M. Alain Vasselle. Ce n’est pas une référence !

M. Alain Milon, corapporteur. … l’une des premières ministres de la santé à soumettre cette proposition, avant de la retirer aussi rapidement, ce qui fut selon moi un tort, dans la mesure où une telle expérience sur le sujet aurait pu être extrêmement intéressante.

Si on ne fait rien pour les toxicomanes, ils continueront de se droguer sans entrer en contact avec personne, n’importe où et dans des conditions de salubrité qui sont loin d’être exemplaires. En mettant ces salles à leur disposition, ils pourront rencontrer des équipes médicales spécialisées, conformément au vœu de la commission des affaires sociales d’adosser ces lieux à des structures existantes ou de les installer à l’intérieur d’hôpitaux.

Mme Annie David. Tout à fait !

M. Alain Milon, corapporteur. Certains amendements visent même à faire en sorte que le maire de la commune concernée, ou le maire de quartier à Paris, Lyon ou Marseille, soit prévenu, voire qu’il donne son accord, sans que son avis soit décisif pour autant.

Si nous permettons aux toxicomanes de rencontrer dans ce genre d’endroits des spécialistes, en particulier des addictologues, qui pourront peut-être les prendre en charge et les aider à sortir de la drogue, nous aurons fait un progrès considérable.

Honnêtement, les voisins des centres hospitaliers seront peut-être gênés par l’arrivée prétendument massive de ces drogués, mais aujourd’hui, ce sont d’autres riverains qui subissent les nuisances là où se fait le trafic de drogue.

Mes chers collègues, qu’il y ait un seul toxicomane par hôpital, sur l’ensemble du territoire national, qui soit sauvé de la drogue, et la création de ces salles sera largement justifiée ! Si vous en sauvez dix, vous aurez accompli une action humanitaire extrêmement importante. Néanmoins, si vous laissez ces personnes se droguer dans les rues dans des conditions sanitaires déplorables, vous n’en sauverez aucun. Notre action en matière de santé consiste, je le répète, à faire en sorte que les spécialistes de l’addictologie puissent, avec les psychiatres, les sortir de là.

Il s’agit simplement d’une expérimentation : permettez que, dans six mois, on en établisse le bilan. Vous serez alors consultés de nouveau.

Si l’on a constaté que, dans ces salles de shoot, sont arrivés des dizaines de millions de drogués vivant sur le territoire national, ce qui à mon avis ne sera pas le cas, on reviendra sur le sujet. Si au contraire, à l’issue de ce délai, on se rend compte que, hormis ceux qui auront eu peur du rendez-vous médical, du contrôle policier et de l’obligation de justifier de leur identité, les toxicomanes ayant rencontré des médecins font l’objet d’un suivi médical, essaient de sortir de la drogue et y parviennent, alors l’expérimentation sera un succès.

Si l’on s’aperçoit en revanche qu’aucune personne enfermée dans la drogue n’en sort et que c’est la chienlit complète, ce sera un échec. La ministre le constatera, nous l’imiterons et nous nous en tiendrons là. Toutefois, permettez au moins que l’on procède à cet essai, dont les effets seront à mon avis tout à fait positifs.

Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?

Mme Marisol Touraine, ministre. Il est important de resituer la place que nous entendons donner à cette expérimentation, car c’est bien de cela qu’il s’agit, de salles de consommation supervisée.

Certains de nos concitoyens se droguent, et nous avons mis en place des politiques de réduction des risques – nous en avons évoqué certaines auparavant –, qui se diversifient. Budgétairement, nous accompagnons ces politiques de prévention avec des engagements financiers tout à fait significatifs : 600 millions d’euros environ entre la sécurité sociale et l’État pour la prévention et l’accompagnement.

Cependant, nous constatons chez nous, comme d’autres pays l’ont fait avant nous, que des usagers de drogues sont totalement marginalisés et échappent, si j’ose dire, à toutes les politiques qui ont été mises en place, dont certaines ont cours actuellement. Ce sont souvent, mais pas toujours, des personnes qui vivent dans la rue, qui se trouvent dans une situation d’extrême précarité sociale et sanitaire et qui se livrent à des injections de drogue, de jour comme de nuit, dans des lieux publics, souvent les parcs et les escaliers de gares, au vu et au su de tous.

Nous sommes donc face à un double enjeu, à la fois de sécurité sanitaire pour ces personnes et d’ordre public pour l’ensemble de la communauté, principalement urbaine, puisque c’est dans les villes que ces concentrations ont lieu.

Des politiques en ce sens ont cours ailleurs en Europe et dans le monde depuis plusieurs décennies : quelque 39 villes européennes ont d’ores et déjà mis en place des salles de consommation à moindre risque. Les résultats sont au rendez-vous.

Pour notre part, nous proposons d’expérimenter dans des communes qui sont candidates pour cela. Il ne s’agit pas d’imposer à qui que ce soit l’installation de ces salles. D’ailleurs, deux communes se sont publiquement portées candidates, Paris et Marseille. Je ne dis rien des autres, car des réflexions se sont engagées ailleurs, indépendamment de la couleur politique des villes concernées.

En Espagne, par exemple – cette situation est néanmoins observée dans tous les pays voisins –, le premier résultat d’une telle expérimentation a consisté en une diminution significative des décès par overdose, ce qui représente un enjeu sanitaire très important : le taux de décès par overdose est passé de 1 830 en 1991 à quelque 770 en 2008. Les résultats sont à peu près équivalents pour la Norvège ou les Pays-Bas.

Par ailleurs, nous constatons dans l’ensemble de ces pays que la mise en place de salles de consommation s’est accompagnée d’une réduction très forte – à peu près de moitié, parfois un peu plus –, du taux annuel de nouvelles infections par le VIH, grâce à un encadrement et un accompagnement sanitaire. Dans certains pays, comme les Pays-Bas, a même été enregistrée une suppression totale des cas de contamination par le VIH chez les usagers de drogue.

Nous observons aussi dans ces pays une réduction très forte de la quantité de déchets liés aux injections laissés dans les lieux publics, puisque, en France, l’on retrouve régulièrement des seringues usagées, notamment dans des bacs à sable ou sur les escaliers des gares.

Cette expérimentation n’est pas destinée à un public large d’usagers de drogue, puisque ceux-là sont pris en charge, avec des résultats plus ou moins positifs selon les individus, par des structures, les CAARUD, des lieux d’accompagnement social et sanitaire.

Nous ciblons une population qui, aujourd’hui, échappe à toutes les politiques mises en place auparavant et se retrouve livrée à elle-même, abandonnée, sans accompagnement social, sanitaire et psychologique. Comme l’a dit M. le corapporteur, si nous avons la possibilité de sauver une personne par centre, cette mesure est positive. Or nous espérons que ce sera bien plus que cela !

Ne nous faisons pas d’illusion : toutes les personnes accompagnées n’échapperont pas à la drogue, mais nous avons les moyens de réduire très significativement les décès directement liés à sa consommation. Des centaines d’overdoses pourront être évitées, des centaines de prises en charge sanitaires supplémentaires accélérées, et tout cela pour un coût limité.

Les politiques de prévention des risques représentent en effet un coût de 600 millions d’euros, tandis que celui d’une salle de consommation à moindre risque est évalué à environ 800 000 euros par an. Nous avons prévu pour cette mesure un budget de 3,5 millions d’euros dans les premières années, car seules quelques expérimentations seront lancées sur le territoire avant l’évaluation.

Mesdames, messieurs les sénateurs, j’en appelle donc vivement à un vote de responsabilité sanitaire, mais aussi de bienveillance et d’attention envers des personnes souvent totalement perdues et abandonnées. Il est de notre responsabilité collective de les aider en leur proposant des solutions thérapeutiques.

Mme la présidente. La parole est à M. Yves Daudigny, pour explication de vote.

M. Yves Daudigny. Je fais miens tous les arguments qui viennent d’être présentés par M. le corapporteur et Mme la ministre.

Je voulais rappeler que ce sujet avait été évoqué en 2010 par Mme Roselyne Bachelot-Narquin, alors ministre de la santé, qui proposait elle aussi d’expérimenter des salles de consommation de drogue. Elle avait été désavouée par le Premier ministre de l’époque, M. François Fillon, qui avait préféré faire primer la morale et l’idéologie sur la raison scientifique. Les mêmes choix politiques ont fait, un temps, interdire la publicité pour le préservatif au motif que cela aurait constitué une incitation à la débauche, ou dénoncer le programme d’échange de seringues.

C’est pourquoi je tiens à saluer solennellement la position de notre commission des affaires sociales, qui, je la cite, a « mesuré l’intérêt qui s’attache à l’expérimentation des salles de consommation à moindre risque, après les auditions et les échanges menés avec les professionnels de l’addictologie ».

Madame la ministre, je veux saluer de la même façon votre détermination, votre lucidité, vous qui prenez le risque que ces propositions ne deviennent la cible facile de commentaires caricaturaux, pour ne pas dire populistes et démagogiques. Notre débat n’a pas jusque-là été préservé de tels propos.

Les études de l’INSERM, l’Institut national de la santé et de la recherche médicale, et de l’Observatoire européen des drogues et des toxicomanies établissent les effets positifs qu’entraîne l’ouverture de ces salles : moins de contaminations, moins de consommations sauvages sur la voie publique, moins de nuisances pour les riverains, moins de dépenses en matière de santé et moins d’exclusion.

La pédagogie étant affaire de répétition, je redis qu’il s’agit d’une expérimentation, qui s’adresse aux personnes usagées marginalisées. L’enjeu est de sécurité sanitaire, de sécurité publique. Ces salles seront ouvertes en concertation avec les responsables locaux.

Je veux le dire avec beaucoup de cœur, la Haute Assemblée s’honorerait, honorerait le débat politique et ferait la preuve de son ouverture sur les réalités de notre société en rejetant ces amendements de suppression. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain et du groupe écologiste.)

Mme la présidente. La parole est à M. Philippe Mouiller, pour explication de vote.

M. Philippe Mouiller. Je soutiens très fortement les positions de M. le corapporteur.

Tout le débat tient dans cette question : « Est-on pour ou contre les salles de shoot ? » Dans la rédaction actuelle du texte, la commission a clairement indiqué sa volonté de se situer dans une démarche médicale et de soin.

Il est important de le rappeler, vu les difficultés rencontrées à Paris pour trouver un lieu expérimental, afin d’accueillir ces salles de shoot. En effet, le débat sur la sécurité publique ne doit pas occulter les aspects positifs de cette démarche : les médecins insistent ainsi sur les bienfaits de l’accompagnement et du dialogue, mais aussi sur la possibilité de sortir un certain nombre de personnes de cette difficulté.

La plupart des anciens toxicomanes avec lesquels j’ai échangé m’ont confié qu’ils s’en étaient sortis grâce à une rencontre déterminante. Dans 90 % des cas, il s’agit d’un soignant. (M. Alain Milon, corapporteur, acquiesce.) Il faut donc favoriser ce lien encadré entre les personnes atteintes de toxicomanie et les professionnels capables de les aider.

Comme un certain nombre de mes collègues, je suis donc favorable au maintien de l’article, tout en précisant qu’il faudra peut-être renommer ces salles d’accompagnement des personnes toxicomanes. C’est un message que nous devons adresser aux soignants et aux personnes qui espèrent sortir d’une situation de dépendance.

Mme la présidente. La parole est à M. Alain Vasselle, pour explication de vote.

M. Alain Vasselle. Contrairement à notre collègue M. Mouiller, je me situe du côté de ceux qui plaident en faveur de la suppression de cet article.

En effet, légiférer dans ce domaine risque d’être interprété par nos concitoyens comme une façon de légaliser la consommation de drogues, alors même que l’arsenal législatif en vigueur depuis de nombreuses années a pour objectif de lutter contre cette consommation. Nous devons veiller à ne pas adresser de message contradictoire à l’opinion publique.

J’entends bien les arguments développés par M. Milon, ainsi que par Mme la ministre, qui a étayé son exposé des motifs en citant quelques exemples parmi nos voisins européens, comme l’Espagne ou les Pays-Bas. Des dispositifs similaires ont permis d’obtenir des résultats significatifs, semble-t-il, ce qui plaide en faveur du maintien de cet article ; en tout cas, nous ne pouvons y être insensibles.

Toutefois, je n’ai pas été insensible non plus à l’argumentaire développé par notre collègue, M. Barbier, bien que celui-ci n’ait pu aller jusqu’au bout de son intervention. Comme nos collègues MM. Grand et Lemoyne, il s’est appuyé sur des expériences menées dans d’autres pays européens, en Amérique du Nord et en Australie, dont les résultats ont été jugés peu probant par un certain nombre d’experts et de journalistes ayant enquêté sur le sujet.

Si aucune expérimentation n’avait été conduite dans d’autres pays, je comprendrais que la France procède à des évaluations. Mais pourquoi ne pas tenir compte des nombreuses expérimentations qui ont déjà été menées et considérer qu’il n’est pas probant de mettre en place ce dispositif sur le territoire national ?

Pour toutes ces raisons, je voterai en faveur de ces amendements identiques de suppression.

Mme la présidente. La parole est à Mme Catherine Procaccia, pour explication de vote.

Mme Catherine Procaccia. Monsieur le corapporteur, j’épouse les positions de la commission sur l’ensemble de ce texte. Toutefois, s’agissant des salles de shoot, je ne vous suivrai pas.

J’entends bien votre raisonnement, mais je ne crois pas à la concertation avec les communes : on leur demandera leur avis, et si elles disent non, on passera outre ! Ainsi, on imposera aux villes des salles de shoot, éventuellement à proximité des hôpitaux.

Par ailleurs, Mme la ministre nous a bien dit, même si ce fut peut-être plus clair pour d’autres dispositions du projet de loi, qu’elle voulait en revenir à son texte. Contre mes convictions, j’aurais accepté la rédaction proposée par la commission si j’avais été persuadée que cette expérimentation serait vraiment adossée à des hôpitaux et aurait lieu avec l’avis favorable des communes. Or, pour l’instant, je ne suis pas convaincue que ce sera le cas. Je voterai donc ces amendements identiques de suppression.

Mme la présidente. La parole est à Mme Annie David, pour explication de vote.

Mme Annie David. Le groupe CRC souhaite apporter son soutien à l’article 9, tel qu’il est rédigé. Il ne votera donc pas les amendements identiques de suppression. Comme Mme la ministre l’a rappelé, il s’agit d’une expérimentation de salles de consommation à moindre risque.

Nous tenons à saluer la position responsable des corapporteurs, convaincus, comme nous, de l’utilité sanitaire de telles structures, notamment à la suite de l’audition de professionnels de la réduction des risques. En effet, le but des salles de consommation à moindre risque est de fournir un accès aux soins plus rapide aux usagers de drogue les plus éloignés des parcours de soins, et ainsi les protéger de tout risque d’infection, de contamination, d’overdose, etc.

Pour essayer de convaincre nos collègues, je voudrais rappeler quelques faits.

Premièrement, il est nécessaire de faire évoluer une loi qui date de 1970.

Deuxièmement, on dénombre dans le monde une centaine de salles de consommation de drogue, et ce dans 10 pays, dont 8 sont situés en Europe. Mme la ministre en a cité quelques-uns, mais il y a aussi des salles de consommation au Portugal, en Espagne, en Allemagne, au Danemark, entre autres. Celle de Berne en Suisse existe depuis 1986 ! La France est donc bel et bien en retard. (Murmures sur les travées du groupe Les Républicains.)

En Suisse, le nombre de décès par overdose a été divisé par deux en vingt ans. Selon le rapport publié en 2010 par I’INSERM sur les centres d’injection supervisée, « les salles de consommation ont permis de diminuer les risques liés à la prise de drogues injectables et de toucher des populations exclues en facilitant leur intégration dans un parcours de soins ».

Troisièmement, dans les pays qui ont mis en place ces structures, on constate non pas une augmentation de l’utilisation des drogues et hausse de la délinquance, comme peuvent le craindre leurs détracteurs, mais, au contraire, une baisse des nuisances autour des structures.

Voilà quelques brefs éléments qui doivent nous inciter à autoriser enfin ces expérimentations. Mme la ministre l’a également rappelé, plusieurs villes de tendances politiques différentes se sont portées volontaires. Il est temps de prendre cette question de santé publique à bras-le-corps ! (Applaudissements sur les travées du groupe CRC.)

Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Pierre Grand, pour explication de vote.

M. Jean-Pierre Grand. Monsieur le corapporteur, il n'y a pas deux sortes de sénateurs, ceux qui auraient compris qu’il faut soigner cette addiction mortelle et les autres, totalement insensibles, qui seraient opposés à ce texte. Nous sommes tous d’anciens élus de terrain et nous connaissons ce dossier par cœur. Nous sommes tous mobilisés contre ce fléau.

Quand je montrais les parts d’ombre de votre texte, vous m’avez rétorqué que les toxicomanes ne bénéficieraient pas d’une immunité, celle-ci s’appliquant seulement dans la salle de shoot. Voilà une affirmation bien étonnante ! En effet, toutes les personnes qui se rendent dans une telle salle auront nécessairement de la drogue sur elles. Les policiers le sauront et devront donc s’abstenir d’intervenir sur le parcours des toxicomanes. Je vous laisse expliquer tout cela aux forces de l’ordre !

Aujourd'hui, ce qu’il faut faire, c’est renforcer les services d’addictologie, la prévention et l’éducation à l’école, dans les lycées et les universités. De grâce, n’adressons pas ce signal négatif, qui est d'ailleurs d'abord politique. Comme sur d’autres sujets, le Gouvernement veut faire plaisir aux Verts. (Protestations sur les travées du groupe socialiste et républicain et du groupe écologique.)

Mme Nicole Bricq. N’importe quoi !

M. Jean-Pierre Grand. Toutefois, nous n’avons pas à tomber dans ce panneau. Pardonnez-moi, mes chers collègues, mais je n’ai pas été élu sénateur de la République, sous l’étiquette politique qui est la mienne, pour voter l’ouverture des salles de shoot ! (Applaudissements sur de nombreuses travées du groupe Les Républicains.)

Mme la présidente. La parole est à Mme Aline Archimbaud, pour explication de vote.

Mme Aline Archimbaud. Les élus du groupe écologiste voteront le maintien de l’article 9.

M. Jean-Pierre Grand. Nous nous en doutons !

Mme Aline Archimbaud. Ils adhèrent absolument à la position de la commission des affaires sociales, aux arguments défendus par son président, et à l’avis du Gouvernement.

Il s’agit bien d’un problème de santé. Il faut se préoccuper, avec bienveillance, de certains de nos concitoyens qui sont très loin de nous, qui ont rompu avec toute la vie sociale et sociétale.

De plus, ces salles de consommation à moindre risque doivent faire l’objet d’une expérimentation très encadrée, qui ne sera en aucun cas imposée aux municipalités : ne seront concernées que les communes volontaires.

Monsieur Lemoyne, vous l’avez rappelé avec raison : la lutte contre la toxicomanie doit bénéficier d’une stratégie globale. Or ces salles de consommation à moindre risque ne représentent qu’une toute petite partie du dispositif d’ensemble élaboré pour la prévention des addictions, à destination d’un public très ciblé.

Vous soulignez que le problème existe et qu’il exige des solutions. Vous précisez : il faut pouvoir entrer en contact avec les personnes concernées, qui ne se laissent pas facilement aborder. Vous ajoutez qu’il faut mettre en œuvre une prise en charge médicalisée très sérieuse. C’est exactement ce qui est proposé à travers l’expérimentation de ces salles !

Il convient de faire preuve de bienveillance – je reprends ce mot, qui a déjà été employé – envers certains de nos concitoyens qui sont très loin de la société, pour tenter de résoudre un véritable problème de santé publique.

Au-delà des appartenances partidaires des uns et des autres, si le Sénat pouvait prendre position pour ce dispositif, il émettrait un véritable signal. Notre pays est placé sous pression par des discours populistes dangereux et caricaturaux, qui diffusent le poison de la division et de la peur de l’autre. (M. Jean-Pierre Grand manifeste son désaccord.) Une position sage et raisonnable, de la part du Sénat, ferait du bien !

Mme la présidente. La parole est à M. André Reichardt, pour explication de vote.

M. André Reichardt. Mes chers collègues, à l’origine, je ne souhaitais pas m’exprimer sur cet important dossier.

Mme Annie David. Eh bien…

M. Daniel Raoul. Ce n’est pas une nécessité ! (Sourires sur les travées du groupe socialiste et républicain.)

M. André Reichardt. Toutefois, je me dois d’intervenir, après avoir entendu M. Daudigny, et Mme Archimbaud, qui, à l’instant, a une nouvelle fois parlé de postures politiques « caricaturales », « populistes », en évoquant celles et ceux qui n’auraient pas compris le principe des salles de shoot.

Je vous l’assure : je me suis rendu à ce débat sans arrière-pensée. Comme les uns et les autres, j’ai beaucoup lu sur ce sujet. J’ai été interpellé, j’ai reçu des courriels. Ce matin, j’ai écouté nos discussions très attentivement. Je suis entré dans cet hémicycle sans savoir dans quel sens je voterai.

Après avoir écouté les uns et les autres, je tiens à vous dire qu’en mon âme et conscience je ne peux pas suivre l’avis de la commission. Je le regrette vivement.

Les inconvénients de ces salles me semblent dépasser leurs avantages, en nombre et en importance.

Il est très facile de dire : « Faisons des expériences, nous verrons ensuite »,…

Mme Michelle Meunier. Nous n’avons pas dit cela !

M. André Reichardt. … et d’ajouter : « Seules les communes qui veulent créer ces structures seront concernées ».

Vous le savez bien, dans notre pays, une fois qu’une expérience est lancée, elle perdure – c’est le moins que l’on puisse dire.

En outre, même si, cette expérience se révélant trop difficile, les autres collectivités n’ouvrent pas de telles salles, il ne fait aucun doute que les structures déjà créées perdureront, avec peut-être moins de garanties encore que ce que l’on avance aujourd’hui.

Mme Michelle Meunier. Il faut cesser de se faire peur !

M. André Reichardt. Mes chers collègues, je vous prie de croire que je m’exprime sans arrière-pensée. J’en ai simplement assez de ces leçons de morale ; on nous les a infligées avant-hier à propos de la publicité sur le vin, hier à propos du paquet neutre ; elles se renouvellent aujourd’hui.

La position que j’exprime est tout sauf politique : je vais précisément à l’encontre de M. le président de la commission et de Mme la rapporteur, qui sont de mon bord politique. Mais, je le répète, je ne peux suivre la position de la commission, et je voterai ces amendements de suppression !

M. Alain Vasselle. Très bien !

Mme la présidente. La parole est à M. Gilbert Barbier, pour explication de vote.

M. Gilbert Barbier. Mes chers collègues, je tiens à opérer quelques mises au point.

Les initiatives mises en œuvre à l’étranger ont été évoquées. Je le souligne d’emblée : on peut faire dire un peu ce que l’on veut aux statistiques. Or ces structures ont, parallèlement, été examinées attentivement. (Mme Patricia Schillinger s’exclame.) À ce titre, qui, dans cet hémicycle, est allé visiter une salle de shoot à l’étranger ? (M. Jean-Pierre Godefroy et Mme Patricia Schillinger lèvent la main, ainsi que M. le corapporteur.)

M. Alain Milon, corapporteur. Moi !

M. Gilbert Barbier. Eh bien, moi aussi ! Je suis allé à Genève, où j’ai passé une journée au sein des locaux de Quai 9. J’ai vu comment ces services fonctionnaient. Il faut voir les choses comme elles sont.

En outre, il m’a semblé, en écoutant le discours de M. le président de la commission, que, pour l’heure, la France ne faisait rien et laissait à l’abandon les personnes concernées… C’est faire fi de ce qui se passe dans les centres d’accueil et d’accompagnement à la réduction des risques pour les usagers de drogues, les CAARUD, ou dans les centres de soins, d’accompagnement et de prévention en addictologie, les CSAPA. Des professionnels travaillent sans relâche au sein de ces structures.

Pour employer au mieux les crédits disponibles, ne serait-il pas préférable d’organiser des maraudes, comme le préconisait M. Emmanuelli, et ainsi d’inciter les personnes concernées à se rendre dans les centres déjà existants ?

Mme Michelle Meunier. Ces maraudes existent depuis quinze ans !

M. Gilbert Barbier. On nous précise que ces salles de consommation à moindre risque seront adossées aux hôpitaux. Mais ces derniers disposent déjà de centres comme les CSAPA !

À ce propos, nous débattons non pas d’une absence de risque, mais d’un « moindre risque ». Il s’agit toujours de l’injection d’un produit toxique.

À mes yeux, il faut faire véritablement confiance aux réseaux qui existent dans notre pays. Beaucoup d’hôpitaux, et notamment de centres hospitaliers universitaires, les CHU, disposent de services d’addictologie performants. Pourquoi créer ces pseudopodes adossés à certains établissements hospitaliers ? Aujourd’hui, on ne peut dire exactement comment ces salles fonctionneront et quels seront leurs résultats.

Quitte à mentionner les exemples étrangers, rappelons que nombre de salles d’injection à moindre risque ont fini par fermer. La salle de Berne a été évoquée. Pour ma part, je signale que les deux salles existant à Zurich ont dû fermer leurs portes, compte tenu des troubles qu’elles causaient à l’ordre public.

M. Alain Vasselle. Très bien !

Mme la présidente. La parole est à Mme Patricia Schillinger, pour explication de vote.

Mme Patricia Schillinger. Je serai très brève, madame la présidente. Je tiens simplement à dire que je soutiens pleinement Mme la ministre.

Il y a un peu plus de dix ans que je suis élue sénatrice, et cela fait également dix ans que cette question fait débat. J’ai travaillé dix-neuf ans en Suisse, à Bâle-Ville et à Bâle-Campagne. Je connais les problèmes en question, et je souhaite féliciter ce pays, qui s’est engagé depuis trente ans pour venir en aide à ces personnes en difficulté.

Je ne suis pas pour la politique « des trois singes », à savoir : on n’entend rien, on ne voit rien et on ne fait rien.

Aujourd’hui, nous avons la possibilité de lancer une expérimentation, qui, je le note au passage, n’a rien à voir avec une généralisation. Voilà dix ans que l’on parle de ce problème, que des rapports y sont consacrés ! Et, pendant ce temps, on laisse les personnes concernées dans la rue, sans secours.

M. Jean-Pierre Grand. On ne peut pas dire cela !

Mme Patricia Schillinger. C’est à nous, parlementaires, d’aller dans le sens de l’action. Une proposition nous est présentée. L’heure du vote est venue, et chacun prendra ses responsabilités. Pour ma part, je suis fière que Mme la ministre défende cette position. Cette solution relève d’une politique de santé : engageons-nous ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain et du groupe CRC.)