière.

La création de la carte pluriannuelle, dont la délivrance advient après un premier titre de séjour, remplit cet équilibre. L’accueil des étudiants étrangers notamment, talents et potentiels entrepreneurs futurs, est ainsi rendu plus aisé. Il s’agit d’une manne importante que d’autres pays savent mieux que nous exploiter ! Cette avancée importante était attendue, après la confusion induite par les circulaires ministérielles dites « Guéant », qui avaient inopportunément durci les critères de délivrance d’un titre de séjour aux diplômés hors Union européenne.

Le principe de la priorité de l’assignation à résidence, l’encadrement du placement en rétention d’étrangers accompagnés d’un enfant mineur de moins de 13 ans et l’accès des journalistes aux zones d’attente et aux lieux de rétention constituent aussi, à ce titre, des progrès majeurs. Ces dispositions s’inscrivent dans la lignée du rapport de nos deux collègues Éliane Assassi et François-Noël Buffet, qui, il y a quelques mois, constataient le manque d’humanité du fonctionnement de tels lieux et préconisaient, dans leur proposition n° 10, de ne permettre la rétention qu’en cas d’échec d’une mesure coercitive préalable.

Cela me conduit à faire deux constats.

Le premier est le suivant : si la simplification proposée dans le projet de loi est réelle sur certains points, nous considérons que le texte aurait pu aller plus loin sur d’autres. Rien n’est dit par exemple du traitement des mineurs étrangers, notamment des mineurs isolés. De même, le sort des victimes étrangères de la traite humaine est ignoré. Il aurait été souhaitable que le projet de loi aille au bout de la simplification suggérée par différents rapports, ainsi que par le Défenseur des droits, en prévoyant notamment le rétablissement de la délivrance de plein droit de la carte de résident après quelques années de mariage, mais aussi la délivrance automatique d’une carte de résident de 10 ans sur demande de l’étranger à l’expiration de la carte pluriannuelle, ou encore en fusionnant plus complètement les différents titres de séjour, afin de ne pas créer un trop-plein de dérogations au principe.

Nous proposerons des amendements en ce sens, ainsi qu’une limitation du droit de communication tentaculaire de l’administration prévu à l’article 25.

A contrario, et cela n’étonnera personne, nous sommes opposés à la logique qui a été suivie par la commission des lois du Sénat sur plusieurs points. Nous sommes en particulier hostiles à la création d’une peine d’emprisonnement du fait du maintien irrégulier sur le territoire. Compte tenu de l’encombrement de nos prisons, il nous semble qu’il s’agit là d’une mesure d’affichage. Il faut plutôt privilégier la lutte contre l’immigration illégale. (M. Roger Karoutchi s’exclame.)

Figure de la haine et de l’autre, l’étranger n’est ni la révélation en marche ni l’adversaire à éliminer pour pacifier le groupe. Et j’ajouterai que, sous certaines conditions, il est même un élément à intégrer. C’est le second constat.

Rappelons, mes chers collègues, que, dans la proposition n° 50 de son programme, le candidat Hollande…

M. Jacques Mézard. … s’était engagé en faveur du droit de vote des étrangers résidant légalement en France depuis cinq ans. Avant même l’élection présidentielle, le 8 décembre 2011, une proposition de loi constitutionnelle avait été votée par le Sénat, avec l’indispensable soutien d’une large majorité des membres du groupe RDSE.

M. Jacques Mézard. Nous regrettons aujourd’hui que ce projet ait été enterré, dans le même cimetière que d’autres promesses électorales, quand fleurissent dans le même temps de multiples projets de loi contenant des dispositions jamais évoquées pendant la campagne présidentielle et qui ne sont pas sans effets déstabilisateurs. Je pense à la réforme des collectivités territoriales.

Monsieur le ministre, mes chers collègues, l’étranger peut constituer une défense fallacieuse du moi désemparé. Nous espérons que nos débats ne nous feront pas revivre ceux qui ont eu lieu un jour sur l’identité nationale et que nous resterons fidèles à notre réputation d’assemblée des sages, d’assemblée de la défense des libertés et des droits, à l’heure où l’on tente de remettre en cause le bicamérisme de nos institutions. (Applaudissements sur les travées du RDSE et sur quelques travées du groupe socialiste et républicain.)

Mme la présidente. La parole est à M. Michel Mercier.

M. Michel Mercier. Madame la présidente, monsieur le ministre, monsieur le président de la commission, messieurs les rapporteurs, mes chers collègues, il y a une cinquantaine d’années environ, Jacques Chaban-Delmas, président de l’Assemblée nationale, s’adressant à un député de Paris au début de la discussion budgétaire, avait dit : « Liturgie, litanie, léthargie ! ». (Mme Françoise Gatel rit.) Ne pourrait-on pas dire la même chose de la législation relative aux étrangers séjournant en France ?

Entre 1945 et 1980, un texte, parfois modifié, mais peu, l’ordonnance du 2 novembre 1945. Depuis 1980, soit en trente-cinq ans, vingt-deux lois ! C’est bien la preuve que le législateur a échoué en cette matière, sinon il n’aurait pas besoin à intervalles réguliers d’examiner une nouvelle loi qui, au-delà de sa présentation, n’est généralement guère différente de la précédente. (M. Roger Karoutchi s’exclame.) Vous le savez bien, monsieur Karoutchi, car vous en avez fait suffisamment pour être expert en la matière ! (Sourires.)

Monsieur le ministre, vous venez de nous expliquer – et je vous crois, car j’ai pour vous respect et amitié – que les chiffres que vous nous avez donnés sont bons : davantage de reconduites à la frontière, beaucoup plus de filières démantelées, immigration régulière stable depuis plusieurs années, avec 200 000 titres délivrés tous les ans. Pourquoi diantre, alors que les résultats sont aussi bons, nous présenter, comme en 2006, comme en 2011, à un an de la fin du mandat présidentiel, un nouveau texte sur l’immigration qui ne renverse pas la table ? Quel est donc le véritable but de cette discussion ? Pour réussir, vous n’avez pas besoin d’un nouveau texte. Vous nous l’avez dit. Alors, restons-en là !

Comme tout texte, ce projet de loi contient de bonnes choses et de moins bonnes. Le rapporteur en a fait une analyse honnête, exigeante et il formule des propositions qui, sans renverser le texte, qui lui-même ne renverse rien, nous permettront de continuer à vivre avec les mêmes lois. (M. Roger Karoutchi sourit.)

Devons-nous d’ores et déjà nous attendre à examiner un nouveau texte sur le droit des étrangers en France dans deux, trois ou quatre ans ?

M. Michel Mercier. Probablement ! Ne pourrait-on donc pas se poser la bonne question ? Dans notre pays, avons-nous, oui ou non, besoin d’une immigration ? Je pense que la réponse est oui, nous avons besoin d’immigrés, et je suis sûr que vous partagez ce sentiment, monsieur le ministre.

M. Bernard Cazeneuve, ministre. Tout à fait !

M. Michel Mercier. Si nous avons besoin d’immigrés, autant le dire clairement.

Il y a des gens qui ont des droits, sur lesquels, à travers ce que je vous proposerai, il n’est pas question de revenir. Si un Français se marie avec une étrangère, tous deux ont le droit de vivre ensemble. Il n’est pas question de limiter le droit au regroupement familial, qui, je le rappelle, a été créé par le gouvernement Chirac. (M. Roger Karoutchi s’exclame.) Il faut savoir d’où l’on vient, monsieur Karoutchi,…

M. Roger Karoutchi. Moi, je le sais parfaitement !

M. Michel Mercier. … cela aide à savoir où l’on veut aller.

Il faut dire les choses très clairement.

Alors que certains pays abordent les questions d’immigration dans le calme, nous en sommes incapables. En effet, chaque fois que nous examinons un texte sur l’immigration, nous pensons à autre chose. On ne traite bien sûr que de l’immigration régulière, et on ne pense qu’à l’immigration irrégulière. À l’évidence, ce n’est pas en rendant irrégulier le régulier que nous allons supprimer l’irrégulier. Il faut donc essayer de renverser les choses. Aussi, le groupe UDI-UC et moi-même vous proposerons de réfléchir – mais peut-être est-ce trop tôt ? – à des niveaux d’immigration. Comme vous, monsieur le ministre, comme le Président de la République, je n’aime pas beaucoup le mot « quota ».

Vous l’avez dit, nous avons besoin de talents. Peu de talents rejoignent la France. C’est un véritable problème. La France doit faire envie, or ce n’est plus le cas (M. le ministre est dubitatif.), ou pas assez. Ce n’est pas en donnant 1 833 titres « talents » que l’on va changer le monde !

On pourrait définir les catégories de personnes dont notre pays a besoin compte tenu du marché de l’emploi. Le Parlement est tout à fait habilité à fixer un niveau d’immigration. (M. Roger Karoutchi opine.) Je souhaite que nous puissions débattre de cette question sereinement, sans passion, sans se jeter à la tête des mots comme « quotas » ou d’autres mots. On ne peut pas sans cesse traiter la question de l’immigration avec la même pression, en employant les mêmes mots, en répétant la même litanie, pour obtenir toujours le même résultat. Or c’est ce que nous sommes en train de faire.

Pour notre part, nous vous inviterons, au cours de la discussion, à sortir des chemins battus des vingt-deux lois que j’évoquais au début de mon propos, pour essayer d’ouvrir des voies nouvelles. (Applaudissements sur les travées de l'UDI-UC. – M. Marc Laménie applaudit également.)

Mme la présidente. La parole est à M. Christian Favier.

M. Christian Favier. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous examinons le projet de loi relatif au droit des étrangers en procédure accélérée à la veille, il faut bien le dire, des élections régionales. Je crois très sincèrement que le Gouvernement aurait été plus sage de reporter l'examen de ce texte.

Alors que la question des réfugiés se pose avec force, les populismes se déchaînent dans notre pays. Ainsi, Mme Le Pen ose affirmer que les migrations actuelles ont un rapport avec les invasions barbares du IVe siècle, et Mme Morano s’autorise une saillie insupportable sur la race blanche.

Au regard du contexte international et des enjeux nationaux, nous regrettons le manque de clairvoyance du Gouvernement ainsi que l'oubli un peu rapide par la majorité gouvernementale de principes qu'elle affichait avant 2012.

Ainsi que nous vous l’avons dit en présentant notre question préalable, en matière de politique migratoire, il serait utile d’être un peu plus lucide et de tirer les conséquences des conflits économiques et politiques qui font de notre monde aujourd'hui un monde de réfugiés. Une réflexion progressiste nouvelle devrait être en marche pour repenser l’ordre économique mondial établi. Cependant, très loin de ces préoccupations, le projet de loi initialement proposé par le Gouvernement, largement durci par la commission des lois du Sénat, s’inscrit, comme vient de le dire notre collègue Mercier, dans la parfaite continuité d’une politique menée depuis plus de trente ans, qui fait prévaloir la suspicion sur le respect et l’effectivité des droits.

Alors qu’il n’y avait aucune urgence à légiférer, le projet de loi s’articule autour de trois approches de l’immigration : limiter les passages en préfecture en accordant des cartes de séjour pluriannuelles – ce qui est une mesure plutôt positive –, augmenter l’attractivité de la France en déroulant le tapis rouge pour les talents et créer un dispositif supplémentaire pour faciliter les renvois.

Toutes les associations de défense du droit des étrangers en France, ainsi que le Défenseur des droits sont unanimes sur le projet de loi : il ne marque aucune réelle volonté de rupture avec les réformes précédentes. Certes, il comporte quelques avancées comme l’affirmation du caractère subsidiaire du placement en rétention administrative et la réintroduction de la condition d’effectivité de l’accès à un traitement approprié dans le pays de renvoi, pour justifier le refus de délivrance d’un titre de séjour aux étrangers malades. Mais l’équilibre affiché du texte n’est, hélas, qu’une façade : l’immigration « autorisée » est maintenue dans une situation administrative précaire, qui empêche celles et ceux qu’elle concerne de trouver réellement leur place en France. Ainsi, alors que la mise en place d’un titre de séjour pluriannuel pouvait apparaître comme une mesure efficace pour sécuriser les parcours des étrangers en France, nous regrettons sa délivrance à géométrie variable et la complexification du CESEDA qui nuisent à son efficience.

Par ailleurs, de nombreuses dispositions du projet de loi, notamment l’article 14, sont consacrées à l’éloignement, au service de l’efficacité des mesures de départ forcé et de nouvelles procédures accélérées qui visent en fait à empêcher certaines catégories de demandeurs d’exercer, efficacement, leur droit au recours contre les obligations de quitter le territoire français.

En outre, une interdiction de circulation sur le territoire français est instaurée pour les ressortissants de l’Union européenne à l’article 15. Elle vise « implicitement », chacun le sait bien, les populations roms. Si une telle mesure d’interdiction de circuler était adoptée, ce serait une première en Europe, aucun autre État membre n’ayant encore osé le faire. Il s’agirait en fait d’une grave atteinte portée à l’exercice d’un droit qualifié de « liberté fondamentale » par la Cour de justice de l’Union européenne.

Les articles 19 et suivants, qui mettent en place un nouveau dispositif d’assignation à résidence pour faire diminuer le nombre de placements en rétention – ce qui est évidemment une démarche louable –, visent en fait à améliorer la « productivité » des procédures d’éloignement.

En matière de droit aux soins des étrangers, l’article 10 transfère le dispositif d’évaluation médicale des étrangers malades actuel à un collège de médecins de l’OFII, qui est, rappelons-le, sous la tutelle du ministère de l’intérieur en charge de la gestion des flux migratoires et du contrôle des étrangers. Aussi comment ne pas y voir un objectif « tacite » de gestion des flux ?

Nous sommes, par ailleurs, inquiets quant à la mise en place d’un dispositif inédit de contrôle par le préfet, qui, en clair, pourra enquêter sur un étranger avec l’aide de sa banque, de son opérateur téléphonique ou de l’école de ses enfants, le convoquer et même lui retirer son titre de séjour sans autre forme de procès.

Quant aux collectivités territoriales d’outre-mer, le régime spécial est maintenu ou aggravé en dépit des normes européennes et de la jurisprudence.

Enfin, nous ne comprenons pas aujourd’hui qu’un gouvernement, dont le parti avait clairement dénoncé les lois Sarkozy et Hortefeux, orchestre lui-même « l’immigration choisie » par le biais de « passeports talent ». Nous le comprenons d’autant moins qu’il recule sur les droits des travailleurs les plus précaires, en supprimant la possible délivrance d’une carte « salarié » aux salariés titulaires d’un CDD ou de contrats d’intérim. C’est là une véritable régression !

Pour ces travailleurs, seule sera délivrée une carte « travailleur temporaire » sur laquelle figureront le nom de l’entreprise et la durée du contrat de travail : un titre de séjour extrêmement précaire ! Quels seront les droits de ces « salariés jetables », qui, eux, ne pourront jamais prétendre à une carte pluriannuelle, alors qu’ils sont bien souvent en France depuis des années ? Ils seront plus que tout autre soumis au bon vouloir de leur employeur, afin de pouvoir rester dans la légalité.

Ainsi, la faible ambition de ce projet de loi gouvernemental a, hélas, permis à la droite sénatoriale de durcir des mesures déjà regrettables et de porter des modifications toujours plus sécuritaires et toujours plus éloignées de droits effectifs pour les étrangers.

Comme l’indique votre rapport, monsieur le rapporteur, votre position est claire : il s’est agi pour vous de « simplifier le texte en l’inscrivant dans les choix de la loi du 16 juin 2011 », mieux connue sous le nom de « loi Besson ». Ainsi avez-vous notamment restreint les conditions d’accès à la carte de séjour pluriannuelle, à l’article 11, renforcé les conditions dans lesquelles l’administration peut exercer un contrôle pour vérifier si les bénéficiaires remplissent toujours les conditions pour en bénéficier et rétabli le pouvoir d’appréciation du préfet pour délivrer les titres de séjour, en supprimant les hypothèses de délivrance de titres de plein droit.

Un certain nombre d’amendements adoptés par la commission des lois illustrent parfaitement la teneur de ce nouveau texte et l’ampleur des modifications apportées : la suppression de la délivrance de plein droit du visa au conjoint de Français ; la suppression de la délivrance de plein droit de l’autorisation provisoire de séjour pour les parents d’un enfant malade ; la faculté pour les forces de l’ordre de pénétrer au domicile de l’étranger pour l’escorter vers le consulat sur autorisation du juge ; la sanction pénale en cas de non-respect des obligations de communication ; enfin, la sanction pénale en cas de non-respect des obligations de pointage.

Soulignons tout de même que la « fuite » de l’essentiel du rapport de M. Buffet dans les colonnes du Figaro illustre parfaitement la méthode consistant à exploiter un sujet grave, l’immigration, à des fins médiatiques et politiques. Cette méthode est largement utilisée pour galvaniser les foules et accroître les craintes de nos concitoyens, comme si elles n’étaient pas déjà suffisamment attisées par le Front national !

Tout au long de l’examen de ce texte, nous tenterons donc d’éclairer le débat par un autre discours et d’améliorer le projet de loi en insistant sur le caractère universel du principe constitutionnel d’égalité, qui ne saurait souffrir la moindre distinction entre ressortissants nationaux et étrangers, s’agissant de la garantie des droits fondamentaux attachée à la personne humaine. Aux yeux de notre groupe, l’immigration ne saurait être une menace pour un grand pays comme la France, mais un atout pour l’avenir.

Mme la présidente. Veuillez conclure !

M. Christian Favier. Nous continuerons d’agir sans angélisme contre cette vision rabougrie, frileuse de la République. Dans sa rédaction actuelle, nous ne pouvons accepter le texte issu de la commission des lois ni cautionner un tel recul de notre société. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC. – Mme Esther Benbassa applaudit également.)

Mme la présidente. La parole est à M. Philippe Kaltenbach.

M. Philippe Kaltenbach. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous sommes réunis ce soir pour examiner le projet de loi relatif « au droit des étrangers », ou plutôt désormais « à la maîtrise de l’immigration ». Ce changement d’intitulé, voulu par la droite en commission, en dit long sur l’état d’esprit dans lequel elle aborde nos travaux.

Grâce à vous, monsieur le ministre, nous avions un projet de loi équilibré et pragmatique, articulé autour de trois priorités : l’accueil, l’attractivité et la lutte contre l’immigration irrégulière. Malheureusement, la commission des lois l’a détricoté et dénaturé avec un seul objectif : faire de l’affichage politique. Il est vrai que l’heure n’est pas forcément à la mesure lorsque l’on évoque les questions liées à l’immigration.

Je lisais hier une tribune de MM. Retailleau et Buffet dans L’Opinion, qui affirment qu’avec ce texte « François Hollande ouvre en grand les vannes de l’immigration ». Excusez du peu !

M. Jean-Pierre Sueur. C’est scandaleux !

M. Philippe Kaltenbach. C’est pour le moins excessif et sûrement scandaleux.

Le reste de la tribune est à l’avenant : un discours qui utilise les amalgames, les caricatures et qui joue sur les peurs. Tout cela pour quoi ? Pour aboutir à une France recroquevillée sur elle-même, alors que nous sommes en pleine mondialisation et que ce phénomène va s’accélérer. Est-ce cela que nous voulons ?

Vous allez me dire que nous sommes en période électorale et que, c’est vrai, certains cherchent à courir toujours plus vite derrière l’extrême droite. Mais nous l’avons vu avec l’intervention de M. Ravier, il va être très difficile de la rattraper ! C’est pourquoi nous considérons que notre rôle en tant que responsables politiques doit être de dépassionner ce débat sur l’immigration. Pour le faire, il faut rappeler quelques chiffres, ce que, d'ailleurs, le ministre a également fait.

Environ 3,8 millions d’étrangers séjournent actuellement en France. Je rappelle que 2,5 millions de Français vivent à l’étranger. Le pourcentage d’étrangers dans la population est stable, environ 6 %. Il a même diminué depuis les années quatre-vingt.

M. Roger Karoutchi. Cela ne veut rien dire !

M. Philippe Kaltenbach. Si, cela veut dire qu’il n’y a pas d’envahissement de la France par des personnes étrangères, monsieur Karoutchi !

Environ 200 000 titres de séjour sont délivrés chaque année : 65 000 pour des étudiants, 65 000 pour des conjoints de Français, 25 000 au titre du regroupement familial, hors conjoints de Français, 20 000 pour des motifs humanitaires et moins de 20 000 pour des motifs d’ordre économique.

Comme on le constate au travers de ces chiffres, la marge de manœuvre est très étroite, sauf peut-être à interdire aux Français de se marier avec un étranger ou à nier le droit à une vie familiale digne ou encore à fermer nos universités aux étudiants étrangers. Mais je crois que, sur l’ensemble de ces travées, à l’exception des élus du Front national, ce n’est pas ce que nous voulons.

Alors, oui, la France, comme toute grande démocratie, est tenue d’offrir des conditions d’accueil dignes et respectueuses aux étrangers à qui elle autorise le séjour. C’est la volonté qui nous anime en instaurant notamment un titre de séjour pluriannuel, qui est une grande avancée et qui, à lui tout seul, légitimerait le fait que nous légiférions aujourd'hui. En effet, cela permettra de réduire le nombre des passages en préfecture et cela facilitera grandement la vie et l’intégration des étrangers en France.

Même si, depuis 2012, il y a eu des améliorations dans l’accueil des étrangers, je peux témoigner que, dans mon département des Hauts-de-Seine, les files d’attente qui se forment à la sous-préfecture d’Antony obligent les étrangers à venir parfois dès trois heures du matin, sans avoir la certitude de pouvoir être accueillis.

Nous devons garder à l’esprit que la qualité de l’accueil que nous offrons aux personnes étrangères reste un facteur décisif d’intégration. Nous devons également garder à l’esprit qu’elle est indispensable pour garantir l’attractivité de notre pays et attirer de nouveaux talents, indispensables à notre économie et à la croissance.

Ce texte d’équilibre s’emploie également à lutter contre les filières clandestines et à éloigner les personnes en situation irrégulière. Sur ce point, le Gouvernement a déjà fait la démonstration depuis trois ans qu’il n’entendait pas faire preuve de laxisme, et les excellents résultats obtenus ont été rappelés par le ministre. Il y a plus aujourd'hui de personnes éloignées qu’en 2012.

Mais, là encore, une grande démocratie comme la France doit demeurer soucieuse d’agir en respectant toujours les droits des personnes concernées, en privilégiant les assignations à résidence sur la rétention et, s’il y a rétention, en permettant l’intervention du juge des libertés et de la détention dans un délai de quarante-huit heures. Cette avancée nous semble incontournable.

Les sénateurs socialistes étaient prêts pour un débat de fond sur les droits des étrangers et les moyens de lutter efficacement contre l’immigration irrégulière, parce que c’est cela qu’attendent nos concitoyens. Je crains, malheureusement, que la majorité sénatoriale ne refuse ce débat et ne s’obstine dans des postures et de l’affichage politicien. (Exclamations sur plusieurs travées du groupe Les Républicains.)

Mes chers collègues, il n’est pas trop tard pour avoir des échanges dépassionnés et constructifs. Ce matin, d'ailleurs, la commission des lois a rejeté les amendements du groupe Les Républicains portés par M. Karoutchi sur les quotas, la remise en cause du droit du sol ou du regroupement familial.

M. Roger Karoutchi. Non, pas sur les quotas, sur les plafonds !

M. Philippe Kaltenbach. La commission l’a fait parce que ces amendements sont contraires à la Constitution, à nos engagements européens, mais surtout à nos valeurs, et c’est très bien. Malheureusement, la commission a largement durci le texte sur de nombreux points, revenant bien souvent au texte de 2011, dont l’inefficacité a été démontrée.

Donc, sur tous ces points, il y a matière à débattre, à améliorer notre législation. Ce texte ne va certes pas révolutionner le droit des étrangers, mais il va permettre d’améliorer l’accueil des étrangers et de mieux lutter contre l’immigration clandestine.

Oui, les socialistes sont persuadés que la France est capable d’accueillir avec respect et humanité les étrangers en situation régulière ! Oui, nous sommes capables d’être fermes vis-à-vis de l’immigration irrégulière ! Pour cela, il faut dépasser les postures idéologiques et électoralistes à courte vue. C’est ce que souhaitent les sénateurs socialistes. C’est pourquoi nous vous proposerons au cours du débat de largement amender le texte de la commission, afin de revenir à un texte équilibré et pragmatique. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain.)

Mme la présidente. La parole est à M. Roger Karoutchi.

M. Roger Karoutchi. Je suis absolument sidéré d’entendre tout et son contraire. C’est tout juste si on ne reproche pas à la majorité sénatoriale de travailler en commission et de présenter des amendements sur un projet de loi qu’elle n’a pas demandé, ni même souhaité. D’ailleurs, pourquoi présenter un tel texte aujourd'hui, à deux mois des élections régionales, un texte préparé voilà dix-huit mois ou deux ans, c’est-à-dire à un moment où ce qui se produit actuellement en Europe n’avait aucune réalité ?

Le rôle du politique ne consiste-t-il pas avant tout à s’adapter à la situation, à prendre en compte les événements ? Comme nous sommes là pour représenter et protéger les Français, il nous appartient de dénoncer un projet de loi qui ne correspond plus aux besoins actuels. Le Gouvernement aurait dû le retirer et éventuellement en déposer un autre après les élections régionales, dans un contexte moins passionné et en tenant compte de la réalité européenne d’aujourd'hui. Dès lors, qu’on ne vienne pas nous reprocher de dire ce que nous pensons d’un texte inadapté et, comme l’a souligné notre collègue Michel Mercier, n’apportant pas de véritable changement sur le fond – c’est-à-dire en termes d’intention – alors même, j’y insiste, que la situation a évolué.

Monsieur le ministre, en matière de délinquance et de terrorisme, vous avez su, parce que les choses ont beaucoup changé en un an, prendre des mesures fortes et changer la politique – au sens noble du terme – de l’État. D’ailleurs, nous vous avons soutenu, parce qu’il est parfaitement normal de changer de politique quand la donne change. Autant vous avez respecté ce principe dans ces domaines, autant vous donnez l’impression de ne pas vouloir faire évoluer les textes et, ainsi, tenir compte des phénomènes migratoires auxquels l’Europe et la planète entière font actuellement face. Pourquoi ? On ne sait pas !

On constate au moins – c’est déjà ça ! - une évolution du discours de certains élus de gauche, qui disent que le Gouvernement lutte contre l’immigration irrégulière. Pardon de le dire, mais cela n’a aucun sens ! La lutte contre l’immigration irrégulière ne peut consister à proférer des incantations. C’est une politique qui coûte cher et exige énormément de moyens, d’effectifs, ainsi que la mise en place de mesures lourdes à conduire. Or disposez-vous de l’appui de Bercy sur le dossier, monsieur le ministre ? Non !

Demain matin, je présenterai en commission des finances le bleu budgétaire, du moins les éléments dont nous disposons avant l’examen des amendements à venir. M. Valls a promis 279 millions d’euros, mais, en réalité, le budget des programmes 303 et 104, soit ceux qui concernent l’immigration et la lutte contre l’immigration irrégulière, n’évolue pratiquement pas. Lorsque vous annoncez une lutte contre l’immigration irrégulière, vous témoignez certainement d’une volonté du Gouvernement, mais les moyens étant limités ou inexistants, c’est en réalité une politique que l’on ne conduit pas, ou guère.

Dès qu’on parle d’immigration ou d’étrangers, c’est tout juste si l’on n’a pas dit des horreurs ! Le fait de poser le problème ferait pratiquement de nous des extrémistes… Mais le problème s’est toujours posé en France ! Michel Mercier observait que, entre 1945 et 1980, le nombre de textes de loi sur le sujet a été très faible. C’est exact ! C’était l’époque des Trente Glorieuses, et nous disposions d’une grande capacité – économique et sociale – d’intégration. Mais, auparavant, le sujet avait soulevé de très nombreux débats au sein du Parlement français ou dans l’opinion publique.

Les arrivées massives de Polonais, d’Italiens, de Portugais ont été constatées dans des périodes où nous connaissions un déficit démographique par rapport à l’Allemagne et où la volonté était de réarmer notre pays – ce qui n’a rien de déshonorant. À cette époque, on n’a pas considéré que ces personnes, parce qu’elles n’étaient pas françaises depuis douze générations, devaient se voir interdire l’entrée. Ce n’est pas cela le sujet ! Le sujet, c’est qu’un Gouvernement, un État, une communauté ayant le sens, à la fois, de l’histoire et de l’avenir doit s’interroger sur ses moyens d’actions collectives. Jusqu’où pouvons-nous intégrer ?

Loin de moi l’idée d’exclure qui que ce soit ! Je dis simplement ceci : la France de 2015 n’est pas la France de 1975, ni celle de 1930, et encore moins celle de 1890 ! Dès lors, il est évident qu’il nous revient de définir un certain nombre d’éléments.

Oui, mes chers collègues, je propose par voie d’amendement que le plafond des entrées possibles sur le territoire national soit déterminé dans le cadre d’un débat parlementaire. Mais c’est là une des composantes clés de la souveraineté ! L’État est en droit de savoir qui entre sur son territoire et à combien s’établit le nombre d’entrées ! En quoi est-ce scandaleux ou inadmissible ?

Notre rôle est de faire en sorte que les Français, pas de manière fermée, exclusive, rétrécie, sachent comment se construit l’avenir. C’est pourquoi, monsieur le ministre, je dénonce depuis des années au sein de la commission des finances – ses membres pourront en témoigner – l’insuffisance des moyens accordés à l’intégration. Disant cela, je ne fais pas de procès spécifique à la gauche : la situation était identique sous les gouvernements de droite !

Nous passons notre temps à donner des leçons à la terre entière, mais nos gouvernants, par exemple, octroient très peu de moyens à l’apprentissage du français. Comme cela a été souligné précédemment, les apprenants passent du niveau A1 au niveau A2 sans subir aucun examen. Il leur suffit d’avoir suivi les cours du niveau A2 pour qu’on leur dise : « C’est bon pour vous, au revoir et merci ! » Aucun examen final ne vient contrôler qu’ils ont réellement atteint ce niveau !

De la même manière, l’OFII ne dispose pas de moyens financiers pour améliorer les cours. Les moyens sont également réduits s’agissant de l’instruction civique, de l’éducation et de l’assimilation des valeurs républicaines.

« C’est contraire à nos valeurs », dites-vous, monsieur Kaltenbach… Mais inculquons d’abord ces valeurs à ceux que nous accueillons de manière régulière, qui sont intégrés ou à qui nous accordons le statut de réfugié ! Ce n’est pas le cas aujourd'hui !

M. Philippe Kaltenbach. Le texte le prévoit !

M. Roger Karoutchi. Aucun moyen supplémentaire n’est envisagé !

Arrêtons ! La vérité, c’est que certains utilisent effectivement d’une manière politique le terme « immigration », mais que d’autres ont peur de l’employer, parce qu’on ne sait pas ce qu’il recouvre, jusqu’où on peut aller ou si l’on ne va pas en prendre plein la figure. Pourtant, ce devrait être un débat tout à fait classique - Quel plafond ? Dans quelles conditions laisser entrer ou mettre un terme aux entrées ? –, car, en réalité, les mesures prises sous le gouvernement Chirac comme celles qui avaient été arrêtées en 1945 et 1946 étaient liées à la situation économique, sociale et sociétale du pays.

Il est donc clair que la décision nous appartient. Je n’ai pas à juger que telle ou telle mesure est inacceptable. Dès lors qu’elle a été décidée par une majorité du Parlement français, elle est acceptable et s’applique !

Reconnaissons, monsieur le ministre - mais toutes vos interventions montrent que vous en êtes extrêmement conscient –, que notre société est très fragilisée. Je ne dis pas que la faute en revient au Gouvernement. Je vous invite simplement à regarder autour de vous, dans nos quartiers, dans nos zones rurales. Oui, la société française est très fragilisée ! Elle est en difficulté, sous tension ! Il faut accepter de le reconnaître et, sur cette base, définir ensemble quelles sont nos capacités à accueillir une immigration régulière, comment nous limitons cette dernière pour favoriser son intégration, quels moyens supplémentaires nous nous donnons pour garantir la réussite de cette intégration et éviter que des personnes soient régulièrement accueillies dans notre pays ou obtiennent le statut de réfugié, tout en se sentant exclues de la société française.

Je me suis rendu au centre de rétention administrative du Mesnil-Amelot vendredi. Vous observez que nous avons réduit les effectifs de police entre 2007 et 2012, monsieur le ministre. Mais les effectifs policiers de ce centre de rétention n’ont pas cessé de diminuer, chaque année, depuis 2012 !

M. Philippe Bas, président de la commission des lois. C’est vrai !

M. Roger Karoutchi. Peut-être la situation n’est-elle pas la même partout… Dans ce centre, en tout cas, les effectifs ont bien été réduits et les personnels sont découragés, car ils ne sont plus en mesure de traiter les problèmes.

Je ne rejette la faute sur personne ! J’estime juste normal, et je le dis, que nous déterminions ensemble qui peut bénéficier d’un accueil régulier en France. Or nous ne sommes plus dans la même situation que durant les Trente Glorieuses ou au début du XXe siècle, lorsque la France a connu plusieurs années de baisse démographique, et le contexte ne permet plus de s’en tenir simplement aux incantations.

Le problème n’est pas de savoir si l’immigration est une chance, ou n’en est pas une, mais de déterminer dans quelles conditions nous pouvons garantir un accueil correct. En effet, nous accueillons beaucoup de personnes à l’heure actuelle – en situation irrégulière ou pas -, et cela fait naître de la tension au sein de la société. Alors, trouvons un moyen, au vu de la situation économique et sociale de la France, de limiter l’immigration régulière et de bien intégrer ceux qui obtiennent le droit d’asile.

Je ne veux pas pousser mon propos trop loin – j’aurai l’occasion de présenter des amendements dans les 48 heures à venir. Mais vous prétendiez précédemment que le nombre de personnes obtenant le droit d’asile n’évoluait pas énormément. Au premier semestre de 2015, nous en comptabilisons 14 800, soit autant que sur l’ensemble de l’année 2014 ! (M. le ministre proteste.)

Ce chiffre nous a été donné par le directeur de l’OFPRA. Si les personnes que nous consultons ne nous transmettent pas les bons chiffres, cela va devenir difficile… En tout cas, c’est un volume qu’il va bien falloir gérer !

Mes chers collègues, les tensions ne naissent pas de manière surnaturelle. Nous sommes ici pour veiller à ce que la société française ne subisse pas de tensions du fait de ce problème d’immigration, car nous l’aurons traité de manière si responsable que nous aurons évité les propos surréalistes, d’un côté, et les visions angéliques, de l’autre.

Une attitude responsable, des annonces suivies d’effets, pas d’incantations et des moyens financiers suffisants pour mener une véritable lutte contre l’immigration irrégulière et maîtriser l’intégration des immigrés en situation régulière, voilà ce qu’il faut ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, ainsi que sur plusieurs travées de l’UDI-UC.)

Mme la présidente. Mes chers collègues, il est presque minuit. Je vous propose de prolonger notre séance, afin de terminer la discussion générale.

Il n’y a pas d’opposition ?...

Il en est ainsi décidé.

Dans la suite de la discussion générale, la parole est à Mme Natacha Bouchart.

Mme Natacha Bouchart. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, Calais concentre toutes les problématiques les plus cruciales de l’immigration clandestine et fait régulièrement, sur ce sujet, la une de la presse. Vous pouvez vous en rendre compte pratiquement chaque jour.

Je ne vous cache pas ma déception à la lecture du texte issu des travaux de l’Assemblée nationale. À mes yeux, celui-ci ne ferait qu’aggraver le flux migratoire actuel, que nous ne maîtrisons déjà plus, les événements s’étant trop accélérés au cours des dernières semaines. Comment accepter un projet de loi qui donnerait lieu à un appel d’air pour ces milliers, voire ces millions de personnes attendant de passer en Europe depuis l’Afrique et le Moyen-Orient ? Ne vous y trompez pas, je connais la situation dramatique qui pousse ces personnes à fuir leur pays, mais je sais d’expérience que ce n’est pas en assouplissant les règles que l’on trouvera la juste solution.

Ce texte était un contresens ! Comment, en conscience, peut-on encourager l’attractivité de la France pour les migrants, alors que jamais nous n’avons été soumis à une telle pression ? Je le constate chaque jour dans ma ville, cette politique migratoire est un échec !

Monsieur le ministre, avec le projet de loi que le Gouvernement a déposé, vous sonneriez le glas d’une immigration choisie, au profit d’une immigration subie comme une fatalité, face à laquelle on baisse les bras, on se résigne.

J’entends déjà les cris d’orfraie de certains de nos collègues, préférant verser dans l’angélisme au lieu de « parler vrai ». Mais la réalité est qu’on ne peut pas accueillir tout le monde, et j’invite tous ceux qui pensent le contraire à venir à Calais pour comprendre ce que représente, pour un élu, la gestion quotidienne d’une immigration impossible à absorber.

Actuellement, ce sont 4 000 hommes, femmes, enfants – ils étaient près de 3 000 en juin dernier - qui stationnent à Calais, en attendant, pour 90 % d’entre eux, un hypothétique passage en Grande-Bretagne. Ces 4 000 personnes vivent dans des conditions sanitaires qui se sont améliorées, grâce à la mise à disposition d’un centre d’accueil de jour, donnant lieu à une contractualisation entre la ville de Calais et l’État, et financé par ce dernier. Cependant, et malheureusement, à côté, un camp improvisé est devenu un bidonville parce que le Gouvernement, il y a quatorze mois, a refusé son installation en campement provisoire.

Dans cette installation sauvage, nous ne sommes pas capables de dire qui sont ces migrants, d’où ils viennent, par où ils sont passés ni même comment les aider, parce qu’ils ne sont pas identifiés. De plus, pour beaucoup, ils génèrent de la violence et développent des trafics en tout genre, soutenus par des extrémistes No Borders que la justice, de nouveau, laisse faire.

Voilà pourquoi ma conviction et mes valeurs se résument en ceci : l’humanité ne peut pas aller sans la fermeté.

Oui, notre pays doit rester fidèle à sa tradition d’accueil et d’asile ; cela, nous en convenons tous. Mais cet accueil doit se faire au prix de règles que nous fixons et qui, seules, nous permettront d’accueillir des étrangers dans les meilleures conditions.

Parce que, oui, l’humanité c’est aussi être en mesure d’accueillir des immigrés dans des conditions décentes, de leur proposer un toit, un travail, des formations et de les assimiler un jour dans la communauté nationale. Qu’en serait-il avec le texte du Gouvernement, qui, s’il était mis en application, verrait fleurir des « jungles » non plus seulement à Calais, mais en de nombreux points de l’Hexagone ?

Que dire du nombre indécent de morts de migrants ayant pour cause des gestes désespérés, sur le port de Calais ou dans le tunnel sous la Manche ?

Que dire des conséquences sur l’économie locale, qui voit des entreprises fermer et se délocaliser à cause de ce problème ?

Que dire de la montée exponentielle des agressions mettant en cause les migrants ?

Que dire des activistes, qui instrumentalisent ces personnes dans le seul et unique but de nuire à l’ordre public ?

Que dire des réseaux de passeurs, qui se nourrissent de la misère humaine ?

Que dire enfin de l’impuissance des forces de l’ordre, qui ne sont plus en mesure de faire leur travail et chez qui des cas de dépression, voire de suicide ont été constatés ?

Est-ce cela l’humanité de la politique migratoire du Gouvernement ? En tout cas, ce n’est pas ma conception. Ce désastre moral, c’est la conséquence d’un État qui baisse la garde, espérant que les problèmes se résoudront d’eux-mêmes. C’est la conséquence d’une politique européenne construite il y a trente ans et qui est désormais largement dépassée.

Si le projet gouvernemental est finalement adopté, je peux vous l’annoncer, monsieur le ministre, la situation continuera à se dégrader, à Calais comme ailleurs.

Je vous parlais d’humanité, je vais vous parler de son pendant, la fermeté, en revenant sur les problèmes survenus ce week-end à Calais, ceux dont j’ai parlé cet après-midi.

Pourquoi le procureur de la République a-t-il fait savoir qu’il ne poursuivrait pas les vingt-trois personnes interpellées et placées en garde à vue dimanche ? Il justifie sa décision par le fait que ces vingt-trois hommes ne sont pas, à son sens, les instigateurs de cette action. Par ailleurs, le procureur estime qu’il ne serait pas juste de ne poursuivre qu’une partie des personnes coupables.

Je le disais cet après-midi, je le répète ce soir : la coupe est pleine, monsieur le ministre, et c’est à se demander si des instructions n’ont pas été données au parquet, qui se rend complice des manipulations des No Borders, lesquels sont évidemment derrière ces événements. Un tel laxisme est effarant ! Il ne s’agit, ni plus ni moins, que d’une incitation à continuer de tels actes. Allez-y, introduisez-vous illégalement, de toute façon la justice ferme les yeux !

Cette intrusion sur le site d’Eurotunnel a engendré des dégâts matériels importants. Au-delà de ce simple fait, nous parlons ici d’un site sensible pour l’économie franco-britannique. C’est pourquoi j’ai déposé un amendement visant à renforcer la gravité de certaines atteintes aux points d’importance vitale pour la défense nationale et aux sites sensibles pour l’économie du territoire.

Cette attitude du procureur dans l’affaire de l’attaque du site d’Eurotunnel est à mon sens le révélateur du problème auquel nous sommes confrontés : celui de l’abaissement de l’autorité de l’État, qui commence par le laxisme de la justice. Le grand malheur que représente le texte gouvernemental est d’en être la consécration. En effet, comme l’a pointé le rapport de notre collègue François-Noël Buffet, près de quatre clandestins sur cinq ne sont pas expulsés. De même que le procureur de la République renonce à poursuivre ces vingt-trois migrants pris en flagrant délit sur le site d’Eurotunnel, parce que les forces de l’ordre n’ont pu interpeller les quatre-vingt-dix autres coupables, la France renoncerait, suivant la volonté du Gouvernement, à une application réelle et efficace des procédures d’éloignement en oubliant la prééminence de la rétention administrative sur l’assignation à résidence. Les reconduites à la frontière doivent pourtant être non pas une option, mais appliquées de manière systématique.

La première étape pour régler le problème de l’immigration clandestine, c’est bien le rétablissement de l’autorité de l’État, et non pas son abaissement. C’est sur ce point, monsieur le ministre, que le Gouvernement et ma famille politique ont une divergence fondamentale.

Calais, encore une fois, est en l’occurrence un laboratoire pour observer les dysfonctionnements de l’État et comprendre les solutions qu’il faut d’urgence mettre en œuvre. C’est ainsi que nous obtiendrons de la justice et des services de l’État en général qu’ils ne puissent plus se défausser.

Rendre systématique, et non plus occasionnelle, la prise des empreintes digitales pour tous les clandestins, c’est la seule manière de pouvoir les prendre en charge, en ayant un suivi réel des réfugiés, des demandeurs d’asile et des migrants économiques. J’ai d’ailleurs déposé un amendement à cette fin.

De même, il est indispensable de se donner les moyens de déterminer la minorité ou la majorité des personnes, y compris par les données radiologiques de maturité osseuse, pour éviter à des délinquants de se prévaloir des dispositions spécifiques liées à une prétendue minorité.

Mme la présidente. Veuillez conclure !

Mme Natacha Bouchart. Mes valeurs sont claires.

Monsieur le ministre, vous êtes le premier garant de l’État de droit ; si vous ne pouvez commenter les décisions de justice, vous devez imposer une concertation avec Mme Taubira pour activer des réponses pénales systématiques. La limite de l’État de droit, c’est les « tas de droits », comme le disait un excellent juriste. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, ainsi que sur plusieurs travées de l'UDI-UC.)

Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Yves Leconte.

M. Jean-Yves Leconte. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, ce projet de loi est la première réforme importante du CESEDA depuis mai 2012.

Les ambitions du texte issu de l’Assemblée nationale sont essentielles.

Premièrement : améliorer l’accueil par un titre de séjour pluriannuel de quatre ans après une première année de résidence en France. Ce seront moins de tracasseries administratives et moins de files d’attente.

Deuxièmement : conforter notre attractivité en sécurisant par la loi les avancées intervenues depuis 2012 pour tourner définitivement la page de la circulaire Guéant, qui refusait le droit à une première expérience professionnelle en France aux étudiants étrangers.

Troisièmement : sécuriser les droits en clarifiant les rôles des juges administratif et judiciaire et en rétablissant l’intervention du juge des libertés et de la détention, garant constitutionnel des libertés individuelles, à quarante-huit heures de détention au lieu de cinq jours.

Enfin, quatrièmement : mieux lutter contre l’immigration irrégulière en adoptant des mesures opérationnelles visant à l’effectivité de l’action.

Quelques principes doivent d’abord guider ce débat.

L’admission au séjour en France est globalement très stable depuis plusieurs années, cela a été dit à plusieurs reprises. Aussi, contrairement à ce que dit M. Karoutchi, nos marges de manœuvre sont très faibles, sauf à ne plus vouloir accueillir d’étudiants, sauf à refuser à ceux qui vivent en France le droit d’aimer et le droit de vivre en famille.

J’ai vécu vingt ans hors de France.

M. Philippe Bas, président de la commission des lois. Tout s’explique !

M. Jean-Yves Leconte. J’ai quitté en 1990 une république où les inégalités existaient, mais où la lutte contre celles-ci était une constante de l’action politique. J’ai retrouvé en 2011 un pays obsédé par l’origine des gens, où votre point de départ, votre origine, est un poids qui finalement vous reste tout au long de votre vie. Cette différence souligne l’échec de l’intégration au cours des vingt dernières années.

L’intégration passe par le respect de l’altérité plutôt que par une obligation d’assimilation. C’est essentiel, et c’est encore plus indispensable à une époque où chacun peut rester sans difficulté en liaison avec son pays d’origine.

Vouloir faire d’un étranger qui arrive un pré-Français, c’est le meilleur moyen de rater son intégration. Ne pas sécuriser le séjour en France de personnes qui y vivent depuis plus de quinze ans, qui sont parents d’enfants français, c’est le meilleur moyen de sceller un divorce entre cette famille et la France.

Pour être intégré, il faut se sentir libre de vivre et d’aimer en France. C’est comme cela qu’on apprend à vivre en France et c’est comme cela qu’on peut devenir Français. Cette liberté, cette diversité, qui fait notre force, qui marque notre vocation à l’universel depuis 1789, c’est notre identité. C’est un atout aujourd’hui pour la France et pour que la France trouve sa place et sa voix dans un monde global. Cette chance, nous l’avons, ne la gâchons pas !

Notre attractivité est une condition de notre développement économique, de la défense de la francophonie, de la défense de nos valeurs. C’est ce qui nous permet aussi de peser sur les enjeux du monde. Quelle tristesse de voir qu’aujourd’hui la classe moyenne marocaine, si elle un week-end libre, préfère aller à Istanbul plutôt qu’à Paris, pour des raisons de visa ! Quelle tristesse de voir ce continent africain, jeune, réserve de croissance et d’espérance, finalement pour des questions de visa se détourner de la France au moment où notre histoire devrait nous donner un rôle spécifique pour accompagner la croissance de l’Afrique !

Cette attractivité, veillons aussi à ne pas la handicaper par la réduction progressive d’un réseau consulaire qui n’est plus à la mesure de notre pays. Cela commence à devenir un poids.

Enfin, s’agissant de la question européenne, on peut dire deux choses : la politique de séjour reste une prérogative nationale et les visas de court séjour sont une prérogative européenne. Les deux sont liés, on peut passer de l’un à l’autre. Sur ce point, la politique européenne mériterait d’être plus cohérente. La zone Schengen doit continuer à se réformer pour que ces politiques d’immigration soient rendues plus cohérentes.

Ce n’est pas par des déclarations martiales, ce n’est pas par de l’arbitraire des quotas ou des passe-droits qu’on luttera contre l’immigration irrégulière ; c’est en adoptant des critères clairs comme ceux qui ont été indiqués dans la circulaire de Manuel Valls de novembre 2012 sur les régularisations,…

M. Roger Karoutchi. Tu parles !

M. Jean-Yves Leconte. … c’est en limitant les zones grises entre droit et non-droit, qui fragilisent aujourd’hui nombre de personnes, rendant leur intégration impossible et engendrant des frustrations.

Pourtant, le rapport de François-Noël Buffet revient sur de nombreux principes qui ont été affirmés au moment des débats à l’Assemblée nationale et empêchera ce texte d’atteindre les objectifs visés par le Gouvernement et sa majorité.

M. Philippe Bas, président de la commission des lois. C’est l’objectif même du rapport de M. Buffet !

M. Jean-Yves Leconte. C’est profondément préoccupant.

Les amendements de M. Karoutchi font poindre la nostalgie des années Sarkozy. Faut-il les rappeler ? Diviser par deux en cinq ans le nombre de laissez-passer consulaires qui permettaient de réels éloignements ; financer sur fonds publics des réseaux d’immigration – les bus entre la Roumanie et la France – ; remettre en cause la rétention des étrangers, qui a obligé l’adoption d’une loi en urgence à l’automne 2012 ; enfin, des déclarations martiales sur l’immigration, qui devait être contrôlée ; des lois, là encore martiales, avec, derrière, des élus demandant en catimini des régularisations au ministre de l’intérieur, en contradiction avec les lois votées.

Ce n’est pas acceptable sous cette forme. C’est la limitation de la zone grise et le respect des droits qui permettront la lutte contre l’immigration irrégulière et la clarification des choses.

Dans ce débat, au cours des prochains jours, nous nous battrons afin de définir pour la France une politique d’accueil digne de son histoire, pour lui donner les moyens d’intégrer, pour lui donner les forces d’aborder son avenir avec confiance. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain.)

Mme la présidente. La parole est à Mme Colette Giudicelli.

Mme Colette Giudicelli. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, ce projet de loi intervient dans un contexte extrêmement inquiétant : les drames se multiplient aux portes de l’Europe. Nous avons pu le constater lors de plusieurs déplacements avec François-Noël Buffet. Nous nous sommes rendus à Menton, à Calais – où l’action de Natacha Bouchard nous a épatés – et en Sicile, à Catane, plus précisément à Mineo, le plus grand centre d’accueil de réfugiés en Europe, où arrivent des bateaux remplis de migrants qui sont dans un état dramatique. L’un d’eux nous a fait remarquer que les Français avaient beaucoup pleuré en voyant l’image de ce petit garçon échoué sur une plage ; or 600 enfants ont connu le même sort. Ces migrants nous ont raconté des choses insoutenables !

Lors de chacun de nos déplacements, nous avons rencontré les autorités locales et les associations : ce sont elles qui nous ont expliqué la situation. Nous avons acquis la certitude qu’un très grand nombre de migrants économiques se mêlent aux réfugiés politiques. Les passeurs exigent 1 000 euros pour un enfant et 2 000 à 3 000 euros pour un adulte et n’hésitent pas, lorsque la mer est agitée, à jeter les passagers par-dessus bord. Nous pourrons vous en parler plus amplement.

Si un défi gigantesque se présente à la France et à l’Europe pour répondre avec humanité aux situations de détresse, nous devons aussi lutter avec fermeté contre les entrées injustifiées.

Au moment même où les pays européens mettent en place des quotas de réfugiés, nous savons que se développe parallèlement une immigration clandestine forte.

Pour de très nombreuses raisons, un grand nombre de migrants refusent de donner leurs empreintes digitales dans les centres d’accueil, y compris à Catane, car ils doivent ensuite dévoiler leur nom et diverses informations, notamment sur leur pays d’origine, qu’ils porteront sur un badge avec leur photo. Ils ont alors le droit, dans ces centres parfaitement organisés, de chercher de la nourriture, du lait pour les bébés, etc.

Se faire identifier et enregistrer, c’est probablement, pour certains, passer de longs mois d’attente avant que les commissions italiennes d’immigration statuent sur ces demandes d’asile. C’est pourquoi certains mettent un produit particulier sur leurs doigts afin d’effacer totalement leurs empreintes. Ceux-là ne sont pas acceptés dans les centres et doivent partir. (Exclamations sur les travées du groupe socialiste et républicain.)

M. Jean-Yves Leconte. Vous êtes hors sujet !

Mme Colette Giudicelli. Ils sont donc des milliers à quitter les centres d’accueil, préférant devenir des clandestins et se diriger vers le nord de l’Italie.

Le Premier ministre a rappelé en septembre dernier devant les députés que, en huit mois seulement, à Menton et dans les Alpes-Maritimes, 20 450 personnes avaient été interpellées à la frontière. Certes, les contrôles ont été rétablis conformément aux accords de Schengen, mais combien d’autres ont réussi à passer la frontière illégalement ? Nous ne le savons pas.

Monsieur le ministre, j’aurai l’occasion de vous interroger à la fin du mois sur nos craintes de voir se développer des filières d’immigration clandestine pour permettre à de jeunes adultes d’être admis par la France au titre de mineurs isolés étrangers. C’est un problème auquel le département des Alpes-Maritimes est confronté, comme d’autres départements d’ailleurs : les accords de Schengen ne permettent pas la reconduite à la frontière de ces jeunes mineurs isolés dont le coût pour l’aide sociale des départements explose.

Dans un contexte général extrêmement préoccupant, la lutte contre l’immigration clandestine devrait vraiment être une priorité européenne. Certes, l’Europe finance cette lutte avec Frontex et l’opération Triton de contrôle de l’immigration depuis la Libye, mais ces dispositifs, à l’évidence, ne sont pas suffisants.

Les conditions ont changé, et le texte du Gouvernement ne me semble pas à la hauteur des enjeux.

Les étrangers, qu’ils soient en situation régulière ou irrégulière, doivent être traités dignement et humainement. Cela ne signifie pas pour autant laxisme et faiblesse.

Dans le cadre de cette lutte contre l’immigration irrégulière, l’idée de limiter le recours à la rétention administrative et de donner une priorité à l’assignation à résidence me semble peu réaliste, même si cette démarche s’inscrit incontestablement dans le cadre des recommandations de la directive européenne. Je doute qu’un tel dispositif puisse permettre la reconduite à la frontière.

Concernant le droit d’asile, je m’interroge : que sont devenus les 50 000 déboutés du droit d’asile ? Selon le rapport des missions de l’Inspection générale des finances et de l’Inspection générale des affaires sociales, moins de 5 % des demandeurs d’asile déboutés feraient l’objet d’une décision d’éloignement. Selon la Cour des comptes, seulement 1 % des déboutés sont effectivement éloignés. J’apprécie évidemment que M. le rapporteur ait réintroduit, comme il l’avait fait dans le texte sur le droit d’asile, qu’une décision de refus du droit d’asile se traduise automatiquement par une obligation de quitter le territoire français.

Il est également important de réduire les avantages dont bénéficient les étrangers en situation irrégulière. Nous craignons la poursuite de l’augmentation des dépenses non maîtrisées de l’aide médicale de l’État dans notre pays. Il est aussi indispensable de maintenir les conditions de placement et de maintien dans des centres de rétention administrative. De la même manière, il nous semble urgent de supprimer la circulaire du 28 novembre 2012, qui assouplit les critères de régularisation des sans-papiers.

En conclusion, je suis persuadée qu’il est possible de mettre en œuvre une véritable politique d’immigration humaine, mais cette politique doit aussi être volontaire et ferme. Je me félicite que le texte, tel qu’il ressort des travaux de la commission des lois, corresponde à la nécessité de lutter de manière effective contre l’immigration irrégulière. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, ainsi que sur plusieurs travées de l'UDI-UC.)

Mme la présidente. La parole est à Mme Catherine Tasca.

Mme Catherine Tasca. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, après la réforme du droit d’asile, ce projet de loi est le second volet d’une réforme d’ampleur visant à moderniser notre politique migratoire en la rendant plus efficace et plus humaine.

Le sujet est brûlant après les trop nombreux drames survenus notamment en mer qui ont suscité l’émoi du monde entier. Mais un émoi a posteriori ne répare rien s’il n’est suivi d’une action déterminée. C’est pourquoi je tiens à saluer l’action du Président de la République et du Gouvernement pour leur réactivité dans cette crise.

Le présent projet de loi traite du droit au séjour, avec pour triple ambition de sécuriser le parcours d’intégration des étrangers séjournant régulièrement en France, de renforcer l’attractivité de la France au niveau international et de lutter plus efficacement contre l’immigration irrégulière. Sur ce dernier point, le Gouvernement présente déjà un bilan satisfaisant – quoi qu’en disent certains –, comme vous l’avez souligné lors de votre audition devant la commission des lois, monsieur le ministre, et ainsi que vous venez de le rappeler, avec une hausse de 13 % des éloignements contraints entre 2012 et 2015.

Les accusations de « gauche immigrationniste » lancées par certains sont infondées et démagogiques. Ce texte vise à rendre plus efficace la lutte contre l’immigration irrégulière, notamment avec des délais réduits à quinze jours et des modalités procédurales adaptées s’agissant des recours contre des mesures d’obligation de quitter le territoire français non consécutives à un refus de délivrance de titre de séjour, dont les OQTF prises envers les déboutés du droit d’asile.

L’interdiction de retour sur le territoire est généralisée lorsqu’aucun délai de départ volontaire n’a été accordé à l’étranger ou lorsque l’étranger n’a pas satisfait à cette obligation dans le délai imparti.

En contrepartie, et dans le respect des droits des migrants, priorité est donnée à l’assignation à résidence plutôt qu’au placement en rétention, qui, lui, est conditionné à l’absence de garanties de représentation effectives propres à prévenir le risque de soustraction à la mesure d’éloignement. L’Assemblée nationale est même allée plus loin en inscrivant dans la loi l’engagement de campagne de François Hollande visant à rendre quasiment impossible le placement en rétention des mineurs.

En corollaire, le texte consacre une adaptation des pouvoirs des forces de l’ordre en cas de non-respect de ses obligations par la personne assignée à résidence. On voit bien là la recherche d’équilibre entre le respect des droits des étrangers et la nécessité de ne pas « impuissanter » ceux qui ont la charge de faire respecter la loi et donc de lutter efficacement contre l’immigration irrégulière.

Ce projet de loi ne se limite pas à ce seul volet. Il vise aussi à faciliter les démarches pour les étrangers séjournant régulièrement sur le territoire afin de renforcer l’attractivité de notre pays.

La grande avancée est la création de la carte de séjour pluriannuelle de quatre ans délivrée après un premier titre de séjour d’un an, évitant ainsi les démarches fastidieuses, les files d’attente chaque année en préfecture qui se révèlent contraignantes, parfois humiliantes et en tout cas « insécurisantes ».

Parallèlement est mis en place un système légitime de contrôle pendant la durée de validité du titre de séjour afin de vérifier que l’étranger continue de remplir les conditions pour bénéficier de la carte pluriannuelle. À juste raison, l’Assemblée nationale a pris soin d’encadrer le droit de communication dont dispose l’administration pour procéder à ce contrôle.

Est également créée une carte de séjour pluriannuelle « passeport talent », délivrée dès la première admission au séjour pour les étrangers qui apportent une contribution au développement et au rayonnement de la France, mais aussi pour leur famille.

Dans le même esprit, une autorisation provisoire de séjour est délivrée aux étudiants diplômés en France au niveau master et justifiant d’un projet de création d’entreprise. La situation des étudiants mérite une attention particulière, dont traitera ma collègue Dominique Gillot.

C’est donc un projet de loi cohérent que nous présente le Gouvernement, pour lutter contre l’immigration illégale, favoriser le séjour des étrangers en situation régulière et attirer les talents étrangers dans notre pays, un texte qui a gagné en équilibre lors de son passage à l’Assemblée nationale.

Je tiens à saluer la qualité du travail du rapporteur François-Noël Buffet, mais le texte adopté par la majorité de droite de la commission des lois du Sénat brise, hélas ! cet équilibre, en complexifiant les procédures pour les étrangers en situation régulière, notamment en supprimant toute délivrance de plein droit de certains titres de séjour, comme celle de la carte de résident permanent au bout de deux renouvellements de la carte de résident, ou encore en rendant, à l’article 13 septies, le regroupement familial plus difficile, l’étranger séjournant régulièrement en France devant attendre vingt-quatre mois, contre dix-huit actuellement, avant de pouvoir demander que sa famille le rejoigne. Cela va clairement à contre-courant d’un droit communément admis et considéré comme acquis.

Mme la présidente. Il vous faut conclure, madame Tasca !

Mme Catherine Tasca. Les mesures préconisées par la majorité de droite au sein de la commission des lois cèdent à l’évidence à une certaine idéologie et à la démagogie. Elles ajoutent aux tracas de la vie des étrangers résidant régulièrement France. Elles ne peuvent être vécues par eux que comme un recul de leurs droits et, j’oserais dire, comme des brimades et l’expression d’un rejet.

Ce ne sont pas les étrangers en situation irrégulière qui sont concernés par ces mesures.

Ceux qui, par idéologie ou pour des raisons politiciennes, veulent rendre les conditions de leur séjour dissuasives et difficilement supportables sont à contre-courant de l’esprit de ce texte et ne rendent pas service à la France. Ils sont plutôt inspirés par des pressions démagogiques et une volonté systématique de contrer le Gouvernement et le Président de la République.

Mme la présidente. Je vous demande de conclure, ma chère collègue !

Mme Catherine Tasca. Nous attendons beaucoup mieux de ce débat afin qu’il fasse évoluer le regard de nos concitoyens sur l’étranger parmi nous.

Nous soutenons le texte du Gouvernement issu de l’Assemblée nationale, car il traduit vraiment l’intérêt général. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain.)

Mme la présidente. La parole est à Mme Dominique Gillot.

Mme Dominique Gillot. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, je tiens avant tout à remercier le Gouvernement de proposer à la représentation nationale ce texte, attendu par nombre d’entre nous, qui connaissons l’insécurité des parcours des ressortissants étrangers sur le territoire français.

La politique migratoire fait l’objet d’approches manichéennes et caricaturales. Cela s’inscrit dans une stratégie de dénigrement et de fuite en avant, dont les ressortissants étrangers, quel que soit leur statut, sont les victimes. De surcroît, elles nourrissent un sentiment xénophobe grandissant.

D’aucuns ont déjà dit que le moment était mal choisi – surenchère politique, afflux de réfugiés, pression migratoire, période électorale, etc. De longue date, la France a fait appel à la main-d’œuvre étrangère pour le développement industriel. Mais lorsque, aux phases d’expansion économique et d’ouverture des frontières, succèdent des périodes de crise, nous subissons le retour de la xénophobie et l’incantation à la « maîtrise » de l’immigration, comme l’a tristement fait la commission des lois, durcissant et rétrécissant la portée du présent texte,…

M. Philippe Kaltenbach. C’est vrai !

Mme Dominique Gillot. … qui répond pourtant à une nécessité sociale, économique et humaine et à un engagement du Président de la République.

M. Roger Karoutchi. Là n’est pas la question !

Mme Dominique Gillot. Les enjeux liés à l’immigration sont trop importants pour être abordés de manière aussi dogmatique et politicienne.

Monsieur le ministre, vous avez donc travaillé à partir de constats objectifs, pour proposer, sereinement, de façon équilibrée, une législation mieux adaptée et une plus grande clarté des procédures. C’est la meilleure défense face à ceux qui voudraient convoquer les instincts primaires pour jeter cette histoire nationale dans le creuset du populisme.

Mon engagement, traduit en 2013 par une proposition de loi relative à l’attractivité universitaire de la France, est connu. Cette proposition de loi, qui comportait six articles, a été introduite en partie dans la loi pour l’enseignement supérieur et la recherche de juillet 2013, et je me réjouis que le présent texte contienne des dispositions que j’avais formulées et que Matthias Fekl a soutenues dans son rapport remis au Premier ministre le 14 mai 2013.

Facteurs majeurs de l’économie de la connaissance et de l’innovation, le savoir et le capital humain sont un enjeu central de la compétition globalisée. Les universités doivent attirer les meilleurs étudiants et les meilleurs chercheurs pour constituer les meilleures équipes.

M. Guy-Dominique Kennel, rapporteur pour avis. Ce n’est malheureusement plus le cas dans les faits !

Mme Dominique Gillot. C’est ainsi que se construit la connaissance aujourd’hui. C’est ainsi que se forge une humanité dont notre continent a bien besoin.

L’enseignement supérieur contribue à la politique d’influence des États, à la diffusion de leurs idées, de leur langue, de leur culture et de leurs valeurs à travers le monde.

Au gré des différentes majorités, des initiatives ont voulu favoriser la venue d’étudiants étrangers. Je songe par exemple à la création, le 27 juillet 2010, d’un opérateur unique, Campus France, destiné à promouvoir les formations françaises à l’étranger, à faciliter la sélection des étudiants internationaux et à gérer l’ensemble de leur accueil. Cette initiative a néanmoins été brouillée par la circulaire Guéant du 31 mai 2011, qui a largement abîmé l’image de la France à l’étranger, détournant de brillants étudiants, notamment francophones, vers d’autres destinations.

Mme Dominique Gillot. Apparaissait alors l’hésitation entre la volonté d’accueillir les meilleurs éléments et l’obsession du « risque migratoire » ; entre la volonté de tirer parti des compétences acquises et l’affirmation que l’étudiant étranger avait vocation à rentrer dans son pays sitôt sa formation terminée ; entre l’intéressant retour économique sur investissement académique et l’opposition du marché de l’emploi au jeune diplômé candidat à une expérience professionnelle. Ainsi, en 2010-2011, la France était reléguée au quatrième rang mondial des pays d’accueil des étudiants étrangers, devancée par l’Australie !

L’abrogation de cette circulaire et son remplacement par de nouvelles dispositions ont permis de rétablir progressivement l’image de notre pays. Mais il reste beaucoup à faire pour assurer la considération que l’on doit à ces étrangers, qui deviennent, après leur séjour en France, nos meilleurs ambassadeurs. L’article 11 du présent texte y contribuera sans aucun doute.

La complexité des parcours administratifs, le caractère souvent dégradé des conditions d’accueil, l’installation d’un climat de suspicion généralisée à l’égard de ceux qui sollicitent une admission ont des conséquences défavorables sur l’attractivité de la France au niveau international.

Instaurer sous conditions précises la carte de séjour pluriannuelle pour les étudiants en licence évitera les multiples passages en préfecture, vécus de façon vexatoire, comme un frein à la réussite et à l’intégration. Toutefois, je présenterai un amendement tendant à ce que le redoublement ne soit pas un obstacle au renouvellement du contrat personnalisé d’accueil.

L’adéquation entre la durée de validité de la carte de séjour et le cursus d’enseignement simplifie et sécurise le séjour des étudiants. De même, la clarification du changement de statut, pour les étudiants titulaires d’un master qui accèdent à un emploi ou créent une entreprise, sert les intérêts de la France et correspond à la réalité que vivent aujourd’hui les étudiants de toutes nationalités, pour qui l’essor économique n’a pas de frontières.

Mme la présidente. Veuillez conclure, chère collègue.

Mme Dominique Gillot. L’échec patent qu’a connu la mise en œuvre de la carte « compétence et talent » en juillet 2006, dont l’idée était positive mais inadaptée aux publics visés, est symbolique des errements de la précédente politique migratoire.

La création d’un « passeport talent », carte de séjour unique et pluriannuelle pour tous les talents étrangers, restaurera l’image de la France et sa volonté d’accueil, en stimulant la créativité, l’innovation et les échanges de savoir universel. Ainsi, notre politique d’accueil va gagner en cohérence, sortir d’une logique suspicieuse en vertu de laquelle seuls quelques rares privilégiés, sélectionnés sur la base de critères discutables, méritaient jusqu’alors d’être traités favorablement.

Monsieur le ministre, chers collègues, la France ne doit pas être refermée sur elle-même. Nous devons accueillir les talents, la création, l’excellence, les amoureux de la France. Il n’y a pas d’immigration subie, et il y a beaucoup d’avantages à mettre en œuvre ces nouveaux dispositifs d’accueil plus personnalisés. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain.)

Mme la présidente. La parole est à M. le ministre.

M. Bernard Cazeneuve, ministre. Je vais répondre de manière globale aux orateurs et, par la même occasion, faire un certain nombre de mises au point.

Les représentants de l’opposition ont, je le comprends, intérêt à tenir le discours suivant : le contexte a changé, le texte qui nous est présenté n’est donc plus pertinent. Avec plus ou moins de véhémence ou de pugnacité, ils aboutissent en creux à cette conclusion : le Gouvernement mène une politique laxiste,…

M. Guy-Dominique Kennel, rapporteur pour avis. C’est bien ça !

M. Bernard Cazeneuve, ministre. … qui n’est pas à la hauteur en termes de moyens et d’ambitions. Ces interpellations sont au cœur du débat, et je me dois d’y répondre.

Les orateurs de l’opposition insistent sur le fait que le contexte a changé et qu’il faut en tenir compte. Mais c’est précisément ce que nous faisons ! Nous avons même anticipé la dégradation de la situation.

Je l’ai dit en concluant mon propos liminaire, je souhaite que, sur ce sujet, nous parvenions à trouver les conditions d’un consensus.

M. Philippe Kaltenbach. Ça risque d’être difficile…

M. Bernard Cazeneuve, ministre. Aussi, c’est sans aucun esprit polémique que je le rappelle : une crise migratoire a déjà eu lieu en 2011. Lorsque la situation de la Tunisie s’est subitement dégradée, on a assisté, à Lampedusa, à une arrivée massive de migrants.

Je le demande aux représentants de l’opposition : à ce moment-là, quelles dispositions ont été prises pour conforter les moyens des forces de l’ordre et les moyens d’accueil des demandeurs d’asile, notamment en termes de places au sein des centres d’accueil pour demandeurs d’asile, les CADA, pour que la France puisse être à la hauteur de sa réputation et de l’enjeu migratoire ? Combien de postes avez-vous créés au sein de l’OFII et de l’OFPRA pour que les dossiers des demandeurs d’asile soient traités dans des conditions dignes ?

M. Guy-Dominique Kennel, rapporteur pour avis. Vous ne faites que regarder dans le rétroviseur !

M. Bernard Cazeneuve, ministre. À l’époque où vous étiez aux responsabilités, les demandes d’asile doublaient, et, bien sûr, la politique et les flux migratoires étaient totalement maîtrisés... Depuis que nous sommes aux affaires, les demandes d’asile sont stables, et nous serions dans le laxisme absolu…

Qu’il s’agisse des effectifs des forces de l’ordre – vous y avez supprimé 13 000 postes –, des flux migratoires, de l’évolution de la demande d’asile, des moyens donnés à l’OFPRA ou à l’OFII, du nombre de places à créer en CADA, on constate que le travail n’a pas été fait à l’époque où vous étiez aux responsabilités.

M. Guy-Dominique Kennel, rapporteur pour avis. Faites mieux ! Personne ne vous en empêche.

M. Bernard Cazeneuve, ministre. Pour notre part, nous agissons par anticipation. Nous créons 18 500 places en CADA. Nous augmentons de près de 200 le nombre des personnels affectés à l’OFPRA, à l’OFII et aux préfectures, pour mettre en place le guichet unique. Sur la durée du quinquennat, nous créons 5 500 postes au sein des forces de police et de gendarmerie, dont 900 sont spécifiquement affectés aux forces de sécurité destinées à faire face aux flux migratoires.

Ainsi, nous corrigeons bien des manquements d’une politique passée. Et il faudrait que nous soyons, à l’instant, en situation de rendre des comptes sur des flux qui n’ont ni la même intensité ni la même nature qu’auparavant, ou sur les politiques publiques menées, comme si nous étions coupables ?

À un moment ou un autre, la réalité doit être regardée pour ce qu’elle est, et il faut la rappeler. En effet, l’abaissement politicien n’est pas possible en tout point.

M. Roger Karoutchi. Pas trop de leçons !

M. Bernard Cazeneuve, ministre. Ce soir, j’ai entendu un certain nombre de propos qui méritent des précisions.

M. Roger Karoutchi. Des précisions, mais pas de leçons !

M. Bernard Cazeneuve, ministre. Monsieur le rapporteur, vous relevez que le taux d’exécution des OQTF est de l’ordre de 20 % quelle que soit la période et que la proportion des reconduites à la frontière n’a pas augmenté. Vous en déduisez que des efforts supplémentaires n’ont pas été accomplis.

Toutefois, je vous répète ce que j’ai dit en ouvrant cette discussion générale : dans ces 20 %, vous incluez des cas qui n’ont pas vocation à être pris en compte, parce que ce sont de fausses reconduites. Lorsqu’on paie 1 000 euros un migrant européen pour retourner dans son pays, par exemple la Roumanie ou la Bulgarie, on peut considérer que l’on mène une bonne politique migratoire, que l’on accomplit un effort considérable au titre des reconduites à la frontière. Pour ma part, j’appelle cela une politique de gribouille !

De même, lorsqu’on impose des « OQTF flash » à des migrants irréguliers qui repartent d’eux-mêmes, dans le seul but de faire du chiffre, on peut parler de volonté politique. Pour ma part, j’appelle cela de la gonflette statistique.

M. Bernard Cazeneuve, ministre. Puisque vous souhaitez obtenir des chiffres précis, je vais vous les communiquer. Ils figurent dans les tableaux que vous avez évoqués.

On a dénombré 13 908 éloignements forcés en 2009, 12 034 en 2010, 12 547 en 2011, 13 386 en 2012, 14 076 en 2013, 15 161 en 2014. Et, en 2015, nous serons à 17 000 !

Je veux bien que l’on fasse des commentaires quant à la détermination du Gouvernement à lutter contre l’immigration irrégulière, mais, en l’occurrence, j’y oppose des résultats.

M. François-Noël Buffet, rapporteur. Tout cela n’est pas très convaincant…

M. Philippe Kaltenbach. Les chiffres parlent d’eux-mêmes !

M. Roger Karoutchi. Ils ne disent rien !

M. Bernard Cazeneuve, ministre. À présent, je tiens à dire un mot de Calais.

Au cours des derniers mois, je me suis rendu régulièrement dans cette ville, et ce dans le cadre d’une stratégie. Je comprends que les élections régionales approchent et que la politique puisse s’emparer du sujet de Calais. Toutefois, madame Bouchard, je tiens à préciser certains points que vous n’avez pas relevés, ce que je regrette, compte tenu de la disponibilité dont j’ai fait preuve à l’égard de votre ville et eu égard à la confiance qui a présidé à nos relations jusqu’à présent. Je vais apporter des éléments extrêmement précis.

Premièrement, vous affirmez que le Gouvernement n’a pas de détermination à procéder, à Calais, à la lutte contre l’immigration irrégulière. Vous assurez que le laxisme est partout. C’est faux ! Pourquoi ? Parce que, depuis le début de l’année 2015 – et, en la matière, les résultats sont au même niveau qu’en 2014 –, nous avons démantelé à Calais trente filières de l’immigration irrégulière, ce qui représente près de 750 personnes.

J’ai déployé, à Calais, 550 personnels de police supplémentaires, représentant 7,5 unités de forces mobiles. À la fin de la semaine dernière, compte tenu de la situation que vous avez rappelée, j’y ai ajouté des forces mobiles supplémentaires. Aussi, je tiens à remercier les policiers du travail qu’ils accomplissent, à saluer l’action qu’ils mènent contre l’immigration irrégulière. Eu égard à ma responsabilité de ministre de l’intérieur, plutôt que d’évoquer le laxisme de l’État, je préfère rendre hommage à leur action.

Madame la sénatrice, si les forces de l’ordre agissent, ce n’est pas parce que vous leur avez donné des directives.

Mme Natacha Bouchart. Et la justice ?

M. Bernard Cazeneuve, ministre. C’est moi qui leur ai donné des instructions de lutte contre l’immigration irrégulière.

M. Guy-Dominique Kennel, rapporteur pour avis. Bref, tout est magnifique…

M. Bernard Cazeneuve, ministre. Deuxièmement, vous auriez pu indiquer que, depuis le début de l’année 2015, nous avons reconduit à la frontière 1 600 migrants en situation irrégulière à partir de Calais. Ce chiffre n’a cessé d’augmenter depuis 2012. Pourquoi ne pas le dire ?

Il y a quelques instants, vous avez assuré à cette tribune que l’État vous avait abandonnée au sujet de la lande de Calais et que, si cette lande était ce qu’elle est aujourd’hui, c’était la responsabilité de l’État.

Mme Natacha Bouchart. C’est vrai !

M. Bernard Cazeneuve, ministre. Pourquoi n’avez-vous pas précisé que, si la lande a été occupée par des migrants, c’est parce que vous m’avez demandé d’assurer l’évacuation maîtrisée des squats du centre-ville de Calais ? Vous m’avez vous-même demandé que l’on procède à l’installation des migrants dans la lande pour éviter des nuisances en centre-ville. Vous en êtes convenue avec moi, et vous saviez parfaitement que nous procéderions à l’aménagement de la lande.

À ce titre, voici les montants investis par l’État à Calais : pour le centre Jules-Ferry, l’État a mobilisé 12 millions d’euros avec l’Union européenne. À la lande – M. le Premier ministre et moi-même l’avons annoncé, vous ne pouvez pas le nier –, nous allons consacrer 18 millions d’euros. Nous allons créer des conditions d’hébergement pour une première tranche de 1 500 migrants.

M. Guy-Dominique Kennel, rapporteur pour avis. C’est ce qui s’appelle prendre de la hauteur…

M. Bernard Cazeneuve, ministre. Les 2 000 places qui seront créées avant la fin de l’année en CADA pour accueillir les demandeurs d’asile à partir de Calais représenteront, quant à elles, 14 millions d’euros.

Vous déclarez que l’État vous abandonne, alors même que l’État investit à Calais 44 millions d’euros.

J’aurais pu avoir un tout autre comportement : celui, du reste, qu’a eu Nicolas Sarkozy à l’époque où il a procédé à l’évacuation de Sangatte, en 2002. J’étais alors maire de Cherbourg. J’aurais pu vous dire : vous souhaitez assurer un accueil humanitaire de jour au sein du centre Jules-Ferry ? Vous allez créer un appel d’air. Vous en porterez seule la responsabilité. L’État ne s’en mêlera pas, et il ne vous accordera pas un euro de soutien.

Aujourd’hui, je serais à cette tribune en train de vous dire que vous portez la responsabilité de l’appel d’air à Calais. Cela n’aurait pas été très digne sur le plan humanitaire ni sur le plan politique. Considérer que, parce que vous étiez dans l’opposition, vous méritiez que l’on vous traite de cette manière aurait témoigné d’un certain sectarisme et d’une manière bien politicienne d’agir. Ce n’est pas ce que j’ai fait !

Malgré vos déclarations à cette tribune, je tiens à dire aux Calaisiens, aux organisations non gouvernementales qui agissent et à vous-même que je ne change pas de position et que je n’ai pas l’intention de renoncer à un comportement correct sous prétexte d’échéances électorales.

Mme Natacha Bouchart. Ces échéances n’ont rien à voir avec la situation !

M. Bernard Cazeneuve, ministre. Je vous affirme que je continuerai à tenir mes engagements. L’État continuera à affecter des moyens à Calais, en particulier des forces de l’ordre ; l’État continuera à agir sur le plan humanitaire, dans un contexte dont vous savez mieux que quiconque – vous me l’avez souvent dit – qu’il est extrêmement difficile ; l’État continuera à créer des places en CADA afin que les demandeurs d’asile de Calais puissent en être éloignés et être hébergés dans des conditions dignes. Cette politique est dictée par des considérations de nature humanitaire et non politique !

Enfin, vous affirmez à cette tribune que le projet de loi qui est présenté ici est de nature à aggraver la situation à Calais. Je voudrais que vous citiez une seule mesure susceptible d’avoir cet effet. S’agit-il de ce que nous allons faire en matière de clarification des compétences entre le juge judiciaire et le juge administratif afin de faciliter les éloignements ? De la mise en place de l’assignation à résidence, qui est précisément destinée à créer des conditions dignes d’éloignement, plutôt que de la rétention, pour un meilleur accompagnement des familles ? De ce que nous faisons pour renforcer les forces de l’ordre ? De ce que nous faisons pour augmenter les moyens de l’OFPRA ? Considérez-vous que tout cela soit de nature à nuire à Calais, alors qu’il n’y a pas d’autres solutions ?

Dans mon propos introductif, j’appelais de mes vœux, sincèrement et du fond du cœur, que ces sujets ne soient pas préemptés politiquement, pour des raisons que l’on comprend et qui tiennent au calendrier.

Mme Natacha Bouchart. Ce n’est pas le cas !

M. Bernard Cazeneuve, ministre. Je souhaitais que des hommes et des femmes de sensibilités politiques différentes regardent les problèmes en face et essaient de les traiter sincèrement, ensemble, en dehors de toute considération politique. C’est ce que je continuerai à faire, même si vous tenez ce discours à cette tribune !

Dans le camp de Calais, il y a des femmes et des hommes en situation d’extrême détresse, et vous le savez mieux que quiconque, puisque vous y êtes tous les jours. Ce n’est pas mon cas, mais je me tiens informé quotidiennement, vous le savez, y compris par les textos que vous m’envoyez.

Tout cela relève d’un procédé qui n’est pas acceptable. Vous savez parfaitement ma disponibilité, vous l’avez vous-même souvent reconnue. Faire cela à la tribune du Sénat ce soir, ce n’est pas convenable, compte tenu de ce qu’est l’engagement de l’État à Calais, que j’ai l’intention de maintenir et d’intensifier. Je ne ferai jamais de la politique de cette manière ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

Mme Natacha Bouchart. La justice n’existe pas à Calais !

Mme la présidente. La discussion générale est close.

La suite de la discussion est renvoyée à la prochaine séance.

Discussion générale (début)
Dossier législatif : projet de loi relatif au droit des étrangers en France
Discussion générale (suite)

10

Ordre du jour

Mme la présidente. Voici quel sera l’ordre du jour de la prochaine séance publique, précédemment fixée à aujourd’hui, mercredi 7 octobre 2015, à quatorze heures trente, le soir et la nuit :

Suite du projet de loi, adopté par l’Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, relatif au droit des étrangers en France (n° 655, 2014-2015) ;

Rapport de M. François-Noël Buffet, fait au nom de la commission des lois (n° 716, 2014-2015) ;

Texte de la commission (n° 717, 2014-2015) ;

Avis de M. Guy-Dominique Kennel, fait au nom de la commission de la culture, de l’éducation et de la communication (n° 2, 2015-2016).

Personne ne demande la parole ?…

La séance est levée.

(La séance est levée le mercredi 7 octobre 2015, à zéro heure cinquante.)

Le Directeur du Compte rendu intégral

FRANÇOISE WIART